displicuit nasus tuus
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Displicuit nasus tuus
François Lapi
10.82 715620
----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique
[Roman (134x204)] NB Pages : 126 pages
- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 10.82 ----------------------------------------------------------------------------
Displicuit nasus tuus
François Lapi
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Chapitre 1
Simone Ă©tait assurĂ©ment une gentille fille. On eut pu la comparer Ă des milliers de femmes menant comme elle une vie besogneuse sans quâaucuns faits saillants ne vinssent durablement en perturber le cours.
Elle Ă©tait secrĂ©taire de direction au siĂšge dâune petite mutuelle et Ă©tait parfaitement intĂ©grĂ©e Ă son milieu professionnel oĂč sa bonne humeur devenue lĂ©gendaire la faisait apprĂ©cier de tous, y compris de ses supĂ©rieurs qui louaient son esprit pratique et son efficacitĂ©. En fait, en y regardant bien, sa façon de tourner en dĂ©rision les mini tracas du quotidien la faisait passer Ă la fois pour une rĂȘveuse insouciante mais aussi pour la rigolote de la bande, rĂŽle quâelle assumait avec bonhommie. InquiĂšte des malheurs dâautrui, son dĂ©vouement pour contribuer Ă les rĂ©soudre en faisait la bonne copine type, singularitĂ© qui la distinguait de lâinfantilisme ambiant dâun gynĂ©cĂ©e de femmes en Ă©tat de perpĂ©tuelle frustration. Jalouses les unes des autres, ces mĂ©gĂšres dĂ©fendaient bec et ongle un maigre territoire fait de prĂ©rogatives dĂ©risoires, non sans omettre, bien sĂ»r, de lĂ©cher le cul Ă plein temps dâune hiĂ©rarchie
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volontiers paternaliste. Rien de bien original somme toute, tant il est vrai que la promiscuitĂ© au sein des communautĂ©s humaines est gĂ©nĂ©ratrice de frottements douloureux dont dĂ©coule la cruautĂ© ordinaire, celle de tous les jours. Au sein de ce vivier, on eut dit que Simone se complaisait dans lâimage dâEpinal de la camarade exemplaire, un fonds de commerce sensĂ© lui valoir, en guise de reconnaissance, une forme de popularitĂ©. DĂ©risoire compensation dont on pouvait se demander lĂ©gitimement le bien-fondĂ©.
Son physique Ă©tait Ă lâavenant, fortement connotĂ© dâune composante potache altĂ©rant Ă peine une fĂ©minitĂ© pourtant inscrite dans une plastique gĂ©nĂ©reuse quâelle enfouissait sous de longs pulls dâadolescente. La trentaine assumĂ©e, Ă©lancĂ©e, plutĂŽt grande, elle enterrait sous ces chiffons flottants des appĂąts bien en place qui pointaient, malgrĂ© elle, sous la forme dâune poitrine ferme et gĂ©nĂ©reuse surplombant une croupe saillante, lâensemble soulignant dâautant une taille de guĂȘpe invisible sous la laine. Bref, une bombe cachĂ©e, un vrai corps de femme dissimulĂ©e sous la dĂ©gaine dâun gavroche et si on ajoutait, gainĂ©es par leur inamovible jean moulant des jambes interminables aux mollets idĂ©alement galbĂ©s, on frisait une perfection que personne ne pouvait remarquer hors de la stricte intimitĂ©.
Son visage, dâun ovale harmonieux, toujours exempt de maquillage, Ă©tait coiffĂ© le plus souvent dâun chignon fonctionnel un tantinet ringard. Seuls, ses yeux faisaient lâadmiration de tous : grands et trĂšs clairs, lâiris, pĂąle comme un ciel dâĂ©tĂ©, Ă©tait bordĂ© dâun liserĂ© bleu marine donnant Ă son regard lâĂ©trangetĂ© captivante dâun Ćil de rapace.
HĂ©las, du rapace, elle nâavait pas que les yeux.
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La nature, volontiers taquine, lâavait pourvu dâun nez proĂ©minent, une protubĂ©rance gĂ©ante en bec dâaigle, superbe quart de brie hĂ©ritĂ© de son gendarme de pĂšre que toute la brigade avait surnommĂ© affectueusement « Rhino » pour un appendice nasal qui rendait nerveux les parents de rencontre, soucieux de rĂ©primer lâhilaritĂ© contagieuse de leur rejeton.
Cette Ă©minence gĂ©nĂ©alogique avait conditionnĂ© son enfance, lui valant, dâun cĂŽtĂ© les sobriquets cruels des autres enfants Ă lâĂ©cole, de lâautre les punitions consĂ©cutives aux mesures de rĂ©torsions violentes dont la petite, Ă bout de nerf, usait parfois Ă lâencontre de ses persĂ©cuteurs. La pauvrette anoblissait parfois sa disgrĂące en claironnant fiĂšrement, le pif pointĂ© au zĂ©nith :
« Et oui, jâai le nez bourbon ! » Mais ce subterfuge naĂŻf, non seulement
nâimpressionnait personne, mais pire, avait le don de relancer un clan de rieurs toujours prĂȘts Ă brocarder cette noblesse de peu.
Quant Ă sa mĂšre, déçue quâelle nâeĂ»t pas le profil de la princesse attendue, elle sâen dĂ©sintĂ©ressa tout simplement.
De ces Ă©preuves, Simone Ă©tait sortie grandie puisquâelle nâen Ă©tait pas morte. Elle Ă©tait mĂȘme devenue une femme au caractĂšre bien trempĂ© qui avait puisĂ© dans son handicap une singularitĂ© qui plaisait Ă tous, fut-ce au prix de la condescendance de mĂ©diocres fiers de se sentir mieux nĂ©s.
A lâinverse de la formule de Lamarck : « La fonction crĂ©e lâorgane », ici, câĂ©tait le nez, lâorgane, qui avait conditionnĂ© le fonctionnement du tout en façonnant la personnalitĂ© de Simone, bornĂ©e pour la vie dans les limites que lui autorisait son physique ingrat.
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NĂ©anmoins, il faut le reconnaitre, passĂ© la surprise des premiers instants, ce bec de baleniceps finissait par sâintĂ©grer dans le paysage et force Ă©tait de constater que lâon ne le voyait presque plus, Ă la longue. Dire quâil lui allait bien aurait Ă©tĂ© nettement exagĂ©rĂ© car pareil rostre tirait Ă lui la vedette au point quâil semblait Ă lui seul rĂ©sumer la femme qui le suivait. Mais il ne dĂ©tonnait pas psychologiquement avec la rigolote, grimaciĂšre Ă ses heures, versant dans lâautodĂ©rision (Elle sâaffublait parfois du sobriquet de Cyranette), tout cela dans un contexte Ă©videmment cathartique. Cette distanciation humoristique, dont elle usait souvent, faisait office de contre-feu en attĂ©nuant la blessure de lâhumiliation quand, dans son dos, la communautĂ© des drĂŽles exerçait sa vulgaritĂ© Ă coup de poncifs genre « perchoir », « Pinocchio » ou « lâespadon. » voire, pour les plus observateurs « tĂȘte de pine » oĂč « miss braquemart ». Cette autodĂ©rision, qui lui faisait arborer en guise de mouchoir un interminable suaire, devançait au ras de la langue les vellĂ©itĂ©s sadiques des moqueurs, les privant Ă la fois du sel de la rĂ©partie et de la primeur de lâoriginalitĂ©.
Elle qui ne pouvait pleinement ĂȘtre femme, sâĂ©tait donc dĂ©finitivement cantonnĂ©e dans la peau dâune adolescente attardĂ©e, plus compatible avec son sentiment dâincomplĂ©tude.
Notre boutentrain avait trouvĂ© mouchoir Ă son nez en la personne dâun gentil garçon prĂ©nommĂ© Mathieu qui lui vouait une admiration Ă la mesure de la modestie de son intellect. Elle dominait son chevalier servant qui, Ă dĂ©faut dâĂȘtre Pic de la Mirandole, Ă©tait ce quâil est convenu dâappeler un bel homme, grand, mince, brun et viril, le
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regard bleu, la mĂąchoire volontaire, le prototype mĂȘme du beau gosse des sĂ©ries tĂ©lĂ©, en fait pour certains jaloux, une variĂ©tĂ© de bellĂątre propre Ă enflammer le cĆur des shampouineuses. Sujet Ă dâinattendues sautes dâhumeur, ses caprices donnaient lâillusion dâun caractĂšre bien trempĂ©. Simone sâĂ©tonnait quâune fille comme elle ait pu lever un pareil lot, de trois ans son cadet, et arborait fiĂšrement Ă ses cĂŽtĂ©s son bel Adonis Ă lâinstar dâune parure. Au fond, elle abritait, Ă son insu, un solide complexe de moche qui la rendait illĂ©gitime au bras dâun homme, fut-il quelconque. Alors, comme vous le pensez, un mec que les autres femmes pouvaient lui envier constituait lâĂ©quivalant dâun vĂ©ritable bĂąton de marĂ©chal. Quant Ă lui, vaniteux et superficiel comme un tĂ©nor, vous lâauriez pensĂ© volontiers « Serial lover » mais Ă tort, car Mathieu ne faisait guĂšre Ă©talage de pulsions sĂ©ductrices tout azimut ; non, câĂ©tait surtout de lui dont il Ă©tait amoureux et cette tendance narcissique en avait fait un dandy atrabilaire, vouĂ© au contrĂŽle de son apparence en toutes circonstances.
En un mot, Ken, le faire valoir de Barbie. Simone couvait son sigisbĂ©e Ă lâĂ©gal dâun fils, attentive
au moindre de ses besoins, le bichonnant Ă loisir comme elle lâeut fait dâun bonzaĂŻ moribond. Son dĂ©sir sous-jacent de maternitĂ© Ă©tait en partie compensĂ© par lâassistance quâelle portait Ă ce balourd mal sevrĂ©, en quĂȘte de mamelle bienfaitrice.
Tous les frustrĂ©s de lâamour vous le diront, les femmes sont un mystĂšre car comment expliquer que des filles « biens sous tout rapports » puissent durablement sâaccoupler avec des cons authentiques ?
Dure leçon de modestie pour lâheureux Ă©lu qui a
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prĂ©cĂ©dĂ© ou suivi le dĂ©bile dans la biographie de la belle. Le dicton : « seule, la brute baise bien » serait-il fondĂ© ? La passion, si elle aveugle, ne saurait tout expliquer car elle est par nature Ă©phĂ©mĂšre et le lit sâuse avec le temps. Dans la plupart des cas, la bonne rĂ©ponse est « lâeffet dâaubaine », simple obligation pour le fruste dâĂȘtre au bon endroit au bon moment afin de consoler une Ăąme dĂ©semparĂ©e, le plus souvent Ă la suite dâune faillite sentimentale. Certes, mais pourquoi cette liaison improbable dure-t-elle plus que de raison ? Dâabord, comment voulez-vous aisĂ©ment quitter un garçon qui vous a aidĂ© quand vous Ă©tiez au plus mal ? De plus, rien nâempĂȘche que lâon sây attache Ă lâĂ©gal dâun animal qui dispense sa chaleur affective. Enfin, lui au moins, est indolore puisque on ne lâaime pas vraiment. La reconnaissance nâa rien Ă voir avec lâamour qui fait souffrir. Simone nommait ces opportunistes ramasseurs dâĂ©paves « les hommes du fond du trou ». Elle nâĂ©tait pas concernĂ©e :
son attrait pour Mathieu ne tenait quâĂ la beautĂ© de ce dernier qui avait pour elle valeur de trophĂ©e.
Le couple sâĂ©tait installĂ© « bourgeoisement » dans un petit appartement parisien du dix-huitiĂšme arrondissement destinĂ© Ă accueillir une naissance qui se faisait attendre depuis plus dâun an. Il est vrai que Simone subissait plus quâelle nâhabitait les coĂŻts rares et fonctionnels du distrait qui partageait sa couche et, soupçonnant Ă tort, que lâabsence de conviction dĂ©courageait la conception, elle se montrait Ă la fois frustrĂ©e et rĂ©signĂ©e, coupable de nâĂȘtre que ce quâelle Ă©tait, une femme sans attrait physique.
Bref, sans ĂȘtre ce quâil est convenu dâappeler une mal
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baisĂ©e, rendue revĂȘche faute dâĂ©treintes, elle sâĂ©tait rangĂ©e Ă lâidĂ©e que la sexualitĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e nâĂ©tait quâun truc de vantards, les notions mĂȘmes de jouissance oĂč dâorgasme lui ayant toujours parues suspectes, au pire animales.
La « meilleure amie » de Simone (appellation non contrĂŽlĂ©e), Katie, petite femme gironde, court vĂȘtue, la bouille ronde et malicieuse dâun poulbot, volubile et bariolĂ©e comme une perruche, Ă©tait coiffeuse de son Ă©tat et semblait intarissable quant aux mille et une anecdotes puisĂ©es quotidiennement auprĂšs de ses clientes. Un journal people sur deux pattes. Faire-valoir patentĂ©, elle vouait Ă Simone une admiration sans bornes pour une intelligence et une culture qui, Ă lâaune de son maigre rĂ©fĂ©rentiel, lui paraissaient incommensurables ce qui ne lâempĂȘchait guĂšre de loucher avec concupiscence sur le beau Mathieu dont elle se sentait plus proche. Mais, corsetĂ©e de principes simplificateurs, elle ne se serait au grand jamais autorisĂ©e Ă piquer le mec dâune si grande amie. TĂȘte de linotte, moulin Ă parole, reine du coq Ă lâĂąne, elle avait la qualitĂ© de ses dĂ©fauts et sa spontanĂ©itĂ© souvent gaffeuse engendrait nĂ©anmoins auprĂšs des amoureux de lâĂ©phĂ©mĂšre une charitable sympathie, tant chez elle, rien ne durait, ni ses passions, ni ses rancĆurs, ni ses convictions, pas mĂȘme ses amours.
Simone, parfois irritĂ©e par des sorties si stupides au point quâelle avait honte dâen paraĂźtre complice, sâĂ©tait souvent demandĂ© le bien-fondĂ© de cette frĂ©quentation qui, Ă part un Ă©vident statut de faire valoir, semblait aux antipodes de la moindre de ses aspirations. Ce nâest quâavec la distanciation quâapporte la maturitĂ© quâelle avait finalement mesurĂ© le rĂŽle essentiel que cette sotte jouait dans sa vie, prodiguant, Ă lâinstar dâune prĂ©sence animale
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ou de lâĂ©coulement dâune fontaine, une fonction rĂ©gulatrice qui la raboutait Ă lâessence mĂȘme de lâexistence faite de petits riens, des dĂ©tails insignifiants cachĂ©s dans lâopacitĂ© dâune ombre quâen majestĂ©, Ă la poursuite de nos rĂȘves, on projette autour de soi, aveugles Ă la magie de chaque instant. Katie vivait de plain-pied dans le prĂ©sent, dĂ©roulant Ă mesure la vie devant elle comme un tapis sans fin et ses rĂȘves immĂ©diats semblaient rĂ©els, indemnes du recul normatif quâinflige la raison.
Sujette Ă des poussĂ©es dâidĂ©alisme, Simone sâĂ©tait imaginĂ© un temps quâelle aurait pu lui insuffler une forme de sagesse, voire Ă dĂ©faut du bon sens, comme on gonfle un ballon, par petites bouffĂ©es. Mais ces sĂ©ances pĂ©dagogiques, gĂ©nĂ©ratrices de bĂąillements incoercibles, eurent tĂŽt fait de confronter lâutopique magister Ă sa part de naĂŻvetĂ©. DĂ©cidĂ©ment, la changer nâaurait servi Ă rien, sinon risquer de la priver de ce qui en faisait le prix : ce « je ne sais quoi » de spontanĂ©, dâimprĂ©vu, de risquĂ© qui rendait sa prĂ©sence essentielle, sans toutefois le paraĂźtre.
A lâinverse de son amie qui ne gouttait que les pĂ©riodiques fĂ©minins, Simone Ă©tait une lectrice invĂ©tĂ©rĂ©e, une boulimique qui abordait tous les genres, mĂȘmes les plus ardus, avec un Ă©gal appĂ©tit. Cela constituait mĂȘme son principal loisir, une indispensable aide Ă vivre qui lui offrait un monde idĂ©al, imaginaire, dĂ©graissĂ© de la poisse dâune routine qui, bien souvent, lui pesait comme un fardeau. DĂšs quâelle avait un minimum de temps Ă tuer, elle plongeait son nez aquilin dans un bouquin, jailli par miracle de ses mains comme la colombe dans celles du prestidigitateur. La pauvrette aurait pu en tourner les pages dâun simple balancement de tĂȘte. Toutes ces lectures avaient fait dâelle une Ă©rudite silencieuse, au rĂ©el savoir
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ignorĂ© de proches majoritairement peu cultivĂ©s, quâelle avait dâailleurs Ă cĆur de ne pas incommoder par de vaines rodomontades oĂč dâassertions prises comme telles. Elle aimait Ă©galement Ă©couter la musique classique en toute intimitĂ© car cette seconde passion nâĂ©tait guĂšre plus prisĂ©e par son entourage, farci dĂšs lâenfance des platitudes dĂ©versĂ©es Ă foison par les radios vouĂ©es au primitivisme du top cinquante. Son nez lâavait faite diffĂ©rente et câĂ©tait cette diffĂ©rence assumĂ©e, voire transcendĂ©e, qui la poussait Ă sâaventurer hors des poncifs de son milieu dâorigine, faisant dâelle un bec fin jailli telle une mutante au sein de la plus banale des basse-cour.
PressĂ©e par Katie dâĂ©galiser les pointes fourchues de sa longue chevelure, elle finit par se rendre, par un jour sans pluie, dans le salon de coiffure de son amie et prit place dans une salle dâattente dĂ©fraichie oĂč lâattendait un guĂ©ridon jonchĂ© de journaux fĂ©minins empilĂ©s de guingois. Lâair de la boutique Ă©tait saturĂ© dâun bouquet de fragrances mĂȘlĂ©es dont la fraicheur lui rappelait son enfance alors que, encore petiote, elle attendait sagement son tour chez le coiffeur du quartier, la menotte recroquevillĂ©e sur lâargent des courses. Toute Ă sa rĂȘverie, elle sâavisa soudain quâelle avait oubliĂ© de prendre un livre et, ne pouvant rester les mains ballantes, elle se mit Ă feuilleter au hasard un des nombreux hebdomadaires, en totalitĂ© des torchons Ă ragots. Si sa pudeur les rĂ©pudiait en vrac, sa curiositĂ© sâen dĂ©lectait malgrĂ© tout ; non pas du contenu dont elle ignorait jusquâau nom des protagonistes, mais de la forme, un discours cliniquement formatĂ© calquĂ©e sur lâattente dâun public dont elle se plaisait Ă deviner les bassesses, et, Ă travers elles, les frustrations
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dâune population de laissĂ©s pour compte. Bref, elle ne les avait pas achetĂ©s, ils Ă©taient lĂ , et ainsi auto-blanchie de curiositĂ© malsaine, elle sây plongea toute honte bue en entomologiste de lâhumain, dans le parfait dĂ©ni de son propre voyeurisme. Un article malgrĂ© tout attira son attention : il parlait de chirurgie esthĂ©tique et faisait lâĂ©loge de nouvelles techniques, photos convaincantes Ă lâappui. Le rĂ©sultat Ă©tait si apparemment spectaculaire quâelle se prit Ă rĂȘver dâune autre qui serait toujours elle, une autre qui pour lâheure croupissait prisonniĂšre derriĂšre un masque de carnaval, recroquevillĂ©e dans lâombre dâune comĂ©dienne, une autre nâaspirant quâĂ vivre en pleine lumiĂšre comme lâimago dâun papillon libĂ©rĂ© de sa chrysalide. Elle se surprit de sâĂȘtre intĂ©ressĂ©e Ă ce truc de bonnes femmes.
Katie la tira de ses songes par un aboiement aigu de caniche qui exprimait simplement sa joie dâavoir enfin Ă faire Ă son amie.
Plus tard, elle repensa Ă son article, probablement en partie publicitaire. Elle se dit que jusquâici, il ne lui Ă©tait jamais venu Ă lâesprit de se faire refaire le nez ou plutĂŽt, bien quâelle connut depuis longtemps lâexistence de ce recours, il Ă©tait demeurĂ© Ă lâĂ©tat dâabstraction, de ces choses pas pour elle, tabou, hors des limites de son univers familier. Au fond, sâintĂ©resser Ă tout cela eut Ă©tĂ© synonyme dâadmettre lâexistence dâune problĂ©matique et plutĂŽt que dâen alourdir le trait, un dĂ©ni des consĂ©quences de sa dysmorphie sâavĂ©rait dĂ©finitivement plus simple Ă gĂ©rer. Et puis, câĂ©tait pour les riches et y cĂ©der eut Ă©tĂ© trahir les pauvres dont elle se sentait plus proche. Elle Ă©tait bien comme ça, au moins nâavait-elle pas la tĂȘte passe-partout de madame Toulemonde.
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Elle reprit le cours enjouĂ© de sa vie quâelle trouvait finalement pas si dĂ©sagrĂ©able. Tout Ă©tait bien Ă sa place dans le meilleur des mondes. Sauf que, alors quâelle se prĂ©parait Ă se mettre au lit au terme dâune rude journĂ©e, elle passa devant la tĂ©lĂ© encore allumĂ©e et y aperçut une tĂȘte recouverte de bandages. DĂ©cidĂ©ment ! Elle sâarrĂȘta une seconde pour voir. CoĂŻncidence ou signe du destin, câĂ©tait une Ă©mission mĂ©dicale qui parlait de reconstructions faciales. Elle resta absorbĂ©e devant lâĂ©cran puis sâasseyant sur un bras de fauteuil, elle demeura plantĂ©e jusquâĂ la fin du programme. Ce soir-lĂ , au fond de son lit, elle se tint figĂ©e, en Ă©veil, regardant fixement le plafond oĂč se projetait le film dâun songe, une fiction qui parlait dâelle et lui faisait du bien. Elle sâen Ă©tonna puis sâendormit, porteuse de cette rĂ©vĂ©lation quâelle avait voulu ignorer jusquâici. Mais, le ver Ă©tait dans le fruit et il nâĂ©tait pas douteux que, bien que cent fois refoulĂ©e, cette aspiration reviendrait, lancinante, obsĂ©dante.
La phase suivante fut lâincontournable passage par internet. Au milieu des trop nombreux sites publicitaires, elle consulta le dĂ©criĂ© Wilkipedia, sans grand profit pour elle puis parcourut les forums contre lesquels elle nourrissait plein dâapriori nĂ©gatifs. CâĂ©tait, Ă son goĂ»t, les lieux privilĂ©giĂ©s oĂč des tas de frustrĂ©s fauchĂ©s, volontiers donneurs de leçons, dĂ©versent, sous couvert dâanonymat, leur amertume de nâĂȘtre que ce quâils sont, des anonymes envieux, le tout en langue potache pour faire jeune et branchĂ©. Des graffitis qui nâexpriment que : « Cave ad sum », (attention jâexiste !) Alors me direz-vous, aprĂšs un tel jugement, quâallait-elle y chercher ? Probablement ce petit surcroit dâhumanitĂ©, cumul de dĂ©sarrois, qui, par le biais de confidences, sous couvert de pseudonymes,