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Mlle Grilli 1 Dissertation sur les Fables de La Fontaine. Sujet : La Fontaine dans ses Fables, vise à plaire tout en instruisant. Votre lecture des Fables vous permet-elle de souscrire à ce jugement ? Des pistes de réflexion pour reprendre le travail fait en cours : Après avoir réfléchi à chaque mot-clef : « plaire », « instruire », et l’expression « tout en », il est apparu qu’il existe une tension, voire une contradiction entre les deux objectifs, celui du conteur pour le plaisir (qui lutte contre l’ennui) et celui du moralisateur qui donne une leçon morale (peu être vu comme « ennuyeux »). Or ce sujet vient de la théorie exposée par La Fontaine dans la fable « le pâtre et le lion » notamment = la relire ! = « conter pour conter me semble peu d’affaire » ; mais aussi « une morale nue apporte de l’ennui ». La Fontaine refuse d’être un « moralisateur » (souvenez-vous qu’il est « libre penseur », « libertin » au sens philosophique du terme) : idée alors d’une notion différente : le moraliste. Un moraliste est un écrivain qui propose, sous une forme discontinue, des réflexions sur les moeurs, au sens étymologique de latin mos, moris : les usages et les coutumes humaines, les caractères et les façons de vivre — en somme, les actions et les comportements des hommes. N.B. : moraliste ne doit pas être confondu avec moralisateur : ce dernier donne des leçons de morale, tandis que le premier adopte une attitude d'abord descriptive et ne traite que secondairement de morale au sens moderne. Voilà une première façon de dépasser l’opposition entre « plaire » et « instruire » et de tenir compte du « tout en ». Un autre aspect de la question que nous avons dégagée : la différence entre « instruire » qui suppose un savoir diffusé par une autorité (laquelle ? quel savoir ?) et « réfléchir » : on adopte plutôt le point de vue du lecteur, sans qu’il y ait dogmatisme : il garde une part de liberté face à la « leçon » donnée. « Plaire » suppose un ton animé, une certaine simplicité, une brièveté, une possible identification (voir le récit court et plaisant, enlevé….) = utilisation du registre comique (les fables comme de petites comédies) ; « Instruire » suppose un ton plus sérieux, plus grave. La encore, il faut trouver une notion qui permette de faire le lien entre ces deux attitudes : l’ironie, qui tient à la fois du comique et de l’argumentatif, car elle suppose une réflexion de la part du lecteur qui doit entendre le discours de l’auteur sous celui des personnages dans la fable (voir le lion dans « les animaux malades de la peste »). = nous avons remarqué que les Fables sont plus difficiles à comprendre qu’il n’y paraît et que la morale peut être distinguée de la moralité (ce qui est écrit au présent de vérité générale dans les fables). La morale (du latin moralitas, « façon, caractère, comportement approprié ») se rapporte au concept de l'action humaine qui concerne les sujets du juste et de l'injuste, également désignés sous le nom « bien et mal ». I) Faire jouer les notions entre elles ; définir les mots du sujet = voir votre prise de notes = Vous avez discuté votre sujet et vous avez fait ressortir des problèmes ; c’est ce qu’il faut faire !! Ne surtout pas « gommer » ces difficultés !

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Mlle Grilli 1

Dissertation sur les Fables de La Fontaine.

Sujet : La Fontaine dans ses Fables, vise à plaire tout en instruisant. Votre lecture des Fables vous permet-elle de souscrire à ce jugement ?

• Des pistes de réflexion pour reprendre le travail fait en cours :

Après avoir réfléchi à chaque mot-clef : « plaire », « instruire », et l’expression « tout en », il est apparu qu’il existe une tension, voire une contradiction entre les deux objectifs, celui du conteur pour le plaisir (qui lutte contre l’ennui) et celui du moralisateur qui donne une leçon morale (peu être vu comme « ennuyeux »).

Or ce sujet vient de la théorie exposée par La Fontaine dans la fable « le pâtre et le lion » notamment = la relire !

= « conter pour conter me semble peu d’affaire » ; mais aussi « une morale nue apporte de l’ennui ».

La Fontaine refuse d’être un « moralisateur » (souvenez-vous qu’il est « libre penseur », « libertin » au sens

philosophique du terme) : idée alors d’une notion différente : le moraliste.

Un moraliste est un écrivain qui propose, sous une forme discontinue, des réflexions sur les mœurs, au sens étymologique de latin mos, moris : les usages et les coutumes humaines, les caractères et les façons de vivre — en somme, les actions et les comportements des hommes.

N.B. : moraliste ne doit pas être confondu avec moralisateur : ce dernier donne des leçons de morale, tandis que le premier adopte une attitude d'abord descriptive et ne traite que secondairement de morale au sens moderne.

Voilà une première façon de dépasser l’opposition entre « plaire » et « instruire » et de tenir compte du « tout en ».

Un autre aspect de la question que nous avons dégagée : la différence entre « instruire » qui suppose un savoir diffusé par une autorité (laquelle ? quel savoir ?) et « réfléchir » : on adopte plutôt le point de vue du lecteur, sans qu’il y ait dogmatisme : il garde une part de liberté face à la « leçon » donnée.

« Plaire » suppose un ton animé, une certaine simplicité, une brièveté, une possible identification (voir le récit court et plaisant, enlevé….) = utilisation du registre comique (les fables comme de petites comédies) ; « Instruire » suppose un ton plus sérieux, plus grave. La encore, il faut trouver une notion qui permette de faire le lien entre ces deux attitudes : l’ironie , qui tient à la fois du comique et de l’argumentatif, car elle suppose une réflexion de la part du lecteur qui doit entendre le discours de l’auteur sous celui des personnages dans la fable (voir le lion dans « les animaux malades de la peste »).

= nous avons remarqué que les Fables sont plus difficiles à comprendre qu’il n’y paraît et que la morale peut être distinguée de la moralité (ce qui est écrit au présent de vérité générale dans les fables).

La morale (du latin moralitas, « façon, caractère, comportement approprié ») se rapporte au concept de l'action humaine qui concerne les sujets du juste et de l'injuste, également désignés sous le nom « bien et mal ».

I) Faire jouer les notions entre elles ; définir les mots du sujet = voir votre prise de notes

= Vous avez discuté votre sujet et vous avez fait ressortir des problèmes ; c’est ce qu’il faut faire !! Ne surtout pas « gommer » ces difficultés !

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Il ne faut pas faire une partie « plaire » et une autre « instruire » puisque nous avons étant donné que l’intérêt – et la difficulté – du sujet repose sur le lien entre les deux notions « tout en ».

Il faut alors accentuer ce qui rend l’instruction possible et agréable :

1) La fable est une forme d’argumentation et d’instruction plaisante car simple, efficace, qui permet une identification (votre idée de « plaire à tout le monde » !)

2) Mais cette instruction semble passer parfois après le « plaisir du conte » et l’articulation du récit et de la morale est parfois problématique : il existe un risque de ne pas bien comprendre la « morale », d’autant plus qu’elle n’est pas toujours explicite = il y a un sens caché.

3) L’ironie est une notion qui « réconcilie » le sérieux et le plaisant dans les fables : elle amuse, doit être perçue par un lecteur attentif qui réfléchit.

= la vraie leçon : prendre plaisir à lire une fable et à déjouer les pièges du fabuliste !

• Introduction :

L’apologue, bref récit imagé illustrant une morale, est pratiqué par de nombreux auteurs soucieux de convaincre leurs lecteurs en recourant à cette forme littéraire plaisante et efficace. La Fontaine, dans ses Fables, y voit le moyen d’instruire sans lasser : « Une morale nue apporte de l‘ennui ; le conte fait passer le précepte avec lui ». Son mot d’ordre, plusieurs fois affirmé, est en effet de « plaire tout en instruisant ». Comment peut-on penser l’articulation entre ces termes qui semblent a priori relevés de deux visées contradictoires ? C’est surtout parce qu’il joint l’utile à l’agréable que l’apologue paraît efficace à ces auteurs classiques, pour lesquels il est impensable de distraire sans instruire, et l’on peut se demander s’il ne serait pas, en effet, une des formes d’argumentation les plus efficaces qui soient, en raison de sa clarté, et de sa brièveté. Mais cela doit être nuancé : parce que la morale est cachée sous le récit, l’apologue court cependant le risque de manquer son objectif, et d’obscurcir son propos. La Fontaine semble donner la priorité au pouvoir de la gaieté tout en faisant réfléchir son lecteur : l’ironie ne serait-elle pas l’outil le plus efficace pour plaire et « instruire » ?

[I] L’apologue peut être une forme d’argumentation efficace en raison de ses qualités intrinsèques : c’est en effet un genre plaisant, qui articule une morale à un récit vivant, bref et clair.

La fable, en mettant en scène des animaux ou des situations tirées de la vie quotidienne, comme dans « La laitière et le pot au lait » adopte des thèmes relativement simples et peut permettre une identification, d’autant plus que le « plus simple animal nous y tient lieu de maître ». Le récit est souvent court et animé, qui rend par exemple la démarche légère de Perrette ou le mouvement des grenouilles qui sautent « dans les trous du marécage », « dans les roseaux » grâce à un jeu d’anaphore. Le schéma narratif est celui du conte, avec des effets de chute et de retournement de situation, comme dans « Les animaux malades de la peste ». Cet effet de surprise est plaisant pour le lecteur qui se laisse prendre au jeu de la narration.

II) Trouver le plan :

III) La rédaction. Attention , je ne fais pas tout : c’est à vous de compléter, de faire des phrases…

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En outre, La Fontaine ménage des rythmes particuliers et variés, avec de jeux d’hétérométrie qui permettent par exemple de rendre l’opposition entre la lenteur de la tortue et la rapidité du lièvre. Cela rapproche la fable écrite en vers de la prose et facilite la compréhension de la petite histoire.

L’art de la variation empêche l’ennui : les fables doubles, comme « le pâtre et le lion », laissent entrevoir des jeux de parallélismes, de différences et de reprises, c'est-à-dire le travail de l’écriture dans ses subtils changements. Selon ces exigences, l’art de conter place la moralité à la fin du récit, au début ou en son cœur, comme dans « Le corbeau et le renard ».

Le pouvoir de persuasion de la fable lui vient également de sa clarté. En effet, le récit bref ne souffre pas de grandes complexités : le nombre de personnages est souvent restreint, et l’intrigue offre le minimum de prolongements et de rebondissements : ainsi de la fable du Corbeau et du Renard, qui se contente de deux personnages et dont la péripétie conduit à une simple inversion des positions, entre celui qui possède le fromage et celui qui ne le possède pas. C’est la parole du renard qui a opéré ce renversement, illustrant bien sûr le pouvoir de la flatterie. Dans « le Loup et l’agneau », même chose : deux personnages antagonistes prennent la parole avant que le premier ne dévore le second. Encore le dialogue qui précède l’action est-il artificiel, le loup n’ayant au fond guère besoin de raisons pour dévorer sa proie naturelle, l’agneau. C’est bien une parodie de procès qui a eu lieu, pour montrer que la justice est illusoire et que seule y triomphe « la raison du plus fort ».

L’apologue nécessite que le récit enrobant la morale soit aussi plaisant que possible, car « une morale nue apporte de l’ennui ». C’est pourquoi ce genre est volontiers humoristique. Amuser le public permet de préparer celui-ci à accepter la morale du récit. Les fables de la Fontaine recourent fréquemment à l’humour, ainsi dans « l’Ours et l’Amateur des jardins », un ours voyant son ami jardinier endormi assailli par des mouches décide de l’aider en se saisissant d’une grosse pierre, qui tue les mouches …et le dormeur, illustrant plaisamment la morale du conteur : « Rien n’est si dangereux qu’un ignorant ami ». La satire, qui dénonce les défauts des hommes et les abus auxquels leur condition les conduit, contribue elle aussi à rendre l’apologue humoristique. Chez la Fontaine, c’est le milieu hypocrite et injuste de la cour qui fournit bien souvent la cible de la satire, comme le montre la fable « Les animaux malades de la peste » qui dénonce de même les « jugements de cour », capables de condamner l’innocent au mépris de toute équité.

[Transition] Drôle parfois, bref et clair toujours, l’apologue est de plus un genre argumentatif concret, qui met en situation la morale et se préserve donc d’une trop grande abstraction. Il peut ainsi prétendre à une audience universelle. Cette qualité explique par exemple le choix de genres enfantins comme la fable pour La Fontaine, et le succès de ces auteurs face à un jeune public. On voit ainsi que l’apologue peut enseigner une véritable sagesse, et proposer non seulement des conseils mais des maximes de conduite accessibles à tous. Les valeurs proposées par La Fontaine sont ainsi d’ordre épicurien, comme dans « le Héron et la Fille » par exemple, qui nous invitent à jouir des biens de ce monde au moment où ils se présentent, avant qu’ils ne nous fassent défaut. | pour votre « culture » : Jésus

lui-même dans les Evangiles, recourt volontiers aux paraboles, afin de transmettre des valeurs universelles et accessible à tout public. La parabole du fils prodigue dans l’Evangile selon St Luc donne ainsi un exemple clair des vertus du pardon que tout chrétien est appelé à pratiquer. L’allégorie de la caverne, développée par Platon dans la République livre VII, délivre une vérité philosophique à prétention elle aussi universelle : le monde n’est qu’un théâtre d’ombres dont se désintéressent ceux qui ont aperçu le soleil de la vraie justice, du vrai Bien.

[II] Drôle, simple et concret, d’un côté, capable d’enseigner des valeurs universelles de l’autre, l’apologue a toutes les qualités pour séduire le public le plus large. Cependant, l’articulation du récit à la morale y est délicate, et là réside sans doute son point faible : que cette articulation manque de perfection, et le texte devient obscur.

Plaire pour instruire demeure l’objectif principal du fabuliste mais l’instruction naît maintenant du conte et du plaisir de conter par rapport aux fables plus courtes et didactiques d’Esope. Certes, la fable enseigne

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des comportements, des réflexes à avoir, tel que la méfiance, et délivre une leçon de sagesse, mais le « message » délivré, la leçon, sont-ils si évidents à comprendre ?

En effet, quelle est la morale d’une fable telle que « La laitière et le pot au lait » ? Il n’y a pas de moralité clairement exprimée au présent de vérité générale et il semble difficile de la réduire à une maxime comme « il ne faut pas rêver » quand le fabuliste s’implique dans sa fable et se met lui-même en scène en rêveur. L’autodérision de la formule « Gros Jean comme devant » montre la part de jeu qu’il existe dans le traitement de la moralité.

En outre, l’apologue recourt au fond à une vérité cachée (au moins provisoirement) que le lecteur doit découvrir. La morale n’en est pas nécessairement explicite, elle peut être diffuse dans le récit, ou être séparée de ce dernier, demandant alors au lecteur de chercher le lien de l’une à l’autre. Ainsi, la fable de Perrette ne présente pas de morale explicite que l’on pourrait reconnaître avec le présent de vérité générale.

Il peut arriver que la morale paraisse en décalage avec le récit, comme Marmontel croit l’observer parfois chez La Fontaine : « La Fontaine s'est plus négligé que lui [La Motte] sur le choix de la moralité. il semble quelquefois la chercher après avoir composé sa fable, soit qu'il affecte cette incertitude pour cacher jusqu'au bout le dessein qu'il avait d'instruire ; soit qu'en effet il se soit livré d'abord à l'attrait d'un tableau favorable à peindre, bien sûr que d'un sujet moral, il est facile de tirer une réflexion morale. Cependant sa conclusion n'est pas toujours également heureuse ; le plus souvent profonde, lumineuse, intéressante, et amenée par un chemin de fleurs, mais quelquefois aussi commune, fausse ou mal déduite. »

Il peut encore arriver que la fable ne soit pas correctement décodée par le lecteur. Ainsi la fable de Jean Anouilh le Chêne et le roseau, parodie celle de la Fontaine, qu’il faut connaître pour déceler l’ironie de la réécriture [lisez cette parodie si vous ne la connaissez pas :

« Le chêne et le roseau », Fables, (1962), Jean Anouilh

Le chêne un jour dit au roseau :

« N'êtes-vous pas lassé d'écouter cette fable ?

La morale en est détestable ;

Les hommes bien légers de l'apprendre aux marmots.

Plier, plier toujours, n'est-ce pas déjà trop,

Le pli de l'humaine nature ? »

« Voire, dit le roseau, il ne fait pas trop beau ;

Le vent qui secoue vos ramures

(Si je puis en juger à niveau de roseau)

Pourrait vous prouver, d'aventure,

Que nous autres, petites gens,

Si faibles, si chétifs, si humbles, si prudents,

Dont la petite vie est le souci constant,

Résistons pourtant mieux aux tempêtes du monde

Que certains orgueilleux qui s'imaginent grands. »

Le vent se lève sur ses mots, l'orage gronde.

Et le souffle profond qui dévaste les bois,

Tout comme la première fois,

Jette le chêne fier qui le narguait par terre.

« Hé bien, dit le roseau, le cyclone passé -

Il se tenait courbé par un reste de vent -

Qu'en dites-vous donc mon compère ?

(Il ne se fût jamais permis ce mot avant)

Ce que j'avais prédit n'est-il pas arrivé ? »

On sentait dans sa voix sa haine

Satisfaite. Son morne regard allumé.

Le géant, qui souffrait, blessé,

De mille morts, de mille peines,

Eut un sourire triste et beau ;

Et, avant de mourir, regardant le roseau,

Lui dit : « Je suis encore un chêne. »

Anouilh montre surtout comment une même histoire peut finalement illustrer deux morales différentes : là

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où La Fontaine fait l’éloge de l’humble roseau, à qui son habileté permet de résister à la tempête quand le chêne orgueilleux est déraciné, Anouilh inverse la situation : c’est désormais le roseau qui est arrogant, tirant vanité de sa survie par temps d’orage. Le chêne est de nouveau déraciné mais c’est sa grandeur, son héroïsme face à la mort qui sont magnifiés, tandis que la survie mesquine du roseau évoque la soumission lâche des hommes, et fait penser par exemple à la collaboration pendant la 2nde guerre mondiale (attention, c’est là le contexte de la fable d’Anouilh, bien sûr !). Il faut chercher ailleurs la vraie leçon, dans le corps même du récit, qui met en parallèle la cruauté des hommes et celle des animaux.

En fait, il apparaît que La Fontaine ne veut pas tant passer pour un moralisateur qui donne une « leçon de morale » que pour un moraliste qui observe les « mœurs » de ces contemporains dont il fait la satire. N’oublions pas cependant qu’il y là aussi un effet qui est celui du genre même des fables depuis l’Antiquité. Dans la partie théorique de la fable « le pâtre et le lion », le fabuliste donne ses sources et les auteurs qui l’ont inspiré, en insistant surtout sur la brièveté de ces auteurs, notamment sur l’ « élégance laconique » d’un « certain grec », qui est d’ailleurs mise en valeur dans un vers plus court que l’alexandrin. Il y a là une volonté esthétique : plaire, mais aussi une volonté éthique : ne pas trop en faire, ainsi qu’une adaptation au genre de la conversation mondaine avec l’entente complice, à demi-mot. L’auteur laisse alors au lecteur la responsabilité de son interprétation.

[Transition] Ainsi l’apologue, en raison de sa structure allégorique et du décodage dont il doit faire l’objet, se révèle moins simple et parfois moins clair qu’il n’y paraissait. Qu’en est-il alors de sa supériorité sur les autres genres argumentatifs ?

Les indéniables qualités de l’apologue que sont sa clarté, son caractère concret et universel, ne doivent pas faire oublier l’effort d’interprétation qu’il exige de son lecteur, ni les limites qu’il impose au discours par sa brièveté, son monologisme, et par la fixité de sa morale.

[III] Le sens des Fables n’est pas donné immédiatement, ce qui est assez problématique si l’on pense toujours à cette idée que les fables servent à « instruire ». N’est-il pas plus pertinent de penser que leur efficacité et le plaisir du lecteur proviennent de leur capacité à nous faire réfléchir, plutôt qu’à nous donner une leçon ?

L’ironie se trouve à deux niveaux : dans le ton, elle est liée à une distance par rapport à l’objet observé par l’écrivain, qui se fait parfois satiriste, comme dans les « animaux malades de la peste » ou « le corbeau et le renard ». Le choix d’une forme brève, qui laisse à penser, rappelle le modèle de l’ironique de Socrate, le philosophe de l’Antiquité : en grec, « eironein » signifie « interroger » ; la forme de la fable choisie par La Fontaine permet d’interroger le lecteur et vise à déstabiliser ses croyances trop profondément ancrés et les présupposés trop facilement reçus.

Quelles sont les cibles de l’ironie ? Il faut bien sûr se garder des anachronismes : le poète s’inspire des fables antiques dont le genre populaire commande à l’égard des grands et des gouvernants une sagesse prudente teintée d’irrévérence ou d’une résignation sans illusion. Dans son origine mythique, la fable est rattachée à Esope : elle est un langage d’esclave qui doit dire le vrai sous le masque de la fiction. Ce qui ressort cependant, c’est l’attachement de La Fontaine à un idéal de simplicité et de modestie, comme le montre la fable « le savetier et le financier ». L’affirmation de la supériorité du savoir et du talent sur la richesse permet au fabuliste d’oser quelques critiques sur les grands seigneurs dans « les animaux malades de la peste » dans laquelle nous pouvons reconnaître les courtisans ; mais le fabuliste n’accorde pas nécessairement au peuple plus de confiance qui apparaît versatile et inconstant dans « les grenouilles qui demandent un roi ».

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L’ironie est alors un outil efficace pour dénoncer les injustices créées par la société, car elle fait entendre le discours du fabuliste sous un autre discours, plus officiel ou conventionnel. Mais il faut là encore relativiser : on pourrait être surpris de l’audace de La Fontaine au sujet du monarque, mais les remarques satiriques prennent appui sur des fables traditionnelles où ce discours était convenu. Si le monarque paraît injuste dans « les animaux malades… », le fabuliste défend un pouvoir monarchique tempéré dans « les grenouilles qui demandent un roi ». Au fond, l’attitude de La Fontaine est généralement marquée par une réserve distante à l’égard de la politique et applique peut-être le conseil qu’il dispense dans ses fables : la prudence et la mesure !

Le lecteur doit ainsi réfléchir et remettre en question ce qu’il lit et ne doit pas se contenter d’un savoir erroné qui le rend en fait prisonnier de ce monde tel le souriceau du « Cochet, le Chat et le Souriceau ». Tout passe par le décalage entre une situation donnée et sa résolution, la plupart du temps par un échange argumentatif entre les personnages, où l’une des deux argumentations tourne à vide, comme c’est la cas dans les « Animaux malades de la peste » et surtout « Le loup et l’agneau » : à l’absurdité et à la violence du loup répondent de bon sens et l’innocence de l’agneau. Au lecteur de reprendre la morale ironique annoncée au début « la raison du plus fort est toujours la meilleure »… si le plus fort l’emporte, il n’en a pas pour autant raison !

Conclusion :

Ainsi, les qualités de l’apologue que sont sa clarté, son caractère concret et universel, son apparente simplicité, ne doivent pas faire oublier l’effort d’interprétation que doit faire le lecteur. La Fontaine parvient à remettre au goût du jour les fables antiques en reprenant le canevas de leurs apologues, mais met en valeur une poétique particulière : plaire au lecteur nécessite de ne pas être trop dogmatique, trop moralisateur, et il ne s’agit plus tant de faire la morale et d’instruire que de faire réfléchir le lecteur grâce à de subtils jeux argumentatifs mis en scène dans des dialogues et avec une chute qui illustre la lucidité dont chacun se doit de faire preuve. Nous comprenons alors que l’apologue peut encore avoir de jolis jours devant lui au XVIIIe siècle, avec les philosophes des Lumières comme Voltaire, pour remettre sans cesse en question les préjugés.