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éditions publie.netcollection portfolioISBN: 978-2-8145-0317-5

En couverture: UN TOUR AUTOUR DU ROND, exposition Scanreigh, Musée des Beaux-Arts de Nîmes, 2009.

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Scanreigh ou le dos devant

Quelque chose détraque nos boussoles.

Ce qui d’ordinaire nous sert à stabiliser le monde, ce qui nous permet de le ranger, de le mettre à plat, devant nous, sur la table, en collection d’objets clairs et calmés, c’est-à-dire le langage, refuse tout à fait.

Ce qui nous permet de saisir, cette main parlée qu’on pousse en avant, se recroqueville et se ferme.

En somme, de cela grâce auquel nous avions quitté le rang des bêtes par un décollement de l’expérience immédiate, il ne reste qu’un petit pois serré dans le fond de nos gorges. Un point noir, minuscule et silencieux, qui signifie simplement notre échec.

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Ainsi, face aux peintures de Scanreigh, nous sommes privés de mots. Nous tombons muets dans les formes et les couleurs à vif qui s’empoignent. Langue soufflée comme une bougie par un rouge ou même un vert un peu cru. S’ensuivent de longs dérapages dans le violet, le jaune ou le bleu. Souvent, nous butons sur des lignes épaisses. Elles soutiennent ou lâchent les formes, et nous nous fracassons, nous repartons. Nous laissons faire sans broncher.

Bien sûr, nous pourrions rédiger l’inventaire de ce que nous gardons vivant de chaque toile, après-coup, lorsqu’il nous est enfin possible de renouer dans la langue. Nous pourrions dire : bouts d’os ou tronçons de vertèbres, poissons, têtes d’oiseaux, fantômes, sorcières, mains, pieds, visages ou bites, grappes d’insectes, fleurs et ciseaux...

Nous pourrions même dresser la liste exhaustive de ce qui remue dans quelques peintures, prises au hasard, et nous ferions sans doute assez vite le tour de la question tant certaines formes insistent et se répètent. Mais la suite de mots détachés viendrait sans vie sur la

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page, sans rapport avec ce qu’il nous était donné de voir. Car si le répertoire formel de Scanreigh est limité, forcément limité, l’agencement des formes et des couleurs, la mise en relation de ce peuple hétéroclite, semble inépuisable.

À ce que nous pourrions dire, il manquera toujours la force motrice, l’aimant puissant qui faisait friser l’aiguille de nos instruments de mesure, lorsque nous nous tenions face aux peintures.

Il manquera l’opération mystérieuse qui sanglait les formes au fond, qui tenait les formes entre elles. Il manquera l’explosion, cette sorte de jubilation de l’ensemble.

Parler des peintures de Scanreigh, c’est donc parler d’un échec radical à nommer l’essentiel. Alors, se contenter de «rater mieux» dirait Beckett, plutôt que de prolonger le taire. Témoigner d’une rage silencieuse qui précède la parole, d’une émotion difficile à nommer. Témoigner de l’expérience singulière d’être avec et parmi les formes, confondu dans un même espace, confondu dans le même effort pour

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s’arracher de la masse afin de trouver l’air vital, l’effort pour faire craquer ses contours, l’effort pour devenir plus vaste. Témoigner de cette lutte étrange mais combien familière. Bercé mais déchiré. Tenu mais lâché.

Et soudain, c’est comme si nous faisions face à notre dos.

Dos qui n’est pas plan lisse ou dossier confortable, mais fatras sans nom, boule marécageuse, falaise ou bête féroce. Ce dos qui nous tient debout par les forces qui s’y jouent, par son grouillement. Dans les peintures de Scanreigh, ce qui se dresse, c’est le mystère de notre « derrière » posé devant, pour lequel nous n’avons pas de vrai nom. Car le mot dos, lui-même, est peut-être un dos dans lequel s’oublie ce qu’il faudrait dire. Il faudrait trouver l’envers du mot, sa face cachée, c’est impossible. Pourtant, les peintures de Scanreigh réussissent ce tour, sans faire de bruit, par la somme et la tension de couleurs, de formes et de lignes, par l’énergie primitive qui s’en dégage.

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Certains penseront peut-être à Du Bouchet. Ils penseront au poète lorsqu’il note « je dois lutter contre mon propre bruit ». Face aux peintures de Scanreigh, nous nous trouvons lavés de l’excès de mots. Chacune d’elle évacue radicalement cette maladresse à dire. Nous touchons alors au monde furieux, notre monde délié que les mots raidissent et figent. Alors, se taire, malgré tout, ou mieux: se faire taire par un tableau.

C’est ce qui nous est donné.

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Egaré aux fleurs, 2009.

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Oves et raies, 2009