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ANNÉE 5757/1997 DOSSIER SPECIAL La Foi du Rav Kook

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A N N É E 5 7 5 7 / 1 9 9 7

DOSSIER SPECIALLa Foi du Rav Kook

” EDITO ”

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Vouloir faire connaître la pensée du Rav Abraham ItshakHa-Cohen Kook au public francophone est un pari audacieuxque nous avons décidé de relever. En effet, alors que d’autrespensées sont très bien diffusées au sein de notre communauté,il devenait plus que nécessaire de combler cette lacune et ce, à plus d’un titre.

En premier lieu, cet enseignement est d’une richesse qui trouve son inspiration dansla tradition millénaire des grands maîtres qui ont marqué l’histoire du peuple juif. Cecine diminue en rien l’exceptionnelle modernité de cette philosophie profondémentancrée dans la foi d’Israël et à l’écoute de l’évolution de son histoire, de celle des

autres nations.

De plus l’enseignement du Rav Kook a suscité une formidableimpulsion religieuse au sein des pionniers œuvrant pour la renaissancede l’Etat d’Israël, œuvre dont nous savourons aujourd’hui encore lesfruits.

Enfin, mais cette liste pourrait s’étendre à l’infini, nous ne pou-vions pas ne pas souligner l’esprit d’ouverture et de tolérence enverstoutes les composantes de l’assemblée d’Israël et des peuples qui carac-térisait essentiellement le Rav Kook.

Le Rav Kook écrivait : “Les justes purs, ils ne se lamentent pas surl’impiété, mais ils ajoutent de la justice; ils ne se lamentent pas surl’athéisme, mais ils ajoutent de la foi; ils ne se lamentent pas sur l’igno-rance, mais ils ajoutent de la connaissance”. C’est dans cet esprit dedévouement et d’amour de la Torah qu’il œuvra toute sa vie, sans cher-cher à créer une nouvelle idéologie ou une secte particulière au sein dupeuple juif, mais dans le seul souci de faire converger toutes les bonnesvolontés vers la rédemption finale d’Israël et du monde : “Toute actionqui a pour but l’édification ou l’amélioration de ce qui existe en EretsIsraël est chère à mon cœur... Je me tiens prêt à aider à résoudre lesconflits... afin de calmer les cœurs dans la paix et la fraternité” (IggarotHareya II, p. 29).

Dans l’espoir de participer autant que faire se peut à cette “répa-ration du monde” par la divulgation de l’enseignement complexe et éclairé du RavKook, OROT s’adresse à tous les publics, sans vouloir imposer aucun dogme ni aucu-ne idéologie, mais surtout dans le désir de sensibiliser ceux qui voudront bien l’être àla profondeur et à la beauté des liens qui unissent Dieu, la Torah, Israël et le monde.

C’est au travers de ses propres écrits et de ceux de ses nombreux disciples, ainsiqu’au travers des enseignements d’autres grands maîtres, qu’OROT proposeradans chaque bulletin d’aborder la philosophie du Rav Kook.

Nous attendons les remarques et les suggestions de tous ceux que ces lectures auront interpellés.

Dan KLAJMIC

k l a j m i c @ f r a n c e n e t . f r

C ,hers lecteurs, chères lectrices

Ce numéro est dédié à la mémoire de :

Rav Léon ASHKENAZI (Manitou) ZTS”L

SOMMAIRELA CHRONIQUE DU RABBIN A. BLUM 3

RAV A.I HACOHEN KOOK 4

LE DOSSIER 6

RAV KOOK ET E. LEVINAS 6

O R O T H A - T E ’ H I Y A H 1 1

LETTRES DE FEU 12

OUVERTURES 16

LE FRUIT ET L’ARBRE 17

DOSSIER À VENIR 18

REVUE DE PRESSE 19

BIOGRAPHIE 20

” OROTETUDIONS LA BIBLE”Réaffirmer l’importance de la Bible

dans la vie juive peut paraître inutile.

Et pourtant dans les centaines desynagogues de la région parisienne,dans les dizaines de centres communau-taires et cercles d’études en dehors de laParacha de la semaine, combien y-a-t-ilaujourd’hui de cours réguliers portantsur des textes bibliques ?

Depuis la dispari-tion du ProfesseurAndré Neher (1914-1988) qui depuis1946 avait publiéune vingtaine delivres et plus de 500articles, le plus sou-vent en rapportavec la Bible, trèsrares sont lesauteurs juifs diffu-sant aujourd’hui enFrance des leçons sur la Bible.

Comment en est-on venu à une situa-tion aussi regrettable ? Peut-on y remé-dier ? Quels sont néanmoins lesouvrages récents concernant la Bibleécrits par des auteurs juifs en français ?Quelle traduction de la Bible, quelleintroduction faut-il utiliser ?

Voilà quelques questions dont nouslaissons les réponses en suspens pourune prochaine chronique.

A.B.

Légendes(1) Voir par exemple l’ouvrage de Rav AvrahamRemez sur le Livre de Josué (Jérusalem 5755).(2) La Guemara Meguilla, traduite par le Grand-Rabbin Israël Salzer, Keren Ha-sefer, Colbo, Paris1978, p. 74 voir note 30.(3) Chabbat 31a.(4) Rabbénou Nissim.(5) Voir Choul’hane Aroukh, Yoré Déa, Chap. 246.(6) L’entretien infini, Gallimard, Paris 1969, pp. 574-5, cité par Lionel Cohn Oui... je lis laBible, Jérusalem 1976, p. 33.

avenir lointain, quasi-mythique. Il s’agitde toutes les générations de l’époquepost-biblique.

Le Rabbin babylonien Rava énumérantles questions qui seront posées à l’hom-me au moment de comparaître auJugement (relatif à tout son comporte-ment durant sa carrière terrestre) men-tionne Tsipita Li-Yechoua, as-tu vécudans l’espoir de la délivrance ? (3).

Rachi explique : il s’agit des parolesdes prophètes.

Et le Ran (4) précise : as-tu espéréque se réalisent en ton temps les parolesdes prophètes?

Il est donc évident qu’il faut étudierles textes prophétiques pour en com-prendre les significations. Du moins audébut de son apprentissage, chacundoit-il consacrer un tiers de son temps àl’étude des vingt quatre livres de laBible (5).

Ne serait-ce qu’en tant que clef del’Histoire, le texte biblique s’imposedonc à nous pour que nous nous effor-cions d’en saisir les profondeurs.

Un auteur non-juif contemporainMaurice Blanchot (6) a excellemmentexprimé ce qui fait la spécificité dumessage biblique :

“S’il y a un monde où, cherchant lavérité et des règles de vie, ce que l’onrencontre, ce n’est pas le monde, c’estun livre, le mystère et le commande-ment d’un livre, c’est bien le judaïsme,là où s’affirme, au commencement detout, la puissance de la Parole et del’Exégèse, où tout part d’un texte ettout y revient, livre unique dans lequels’enroule une suite prodigieuse de livres,Bibliothèque non seulement universelle,mais qui tient de l’univers, et plus vaste,plus profonde, plus énigmatique quelui”.

Je me réjouis de ce projet qui tient àmettre l’accent sur l’oeuvre du

Grand-Rabbin Abraham Isaac HacohenKook. Parmi les multiples positions ori-ginales défendues par cet éminentmaître du judaïsme universel, j’aimeraisrappeler que le Rav Kook avait envisagéde créer une yechiva différente des éta-blissements classiques. Il songeait à fixerentre autres critères pour être admis à layechiva, de tenir compte non seulementcomme ailleurs des connaissances tal-mudiques du candidat, mais aussi de laculture biblique.

En vérité, il semble bien que laYechiva Mercaz Harav n’a jamais appli-qué l’essentiel du programme proposéd’abord par son fondateur.

Cependant, plus qu’ailleurs, l’étude dela Bible a été mise en valeur par lesélèves du Rav A.I. Kook et de son fils leRav Tsvi Yehouda Kook (1).

Un texte célèbre du traité Meguila(14a) donne la règle suivante : “Denombreux prophètes ont apparu enIsraël en nombre double du nombre desHébreux sortis d’Egypte, mais seule laparole prophétique qui a été nécessairepour les générations à venir a été misepar écrit” (2).

Les générations à venir ne sont passeulement celles qui s’inscrivent dans un

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L A C H R O N I Q U E D U R A B B I N A L E X I S B L U M

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Publier un périodique en langue française consacré à la

pensée juive est une heureuse entreprise qui mérite tous

nos encouragements.

Le Rabbin Alexis Blum est rabbin de laCommunauté de Neuilly-Sur-Seine

(Hauts-de-Seine) où il dispense divers coursde ‘Houmach, Michna et Guemara. Il estdiplômé du Séminaire de l’Ecole Rabbiniquede France et titulaire d’une Licenced’Hébreu. Il est chargé également de l’au-mônerie de l’Ecole Polytechnique et des pri-sons, ainsi que du Journal des Enseignantsjuifs Hamoré. Il a étudié une année en Israëlà la Yechiva Mercaz Harav Kook sous ladirection spirituelle du Rav Tsvi YehoudaKook, le fils du Rav Kook, et du Nazir.

R A B B I N A L E X I S B L U M

RABBIABRAHAM ITSHAK

HACOHEN KOOK ZTS”L

du Rabbin Réouven HaLévi de Dvinsk, l’undes talmudistes les plus réputés de sonépoque et auteur notamment de la collec-tion de responsa Roch Leréouvéni ; cedernier ne cache pas son affection pour lejeune prodige en le présentant aux autresMaîtres. Le Rabbin Réouven HaLévi a uneinfluence majeure sur la méthode talmu-dique du Rav Kook. Sous sa directionAvraham Yitz’hak apprend à concentrerson travail sur la manière de déduire unedécision légale (hil’hatique) tout en évi-tant la dialectique autant que l’abstrait,ces raisonnements d’ordre analytiques quijouissaient alors d’une grande popularitéauprès des jeunes talmudistes.

Lorsque le Rav Kook se marie à l’âge devingt ans, il est instruit et compétent danstous les domaines de l’étude juive.Influencé par le Rabbin Naftali TzviYehouda Berlin (le Netziv), Roch Yéchivade l’école talmudique de Volozhin, quis’impliquait alors dans divers enjeux natio-naux, le Rav Kook commence à rechercherdes moyens pour pénétrer de sainteté tousles aspects de la vie de la nation. Sonactivité littéraire commence à Volozhinpar quelques articles sur le Netziv qui sontpubliés dans les mensuels Kol Ma’hzikéHaDat et Knesset Israël. En 1888, le RavKook lance son propre magazine, le men-suel Itouré Sofrim. Le but audacieux de cejournal rempli de nouvelles expressions etde phrases sur l’unité nationale, le renou-veau et la littérature, est d’unifier la Torahet le nationalisme dans cette époque pré-sioniste. Il est également “de construire unhâvre de paix pour la littérature rabbi-nique” et “d’unifier tous les mouvementsà l’intérieur du peuple juif en l’honneur dela nation et de son renouveau”. L’essaiobtient un large succès, mais par manqued’organisation il n’est suivi d’un secondnuméro en 1889. Le rêve du Rav Kook depublier un journal populaire, ChalomLaam, afin de faire connaitre ses idées neverra jamais le jour non plus.

Durant la période qui sépare la publica-tion des deux numéros d’Itouré Sofrim, leRav Kook est nommé Rabbin de la petiteville de Zoïmel en Lithuanie. Il y assumera

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B I O G R A P H I E 1 8 6 5 - 1 9 3 5

Inspiré d’une biographie du Rabbin Moché Tzvi Neriyah z”l dans

“Celebration of the soul” (Ed.Genesis Jerusalem Press).

Avraham Yitz’hak HaCohen Kook est nédans le petit village de Grivia près de

Dvinsk, en Lithuanie, le 16 Eloul 5625(1865), mois qui sera toujours l’occasiond’évènements importants dans sa viecomme on le verra par la suite. Son pèreest le Rabbin Chelomo Zalman HaCohenKook, pieux talmudiste de la Yechiva deVolozhin, centre alors incontesté du mou-vement mitnagued (1). Sa mère se nommePérel Zelata, fille de Rabbi Raphaël, l’undes premiers ‘Hassidim de RabbiMena’hem Mendel de Loubavitch, l’auteurdu Tzema’h Tzedek. Le Rabbin ChelomoZalman sert notamment d’émissaire àJérusalem pour la Yechiva de Volozhin etcelle d’Etz ‘Haïm. Il remplit autant sa mai-son d’amour de la Torah et d’observancescrupuleuse des mitzvot que d’une pas-sion inconditionnelle pour Eretz Israël. Illui arrive fréquemment de parler hébreu leChabbat et ainsi le jeune AvrahamYitz’hak acquiert-il un penchant pour laTerre Sainte et la langue hébraïque.

UN ÉLÈVE HORS DU COMMUN

Jusqu’à l’âge de treize ans AvrahamYitz’hak étudie la Torah dans sa ville nata-le. Après sa Bar-Mitzvah en 1878, il étudiedans diverses Yéchivot durant une périodede huit ans. Il passe d’abord deux ans àLutzen sous la direction spirituelle desRabbins Eliezer Dan Yechivah et YaakovRabinowitz, fils du Rabbin Mordé’haïGimpel Jaffe. Il retourne ensuite étudiertrois années à Grivia puis, en 1883, il vaapprendre à Samargon dans la banlieue deVilna. Il s’y fait connaître comme “le pro-dige de Grivia” et sa réputation atteint leRabbin Eliahou David Rabinowitz-Téomimde Poniowitz, qui choisit ce talmudiste enherbe pour sa fille. Entre les fiançailles etle mariage, Avraham Yitz’hak étudie enco-re un an et demi à la fameuse Yéchiva deVolozhin. On l’appelle là-bas “le prodigede Poniowitz” d’après le nom de la villed’origine de son futur beau-père : il prendl’habitude d’étudier dix-huit heures parjour.

Tout au long de son enfance AvrahamYitz’hak fréquente également la maison

ses fonctions de 1888 à 1895. En 1891 ilpublie anonymement un petit ouvrageintitulé ‘Havach Péer qui traite de la misedes téfilin et de leur emplacement sur latête. Il voyage également à cette époqued’une communauté à l’autre et, tel unprédicateur, enjoint avec ferveur les gensqu’il rencontre de prendre conscience del’importance de la mitzva des téfilin.

En 1890, le Rabbin Mordé’haï Elasberg,un des premiers sionistes religieux, aban-donne son poste de Boïsk. Le Rav Kookaccepte de l’y remplacer en 1895. C’est là-bas également que s’enracinent ses incli-naisons nationales alors qu’à la mêmeépoque le sionisme politique et tous sesavatars s’établissent fermement. DansTeoudat Israël Ouleoumiouto article paruten 1901 dans le journal HaPeles, il exposeavec profondeur et originalité la concep-tion de la Torah concernant l’essence etles objectifs du nationalisme juif qu’il tientpour des éléments intrinsèques à la Torah.Il souligne l’absurdité de vouloir exclure lareligion du processus de reconstructiond’Eretz Israël. C’est encore à Boïsk qu’ilaborde des sujets plus théologiques etqu’il commence notamment son com-mentaire sur les parties aggadiques duTalmud qui ne sera publié après sa mortsous le nom d’Eyn Ayah.

L’ARRIVÉE EN ERETZ ISRAËL

C’est en 1902 que le Rabbin de Jaffa,Naftali Hertz HaLevi, décède et qu’on pro-pose au Rav Kook de le remplacer. Jaffaest alors une petite ville et la communau-té achkenaze y est plus petite encore maisc’est avec joie qu’il accepte le poste. Ilarrive à Jaffa durant l’été 1904. En tantque Rabbin de Jaffa et des implantationsvoisines, il cherche immédiatement à éli-miner les divisions qui existent déjà entreles religieux et les laïcs. Alors que certainsRabbins ignorent purement et simplementles pionniers non-religieux, le Rav Kooktente de les rapprocher de la Torah etencourage leurs efforts de reconstruction.Il leur montre son intérêt par des lettresouvertes dans les journaux, des conversa-tions individuelles et des visites person-nelles. Ce faisant, il espère que ses acteshâteront la rédemption tant attendue.

Les premiers chapitres d’Orot HaTe-chouvah, dans lesquels il expose ses ensei-gnements sur le repentir, sont publiés à

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Allemagne. La Convention est annulée etle Rav Kook trouve refuge en Suisse.Pendant deux ans, il réside à Saint-Gallen,puis en 1916, il devient rabbin de la com-munauté londonienne de Ma’hziké Hadat.

Les années à Jaffa ainsi que son séjourforcé en Suisse ont rendu le Rav Kook trèsprolixe. Sa production littéraire de cettepériode est peut-être la plus créatrice. Lamasse de ces écrits qui se composentd’autant de révélations intuitives qued’analyses personnelles profondes, estrecueillie dans des carnets de notes. Cestextes ont un large champ d’application :l’individu et la collectivité, le peuple juif etles nations, le bien et le mal ou encorel’Univers et Dieu. Des portions de cesécrits seront publiées plus tard par le filsdu Rav Kook, le Rabbin Tzvi Yehouda

Kook, sous le titre d’Orot; la majorité destextes sera récoltée et éditée par “leNazir”, le Rabbin David HaCohen dansOrot HaKodech.

LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE

Peu de temps après l’arrivée du RavKook à Londres débute l’activisme poli-tique qui culminera avec la DéclarationBalfour. Le Rav envisage la déclarationbritannique sur le “Foyer National Juif”comme “le début de la rédemption” quitransformera la vie de la nation. Il fonde àcette époque “La Bannière de Jérusalem”,organisation visant à unir toutes les fac-tions des religieux avec les laïcs. Sonobjectif est de parfaire les idéaux poli-tiques et spirituels de la Nation. Il voyagedans de nombreuses villes anglaises etcorrespond avec les juifs européens ouaméricains en s’efforçant de les convaincrede rejoindre son camp.

Le décès de sa fille Esther Yael à l’âgede quatorze ans, juste après Soukkot 5680(1919) coïncide avec un tournant majeurde la vie publique du Rav Kook. Vers lafin de l’été 1919, le Rav quitte Londrespour occuper le poste de Rabbin de

OR

OT Jérusalem. Ses activités dans la Ville Sainte

sont motivées par les mêmes objectifs queceux qu’il a fixés pour “la Bannière deJérusalem”. L’un d’eux est d’établir unRabbinat et un Grand-Rabbinat pour toutEretz Israël. Il espère que les Maîtres lesplus réputés soutiendront son initiative etque le Rabbinat d’Eretz Israël sera organi-sé de telle manière qu’il deviendra l’auto-rité rabbinique centrale pour tout lepeuple juif. Il dépense sans compter sontemps et son énergie pour la réalisation dece projet, ignorant l’opposition virulentede ceux qui refusent de reconnaîtrequelque Rabbinat que ce soit impliquédans le sionisme. 1920 voit la publicationd’Orot, qui lui vaut d’être mis au ban parles deux autorités de l’ancien Yichouv : leRabbin Yit’hak Yerouham Leib Diskin et leRabbin Yosseph ‘Hayim Sonnenfeld, ouplus exactement par les plus zélés de leurentourage. Le Rabbin de Gour, RabbiAvraham Mordé’haï Alter, sera mêmeappelé d’Europe pour rétablir la paix entreles communautés.

Une telle effervescence n’empêche pasla majorité des Rabbins d’Eretz Israël de seréunir durant l’été 1921 à Jérusalem et defonder le Grand-Rabbinat à la tête duquelils placent le Rav Kook ainsi que le RabbinYaakov Meir, premier Grand RabbinSépharade.

LE MERKAZ HARAV

Le second objectif du Rav Kook est lacréation d’une Yéchiva Universelle qui ser-virait d’institut d’études juives supérieures.Le but de la Yéchiva est double : formerdes Maîtres dans les études juives tradi-tionnelles mais aussi neutraliser lesapproches non-traditionnelles du Talmudet de la Bible grâce à d’intensivesrecherches dans le domaine des contro-verses soulevées. Il pense également quela renaissance d’une littérature juive reli-gieuse est nécessaire pour répandre lasainteté dans toute la nation.

En 1935 le Rav Kook tombe gravementmalade, atteint du cancer. Il combatdurant plusieurs mois avant de succomberle 3 Eloul 5695 (1935) seize années jourpour jour après son arrivée à Jérusalempour y servir en qualité de Rabbin de laVille Sainte.

partir de 1905. En 1906, il renouvelle sesefforts visant à la sortie d’un mensuel ;celui-ci doit s’appeler HaNir. Mais ce pro-jet avorte une fois de plus. C’est encore àla même époque qu’il publie un courtessai intitulé Ivké Hatzon dans lequel ilexprime les préoccupations de sa généra-tion et leurs enjeux spirituels.

Préoccupé par l’essor économique dupays, le Rav Kook presse de nombreusesorganisations de Diaspora d’acquérir desterres en Eretz Israël et les assiste dansleurs démarches. En 1907 il rédige unouvrage hala’hique consacré à l’étrog, EtzAdar, dans lequel il établit clairement lasupériorité de l’étrog non-greffé qui pous-se en Israël, espérant ainsi soutenir le sec-teur agricole encore embryonnaire. A par-tir de 1908, il assume certaines responsa-bilités au sein de l’Ecole Mizra’hi, ce quilui vaut déjà des cris d’alarme de quelquesRabbins du vieux Yichouv de Jérusalemattachés au ban existant sur l’étude deslangues étrangères et des sciences pro-fanes dans les écoles juives. Ce ‘Héremexiste depuis la moitié du XIXème Siècle etest dû en partie aux craintes suscitées parles ravages de la Réforme. Mais depuis sonédit il ne cesse d’être combattu par degrandes autorités rabbiniques comme leRabbin Yéhochoua Leib Diskin de Brisk.C’est notamment son fils, le RabbinYitz’hak Yerouham Diskin, qui signera le‘Herem prononcé contre le Rav Kook lorsde la publication d’Orot où le Rav Kookenjoindra à “découvrir les étincelles desainteté contenues dans les langages et lasagesse des peuples”.

L’année sabbatique tombe en 1910.S’engage alors une controverse hala’hiqueacharnée sur le point de savoir s’il estlégitime de vendre la terre afin de ne pasperturber l’agriculture naissante. Cetteannée-là le Rav Kook publie ChabbatHaaretz : c’est un traité concernant leslois de la Chemitah aux termes duquel ilconclut que certaines formes d’agriculturepeuvent être permises sous certainesconditions et après notamment que laterre ait été vendue à des non-juifs pourune durée déterminée.

Au début de l’année 1914, le Rav Kookest à nouveau sous le feu des zélotes deJérusalem en raison du poste de respon-sable spirituel qu’il a accepté de prendre àl’Ecole Ta’hkémoni de Jaffa, où leslangues étrangères et les études profanessont enseignées aux étudiants. C’est éga-lement au cours de cette année que leRav Kook accepte l’invitation qui lui estfaite d’assister à la ConventionInternationale de l’Agoudat Israël à Berlin.Mais la première Guerre Mondiale le sur-prend peu de temps après son arrivée en

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Légendes(1) Au XVIIIème Siècle, sous l’impulsion du BaalChem Tov, naît le ‘Hassidisme qui est un mouve-ment de renouveau religieux insistant sur le servi-ce divin dans la joie et la proximité de tous avecDieu par le travail de l’esprit. Ce mouvement ren-contre un écho populaire sans précédent mais il seheurte à des opposants dans les écoles talmu-diques, les “mitnaguedim” dont la conception cen-trée sur l’étude est plutôt empreinte de rigueur.

&”

DOSSIER

A PROPOS DE LA NON EXISTENCE

DE DIEU ”a été épurée. Dans les derniers jours del’acheminement de la pensée humainevers la sphère de la croyance pure, ladernière écorce de la corporéité-l’attri-bution d’une existence au divin-esttombée car en vérité tout ce que nousdéfinissons par le terme “d’existence”est totalement séparé du divin. Lesombres que fait planer cette négation

Pour l’heure nous nous sommesattachés à mettre en relief, autant

que faire se peut, ce qui, au cœurmême de la pensée du Rav Kook agi-tait son âme exaltée : le fondementde tous les fondements, Dieu lui-même. En effet, pour le cabbaliste, la“Devekout Hachem” (attachement àDieu) constitue le but ultime.

Ainsi, dans un premier temps, le rab-bin Naor va-t-il nous guider à larencontre de la foi du Rav Kook, for-gée dans le judaïsme le plus authen-tique, mais qui, confrontée auxmodes de pensée les plus divers, s’enest trouvée renforcée. En effet, et

c’est bien l’un des aspects les plusdynamiques de sa pensée, le RavKook n’évite, ni ne craint aucune cri-tique, ou opposition. Il estime,comme l’exposent clairement les cha-pitres 51 et 52 d’Orot HaTehya, quede la discussion jaillit la lumière etque la confrontation des idées per-met d’opérer une purification desconcepts.

Comme l’enseignait notre maître leGrand Rabbin Meyer Jaïs, c’est de laconception que l’on se fait de Dieuque dépend la réponse à apporter auxproblèmes fondamentaux que consti-tuent, depuis l’aube de l’humanité, le

mystère de l’existence de notremonde et le rôle de l’homme ici bas.

Nous verrons à la lecture de la lettreadressée en 1906 par le Rav Kook àl’un de ses condisciples de jeunesse,que la diversité humaine fait partieintégrante du plan divin sans qu’au-cune superiorité ou inferiorité de sta-tut soit jamais invoquée à l’encontredes uns ou des autres. Les imagesqu’il rapporte à propos de la “Yechivadu Messie” et du “Livre d’Adam”sont particulièrement significatives àcet égard. D.S

D’une époque à l’autre, la confusionqui s’est établie entre le pur monothéis-me et l’obscurité provoquée par la cor-poréité est progressivement dissipée; etalors que chaque fois qu’un aspect de lacorporéité s’effondre, c’est comme sic’était la foi elle-même qui disparaissait,il apparait en dernière analyse que la foin’est pas amoindrie, mais plutôt qu’elle

On notera avec intérêt, et non sansune certaine curiosité, que deux

penseurs religieux de renom envisagè-rent avec ironie-et dans un état d’esprittypiquement juif-le défi de Niezschecomme d’un grand intérêt pour la reli-gion plutôt que le contraire.Dans ce qui peut être considéré commeson oeuvre maîtresse, Orot, le RavAvraham Yizhak ha-Kohen Kook (1865-1935) écrivit audacieusement les lignessuivantes :

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D I D I E R S E N A N E D J

P A R L E R A B B I N B E Z A L E L N A O R

Pour ce premier dossier, consacré à l’enseignement duRav Kook, nous avons choisi de ne pas exposer unaspect particulier de sa philosophie ou l’une de ses

prises de position originale qui l’ont placé sur le devant de lascène politico-religieuse. Ces sujets seront traités dans les pro-chains numéros d’Orot.

Lorsque Friedrich Nietzsche déclara que Dieu était mort (1),

il déclencha un siècle de tumulte théologique. Plus particu-

lièrement dans les années cinquante et soixante, cette polé-

mique devint le sujet des sermons, ainsi que le thème à débattre au

fil des pages des journaux spécialisés.

R A V K O O K

E M M A N U E L

L E V I N A S

-

e t e 1 9 9 7

départ d’une nouvelle approche de ladivinité. Interviewé par son élèveSalomon Malka, il déclara ceci : Le Dieude Nietzsche qui est mort est celui quiintervenait dans le monde, commeles autres forces du monde, et qu’ilfallait orienter comme ces forces (7).

Je pense que toutes ces choses-là doiventêtre dites avec beaucoup de précaution ;même la manière dont je cherche les cir-constances où Dieu “vient à l’idée” peutêtre prise pour athéisme (8).

Le passage d’Orot est renforcé par unparallèle figurant dans Iggerot Rayah :

Nous ne devons pas avoir peur detoutes les polémiques suscitées parl’athéisme, mais au contraire nous

réjouir de notre capacité à démontrerque ces mêmes tendances, qui semblentsi pernicieuses et si contradictoires avecla foi et la religion, en fait, rapprochentle monde de “La Maison du Dieu deJacob” (Isaïe 2 : 3), Lequel est élevé etexalté. Toutes les attaques intelligentesne concernent en réalité que l’aspectimaginaire de la nature humaine, lequelse rapporte aux “sentiments de foi”, etce côté imaginatif doit être détruit ;néanmoins les bonnes choses qu’elleengendre dans le monde doivent êtrepréservées. Des concepts clairs, convain-cants et libres de toute forme d’illusion,ne peuvent se trouver que sur le planprofond de la pure unité divine, laquelleest la source fondamentale d’Israël (9).

Aussi bien dans les Lettres (10) quedans Orot, le Rav Kook fait allusion àune évolution spirituelle dans laquelle la

DO

SSIE

Rfie le Tétragramme-YHWH comme lenom propre de Dieu (5).Compte tenu de ce qui précède le RavKook avance la proposition “Dieun’existe pas” avec une certaine ironie :“Dieu n’existe pas-dans le sens oùd’autres êtres existent”. L’objection n’estpas “d’être” en soi face à Dieu, maisseulement “d’être” dans le sens où celas’applique à tous les autres. Autrementdit, il y a deux sortes d’existence :l’existence (avec un petit “e”) pour tousles autres et l’Existence (avec un grand“E”) pour Dieu.Cette lecture d’Orot est corroborée parun passage complémentaire d’Orot ha-Emounah :

Il existe de l’incroyance qui est tenuepour de la croyance, et de la croyancequi est tenue pour de l’incroyance.Comment cela? Il se peut qu’un hommeadmette que la Torah vient des cieux,mais les “cieux” qu’il se représente sontsi étranges qu’il ne reste rien d’unevraie croyance. A l’inverse, commentl’incroyance pourrait-elle être considéréecomme quelque chose d’admis? Tel estle cas d’un homme qui réfute le fait quela Torah vienne des cieux, mais sonincrédulité est basée seulement sur laconception des “cieux” que se font lesesprits vains et insensés, alors qu’ilmaintient que la Torah doit trouver sonorigine dans une source supérieure... Cerefus est considéré comme une ratifica-tion du principe selon lequel “La Torahvient des cieux” est un exemple detoutes les croyances, générales et parti-culières (6).

[n.d.t. : Ainsi, l’homme qui croit queDieu existe, mais qui envisage cetteexistence sous l’angle des caractéris-tiques de l’existence humaine, celui-làfait-il preuve d’incroyance. Mais à l’in-verse, quiconque professe que Dieun’existe pas-dans le sens où d’autresêtres existent, celui-ci montre une véri-table croyance.]

De la même manière, le philosopheEmmanuel Lévinas (1905-1995) envisa-ge-t-il la déclaration de Nietzsche,“Dieu est mort”, comme le point de

peuvent sembler de l’athéisme, mais enréalité, il s’agit ici de la plus hautecroyance qui puisse être, à conditionqu’elle soit convenablement clarifiée... (2)

Dans quel sens interpréter ces parolesdu Rav Kook à propos de la “non-exis-tence” de Dieu ? Rabbi Moche YehielTsuriel, dans son monumental abrégé,Otserot Rayah (3), indique qu’il faudraitcomprendre les paroles du Rav Kookcomme réflective de Maïmonide audébut du Mishné Torah :

1. Le fondement de tous les fondementset le pilier de la sagesse est de savoirqu’existe un Etre Primordial qui aamené tout existant à être. Toute exis-tence, fût-elle celeste, terrestre, ou rele-vant d’un ordre intermédiaire, n’existequ’au travers de Sa vraie Existence.

2. S’il était possible d’imaginer qu’Iln’existât pas, il en découlerait que riend’autre ne saurait exister.

3. Si, néanmoins, on supposait que tousles autres êtres étaient non-existants,Lui seul existerait toujours. Leur non-existence n’impliquant pas Sa non-exis-tence, car tous les êtres dépendent deLui ; mais Lui, béni soit-Il, ne dépendpas d’eux, ni d’aucun d’eux. Ainsi Saréalité est-elle différente de toute autre.

4. C’est ce que le Prophète entend par :“Mais Le Seigneur est le vrai Dieu”(Jérémie 10 : 10) ; c’est à dire, que Lui-seul est réel, et que rien d’autre n’a deréalité comme Sa réalité. C’est la mêmepensée que la Torah exprime dans letexte suivant : “Il n’y a point d’autreque Lui” (Deut. 4 : 35) ; ce qui signifie,qu’il n’y a pas d’existant réel autre queLui, comme Lui (4).

Selon Maïmonide Dieu n’existe pas dansle sens où les autres êtres existent. SonExistence est absolue, nécessaire, indé-pendante et primordiale, alors quel’existence de tous les autres est relative,possible, contingente et dérivée. Ladynamique des théorèmes deMaïmonide est la relativisation desautres formes d’existence en faisant deDieu l’Existence elle-même. [L’Existencedevient alors l’exact opposé des attributscomme l’ouïe, la vue, etc...qui sont pré-cisément du domaine des êtres humainset employés par la Torah à propos deDieu dans un sens symbolique (Cf.LesPsaumes 94:9). A l’inverse, l’Existences’applique à proprement parler audomaine de Dieu, et n’est attribuée auxhommes que dans un sens dérivé.] C’estavec le même raisonnement que, dansson Guide des Egarés, Maïmonide justi-

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Le Rabbin Bezalel Naor est le fondateuret le président d’Orot, une organisation

vouée à la diffusion des enseignements duRav Kook. Il est également éducateur enpensée juive au Séminaire ThéologiqueRabbi Yits’hak El’hanan à New-York.Ancien Roch Kollel à Kiryat Arba, Israël, leRabbin Naor est l’auteur de plus de vingtouvrages et de soixante-dix articles surdivers sujets d’études et de problèmescontemporains, ainsi que l’éditeur de“Orot Newsletter”. Il a enseigné dans diversendroits comme Cajamarca, Pérou, et Parisen France. Durant ses années à Jérusalem,le Rabbin Naor développe une solide ami-tié avec le Rav Tsvi Yéhouda Kook, le filsdu Rav Kook. Grâce à cette relation privi-légiée il a publié une traduction commen-tée d’Orot.

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Ret de l’incroyance, ce qui est une autremanière de dire qu’il est au delà del’existence et de la non-existence,constitue une avancée significative parrapport à la théorie de “l’existenceabsolue” de Maïmonide. Maïmonideavait réservé la pleine signification duterme “d’existence” à Dieu, en partantdes cas les plus bas d’existence pourarriver au plus haut : l’ExistenceAbsolue. Le Rav Kook a totalementbanni ce terme de la théologie, celui-cine pouvant s’appliquer à Dieu d’aucunemanière. [A ce point du raisonnementon pourrait arguer que la différenceentre l’”existence la plus haute” et “cequi est au delà de l’existence et de lanon-existence” est purement séman-tique et que les deux traditions philoso-phique et Cabbaliste concordent tout àfait. Cette question mérite d’être appro-fondie.]Lévinas, qui n’a jamais revendiquéaucun penchant particulier pour laCabbale, a néanmoins atteint le mêmerésultat de manière tout à fait indépen-dante. C’est dans son essai, “Dieu et laPhilosophie” extrait de son ouvrage DeDieu qui vient à l’idée, que Lévinasexpose de la manière la plus complèteet la plus ordonnée sa conception deDieu. Dans le paragraphe 3 il écrit :

C’est pourquoi le discours philosophiquedoit pouvoir embrasser Dieu - dont parlela Bible-si toutefois ce Dieu a un sens.Mais pensé, ce Dieu se situe à l’intérieurde la “geste d’être”. Il s’y situe commeétant par excellence... Et ce n’est pas parhasard que l’histoire de la philosophieoccidentale a été une destruction de latranscendance. La théologie rationnelle,foncièrement ontologique, s’efforce àfaire droit dans le domaine de l’être à latranscendance en l’exprimant par desadverbes de hauteur appliqués au verbe“être” : Dieu existerait éminemment, oupar excellence. Mais la hauteur - ou lahauteur d’au-dessus de toute hauteur -qui s’exprime ainsi, relève-t-elle de l’on-tologie ? Et la modalité que l’adverbeemprunté à la dimension du ciel étenduau-dessus de nos têtes fait valoir nerégit-elle pas le sens verbal du verbe“être”, au point de l’exclure -insaisissable-du pensable, au point de l’exclure del’esse se montrant, c’est à-dire se mon-trant sensé dans un thème ? (22)

Lévinas ne cite aucun nom mais on peutaffirmer sans aucune hésitation qu’il s’agitd’une attaque directe contre Maïmonide.Dans un texte plus ancien, “Le Nom de Dieud’après quelques textes talmudiques” (publiédans L’Au-delà du verset), il écrit à diversesreprises que Dieu n’est “ni être, ni non-être- au-delà de l’être et du non-être” (23).

appelée “Ayin” (“N’est pas”), et c’estseulement la seconde (Sefira) que l’onappelle “Yech” (“Est”) car nous savonsqu’elle existe, et c’est tout ce qu’il estpossible de saisir d’elle (la deuxièmeSefira). Néanmoins, en ce qui concerne lapremière (Sefira), et à plus forte raisonen ce qui concerne En Sof, béni soit-Il, ilest interdit de Le contempler (17).

Cela constitue clairement un rejet (toutau moins partiel, sinon total) de la doc-trine de Maïmonide sur l’ExistenceAbsolue ou Nécessaire (18).On peut trouver dans Orot ha-Emounahune présentation plus radicale :

En ce qui concerne la plus haute véritédivine, il n’y a aucune différence entre la croyance graphique (ha-emounah ha-metzouyeret) et l’incroyance. Aucune des deux conceptions ne rapproche de la Vérité, si ce n’est qu’en ce qui nousconcerne (le-gabey didan), la foi se rap-proche de la vérité et l’incroyance du

mensonge, et par conséquent, le bien etle mal procèdent de ces deux opposés-“Le Juste y marchera ; mais les Pêcheursy trébucheront” (Osée 14 : 10)- et lemonde entier, avec toutes ses valeursmatérielles et spirituelles est tout denotre perspective (le-’erkenou). Et denotre point de vue, la vérité se révèledans la foi et est la source du bien, alorsque le mensonge se révèle dans l’in-croyance et est la source du mal. Mais ence qui concerne le Or En Sof (la Lumièrede l’Infini) tout est équivalent (19).

Il apparaît qu’ici le Rav Kook opère dansun cadre cabbaliste (cf or En Sof). Bienque le contenu de son discours soit trèsproche des “Sélections du Gaon R.Elijah”, il semble néanmoins que soninspiration la plus spécifique vienne dela théologie de R. Aharon ha-LeviHorowitz de Starosselje, éminent disciplede R. Schnéour Zalman de Liady etbrillant commentateur de la ‘Hassidout“Habad. La preuve la plus marquante enest l’utilisation du terme “le-gabeydidan”, qui est un leitmotiv dans lathéorie de la relativité du Rabbi deStarosselje (20).Dire que Dieu est au delà de la croyance

conscience religieuse de l’Hommeatteint des conceptions toujours plusabstraites du divin. “D’une époque àl’autre, la confusion qui s’est établieentre le pur monothéisme et l’obscuritéprovoquée par la corporéité est progres-sivement dissipée (11).” Dans ce sens, onpeut affirmer sans crainte que le RavKook considère Maïmonide comme l’unde ces jalons sur la voie de la décorpo-réalisation et de l’éclaircissement.“Comment pourrions nous ne pas êtrereconnaissant envers notre maîtreMaïmonide pour son formidable travaildans le Guide, d’avoir purifié les fonde-ments de la foi et d’avoir écarté du seind’Israël les inanités que constituent lacorporéité divine ? Il est facile d’imagi-ner ce qu’aurait été le sort de la Foi,sans son travail empreint de sainteté...Dieu merci, son entreprise a achevéd’éradiquer du coeur de la nation touteentière cette croyance erronée et, dansle coeur de chacun, est désormais établile principe qu’il faut croire d’une foiparfaite que Dieu “n’est pas un corps etn’est affecté par aucun phénomènephysique et ne possède aucune formeque ce soit (12).” Mais alors, pourquoila réponse au défi lancé par Nietzschereprésente-t-elle un jalon supplémentai-re ? La proscription de l’existence divineavec un “e” minuscule ne faisait-elle pasdéjà partie intégrante de l’agenda duGuide ? “Maïmonide dit que la différen-ce entre l’existence du Créateur, béni-soit-il, et l’existence d’autres existants,est (la différence) entre une existencenécessaire (ou absolue) et une existencepossible (13)”. “[Maïmonide] sonde laprofondeur de la différence entrel’Existence la plus haute, qui est au-delàde toute appellation, et les attributsexistentiels... (14).” N’y aurait-il euaucune évolution, en terme de théologiejuive, qui représenterait un progrès auregard de la définition limpide deMaïmonide ? On se hasarde à dire dansce sens que selon le Rav Kook, lacontribution de la Kabbale (tellequ’énoncée aux dix-huitième et dix-neuvième siècles aussi bien par lesadeptes de R. Israël Ba’al Shem Tov quepar ceux de R. Elijah, Gaon de Vilna(15)est significative en la matière.A cet égard, R. Tsevi Yehudah Kook(16), indique comme source du passaged’Orot, “Les Sélections du GaonR.Elijah [de Vilna] publié à la fin du[commentaire sur] Sifra di-Zeni’uta,Mystère du Tsimtsoum.” On peut y lire :

Sache, en ce qui concerne le En Sof(l’Unique Infini), béni soit-il, que nul nedoit Le contempler, car il est mêmeinterdit de L’appeler “ExistenceAbsolue.” Même la première Sefirah est

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“ni être, ni non-être - au-delà de l’être et du non-être”

Dieu n’est

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Rexistence de Dieu, laquelle résulte de laContraction Cosmique ou du Tzimtzoum-chantera dans le futur, après la résurrec-tion, de la manière la plus éloquente quisoit, le chant de la foi qui procède du EnSof ou de l’Infini (30). Rabbi Na’hman sedébat avec l’ange de l’athéisme comme lefait le Rav Kook : pris dans le vide de cemonde, Dieu est et n’est pas tout à lafois (31). Rabbi Na’hman égalementenracine la foi d’Israël dans l’Infini (EnSof) qui est au-delà du Vide (halal ha-panouy) : Les Enfants d’Israël sont appe-lés Ivriim (les Hébreux) car par leur foi ilssurpassent (ovrim) l’hérésie qui procèdedu Vide. Et c’est pour cette raison queDieu est appelé le Dieu des Ivriim (Exode3 : 18), comme dans Ever ha-Nahar, “LaRive du Fleuve” (Josué 24 : 2), ce quisignifie que la Divinité entoure le Viderésultant du Tzimtzoum, car Elle acontracté la lumière vers les rives, lescôtés. De même Israël est appelé Ivriim,car par leur foi en le Dieu des Côtés, ilstranscendent l’athéisme (32).

Le Rav Kook, en tant que représentantmoderne de la tradition mystique juive,répond au défi de l’athéisme grâce à lanotion de En-Sof qui est au-delà del’Existence, ainsi qu’avec celle de l’idéalde la révélation future. Ainsi, le mélangede réflexions cabbalistes nouvelles, avecd’un côté celles de R. Elijah, le Gaon deVilna (1720-1797) et d’un autre côtécelles de R. Na’hman de Braslav (1771-1811) et de R. Aharon ha-Levi Horowitzde Starosselje (1766-1828), a-t-il donnénaissance à une nouvelle configurationcosmique.

lui-même resta un idéal hors de portée(26), n’a pas son équivalent dans l’impu-reté. Et l’influence de cette CinquantièmePorte, de l’idéal de la foi, prodigue unevie surnaturelle à toutes les autres porteset force “l’écorce” de l’incroyance,dépourvue d’idéal, à abdiquer devant lasainteté de la croyance connectée à l’idéaléternel (27).

Nous avons certainement parcouru unlong chemin depuis la conception deMaïmonide de l’Existence Divine Absolue.Alors que chez Maïmonide le nom EhyéhAcher Ehyé dénote une existence absoluedans le présent (28), pour le Rav Kook,formulée au futur, l’expression EhyéhAcher Ehyé offre la promesse d’une révé-lation future. Selon un enseignementCabbaliste (29), la Cinquantième Portequi fut refusée à Moïse durant sa vie, luifut accordée lorsqu’il mourut sur le MontNébo. De même, dans le discours deR.Na’hman, Moche Rabenou -qui à pré-sent doit adopter le silence commemoyen de se relier au flux decroyance/incroyance qui jaillit de l’anti-nomie primordiale de l’existence/non-

vingtième préliminaires) et II,1-en plus dessources déjà rapportées par R. Tsvi Yehuda Kook à la fin d’Orot, p. 182 : “Guide des Egarés” I, 8,35, 56, 57. Voir aussi les commentaires de RavKook sur le livre ‘Hezyone Amatsyahou (Keidan,5694) 12 : 2, republié dans M. Zuriel, OzeretRayah, II, pp. 1035-1036.(5) Guide des Egarés I,61.(6) R.A.Y.H. Kook, Orot ha-Emounah (Jérusalem,5745) p. 25.(7) Voir aussi Edith Wyschogrod, EmmanuelLevinas-The Problem of Ethical Metaphysics (TheHague, 1974) p. 80, n. 9.(8) Salomon Malka, Lire Lévinas (Paris, 1984) p. 113.(9) R.A.Y.H.Kook, Iggerot Rayah (Jérusalem, 5722)I, 50 (Lettre 44).(10) Ibid, pp. 46-48.(11) Cité ci-dessus, note (2) et c.f. R. Na’hman deBraslav, Liqoutey Maharan, I, 6 : 3.(12) R.A.Y.H. Kook, Ma’amrey ha-Rayah

Son crédo (ou plutôt son anti-crédo) estparticulièrement révélateur : “Lorsque jereconnais cette influence juive, j’aime-rais ne pas parler en termes de croyanceou d’incroyance. Croire n’est pas unverbe à employer à la première personnedu singulier. Personne ne peut réelle-ment dire je crois-ou je ne crois pas ence qui nous concerne- que Dieu existe.L’existence de Dieu n’est pas une ques-tion relevant de l’âme d’un individu uti-lisant des syllogismes et de la logique.Elle ne peut pas être prouvée.” (24)Pour revenir au Rav Kook, son dialoguerévolutionnaire avec l’athéisme évoqueune autre tradition ‘Hassidique: celle deBraslav. Effectivement, la suite de notrepassage d’Orot présente une similituderemarquable avec le célèbre discours deRabbi Na’hman, “Bo el Paroh”. Le RavKook conclue :

Mais la foi d’Israël prend racine dans leEn Sof (l’Infini), qui est au-dessus detout contenu de la foi. C’est pourquoi lafoi d’Israël est réellement considéréecomme l’idéal de la foi et la foi de l’ave-nir, Ehyéh Acher Ehyé (“Je serai ce que jeserai”) (25), ce qui est inestimablementplus élevé que ce que contient la foi dansle présent. La conception spirituelle doitdescendre de nombreux niveaux pourpouvoir être appelée la foi d’Israël entant que foi présente et pas l’idéal de lafoi. Ainsi, dans la foi elle-même appa-raissent les dommages de l’incroyancemais ils ne peuvent prétendre atteindrel’idéal de la foi. Celui-ci est au-delà duconcept de l’incroyance comme il est au-delà de la croyance... La “CinquantièmePorte”, l’idéal de la foi, qui pour Moïse

Légendes :

(1) Friedrich Nietzsche, Also SprachZarathustra/Thus Spoke Zarathustra dansNietzsche (Walter Kaufmann, trad.) [New York1968] II, p. 202 ; IV, pp. 373, 375, 398, 399.(2) R. Avraham Yizhaq ha-Kohen Kook, Orot(Jérusalem, 5740) pp. 127-128. Il ne s’agirait pasde l’unique propos du Rav Kook relevant le défi deNietzsche sans mentionner son nom. ComparerOrot, pp. 88-89, avec The Genealogy of Morals(Francis Golffing, trad.) [Garden City, N.Y., 1956]pp. 167-170, 185-186.(3) R. Moche Y. Tsuriel, Ozerot Rayah (Tel Aviv,5748) I, 223. C.f. R.A.Y.H. Kook, Eder ha-Yeqar(Jérusalem, 5745), p. 41-42.(4) Moses Maimonide, Sefer ha-Madda-The Bookof Knowledge (Moses Hyamson, ed.), Jérusalem,1971, p. 34 a. Cf. l’introduction de Maïmonide auCommentaire sur la Michna, Sanhedrin, Chap. X(le premier principe), et le Guide des Egarés(Shlomo Pines, trad.) [Chicago, 1963] I,52 (qua-trième groupe), II, Introduction (dix-neuvième et

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(Jérusalem, 5740) I, 106. La citation est tirée dutroisième des Treize Principes Fondamentaux de laFoi, célèbre et très populaire résumé des principesde Maïmonide dans son introduction à son com-mentaire du dixième chapitre de la Michna,Sanhedrin (Pereq Heleq).(13) Ma’amrey ha-Rayah, p. 108. Historiquement,la question de savoir jusqu’à quel point la croyan-ce anthropomorphique était stagnante en Israëlavant la campagne de Maïmonide pour la décor-poréisation, est une question passionnante. Enfaveur du Rav Kook on peut ajouter les sourcessuivantes : R. Moché Taku, Ketav Tamim (Ms.ParisB.N.H 711 ; Ozar Nehmad, III, Vienne, 5620 ;Akademon (facsimile), (Jérusalem, 5744) ; KitveyRamban (Chavel, ed.) [Jérusalem 5728] I ; 345-348 ; Ché’élot Ou-Techouvot Rachba I, #414(lettre de R. Yedayah b. Abraham Bedersi).(14) Orot ha-Emounah, p. 59.(15) Voir Iggerot Rayah I, 304 (Lettre 266).

DOSSIER

Yeshivat Mahon Meïr : 2 Hameiri Street - PO Box 34107Jerusalem 91340 - Tel : (02) 652-5997 - Fax : (02) 651-4820- E-mail : [email protected]

Yeshivat Ateret Cohanim : P.O. Box 1076 - Jerusalem 91009 Israel- E-mail : [email protected]

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Yeshivat Har Etzion : Alon Shevut - Gush Etzion 90433 - Tel. : 02-9931-456 - Fax. : 02-9931-298- E-mail : [email protected]

Yeshivat Mercaz Harav Kook :12 Ben Dor St. - P.O.Box 5010 Jerusalem 91050 - Israel

- Tel. : 02-6524793,02-6524821- Fax : 02-6540356 - E-mail : [email protected]

Torah Outreach Program :54 ‘Habad Street - Jerusalem - Israel - Tel. : 02-288968- E-mail : [email protected]

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didan”; idem, Adir ba-Marom, II (Jérusalem,5748) p. 74 ; R. Immanouel ‘Haï Ricchi, Yocher Levav(Amsterdam, 5502) 10a : “le-gabey didan... le-gabey ha-En Sof Atsmo”.(21) Voir Lévinas, L’Au-delà du verset (Paris,1982) p. 150, n. 6.(22) Lévinas, De Dieu qui vient à l’idée (Paris,1986) p. 95. C.f. aussi Eric Gutkind, The Body ofGod (New York: Horizon Press, 1969) p. 29 : “Lathéologie est athéisme extrème parceque dans lathéologie celui qui existe est subordonné à l’exis-tence, idolâtrisant l’existence.”(23) Lévinas, L’Au-delà du verset, pp. 148, 157.Assez curieusement, dans cette même étude (p. 147) Lévinas cite verbatim le début du MichnéTorah de Maïmonide, qu’il mutile sérieusement entraduisant “che yech cham matzuy richon” par“que le Nom existe et qu’Il est l’être premier.” Parerreur, il a vocalisé cham en chem, qu’il traduitalors par “Le Nom”. Est-ce que le ProfesseurLévinas traduirait également par “Le Nom” lemême mot dans, par exemple Hil.Taaniyot 5 : 1 ?En ce qui concerne l’utilisation du mot “cham”par Maïmonide tout au long du Michne Torah,voir S.H. Kook, Iyounim ou-Mehqarim (Jérusalem,5719) pp. 320-321.(24) Face to face with Levinas (Richard A. Cohen,ed.) [Albany, 1986] p. 18.(25) Exode 3 : 14.(26) Roch Ha-chanah 21b.(27) Orot, p. 128.(28) Guide I, 62-63.(29) R. Isaiah ha-Levi Horowitz, Chnei Lou’hot ha-Berit, Vaet’hanan, citant R. ’Hayim Vital. Cf. R. Nathan Shapiro, Megalleh Amouqot (252Ofanim), ofan 29 et 50.(30) R. Na’hman de Braslav, Liqoutey Maharan I,64 (sp. pars. 3,5). Voir Joseph G.Weiss, Studies inBraslav Hassidism (Heb.) [Jérusalem, 1974], Chap.VIII (sp. pp. 123-128, 139-140).(31) Liqoutey Moharan, ibid, par. 1 (cité parWeiss, pp. 123-124).(32) Liqoutey Moharan, ibid, par. 2 (cité parWeiss, pp. 143).

R.Eisik le met en rapport avec metzia, “objet trou-vé” se rapportant à quelque chose qui apparaîtaprès avoir été dissimulé. [R. Chlomo Elyachev,dont l’ouvrage Lechem Chevo ve-Ahlamah est lepoint culminant de la Cabbale d’origineMitnagued, fait une observation comparable, dansHaqdamot ou-Chearim 1 : 2.] En ce qui concerneDieu, néanmoins, le côté caché et le côté “trouvé”(dévoilé), les deux aspects d’absconditus et derevelatus, sont tous deux infinis. Comme R. Bahyaibn Paquda le dit de manière si éloquente dans‘Hovot ha-Levavot, Chaar ha-Yi’houd, chap. 10 :“Où pourais-je Te trouver ? Où ne pourais-je pointTe trouver !” (Hanah Ariel, ibid.) Voir également R. Chalom Dov Schneerson, Sefer ha-Ma’amarim(5659) s.v. Tze’enah ou-Re’enah, p. 182.(19) Orot ha-Emounah, pp. 23-24. Cf. R.A.Y.H.Kook, ‘Arpiley Tohar (Jerusalem, 5743) p. 30, où l’on trouve une opposition semblable de laVolonté et de la Nécessité, de l’Intentionnel et de l’Accidentel.(20) Voir Rachel Elior, La Théorie de la Divinitédans la ‘Hassidout ‘Habad (Hébreu) [Jerusalem,1982] p. 28. Pour d’autres conceptions de lathéorie kabbaliste de la relativité, voir R. MocheCordovero, Pardes Rimonim 4 : 4 ; R. SchnéourZalman de Liady, Tanya II, 6 (p. 81b) ; et R. ’Hayim de Volozhin, Nefesh ha-’Hayim III, 5[cité par Norman Lamm, dans Torah for Torah’sSake (Hoboken, 1989) pp. 82-84]. Dans la termi-nologie du Pardes Rimonim, l’expression retenuepour la relativité serait “be-erkenou”; dans le lan-gage du Nefesh ha-’Hayim : “mi-zidenou”. Pourautant que je sache, “le-gabey didan” est uneexpression propre au Rabbi de Starosselje. [Jepense qu’une analyse plus approfondie de l’en-semble de l’oeuvre de Rav Kook permettrait derévèler d’autres éléments de la ‘Hassidout deStarosselje. Pour débuter, comparer ‘Arpiley Tohardu Rav Kook, p. 15 paragraphe commençant par“Life’amim”, à Chaarey Avodah 4 : 10 de R.Aharon ha-Levi Horowitz de Starosselje (cité parElior p. 271).] Néanmoins, voir également R.Moché ‘Hayim Luzzatto, Kalah Pit’hey ‘Hokhmah(Jerusalem, 5747) petah 27, p. 81 : “le-gabey

(16) Orot, p. 182.(17) Il doit être rappelé pour mention qu’il existecertains doutes quant au fait de savoir si LesSélections ont bien été écrites par le Gaon. Voir R. Chelomo Elyachev, Lechem Chevo ve-A’helemah/’Heleq ha-Beourim (Jérusalem 5695)5a et la défense de l’attribution par Y. Avivi,Kabbalat ha-GueRA (Jérusalem, 5753), p. 27.(18) Voir aussi David S. Shapiro, “The WorldOutlook of Rabbi Kook,” dans Samuel K. MirskyMemorial Volume (New York, 1970) p. 79.[Le Professeur Lawrence Kaplan de Montréal aporté à mon attention le fait que Rabbi Joseph B. Soloveitchik, dans son essai “Ou-Viqachtem mi-cham” (Ha-Darom, Tichri 5739) p. 78, note 15 in fine, souligne que les affirmations figurantdans Les Selections du Gaon sont une oppositionà Maïmonide.]Dans ce texte attribué au Gaon, l’ExistenceAbsolue est plutôt analysée comme l’est l’Intellectdans la pensée de R. Schneour Zalman de Liady(l’opposant du Gaon) : elle est reléguée au rôled’une hypostasis. Voir Maïmonide, M.T., Hil.Yessode ha-Torah 2 : 10, Hil.Techouvah 5 : 5,Guide des Egarés I, 68; R. Yehoudah Loewe(Maharal) de Prague, Guevourot Hachem, Deu-xième Introduction ; idem, Dere’h ‘Hayim 5 : 6(Honig ed. pp. 233-236); R. Schneour Zalman deLiady, Tanya I, 2 (note), II, 9 (note) ; R. MenahemMendel de Loubavitch, Derekh Mitzvotekha,Chorech Mitzvat ha-Tefilah, Chapitres 29-30 ; R.Avraham Yitzhaq ha-Cohen Kook, Iggerot RayahIII, 207-208 (lettre 896). Ainsi, tant selon le Gaon(en admettant qu’il faille bien lui attribuer le textesus visé) que d’après le Ba’al ha-Tanya, la percep-tion de Maïmonide de la divinité n’a pas été au-delà de la deuxième séfirah, ‘Ho’hmah ou “Yech”.En réalité, la tradition ‘Habad est beaucoup plusexplicite que Les Sélections du Gaon quant aucaractère inapproprié de la terminologie existen-tialiste de Maïmonide. Voir R.Yizhaq Eisik ha-LeviEpstein d’Homel, Hanah Ariel (Berditchev, 5672)Toledot 43b. Après avoir exposé que le termeemployé par Maïmonide pour Dieu, Matzouy(Existant), est contestable pour les Cabbalistes,

ADRESSESUTILES

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Légendes

(1) Michna Sotah 9 : 15.

(2) De l’hébreu keheh. Dans le texte originald’Arpiley Tohar (Jérusalem, 5743), p. 28, on trouvel’expression “halouch ou-mékhoar”, “faible etrépugnant”. Puisqu’Arpiley Tohar précède Orotdans le temps, il faut en conclure que notre ver-sion est une tentative visant à atténuer le tonnettement plus péjoratif de l’original. Le RavKook pensait que le Judaïsme tel qu’il émergeaitdu long Exil vers la lumière du Jour (de laRédemption) aurait à se défaire de certaines

conceptions erronées qui s’étaient infiltrées dansla théologie et qui avaient assombri la vie juive.Voir notamment les extraits suivants:Du fait du moratoire général sur l’étude sacréedes sujets touchant à la divinité, le concept mêmede la divinité s’est progressivement obscurci parmanque d’efforts intellectuels et émotionnels.Dans le même temps, la peur de l’extérieur, la foinaturelle et la soumission contrite sont demeu-rées dans de nombreux coeurs comme un hérita-ge des temps anciens, quand la connaissance etl’émotion de Dieu brillaient si intensément queleur impact direct embrassait toutes les âmes.

Puisqu’ainsi la conscience interne de Dieu estmaintenant amoindrie, l’essence divine est consi-dérée par les masses -et même par certains indi-vidus supposés être des lumières pour cesmasses- comme simplement une force dominatri-ce à laquelle personne ne peut échapper et àlaquelle la sujétion est due. Quand une personnese soumet au service divin dans une situationaussi désolée, avec une mentalité aussi sombre,pleine d’une confusion qui vient à l’esprit lorsquel’on réfléchit sur Dieu sans l’intellect ni la Torah(la peur inférieure, yirah tataah, provient de sasource qui est la peur supérieure,yirah ilaah),

négativité- tout finira malgré cela par sedévelopper dans la pureté et dans la force,dans la plus haute sainteté, depuis lenoyau le plus sûr, le plus pûr et le plusexalté qu’aucune négativité ne peut

affecter. Sa clareté resplendira sur Siond’une nouvelle lumière (3), d’une mer-veilleuse splendeur dépassant de loin lesconceptions que peuvent s’en faire, avecleurs faibles (4) pouvoirs, des âmes épui-sées matériellement et spirituellement parun long et aliénant (5) exil.

Parfois, des choses bonnes et saintesreposent sur des causes laides telles que la

faiblesse, le mensonge et l’iniquité, cesdernières soutenant elles-même occasion-nellement les bonnes fondations queconstituent l’humilité, la modestie, la foietc... Mais de la même manière que lebien occasionné par le méchant est exé-crable pour le juste (6), le bénéfice que lebon et le sacré retirent du mal et de l’im-pur produit de nombreux maux. Lalumière de la rédemption ne sera actuali-sée qu’avec la destruction de toutes lesmauvaises fondations, même celles quisoutiennent le bon et le sacré. Bien que labonté, la sainteté et la foi en souffrirontet apparaîtront par là affaiblies, en véritécet affaiblissement et cette descenteseront une ascension et un encourage-ment. En effet, après l’éradication de cesmauvais éléments, la lumière de la splen-deur (7) et de la sainteté commenceraimmédiatement à croître sur les basessaines de la connaissance (8), de la sages-se (9), de la puissance (10), de la gloire(11), de l’endurance (12) et de la splen-deur (13). Ainsi, à la fin des jours, leroyaume d’éternité (14) sera fondé (15)par la lumière et la bonté de Dieu ainsiqu’au travers de la fidélité de l’amour deDavid (16), en alliance perpétuelle qui necessera jamais. Il dit : “Assurément, ilssont bien mon peuple, enfants qui nementiront pas, et il devient pour eux unsauveur. Dans toutes leurs afflictions ilétait affligé, et l’ange de sa présence les asauvés; dans son amour et sa pitié il les arachetés, et il les a pris et les a portéspour toujours” (17).

Tant que la nation n’éprouve pas lebesoin de corriger de manière générale

l’approche concrète qu’elle a de la vie, lesimpuretés qui ternissent la compréhensiondu divin, de la crainte de Dieu, de la Foiet de tout ce qui s’y rattache, ne causentpas de dommages apparents. Cependant,lorsque le temps arrive où la nécessité dela renaissance nationale se fait sentir etoù la véritable “Corne du salut” doit êtrerévélée, immédiatement ces impuretéscommencent à gêner. Il devient alorsimpossible pour la nation de s’unir et deparachever au plus profond de son être cequi est le secret de sa force et la mise enoeuvre de ses commandements, si ce n’estgrâce à des conceptualisations et desactes clairs procèdant de la pureté liée àla véritable connaissance de Dieu, autre-ment dit à la plus haute clarification quisoit. C’est la raison pour laquelle se déve-loppe impudemment une grande forcenégative lors des “prémices du Messie”(1), mais c’est cette opposition elle-mêmequi va permettre de purger tout ce qui estencore trouble (2) dans les conceptionsthéologiques ainsi que dans les orienta-tions nationales qui en dépendent. Bienqu’il soit affreux de voir autant de belleschoses, de bonnes qualités, de lois et decoutumes être balayées de la sorte etapparemment déracinées par ce déluge de

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” OROT ha-te’hiyahLES LUMIERES DE LA

RENAISSANCE”C H A P I T R E 5 1 & 5 2

D’après une traduction et un commentaire du Rabbin Bezalel Naor

dans OROT-The Annotated Translation of Rabbi Abraham Isaac

Kook’s Seminal Work, (Jason Aronson Inc., New Jersey, 1993).

DOSSIERcathartiques”, republié dans l’édition de 1950d’Orot, p. 126).Lorsque la prière est corporéalisée, elle devientune imposture, une idolâtrie. Il y est alors faitappel à un dieu conçu comme étant sévère, dicta-torial et recherchant la servilité de ceux qui leservent. Un tel dieu est gratifié lorsqu’on vientlui demander ses faveurs en rampant. Alors sanature sévère est adoucie et il accède à la requêtequi ne représente rien d’élevé mais juste unsimple souhait. Une telle prière n’est pas conve-nable, elle est même viciée et idolâtre; il luimanque l’essence même de la prière et elle doitêtre considérée comme pécheresse. (Ozerot ha-Rayah II, p. 919).(3) Extrait de la Prière du Matin. Fin de la pre-mière bénédiction du Chéma dans le riteAchkénaze.(4) “Dal” (au singulier) dans l’édition de 1920 est corrigé “dalim” (pluriel) en 1950.(5) De l’hébreu dildoul, littéralement “appauvris-sement” et deloulah (appauvrie) dans Arpiley

cette personne perd alors progressivement lanotion de la splendeur de ce monde car elle seforge une mentalité emprunte de l’idée de puni-tion (katnout ha-mohin). Alors, ce qui se révèle à l’âme n’est pas la gloire de Dieu mais plutôt la petitesse de vaines chimères qui peignent letableau d’un être factice, troublé, appauvri etfurieux, un tel tableau terrorisant et déprimantquiconque y croit. Il paralyse le coeur et empêchela gentillesse humaine de s’affirmer tout en déra-cinant l’éclat divin qui se trouve au fond del’âme. Et quand bien même une telle personnerépèterait-elle toute la journée que sa croyanceest celle en un Dieu Unique, ce ne serait qu’uncliché vide de sens duquel son âme n’aurait aucu-ne connaissance véritable. Toute âme sensible sedoit d’ignorer un tel cliché qui constitue précisé-ment l’incroyance typique de l’époque des “pré-mices du Messie”, quand les eaux constituant lamer de la conscience de Dieu se sont vidées ausein de l’Assemblée d’Israël (Knesset Israel) etdans le monde entier. (Zeroim, “Souffrance

Par la grâce de Dieu, en la Sainte Villede Jaffa, puisse-t-elle être recons-

truite et affermie, le 13 Kislev 5667 (1).A mon ami, le grand Rav, le sage etexalté, notre maître, le Rav ChmouelAlexandrov (2), que sa lumière brille.Paix et bénédiction.Vos lettres me sont parvenues il y a déjàun moment et je tenais particulièrementà y répondre en raison du respect que jevous porte et également du bénéfice quien résulterait, mais j’ai été pris dans letourbillon d’obligations pressantes etcomme je voulais vous répondre endétail ainsi qu’avec la clareté qui s’im-pose-tâche qui demande beaucoup detemps libre-j’ai dû reporter. Néanmoins,lorsque je me suis aperçu que le problè-me était sans fin et que je vous devaisune seconde réponse, j’ai décidé de neplus attendre. Je vais écrire rapidement,autant que je le peux, en répondant

dans l’ordre à chacune de vos lettres.Bien que je doive être très bref, j’espèreque cela suffira pour quelqu’un d’aussisage que vous.(...) (3)

Ce processus dépend évidemment de laqualité de la révélation de cet amourextrême, ainsi que de l’affirmation parIsraël de son pouvoir original, non pasgrâce à des habits d’emprunt (4) maispar sa propre source d’inspiration. Toutce qui trouve son origine dans la sages-se de l’humanité n’est pas emprunté.Cela nous appartient autant qu’aumonde entier mais ce que l’humanité nepeut pas donner-l’immense amour deDieu imprimé dans l’histoire d’unenation tel un fil rouge marquant tout cequ’il entoure et ce, depuis le début deson existence en tant que nation dis-tincte, avec ses hauts et ses bas- cela ne

peut être trouvé au sein de l’humanité.L’humanité n’y est pas encore prête; elleest toujours vêtue de ses habits d’en-fant, attendant qu’Israël l’aide à ,s’endéfaire. C’est pourquoi cela nécessitequ’Israël utilise son pouvoir originel quiest toujours à sa disposition. A notreépoque où “les plantes attendent justesous la surface du sol” (5) la lumièred’Israël est en passe d’être révélée. Sinous voulons vraiment être sages et ver-tueux et revenir [au judaïsme] paramour, nous rapprocherons la rédemp-tion finale ainsi que le salut de l’huma-nité-qui dépend largement de nous.Nous nous trouvons bien au-dessus detoutes les philosophies du désespoir, ycompris de celles qui, bien qu’étant lesplus raffinées et les plus attrayantes, nesont en réalité que de vaines moqueries.Même le renouveau “néo-Kantien” nepeut porter atteinte à la part la plusinfime soit-elle, de la force d’Israël. Ilest vrai, comme nous l’avons toujourssu-sans pour autant avoir besoin deKant pour nous révéler ce secret-quetoute connaissance humaine est relativeet subjective. C’est ce qu’on appelle [leconcept de] “la Royauté” qui est telle

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” OROTLETTRES DE FEU1 3 K I S L E V 5 6 6 7 - 3 0 N O V E M B R E 1 9 0 6

Inspiré librement d’une traduction et un commentaire du Rabbin

Tzvi Feldman dans “Rav A.Y. KOOK, Selected letters” (Maaliot

Publications, Yechivah Birkat Moche, Maaleh Adoumim, Israël 1986).

Tohar (Jérusalem, 5743).(6) NAZIR 23B; YEBAMOT 103(7) De l’hébreu zohar. Dans Arpiley Tohar, p.109, tohar, “pureté” (8) Daat en hébreu.(9) ‘Ho’hmah en hébreu.(10) Guevourah en hébreu.(11) Tiferet en hébreu.(12) Netza’h en hébreu.(13) ‘Hod en hébreu.(14) Toussad en hébreu, de Yessod.(15) Mal’hout en hébreu. Il semble que le RavKook fasse ici allusion au “Mystère de la mort des Rois” ou au “Mystère de la brisure desVases”. Sur les ruines des royaumes du mal sedressera Mal’hout Olamim, “Le Royaumed’Eternité. Voir également Israel Ou-Te’hyato,“Israël et sa renaissance, Orot, Chapitre XIII.(16) Isaïe 55 : 3.(17) Isaïe 63 : 8, 9.

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dossier

éprouvante [de sa maison,] de sa nationsi solide, ordonnée et distinguée, n’estqu’une fabrication de l’esprit. Mais nousdevons également marcher avec ces cap-tifs qui se sont éloignés de la table deleur père et nous devons leur dire sanshaine: Frères, [même] s’il est commevous le dites, des propos de légendeayant une telle capacité à engendrer lebien et la bénédiction, l’espoir infini etla morale, de tels propos sont si pré-cieux et nobles qu’ils ne peuvent qu’êtreles paroles du Dieu vivant. En consé-quence, il importe que tout ce qui a puêtre décidé en leur nom soit gardé avechonneur et amour. Même si c’est insuf-fisant à les revivifier complètement, cesera suffisant pour ouvrir une porte,pour écarter le mépris et la haine, lerejet et le dégoût pour tout ce qui atrait au judaïsme, même dans les coeursde ceux de ses enfants qui en sont leplus loin. Et l’éclat du savoir intérieur, lamorale majestueuse et élevée, la clarifi-cation des très hautes aspirations de lanation toute entière, combinées avecune solide intégration des aspirations lesplus raffinées de l’élite de l’humanité,rapprocheront de plus en plus nosenfants de la sainteté extrême. Et ilsreviendront et vivront une vraie vie, unevie de grandeur, de courage et de sain-teté.

Il ne me semble plus nécessaire dem’étendre davantage en détail sur lesujet du miracle de l’existence du Ain(Néant) (19), et du conundrum de l’uni-té des opposés (20). Tout cela résulte

d’un regard désinvolte et d’un a prioriextérieur. La pensée juive, si élevée, nepeut tolérer la séparation des opposés.Comment nous serait-il possible en effetde constater d’une part que, dans l’en-semble du monde sensible, la vie et leschoses sont toutes construites par lerapprochement et l’harmonisation desopposés-le positif et le négatif, le froidet le chaud, les mâles et les femelles-

c’est le Seigneur ; nous l’avons attendu;nous serons heureux et nous nousréjouirons dans son salut” (16)”.

“Heureux le peuple qui se trouve dansune telle situation, heureux le peupledont l’Eternel est Dieu” (17). Ce n’estpas vers Kant que nous devons noustourner mais vers la Mer Morte, le Sinaï,Jérusalem, Abraham, Moïse, David,Rabbi Akiba et Rabbi Chimon BarYo’haï, et vers tous ceux qui nous sontchers, qui sont notre vie et la joie de

nos coeurs pour tou-jours. “Préparez lavoie du Seigneur, unchemin droit dans laplaine pour notreDieu”, “Et il y auraune voie, un chemin,et on l’appellera lechemin de la sainte-té... Et ceux quiseront rachetés y

passeront” (18). Tout ce que leshommes les plus brillants et les plussublimes peuvent être amenés à conce-voir se trouve déjà dans notre trésorsous une forme plus complète et plushaute et, ce qui est plus important, sousune forme divine. C’est là que réside ladifférence entre rien et tout.Maintenant, Dieu merci, nous noustrouvons proches de la rive [de larédemption]. Nous pouvons porter notredrapeau bien haut. L’esprit pur et sacréqui émane de notre source a d’ores etdéjà subjugué la totalité du mondescientifique et de l’éthique, à tel pointque nous ne devons plus hésiter à pro-clamer notre victoire. Bien sûr, cetteproclamation ne sera pas acceptée dansle monde entier, mais seulement à l’en-droit ou elle fut acceptée pour la pre-mière fois, à la place où la lumière res-plendit, sur la Montagne de Sion. Mêmeles plus faibles esprits parmi nousvivront, se redresseront et se tiendrontsur leurs pieds. Maintenant que notretravail spirituel a grandi et s’est étendu,autant dans le respect de notre propresurvie que dans celui du monde entier,sur quoi les plus faibles d’entre nouspeuvent-ils encore porter leurs doutes ?Seulement sur l’incapacité à expliquer lepassé en fonction des données du pré-sent. Pour cette raison, [certains sou-tiennent par exemple] que les partiesnarratives de la Torah ne sont peut-êtreque des mythes qui n’ont jamais vrai-ment eu lieu. Mais ce même doute nepeut qu’avoir été emprunté aux Gentils.En effet, quiconque s’estime avoir gran-di et être né dans une maison particu-lière en connait bien les règles de fonc-tionnement et ne peut vraisemblable-ment penser que l’existence et l’histoire

un réceptacle sans pouvoir par lui-même, ou encore “la Synagogue”, ou“la Lune”, et qui reçoit l’illumination.Tous nos actes, nos émotions, nosprières, nos pensées-tout dépend de“zot”, “Be-zot ani botea’h” “En celaj’aurai confiance” (6). Mais quiconqueest issu d’un peuple païen dont lesancêtres ont été capables de s’écarterdu Dieu d’Israël, “qu’ils appellent leDieu des dieux”, (7) peut [à plus forteraison] détourner également son espritde Ce qui est inévitablement plus grandque tout; mêmesi pour nouségalement Ilparait être sansexistencepuisqu’Il n’aaucune formeintellectuelle oumétaphysique.Mais nous, noussavons qu’il nepeut en être autrement et que tout nepeut découler que de Lui. Nous ne par-lons ni même essayons de contempler laSource de toutes les sources, mais par lesimple fait que nous ne le nions pas,tout peut vivre et exister à jamais (8).C’est cela l’idée majestueuse et éternelled’Israël même si, au bout du compte,cette idée n’est elle-même révélée qu’autravers de la Che’hina (9). Et puis quoi!Le néant et le “Je” [Ain et Ani] s’écri-vent avec les mêmes lettres (10). Mais ilne s’agit pas ici du monothéisme, lequelnie les talents, l’amitié et la beauté. Lemonothéisme est une invention desGentils, une traduction imprécise, unesorte de compréhension de l’infini quise contredit elle-même, et qui parconséquent ne peut mener à rien (11).Ce n’est pas la source du nom du Dieud’Israël qui est l’infini et l’incompréhen-sible cause de toute existence, parcequ’il est l’existence-même du monde(12) qui ne peut être compris et donton ne peut parler qu’au travers desnuances des couleurs (13) et qu’aumoyen de ses nombreux hauts faits etde sa paix abondante, de son épanche-ment d’amour et de courage. [Seul]Israël qui proclame “c’est mon Dieu et jeveux l’embellir” (14) peut dire cela, [etcette phrase ne peut trouver écho] dansle désert aride du monothéisme isla-mique pas plus que dans le négationis-me bouddhiste (15); c’est seulement [envivant] la plus haute existence quiapporte la joie à tous et donne vie àtout, révélée au travers de la perceptionsubjective de tous les coeurs qui larecherchent et la comprennent, “Et toutun chacun pointera du doigt disant“Non point, c’est notre Dieu ; nousl’avons attendu pour qu’il nous sauve ;

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a grandi et s’est étendu,autant dans le respect de notre propre survie quedans celui du monde entier

travail spirituelNotre

dossier

ensemble corrige d’une main puissantetoutes les doctrines et toutes les reli-gions, leurs principales sources, ramifi-cations et chemins, et scrute minutieu-sement leurs essences et leur buts en lesplaçant toutes dans un système ordonnéet hierarchisé, jusqu’à ce qu’il constituele Partzouf cumulatif de toute l’huma-nité, le “Livre d’Adam” (25), et qu’ilunisse ce qui est révélé à ce qui estcaché, le passé avec le présent et lesdeux avec le futur. Et par cette expan-sion permanente, il se rapproche tran-quillement du “trésor de vie” particulierà Israël où il trouve tout, tous lesgermes de félicité et de vie, à tel pointqu’il n’est plus nécessaire de faire dispa-raître quoi que ce soit. Il transformetout en lumière, les ténèbres en clarté,l’amertume en douceur. Il s’agit là de laTorah complétée par le Roch Yechivadans le palais du Messie (26). Quant àmoi, je n’ai écrit que des articles, desimples observations, pauvres et insigni-fiantes, qui n’aideront à réveiller lecoeur que de certains hommes sages etexceptionnels. L’éveil du coeur porterases fruits. Cet éveil et sa formidableproclamation doivent débuter en Terred’Israël. C’est mon désir et mon espoir.[Ainsi,] le bien qui existe dans le maté-rialisme historique [le marxisme] resterade lui-même avec nous. A ce propos, ilnous apparait avec certitude qu’il lui estimpossible de se maintenir en tant quedoctrine permanente, fût-elle ancienneou rénovée, avec tous ses effets et sesramifications. Une telle doctrine abesoin d’être élaguée et taillée, raffinéeet purifiée, et ce qui est bon en elledurera à jamais comme tout ce qui estcompatible avec la lumière d’Israël, saforce et son éternité.(...) (27)A ceux qui révèrent le nom du Seigneurde Jacob, à ceux qui ont choisi l’hérita-ge de Jacob, ces mots peuvent apporterune nouvelle vie et une joie qui remplitle coeur.Je doit m’arrêter ici. Paix et bénédiction,selon votre désir et celui de votre amiqui recherche votre bien-être. Avec ungrand amour,Humblement vôtre,Avraham Yitz’hak Hacohen Kook.

[IGROT 44]

Même si ces mots ne servent qu’à éclai-rer l’intellect et augmenter le couragede ceux qui se tiennent déjà dans lecercle [des religieux], étant pourtantdéjà sensibles sans ces explications, celan’en demeurera pas moins extrêmementbénéfique, en ce sens que si ces genssont eux-même raffermis dans la sainte-té, ils seront capables de guérir et d’éle-ver d’autres...

Si je devais être amené à écrire un“livre” [de philosophie] j’explorerais cer-tainement les profondeurs du contenude l’esprit, pour proposer un système[expliquant] pourquoi nous ne devonspas craindre toutes les divisions des dis-cours hérétiques. Nous ne devons pasavoir peur de toutes les polémiques sus-citées par l’athéisme, mais au contrairenous réjouir de notre capacité à démon-trer que ces mêmes tendances, qui sem-blent si pernicieuses et si contradictoiresavec la foi et la religion, en fait, rappro-chent le monde de “La Maison du Dieude Jacob” (Isaïe 2:3), Lequel est élevé etexalté. Toutes les attaques intelligentesne concernent en réalité que l’aspectimaginaire de la nature humaine, lequelse rapporte aux “sentiments de foi”, etce côté imaginatif doit être détruit;néanmoins les bonnes choses qu’elleengendre dans le monde doivent êtrepréservées. Des concepts clairs, convain-cants et libres de toute forme d’illusion,ne peuvent se trouver que sur le planprofond de la pure unité divine, laquelleest la source fondamentale d’Israël.Dans un “livre”, il faudrait certainementtout aborder en détail afin d’indiquercomment on peut approcher les idéesfondamentales en réfutant les inanitéset en montrant comment [par leur puri-fication] elles peuvent devenir vibrantes,sûres et délicieuses, avec une influencecertaine sur la vie et le monde réel. Maisun tel livre serait extrêment long.Quand bien même serait-il aussi courtet concis que possible, il serait impos-sible d’accomplir correctement la tâcheen un seul livre et en une seule généra-tion. C’est pourquoi notre but essentieldoit être de relever la gloire de la sages-se propre d’Israël, de la tirer d’où qu’ellepuisse être, afin que pas même unegoutte ne soit perdue de cette citerne.[Il doit s’agir] non seulement d’un cor-pus de littérature morale, de recherche,de philosophie, ou de cabbale, chacunavec sa propre singularité, mais encored’une louange de la valeur et de l’éten-due de la connaissance de la penséejuive et de la pensée humaine depuis sesracines les plus profondes jusqu’au delàdes idées humaines les plus hautes. Cet

alors que, d’autre part, le monde desidées ne serait qu’une étendue aride etdésolée, décomposée et corrompue, sansconnections ni relations, seulementfigée dans le trouble et la confusion? Ilne fait aucun doute que le daltonismeintellectuel (21) consistant à penser queles opposés n’existent pas et que toutest révélé en une seule couleur, est uneerreur. Mais comme il est vrai et clairque les hauts Partzoufim (22) du mondespirituel, perceptibles par toutes lesâmes sensibles au savoir, joignent, unis-sent, harmonisent et connectent [lesopposés] comme elles le font dans lemonde inférieur, permettant à des cou-leurs invisibles de devenir des nuancesvivaces. Comme elle est bénéfique, plai-sante, vraie et joyeuse cette grande etpuissante loi qui guide l’homme au delàde la mortalité (23)! “Quand tu marche-ras elle te conduira; quand tu te cou-cheras elle te gardera; et quand tu teréveilleras elle marchera avec toi” (24). Ilest évident que tout ce que nousvoyons, entendons, et ressentons àquelque propos que ce soit, et surtouten matière de morale ou de raisonne-ment et à plus forte raison tout ce quitouche la divinité, n’est qu’apparenceset appellations. Sous ces dernières setrouve le vrai contenu plus durable etplus vivant, par lequel toutes chosess’unissent. Toutes les formes deconnaissance ne sont que des aspectsparticuliers de la forme interne, partiel-lement révélée, de la même manièrequ’une partie de l’océan est révélée à

celui qui se tient sur sa rive. Ce n’estqu’en connectant de nombreuses pers-pectives que l’on peut approcher la per-ception du tout, même si ses partiessemblent certainement se contredirel’une l’autre. Si tel est le cas dans lemonde objectif, il en est a fortiori demême dans le monde subjectif, où nousne cherchons à voir que la beauté, l’har-monie et à écouter notre impressionprofonde. Dans un tel monde, c’estnotre simple capacité à expliquer quiunifie et connecte ces conceptes. A l’in-verse, seul un défaut d’appréciationpeut amener à séparer, ou simplement àêtre négligent dans l’unification sousl’effet d’une certaine indolence.

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Le Rabbin Tzvi Feldman enseigne et étudie à laYechiva Hesder, Birkat Moche, à Maaleh

Adoumim, Yechiva qui combine l’étude de la Torahavec les obligations militaires au sein de Tsahal.

R A B B I N T Z V I F E L D M A N

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OROT (13) Mal’hout est comparé à une perle qui reflè-te toutes les couleurs du spectre.(14) Exode 15 : 2.(15) Le but que vise le bouddhiste est d’at-teindre le Nirvana qui est la négation complètede tous les désirs.(16) Zohar, 1ère Partie, 23a. La citation estd’Isaïe 25 : 9.(17) Psaumes 144 : 15.(18) Isaïe 40 : 3; 35 : 8, 9.(19) C’est une référence à l’ouvrage du RavKook, Eder Hayakar, p. 33. Il y explique que leplus haut degré de divinité est appelé Ain(néant), puisqu’il est totalement inconcevablepour l’esprit humain. Dans sa lettre, Alexandrovaffirme que l’existence du néant est une impos-sibilité logique.(20) Alexandrov argue que les opposés, tels quel’existence et le néant, ne peuvent être unis oumême co-exister.(21) Forme de cécité relative aux couleurs,dénommée ainsi d’après le nom du chimisteanglais John Dalton qui fut le premier à l’identi-fier.(22) Terme cabbalistique rappelant la configura-tion des sefirot.(23) Jeu de mots sur le Psaume 48, verset 5 oùal mout peut être lu comme ayant la significa-tion de “dans la jeunesse” ou “au-delà de la mortalité”.(24) Proverbes 6 : 22.(25) Le Livre d’Adam fut donné par Dieu àAdam. Il contient la généalogie de toute la racehumaine jusqu’à la fin des temps et il décritchaque génération avec ses figures embléma-tiques, ses sages et ses chefs. Voir Baba Metzia85b.(26) Zohar, 1ère Partie, 4b.”Il entendit une voixproclamer: “Faites place, faites place, parce quele roi Messie arrive à la Yechiva de Rav Chimon”Car tous les justes là-bas ont été dirigeantsd’académies sur terre et ils sont devenus élèvesde la Yechiva céleste; quant au Messie, il visitetoutes ces académies et appose son sceau surtoutes les décisions qui sortent de la bouche dessavants”. Ainsi le Messie collecte la vérité et lasagesse de tous les hommes sages de l’univers.(27) Ici le Rav Kook continue sa lettre en expo-sant l’importance de la Cabbale et de laHaggada, puis s’étend un moment sur l’étudecritique de la Bible et sur le rôle que doit jouerà cet égard la Yechiva Universelle qu’il entendcréer à Jérusalem, mais ces sujets feront l’objetd’une étude plus particulière dans un prochainnuméro.

l’abondance de la lumière divine atteint lemonde. C’est pourquoi “tous nos actes, nosprières et nos pensées”-qui sont des expressionsde la sainteté et de la révélation de la lumièredivine au travers des actions humaines-dépen-dent de cette sefira qui est le lien entre lesmondes supérieur et inférieur. Mal’hout est auxplus hautes sefirot ce que le phenomenon est aunoumenon dans la terminologie de Kant.(7) “Le Dieu d’Israël a été appelé “le Dieu desdieux” à travers le monde et néanmoins lesnations ont choisi de ne pas l’adorer” Mena’hot110a.(8) Il nous est impossible d’avoir une perceptiondirecte de Dieu. Nous ne pouvons nous confron-ter à son Etre de manière conceptuelle qu’aumoyen de la sefira de Mal’hout qui est notreseule possibilité de nous faire une conception deSon émanation. Nous ne pouvons percevoir niconcevoir les sefirot de manière directe, pas plusque l’Infini de quelque manière que ce soit. Cen’est qu’en nous abstenant de le nier qu’il nousest possible de nous exprimer à son égard ou dele concevoir.(9) La Che’hina qu’on traduit généralement par“la Présence Divine” est également assimilée à lasefira de Mal’hout et représente la PrésenceDivine dans le monde inférieur.(10) L’hébreu Ain (néant) est l’anagramme deAni (Je). Ain symbolise la conception la plus éle-vée de la divinité, le Ainsof ou l’Infini, que nousne pouvons concevoir. En ce sens c’est le“néant”. Ani est le symbole de Mal’hout, la sefi-ra la plus basse et celle avec laquelle nous pou-vons avoir la relation la plus directe possible, laplus personnelle (“Je”) avec Dieu. Bien que leconception négative indirecte de l’Infini ne soitpossible qu’à travers Mal’hout, ou la Che’hina,qui est le seul canal possible pour toutes leslumières divines, c’est en fin de compte indiffé-rent. Mal’hout et Ainsof ont une connexionmystique spéciale. Puisqu’en matière de cabbalechaque lettre de l’alphabet hébraïque a unesignification particulière et symbolise une cer-taine lumière divine, deux mots différents quicontiennent les mêmes lettres doivent avoir unlien spirituel.(11) Le terme même de “monothéisme” estcontradictoire dans sa définition puisque leconcepte de l’infini n’accepte aucune définition.(12) “Lorsque nous tentons de circonvenir lenom du Seigneur pourquoi l’appelons nousMakom [lieu, endroit] ? C’est parce qu’il est les prémices du monde mais que son monde ne constitue pas ses prémices”. Berechit Rabba 5 : 68.

Légendes

(1) Le 30 Novembre 1906.

(2) Le Rav Kook correspondit durant de nom-breuses années avec le penseur S. Alexandrov(1865-1941) qui avait étudié avec lui à laYechiva de Volozhin. Bien qu’Alexandrov soitresté pratiquant jusqu’au jour de sa mort entreles mains des nazis, ses idées radicales en firentbien souvent un hérétique aux yeux de certains.La plupart de ses échanges d’idées avec le RavKook ont été publiés par Alexandrov dans sonlivre Mi’htevei Me’har Ouvikoret (1ère Partie,Vilna 1907; 2ème Partie, Krakovie 1910; 3èmePartie, Jérusalem 1932).(3) La première partie de cette lettre expliqueque “l’essence de l’existence juive ne se trouveque dans l’amour de Dieu” et que cette qualitéintrinsèque est inaltérable. Cette “lumière”unique du judaïsme est aussi un éclairage pourtoute l’humanité mais elle se révèle plus parti-culièrement dans le peuple juif. Cela n’exclutpas l’existence d’individus exceptionnels etd’une grande sagesse au sein des nations, maisle peuple juif, pris dans son ensemble et entant que tel, est unique dans sa quête de Dieu.Cette qualité du judaïsme n’est pas seulementun trait de son caractère national, mais c’estaussi ce qui fait la particularité de sa foi, quivise à révéler à l’humanité toute entière l’amourde Dieu dans sa plus grande complétude.(4) Allusion aux idées des autres nations.(5) “Rav Assi a soulevé une contradiction : unverset dit “Et la terre produisit de l’herbe” enparlant du troisième jour, alors qu’un autre ver-set dit à propos du sixième jour “Aucune poussen’était encore sur la terre”. Cela nous enseigneque les plantes attendaient juste sous la surfacedu sol qu’Adam vienne et prie, alors elles jailli-rent.” ‘Houlin 60b.(6) Psaumes 27 : 3. Le Zohar indentifie le motzot avec la sefira Mal’hout (la Royauté).Mal’hout est la dernière des dix sefirot et n’apas de pouvoir par elle-même. Les cabbalistesutilisent de nombreux symboles pour décrirecette sefira, parmi lesquels la lune qui n’émetpas de lumière par elle-même mais réfléchitcelle du soleil et la synagogue qui n’est pasintrinsèquement sacrée mais qui reçoit sa sain-teté grace à ceux qui viennent y prier. Le Zohar(2ème Partie, 23a) décrit Mal’hout comme étant“celle qui par elle-même est sans lumière maisqui est tournée vers les autres et les éclairecomme une lampe qui reflète le soleil”. De cettemanière Mal’hout reçoit toutes les lumièressupérieures et ce n’est qu’à travers elle que

Yeshivat Mercaz Harav Kook :http://www.virtual.co.il/education/edu-cation/mercaz/

Site consacré au Rav Kook :http://www.ort.org/anjy/hadracha/kook/orot_fr.htm

SPÉCIALINTERNET

Yeshivat Mahon Meïr :http://165.254.113.2/education/machon-meir/

Yeshivat Ateret Cohanim :http://www.jer1.co.il/orgs/orgs/ateret/

Ecrits du Rav Aviner :http://www.col.fr/aviner

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DO

SSIE

R

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” OROTOUVERTURES”R A B B I N J O S E P H B . S O L O V E I T C H I K

Cet article est extrait de “Hachkafot Ha-Rav-Reflections of

the Rav” Volume 1, Leçons de pensée juive adaptées des

cours du Rabbin Joseph B.Soloveitchik, par Abraham

Besdin (KTAV Publishing House, Inc. Hoboken, N.J.).

RABBIN JOSEPH B.SOLOVEITCHIK

Le Rabbin Joseph B.SOLOVEITCHIK est né enPologne en 1903 dans une famille célèbre

pour ses Talmudistes. Son grand-père, Rav ‘Haïmde Brisk et son père Rav Moché, ont donné unnouveau souffle à l’étude du Talmud par unenouvelle méthodologie mettant l’accent sur unerecherche scientifique et une analyse rigoureuse.Le jeune Rabbin Joseph B. s’imprègne de cetteméthode d’étude talmudique grâce à l’enseigne-ment qu’il suit sous la direction de son père, leRav Moche.

Il poursuit ses études profanes à l’Universitéde Berlin où il se lie d’amitié avec le futur Rabbide Loubavitch Mena’hem Mendel Schneerson.Là, il s’intéresse aux mathématiques et auxsciences physiques, puis plus particulièrement àla philosophie, la logique la métaphysique etl’épistémologie. En 1931 il obtient son doctoratgrâce à sa thèse portant sur l’Epistémologie et laMétaphysique dans l’oeuvre d’Hermann Cohen.Arrivé aux Etats-Unis en 1932, il s’installe àBoston où il dirige et développe l’écoleMaïmonides Day School. En 1941 il succède àson père en tant que Roch Yéchivah etProfesseur de Philosophie à Yeshivah Universityoù il prend également l’habitude de donner descours hebdomadaires à des étudiants avancés.

Sa maîtrise de la Hala’ha et ses connais-sances étendues en matières profanes, alliées àune acuité particulière envers les problèmesmodernes (il adhère au mouvement Mizra’hi, leparti national-religieux en Israël, qui voit en luiun de ses chefs spirituels) font de lui l’un despersonnages les plus influents du Judaïsme amé-ricain et mondial. Il décède en 1993.

RABBIN ABRAHAM R. BESDIN

Le Rabbin Abraham R.Besdin est Mousmachde la Yéchivah Rabbénou Yitz’hak El’hanan à

Yeshivah University, ainsi que le dirigeant spiri-tuel de la Communauté d’Etz ‘Haïm de Flatbushà Brooklyn, New-York. Il est l’auteur de deuxouvrages sur le Rav Soloveitchik.

Ha’ho’hmot (le fondement des fonde-ments et le pilier de toutes Sagesses)-forme le nom Havayah (le Tétragramme) ;ceci, afin de souligner que Dieu estCelui qui soutient le monde et pas sim-plement son créateur.

Le terme d’Havayah, composé desquatres lettres, youd, hé, vav, hé (le

Tétragramme), se distingue particulière-ment des autres noms de Dieu. Alorsque ces derniers sont dérivés de Sesattributs, c’est à dire de Ses actionstelles qu’elles se manifestent à l’homme,le nom Havayah se rattache à Sonessence qui est d’Etre et c’est pourquoion l’appelle le Chem Hameyou’had, “leNom Unique” (Sifré, Nom.143) ou leChem Hameforach, “leNom Explicite” prononcépar le Grand Prêtre le jourde Yom Kippour ; on ne lenommera “le NomIneffable” que plus tardlorsqu’on ne pourra plus leprononcer (Yoma 39b ;Sotah 37b).

Toutes ces raisons confè-rent à ce nom une hautesainteté ainsi qu’une diffé-rence fondamentale avecles autres appellationsdivines. Il y a une majestéparticulière associée à ce nom et grandeest la crainte de le prononcer car ilévoque Dieu lui-même et pas seulementun aspect de la perception que nouspouvons avoir de lui. Alors que lesautres noms sont des noms communsqui sont aussi employés pour certaineschoses (par exemple “élohim” pour “lesjuges”, “adoni” pour “mon maître”,etc...), le Tétragramme (Havayah) s’ap-plique exclusivement à Dieu.Havayah traduit une Existence Eternelle,c’est la forme abrégée de hayah, hoveh,veyiheyeh, qui signifient que Son exis-tence embrasse totalement le passé, leprésent et l’avenir infini. Dieu estExistence et le monde est soutenu parLui qui, “dans Sa Bonté, renouvelle lacréation chaque jour, continuellement”(Office du Matin). Ainsi, Dieu n’est-Il

pas seulement le Créateur (Elohim) maisaussi le Sustentateur (Havayah).

Maïmonide ouvre son magnum opus, leMichné Torah, par la formulation dupremier Article de Foi. “Le fondementessentiel et le pilier de toute sagesse estde savoir qu’existe un Etre Primordial,matzouï richon, qui a amené tout exis-tant à être. Et toute existence, dequelque ordre qu’elle soit, ne tire son

existence que de la véri-table source de touteExistence” (Hil.YessodeHatorah 1 : 1).Il est intéressant de noterque Maïmonide évited’utiliser les termesemployés par la Biblepour la création, boré,nivra et beriah, leur pré-férant les termes mat-zouï, mamtzi et nimtza.Pourquoi cette évidenteprédilection pour destermes philosophiquescontemporains plutôt

que pour la terminologie biblique?Apparamment, Maïmonide estime queberiah et ses dérivés peuvent être trom-peurs; ils pourraient suggérer qu’il n’yeut qu’un seul acte de création divineen un seul et unique moment, aprèslequel Dieu Se serait détaché du monde.En arrivant à cette conclusion, c’est toutle Judaïsme, la Torah et les Mitzvot quis’effondreraient ! Les termes matzouï oumamtzi, néanmoins, établissent claire-ment que Dieu continue de veiller, des’inquièter et de soutenir le monde etque son existence continue est contin-gente à la Sienne.

En effet, la combinaison de chacune despremières lettres des quatres premiersmots de la formulation de Maïmonide-Yessod Hayessodot, Veamoud

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” OROTLE FRUIT ET L’ ARBRE”travail devient une corvée. Le faiblereflet de son but est la seule chose quile retient.

C’est dans cette situation que le RavKook voit le résultat de la faute de laTerre. Dans la parabole le Fruit c’est lebut, le goût correspond à l’inspiration etl’arbre représente les moyens de réaliserle but.

A l’origine, les moyens d’arriver au butétaient supposés être remplis des mêmessens de plaisir et d’inspiration que lerésultat final. La satisfaction de la finpénétrait le processus qui y menait.Cependant, le péché de la Terre était degarder toute l’inspiration dans le but,laissant aux moyens un goût insipide.

“Mais chaque défaut est destiné à êtreréparé. Ainsi nous sommes assurés quele jour viendra où la Création retourneraà son état originel, et l’arbre aura legoût du fruit. Alors la terre se repentirade sa faute et il n’y aura plus d’obs-tacles aux délices de la lumière idéale,qui sera soutenue par des moyensappropriés sur la voie de la réalisation etstimulera son émergence de potentialitévers la réalité.” (1)

Il y a un espoir pour le monde malgréla faute de la terre. Le Rav Kook dit quechaque faute tôt ou tard sera réparée,même celle de la terre. Aujourd’hui déjà,nous commençons à voir les débuts dece “Tikkoun” (réparation).

Les hommes idéalistes qui éprouvent leplaisir de la finalité dans les moyens ser-vent d’exemple. Il y a 15 ans, j’étais undes membres fondateur de la ville d’Ofra.Nous avions commencé dans un campe-ment de baraquements provisoires.Toute la journée nous faisions des tra-vaux extrêmement durs, afin de poserdes clôtures sur les montagnes environ-nantes. Mes compagnons avaient le feudans leurs yeux. Chaque mètre parcouruavait autant de signification pour eux

tuelle, nous nous emplissons d’une cer-taine sensation “d’allégresse et de joie”.Imaginons que nous sommes le GrandPrêtre entrant dans le Saint des Saints àYom Kippour. Ce serait sûrement uneexpérience très enrichissante. Mais noussavons tous qu’il n’est pas si facile d’at-teindre ce niveau de spiritualité. La pré-paration nécessaire est énorme. Et c’estprécisément pendant ce processus depréparation fastidieux qu’il est si facilede perdre l’inspiration représentée par lebut à atteindre.”

Par exemple, imaginez un professeurqui sort de l’université. Il est plein derêves d’éducation des jeunes de classessociales défavorisées, voulant fourniraux enfants une chance de réussir dansce monde. Mais dès le début il estconfronté aux réalités pénibles etbanales de l’enseignement. Les copies àcorriger s’entassent sur son bureau. Son

Dans ce passage, le Rav Kook traitedu célèbre midrach (2) où il est

question de la faute de la Terre pendantles Six Jours de la Création. Au troisiè-me jour, le Saint, béni soit-Il ordonna :“Que la Terre produise des végétaux ...des ‘arbres-fruits’, portant des fruits”. La terre a désobéi à l’ordre originel etn’a produit que des “arbres qui donnentdes fruits”. Dans les yeux des Sages, laterre a fauté en ne produisant pas des“arbres-fruits”. Quels sont donc , cesarbres dont l’écorce et les branchesavaient eux-mêmes un goût de fruit ?Nous connaissons uniquement les arbresdont l’extérieur brun est employé pourle bois de chauffage, tandis que seul lefruit offre un bon goût.

Ce midrach nous intrigue. Commentdes objets inanimés peuvent-ils fauter ?Est-ce que la terre a le libre-arbitre,comme l’homme, de se révolter contreson Créateur ? Dans une de ses lettres,le Rav Kook explique que le midrachemploie le mot “faute” pour décrire undéfaut de la nature. Ce défaut, quisemble être un phénomène naturel, estle sujet dont le Rav Kook faisait men-tion précédement.

Le Rav Kook explique le midrach parune parabole : “Nous connaissons tous le phénomène

qui veut que lorsque l’on contemplequelque chose d’une haute nature spiri-

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P A R L E R A B B I N H I L L E L R A C H M A N I ( A D A P T É P A R S I M M Y M I R V I S )

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Au début de la Création il était destiné que l’arbre ait le

même goût que le fruit. Toutes les actions qui ont un but

spirituel élevé devaient être ressenties par l’âme avec le même

sentiment d’élévation , d’allégresse et de délice que ce que nous

imaginons du but lui-même. Mais l’existence terrestre, l’instabilité de

la vie, la lassitude de l’esprit lorsqu’il est enfermé dans la corporalité,

ont amené à ne goûter que le fruit de la réalisation du but final, qui

incarne l’idéal primaire, et de ne ressentir que dans la finalité le plaisir

et la splendeur. Mais les arbres qui portent des fruits, avec tout ce qui

est nécessaire à la croissance du fruit sont devenus de la matière ordi-

naire et ont perdu leur goût. Ceci est la faute de la terre par laquelle

elle fut maudite, lorsque Adam fut lui aussi maudit. ”(1)

Le Rabbin Hillel Rachmani enseigne et étudie à la Yechiva Har Etzion à Alon Shevut.

R A B B I N H I L L E L R A C H M A N I

plus les moyens se détacheront de cequi doit être le but ultime, plus ilsdeviendront insipides, superficiels etvides de sens. Le judaïsme essaie denous éduquer à sanctifier nos vies, ouautrement dit, à mettre le goût du fruitdans l’arbre. Il est de notre devoir derelier tous les éléments profanes etmatériels de la vie aux buts spirituels,qui reflètent la signification absolue del’existence, donc à Dieu Lui-même.

l’existence. Le ‘hol qui est détaché duKodech devient ainsi fade et neutre,sans aucune signification. C’est, biensûr là, une formulation extrême. Il n’y apratiquement rien dans le monde quin’ait pas une certaine forme de sens.Cependant, nous décrivons le Kodech etle ‘hol comme ayant des niveaux diffé-rents de sens.

A la lumière de cette définition nousdécouvrons que le rapport entre le “fruitet l’arbre” peut être abordé de façonsdifférentes. Plus les moyens, représentéspar l’arbre, s’identifieront au but àatteindre, le fruit, plus ils auront dugoût et du sens (les deux traductions dumot Hébreu “ta’am”). Et inversement,

que le résultat final de leur labeur. Ilsavaient rapproché l’écart qui existaitentre la finalité et les moyens.

Ce passage a servi de modèle à la pen-sée du Rav Kook en matière de finalitéet de moyens. Cela va nous permettred’identifier maintenant ces idées d’arbreet de fruit, et de finalité et de moyens,avec un nouvel ensemble de concepts :le Kodech et le ‘hol (le sacré et le profa-ne). Les concepts de finalité et demoyens du Rav Kook vont nous servirde base à la compréhension du rapportentre le Kodech et le ‘hol.

Le Kodech est l’intérieur, “le goût” de la réalité ; il est la signification de

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Légendes(1) Orot Hatechouva 6,7 (Ed. Mossad HaRavKook) .(2) Genèse Rabba 5,9.

U N G R A N D M E R C I À :

- Madame Laurence KLAJMIC(Correction des textes et patience)

- Madame Elisabeth SENANEDJ(Idem)

- Monsieur Thierry BARTIN (Assistance technique)

- Monsieur Frédéric BLANC (Création graphique et boissons)

- Monsieur le Rabbin Barouh LEVY(Collaboration culturelle)

- Monsieur le Rabbin Tsvi TAU(Conseils et encouragements)

- Monsieur Laurent TORJMAN(Photogravure et T’chatch)

- Monsieur Pierre WUNEN-BURGER(Recherche iconographique et scooter)

- Le Mercaz Harav KOOK(Imageries culturelles)

- La Synagogue de Neuilly-Sur-Seine(Soutien moral et financier)

- Monsieur le Rabbin Lévy AZIMOV(Soutien moral et technique)

- Monsieur David ZAOUI(Conseils juridiques)

• La contreverse d’Orot

• L’année Sabbatique

• La place du corps

• Le végétarisme

• L’art et l’esthétique

• Le rapport aux non-juifs

• Le Hassidisme

• Mysticisme et Rationnalisme

”DOSSIERS À VENIR”D A N S L E P R O C H A I N N U M É R O

REMERCIEMENTS

OROT

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”REVUE DE PRESSE ”dans un quartier de distractions, la fermetured’une aire résidentielle durant tout leChabbat classerait définitivement celle-cidans la catégorie religieuse et plus aucunnon-religieux ne voudrait venir y vivre. Il estvrai que les rues de certaines synagoguessont fermées durant les heures de prières.Mais combien de juifs non-pratiquants vou-draient emménager dans un quartier qui estjuridiquement interdit aux voitures duranttout le Chabbat?La ghettoïsation, même volontaire, qui établitdes enclaves séparées pour les juifs religieuxen les entourant de murailles légales tenantles autres à l’écart, est mauvaise pour les reli-gieux comme pour les non-religieux. Celaencourage le contentement de soi chez lesreligieux et limite l’influence de la Torah làoù elle est le plus nécessaire: chez ceux quine la connaissent pas.Il n’est plus alors étonnant de voir que l’iso-lationnisme religieux est accueilli avecenthousiasme par ceux qui, à gauche, yvoient un complément de leur propre poli-tique de cantonnement. Le député travaillisteEphraïm Sneh, par exemple, qui soutientl’idée d’une fermeture pour une partie duChabbat a ajouté comme corollaire qu’ils’opposerait vigoureusement à toute deman-de visant à maintenir les commerces fermésle Chabbat à Herzlia. Et la raison en estqu’en tant que zone à prédominance nonreligieuse, elle est en droit de garder cecaractère.La comparaison effectuée par Sneh démontreque le débat sur le rôle que doit jouer laTorah en Israël a été transformé par l’appellancé au respect d’un style de vie local reli-gieux. D’une question idéologique dont l’is-sue doit déterminer l’avenir du peuple juif,on est arrivé au problème du respect d’unsimple pluralisme culturel, d’une couleurrégionale.A une époque où la majeure partie du peuplejuif n’est pas totalement religieuse, le confortqui résulterait de l’occultation de la déran-geante réalité montrant comment la plupartdes israëliens passent leur Chabbat, est cedont les religieux ont le moins besoin. Aussilongtemps que la sainteté du Chabbat estviolée en Israël, il est juste que le plaisir per-sonnel que nous tirons du Chabbat soitamoindri, de même que notre auto-satisfac-tion à l’observer. Certes, l’identification avec lanation dans son ensemble est douloureuse,mais c’est une valeur positive en elle-même etcomme les dernières élections l’ont prouvé,elle peut nous pousser à améliorer les choses.”(The Jerusalem Post 15 Août 1996). D.S

digne élève de cette école de pensée que leRabbin Jonathan Blass (1) s’est exprimé surles douloureux affrontements autour de larue Bar Ilan :“(...) La campagne qui s’en est suivie pourobtenir sa fermeture le Chabbat reflète unesprit insulaire contraire à l’engagement auxcôtés de tout le public juif qui a permis à lacommunauté religieuse d’exercer uneinfluence positive et décisive sur le sort desdernières élections israëliennes.Personne ne pense qu’il y aura plus de juifsqui observeront ou n’observeront pas leChabbat si la rue est ouverte ou fermée auxvoitures. Hala’hiquement parlant, c’est uneinfraction tout aussi grave de conduire surune déviation que sur la Rue Bar Ilan.Réduire la circulation dans un quartier enl’augmentant dans un autre n’est d’aucuneinfluence sur la religiosité du public israëlien.Le débat ne porte pas sur l’observance de laTorah sur la Terre d’Israël, mais sur le confortet la commodité. Alors que pour ceux quiconduisent le Chabbat il n’est pas commodede faire un détour dans le but d’éviter BarIlan, pour les résidents de la communautéreligieuse, il est plaisant de pouvoir flânerdans les rues le Chabbat sans avoir à faireattention à la circulation.Alors pourquoi tout ce tumulte ? Quelle est la question de principe qui est ici en jeu ? Le combat de Meretz pour garder Bar Ilanouverte à la circulation le Chabbat est basésur son interprétation partisane des libertésciviques, en ce qu’elles doivent prévaloir surtoute législation basée sur des valeurs juives.Les groupes religieux favorables à la fermeturede la rue le Chabbat prétendent que c’est lalégitimité même du mode de vie religieux quiest ici mise en cause. Si la Rue Dizengoff deTel Aviv est fermée le vendredi soir à la circu-lation afin que les occupations séculièrespuissent y être mieux appréciées, les mêmesconsidérations devraient être accordées à ceuxqui profiteraient encore plus du Chabbat avecla fermeture de Bar Ilan. Ainsi se présentel’argumentation, toute solution moindre étantconsidérée comme discriminante à l’encontrede la communauté religieuse.Mais contrairement à la fermeture des rues

C’est ainsi qu’Ornan Yekoutieli, conseillermunicipal hiérosolymitain et leader du

parti Meretz a pu déclarer : “La question estalors de savoir si l’image de Jérusalem estrationnelle, culturelle et orientée vers le XXIème

siècle, ou bien si nous rétrogradons vers leMoyen-Age. Il faut donc savoir si nous vou-lons nous tourner vers Téhéran, ou bienpoursuivre en direction du monde occiden-tal... Si Bar Ilan ne constituait pas une voiede transit pour 60.000 résidents du Nord deJérusalem et 60.000 autres du Sud de lacapitale, je ne me serais pas opposé à sa fer-meture.” (The Jerusalem Post-EditionFrançaise, semaine du 14 au 20 Août 1996).De son côté, le premier adjoint au maire‘Haïm Miller, qui dirige au sein du conseilmunicipal le groupe Yaadout Ha-Tora (lejudaïsme de la Tora), expose les revendica-tions ultra-orthodoxes : “Je ne saurais tolérerqu’à Tel Aviv on ferme une rue (Dizengoff) lechabbat pour le commerce des cafés et despubs, et qu’à Jérusalem on n’autorise pas laclôture d’une rue pour des prières... Utilisezdonc une autre route qui vous prendra deux,trois ou peut-être cinq minutes supplémen-taires, afin que nous puissions vivre en juifs,côte à côte à Jérusalem.” (ibid.).Visiblement le dialogue ne passe pas d’unecommunauté à l’autre et l’incompréhensionne semble pouvoir qu’augmenter quand,dans la même période, un supermarché deJérusalem, cédant à la pression des clients‘harédim, interdit l’accès de son magasin auxfemmes qui ne sont pas couvertes selon laHala’ha (The Jerusalem Post, 9 août 1996),ou qu’un officier de police féminin se faitattaquer dans sa voiture par des ultra-ortho-doxes alors qu’elle enquête sur les agressionsdont sont victimes certaines femmesemployées au Ministère de l’Education, quijouxte Méah Chearim (Jewish Chronicle, 9Août 1996).Chaque camp se retranche derrière ses posi-tions et nul ne tente d’envisager le problèmedans sa globalité. Face à ce dialogue desourds, n’y a-t-il plus rien à faire qu’à baisserles bras en attendant la venue du Messie? LeRav Kook croyait trop en l’homme pour serésoudre à de telles extrémités. Et c’est en

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Alors qu’en Diaspora l’assimilation est galopante et que la plupart des commu-

nautés se radicalisent pour se protéger plutôt que d’essayer d’endiguer l’hé-

morragie, les derniers affrontements épistolaires en Israël entre ‘Harédim et

non-religieux ne donnent guère plus d’espoir quant à l’avènement d’une société juive

harmonieuse, en paix avec elle-même et rayonnant sur les nations. La presse s’est faite

l’écho à de nombreuses reprises de la surenchère effectuée par les opposants et les

partisans de l’ouverture ou de la fermeture de la Rue Bar Ilan à Jérusalem.

Légendes(1) Le Rabbin Jonathan Blass est rabbin deNeveh Tzuf en Samarie. Il dirige le programmed’enseignement rabbinique Ratzon Yehouda des-tiné aux élèves diplômés des Yechivot Hesder(Yechivot qui combinent l’étude de la Torah avecles obligations militaires au sein de Tsahal).

mier Maire juif de Jérusalem, poste qu’iloccupa jusqu’en 1952. Deux ans plustard il fut désigné comme directeur duDépartement de l’Immigration au seinde l’Agence Juive, précisément duranttoute la période de l’aliyah massive desannées ‘60. En 1975 il fut nommé pré-sident mondial d’honneur du mouve-ment Mizrahi et ha-Poel ha-Mizrahi. Entant qu’idéologue du sionisme religieuxil publia sur le sionisme, la religion etl’Etat, le mouvement de Torah we-avo-dah, la halakhah et la modernité desdizaines de livres et de brochures dontles plus connus sont : Hazon ve-Hagshamah (1956) Pa’amey Gue’oullah(1963) et Zemannim (1969). En outre, ildemeura un ‘hassid fidèle de la tendan-ce Izbica-Radzin à laquelle il consacraune trilogie historique et philosophique.Après la Guerre il fut un des premiers àrenouveler le port de la tekhelet enEretz-Israël, selon la tradition de Radzin.Désireux de partager son expérience sio-niste avec ses frères en dehors d’Israël, ilcontribuait régulièrement aux journauxde la Gola et une partie de son œuvreen yiddissh fut publiée précisément enFrance par les éditions de Unzer Vort,dirigées par son ami de longue dateChalom Klinger.

Presque jusqu’à son dernier jour, ilcontinuait à se rendre chaque matin àson bureau de l’Agence Juive àJérusalem, où nous avions l’habitude delui rendre visite durant nos séjours enIsraël. Avec sa disparition, le mouvementMizrahi a perdu un des ses grands diri-geants de la première heure, et le mondereligieux-nationaliste une figure irrem-plaçable. Que sa vie exemplaire au servi-ce de son peuple et de son pays soitpour nous une source d’inspiration Y.F

riences de cette époque sont vivementrelatées dans ses mémoires (Jérusalem,1988). Un épisode, qui n’est pas sans unmessage actuel, mérite d’être rapporté. Ily a exactement, soixante ans, à la veillede la Choa, peu après les émeutesarabes de 1936/7, pendant lesquellesbeaucoup de sang juif avait été versé,Shragaï s’était rendu en mission enPologne pour le compte du Keren ha-

Yesod. Au cours d’un meeting àVarsovie il fut violemment conspué parun représentant du Bund (anti-sioniste):“Comment pouvez-vous prôner le retourdes Juifs sur la terre d’Israël alors quecette terre est rouge (de sang) ?”Shragaï, imperturbable, répondit pro-phétiquement : “Oui, la terre d’Israël estrouge - par les rayons de l’aube de larédemption, tandis que la terre d’Europeest rouge des rayons crépusculaires del’exil”. Un silence glacial s’installa, briséspontanément par la foule entonnantles accents émouvants de la ha-Tiqvah.

Avec l’établissement de l’Etat, ilretourna en Israël où il fut élu le pre-

Né à la fin du siècle dernier àGorzkowice en Pologne au sein

d’une famille de ‘hassidim de Radzin, ceTalmid hakham avait été formé dans desyechivot polonaises où il avait été l’élèvedu Rebbe de Radomsk. Mobilisé en1918 dans l’armée polonaise, il luttalonguement en tant que ‘hassid pour ledroit de garder sa barbe. Un des pion-niers des Tse’irey Mizrahi, il fonda danssa ville natale un journal sioniste intitu-lé Tehiyya. Il fut parmi les fondateursdu He-Haloutz ha-Mizrahi, dont il diri-gea la ferme de formation entre 1920-4. Prenant congé de son rebbe, RabbiMordekhai Yosef Leiner de Radzin, ilmonta dès 1924 en Eretz, où avec leAdmour he-Haloutz (Rabbi Isaïe ShapiraZTS”L) il fut actif dans l’établissement duha-Po’el ha-Mizrahi. En 1929 il futnommé pour la première fois commedélégué au Congrès sioniste, tâche qu’ilassuma désormais régulièrement. Lamême année il fut élu au directoire duVa’ad Le’oummi où il dirigea le départe-ment de la presse et de l’information. Ilfut également responsable des émissionsradiophoniques en hébreu sous leMandat britannique. Il essaya en vaind’utiliser ses contacts afin de sauver desmains des Allemands le Rebbe deRadzin, Chmuel Chlomoh Leiner ZTS”L etde le faire venir en Palestine. Au lende-main de la Seconde Guerre mondiale ilfut élu membre de l’exécutif del’Agence Juive à Londres. Sa profondeurspirituelle et intellectuelle fut trèsappréciée par les milieux ecclésiastiquesqu’ il essaya d’influencer afin de modi-fer la politique anglaise en Palestine etfaire accepter la légitimité du retour dupeuple juif dans sa terre. Les expé-

20

”BIOGRAPHIE”I

l y a bientôt deux ans, à la veille de Roch ha-Chanah,

Chelomoh-Zalman Shragai ZTS”L fut inhumé aux Monts des

Oliviers à Jérusalem, ville dont il avait été le premier Maire juif

dans les années ‘50. Ainsi disparut un gâdôl be-Yisra’el à l’âge

vénérable de 96 ans, au terme d’une vie toute entière consacrée au

mouvement deTorah ve-Avodah dont il avait été un des premiers

architectes et bâtisseurs idéologiques.

P A R L E P R O F E S S E U R Y O S S E F F E N T O N

OROTEDITION FRANÇAISE

REVUE SOUS LE CONTRÔLE DE LA COMMISSION

ADMINISTRATIVE DE LA SYNAGOGUE DE NEUILLY-SUR-SEINE

12, rue Ancelle 92200 Neuilly-Sur-Seine/France

E-MAIL : [email protected] : http://www.col.fr/orot

COMITÉ D’HONNEUR : MLR Schlomo Aviner, MLR Alexis Blum, MLR Philippe Haddad, MLR Bezalel Naor.

DIRECTEURS DE RÉDACTION : Dan Klajmic, Didier Senanedj.

COMITÉ DE RÉDACTION : MLR Alexis Blum, Prof. Yossef Fenton, Laurence Klajmic, Elisabeth Senanedj

N ° I S S N E N C O U R S

P É R I O D I Q U E R É A L I S E

P A R L A C O M M U N A U T E

J U I V E D E N E U I L L Y

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