CorporationTadoussac 2000 Inc.
INTERVENTIONARCHÉOLOGIQUEAUSITEDAEK‐15–FERMEHOVINGTONDETADOUSSAC,AUTOMNE2014
Archéo‐MamuCôte‐NordPermisnuméro14‐CON‐03Septembre2015
Ententeadministrativedédiéeàlapréservationdupatrimoinearchéologiquenord‐côtier
Notice bibliographique
ARCHÉO‐MAMU CÔTE‐NORD (2015) Intervention archéologique au site DaEk‐15 – ferme Hovington
de Tadoussac, automne 2014. Rapport technique remis à la Conférence régionale des élus de la Côte‐
Nord, le Musée régional de la Côte‐Nord, la Corporation Tadoussac 2000 Inc. et le ministère de la Culture
et des Communications. Baie‐Comeau. 52 p.
En couverture
Le bénévole, François Fortin, lors de la récolte de surface dans les champs labourés de la ferme
Hovington.
i
Sommaire
Ce rapport détaille la démarche et les résultats de l’intervention archéologique réalisée sur le site
archéologique DaEk‐15, couvrant l’espace de la ferme Hovington, à l’est du village de Tadoussac, le long
du chemin du Moulin‐à‐Baude, en Haute‐Côte‐Nord. Cette intervention a été réalisée en deux temps à
l’automne 2014. Une inspection visuelle et une collecte de surface ont d’abord été réalisées dans les
champs labourés de la ferme, le 20 septembre 2014, à l’aide d’une équipe composée d’un archéologue
et de cinq bénévoles recrutés parmi des communautés innues et non innues de la Côte‐Nord. Un
inventaire avec sondages fut ensuite réalisé dans l’espace boisé de la partie sud‐ouest de la ferme, le 15
octobre 2014, avec une équipe composée d’un archéologue, d’un aide‐archéologue et de trois fouilleurs.
L’intervention visait à atténuer l’impact de la remise en culture de la ferme et du creusement d’un bassin
d’irrigation, en plus de générer des connaissances essentielles à la gestion du site archéologique.
L’implication de bénévoles permettait d’attirer l’attention du public sur la richesse du patrimoine
archéologique de la Côte‐Nord et des enjeux de conservation qui lui sont liés. L’intervention a permis de
récolter 303 artéfacts attestant de l’occupation amérindienne paléohistorique et d’une occupation
eurocanadienne dans le secteur au 19e siècle. La distribution de ces vestiges permet également
d’étendre la surface connue du site à 99 000 mètres carrés, soit la presque totalité de la ferme Hovington.
Le secteur boisé qui a fait l’objet d’un inventaire archéologique a pour sa part permis la découverte de
traces éparses de l’occupation eurocanadienne du secteur, possiblement charriées à cet endroit par le
labourage.
Cette étude a été réalisée dans le cadre de l’Entente administrative destinée à la préservation et la
mise en valeur du patrimoine archéologique de la Côte‐Nord, à laquelle participent le ministère de la
Culture et des Communications, la Conférence régionale des élus de la Côte‐Nord et le Musée régional
de la Côte‐Nord. Le projet a également été financé en partie par la Corporation Tadoussac 2000 Inc. La
direction régionale du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, la
direction régionale du ministère de la Culture et des Communications et la Municipalité régionale de
comté de La Haute‐Côte‐Nord ont aussi agi à titre consultatif dans ce projet. Le Centre Archéo‐Topo et le
Conseil de la Première Nation des Innus Essipit ont appuyé l’intervention archéologique et fourni une
partie de la main‐d’œuvre.
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Table des matières
Sommaire ....................................................................................................................... i
Table des matières ......................................................................................................... iii
Liste des figures ............................................................................................................. iv
Liste des tableaux ........................................................................................................... v
Équipe de production de l’étude .................................................................................. vii
1. Introduction................................................................................................................ 2
2.Cadre historique et environnemental de l’occupation humaine ................................ 6
2.1. L’environnement ancien et contemporain ............................................................... 6
2.2. Connaissances archéologiques et historiques ........................................................10
3.Méthodologie ........................................................................................................... 22
4.Résultats ................................................................................................................... 27
5. Interprétations ......................................................................................................... 37
5.1. La distribution des vestiges .....................................................................................37
5.2. L’occupation eurocanadienne .................................................................................38
5.3. L’occupation paléohistorique amérindienne ..........................................................44
6.Conclusion et recommandations .............................................................................. 47
7.Bibliographie ............................................................................................................ 49
iv
Liste des figures
Figure 1 : carte de l’aire à l’étude et localisation des sites archéologiques à proximité de
la ferme Hovington, Tadoussac ......................................................................... 4
Figure 2 : profil stratigraphique du sondage 1 ................................................................. 10
Figure 3 : l’équipe de bénévoles au ratissage de surface dans le champ C, concentration
1. Les drapeaux indiquent la position des artéfacts. ....................................... 23
Figure 4 : plan du site archéologique DaEk‐15 et des découvertes faites en 2015 .......... 26
Figure 5 : fermoir décoré en étain trouvé au champ C (cat. no. DaEk‐15.2014.33) ......... 28
Figure 6 : préforme d’outil en pierre bouchardé (DaEk‐15.2014.35) ............................... 29
Figure 7 : manuport de forte taille en métaquartzite et présentant des traces d’abrasion
sur deux faces opposées (DaEk‐15.2014.110) ................................................ 30
Figure 8 : préforme d’outil bifacial en quartz (DaEk‐15.2014.30) .................................... 32
Figure 9 : biface en quartzite de Mistassini (DaEk‐15.2014.31) ....................................... 32
Figure 10 : extrémité d’outil poli en pointe et façonné sur trois faces (DaEk‐15.2014.38)
........................................................................................................................ 33
Figure 11 : carte cadastrale de Tadoussac et Moulin Baude, réalisée par George Duberger
en 1876 (tiré de Desbiens, 1992) .................................................................... 43
Figure 12 : matières lithiques récoltées en 2014 par ordre d'importance ‐ site DaEk‐15 45
v
Liste des tableaux
Tableau 1 : Synthèse de la collection 2014, divisée par classe d'artéfacts et par aire, site
DaEk‐15 ........................................................................................................... 35
Tableau 2 : synthèse des données chronologiques disponibles pour les artéfacts liés à
l’occupation eurocanadienne ......................................................................... 39
vii
Équipe de production de l’étude
Chargé de projet et coordination
FrançoisGuindon Archéo‐MamuCôte‐Nord
Analyse et rédaction
FrançoisGuindon Archéo‐MamuCôte‐Nord
Catalogage
GuillaumeSaint‐Laurent ConférencerégionaledesélusdelaCôte‐Nord
Cartographie et illustrations
Marie‐FranceBellavance ConférencerégionaledesélusdelaCôte‐Nord
Bénévoles à la récolte de surface
FrançoisFortinAnnabelleMoisanDesserresSteveDubreuilMarc‐AndréBéchard CentreArchéo‐TopoMartinGagnon CentreArchéo‐Topo
Assistant à l’inventaire
SteveDubreuil
Fouilleurs à l’inventaire
RoxanneRoss ConseildelaPremièreNationdesInnusd’EssipitMartinGagnon CentreArchéo‐TopoFlorenceParcoret ConseildelaPremièreNationdesInnusd’Essipit
1. Introduction
Soucieuse de la protection de son patrimoine, la municipalité de Tadoussac place cette richesse au
centre de son développement urbain et économique. C’est pour cette raison qu’elle a choisi de favoriser
les mesures permettant la sensibilisation de sa population aux enjeux liés à la conservation, en plus de
mettre de l’avant les mesures qui favorisent la mise en valeur de ce même patrimoine, qu’il soit bâti,
naturel, archéologique ou humain. C’est dans cette perspective que la municipalité a fait l’acquisition de
la ferme (Municipalité de Tadoussac, 2013), localisée au 155, Chemin du Moulin‐à‐Baude, à la limite est
de Tadoussac, en Haute‐Côte‐Nord.
Le projet d’archéologie réalisé à la ferme Hovington, à l’automne 2014, allait permettre à la
municipalité de minimiser l’impact de la remise en culture sur le site archéologique DaEk‐15, en plus de
générer des connaissances utiles à la gestion préventive du lieu et sa mise en valeur. Ce site fut
découvert en 1985 par les archéologues William Moss et Michel Plourde (1986) qui y ont récolté 513
artéfacts, soient principalement de grandes pièces de débitage liées à une présence amérindienne
paléohistorique1, dispersés à la surface de labours. Bien que ces travaux n’aient pas permis de
documenter l’occupation eurocanadienne des lieux, il est maintenant connu que la ferme Hovington fut
construite en 1848 et qu’elle incluait cinq bâtiments, soit une maison, une grange, une porcherie, un
poulailler et une glaciaire, répartis sur les quelques 244 acres de la propriété (Desbiens, 1992; 40). La
maison peut encore être observée dans la partie nord de la ferme, au pied des collines de Tadoussac.
L’intervention archéologique de 2014 offrait donc l’opportunité de documenter cette occupation récente,
en plus de mieux comprendre l’occupation des lieux pendant la paléohistoire, dans une perspective de
gestion préventive du patrimoine archéologique (Archéo‐Québec, 2012) et d’un développement durable
des lieux.
L’intervention de 2014 consistait d’abord en une journée d’inspection visuelle et de collecte à la
surface des champs labourés, suivis par le creusement de sondages dans l’aire boisée au sud‐ouest de la
1 Le concept de « paléohistoire » est ici utilisé en remplacement de « préhistoire ». Cette dernière expression présente une connotation négative suggérant que les groupes autochtones n’avaient pas d’histoire avant l’arrivée des Européens. Une telle idée est évidemment fausse. Les Innus et leurs ancêtres ont une histoire exceptionnelle remontant à des temps immémoriaux et l’archéologie contribue à enrichir ce passé. Le concept d’histoire coloniale fait référence à la période suivant l’arrivée des Européens en Amérique, marquée par des transformations importantes du mode de vie autochtone.
3
ferme, sur une surface approximative de 99 000 mètres carrés (Figure 1). L’inspection et la collecte ont
eu lieu le 20 septembre 2014, avec l’aide d’une équipe composée d’un archéologue et de cinq bénévoles.
L’inventaire par sondages a eu lieu le 15 octobre 2014 avec une équipe composée d’un archéologue,
d’un aide‐archéologue et de trois fouilleurs. L’implication de bénévoles permettait d’attirer l’attention du
public sur la richesse du patrimoine archéologique de Tadoussac et des enjeux de conservation qui lui
sont liés.
Cette étude a été réalisée dans le cadre de l’Entente administrative destinée à la préservation et la
mise en valeur du patrimoine archéologique de la Côte‐Nord, à laquelle participent le ministère de la
Culture et des Communications, la Conférence régionale des élus de la Côte‐Nord et le Musée régional
de la Côte‐Nord, et fut aussi partiellement financée par la Corporation Tadoussac 2000 Inc. La direction
régionale du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, la direction
régionale du ministère de la Culture et des Communications et la Municipalité régionale de comté de La
Haute‐Côte‐Nord ont aussi agi à titre consultatif dans ce projet. Le Centre Archéo‐Topo et le Conseil de la
Première Nation des Innus Essipit ont appuyé l’intervention archéologique et fourni une partie de la
main‐d’œuvre nécessaire, payée par les partenaires financiers du projet.
Le présent rapport rend compte du projet d’archéologie réalisé à la ferme Hovington à l’automne
2014. Pour commencer, un aperçu de l’histoire naturelle et culturelle des environs de Tadoussac est
présenté. La méthodologie de l’intervention est ensuite décrite, pour ensuite passer aux résultats du
ratissage de surface et de l’inventaire. L’interprétation de ces résultats sera faite avant de passer aux
conclusions et recommandations visant à assurer une conservation optimale du site archéologique DaEk‐
15, dans le contexte où l’activité agricole est appelée à s’y développer.
4
Figure 1 : carte de l’aire à l’étude et localisation des sites archéologiques à proximité de la ferme Hovington, Tadoussac
6
2. Cadre historique et environnemental de l’occupation humaine
L’intervention archéologique couvrait l’espace de la ferme Hovington faisant une cinquantaine
d’hectares de part et d’autres du chemin du Moulin‐à‐Baude, juste à l’ouest des dunes de Tadoussac, au
pied des collines bordant tout le village. La ferme s’inscrit dans un cadre naturel et culturel qui a
considérablement évolué au fil des derniers millénaires. Ces changements sont susceptibles d’avoir
influencé l’occupation humaine du territoire. Les données relatives au contexte environnemental et
historique du territoire élargi à la Haute‐Côte‐Nord permettront de contextualiser les données récoltées
lors de l’intervention.
2.1. L’environnement ancien et contemporain
C’est à partir de 18 000 A.A., avec l’amorce d’un réchauffement climatique, que la calotte glaciaire
recouvrant tout le nord du continent américain commence à se retirer. Vers 14 000 A.A., le glacier appelé
Inlandsis laurentidien recouvre encore tout le Québec, mais l’estuaire du Saint‐Laurent s’ouvre en
prenant la forme d’une baie glaciaire. La limite des glaces atteindra Tadoussac autour de 12 000 A.A. Les
terres déglacées se verront alors envahies par une mer postglaciaire (Goldthwait), jusqu’à une hauteur
de 140 mètres au‐dessus du niveau marin actuel (NMA) (Dionne et Occhietti, 1996; 25‑8; Dionne et al.,
2004; 292). Le front de l’inlandsis atteindra le nord‐est de la Basse‐Côte‐Nord vers 11 000 A.A. (Dubois,
1996; 64; Richard, 1985; 44, 49). À la périphérie du front règnera un climat périglaciaire et les terres
émergées présenteront un environnement de toundra herbacée (Dyke, 2005; 226; Richard et Grondin,
2009; 4).
Le retrait glaciaire sera brièvement interrompu entre 10 900 et 10 000 A.A., pendant le Dryas récent,
alors que le climat se refroidit considérablement et freine la fonte. Certains secteurs auraient même
connu une avancée des glaces (Dyke, 2005; 228). À partir de 10 000 A.A., le niveau de la mer atteint
130 m NMA aux environs de Tadoussac (Dionne et Occhietti, 1996; 28) et des portions croissantes de
terres sont dégagées le long de la côte. C’est aussi pendant cette période que les deltas perchés de
Tadoussac se forment, alors que le Saguenay et la rivière du Moulin à Baude sont encore pris dans les
glaces (Dionne et Occhietti, 1996; 28). Lors de leur émersion, ces surfaces auraient pu être parmi les
premiers espaces à accueillir l’occupation humaine en Haute‐Côte‐Nord. Une toundra arbustive,
7
dominée par le bouleau glanduleux et l’aulne crispé, colonisera ces nouvelles terres (Richard et Grondin,
2009; 4). Les caractéristiques écologiques de la mer de Goldthwait laissent aussi croire que cet
environnement, encore à proximité du front glaciaire, reste turbide, à faible salinité et relativement
pauvre en faune marine (Dionne et Occhietti, 1996; 21).
Aux environs du mont Valin, la toundra fera son apparition, vers 9 500 A.A., alors qu’une mince bande
de terre est maintenant libre de glace sur tout le littoral nord du Saint‐Laurent (Richard, 1985; 47, 50).
Vers 9 000 A.A., la toundra arbustive occupera toutes les terres déglacées et situées au‐dessus de 65
mètres NMA (Dubois, 1996; 64), en Côte‐Nord et à l’ile d’Anticosti. Le caribou pourrait, à ce moment,
avoir suivi la progression de cet environnement et avoir fait son apparition en Côte‐Nord (Dyke, 2005;
230, 232). On pourrait également penser que des groupes humains auraient pu suivre le caribou et faire
leur apparition le long de la côte à cette époque.
Pendant l’intervalle de 9 000 à 8 000 A.A., les cours d’eau, gonflés par la fonte accélérée des glaces et
se jetant dans la mer de Goldthwait, façonneront de grands deltas, comme celui de la rivière Portneuf
(Ethnoscop Inc., 2014; 21), alors que le niveau marin atteint approximativement 20 à 30 mètres NMA
(Dionne et Occhietti, 1996; 29). Certaines données suggèrent cependant que le niveau marin aurait
plutôt été de 10 mètres NMA vers 8 000 A.A. (Dionne et al., 2004; 292). À la fin de ce même intervalle, le
front glaciaire sera distant de quelques centaines de kilomètres de la côte et atteindra la limite
approximative du réservoir Manicouagan (Dubois, 1996; 65; Richard, 1985; 51). La toundra arbustive
occupera encore la Basse‐Côte‐Nord, alors que la toundra forestière prendra place le long du littoral,
entre Tadoussac et Natashquan, et sur l’ile d’Anticosti (Dyke, 2005; 233).
Vers 7 000 A.A., le niveau marin atteindrait environ 20 mètres dans les environs de Grandes‐
Bergeronnes (Dubois, 1996; 65). Dans le secteur de Longue‐Rive, les étendues planes situées à cette
hauteur sont identifiées comme la terrasse Micmac (Ethnoscop Inc., 2014; 24). L’environnement de
toundra qui dominait le littoral nord pendant les derniers millénaires laisse alors place à la forêt boréale,
entre Tadoussac et Pointe‐des‐Monts, ainsi qu’entre Sept‐Îles et Blanc‐Sablon. L’épinette y était l’espèce
d’arbre la plus commune, suivie du sapin baumier et du bouleau blanc. Une bande de toundra forestière
occupe tout de même encore le littoral au cinquantième parallèle, dans les environs de Baie‐Trinité, ainsi
qu’à l’intérieur des terres. À la périphérie du glacier, au‐delà du réservoir Daniel‐Johnson (Manic‐5), la
toundra arbustive est toujours présente (Dyke, 2005; 235‑6).
8
Autour de 6 000 A.A., la Côte‐Nord est à peu près toute dégagée des glaces et le climat estival y est
d’environ un ou deux degrés supérieurs aux conditions actuelles. Les sapinières atteignent leurs limites
septentrionales (Richard et Grondin, 2009; 7) et la forêt boréale recouvre maintenant tout le littoral et
l’intérieur des terres. Les configurations environnementales et le niveau marin sont alors très près des
conditions contemporaines. La forêt mixte, occupant aujourd’hui les environs du Saguenay, fera
toutefois son apparition vers 5 000 A.A. (Dyke, 2005; 215, 237‑8, 240; Richard et Grondin, 2009; 6).
Le niveau marin connaitrait une remontée d’environ un à deux mètres, vers 2 000 A.A., lors de
l’épisode de Mitis. Les évidences de cet évènement sont cependant rares et, selon certains, celui‐ci
pourrait plutôt correspondre à une stabilisation du niveau marin (Dionne et al., 2004; 292‑3). La terrasse
de Mitis, atteignant 6 mètres NMA, émergera avec la régression marine subséquente, après 1 500 A.A.
(Dionne et Occhietti, 1996; 29; Dionne et al., 2004; 293). Malgré quelques fluctuations climatiques
mineures, entre 1 100 et 800 A.A. (réchauffement) et entre 500 et 120 A.A. (Petit âge glaciaire) (Dubois,
1996; 67), les conditions environnementales resteront sensiblement les mêmes jusqu’à aujourd’hui.
Par ailleurs, l’évolution de l’intérieur des terres, incluant la végétation, la faune et le niveau des eaux,
est mal comprise pour l’instant. Il faut tout de même prendre en compte la possibilité que l’occupation
humaine ait pu avoir lieu sur des replats d’élévations variables, selon les époques. Le relief du secteur à
l’étude est principalement caractérisé par ses basses collines, dépassant souvent 600 mètres et
culminant à 850 mètres d’altitude, à l’intérieur des terres, où les affleurements rocheux sont peu
fréquents et le plus souvent recouverts de till. Les creux de vallées et les surfaces planes sont, pour leur
part, remplis par des dépôts de type fluvioglaciaire. Les lacs et dépôts organiques y sont peu nombreux
et de taille modeste. Le substrat rocheux y est dominé par des formations cristallines composées de
roches ignées ou métamorphiques, incluant principalement : gneiss, granitoïde, harnockite, mangérite,
jotunite, syénite, migmatite (ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs,
2011, 2012).
Le climat contemporain de la Haute‐Côte‐Nord se partage entre les conditions humides et froides de
type continental humide, près de la côte, et un climat subarctique plus sec et plus froid vers le nord. Les
précipitations pour la région varient de 950 à 1 130 mm, mais peuvent atteindre jusqu’à 1 720 mm en
altitude et aussi peu que 680 mm à l’intérieur des terres. La vitesse des vents dominants atteint 22 km/h
en moyenne. La majeure partie du territoire est occupée par une végétation boréale.
9
La faune de la Côte‐Nord est abondante et diversifiée, mais on dispose de peu de connaissances à son
sujet. Les principales espèces de petits mammifères sont la gélinotte huppée, le tétras du Canada, le
lagopède des saules et le lièvre d’Amérique. Les mammifères de petite taille sont principalement la
martre, le castor, la belette, le rat musqué, le vison, le renard, le loup et le lynx du Canada. Le carcajou
pourrait également être présent dans la région. Les principaux grands mammifères sont l’orignal, l’ours
noir et le caribou. La variété forestière du caribou est d’ailleurs présente en Haute‐Côte‐Nord. De plus,
l’avifaune est abondante en raison de la diversité des habitats disponibles. Les espèces de poisson
recensées dans les lacs et rivières de l’intérieur incluent principalement l’omble de fontaine (truite
mouchetée), le touladi (truite grise), la ouananiche, le saumon, le corégone, l’omble chevalier et le
brochet. La faune marine de l’estuaire foisonne de diverses espèces de mollusques, crustacés, poissons
et mammifères marins présentes à l’année ou de façon saisonnière (ministère du Développement
durable, de l’Environnement et des Parcs, 2011, 2012).
Le réseau hydrographique de la Haute‐Côte‐Nord fait partie du bassin versant s’écoulant vers le Saint‐
Laurent. Les principaux cours d’eau sont les rivières Saguenay, Saint‐Marguerite et Grandes‐Bergeronnes,
au sud‐ouest, ainsi que la rivière Portneuf, plus au nord. Les rivières Sault‐au‐Mouton et des Escoumins
drainent le centre de la Haute‐Côte‐Nord. Plusieurs des cours d’eau et des lacs du territoire à l’étude ont,
plus récemment, été affectés par la construction d’ouvrages de rétention.
En raison des données présentées dans cette section, il faut prendre en compte la possibilité que
l’occupation humaine ait pu avoir lieu sur des replats d’élévations variables, selon les époques. Le relief
du secteur à l’étude est principalement caractérisé par de basses collines culminant aux environs de 180
mètres d’altitude. Ces collines bordent la terrasse légèrement descendante vers le fleuve, situé à une
altitude d’environ 65 à 70 mètres NMA. Un petit ruisseau coule à la limite est de la ferme Hovington, le
long duquel se concentrent plusieurs des découvertes archéologiques faites à ce jour. Ce replat, bordé
par les collines de Tadoussac, un ruisseau et le fleuve, aurait offert des conditions propices à l’occupation
humaine dès 8 000 – 9 000 A.A., alors que le niveau marin était suffisamment bas pour laisser le replat
émerger. L’amélioration des conditions climatiques au cours des millénaires contribuera sans aucun
doute à favoriser l’occupation du secteur.
La partie boisée, au sud‐ouest de l’aire à l’étude, offre aujourd’hui un environnement de type
sapinière à bouleau blanc dans laquelle des cèdres, bouleaux jaunes et épinettes sont également
observés. Le boisée présente cependant un sol mal drainé, par comparaison au reste de l’espace, ce qui
pourrait expliquer pourquoi celui‐ci aurait été laissé en friche. Le sol présente des caractéristiques
10
variables selon la topographie. Dans le champ, on note un labour sableux, alors que le boisé alterne
entre un sol labouré (Figure 2) et un podzol sableux dans les parties non labourées mieux drainées. Les
sols laissés intacts par l’activité agricole permettent également de noter la présence d’une couche
épaisse de sable grossier caractérisé par un litage de fines couches alternant entre un sable grossier
beige‐orangé et un sable brun foncé, possiblement créé alors que l’eau venait lécher la limite du site qui
formait alors possiblement une plage sableuse. Le sol ne semble pas avoir été labouré dans la partie
humide, au centre de l’aire boisée. Une litière, un humus épais et humide, un sable éluvié gris‐beige (Ae)
et un sable illuvié (B) s’y succèdent. La topographie en forme de cuvette expliquerait en partie la qualité
du drainage à cet endroit.
Figure 2 : profil stratigraphique du sondage 1
2.2. Connaissances archéologiques et historiques
La plus vaste partie de la Haute‐Côte‐Nord constitue une terre relativement méconnue, d’un point de
vue archéologique, malgré l’ancienneté de la recherche archéologique dans cet espace. Celle‐ci aurait
débuté en 1916 avec les travaux de l’anthropologue Frank G. Speck, de l’Université de Pennsylvanie.
Quelques chercheurs se succèderont jusque dans les années 1960 avec la préoccupation principale
d’établir l’identité culturelle des premiers occupants autochtones et l’antiquité de leur présence (Plourde,
1993 ; 9‑10, 2003 ; 2‑3). Une première synthèse de la paléohistoire nord‐côtière verra le jour en 1978
(Chevrier, 1978) et sera suivie par quelques synthèses supplémentaires touchant à la région en entier
(Chevrier, 1996b, 1996a) ou à des parties de celle‐ci (notamment, Plourde, 1993, 2003).
11
Avec la professionnalisation de la discipline, dans les années 1970, la fréquence des campagnes de
terrains dans la région augmentera considérablement, permettant ainsi d’approfondir les connaissances
archéologiques à l’échelle du territoire et d’accroitre le nombre de sites connus. Cependant, comme l’a
fait remarquer l’archéologue Michel Plourde (Plourde, 1993 ; 10), seulement quelques sites
archéologiques de la Haute‐Côte‐Nord fournissent toujours l’essentiel des connaissances, en raison de
travaux plus intensifs réalisés sur ceux‐ci. De plus, les données disponibles concernent surtout
l’occupation autochtone du littoral, limitant ainsi notre compréhension de l’occupation humaine à
l’intérieur des terres et l’occupation européenne et eurocanadienne de la période coloniale. Les sources
historiques et ethnohistoriques compensent tout de même partiellement ce manque.
La paléohistoire de la Haute‐Côte‐Nord débute à l’Archaïque ancien (8 500 – 7 000 A.A.). Bien que la
limite maximale possible à l’occupation humaine se situe vers 10 000 A.A., avec l’émersion des deltas
perchés de Tadoussac (Dionne et Occhietti, 1996 ; 10, 28), juste au nord de la ferme Hovington, les
premiers sites connus sont relativement moins anciens et situés sur la côte à des altitudes
approximatives de 30 à 130 mètres NMA (Archambault, 1987 ; 107, 111, 130, 1998 ; 141 ; Plourde, 2003 ;
31). Ils démontreraient la présence successive de groupes paléoindiens et archaïques ou une occupation
par un même ensemble culturel en transition entre le Paléoindien récent et l’Archaïque ancien. Les
pointes pentagonales trouvées dans certains sites de cette localité témoignent de cette présence
ancienne. La ressemblance avec des pointes de projectiles de la Gaspésie et du golfe du Maine suggère
que les premiers occupants de la Haute‐Côte‐Nord aient pu provenir de ces régions ou, à tout le moins,
maintenir des contacts avec celles‐ci (Archambault, 1998 ; 141‑51 ; Plourde, 2003 ; 28‑9). La
composante archaïque ancienne (109G29) du site Cap‐de‐Bon‐Désir (DbEi‐8) (Plourde, 2003 ; 29)
présenterait également des ressemblances importantes avec les manifestations archaïques du golfe du
Maine. De telles similitudes appuient l’idée de relations entre les premières populations de la Haute‐
Côte‐Nord et celles participant à la tradition de l’Archaïque maritime dans le golfe du Maine. Les
influences culturelles observables sur la culture matérielle des premiers groupes semblent cependant
multiples, débordant du simple cadre maritime (Archambault, 1987 ; 108, 111).
Les sites de cette période ont surtout livré des vestiges liés à la technologie de la pierre taillée,
principalement faits à partir de quartz, schiste, quartzite et chert grossier (Archambault, 1987 ; 107 ;
Plourde, 2003 ; 31, 32, 36). Plusieurs de ces matériaux pourraient provenir des formations
appalachiennes, du côté sud du Saint‐Laurent, appuyant ainsi l’hypothèse d’une origine méridionale des
premiers occupants (Plourde, 2003 ; 36). Les pointes de projectiles sont le plus souvent pédonculées ou
12
encochées. Les sites de cette période ont également livré les premiers indices de façonnage de la pierre
par polissage et bouchardage. Le cuivre natif aurait également été utilisé et on y associe les premières
sépultures connues sur le territoire (Plourde, 2003 ; 30). Le mode de subsistance aurait été centré sur la
chasse aux mammifères marins, alors que l’environnement terrestre était celui de la taïga (Plourde,
2003 ; 28). Les sites de l’Archaïque ancien en Haute‐Côte‐Nord présentent également plusieurs
similitudes avec ceux de la Manicouagan et de la Basse‐Côte‐Nord (Plourde, 2003 ; 34), ce qui laisse
croire que les premiers occupants de la région partageaient un ensemble de références culturelles.
L’Archaïque moyen (7 000 – 6 000 A.A.) est relativement peu connu en raison du faible nombre de
sites recensés pour cette période en Haute‐Côte‐Nord. Leur altitude relative se maintiendrait entre 20 et
55 mètres NMA et les liens avec les cultures maritimes semblent persister. Les matières lithiques
utilisées sont d’ailleurs principalement d’origine méridionale ou locale. Les pointes de projectiles sont
associées aux types Neville et Stark, deux styles communs en Nouvelle‐Angleterre (Plourde, 2003 ; 49‑
55).
L’occupation humaine parait être de plus en plus soutenue à partir de l’Archaïque supérieur (6 000 –
4 200 A.A.), alors que l’environnement se stabilise vers 5 000 A.A. On assiste également à des
développements importants du réseau d’échange des groupes occupant la Haute‐Côte‐Nord, puisque du
cuivre natif provenant du lac Supérieur, des coquillages de la côte atlantique et des dents de requin du
golfe du Mexique leur sont associés. Toutes les terres au nord du Saint‐Laurent sont maintenant libres de
glaces et occupées en continu (Chevrier, 1996b ; 98). Ceci se reflète dans les assemblages lithiques des
sites ayant livré des pierres aux origines septentrionales, incluant le chert de Nastapoka (baie d’Hudson),
le quartzite de Mistassini (rivière Témiscamie) et le quartzite de Ramah (fosse du Labrador). On observe
également les influences de la tradition de l’Archaïque laurentien (sud‐ouest québécois) et de
l’Archaïque maritime (Basse‐Côte‐Nord et provinces maritimes). Ces influences multiples pourraient être
attribuables à l’existence d’un continuum culturel entre les groupes de traditions maritime et
laurentienne, mais les opinions divergent à ce sujet (Chevrier, 1996b ; 94 ; Pintal, 2009 ; 76 ; Plourde,
2003 ; 67‑75 ; Plumet et al., 1993 ; 144‑5). Malgré l’importance relative des ressources terrestres,
l’exploitation de la faune marine semble toutefois demeurer au cœur des stratégies de subsistance des
groupes de cette période (Plumet et al., 1993 ; 142‑3). Notons aussi la découverte d’ossements de chien
sur le site Lavoie (DbEj‐11) (Plumet et al., 1993 ; 113‑4) et des traces possibles d’une sépulture humaine,
à proximité, au site Utamaïkan (DbEj‐21) (Plourde, 1999).
13
À la fin de l’Archaïque, dit « postlaurentien » ou « terminal » (4 200 – 3 000 A.A.), les groupes
occupant la Haute‐Côte‐Nord semblent décidément plus tournés vers l’intérieur des terres en raison de
leur préférence marquée pour les matières lithiques comme le quartzite de Mistassini et la calcédoine du
lac Saint‐Jean. La plupart des sites connus sont cependant sur la côte (ex. : DbEj‐11, DbEi‐6 et DbEi‐8), à
une altitude approximative de 20 mètres, suggérant un mode d’occupation double, alternant entre le
littoral Saint‐Laurent et l’intérieur des terres. Les cherts, quartz et argilites se mêlent également à ces
assemblages. Les pointes de projectiles associées à cette période sont de type Lamoka, Susquehanna et
Snook Kill. Cette préférence stylistique témoigne d’influences méridionales persistantes (Plourde, 2003 ;
76‑8).
Le passage de l’Archaïque vers le Sylvicole est généralement indiqué par l’apparition des premières
technologies céramiques dans le nord‐est du continent. Aucun artéfact associé à cette technologie n’est
cependant connu pour le Sylvicole inférieur (3 000 – 2 400 A.A.) en Haute‐Côte‐Nord. Deux grands
ensembles artéfactuels sont reconnus pour cette période, associés au complexe Meadowood et à la
tradition funéraire Middlesex. Le premier est défini sur la base d’un outillage lithique fait le plus souvent
de chert Onondaga, en provenance du Sud ontarien et de l’état de New York. L’outillage est
reconnaissable par les lames bifaciales ayant servi de support à la fabrication de grattoirs triangulaires et
pointes de projectiles à base encochée et carrée (Box Base). Cet outillage est d’ailleurs
occasionnellement trouvé en contexte funéraire. Des formes d’outils polis, absentes des périodes
précédentes, lui sont aussi associées, telles que gorgerins, pierres aviformes et pipes tubulaires. Des
ornements de cuivre composent également la culture matérielle du complexe Meadowood. La
manifestation la plus importante de ce complexe en Haute‐Côte‐Nord est certainement le site DdEh‐8, à
l’extrémité nord‐ouest de la baie des Bacon, à Longue‐Rive, sur une terrasse de 37 mètres NMA
(Ethnoscop Inc., 2014 ; 1).
En parallèle avec le complexe Meadowood, la tradition funéraire Middlesex se distingue par l’absence
d’évidences liées à la pratique de la crémation et le type d’offrandes, incluant gorgerins d’ardoise polie,
pipes tubulaires, herminettes, colliers de perles de cuivre cylindriques. La seule sépulture connue pour
cet épisode en Côte‐Nord est celle de Mingan. La tradition Middlesex est généralement associée à la
toute fin du Sylvicole inférieur (Plourde, 2003 ; 99‑101).
Le Sylvicole moyen ancien (2 400 – 1 500 A.A.) verra l’apparition des premières poteries en Haute‐
Côte‐Nord. Les vases, modelés à partir de colombins, présentent une base conique et les parois
extérieures sont décorées d’impressions ondulantes, basculantes et repoussées. La fréquence de ces
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poteries pourrait graduellement diminuer en se dirigeant vers l’est, jusqu’à se faire très discrète au‐delà
de Pointe‐des‐Monts (Chevrier, 1996a ; 108, 110). Notons également les premières manifestations d’art
rupestre à cette période, avec le site Pepechapissinagan (DeEh‐1), où 145 tracés digitaux à l’ocre rouge
recouvrent la paroi d’une haute falaise sur environ 14 m2, témoignant d’un univers symbolique et
spirituel partagé à l’échelle du Bouclier (Arsenault, 1995 ; 32‑44). Pour ce qui est de la technologie
lithique, les pointes de projectiles sont généralement petites et dotées d’encoches en coin ou latérales.
Les éclats, utilisés tels quels ou avec des retouches sommaires, gagnent en popularité, alors que la pierre
polie est presque inexistante. La majorité des matériaux lithiques provient du subarctique, suggérant un
réseau d’échange étendu, lié autant aux populations méridionales que septentrionales. Il faut aussi
ajouter que les espaces occupés à la période précédente sont souvent réoccupés et le mode de
subsistance est toujours partagé entre les ressources marines et, dans une moindre mesure, les
ressources terrestres, principalement le castor. Les espèces animales chassées sont tout de même
variées, témoignant de stratégies de subsistance à plus large spectre permises par une connaissance fine
des environnements de l’intérieur des terres et du littoral (Plourde, 2003 ; 101‑121). La réoccupation de
plusieurs sites de cette période (DbEi‐2, DbEi‐5, DbEi‐6 et DbEi‐8) et la persistance d’une stratégie de
subsistance similaire témoignent d’une continuité culturelle avec la période précédente.
Au Sylvicole moyen tardif (1 500 – 1 000 A.D.), un nouveau style de poterie fait son apparition,
reconnu principalement par des ponctuations embossantes, mais aussi des impressions à la cordelette et
dentelées quadrangulaires, principalement appliquées sur la partie supérieure des vases jusqu’à l’épaule.
La panse, sous l’épaule, est le plus souvent lissée ou traitée au battoir. Les vases de la Haute‐Côte‐Nord,
pour cette période, seraient cependant moins souvent décorés d’impressions dentelées que dans les
régions plus méridionales du Québec. Ils seraient également absents de la partie orientale de la région,
en Basse‐Côte‐Nord. Quelques sites témoignent de l’occupation humaine en Haute‐Côte‐Nord pendant
le Sylvicole moyen tardif, incluant DbEi‐2, mais celle‐ci reste tout de même relativement peu visible en
région (Plourde, 2003 ; 157‑8, 160).
Des changements culturels importants ont lieu lors du Sylvicole supérieur (1 000 – 500 A.A.). Il s’agit
d’une période marquée par l’arrivée de groupes de populations d’origine iroquoienne provenant le plus
probablement des environs de Québec (Plourde, 2003 ; 236). Encore une fois, leur présence sera en
bonne partie reconnue sur la base de leurs productions céramiques. Les formes les plus anciennes,
associées à la tradition Saint‐Maurice (1 000 – 800 A.A.), sont décorées à la cordelette enroulée autour
d’un bâton, les panses sont traitées au battoir cordé alors que le haut des vases est lissé. Les motifs
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décoratifs appliqués au col sont en forme de chevrons ou de traits horizontaux. Les lèvres sont
généralement plates ou épaissies de façon à créer un parement naissant. Les pointes de cette tradition
présentent des formes en triangle isocèle aux bases encochées ou pédonculées (Plourde, 2003 ; 162). La
phase Saguenay du Sylvicole supérieur moyen (800 – 650 A.A.) suit avec une production céramique en
continuité avec la période précédente, mais maintenant caractérisée par un encochement fréquent à
l’angle du col et du parement. Au Sylvicole supérieur récent, les vases sont alors dotés de décors
complexes; leur col est plus étranglé, l’angle du col et du parement est toujours encoché, mais ce dernier
est plus haut, tout comme les crestellations qui prennent aussi de la hauteur. Aux vases s’ajoutent
maintenant pipes, perles et jetons de jeux en céramique. Les outils lithiques sont rares tandis que les
outils en os deviennent de plus en plus fréquents. Pendant tout le Sylvicole supérieur, les groupes
iroquoiens viendront en Haute‐Côte‐Nord pour y exploiter principalement le phoque et le bélouga, mais
aussi le poisson et les mollusques. Il est aussi très possible que ces groupes, présents l’été, aient cohabité
et échangé avec les groupes algonquiens, ancêtres des Innus contemporains (Chapdelaine, 1984 ; 25‑31).
Les sites de cette période sont situés le long du littoral de la Haute‐Côte‐Nord et ils incluent
principalement DbEj‐1, DbEi‐2, et DbEi‐6. Les données historiques permettent également d’attester la
présence de groupes micmacs et malécites dans l’estuaire du Saguenay (Plourde, 1993 ; 22‑3, 2003 ;
347). Les Iroquoiens disparaitront de toute la vallée du Saint‐Laurent entre 1535 et 1608 A.D., soit entre
la visite de Jacques Cartier et l’arrivée de Samuel de Champlain (Plourde, 2003 ; 161‑290).
Les premières incursions européennes le long du Saint‐Laurent se feront plutôt timides avec les
premiers pêcheurs bretons et portugais arrivant dès 1 500 A.D. dans le détroit de Belle‐Isle. Les Basques
arriveront un peu plus tard vers 1 520 A.D. pour pêcher la morue le long de la côte sud du Labrador et de
la côte nord du Saint‐Laurent pendant l’été. Vers 1540‐1550, les premiers baleiniers basques viennent
chasser les mammifères marins en se concentrant principalement dans le détroit de Belle‐Isle et dans les
environs de Tadoussac (Chevrier, 1996a ; 116‑9). Un site (DbEi‐5) témoigne de leur présence à l’anse à la
Cave, près des Bergeronnes. Trois composantes principales en font partie, soit un four en pierre double,
un four en pierre triple et un petit atelier recouvert, à l’origine, de tuiles en terre cuite grossière rouge.
Les artéfacts récoltés sur ce site témoigneraient de deux périodes d’occupation, possiblement entre la fin
du XVIe et le début du XVIIe siècle de même qu’entre le XVIIIe et le XXe siècle (Ruralys, 2008). L’intervalle
possible de l’occupation basque à cet endroit est contesté puisque, pour certains, les baleiniers
utilisaient les lieux entre la fin du XVIe et le début du XVIIe siècle (Plourde, 2003 ; 319), alors que d’autres
croient plutôt à des occupations multiples entre la fin du XVIe et le début du XVIIe siècle, ainsi qu’au
16
XVIIIe siècle (Ruralys, 2008 ; 31). Selon cette même hypothèse, certaines des traces de l’occupation
datant du XVIIIe siècle pourraient être associées à la mission du père Laure, à Bon‐Désir (Ruralys, 2008 ;
31). La carte produite par celui‐ci, en 1731, laisse toutefois croire que la mission et le poste de traite
étaient plutôt localisés un peu à l’intérieur des terres, au fond de l’une des deux baies situées de part et
d’autre du cap de Bon‐Désir (Laure, 1731).
Les pêcheurs et baleiniers se livreront également à des échanges informels avec les groupes
amérindiens qui troqueront fourrures contre couteaux, haches, marmites de cuivre, perles de verre et
vêtements (Chevrier, 1996a ; 119). La culture matérielle amérindienne changera par contre très peu sous
l’influence de ces premiers Européens, alors que la culture matérielle ancienne se mêle aux biens
d’origine européenne. Aucun changement dans leur mode de vie n’est détecté et les sites habités à la fin
de la paléohistoire sont réoccupés (Plourde, 2003 ; 306).
Le lieu le plus utilisé pour échanger avec les Amérindiens sera Tadoussac, et ce, dès les débuts de la
présence européenne (Dufour, 1996 ; 125). Avec la création de la « Traite de Tadoussac », en 1652, ce
poste permettra de contrôler les échanges avec les groupes amérindiens sur un territoire s’étendant de
L’Isle‐aux‐Coudres jusqu’aux environs de la rivière Moisie et de la rive sud du Saint‐Laurent jusqu’aux lacs
se déversant dans le Saguenay (Dufour, 1996 ; 183). En 1653, ce territoire sera cependant amputé par
l’octroi de la seigneurie de La Malbaie et de celle des Millevaches. Cette dernière s’étendra de Sault‐au‐
Mouton à Sault‐au‐Cochon. La seigneurie de Mingan sera créée en 1661 et elle contrôlera le territoire
compris entre l’ile aux Œufs et Mingan‐terre ferme (Dufour, 1996 ; 183‑4). À la Conquête, ces
seigneuries passeront sous le contrôle de la Compagnie de la Baie d’Hudson, alors que la Traite de
Tadoussac restera entre les mains de la Compagnie du Nord‐Ouest. La Compagnie de la Baie d’Hudson en
prendra possession en 1831 et en gardera le contrôle jusqu’en 1859 (Dufour, 1996 ; 185).
De 1652 à 1830, bien que plus intensément pendant le XVIIe siècle (Great Britain. Privy Council.
Judicial Committee, 1926), la Haute‐Côte‐Nord verra la naissance d’une série de postes de traite, incluant
ceux de Bon‐Désir, Sault‐au‐Mouton, Portneuf, Sault‐au‐Cochon et Îlets‐Jérémie (Dufour, 1996 ; 217).
Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, ces postes étaient, en général, composés de deux bâtiments, soit un
magasin, servant aussi de résidence aux quelque trois à cinq occupants, et une chapelle de taille modeste
(Dufour, 1996 ; 198). Au XVIIIe siècle, les postes connaitront une phase d’expansion due à la
diversification de leurs productions, incluant maintenant la chasse aux mammifères marins et la pêche
(Dufour, 1996 ; 202). Le plus grand nombre d’employés requis pour ces nouvelles activités permettra
d’ajouter quelques bâtiments à plusieurs de ces postes (Dufour, 1996 ; 207, 216).
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La création de la Traite de Tadoussac coïncide avec une crise démographique importante chez les
Innus, alors désignés par les Français comme les « Montagnais ». Les épidémies qui se succèderont
mèneront, en effet, à une réduction dramatique de leurs effectifs. De plus, les raids iroquois qui auront
lieu de 1659 à 1667 feront en sorte qu’un nombre réduit d’Amérindiens visiteront le poste. L’action
combinée de ces facteurs, auxquels pourraient s’ajouter d’autres évènements encore non identifiés,
contribuera à diminuer les effectifs des groupes visitant le poste de Tadoussac jusque dans le XVIIIe
siècle (Dufour, 1996 ; 193‑7, 212).
Pendant toute la période du Contact, la culture matérielle des Amérindiens occupants la Haute‐Côte‐
Nord continue d’intégrer des biens d’origine européenne. Les postes offriront ainsi divers objets de
métal (fers de flèches, battes feu, couteaux, hachettes, épées à emmancher, hameçons, tranches, alênes,
marmites) et des articles liés à l’habillement (fil, aiguilles, tissus, couvertures, capots, chemises, bas,
bonnets pour hommes et femmes, manches amovibles, jarretières). De la nourriture sera aussi échangée,
incluant biscuits, farine, maïs, pois, mélasse, prunes, raisins, en plus de miroirs, peignes, bagues, croix de
cuivre jaune, rasades, vermillon, bombardes, tabac et calumets de pierre (Dufour, 1996 ; 204 ; Plourde,
2003 ; 307‑8). Les armes à feu ne seront échangées qu’à partir des années 1670 et n’étaient accessibles,
sous le Régime français, qu’aux Amérindiens christianisés participant aux conflits armés aux côtés des
Français (Chevrier, 1996a ; 127). À partir de ce moment, fusils, pierres à fusil, poudre, balles, plombs et
tire‐bourres seront distribués. L’eau‐de‐vie ne sera pas officiellement considérée comme objet de traite
bien qu’elle fasse l’objet d’un commerce illicite et qu’elle soit souvent donnée aux Amérindiens lors de
festins. Son commerce sera libéralisé avec la Conquête, ce qui causera des ravages importants chez les
Innus (Dufour, 1996 ; 204‑5, 222).
Le mode de vie de certains groupes montre également des signes d’une certaine transformation.
L’usage des armes traditionnelles (arc et flèches) se perdra après la Conquête pour être complètement
remplacée par les fusils et pièges de métal (Dufour, 1996 ; 223 ; McKenzie, 1890 ; 426). Le canot d’écorce
aurait cependant encore été en usage à la fin du XIXe siècle, alors que l’abbé Huard visitait Betsiamites
(Huard, 1897 ; 65). Aussi, le mode vestimentaire s’inspirera de plus en plus de celui des Eurocanadiens
(Dufour, 1996 ; 224). La chasse au phoque et la production d’huile contribueront à retenir certaines
familles aux postes pendant l’hiver. Celles‐ci ne feront alors que de brefs séjours au loin des postes, au
printemps et à l’automne, vivant principalement de leur travail lié à l’exploitation du phoque. On
distinguera alors les Innus de la mer et ceux des terres (Dufour, 1996 ; 210‑1 ; Mailhot, 1996 ; 324‑7).
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Selon la tradition orale, un poste de traite aurait été établi à la pointe Sauvage au XIXe siècle
(figure 1 et annexe B : secteur 2). Un groupe de plus de 50 familles s’y serait même rassemblé pour y
pêcher et y faire le commerce (Speck, 1927 ; 397). Cette information est surprenante, considérant
qu’aucune source écrite ne rapporte un poste de traite à cet endroit. Peut‐être s’agissait‐il d’un poste
indépendant, mais cela demeure peu probable, vu le monopole détenu à cette époque par la Compagnie
de la Baie d’Hudson sur une bonne part du littoral nord du Saint‐Laurent. Peut‐être s’agissait‐il plutôt de
l’établissement de Thomas Simard qui occupa les environs de la rivière Petites Bergeronnes à partir de
1843 et qui se livrait autant à l’agriculture qu’à un commerce illicite avec les Amérindiens, qui s’y
rassemblaient alors en grand nombre (McPherson, 1843).
La plupart des postes de traite seront aussi visités ou habités par des missionnaires venant à la
rencontre des Amérindiens pour les convertir au christianisme. Les premiers seront les Récollets qui se
partageront la Nouvelle‐France en trois zones, à partir de 1615. Le père Dolbeau sera responsable de la
région de Tadoussac et des Innus. Les jésuites prendront la relève à partir de 1625 (Chevrier, 1996a ;
129). À partir de 1640, ils mettront sur pied une stratégie d’évangélisation de longue durée connue
comme les « missions volantes ». Celles‐ci permettront de visiter les Amérindiens aux postes de traite de
toute la côte pendant la saison estivale, alors qu’ils s’y rassemblaient (Dufour, 1996 ; 199‑200). Les
postes de Tadoussac, Chicoutimi, Bon‐Désir, Escoumins et Betsiamites serviront successivement de bases
aux missions volantes et seront occupés, de façon plus ou moins permanente, selon les époques
(Carrière, 1963 ; 28‑9 ; Dufour, 1996 ; 209‑10 ; Tremblay, 1977 ; x). Cette stratégie semble avoir porté
ses fruits, puisqu’au mitan du XVIIe siècle, la majorité des Innus avaient adopté la foi chrétienne (Dufour,
1996 ; 201). Après la Conquête, les jésuites et les Récollets ne pourront plus recruter de nouveaux
membres dans leurs ordres, de sorte que ceux‐ci seront condamnés à s’éteindre. Par la suite, des prêtres
séculiers s’y succèderont jusqu’en 1830 (Dufour, 1996 ; 216‑9) tandis que les prêtres Oblats arriveront
en 1844 et occuperont successivement Grande Baie, Escoumins et Betsiamites (Buies, 1896 ; 24 ; Carrière,
1963 ; Huard, 1897 ; 16, 23 ; Tremblay, 1977). Avec l’ouverture de la région au développement
agroforestier, les Oblats feront de plus en plus de place à de nouveaux représentants de la foi chrétienne
puis aux premiers curés résidents (Buies, 1896 ; 25‑6).
C’est avec l’abolition du monopole de la Compagnie de la Baie d’Hudson, en 1842, que s’ouvriront les
premiers établissements agroforestiers de la Haute‐Côte‐Nord. L’exploitation forestière avait, en fait,
déjà lieu depuis le début du siècle, comme aux Escoumins en 1825, mais, cette fois, l’occupation est
résolument plus permanente et se multiplie à l’échelle du territoire (Perron, 1996; 283). Les principaux
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centres seront Tadoussac, Sacré‐Cœur, Moulin‐à‐Baude, Bergeronnes, Bon‐Désir, Escoumins, Millevaches,
Saint‐Paul‐du‐Nord, Sault‐au‐Mouton, Sault‐au‐Cochon et Portneuf. Ils verront le jour dans les décennies
de 1830 et 1840 (Buies, 1896 ; 25 ; McPherson, 1843 ; 1‑2 ; Perron, 1996 ; 283‑8).
L’envahissement toujours croissant du territoire par les Eurocanadiens constituera une entrave à
l’occupation amérindienne de la Haute‐Côte‐Nord. C’est ainsi que la première réserve, ou réduction, sera
créée par les Oblats à Betsiamites, vers 1885, avec l’appui du gouvernement canadien (Mailhot, 1996 ;
334‑5). Ils y réuniront principalement les familles innues qui fréquentaient Tadoussac, Escoumins et
Portneuf. L’endroit sera surtout occupé l’été, lors des missions, alors que plusieurs tentes d’écorce s’y
dresseront (Buies, 1896 ; 26). La Compagnie de la Baie d’Hudson déménagera également à Betsiamites
en 1859 et fermera ses postes de Tadoussac, Îlets‐Jérémie et Godbout (Mailhot, 1996 ; 335).
Par contre, la majeure partie des Innus visitant Betsiamites ne se convertiront pas encore à la
sédentarité et poursuivront ainsi l’exploitation de l’intérieur des terres de façon saisonnière (Mailhot,
1996 ; 335). Ils continuent de pratiquer la chasse, la pêche et la collecte de végétaux, en alternant entre
la côte et l’intérieur des terres. Du printemps au début de l’automne, la côte y est convoitée pour la
pêche et pour la chasse aux oiseaux migrateurs, principalement aux battures de la rivière Grandes‐
Bergeronnes (Parcoret, 2009 ; 72‑4). Entre les mois d’aout et de mai, les Innus partent vers l’intérieur
des terres où ils vont passer l’hiver en groupes de trois ou quatre familles. Les principales rivières alors
empruntées sont la Sainte‐Marguerite, Escoumins et Portneuf (Parcoret, 2009 ; 74). La quantité de
matériel acquis aux postes de traite semble alors relativement importante. Frank G. Speck rapportait à ce
sujet :
« In ascending they are loaded with 2000 pounds of provisions; comprising 15 pounds of
flour, 200 pounds of pork, 10 pounds of tobacco, 100 pounds of sugar, 100 pounds of grease,
25 pounds of tea, 10 bags (4 pounds each) of salt, 20 boxes of baking powder, 25 boxes of
soap, 12 boxes of 20 gauge cartridges, 4 boxes of 44‐40 cartridges, 300 traps from beaver‐
size down, 2 boxes of candles (about 72 in all), for light during the winter. This load requires
three canoes which Simon and his family have to relay over the portages. » (Speck, 1927 ;
391‑2)
Les cours d’eau constituaient des voies de circulation ancienne, mais l’apparition des premiers
chemins forestiers, puis des chemins de carrioles et « bacagnoles » (voiture d’hiver montée sur deux
patins et tirée par des chevaux) transformeront quelque peu le mode de circulation des Innus sur leurs
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terres pendant le XXe siècle. Les camions et motoneiges seront utilisés sur ces chemins pendant la
deuxième moitié du dernier siècle (Parcoret, 2009 ; 80‑5).
La présence croissante des Eurocanadiens et l’exploitation forestière auraient forcé plusieurs d’entre
eux à accéder aux territoires toujours plus au nord. Vers la fin des années 1930, la chute des prix de la
fourrure aurait forcé plusieurs à s’en remettre au travail salarié. L’ouverture de clubs de chasse privés en
territoire innu rendra l’exploitation du territoire encore plus problématique pour ceux‐ci (Parcoret,
2009 ; 62‑9). Ainsi, l’intensité de l’occupation innue du territoire diminuera pendant tout le XXe siècle,
en lien avec l’augmentation croissante de la présence non autochtone.
3. Méthodologie
L’intervention de deux jours sur le terrain consistait en un ratissage de surface et d’un inventaire par
sondage. Ces travaux ont permis de couvrir un espace approximatif de 99 000 mètres carrés (figure 1),
soit la presque totalité de la ferme Hovington, à l’exception de la moitié nord‐ouest du champ F, de la
partie ouest du champ C et du pourtour des parties nord et ouest du champ A, à proximité de
l’habitation (figure 4). Ces deux interventions visaient à compléter les connaissances générées lors de
l’intervention de Moss et Plourde (1986) lors de laquelle le champ G et la portion est du champ F
n’avaient pas pu être inspectés, puisque déjà en culture. Il était également présumé que les champs déjà
visités livreraient d’autres artéfacts en raison de la reprise des labours, susceptibles de ramener d’autres
artéfacts en surface. Le boisé situé dans la partie sud‐ouest de la ferme, entre les secteurs E et E’ d’une
part et, d’autre part, le secteur I, n’avait pas encore été évalué d’un point de vue archéologique. Le boisé
présentait d’ailleurs un intérêt supérieur en raison de la possibilité d’un impact réduit de l’activité
agricole à cet endroit, laissé en friche.
Le ratissage de surface consistait essentiellement à marcher les champs labourés en espaçant les
bénévoles de deux à quatre mètres. Cette approche permettait de systématiser le ratissage et ainsi nous
assurer qu’aucune surface ne serait manquée. Une simple inspection visuelle de la surface des champs
permettait de détecter la présence d’artéfacts, souvent aussi petits qu’une pièce de dix cents, qui étaient
d’abord marqués par un drapeau rouge planté au sol par le bénévole responsable de la découverte
(Figure 3). Chaque découverte marquée d’un drapeau était ensuite inspectée par l’archéologue qui
retenait ou rejetait la découverte. La position de chaque découverte confirmée était alors enregistrée au
GPS en points individuels ou en concentration. Tous les champs labourés ont pu être inspectés de cette
façon. Les champs non labourés ne permettaient pas de détecter la présence d’artéfacts par simple
inspection visuelle et n’ont donc pas été évalués cette année.
23
Figure 3 : l’équipe de bénévoles au ratissage de surface dans le champ C, concentration 1. Les drapeaux indiquent la position des artéfacts.
L’inventaire par sondage consistait à creuser des trous carrés ayant 30 à 50 centimètres de côtés et
pouvant atteindre 20 à 50 centimètres de profondeur selon les sols en présence. Ces trous étaient
espacés de 10 à 15 mètres, selon le terrain et la densité de la végétation, afin de permettre un
échantillonnage adéquat des surfaces non labourées dans le boisé. L’espacement était réduit à environ
5 mètres autour des sondages positifs (avec artéfacts) afin de bien délimiter les aires positives. Les
sondages positifs, soit ceux dans lesquels des artéfacts furent trouvés, étaient identifiés d’un ruban
orangé attaché à la végétation afin d’en faciliter le repérage. Une étiquette métallique marquée du
numéro du sondage était aussi attachée à l’un des coins, au sol, afin de faciliter leur localisation dans le
futur. La position de chacun des sondages positifs était ensuite enregistrée au GPS (figure 2), méthode
qui fut préférée à un arpentage conventionnel en raison de la vaste étendue des vestiges et de la densité
de la végétation.
24
Toutes les trouvailles étaient localisées à l’aide d’un GPS et furent ensuite localisées sur une carte
superposée au plan de l’inventaire de Moss et Plourde (1986). La division par secteur reprend d’ailleurs
celle de Moss et Plourde afin de faciliter la compréhension des résultats d’un rapport à l’autre. Les
concentrations furent identifiées sur le terrain par un périmètre délimité au GPS et des points individuels,
composant parfois de petites concentrations identifiées au catalogue comme des locus.
Le nettoyage, le catalogage et l’analyse des artéfacts ont été faits dans le laboratoire de la Conférence
régionale des élus de la Côte‐Nord. Ce travail fut réalisé par un archéologue et un assistant pendant une
partie du mois de novembre 2014. La collection des artéfacts a été déposée à la Réserve d’archéologie
du Québec.
26
Figure 4 : plan du site archéologique DaEk‐15 et des découvertes faites en 2015
4. Résultats
Un total de 303 artéfacts a été récolté sur la ferme Hovington, dont la très vaste majorité fut
trouvée dans les champs labourés. Seules deux pièces, soit une balle de plomb calibre (15,6 mm
diamètre) et une pièce de métal, furent découvertes dans deux sondages du boisé. Le ratissage et
l’inventaire par sondage ont permis de recenser une concentration d’artéfacts (concentration 1),
essentiellement d’origine paléohistorique amérindienne, à la limite nord‐est de l’aire, ainsi que plusieurs
autres artéfacts dispersés à divers endroits de la ferme. Un ensemble de découvertes, localisé au champ
C, fut enregistré comme des pièces isolées, mais constitue en fait une autre concentration d’artéfacts
(concentration 2) dans laquelle se retrouvent des pièces d’origine amérindienne paléohistorique et
eurocanadienne. Ces dernières datant le plus probablement du 19e siècle. La description des vestiges qui
suit est organisée en fonction des divisions spatiales de la carte de la figure 4. Le tableau 1 synthétise la
collection 2014 par classe d’artéfact et par aire.
Champ A
Le champ A est l’espace labouré aux alentours du chemin menant vers la maison de la ferme.
C’est à cet endroit que Moss et Plourde ont recensé la plus grande concentration d’artéfacts de ce site
archéologique. Les découvertes de cette année incluent trois éclats de débitage lithique (grès et quartz),
ainsi qu’un fragment de contenant de verre vert foncé opaque et un tesson de terre cuite fine.
Champs B
Le champ B se trouve immédiatement à l’ouest du champ A sur un replat surélevé en marge de la
route. Un fragment de contenant en terre cuite commune y a été trouvé.
Champ C
Le champ C constitue un bras de terre labourée coincé entre la route et les collines à l’extrémité
ouest de la ferme. Seule la moitié est du champ fut visité cette année faute de temps. Une concentration
d’artéfacts (concentration 2) paléohistoriques amérindiens et eurocanadiens y a été recensée. Le terrain
présente une topographie divisée en deux paliers bien définis comportant du matériel en quantité égale
indépendamment de la hauteur. Une des personnes responsables de l’aménagement de ce champ fut
28
rencontrée par hasard à Tadoussac et nous a expliqué que ces paliers seraient des aménagements très
récents.
Les artéfacts recensés dans le champ C incluent, pour la partie eurocanadienne, 53 tessons de terre
cuite fine (incluant des terres cuites fines jaunes au décor de type mocha et des terres cuites fines
blanches dont certaines au décor de type Willow), huit de terre cuite commune et 11 de grès cérame
grossier (façon Derbyshire et type nord‐américain). On compte également huit fragments de pipes faits
de terre cuite fine argileuse blanche dont une présente un fourneau décoré de traits parallèles en relief
et un fragment de tige montre les inscriptions « […] & D » et « […] BEC » sur des faces opposées. À cela
s’ajoute 29 tessons de verre desquels on compte des fragments de bouteille à gin, dame‐jeanne et
cylindrique vert foncé, un contenant de verre violet, une bouteille de produit médicinal en verre clair et
un contenant octogonal en verre bleuté. Un fermoir décoré (Figure 5), vraisemblablement fait d’étain, et
un fragment d’une pièce ferreuse indéterminée composent également cette partie de la collection du
champ C.
Figure 5 : fermoir décoré en étain trouvé au champ C (cat. no. DaEk‐15.2014.33)
29
Pour la partie amérindienne paléohistorique, on compte 18 éclats de débitage lithique (par ordre
d’importance : quartz laiteux fin, grès, quartzite de Mistassini, quartz hyalin, rhyolite). Les outils en pierre
taillée incluent un éclat retouché de quartzite gris et trois nucléi de quartz, dont un de quartz laiteux fin.
Les outils polis et bouchardés comptent un préforme de hachette ou de gouge (sans cannelure)
bouchardé fait dans un matériau indéterminé (Figure 6), ainsi qu’un fragment poli à trois faces et
façonné en pointe. À cela s’ajoutent deux manuports, dont un de forte taille, fait de métaquartzite et
présentant des traces d’usures sur deux faces opposées (Figure 7), un polissoir en grès, ainsi qu’un galet
de matériau indéterminé.
Un fragment d’os frais et un fragment d’os blanchi composent également cette partie de la collection.
Figure 6 : préforme d’outil en pierre bouchardé (DaEk‐15.2014.35)
30
Figure 7 : manuport de forte taille en métaquartzite et présentant des traces d’abrasion sur deux faces opposées (DaEk‐15.2014.110)
Champ D
Le champ D se trouve au sud de la route, à la limite ouest de la ferme et au nord du boisé qui fut
sondé cette année. Il s’agit d’une petite aire où trois pièces de débitage lithique ont été récoltées (quartz
hyalin, quartz laiteux fin et quartzite de Mistassini).
Champ E
Le champ E se trouve immédiatement à l’est du Champ D, au nord du boisé et au sud de la route.
Aucun artéfact n’y a été recensé.
Champ E’
Le champ E’ est voisin du champ E, au sud de la route et au nord du boisé. Un chemin de terre longe
sa partie est et donne accès à la partie sud de la ferme. Un éclat de quartz, trois éclats de quartzite et un
nucléus de quartz y ont été prélevés.
31
Champ F
Le champ F se trouve au sud de la route et est bordé par un chemin de terre sur son côté ouest qui
mène vers la partie sud de la ferme. Moss et Plourde ont visité la moitié nord où plusieurs artéfacts
étaient présents lors de leur visite. Seule la moitié sud du champ était labourée lors de notre passage.
Les artéfacts recensés pour cette aire n’ont malheureusement pas été catalogués avec leur provenance.
Les pièces sans provenance au catalogue pourraient donc provenir de ce champ.
Champs F’
Le champ F’ est à la limite est de la ferme Hovington, au sud de la route. Sept fragments de terre cuite
fine blanche, un fragment de brique en terre cuite commune rouge et une cuillère faite d’un matériau
cuivreux plaqué argent s’y trouvaient. Cette dernière pièce serait très récente et provient de l’Hôtel
Tadoussac. Six éclats de quartz, un de quartzite de Mistassini, un de quartzite et un d’argilite ainsi qu’un
nucléus de quartzite ont également été récoltés dans ce champ.
Champ G
Le champ G est au coin nord‐est de la ferme, coincé entre les collines boisées de Tadoussac et le
chemin du Moulin‐à‐Baude. On y constate un étalement important de vestiges sur toute sa surface.
Les pièces eurocanadiennes incluent 19 tessons de terre cuite fine, une terre cuite commune
vernissée sur un côté, deux grès dont un de type Derbyshire et cinq fragments de pipe en terre cuite fine
argileuse blanche dont une tige présente un décor composé de traits en relief.
La plus grande partie des artéfacts d’origine amérindienne paléohistorique se retrouvent à la
concentration 1, à la limite nord du champ labouré. Cette concentration permet d’espérer que des
lambeaux de sol en place puissent être encore présents sous le labour et au nord, dans le verger qui
borde le champ. Il s’agit d’ailleurs d’un terrain en pente relativement plus forte que le champ,
possiblement moins propice au labourage que le reste de la ferme. On y compte 64 pièces de débitage
lithique, incluant 46 éclats de quartz, 12 éclats de grès, deux éclats d’argilite, ainsi qu’une pièce de
quartzite et trois éclats de matériaux indéterminés. Pour ce qui est des outils en pierre taillée, on
retrouve un éclat utilisé en quartz, un éclat retouché en quartz, trois nucléi de quartz, une pièce esquillée
en quartz laiteux fin, un préforme d’outil bifacial de quartz à la pointe cassée (Figure 8) et un biface de
quartzite de Mistassini (Figure 9). Une extrémité d’outil poli en pointe et façonné sur trois faces (Figure
10), très similaire à la pièce du champ C et faite d’un matériau indéterminé, un manuport de rhyolite
32
verte et un manuport d’un matériau indéterminé composent le reste de la collection amérindienne
paléohistorique du champ G.
Deux fragments d’os blanchis et 14 fragments d’os frais ont aussi été trouvés dans ce champ. Les os
frais seraient sans doute liés à l’activité agricole qui y a eu lieu par le passé.
Figure 8 : préforme d’outil bifacial en quartz (DaEk‐15.2014.30) Figure 9 : biface en quartzite de Mistassini (DaEk‐15.2014.31)
33
Figure 10 : extrémité d’outil poli en pointe et façonné sur trois faces (DaEk‐15.2014.38)
Champ H
Le champ H est situé à la pointe sud de la ferme et, à l’époque de la visite des archéologues Moss et
Plourde, avait livré plusieurs petits locus d’artéfacts. Seuls deux éclats de grès, un de quartz hyalin et un
autre éclat d’un matériau indéterminé ont été récoltés cette année.
Champ I
Le champ I est localisé au sud du boisé, le long d’un chemin de terre menant vers le chemin du
Moulin‐à‐Baude. Quelques pièces y ont été récoltées, mais sans noter leur provenance. Certaines des
pièces sans provenance au catalogue proviendraient de cet espace.
34
Boisé
L’aire boisée enclavée entre les champs E, E’ et I, testée par le creusement de sondages, a permis de
récolter deux artéfacts en deux sondages distincts. Le premier est une pièce de métal forgée et le second
est une balle de plomb. Ces pièces ont été trouvées respectivement dans les sondages 1 et 2, à l’est et au
nord du boisé, dans la couche de sol labouré.
Artéfacts sans provenance
Les artéfacts sans provenance sont des pièces pour lesquelles la localisation n’a pas été enregistrée
sur le terrain. On compte deux éclats de quartz laiteux fin, un éclat retouché en quartz laiteux fin, un
nucléus de quartz et un fragment d’outil poli en grès.
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TABLEAU 1 : SYNTHÈSE DE LA COLLECTION 2014, DIVISÉE PAR CLASSE D'ARTÉFACTS ET PAR AIRE, SITE DAEK‐15
Type d'artéfact Aire A B C D E E' F F' G H I Boisé Ind. Total Nombre %
Européen Terre cuite (fine) 1 53 7 19 80 26,40Terre cuite (commune) 1 8 1 1 11 3,63Terre cuite (grès cérame) 11 2 13 4,29Terre cuite (argileuse, pipe) 8 5 13 4,29Contenant de verre 1 29 30 9,90Fermoir 1 1 0,33Ustensile 1 1 0,33Clou 1 1 0,33Balle de plomb 1 1 0,33Indéterminé 1 1 0,33
Lithique 0 0,00Éclat 3 18 3 4 9 64 4 2 107 35,31Éclat utilisé 1 1 0,33Éclat retouché 1 1 1 3 0,99Préforme 1 1 0,33Biface 1 1 0,33Pièce esquillée 1 1 0,33Outil bouchardé 1 1 2 0,66Polissoir 1 1 0,33Outil poli 1 1 2 0,66Manuport 2 2 4 1,32Nucléus 3 1 1 3 1 9 2,97Indéterminé 1 1 0,33
Écofact 0 0,00Os blanchis 1 2 3 0,99Os frais 1 14 15 4,95Total 5 1 141 3 0 5 0 19 118 4 0 2 5 303 100,00
36
37
5. Interprétations
À partir des données brutes, présentées à la section précédente de ce rapport, plusieurs
interprétations peuvent être faites et permettront de mieux comprendre l’histoire de l’occupation
humaine à la ferme Hovington (DaEk‐15), qu’elle soit paléohistorique amérindienne ou eurocanadienne.
Trois principaux points de discussion ressortent des résultats, soit 1) la distribution des vestiges, 2)
l’occupation eurocanadienne et 3) l’occupation paléohistorique amérindienne.
5.1. La distribution des vestiges
Il faut d’abord mentionner que l’activité agricole a contribué à un bouleversement important de la
distribution verticale et horizontale des vestiges. Ainsi, la plupart des artéfacts recensés en 2014 auraient
été traînés et dispersés, en plus d’avoir été ramenés à la surface par le labourage. Les concentrations
identifiées à la figure 4 pourraient tout de même indiquer la provenance d’une grande partie des
artéfacts, avant les perturbations causées par l’activité agricole. Il est aussi permis de supposer que des
lambeaux de sol en place pourraient être un jour identifiés dans les aires de concentrations, sous le
labour, et que ces portions du site archéologique contiendraient des vestiges structuraux. La
concentration 1, au nord du champ G, exclusivement composé de vestiges paléohistoriques amérindiens,
semble particulièrement prometteuse à ce sujet. Le verger qui borde la partie nord du labour pourrait
également avoir été épargné par le labourage, en raison d’une topographie moins propice pour
l’agriculture. La seconde concentration, au champ C, suggère plutôt la présence d’au moins deux
occupations distincte, paléohistorique et historique. Le boisé à la limite nord de cette concentration
pourrait être moins affecté par le labourage. La concentration identifiée par Moss et Plourde au champ A
devrait aussi être testée afin de vérifier s’il y a des lambeaux de sol en place. D’autres parties de la ferme
pourraient également être intéressants, comme la moitié nord du champ F et le champ H, où Moss et
Plourde y ont recensé plusieurs petits locus. Sonder ces espaces permettrait de vérifier la présence
d’aires d’occupation paléohistoriques amérindiennes et eurocanadiennes et l’existence de portions
intactes des sols contenant des vestiges.
38
5.2. L’occupation eurocanadienne
La découverte d’artéfacts associables à une occupation eurocanadienne ancienne à la ferme
Hovington n’est pas sans importance. En effet, aucun indice d’une telle occupation n’était rapporté par
Moss et Plourde en 1986. Les espaces ayant livré de telles traces n’étaient pas labourés lors de leur visite.
De plus, ces vestiges pourraient bien être les témoins de l’arrivée des premiers colons au hameau du
Moulin Baude. Les vestiges découverts sont concentrés principalement au champ C et limités à la moitié
nord de la ferme. Il faut cependant remarquer que plusieurs des artéfacts trouvés au champ F’ seraient
relativement récents. Cet espace aurait servi de terrain de camping pendant plusieurs étés par le passé.
Les artéfacts combinés aux sources historiques consultées permettent de préciser le contexte
chronologique et historique de cette occupation.
Le tableau 2 réunit les pièces portant des caractéristiques les plus utiles pour dater les vestiges
associés à l’occupation eurocanadienne. On y note que l’artéfact pouvant être le plus ancien est un
tesson de terre cuite fine jaune au décor de type mocha, populaire à partir des années 1760. Les
artéfacts les plus récents sont les contenants de grès cérame, mais aussi les terres cuites fines blanches,
encore en usage de nos jours. À partir de ces données, il est possible de suggérer que l’occupation
eurocanadienne n’a pu débuter qu’à partir de 1740 (terminus post quem) et qu’elle a pu se poursuivre
jusqu’au XXe siècle. La plus grande partie de ces marqueurs chronologiques serait cependant associée au
XIXe siècle, suggérant ainsi que l’occupation aurait principalement eu lieu au XIXe siècle.
Les sources historiques consultées, provenant des archives de la Compagnie de la Baie d’Hudson, des
archives de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec et du rapport de Danny Desbiens (1992) sur
l’histoire du Moulin Baude, permettent de préciser le cadre historique de l’occupation eurocanadienne à
la ferme Hovington dans le contexte de la colonisation du hameau du Moulin Baude, englobant la ferme.
Il faut d’abord rappeler que l’occupation eurocanadienne de la Haute‐Côte‐Nord s’est développée en
lien avec l’exploitation forestière, débutant dès 1825 (Perron, 1996; 283). À l’Anse‐à‐l’Eau, un petit
hameau bordant le poste de traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson sur son nord‐ouest, William
Price ouvrira un premier moulin en 1839, en association avec la Société des vingt‐et‐un, principal
responsable du développement et de l’exploitation forestière au Saguenay. La Compagnie de la Baie
d’Hudson avait pourtant été réticente à l’arrivée de Price, mais son association à la Société des vingt‐et‐
un lui aurait permis de tout de même obtenir une licence de coupe de bois pour ce secteur (Desbiens,
1992 ; 17‑19). À partir de ce moment, la famille Price jouera un rôle considérable dans le développement
39
économique des environs de Tadoussac et dans le déclin du poste de traite à cet endroit. La Compagnie
de la Baie d’Hudson, pourtant toute puissante à cette époque, ne pourra résister aux Price.
TABLEAU 2 : SYNTHÈSE DES DONNÉES CHRONOLOGIQUES DISPONIBLES POUR LES ARTÉFACTS LIÉS À L’OCCUPATION EUROCANADIENNE
Items Provenance Chronologie
Tige de pipe avec inscription « […] BEC » et « […] & D » de part et d’autre de la tige
Champ C Entre 1840 et 1891. Le nom du fabriquant et de la ville d’origine sont fréquemment inscrits après 1840.
Fourneaux de pipes décorées de cannelures
Champs G et C Commun après 1891.
Divers contenants de verre vert foncé soufflé‐moulé
Champs A et C Très fréquents au XIXe siècle. Les bouteilles à gin carrées apparaissent au XIXe siècle.
Contenants de grès cérame type nord‐américain
Champ C Produits à partir de 1840 et jusqu’au début du XXe siècle
Contenants de grès cérame façon Derbyshire
Champs G et C Produits surtout pendant les trois premiers quarts du XIXe siècle
Contenant de terre cuite fine jaune, décor de type mocha
Champ C Populaires circa 1760 et pendant tout le XIXe siècle
Contenants de terre cuite fine blanche au décor willow
Champ C Ce type de décor apparaît fin XVIII – début XIXe siècle
Terre cuite fine blanche de type shell‐edged pearlware
Champ C Circa 1780 ‐ 1840
Avec les empiètements répétés de ces nouveaux venus sur le territoire, les terres de la Compagnie de
la Baie d’Hudson seront officiellement constituées en « Réserve de Tadoussac » en 1847 (Elgin, 1847 ;
Gladman, 1851b). Cette réserve englobera 57 acres à l’ouest ainsi que 113 ou 163 acres du côté est de la
baie de Tadoussac. Le centre de la baie ne faisait apparemment pas partie de la licence d’occupation de
la Compagnie de la Baie d’Hudson (Gladman, 1849, 1851 b). Un arpentage y sera alors réalisé par Jules
Tremblay pour le compte de cette même compagnie la même année. Celui‐ci laissera également un
rapport décrivant ses travaux, les bâtiments du poste de traite, ainsi que des informations précieuses par
rapport aux relations difficiles entre la Compagnie de la Baie d’Hudson, William Price et ses employés
travaillant dans le secteur. Il dira que
« […] les employés de mr. Charles Pentland, agent de William Price Escuyer, sont après
coupés [sic] du bois dans les limites du terrain déjà mesuré pour les Postes du Roi, à l’Est des
Réserves et cela près du Jardin des Jésuites, de plus qu’ils ont faite un chemin pour aller au
Fleuve et vers le dit Jardin […] et nous avons trouvé plusieurs employés de monsieur Charles
Pentland, agent de William Price Escuyer, après faire une petite bâtisse sur le terrain déjà
mesuré pour les Postes du Roi et cela près du Jardin des Jésuites, les dits employés ont
40
malgré la défense de Geo [illisible] Barnston Escuyer toujours continué à travailler à la dite
bâtisse. » (Tremblay, 1847 ; 171).
Le rapport de George Gladman (1851a) et lié aux travaux de Tremblay, montre aussi que les hommes
de Price s’étaient établis très près des terres réservées. Il remarquait également qu’un chemin et une
maison de l’Anse‐à‐l’Eau empiétaient sur la réserve de Tadoussac (Gladman, 1847 ; 172). Le gérant du
poste de la Compagnie avait d’ailleurs protesté de ce fait auprès de Pentland, mais sans succès
(Compagnie de la Baie d’Hudson, 1846). En somme, la présence des hommes, de bâtiments et
l’empiètement important sur les terres réservées par les Price explique probablement le fait que
Gladman ait ordonné l’érection d’une clôture le long de la limite nord des terres de la Compagnie de la
Baie d’Hudson (Gladman, 1851a). Malgré tout, la carte cadastrale de Duberger montre qu’en 1876, les
terres réservées à la Compagnie de la Baie d’Hudson avaient encore rétréci et que toute la baie de
Tadoussac faisait alors partie du village de Tadoussac. La Compagnie ne contrôlait plus qu’un bloc de
terre à l’est de la baie, partant de Pointe Rouge et s’arrêtant un peu avant la pointe aux Vaches, sur une
profondeur d’à peine quelques centaines de mètres, au sud du chemin du Moulin‐à‐Baude (Duberger,
1876).
Après quelques années d’activité, la forêt de pins blancs qu’exploitait Price sera épuisée autour de
l’Anse‐à‐l’Eau, forçant l’arrêt des activités du moulin à cet endroit. C’est alors que plusieurs des employés
de Price, vivant à l’Anse‐à‐l’Eau, se déplaceront vers le Moulin Baude. Un rapport de McPherson (1843),
portant sur les établissements forestiers et les moulins à scie des Postes du Roi, mentionne que Thomas
Simard, un des actionnaires de la Société des vingt‐et‐un, détenait en 1841 des droits de coupe pour
quelque 4 000 pièces de bois au Moulin Baude, mais qu’il n’occupait pas encore ces terres. On y apprend
également que Simard était en fait basé aux Petites Bergeronnes, où il détenait une autre licence pour
4 000 pièces de bois et la production de 4 000 paquets de foin. Il rapporte aussi que l’endroit était alors
le principal lieu de rassemblement des Amérindiens du secteur pendant l’été et l’automne. McPherson
suspectait que Simard n’était en fait pas intéressé par l’exploitation forestière du Moulin Baude et des
Petites Bergeronnes. Il aurait plutôt tiré profit de la culture du foin et d’un commerce clandestin avec les
Amérindiens visitant cet endroit. L’activité forestière lui aurait servi de façade pour ses activités illicites
(McPherson, 1843 ; 2). Il aurait ainsi fait compétition illégalement à la Compagnie de la Baie d’Hudson.
Cette dernière faisait donc face à une pression double, soit celle de l’invasion de ses terres et d’une
compétition illégale menaçant son monopole commercial.
41
Ce n’est seulement qu’en 1845 que Simard construisit un premier moulin sur la rive ouest de la rivière
du Moulin‐à‐Baude. Avec la fermeture officielle de la scierie de l’Anse‐à‐l’Eau en 1848, trois familles à
l’emploi de William Price s’établiront au Moulin Baude pour y cultiver la terre et, possiblement, travailler
au moulin de Simard. Ce dernier passera aux mains de la famille Price en 1849 et l’activité y prendra de
l’expansion à partir de ce moment. En 1851, lors du premier recensement de Tadoussac, 13 familles
étaient établies au Moulin Baude. Les registres de la Compagnie Price permettent d’établir que
l’agriculture y était pratiquée à partir de l’été 1852. Au même moment, George Duberger arpentera le
Moulin Baude. Sa carte montre que 20 propriétaires possédaient des lots le long du 1er rang du Moulin
Baude, incluant William Hovington (Figure 11). Celui‐ci était un cultivateur, alors âgé de 44 ans et marié à
Léocadie, 43 ans. Selon les registres des Postes du Roi, ceux‐ci auraient scellé leur union en 1848. Le
couple avait sept enfants, soit Malcolm, Alec, Henrique, Appolline, Germaine, Julie et Marie. Le couple
pratiquait également la pêche aux Rochers du Saguenay, à l’extrémité ouest de la plage du Moulin Baude,
avant d’être agriculteurs. La carte cadastrale de Duberger (1876) montre d’ailleurs deux stations de
pêche à l’ouest de l’anse du Moulin‐à‐Baude qui étaient possiblement celles des Hovington. La terre
associée aux Hovington correspond à la position de la ferme Hovington d’aujourd’hui (Desbiens, 1992 ;
19‑39).
Tout porte à croire que les vestiges archéologiques de l’occupation eurocanadienne de la ferme sont
associés à la famille Hovington et que la fondation de cette ferme est étroitement liée aux évènements
précédemment décrits qui mèneront à la création du hameau du Moulin Baude et à la marginalisation
croissante de la Compagnie de la Baie d’Hudson à Tadoussac, poste qu’elle contrôlait pourtant depuis
1831 (Dufour, 1996 ; 185). Bien que la présence des Hovington au Moulin Baude soit indiscutable à partir
de 1851, grâce à l’arpentage de Duberger, il n’est pas impossible qu’ils s’y soient établis quelques années
avant, dès 1848, alors que les premières familles fondent le petit hameau. Les témoins matériels trouvés
sur la ferme attestent de cette présence ancienne.
Malgré toutes les données archéologiques et historiques, l’historien Danny Desbiens estime que la
ferme Hovington ait été construite vers 1900 – 1910. Cette estimation ne concorde pas avec les données
présentées puisque la collection archéologique pointe plutôt vers une occupation au XIXe siècle et que
les sources historiques laissent croire que la ferme ait pu être fondée dès 1848. Les bâtiments de la
ferme décrits par l’historien pourraient donc être beaucoup plus anciens que 1900, ou alors peut‐être
fait‐il référence à une seconde génération de bâtiments? Selon les informations disponibles, cinq
42
bâtiments ont été érigés sur les 244 âcres de la ferme, incluant une maison, une grange, une porcherie,
un poulailler et une glacière. L’historien ajoute :
« La grange des Hovington abritait des moutons, des vaches, des bœufs et des chevaux.
La porcherie comptait une centaine de cochons et le poulailler comptait environ 300 poules.
Les Hovington cultivaient des légumes avec lesquels ils approvisionnaient les villageois de
Tadoussac. Ils approvisionnaient également le boucher de Sacré‐Cœur. Finalement, les
Hovington possédaient une pêche à saumons au Jardin des Jésuites et aux Rochers du
Saguenay. » (Desbiens, 1992 ; 40)
Les données fournies par l’historien sont importantes puisqu’elles pourraient nous aider à mieux
comprendre la nature des vestiges archéologiques en présence. Les artéfacts eurocanadiens de la
concentration 2, au champ C, suggèrent la position de l’un de ces bâtiments. Les types d’objets
reconnaissables par les fragments sont essentiellement de nature domestique, incluant surtout de la
vaisselle, ainsi que des contenants servant à l’entreposage de nourriture et de boissons alcoolisées, en
plus de quelques bouteilles de produits médicinaux, fragments de pipes à fumer et d’un fermoir en étain.
Ces vestiges pourraient indiquer la présence de l’un des bâtiments décrits par Desbiens, le plus
probablement une habitation ou une glacière. La première est cependant encore visible aujourd’hui au
centre de la ferme, au nord du champ A. En raison de la distance de la concentration d’artéfacts, on peut
remettre en question qu’elle soit associée à cette habitation. De plus, aucun fragment de verre à vitre n’a
été trouvé dans le secteur, artéfacts pourtant fréquents lorsqu’en présence d’habitations anciennes.
Pour ce qui est de la glacière, ce type d’ouvrage servait à l’entreposage de glace ou de neige pendant
l’été, permettait de conserver des aliments au frais et servait également à soulager des maux communs.
Dans les établissements du début du XIXe siècle, situés le long du Saint‐Laurent, ce type de bâtiment
était souvent érigé à proximité des habitations, à moins qu’on n’ait préféré les construire à proximité des
sources de glace ou les regrouper avec d’autres dépendances. Les glacières observées pendant la période,
le long du Saint‐Laurent, étaient le plus souvent très simples, soit un trou dans le sol qu’on remplissait de
glace ou de neige. Des ouvrages de soutènement, en bois, pierre ou brique, étaient parfois ajoutés
lorsque les sols étaient meubles ou instables (Élie, 1990 ; 33‑34). La présence d’un tel ouvrage à
proximité de la concentration d’artéfacts est donc possible et pourrait éventuellement être vérifiée par
la réalisation de sondages dans les environs. Cette interprétation est cependant préliminaire et il ne
faudrait pas écarter que la concentration puisse aussi être une aire de rejet ou qu’elle soit liée à un autre
type d’utilisation des lieux.
43
Figure 11 : carte cadastrale de Tadoussac et Moulin Baude, réalisée par George Duberger en 1876 (tiré de Desbiens, 1992)
44
5.3. L’occupation paléohistorique amérindienne
L’intervention de 2014 sur ce site a également permis de récolter un ensemble d’artéfacts associés à
une occupation paléohistorique amérindienne ayant précédé les Hovington de plusieurs millénaires.
Selon les types d’outils lithiques en présence, il est possible d’identifier certaines activités auxquelles
ces premiers occupants se seraient livrés sur le site. La plus visible est certainement le travail de la pierre
en raison du nombre de nucléi récoltés (n=9), dont un de quartzite gris, quatre de quartz et quatre de
quartz laiteux fin. Un biface en quartzite de Mistassini et un préforme bifacial en quartz suggèrent des
étapes intermédiaires de façonnage. Trois éclats retouchés (quartzite, quartz, quartz laiteux) et un éclat
utilisé (quartz) auraient également pu être fabriqués sur place et servir à des fonctions de découpe
diverses. Le façonnage par bouchardage et polissage a également été pratiqué sur le site, tel que suggéré
par deux préformes d’outils bouchardés en matières indéterminées. La présence d’un polissoir en grès,
une pierre relativement tendre, aurait pu servir à entretenir les tranchants d’outils polis et au polissage
d’outils en os.
En fonction de l’abondance de certaines matières lithiques et de l’économie des matières opérée par
les tailleurs, il est également possible d’inférer la distance approximative des points d’extraction de ces
matières. À la figure 12, on peut voir que les matières les plus fréquentes dans la collection sont le quartz
(n=58), le grès (n=21) et le quartz laiteux (n=18). Ensemble, ces trois matières comptent pour plus de
70 % de toute la collection lithique. Fait à noter, la collection récoltée sur le site par Moss et Plourde en
1985 présente des proportions comparables par matière première, où le grès pourrait avoir été regroupé
avec le siltstone (Moss et Plourde, 1986 ; 33). Leur abondance suggère que les occupants du site avaient
un accès relativement régulier aux points d’acquisition de ces matières premières et qu’il s’agirait de
matières accessibles localement ou à faible distance du site. Fait à noter, le quartz laiteux pourrait
correspondre à ce que l’archéologue Michel Plourde (comm. pers., 2015) appelle le quartzite de
Tadoussac. Des artéfacts de cette matière ont d’ailleurs été trouvés à l’été 2015, à l’intérieur des terres,
aux environs du lac Pilote et du lac des Cœurs, en Haute‐Côte‐Nord (Archéo‐Mamu Côte‐Nord, rapport
en préparation). Pour ce qui est des autres pierres, seule la provenance du quartzite de Mistassini est
connue, la source étant localisée dans les environs du lac Témiscamie, à quelque 215 km au nord‐est de
Chibougamau et 380 km au nord de Tadoussac, à vol d’oiseau. La distance de cette matière impliquerait
45
que les occupants du site se soient déplacés jusqu’à la source ou qu’ils aient entretenu des liens
commerciaux avec des groupes autochtones septentrionaux.
Figure 12 : matières lithiques récoltées en 2014 par ordre d'importance ‐ site DaEk‐15
En comptant la concentration d’artéfacts paléohistoriques amérindiens identifiée par Moss et Plourde
en 1985, on compte maintenant trois de ces concentrations, soit la concentration 1, localisée au champ
G, la concentration 2, localisée au champ C et celle de Moss et Plourde, localisée au champ A. Toutes
trois semblent stratégiquement disposées au pied des collines de Tadoussac, à l’abri des grands vents, à
quel que 600 mètres du littoral Saint‐Laurent et à une élévation approximative de 65 mètres. À ces
concentrations s’ajoutent les nombreux locus répertoriés par Moss et Plourde aux champs F et H. Ces
concentrations pourraient indiquer la position des espaces occupés à l’origine par les groupes
amérindiens de la paléohistoire. La taille de ces aires serait suggestive de petits groupes d’occupants
visitant ces espaces à une ou plusieurs reprises.
Quartz;58
Grès;21
Quartzlaiteux;18
Indéterminé;10
Quartzhyalin;9
QuartzitedeMistassini;6
Quartzite;5
Argilite;3 Rhyolite;2Métaquartzite;1
Quartz
Grès
Quartzlaiteux
Indéterminé
Quartzhyalin
QuartzitedeMistassini
Quartzite
Argilite
Rhyolite
Métaquartzite
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Comme les artéfacts ont tous été récoltés dans les labours, aucune position stratigraphique ni aucun
vestige structural, telle une aire de combustion, n’ont été identifiés en association avec les pièces. De
plus, aucun type d’artéfact diagnostique d’une période précise de la paléohistoire n’a été récolté. Les
possibilités de datation pour les aires de concentration s’avèrent donc très limitées. Les données
paléoenvironnementales disponibles suggèrent que la terrasse de 65 mètres aurait été libre de glaces et
colonisée par une toundra arbustive dès 9 000 A.A. (Dyke, 2005 ; 230, 232). L’occupation humaine sur le
site de la ferme Hovington serait donc possible dès cette période. Cependant, la présence de quartzite de
Mistassini dans les collections suggèrerait un âge relativement plus récent. En effet, les terres aux
environs du lac Témiscamie se seraient libérées des glaces entre 8 400 et 6 000 A.A. (Richard et Grondin,
2009 ; 3‑6). Le quartzite de Mistassini n’a donc pu être accessible aux groupes humains qu’à partir de
cette période. Il est donc beaucoup plus probable que l’occupation paléohistorique du site de la ferme
Hovington ait eu lieu pendant cet intervalle ou après.
47
6. Conclusion et recommandations
L’intervention archéologique menée au site archéologique de la ferme Hovington (DaEk‐15) a livré un
ensemble de données importantes, en lien avec l’occupation paléohistorique amérindienne et une
occupation eurocanadienne du XIXe siècle. Il faut d’abord comprendre que l’activité agricole est
responsable de dommages importants sur le site archéologique, puisque le labourage a pu trainer les
artéfacts sur plusieurs centaines de mètres. Ce travail de la terre a également ramené quantité
d’artéfacts à la surface, les délogeant ainsi de leur contexte stratigraphique original. Les 303 artéfacts
récoltés cette année étaient d’ailleurs tous à la surface du sol, exception faite de deux pièces trouvées
lors du sondage du boisé. Une part importante de la collection témoigne d’occupations amérindiennes
pouvant dater d’aussi loin que 9 000 A.A. Ces occupations ont eu lieu sur la terrasse de 65 mètres, aux
environs des trois concentrations d’artéfacts recensées au nord du chemin du Moulin‐à‐Baude, dans les
champs A, C et G. Ces espaces ont pu être occupés simultanément ou en successions par de petits
groupes familiaux qui venaient sans doute à cet endroit pour profiter des ressources abondantes du
littoral. L’occupation eurocanadienne est pour sa part liée aux Hovington, une des premières familles à
s’établir au Moulin Baude entre 1848 et 1851. Les artéfacts liés à ces occupations, récoltés
principalement à l’ouest de la ferme, dans la concentration du champ C, datent d’ailleurs principalement
du XIXe siècle. Ces pièces sont surtout des contenants de verre et de céramique servant à la
consommation et l’entreposage de boissons et de nourriture. En fonction des données historiques
fournies par l’historien Danny Desbiens, il est possible que ces artéfacts soient associés à une glacière
que les Hovington utilisaient pour conserver les produits de leur ferme.
Les résultats de cette intervention ne sont donc pas sans importance puisqu’ils documentent une
longue histoire de l’occupation humaine des lieux, remontant aux premiers occupants autochtones, ainsi
qu’aux premiers occupants eurocanadiens, venus cultiver la terre et participer à l’essor industriel de la
Côte‐Nord. Les vestiges récoltés témoignent de cette riche histoire.
Bien que l’intégrité du site soit grandement affectée par le labourage, plusieurs recommandations
s’imposent afin protéger certaines portions du site qui pourraient tout de même être intactes, soit à la
marge de la ferme ou sous le labour. La gestion préventive des lieux pourrait, à terme, permettre de
générer une collection et des connaissances uniques sur l’arrivée des premiers autochtones, ainsi que
48
des premiers colons eurocanadiens en Côte‐Nord. Ces données sont d’une importance historique
considérable et serviront autant à la recherche qu’à une mise en valeur éventuelle.
Compte tenu du très faible nombre d’artéfacts récoltés dans la partie boisée et des perturbations
causées par l’activité agricole, nous ne recommandons aucune restriction quant au creusement du bassin
d’irrigation dans le boisé. Toutefois, en conséquence de l’importance du site archéologique, quelques
recommandations sont ici formulées pour guider les promoteurs et la municipalité de Tadoussac dans la
gestion préventive des lieux. Il est recommandé de :
limiter tout creusement ou nivellement du sol à une profondeur de 30 cm, soit l’épaisseur du
labour;
consulter le bureau régional du ministère de la Culture et des Communications avant de procéder
à tout aménagement pouvant affecter l’intégrité du sol au‐delà de 30 centimètres de profondeur.
Archéo‐Mamu Côte‐Nord pourra également guider les promoteurs dans la marche à suivre pour
conserver et mettre en valeur le patrimoine archéologique de la ferme Hovington;
rapporter toute découverte archéologique au ministère de la Culture et des Communications;
poursuivre le ratissage de surface sur les champs labourés à intervalles réguliers, idéalement
annuellement, afin de récolter les artéfacts ramenés à la surface par l’activité agricole;
sonder les environs des trois concentrations afin de vérifier la présence de sols et de vestiges
structurels en place sous le labour;
impliquer les promoteurs dans la gestion préventive du site en les invitant à participer aux
ratissages de surface et en organisant des séances d’information à propos du site archéologique
de la ferme;
mettre en valeur ce site archéologique et son histoire par une stratégie in situ ou dans un centre
d’interprétation existant déjà à Tadoussac.
L’application de ces recommandations permettra d’assurer la conservation optimale du site
archéologique et de favoriser la génération de connaissances relatives à l’histoire de l’occupation
humaine à la ferme Hovington. Les données qui découleront de ces efforts viendront nourrir la recherche
archéologique sur l’histoire de la Côte‐Nord et pourraient être mis en valeur par les promoteurs.
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