Marie-Cécile Damave – CETA : opportunités réelles, menaces virtuelles – 8 août 2019 – agridées Page 1
8 août 2019
CETA : OPPORTUNITES REELLES, MENACES VIRTUELLES
RESUME
L’Assemblée Nationale a voté en faveur de la ratification du CETA (Comprehensive Economic and
Trade Agreement, soit en français l’ « Accord Economique et Commercial Global » ou AECG), traité
de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada. En France, ce vote a provoqué des actions
contestataires très musclées, révélatrices de craintes d’ordre économique, sociétal et
environnemental. La vague de violence à l’encontre des députés qui ont voté en faveur de la
ratification succède à des années de craintes du monde agricole envers le libre-échange. Certes,
celui-ci n’a pas que des vertus économiques : les dommages sociaux et environnementaux qu’il a
provoqués doivent être corrigés. Mais les réactions épidermiques sur le CETA révèlent autre chose :
la société est déboussolée par le grand écart entre les normes européennes et françaises d’une part,
et les normes internationales d’autre part. A force d’être « surprotégés », les citoyens européens
pensent que tout ce qui vient d’ailleurs est nocif. En fait, c’est juste différent. Des normes
internationales existent, le Canada comme de nombreux autres pays les respectent, en particulier
dans le domaine sanitaire. Le CETA est-il réellement une menace pour l’élevage bovin français ? Les
problèmes de ce secteur ne viennent-ils pas d’ailleurs ? Ils sont d’abord internes, comme agridées
l’avait souligné dans sa note de 2015 « Viande bovine : cinq défis à relever ». Les fragilités de la
filière bovine française sont d’abord internes et les menaces avant tout européennes. Le CETA est
une opportunité pour renforcer notre position d’exportateur net de produits agroalimentaires vers le
Canada, favorisant les exportations de vins et spiritueux, de fromages, de produits sucrés, et de
viande de porc.
TABLE DES MATIERES
Résumé ............................................................................................................................ 1
Table des matières ............................................................................................................ 1
En France, pays contestataire, la peur guide l’opinion ....................................................... 2
Qu’est-ce-que le CETA ? où en est la ratification ? ............................................................. 3
Définition ................................................................................................................................. 3
Calendrier ................................................................................................................................. 4
Créer des liens politiques et économiques avec les échanges internationaux .............................. 5
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Le Canada : un marché pour les exportations européennes et françaises ........................... 6
Echanges UE-Canada ................................................................................................................. 6
Echanges France-Canada ........................................................................................................... 7
Quels impacts du CETA ? ................................................................................................... 8
Tous secteurs ............................................................................................................................ 8
Produits agricoles sensibles ....................................................................................................... 9
Commentaire : la peur du CETA cache d’autres malaises plus profonds ........................... 11
EN FRANCE, PAYS CONTESTATAIRE, LA PEUR GUIDE L’OPIN ION
Le 23 juillet, les députés français ont voté, par scrutin public, en faveur du projet de loi de ratification
du CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement, soit en français l’Accord Economique et
Commercial Global ou AECG) par 266 voix pour, 213 voix contre et 74 abstentions. Depuis, plusieurs
députés de la majorité présidentielle ont subi des intimidations, des attaques personnelles, des
violences physiques, et plusieurs permanences parlementaires ont été attaquées, dégradées, ou
murées, généralement par des agriculteurs. Qu’est-ce-qui peut justifier une telle violence ?
Selon un sondage1 OpinionWay pour « Les Echos » et Radio Classique réalisé dans les jours qui ont
suivi le vote de l’Assemblée Nationale en faveur du CETA, 44% des Français souhaitent davantage de
protectionnisme. Seuls 20% souhaitent davantage de libre-échange et 34% sont pour le statu quo. Ils
sont 49% à être opposés au CETA et 26% y sont favorables. Les inquiétudes que soulève le CETA sont
avant tout économiques, sanitaires et environnementales : l’UE va-t-elle être envahie de produits
canadiens aux prix ultra-concurrentiels, interdits en Europe et polluants (pesticides, OGM, hormones,
farines animales) ? Le « veto climatique2 » pourra-t-il effectivement s’appliquer ? Un exercice de
« fact-checking » s’impose, dans ce contexte de « fake news » où on adore jouer à se faire peur…
Le libre-échange fait peur au monde agricole depuis longtemps. Souvenons-nous des oppositions
musclées aux accords du GATT puis de l’OMC dans les années 1980-1990. Plus récemment, dans les
années 2010 c’est le projet d’accord entre l’UE et les Etats-Unis, le fameux TTIP, aujourd’hui
abandonné, qui avaient cristallisé les critiques, les craintes… et beaucoup de fantasmes3 ! Certes, le
libre-échangisme en mode 20e siècle a montré ses limites4 : s’il est avant tout créateur de valeur
1 Isabelle Ficek, Les Echos (29 juillet) : Ceta, Mercosur : les Français très réticents face au libre-échange https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/ceta-mercosur-les-francais-tres-reticents-face-au-libre-echange-1041235 2 CETA : texte consacrant un « veto climatique » (15 juillet 2019) https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/diplomatie-economique-et-commerce-exterieur/politique-commerciale-du-gouvernement/focus-sur-l-accord-economique-et-commercial-global-ue-canada-ceta/article/ceta-texte-consacrant-le-veto-climatique-15-07-19 3 Voir les points-clés de l’agridébat du 27 mars 2015 « TTIP : fantasmes et réalités » https://www.agridees.com/publication/points-cles-de-lagridebat-du-24-mars-2015-ttip-fantasmes-et-realites/ 4 Analyse agridées (18 janvier 2015) : tirer le meilleur parti de la mondialisation, au-delà des peurs sociétales https://www.agridees.com/download/publications/Analyse%20TTIP%20janvier%202015.pdf
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économique, ce sont ses dommages sociaux et environnementaux qui lui sont reprochés et ils doivent
être corrigés. Aujourd’hui, la mondialisation est moins systématique (les circuits courts se
développent dans les pays occidentaux en parallèle des échanges internationaux), de plus en plus de
traités commerciaux sont conditionnés aux engagements nationaux pris dans le cadre de l’Accord de
Paris sur le climat (par exemple, le récent accord commercial entre l’UE et le Mercosur), et à un droit
du travail plus humain.
Rappelons également que le CETA n’a pas toujours suscité autant d’intérêt. Lors des négociations du
TTIP entre l’UE et les Etats-Unis (arrêtées depuis 2016 avec l’élection de Donald Trump), le CETA ne
faisait pas débat et était plutôt cité en exemple ! Tout simplement parce que les poids économiques
du Canada et des Etats-Unis sont très différents : les enjeux d’un accord commercial entre l’UE et le
Canada sont bien moins grands qu’avec les Etats-Unis.
QU’EST-CE-QUE LE CETA ? OU EN EST LA RATIFICATION ?
Définition
Pour comprendre le CETA, allons à la source. La Commission européenne a publié de nombreux
documents pédagogiques en Français sur la définition, le périmètre, les objectifs du CETA, en
particulier sous formes d’infographies, et de vidéos5. Elle explique que le CETA « réduira les droits
de douane réciproques de 98% et stimulera le commerce et les investissements », qu’il « interdit la
vente au Canada d’imitations de 140 spécialités alimentaires européennes » (Indications
Géographiques Protégées), et qu’il « assure le respect des normes de l’UE ».
Une autre source d’abondantes informations est le site du ministère des affaires étrangères6. Il fait
le point sur le calendrier, sur ce que le CETA permettra et ne permettra pas, et contient des liens
avec de nombreux documents explicatifs.
Concernant le volet climatique, retenons que la diplomatie française insiste sur le fait que « le CETA
interdit explicitement aux Parties, dont le Canada et la France, d’abaisser leurs normes
environnementales au motif de stimuler le commerce et l’investissement. Le CETA impose en outre
le respect des obligations souscrites par le Canada et l’Union européenne dans les accords
environnementaux multilatéraux, dont l’Accord de Paris sur le Climat ».
Sur le volet sanitaire, la diplomatie française est claire : « le CETA respecte la législation européenne,
la réglementation européenne reste inchangée. L’importation de produits de consommation interdits
à la commercialisation en Europe sera impossible : la viande aux hormones ou nourrie aux OGM
5 http://ec.europa.eu/trade/policy/in-focus/ceta/index_fr.htm 6 https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/diplomatie-economique-et-commerce-exterieur/politique-commerciale-du-gouvernement/focus-sur-l-accord-economique-et-commercial-global-ue-canada-ceta/
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continuera à être prohibée, et la viande bovine canadienne ne pourra être importée que si elle
respecte les normes européennes ». Attention donc lorsque certains affirment que l’accord CETA est
synonyme de « mondialisation de la malbouffe »…
Calendrier
Le calendrier des négociations et de la ratification de l’accord sur le CETA est rappelé dans le projet
de loi7 voté à l’Assemblée Nationale le 23 juillet dernier : « Les négociations ont démarré le 6 mai
2009 et ont été conclues le 26 septembre 2014. L’Accord a été signé par les représentants de l’UE,
de ses Etat membres et du Canada le 30 octobre 2016 à Bruxelles. Après avoir été approuvé par le
Parlement européen le 15 février 2017 puis ratifié par le Canada le 11 mai 2017, l’AECG (CETA) est
appliqué de manière provisoire depuis le 21 septembre 2017. (…) L’application provisoire de l’AECG
ne concerne que les matières relevant des compétences exclusives de l’UE ».
Décryptage : le CETA s’applique depuis 2017 mais seulement pour une partie des mesures : celles qui
sont des compétences exclusives de l’UE. Pour le reste (investissements autres que directs et
règlement des différends investisseur-Etat), relevant des compétences partagées entre l’UE et les
Etats membres ou des seules compétences de ces derniers, les ratifications les Parlements nationaux
sont nécessaires. Plusieurs vidéos récemment mises en ligne permettent d’y voir plus clair :
- Le Monde : https://www.youtube.com/watch?v=D7Uh2WiYqLQ),
- C dans l’air du 22 juillet : Mondialisation : faut-il dire non au CETA ? :
https://www.youtube.com/watch?v=gYwN-EMalzA
- Brut : https://www.youtube.com/watch?v=5_UFszowlfs
Pour que la ratification française soit complète, il faut que les deux Chambres du Parlement votent
en faveur du texte. A ce jour, seule l’Assemblée Nationale a adopté le texte, en première lecture, le
23 juillet dernier. Le texte a donc été transmis au Sénat, pour un vote prévu à l’automne. Aucune
date n’est pour l’instant annoncée. L’adoption du projet de loi par le Sénat pourrait être compliquée
pour des raisons de politique nationale. En effet, les députés Les Républicains (LR) et Socialistes ont
voté contre ce texte le 23 juillet 2019, mais constituaient une minorité à l’Assemblée Nationale. Au
Sénat, l’équilibre des forces politiques est bien différent : les groupes LR et socialiste représentent
respectivement 42% et 21% des voix, et peuvent donc rejeter le texte. Dans ce cas, celui-ci serait
renvoyé en 2e lecture à l’Assemblée Nationale, qui aura le dernier mot.
Les Parlements de chaque Etat membre européen doivent tous ratifier le CETA pour qu’il entre en
vigueur. A ce jour, les Etats membres qui ont ratifié cet accord sont les suivants : Autriche, Croatie,
7 Projet de loi autorisant la ratification de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et ses Etats membres, d’une part, et le Canada, d’autre part, et de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et ses Etats membres, d’une part, et le Canada, d’autre part : http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/aecg_partenariat_strategique_ue-canada
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Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, Lettonie, Lituanie, Malte, Portugal, République Tchèque,
Royaume-Uni et Suède.
Créer des liens politiques et économiques avec les échanges internationaux
L’Union européenne est une des plus grandes puissances économiques mondiales et son activité
économique est étroitement imbriquée dans la mondialisation (activités de production et de
transformation, imports/exports, consommation de biens et services, investissements) dont
dépendent une part importante des emplois.
Depuis presque deux décennies, le multilatéralisme sous l’égide de l’Organisation Mondiale du
Commerce (OMC) est en déclin et les grandes puissances préfèrent les accords bilatéraux ou
régionaux. L’Union européenne se concentre sur ce type d’accord pour consolider ses liens
économiques et politiques avec un certain nombre de pays. Ainsi l’accord de libre-échange avec la
Corée du Sud, entré en vigueur en 2011, a été très favorable aux exportations européennes. Les
accords de libre-échange avec Singapour8 et avec le Vietnam9 ont été conclus respectivement en 2012
et 2015. Les négociations progressent avec le Japon. En juin 2019, la Commission européenne a
annoncé la conclusion des négociations commerciales avec le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay,
Uruguay)10. Dans tous ces exemples, ce sont de nouvelles opportunités d’exportations et des liens
plus solides et durables entre les pays, les entreprises et les personnes qui sont attendus.
Cette stratégie d’alliance est d’autant plus justifiée que les Etats-Unis sont devenus un leader mondial
de plus en plus imprévisible, intensifiant la guerre commerciale avec la Chine à plusieurs reprises en
2018 et 2019. Parallèlement, ils se sont retirés des négociations bilatérales dans lesquelles ils
s’étaient engagés depuis plusieurs années (TTIP avec l’UE et TPP avec 11 pays du pourtour Pacifique).
Dans un monde incertain où les économies se font et se défont, où les discours déclinistes font recette
sur fond de changement climatique inexorable, l’UE reste une organisation stable et fiable sur le long
terme qui semble être un gage de confiance pour certains grands pays de ce monde. Les pays du
Mercosur et le Canada ne sont-ils pas inquiets des revirements politiques des Etats-Unis ? Le Vietnam
n’est-il pas préoccupé de la montée en puissance de l’économie chinoise ? Leur choix stratégique de
s’allier à l’Union européenne au moyen d’accords de libre-échange n’est pas anodin.
Notons qu’avec les Etats-Unis, l’UE joue la carte de l’apaisement. Après quelques attaques
américaines en 2018 sous forme de relèvement de droits de douanes, et ripostes européennes de
même ordre sur des produits américains, la tension a baissé depuis la rencontre Juncker-Trump de
8 Brève agridées du 26 juillet 2016 : Les engagements commerciaux de l’UE progressent mentement et moins sûrement https://www.agridees.com/publication/les-engagements-commerciaux-de-lue-progressent-lentement-et-moins-surement/ 9 Brève agridées du 5 août 2015 : accord de libre-échange UE-Vietnam : opportunités d’exportations françaises en vue ! https://www.agridees.com/publication/accord-de-libre-echange-ue-vietnam-nombreuses-opportunites-dexportations-de-produits-agricoles-et-agro-alimentaires-francais/ 10 Analyse agridées du 5 juillet 2019 : UE-Mercosur : enjeux, risques et opportunités https://www.agridees.com/publication/ue-mercosur-enjeux-risques-et-opportunites/ et brève du 2 juillet 2019 : accord commercial entre l’UE et le Mercosur https://www.agridees.com/accord-commercial-ue-et-mercosur/
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l’été 2018, qui avait abouti à une déclaration commune pour « une nouvelle phase dans le partenariat
transatlantique11 ». Un an plus tard, la Commission vient de publier un rapport de progrès12 sur la
mise en œuvre de cette déclaration commune : sur les questions agricoles, ce rapport souligne la
forte progression des importations européennes de soja américain (doublement des volumes) et la
révision du mémorandum d’accord sur l’importation de viande bovine sans hormones. Le volume total
de viande sans hormone que l’UE s’engage à importer chaque année reste le même, soit 45 000
tonnes, mais la part réservée aux Etats-Unis est augmentée à 35 000 tonnes13. Pour rappel, ce quota
d’importation, aussi appelé « Hilton beef » car concernant de la viande de bœuf de haute qualité,
avait été imposé à l’UE dans le cadre du différend qui opposait celle-ci à plusieurs pays producteurs
de bœuf avec activateurs de croissance dans le cadre de l’OMC.
LE CANADA : UN MARCHE POUR LES EXPORTATIONS EUROPEENNES ET FRANÇAISES
Echanges UE-Canada
L’Union européenne a une balance commerciale positive avec le Canada. En 2018, elle d’est élevée
à 1.7 milliards € pour les produits agricoles et agro-alimentaires, soit 3,7 milliards € d’exportations
moins 2 milliards € d’importations.
Nous constatons que cette catégorie de produits occupe une part significative (16% environ) de
l’excédent commercial total de l’UE avec le Canada : 10,4 milliards € en 2018, correspondant à 41,4
milliards € d’exportations moins 31 milliards € d’importations.
Cette même année 2018, le Canada était le 8e marché d’exportation de l’UE pour les produits agricoles
et agroalimentaires, représentant 2,7% parmi toutes les destinations. D’autre part, le Canada était
le 20e fournisseur de l’UE avec seulement 1,7% de toutes les origines.
11 Commission européenne (25 juillet 2018) Déclaration conjointe UE - Etats-Unis à la suite de la visite du président Juncker à la Maison Blanche https://europa.eu/rapid/press-release_STATEMENT-18-4687_fr.htm 12 European Commission (July 25, 2019) Progress report on the implementation of the EU-U.S. Joint Statement of 25 July 2018 : Greater together: Slashing billions of industrial tariffs and boosting transatlantic trade http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2019/july/tradoc_158272.pdf 13 Communiqué de presse du 2 août 2019 de la Commission européenne : The European Union and the United States sign an agreement on imports of hormone-free beef file:///C:/Users/mcdamave.AGRIDEES/Downloads/IP-19-5010_EN.pdf
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Ce graphique, proposé par la Commission européenne, indique l’évolution sur la dernière décennie
des échanges commerciaux entre le Canada et l’Union européenne : la balance commerciale est de
plus en plus favorable à l’UE, grâce à une régulière augmentation des exportations (en particulier les
vins et spiritueux), tandis que les importations demeurent relativement stables14.
Echanges France-Canada
Au sein de l’UE, la France est le principal exportateur de produits alimentaires transformés vers le
Canada, représentant 24% des exportations européennes, notamment des vins et spiritueux, des
fromages, et de l’eau minérale. Le solde des échanges de biens agroalimentaires avec le Canada est
positif pour la France, à hauteur de 579 millions €15.
14 European Commission, Directorate General for Agriculture and Rural Development (2019) Agri-Food Trade Statistical Factsheet European Union - Canada https://ec.europa.eu/agriculture/sites/agriculture/files/trade-analysis/statistics/outside-eu/countries/agrifood-canada_en.pdf 15 Ministère de l’agriculture : Qu’est-ce-que l’accord commercial de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada
(CETA) ? https://agriculture.gouv.fr/quest-ce-que-laccord-commercial-de-libre-echange-entre-lunion-europeenne-et-le-
canada-ceta
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Tous secteurs confondus, la France est le 9e fournisseur de biens et services au Canada et son 14e
investisseur étranger. Environ 600 entreprises françaises sont installées au Canada, principalement
au Québec, et elles emploient plus de 85 000 personnes. Le Canada quant à lui compte 2000 filiales
de sociétés en France qui emploient 21 000 personnes.
QUELS IMPACTS DU CETA ?
Tous secteurs
Le Centre d’Etudes Prospectives et d’Informations Internationales (CEPII) a réalisé un rapport16 sur
les impacts économiques du CETA pour les Parlementaires français. Il est annexé au projet de loi de
ratification du CETA.
Les principaux enseignements de cette étude sont les suivants :
- les impacts sur l’UE et sur le Canada sont asymétriques du fait de la différence des
dimensions économiques de chacune des deux parties. Ainsi, selon le CEPII, le CETA « réduit
partiellement les frictions au commerce mais la différence de taille des deux régions réduit
de toute façon le potentiel de développement des échanges commerciaux. Et surtout, la taille
du marché canadien pour les exportateurs européens restera modeste (à l’inverse du Marché
Unique pour les exportateurs Canadiens), avec pour conséquence des impacts nécessairement
asymétriques (plus importants pour l’économie canadienne que pour celle européenne),
même en présence de concessions commerciales symétriques » ;
- les impacts du CETA sont limités pour le Canada comme pour l’UE : « En raison de cette
asymétrie de taille, l’augmentation des échanges bilatéraux est plus prononcée pour le
Canada. Mais du fait du niveau faible des barrières douanières initiales, de l’existence de
produits sensibles et des limites à la réduction des coûts au commerce des mesures non
tarifaires, l’effet reste modeste même pour le Canada » ;
- les importations en provenance du Canada vers la France devraient augmenter, et comme il
s’agit essentiellement de biens intermédiaires réintroduits dans les chaînes de production, la
compétitivité des produits français devrait au final augmenter. Le CEPII note que « les effets
sur la France diffèrent sensiblement de ceux observés dans le reste de l’UE. En France, les
impacts sont faibles et le secteur secondaire est le principale bénéficiaire.
16 Cecilia Bellora, Jean Fouré et Lionel Fontagné - CEPII (2019) Evaluation macro-économique des impacts de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/reports/abstract.asp?NoDoc=12278
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- Sur la filière viande, le CEPII conclut à une compensation de la perte de valeur ajoutée pour
l’élevage et la transformation par les aides découplées de la PAC : « l’industrie de
transformation de la filière viande enregistre une perte relative de valeur ajoutée
significative, mais le montant absolu de cette perte est limité compte-tenu de la taille initiale
de cette industrie. Ce recul de la valeur ajoutée au niveau de la transformation impacte aussi
l’élevage en amont : pour le bétail, le recul relatif de la valeur ajoutée induit une baisse
modérée de la rémunération du foncier agricole, ainsi que du travail. Ces pertes doivent
toutefois être relativisées dans la mesure où une partie significative des revenus dans le
secteur de l’élevage est assuré par les transferts découplés liés à la Politique Agricole
Commune. L’impact attendu sur le revenu des exploitants de la filière est donc moindre que
celui mesuré par la valeur ajoutée ».
- Sur les émissions de gaz à effet de serre, le CEPII conclut que « les émissions liées au transport
maritime et aérien, en légère augmentation, sont partiellement compensées par une
diminution des émissions liées au fret terrestre (induites par la réduction du commerce intra-
européen). Au total les variations d’émissions liées au fret international sont quasi nulles
du fait de l’AECG ».
Produits agricoles sensibles
Le CETA apportant de claires opportunités d’exportation pour les produits laitiers (en particuliers les
fromages sous Indication Géographique Protégée) et les vins et spiritueux, les études d’impact se sont
concentrées sur les produits agricoles sensibles : viande bovine, viande de porc et sucre notamment.
Le rapport17 qui a alimenté les travaux parlementaires sur les filières agricoles sensibles a été préparé
par la mission d’inspection interministérielle du Conseil Général de l’Alimentation, de l’Agriculture
et des Espaces Ruraux (CGAAER), de Conseil Général de l’Environnement et du Développement
Durable (CGEDD), et l’Inspection Générale des Finances.
Viande bovine
C’est le secteur qui a manifesté le plus de craintes vis-à-vis du CETA. Le rapport précité rappelle que
« le CETA libéralise l’exportation de viande bovine européenne à destination du Canada mais
maintient les quotas d’importation à l’entrée de l’UE, au-delà desquels le tarif douanier commun de
l’UE s’applique ». Il précise que « le CETA multiplie progressivement par 3,5 les volumes de viande
que le Canada est autorisé à exporter vers l’UE à droits nuls et augmente de 16% le volume total des
contingents européens ». Cette augmentation atteindra 67 950 tonnes équivalent carcasse en 2022,
17 Sylvie Alexandre, Anne Perrot, Ombeline Gras, Benoît Mournet, Vivien Guérin – CGAAER, CGEDD, IGF (Décembre 2018) Pour un suivi des effets du CETA sur les filières agricoles sensibles https://agriculture.gouv.fr/suivi-des-effets-du-ceta-sur-les-filieres-agricoles-sensibles
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ce qui représente moins de 1% de la production de viande bovine européenne, et 3% de la production
française. Le rapport conclut donc à un « choc d’offre a priori limité ».
Rappelons que l’UE, et la France en particulier, sont des marchés peu ouverts aux échanges de viande
bovine : la quasi-totalité de la consommation intérieure est alimentée par la production domestique,
dont les normes sanitaires et de bien-être sont souvent plus strictes qu’ailleurs. Si les coûts de
production de viande bovine sont inférieurs au Canada qu’en France, c’est surtout en raison de
l’utilisation d’hormones au Canada, qui accélère la croissance des animaux. Ces produits ne sont pas
autorisés dans l’UE et les producteurs canadiens ne doivent pas les utiliser pour pouvoir exporter vers
l’UE, ce qui augmente leurs coûts de production. Au final, la viande bovine canadienne autorisée à
l’importation dans l’UE ne devrait donc pas être plus compétitive que la viande d’origine domestique,
sur le marché européen.
Un autre facteur de production de la viande bovine utilisé au Canada a été dénoncé par la Fédération
Nationale Bovine française et par la Fondation Nicolas Hulot notamment : l’utilisation de farines
animales dans l’alimentation des bovins. Notons que ce sujet n’a émergé que quelques semaines
avant le vote à l’Assemblée Nationale, et que le rapport précité du CGAAER, du CGEDD et de
l’Inspection Générale des Finances n’a pas abordé cette question.
Dans l’UE, l’utilisation de toute protéine animale de ruminants est interdite pour l’alimentation des
ruminants, suite à la crise de la vache folle de 1996, qui avait été un véritable traumatisme pour
toute la filière et avait redistribué les flux de production et de transformation en Europe et en France
en particulier. Au niveau international, ce sont les règles de l’Office International des Epizooties (OIE)
qui s’appliquent. L’alimentation des bovins au Canada réponde aux règles de l’OIE. Rappelons que
les abattoirs implantés hors UE et agréés par l’UE pour y expédier les produits carnés font
régulièrement l’objet d’inspections européennes. Le Canada n’échappe pas à cette règle.
Pour aller plus loin : http://www2.assemblee-nationale.fr/static/15/filiere_viande_bovine.pdf
Viande de porc
Ce produit, plus ouvert aux marchés internationaux que la viande bovine, a peu fait débat au moment
du vote de l’Assemblée Nationale pour la ratification du CETA. Cet accord prévoit un contingent à
droits nuls de 80 549 tonnes équivalent carcasse du Canada vers l’UE à horizon 2022, en augmentation
de 86% par rapport à 2018, mais qui ne représente que 0,3% de la production européenne.
Le rapport de la mission d’inspection interministérielle considère que « le CETA peut présenter une
opportunité pour renforcer la position de la filière porcine française au Canada » et note que l’UE
exporte d’ores et déjà des quantités 100 fois plus élevées de viande porcine vers le Canada qu’elle
n’en importe. Enfin, il remarque que « le recours des opérateurs canadiens au contingent européen
a, à ce jour, été très limité.
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Sucre
Pour le rapport d’inspection interministérielle, le CETA représente également une opportunité pour
les exportations françaises de produits sucrés. Cet accord organise le démantèlement des droits de
douane sur le sucre qui avaient été mis en place dans le cadre de l’OMC, sur 8 ans à l’entrée de l’UE
comme à l’entrée du Canada. Ce rapport note également que « l’application de règles d’origine limite
le risque de concurrence des produits français par le sucre canadien ». Concernant les produits sucrés,
le CETA supprime les droits de douane à l’entrée du Canada et maintient des règles tarifaires de droit
commun en vigueur à l’entrée de l’UE. Le rapport estime que « la France est exportatrice nette vis-
à-vis du Canada, représentant un intérêt commercial offensif, en particulier pour les sucreries et
confiseries, les chocolats et produits de boulangerie ».
Pour aller plus loin : http://www2.assemblee-nationale.fr/static/15/sucre.pdf
COMMENTAIRE : LA PEUR DU CETA CACHE D’AUTRES MALAISES PLUS PROFONDS
En deux ans d’application partielle du CETA, nous constatons que c’est avant tout les exportations
européennes et françaises vers le Canada qui ont progressé, en particulier les vins et spiritueux et les
produits laitiers. La « déferlante » tant crainte de viande de bœuf canadien n’est pas arrivée et
n’arrivera pas. Ce secteur est souvent le plus frileux en cas d’ouverture du marché aux importations
extra-européennes (Etats-Unis, Mercosur, Canada…), et pour cause : il est peu compétitif, largement
dépendant des aides publiques de la Politique Agricole Commune, et doit faire face à plusieurs défis.
Nous avons identifié ceux-ci dans une note18 du 22 juillet 2015 : ils sont avant tout internes, et n’ont
rien à voir avec les accords de libre-échange : il s’agit de segmenter le marché et créer des marques
françaises « haut de gamme » et de renforcer la place et l’organisation des producteurs en tant
qu’acteurs à part entière. Un autre défi que nous avions identifié est, lui, d’ordre commercial : il
s’agit de développer les exportations. Les opportunités ne manquent pas sur le grand export à travers
notamment les récents accords commerciaux. Les marchés asiatiques tels que le Vietnam et Singapour
se sont ouverts au bœuf français19 assez récemment.
La tribune20 du député LREM de la Creuse et éleveur bovin Jean-Baptiste Moreau publiée après le vote
de l’Assemblée Nationale allait dans le sens d’une nécessaire restructuration interne : « La filière
bovins viande fait d’abord face à un problème structurel et à une mauvaise répartition de la valeur
ajoutée. Stigmatiser les importations et le CETA c’est se tromper de combat et c’est contre-productif:
18 Agridées (22 juillet 2015) Viande bovine : cinq défis à relever https://www.agridees.com/publication/viande-bovine-cinq-defis-a-relever/ 19 Voir la brève agridées « les marchés asiatiques s’ouvrent à nouveau au bœuf français » (16 septembre 2015) https://www.agridees.com/les-marches-asiatiques-souvrent-a-nouveau-au-boeuf-francais/ 20 Jean-Baptiste Moreau (31 juillet 2019) Je suis outré par la bêtise de ces actions, l’agriculture ne sera pas sauvée par la violence ! (Huff Post) https://www.huffingtonpost.fr/entry/je-suis-outre-par-la-betise-de-ces-actions-lagriculture-ne-sera-pas-sauvee-par-la-violence_fr_5d4159a9e4b0db8affb0b63b?utm_hp_ref=fr-homepage&ncid=tweetlnkfrhpmg00000001
Marie-Cécile Damave – CETA : opportunités réelles, menaces virtuelles – 8 août 2019 – agridées Page 12
cela radicalise des agriculteurs qui sont en situation de détresse et c’est prendre le risque qu’ils
échappent au mouvement syndical agricole. Depuis des décennies, les responsables agricoles fustigent
les politiques, l’Etat, l’Europe ou le Canada en les accusant d’être coupables de tous leurs maux.
Cela doit changer: la profession doit prendre en main sa propre organisation et son destin afin de
peser significativement sur la filière. »
Finalement, le sujet des actes de violence et des craintes excessives qui se sont exprimées en France
depuis plusieurs semaines n’est pas le CETA. Celui-ci n’est qu’un révélateur des peurs actuelles qui
gouvernent notre société : la peur de l’autre, de la différence, la tendance au repli sur soi, la
stratégie autocentrée pour notre agriculture et notre industrie agro-alimentaire. En France et dans
l’UE, les règles de production sont de plus en plus restrictives et privent les filières agricoles de
facteurs de compétitivité (produits de nutrition et de santé des plantes et des animaux, outils
modernes d’amélioration génétique) qui sont pourtant autorisés sur d’autres continents ou même
dans d’autres pays européens. Le manque de cohérence entre les normes nationales, européennes et
internationales est anxiogène pour l’opinion publique : surprotégé et acculturé au principe de
précaution, le citoyen a peur de ce qui vient d’ailleurs en l’imaginant forcément plus dangereux
puisque moins contraint.
La surtransposition des règles européennes par la France reste une pratique courante. La majorité de
nos échanges de produits agricoles et agro-alimentaires se font avec le reste de l’UE (environ 70% des
importations et presque 65% des exportations françaises). Sur le marché unique, les produits français
sont donc plus directement en compétition avec leurs homologues européens. Attention à ne pas se
tromper de cible : la première concurrence, en particulier sur les produits carnés, est chez nos
partenaires européens. Le Brexit pourrait avoir des répercussions autrement plus menaçantes pour la
filière bovine française que le CETA, si les exportations de viande bovine irlandaise devaient se
détourner de la Grande-Bretagne pour alimenter le continent européen…
Marie-Cécile Damave
Responsable innovations et marchés