8 | france DIMANCHE 31 JUILLET LUNDI 1ER AOÛT 20160123
M oins d’enfants,moins de centres etdes séjours pluscourts. A regarder
les chiffres de fréquentation diffusés par le ministère de la ville,de la jeunesse et des sports début juillet, les jolies colonies de vacances n’ont plus la cote. En 2015, 1,3 million d’enfants et d’adolescents ont rejoint les quelque 42 500 séjours pour goûter aux joies de la mer, de la montagne oude la campagne. C’est 200 000 enfants de moins qu’en 2005.
« Si l’on ne fait rien, les colosauront disparu dans les années2030 », prédit un groupe de chercheurs du CNRS pour le ministère dans une étude intitulée « Des séparations aux rencontres en camps et colos ». La courbe de désaffection est en effet croissantedepuis dix ans alors qu’on dénombre de plus en plus de mineurs qui ne partent pas en vacances. Ils sont ainsi 3 millions àn’avoir jamais passé une seulenuit en dehors du domicile des parents. Pour des raisons financières, mais pas seulement.
« Repli sur la cellule familiale »La crise économique a indéniablement influé sur les choix budgétaires des familles. Quand le pouvoir d’achat baisse, les arbitragesse font souvent au détriment desloisirs. Le coût moyen d’une colonie oscille entre 400 et 600 euros en moyenne (jusqu’à 1 500 dans leprivé) pour une semaine. Sans coup de pouce, une famille detrois enfants ne peut se permettreune telle dépense. Or ce sont d’abord les familles de classe moyenne – ouvriers ou petits fonctionnaires gagnant de 1 500 à 2 000 euros par mois – qui sont touchées. « Les enfants qui partenten colo sont ceux dont les parents bénéficient d’aides et payent peu etceux des familles à hauts revenus. Un enseignant élevant seul ses deux enfants est bien audessus des barèmes des aides sociales,mais ne peut assumer le coût d’unecolo. Il va privilégier le départ en famille », explique Anne Carayon, directrice générale de la confédération d’organisations de loisirs La Jeunesse au plein air.
Depuis le début des années2000, les politiques publiques d’aide aux familles ont toutes baissé. Les caisses d’allocations familiales ont d’abord progressivement supprimé leurs subventionsaux séjours en colonies, les orientant désormais vers les vacances
familiales et les centres de loisirs.Les communes ont elles aussi réduit leurs dépenses, se concentrant sur les familles à plus bas revenus ou supprimant carrément toute aide aux colonies. Les comités d’entreprise, enfin, ont eu tendance à privilégier des séjours plus attractifs avec activités hautde gamme, renchérissant leur coût. « La lente érosion des effectifss’explique d’abord par des aides aux familles qui n’ont cessé de baisser de la part de tous les financeurshistoriques des colos », insiste Sylvain Crapez, délégué général de l’Union nationale des associations de tourisme et de plein air.
Toutefois, si le coût financierreste le premier frein à l’inscription à une colonie de vacances, iln’est pas le seul. Selon un sondageIFOP, réalisé du 23 au 25 mai auprès de 1 509 personnes pourLa Jeunesse au plein air, les parents ont beaucoup moins confiance dans le personnel encadrant. En effet : 57 % des sondéscraignent des animateurs peuformés, des agressions ou des accidents. La médiatisation des rares accidents survenus lors de séjours en camp ou les récentes affaires de pédophilie les ont rendus méfiants. « Nous sommes dans une société qui se referme surellemême, où les adultes s’interrogent sur les espaces collectifs, se replient sur la cellule familiale : or la
colo propose le modèle opposé »,remarque Luc Greffier, géographeà l’IUT de Bordeaux.
Les lieux d’accueil se sont aussifaits plus rares. De nombreuses municipalités qui avaient hérité après guerre de centres de vacances s’en sont depuis débarrassées, estimant la charge financière troplourde. Aujourd’hui, il ne reste qu’un tiers du patrimoine des colonies en fonctions en LoireAtlantique et en Vendée. Le déclinest identique dans les AlpesMari
times, qui n’ont gardé qu’un centre sur les 50 qu’elles détenaientau début des années 1960. Au gré des revirements politiques lors des élections municipales, lemouvement de retrait ne s’est pasarrêté. Ainsi, début janvier, ClichylaGarenne (HautsdeSeine) a mis en vente sur Leboncoin.fr son centre dans le PuydeDôme. En juin, c’est la commune de Chelles (SeineetMarne) qui a cédéson bâtiment de Hossegor (Landes) à un promoteur immobilier. « Un patrimoine lointain n’est électoralement pas très vendeur, mais il faut que les villes se rendent compte que tout vendre, c’est hypothéquer l’avenir des classes découvertes », avertit Emmanuel Frantz, directeur général de Vacances voyages loisirs.
Certaines villes – surtout en région parisienne – continuent à voir affluer les enfants en colonie.VitrysurSeine, SaintDenis, Bagneux, Gentilly, Gennevilliers ou BonneuilsurMarne, attachés à ce mode collectif de loisirs, ontfait le choix d’investir dans les
lieux et les séjours. « Chaque année, 1 000 enfants partent dans nos centres et cette fréquentation ne faiblit pas. Nous avons adapténos tarifs afin de mieux toucher lesfamilles aux revenus moyens », explique Raphaël Thomas, responsable du service vacances de SaintDenis. « Nous tenons à cette expérience de vivre ensemble, dedécouverte de l’autre : c’est un élément de formation de l’adulte en devenir », souligne Patrice Leclerc, maire (PCF) de Gennevilliers.
Campagne de publicitéD’autres, comme ClichysousBois, ont maintenu des aides importantes. « Cela permet aux enfants qui ne seraient jamais partis
« La colo n’est plus ce lieu de brassage social des jeunes »Pour Yves Raibaud, spécialiste de la géographie des discriminations et des loisirs des jeunes, la thématisation des camps nuit à la mixité
ENTRETIEN
D ans le cadre du plan Egalité citoyenneté, instauréaprès les attentats de
janvier 2015, le ministère de la ville, de la jeunesse et des sports alancé un appel à projets « #GénérationCampColo » dans le but de promouvoir la mixité socialedans les colonies de vacances. Cedispositif a été évalué par un collectif de neuf chercheurs, parmi lesquels Yves Raibaud, géographe,spécialiste, entre autres, de la géographie des discriminations etdes loisirs des jeunes.
Les conclusions de votre travail d’évaluation du dispositif GénérationCampColo démontrent l’absence de mixité dans les colonies. Il n’y aurait donc que des « colos de riches » et des « colos de pauvres » ?
La réalité, aujourd’hui, c’est qu’ilexiste une gamme large et variée de colonies, spécialisées par thème : sports, nature, sciences,
arts… A chaque type correspond un type de public. Cette spécialisation, qui est apparue à la fin des années 1980, a conduit à séparerles enfants. Le modèle des colonies généralistes de la période 19601980, dans lesquelles on envoyait ses enfants pendant deux àquatre semaines l’été quel que soit son milieu social, a quasiment disparu. Or, cellesci mélangeaient beaucoup plus les classessociales, les âges et les sexes. A quelques exceptions près, la colon’est plus ce lieu de brassage social des jeunes.
Comment l’expliquezvous ?Sous le coup de la stagnation des
subventions et la mise en place de normes de plus en plus strictes imposées aux organisateurs (en matière d’accessibilité, d’hygiène, d’encadrement…), le coût des colonies a considérablement augmenté et les effectifs se sont érodés. Les organismes qui ont survécu se sont mis à proposer des prestations commerciales de plus
en plus chères à destination des familles aisées ou de celles soutenues par les comités d’entreprise. Les colos sont entrées dans un champ concurrentiel où, pour capter les enfants, il faut surenchérir dans l’offre d’activités : équitation, orchestre, plongée sous marine, astronomie… Caractéristiques des classes supérieures, ces activités de loisirs consacrent la séparation des publics et discriminent les enfants de milieux populaires.
Vous dites que la politique de la ville a participé à cette ségrégation…
Oui, car pour compenser la fermeture des colos généralistes et pas chères, les municipalités ontproposé dans les quartiers populaires des activités et séjourscourts (opérations Prévention été, Ville Vie Vacances) orientés vers la prévention de la délinquance. L’objectif est d’offrir à unpublic cible – les garçons des cités – des activités qui correspondent à leurs attentes (VTT, hiphop,foot, graf) pour éviter qu’ils ne restent seuls dans les quartiersl’été à faire des bêtises… Les fillesont très peu bénéficié de cette offre, même si les choses évoluentun peu.
Pourquoi l’enjeu de mixité dans les colonies estil si important ?
La ségrégation existe dans la viequotidienne, selon le lieu où l’onvit, et souvent à l’école ; pas la peine d’en rajouter pendant les
vacances ! Si on arrivait à faire partir 4 millions d’enfants dans des colonies ouvertes à tous, comme c’était le cas dans les années 1960,[contre 1,3 million aujourd’hui], onleur offrirait la possibilité de rencontrer, une fois par an, des enfants d’autres horizons. Ils n’ontguère d’autres occasions de se mélanger.
Les attentats que nous venonsde vivre nous font conclure à lamême urgence : nous devons faire société. Les colos et lescamps sont des espaces singuliersoù par les rencontres, les amours, les amitiés, les aventures humaines qui s’y jouent, une autre société peut s’élaborer.
Le dispositif GénérationCampColo atil permis de favoriser la mixité ?
La méthode consiste à subventionner des organismes qui incluent, dans leurs colonies, des enfants discriminés, qui ne partent pas en vacances. Or, l’efficacité reste limitée si les colonies ne
« Envoyer dix garçons de citédans une colo à
thème fréquentéepar des enfants
qui ont déjà une pratique deces activités, ça
ne marche pas ! »
« Un enseignantélevant seul sesdeux enfants est
bien au-dessusdes barèmes desaides sociales »
ANNE CARAYONdirectrice de Jeunesse
au plein air
Une colonie de vacances dans la vallée de la Vésubie, dans le parc national du Mercantour, en juillet 2015. FRANÇOIS GUENET/DIVERGENCE
revoient pas leur modèle. Envoyerdix garçons de cités ou de jeunes handicapés dans une colo à thème (équitation, musique) fréquentée par des enfants des classes supérieures qui ont déjà unepratique de ces activités, ça nemarche pas !
Ce que nous proposons, c’est derenouveler l’offre de vacances pour créer des colos plus généralistes et inclusives. Il subsiste des modèles dont on pourrait s’inspirer. Par exemple, le scoutisme est resté vecteur de mixité, et il a les faveurs du public. L’idée est de partir dans la nature faire l’expérience du vivre ensemble : on fait les repas ensemble, on participe à des activités, des jeux, desveillées, qui ne ségrèguent pas. Pour sortir de la consommation effrénée de loisirs qui séparent lesenfants, on pourrait intégrer les camps et colos dans des projets dedéveloppement rural ou d’écoresponsabilité, plus fédérateurs.
propos recueillis paraurélie collas
Les colonies de vacances font moins recetteEn dix ans, le nombre d’enfants en « colo » a baissé de 200 000. En cause, le coût pour les familles et les mairies
de partir en vacances et de rencontrer des enfants d’autres quartiers, d’autres villes », assure OliverKlein, maire (PS) de la ville.
Le ministère de la ville se ditconscient de l’urgence à préserverce mode de vacances pour les enfants. Une campagne de publicité a été lancée en juin dans le métro parisien, la presse et les réseaux sociaux. Il a lancé un appel à projets pour la création d’un nouveau type de séjours – « plus accessibles, innovants et ouverts à desenfants de milieux sociaux divers », précise le cabinet de PatrickKanner. L’objectif est de rassurer les parents et de les orienter dans leur choix avec un futur label.Pour les acteurs associatifs du secteur, la réponse est encore trop timide. Ils plaident pour la créationd’un « chèque colo » ou d’un « compte épargne colo » à l’image des chèques vacances. Afin, insiste Sylvain Crapez, « que chaque gamin de notre pays fasse au moins une fois l’expérience de la colonie de vacances ».
sylvia zappi
Les associationsplaident pour
la création d’un « compte épargne colo »
Prévenir les risques, et surtout les peursPatrick Kanner a visité des centres accueillant des mineurs, ven-dredi 22 juillet, à La Neuville (Nord). Face aux réticences de cer-tains parents à envoyer leurs enfants en colonie de vacances, le ministre de la ville veut démontrer la vigilance des autorités pu-bliques sur la sécurité des séjours. « Les animateurs et les centres sont contrôlés par l’Etat. Tout est mis en œuvre pour s’assurer que les activités sont organisées conformément à la réglementation et dans des conditions permettant de prévenir les risques », explique son cabinet. Un rappel utile quand, selon le sondage IFOP pour La Jeunesse au plein air, 57 % des Français estiment que le man-que de confiance dans le personnel accompagnant est un frein à l’envoi des enfants en colonie.