Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève
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SHAKE
Texte William Shakespeare,
Traduction Marie-Paule Ramo
Mise en scène Dan Jemmett
Jeu Valérie Crouzet (Olivia)
Delphine Cogniard (Viola et Sébastien)
En alternance Geoffrey Carey / Vincent Berger / Marc Prin (Feste)
Antonio Gil Martinez (Orsino, Malvolio)
En alternance Vincent Berger / Marc Prin (Toby Belch et Sir Andrew
Aguecheek)
Scénographie Dan Jemmett et Denis Tisseraud
Costumes Sylvie Martin-Hyszka
Éclairage Arnaud Jung
Régie générale Denis Tisseraud
2heures sans entracte
Production déléguée : EAT A CROCODILE
Coproduction EAT A CROCODILE, THÉÂTRE DE CAROUGE-
ATELIER DE GENÈVE, CDN NICE CÔTE D‟AZUR, MAISON DES
ARTS THONON-EVIAN
Première création En 2001 au THEATRE VIDY-LAUSANNE E.T.E.
En COPRODUCTION avec LE THEATRE DE LA VILLE-PARIS ET
SARL SUR UN PLATEAU-PHILIPPE STURBELLE.
DAN JEMMETT est artiste associé à LA MAISON DES ARTS THONON-EVIAN.
SOMMAIRE
3 Que chercher dans ce dossier ? Pistes pédagogiques
5 Shakespeare : données essentielles
16 La Nuit des Rois
22 Shake par son metteur en scène
32 Bibliographie
33 Parcours pédagogiques
DISTRIBUTION
MENTIONS
OBLIGATOIRES
DURÉE
Dossier pédagogique Shake – Tous droits réservés Théâtre de Carouge-Atelier de Genève
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QUE CHERCHER DANS CE DOSSIER ?
Ce dossier pédagogique est conçu en trois parties : des pistes pédagogiques (ci-dessous) vous indi-
quant des idées de travail sur Shake ; des matériaux (dès la page 5) sur lesquels travailler, dans un
premier temps sur Shakespeare, son époque et sa pièce La Nuit des Rois, et dans un second temps sur
l‟adaptation du metteur en scène Dan Jemmet.
PISTES PÉDAGOGIQUES
I Avant la lecture, recherches
1. Biographie de Shakespeare
2. Coutumes anglaises au temps d'Élizabeth 1
3. Explication du titre (joué pour la "fête des rois", 12 nuits après Noël)
4. Le thème des jumeaux séparés dans la littérature et le théâtre
II Après la lecture
5. Sur quel élément de l'intrigue l'intérêt de la pièce repose-t-il ? (d'où vient le suspense pour le
spectateur ?)
6. Quels sont les personnages comiques, et les personnages sérieux. Quels sentiments partagent-ils ?
Quelles caractéristiques de caractère ou de comportement les distinguent ? Dans quelle scène
s'affrontent-ils et avec quel dénouement (le duel entre sir André et Viola)
7. Etude du personnage de Feste, le bouffon. Quel est le rôle du bouffon, en général ? Et ici ? De quel
côté se range-t-il ?
8. Comment est présenté l'amour dans la pièce? Etudier les différents couples, qui vont se livrer à de
curieux chassés-croisés (Viola et Olivia, Viola et Orsino, Sebastien et Olivia, Malvolio et Olivia,
Orsino et Olivia, Orsino et Viola, Sir Tobie et la suivante)
9. Les éléments marqueurs de la "fable" ou "comédie légère" (les aventures de deux jumeaux qui se
ressemblent, mais sont séparés ; le lieu qui est un "ailleurs" ; la "reconnaissance" au bon moment ; les
mariages croisés de la fin, avec les deux jumeaux)
10. Deux rôles joués par un même comédien : intérêt ? pour la pièce ? pour la production ? pour une
réflexion générale sur l'art théâtral ?
11. Quelles peuvent être les différentes interprétations de mise en scène et de direction d'acteurs ?
12. Imaginer une adaptation moderne de la pièce
13. Imaginer ensuite le décor et la scénographie d‟une telle adaptation
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III Après la représentation
14. Partage libre des impressions. Le spectacle a-t-il correspondu à nos attentes ? A notre vision ou
lecture de la pièce ? Qu‟avons-nous aimé / Que n‟avons-nous pas aimé ? Avons-nous ri, été touchés ?
Pourquoi ?
15. Evaluation de points précis à l‟aide de la liste ci-dessous. Pourquoi tel point est-il réussi ou non ?
L‟ensemble est-il cohérent ou non ?
16. Si La Nuit des Rois a été lu préalablement : quels sont les changements frappants entre la pièce lue
et ce qui a été vu sur scène ? Les personnages sont-ils présentés différents de ce que nous avions
imaginé ?
17. Ecriture à tête reposée d‟un jugement, d‟une critique sur le spectacle (on peut s‟aider des critères
figurant dans la liste ci-dessous). On peut évoquer :
a. L‟œuvre et son auteur
b. Les aspects visuels (décor, éclairages, costumes) et sonores
c. Les acteurs, la direction d‟acteurs
d. Les aspects positifs, négatifs de la production
e. Les réactions du public
QUELQUES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS D‟UN SPECTACLE
D‟après Patrice Pavis, Dictionnaire du Théâtre, Paris, Armand Colin, 2006, s.v. Questionnaire
Acteurs
Gestuelle ; changements dans leur apparence
Construction des personnages, lien entre l‟acteur et les rôles
Scénographie
Rapport entre espace du public et espace du jeu
Sens et fonction de la scénographie par rapport à la fiction mise en scène
Rapport du montré et du caché
Comment évolue la scénographie ?
Connotations des couleurs, des formes, des matières
Lumières
Lien à la fiction représentée, aux acteurs
Effets sur les spectateurs
Objets
Fonction, emploi, rapport à l‟espace et au corps
Costumes, maquillages, masques
Fonction, rapport au corps
Son
Fonction de la musique, du bruit, du silence
A quels moments interviennent-ils ?
Rythme du spectacle
Rythme continu ou discontinu
Le spectateur
Quelle attente aviez-vous de ce spectacle (texte, mise en scène, acteurs) ?
Quels présupposés sont nécessaires pour apprécier le spectacle ?
Comment a réagi le public ?
Quelles images, quelles scènes, quels thèmes vous ont marqué-e ?
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SHAKESPEARE : DONNÉES ESSENTIELLES
William Shakespeare (1564-1616) naît à Stratford-upon-Avon dans une famille aisée ; il reçoit
une bonne éducation. Il s'installe à Londres où il est acteur, auteur dramatique, et membre
d'une compagnie théâtrale.
Claes Van Visscher, gravure de 1616 représentant Londres, avec le Globe Theater de Shakespeare au centre
Il écrit 38 pièces de théâtre et plus de 100 poèmes.
Parmi ses pièces de théâtre, des comédies (Beaucoup de bruit pour rien, La Nuit des Rois, Le
Songe d'une nuit d'été, Comme il vous plaira, etc...), des tragédies (Hamlet, Macbeth, Othello,
Roméo et Juliette, etc...) et des drames historiques (Henri VI, Richard III, etc...).
Toute sa production se fait sous les règnes d'Elizabeth 1 et de James I, devant lesquels il
jouera plusieurs fois. Il est également aimé du public et ses nombreux succès lui permettent de
s'enrichir de façon notable.
Shakespeare a utilisé de nombreuses sources pour les intrigues qu'il met en scène : des
nouvelles de la renaissance italienne, des histoires venues de l'Antiquité gréco-latine. Mais
son génie de dramaturge les a transfigurées. Sa langue est d‟une richesse extrême : il introduit
3000 mots nouveaux dans la littérature anglaise, utilise un vocabulaire quatre fois plus fourni
que le locuteur moyen de son époque. Son langage a également recours aux jeux de mots, aux
plaisanteries truculentes, et à d'innombrables métaphores, dont certaines sont passées dans le
langage courant, par exemple : « Le monde entier est une scène, et les êtres humains en sont
les acteurs » (voir page suivante).
Ses pièces, depuis leur création jusqu'à aujourd'hui, provoquent l'adhésion des spectateurs par
la finesse de leur ironie, leur lyrisme, autant que par la violence des sentiments représentés.
En phase avec le public, il met en scène les dilemmes moraux, la cruauté des vengeances, la
violence des trahisons, mais aussi l'omniprésence des passions humaines : amour, amitié,
ambition, jalousie. Ses personnages sont si bien campés qu'ils deviennent parfois des types :
Hamlet, Lear, Roméo, Juliette, et toutes les jeunes filles de caractère et à la langue bien
pendue (Portia, Rosalinde, Viola, Béatrice...)
William Shakespeare est considéré universellement comme le plus grand écrivain anglais et
l'un des meilleurs auteurs de théâtre, si ce n'est LE meilleur. Ses pièces sont représentées dans
le monde entier, et la plupart des grands metteurs en scène se sont confrontés à lui.
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SHAKESPEARE
Comme il vous plaira - As you like it
(Acte II, scène 7)
JACQUES :
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In :
La Nuit des Rois, traduction de Jean-Michel Déprats et notes de Gisèle Venet, Editions Théâtrales, 200,
pp.145,149
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Œuvres musicales et littéraires inspirées de pièces de Shakespeare
The Fairy Queen, opéra de Henry Purcell (1692), adaptation du Songe d'une nuit d'été
La Tempête, opéra de Henry Purcell (1695)
Otello ossia il Moro di Venezia, opéra de Gioachino Rossini (1816)
Oberon, opéra de Carl Maria von Weber, inspiré du Songe d'une nuit d'été (1826)
Le Songe d'une nuit d'été (Ein Sommernachtstraum), ouverture et musique de scène de Felix
Mendelssohn (1826 & 1843)
I Capuleti e i Montecchi, opéra de Vincenzo Bellini, adapté de Roméo et Juliette (1830)
Le Roi Lear, ouverture d'Hector Berlioz (1831)
Roméo et Juliette, symphonie dramatique d'Hector Berlioz (1839)
Re Lear, livret d'opéra inachevé de Salvadore Cammarano et Antonio Somma pour Giuseppe
Verdi qui n'en composa jamais la musique (1843-1867)
Macbeth, opéra de Giuseppe Verdi (1847)
Hamlet, poème symphonique de Franz Liszt (1858)
Béatrice et Bénédict, opéra d'Hector Berlioz, librement adapté de Beaucoup de bruit pour rien
(1862)
Roméo et Juliette, opéra de Charles Gounod (1867)
Hamlet, opéra d'Ambroise Thomas (1868)
Roméo et Juliette, ouverture fantaisie de Piotr Ilitch Tchaïkovski (1869)
Ophélie, poème d'Arthur Rimbaud inspiré du personnage d'Ophélie dans Hamlet (1870).
Otello, opéra de Giuseppe Verdi (1887)
Falstaff, opéra de Giuseppe Verdi (1893)
Falstaff, op. 68, étude symphonique en ut mineur d'Edward Elgar (1913)
Lieder der Ophelia, op. 67, lieder de Richard Strauss sur des textes d'August Wilhelm Schle-
gel d'après Hamlet (1919)
Hamlet, musique de scène de Dmitri Chostakovitch (1932 & 1954)
Roméo et Juliette, ballet de Sergueï Prokofiev (1935)
Le Roi Lear, musique de scène de Dmitri Chostakovitch (1941)
Such Sweet Thunder, suite musicale de Duke Ellington (1957)
Le Songe d'une nuit d'été (A Midsummer Night's Dream), opéra de Benjamin Britten (1960)
Macbett, pièce de théâtre d'Eugène Ionesco (Gallimard, 1972)
Le jour des meurtres dans l'histoire d'Hamlet opus 189, opéra en 5 tableaux de Pierre Thilloy
sur un livret de Bernard-Marie Koltès, créé le 23 mars 2011 à l'Opéra-théâtre de Metz.
Lear, opéra d'Aribert Reimann (1978)
Hamlet-machine, pièce de théâtre de Heiner Müller (1979) (traduction française aux Éditions
de Minuit)
Roméo et Juliette, opéra de Pascal Dusapin (1988)
Sur la dernière lande, poèmes de Claude Esteban (1996) inspirés du Roi Lear (in Morceaux de
ciel, presque rien, Gallimard, 2001)
Roméo et Juliette, de la haine à l'amour, comédie musicale de Gérard Presgurvic (2001)
d'après Roméo et Juliette
Une tempête, pièce de théâtre d'Aimé Césaire (1997)
Viol, pièce de théâtre de Botho Strauss (2005) d'après Titus Andronicus
Seven Shakespeares (2009-), manga de Harold Sakuishi
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SHAKESPEARE - HOMMES ET FEMMES : LA COMÉDIE DES ERREURS
Coutumes anglaises au temps d'Élizabeth 1
Au temps du théâtre élisabéthain, la coutume interdisait aux femmes d'apparaître sur scène. Le métier
d'acteur était jugé totalement impropre à la dignité et à la vertu dont devaient faire preuve les femmes.
Notons qu‟à cette époque, le reste de l'Europe faisait au contraire jouer des comédiennes.
Ainsi pour les rôles féminins, de jeunes garçons (entre 13 et 19 ans) étaient engagés jusqu'à ce que la
mue de leur voix les rendent impropres à ces rôles. Le corps des jeunes garçons était noyé sous l'infini-
té des couches des robes de scène, et leur physionomie disparaissait sous un maquillage très blanc (à
base de plomb, hautement toxique, ce qui les a souvent empoisonnés et parfois condamnés à mourir
jeunes...), des perruques et des coiffures (voiles, couronnes, diadèmes, bonnets, etc...). Au moment de
leur mue, qui se produisait beaucoup plus tard qu'aujourd'hui, les jeunes acteurs se voyaient alors attri-
buer des rôles masculins. Le tabou concernant les femmes sur scène était si fort qu'en 1629, une troupe
française qui se produisait à Londres (avec des comédiennes) fut huée par le public et ne put donner
ses représentations. Cependant, les femmes étaient tolérées dans le public. Les nobles de la Cour se
rendaient souvent aux représentations théâtrales de la ville.
Les pièces mettant souvent en scène des intrigues amoureuses, les prêcheurs puritains se déchaînaient
contre cette situation qui, prétendaient-ils, encourageaient les « mauvais penchants » vers l'homo-
sexualité des jeunes garçons et du public, mais le public, lui, s'amusait de l'incongruité et se réjouissait
grandement du tour de force de ces jeunes garçons jouant leurs rôles de femmes. Certains jouissaient
d'une grande célébrité.
Gauche : Twelfth Night au Globe Theater, reconstruit à l'identique à Londres, octobre 2013
Droite : gravure du XVIIème
siècle représentant le théâtre du Globe
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Intérêts et contraintes de l'interprétation masculine des rôles féminins
Le comble du défi pour l'auteur dramatique et son jeune interprète masculin était de représenter une
femme se faisant passer pour un homme. Sur scène paraissait donc un homme déguisé en femme dé-
guisée en homme, pour la plus grande joie des spectateurs. C'est ce qui se produit dans La Nuit des
Rois, où la jeune fille Viola se déguise en jeune homme, Césario. De nombreuses pièces de Shakes-
peare utilisent cette situation dans leur intrigue : dans Le Marchand de Venise, l'héroïne Portia se dé-
guise en avocat pour sauver un ami de son bien-aimé, et dans As you like it, Comme il vous plaira,
Rosalinde se déguise en « agréable jouvenceau », Ganymède le jeune berger.
Certains historiens du théâtre avancent que l'auteur s'est servi des rôles de femmes travesties en
homme pour simplifier la tâche de ses jeunes acteurs masculins (qui pouvaient donc jouer des rôles
plus « naturels »). Mais on considère plus généralement que les rôles de femmes interprétés par de
jeunes garçons allaient comme un gant aux motifs plébiscités par l'âge d'or du théâtre élisabéthain : le
mensonge, les erreurs, la feinte, le déguisement, le « renversement carnavalesque ». Le public s'en-
thousiasmait pour ces rôles et applaudissait à ces grands numéros d'acteurs. Que les grands rôles fémi-
nins, Juliette, Cléopatre, etc... soient joués par des jeunes garçons, apportait quelque chose de plus à la
pièce.
Redécouverte d'une tradition
L'interdiction faite aux femmes de se produire sur scène fut levée à Londres après 1640 ; des comé-
diennes purent enfin interpréter ces rôles.
Cependant, depuis une décennie ou deux, des troupes anglaises se sont lancées dans la redécouverte
des pratiques théâtrales élisabéthaines : en 1991 une première distribution uniquement masculine don-
na à Londres une interprétation de Comme il vous plaira qui souleva l'enthousiasme de la critique et
du public. Depuis, l'ouverture d'un fac-similé du Globe Theater de Shakespeare a remis encore plus à
l'affiche des compagnies entièrement masculines dédiées au théâtre autour de 1600. Depuis 1997, The
Propeller Company tourne ainsi dans le monde entier avec sept pièces de Shakespeare à son affiche, et
une distribution uniquement masculine.
De plus, les 20ème
et 21ème
siècles ont souvent mis en avant que la société du temps de Shakespeare
n'aurait peut-être pas toléré les personnages forts et entreprenants des héroïnes shakespeariennes s'ils
n'avaient été joués par des hommes... Ou bien notre époque a-t-elle besoin de cette considération pour
se draper dans un féminisme vertueux ?
Samuel Barnett, Viola, et Mark Rylance, Olivia, dans La Nuit des Rois, New York, novembre 2013
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L'acteur Eddie Redmayne joue Viola, Middle Temple Hall, London, 2002
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LA NUIT DES ROIS – Synopsis par DAN JEMMET
Sébastien et sa sœur jumelle Viola, son parfait sosie, font naufrage sur les côtes de l‟Illyrie. Alors que
Sébastien disparaît dans la catastrophe, Viola est sauvée par un des capitaines du navire. Elle décide de
se rendre chez le Duc d‟Illyrie, et, pour éviter les mauvaises rencontres, elle se déguise en garçon et
prend le nom de Césario.
Arrivée chez le duc, Orsino, elle lui propose ses services de page, et le duc, charmé par sa prestance et
son esprit, l‟attache à sa suite. Viola/Césario devient vite le confident d‟Orsino, qui lui confie son
amour malheureux pour la comtesse Olivia. Viola s‟éprend du duc. C‟est alors que ce dernier l‟envoie
en tant que page plaider sa cause auprès de la comtesse. Césario/Viola joue le jeu malgré les réticences
que lui inspire la situation.
De manière inattendue, Olivia tombe amoureuse du « page » que Viola est censée être, et dès le len-
demain, elle lui déclare son amour. Viola s‟enfuit. Son frère Sébastien, finalement réchappé du nau-
frage avec l‟autre capitaine Antonio, arrive chez la comtesse. Olivia, abusée par la ressemblance, con-
fond Sébastien et Césario, courtise le jeune homme, et finit par le persuader de l‟épouser. Le duc, tou-
jours aussi épris d‟Olivia, la trouve promise à un jeune homme qu‟il croit être son page et crie à la
trahison.
Mais tout s‟éclaire avec les retrouvailles de Viola et Sébastien. Le duc comprend qu‟en définitive, s‟il
a perdu Olivia, il a gagné Viola, sur laquelle il reporte son amour, et il l‟épouse quelque heures après
le mariage d‟Olivia et Sébastien.
Dans cette pièce l‟Illyrie est le territoire du délire amoureux. Pour Olivia, Viola est un garçon effémi-
né ; pour le duc elle est une fille garçonnière. L‟androgyne shakespearien joue le garçon pour Olivia et
la fille pour Orsino. Olivia et le duc sont simultanément amoureux de Césario/Viola, du garçon-fille.
Le triangle amoureux lié aux métamorphoses du travestissement est en place, et ses protagonistes ne
parviennent pas à se rejoindre dans cette spirale du désir. Même Sébastien n‟échappe pas à
l‟ambiguïté. Le capitaine qui l‟a sauvé, Antonio, est amoureux de lui, et semble reprendre sur un ton
de farce le thème principal énoncé sur un mode lyrique par le trio central. Et n‟oublions pas qu‟il est le
double, parce que jumeau et sosie, de Viola.
Dans cette comédie des erreurs, très représentative de l‟esprit de la Renaissance, il n‟y a que le sexe
des personnages qui est apparence, l‟amour et le désir passent du garçon à la fille, et de la fille au gar-
çon.
Pour compléter l‟analyse, il faut considérer, de plus, qu‟à l‟époque de Shakespeare, les rôles de
femmes, interdites de scène, étaient tenus par des garçons, dont les possibilités dramatiques et le re-
gistre vocal rendaient le jeu crédible. Et La Nuit des rois a été écrite pour un théâtre où les garçons
jouent des rôles de jeunes filles.
Un emboîtement supplémentaire existe donc, accessible à tous les spectateurs de l‟époque : le dégui-
sement est double, le garçon se déguise en fille qui se déguise en garçon.
Et lorsque la comédie s‟achève, le second titre de la pièce (What you will = ce que vous voudrez)
prend tout son sens : un garçon, ou une fille ?
CE QUE VOUS VOUDREZ, nous dit Shakespeare.
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LA NUIT DES ROIS - Twelfth Night, or As you will
Le titre
Cette pièce de Shakespeare fut créée devant la cour anglaise à l'occasion de la fête des Rois, le 6 jan-
vier 1602. Il s‟agit de l'Épiphanie, que nous connaissons bien pour la « galettes des rois » ou la Chan-
deleur, fête célébrant l'arrivée des Rois mages devant l‟enfant Jésus né 12 jours auparavant - en anglais
twelfth night, la douzième nuit. Cela rappelle combien Shakespeare pouvait traiter avec désinvolture le
choix des titres de ses pièces (As you like it, Comme il vous plaira) ; le sous-titre de Twelfth Night est
d'ailleurs As you will, Comme vous voulez.)
La thématique
La nuit qui précède l'Épiphanie a souvent été considérée autrefois comme aussi importante que Noël ;
elle était marquée par des réjouissances, des fêtes, des échanges de cadeaux. Dans l'Angleterre de Sha-
kespeare, la nuit des Rois marquait la date de la fin de l'hiver, commencé avec Halloween/la Tous-
saint. Elle donnait lieu à une sorte de renversement carnavalesque, le roi et les nobles étant traités
comme des paysans, et les paysans qui trouvaient la fève dans les gâteaux préparés pour l'occasion
étaient tenus pour les rois de la fête. À minuit tout s'arrêtait : l'ordre habituel était de retour.
Dans ces circonstances, l'intrigue et les personnages de La Nuit des Rois prennent tout leur sens : tra-
vestissement, échange d'identité, confusion des personnes, barrières entre classes sociales chambou-
lées, triangle amoureux improbable sont en effet les thèmes de la pièce.
La comédie
Le thème du travestissement, en particulier celui de la femme en homme, est, on l'a vu, à la fois fré-
quent dans Shakespeare et bien connu, identifié et apprécié du public. Il ne s'agit donc pas d'une nou-
veauté dans cette pièce.
Le thème des jumeaux séparés court dans toute l'histoire du théâtre occidental, depuis Les Menechme
de Plaute, jusqu'à notre époque, en passant par les Jumeaux vénitiens de Goldoni au 18ème
siècle.
Shakespeare en a déjà tiré une pièce au début de sa carrière : La Comédie des erreurs, dans laquelle
deux frères jumeaux séparés à la naissance, se trouvent sans le savoir dans une même ville vingt ans
plus tard, déclenchant méprises, quiproquos, disputes.
Ces pièces sont de purs exemples de comique de situation, relayé par le comique verbal de truculents
personnages. Il ne faut donc pas chercher de significations cachées sous les tirades ou les relations
entre les personnages.
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Résumé de l'intrigue
Deux frère et sœur jumeaux sont séparés lors d'un naufrage. Viola, pour survivre dans un monde dirigé
par les hommes, se déguise en jeune garçon et parvient à se faire engager comme page auprès du duc
Orsino, qui soupire après la belle mais insensible Comtesse Olivia. Sous le nom de Césario, Viola
devient le messager du duc auprès de la jeune femme, qui s'éprend aussitôt non du maître mais de son
page ! Pour compliquer encore les choses, Césario/Viola s'éprend passionnément … du duc ! Tout
semble en place pour un remake de Peines d'amour perdues (l‟une des premières comédies de Shakes-
peare), d'autant plus qu'Olivia rencontre inopinément Sébastien, le frère jumeau, le prend pour Césa-
rio/Viola, et l'épouse illico, au grand dam du duc.
Une intrigue secondaire réunit les personnages gravitant autour des protagonistes et fournit l'occasion
de scènes d‟un très grand comique : les prétentions d'un intendant vaniteux (Malvolio), la stupidité
d'un chevalier bien pleutre (Sir André), l'ivrognerie d'un oncle indigne (Sir Tobie), les complots d'une
soubrette à la langue insolente (Maria), l'inventivité d'un bouffon qui se prête à toutes les manigances
et invente une chanson pour toutes les occasions (Feste). Cependant, comme l'exige la circonstance (le
« carnaval » de la Nuit des Rois), le désordre des sentiments et des genres rentre dans l'ordre à minuit,
quand sonne la fin de la comédie : chaque jumeau a retrouvé sa nature féminine et masculine, Olivia
a épousé Sébastien, et Orsino Viola.
Le « duel » entre Viola et Sir André, gravure de J. Brain, 1848, Walker Art gallerie of Liverpool
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Plusieurs intrigues se superposent dans la pièce de Shakespeare, comme dans celle qu'en a tiré Dan
Jemmett :
L'intrigue principale oppose les désirs amoureux inconciliables des protagonistes : Orsino aime Oli-
via qui aime Césario/Viola qui aime Orsino.
Ce triangle amoureux est possible car le personnage central, Césario /Viola, est aimé en tant que jeune
homme par Olivia, et aime en tant que femme Orsino.
Cette première intrigue se dénouera logiquement lorsque sera mise à jour la nature féminine du per-
sonnage, c'est-à-dire lorsqu'apparaît le double masculin, le jumeau, à la fin de la pièce.
Ce dénouement survient en même temps que le dénouement de l'intrigue secondaire, qui concerne
l'intendant Malvolio, Sir André, Sir Tobie, le bouffon Feste et la servante Maria (laquelle n'apparaît
pas dans la pièce de Dan Jemmett).
Toby, Feste et Maria sont de joyeux lurons tout droit sortis de l'atmosphère carnavalesque de la « nuit
des rois » : leur trio s'ingénie à jouer de mauvais tours d'abord à Malvolio, qui a la prétention de se
croire aimé d'Olivia sa maîtresse, puis de sir André, le fanfaron stupide qui a l'outrecuidance d'être
jaloux du jeune Césario/Viola.
L'habile succession des scènes entrecroise ces deux intrigues qui ont pour point d'intersection le di-
lemme de Césario/Viola : elle ne peut décourager l'amour d'Olivia ni gagner celui du duc Orsino qu'en
révélant qu'elle est une femme. Sir André et Malvolio, qui recherchent les faveurs d'Olivia, lui sont
donc farouchement opposés. La scène du duel entre Césario et Sir André est le couronnement comique
de cette intrigue. Encore une fois, l'arrivée imprévue du jumeau Sébastien, sosie de sa sœur Viola,
bouleverse les plans de Tobie, Feste et Maria, et une échauffourée burlesque a lieu, à la suite de quoi
tout le monde est sommé de dire qui est qui : toute la vérité est faite, les identités sont avouées et
prouvées. Tout rentre dans l'ordre.
Thème principal et thèmes secondaires
Le thème principal est celui du travestissement : Viola costumée en homme met au supplice Olivia et
Orsino (qui n'est pas totalement indifférent à Cesario, bien avant que celui-ci se révèle être une
femme).
Le travestissement, la fausse identité, est donc le facteur déclencheur de l'intrigue et le moteur des
différentes passions amoureuses (par exemple Viola ne pouvant dévoiler son amour à Orsino, puis-
qu'elle se fait passer pour un homme, répond aux questions de celui-ci par des phrases sibyllines
pleines de sous-entendus).
Les thèmes secondaires sont dérivés de celui du travestissement, qu'ils déclinent sur un niveau de co-
mique burlesque : Malvolio, trompé, se « déguise » d'une façon grotesque en croyant exécuter les
ordres de sa maîtresse Olivia. Sir André prend une posture de matamore, poussé bien malgré lui au
duel par Tobie. Et enfin, celui qu'on croyait l'efféminé Césario se révèle être un rude combattant (en
fait il s'agit du viril Sébastien qui surgit au moment du « duel » comme un chien dans un jeu de
quilles). Malgré leurs ruses et leurs tromperies, les personnages secondaires, intendant, fou, para-
sites, servante, mènent tout au plus un chaotique carnaval qui ne cessera que lors de l'intervention des
personnages « nobles ».
Le tout finit par des mariages et des chansons.
Gravure de R. Staines,
d'après un tableau de D. Maclise.
Malvolio se pavane devant Olivia ;
Maria rit sous cape de le voir se ridiculiser
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La mélancolie shakespearienne
Si La Nuit des Rois est une simple comédie, quelques ambiguïtés donnent à ses personnages profon-
deur et mystère.
C'est surtout le cas du personnage du duc Orsino, dont on peut s'étonner qu'il se console du mariage
d'Olivia grâce aux charmes de Césario/Viola, qu'il épouserait volontiers dans ses habits masculins
depuis qu'il sait que c'est une femme.
Orsino est un rêveur mélancolique à qui il plaît d'être triste. Il regrette la façon d'aimer « au bon vieux
temps ». Il aime les vers et la musique dans des tonalités sombres. Il semble toujours un peu méditatif,
en retrait de sa vie : la découverte côte à côte de Césario et Sébastien qui se ressemblent comme deux
gouttes d'eau lui inspire une remarque poétique sur l'illusion visuelle qui, dit-il, « à la fois est et n'est
pas ». Il est l'incarnation du « caprice de la passion » dont il parle dans la première tirade de l'Acte I, et
l'incarne tout à fait dans le revirement final de ses affections. Il aura, dit-il en maniant avec délice
l'oxymore, « sa part, dans ce très heureux naufrage », confirmant ainsi la tonalité douce amère de son
personnage.
Les mélancoliques shakespeariens sont nombreux, depuis Antonio du Marchand de Venise au célèbre
Hamlet, tout de noir vêtu, en passant par Jacques le Mélancolique de Comme il vous plaira (lié lui
aussi à une intrigue de travestissement des identités). La présence de la mélancolie introduit une ambi-
guïté émotionnelle qui plonge sous les racines de la comédie shakespearienne, même si ce n'est pas le
trait qu'a retenu Dan Jemmett dans son interprétation : Orsino est joué par le même acteur qui incarne
le ridicule et burlesque Malvolio.
Walter Howell Deverell, La Nuit des Rois
Orsino mélancolique entre Césario/Viola et le bouffon Feste
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Le Duc Orsino avec Viola/Cesario, tableau de R.F. Pickersgill, vers 1850
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SHAKE PAR SON METTEUR EN SCÈNE
La parole à Dan Jemmet
Note d’intention de mise en scène
Quand on touche à une écriture, à une histoire et à des personnages comme ça, on en est affecté. Je ne
peux pas l'expliquer ; Je ne ressens pas du tout l'angoisse que j'éprouvais en travaillant sur les autres
objets. Il y a quelque chose avec cette pièce, le calme... Au cours des improvisations avec les acteurs,
je trouve que je vais chaque fois vers quelque chose de doux, même les moments un peu plus trou-
blants peuvent exister dans une atmosphère plus chaleureuse. Rien à voir avec les dernières pièces de
Shakespeare. Là, il y a une grâce, une fête de la vie, propres à nous faire retomber en enfance.
Voilà toute l'histoire : Viola, ayant perdu son frère dans une tempête, prend son apparence. Malgré son
costume masculin, elle trouble le roi. Le travestissement des sexes répond à l'espace indéterminé où se
déroule La Nuit des rois, l'Illyrie, un royaume mystérieux comme un trésor. « La pièce m'a fait penser
à mon enfance, aux vacances passées avec mon père. Il était acteur dans les années 50 et j'ai grandi
dans une atmosphère de théâtre vieux style, ou plutôt de divertissement, juste avant que la télévision
ne capte ce type de public. Il aimait beaucoup les numéros d'acteurs comme on fait dans le théâtre du
samedi soir ou sur les plages, au bout des jetées, avec des marionnettes. L'Illyrie est devenue pour moi
le théâtre, tout simplement. »
Le théâtre selon Dan Jemmett : intuitif et pas intellectuel, joueur plutôt que poseur. C'est-à-dire ca-
pable d'associer librement, du moment que le jeu prend en charge la logique des mutations en cours.
Quand on le découvrit avec Ubu, spectacle créé en anglais et remonté en français, des ustensiles de
cuisine manipulés par un acteur interprétaient avec brio une armée en déroute, un meurtrier crapu-
leux.... tandis que le couple Ubu, joué par deux acteurs, s'échinait dans un castelet. Dans Shake, les
cinq comédiens foncent bille en tête, prennent en main les dix-sept personnages de la pièce. Des ca-
bines de plage situent ce royaume en bord de mer, castelets de vacances où se trament les histoires,
pendant que le Fou passe en revue sa collection de vinyles sur son tourne-disque : Jeff Love and his
orchestra, Mozart, Bach, Lou Reed.
Quand j'étais jeune, j'ai eu un tourne-disque des années 60 et une collection de disques. Elle était très
bizarre et j'ai voulu lui rendre hommage ! Je suis allé aux Puces où j'ai racheté un tourne-disque et un
lot de quarante disques, au hasard. J'ai dit qu'on allait trouver la musique parmi ces disques et c'est ce
qu'on fait. « Shake, en effet ».
Fabienne Arvers
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Note d’intention de traduction
Traduire Shakespeare… Drôle de voyage ! Quand Dan Jemmett m‟a proposé de traduire La Nuit des
Rois pour Shake, j‟ai accepté tout de suite, sans réfléchir, ravie et fière d‟avoir à en découdre avec une
de mes pièces préférées. Je suis partie avec mon baluchon de comédienne, et je suis allée à la ren-
contre de Sir Toby, de Viola, d‟Orsino, de Sir Andrew, d‟Olivia, de Feste, de Malvolio, de Sébastien,
d‟Antonio, de tous les autres…A la fin de la première journée, j‟avais traduit dix lignes et là, j‟ai pen-
sé à ces histoires à la noix des types qui traversent l‟Atlantique, tous seuls, sur des petites barques avec
des voiles…
Pourtant, un homme de théâtre comme Shakespeare écrit vite, j‟en suis sûre, il écrit pour dans quinze
jours… oui, mais si l‟écriture de théâtre est libre et impulsive, elle est aussi le fruit d‟une très grande
science des mots, le fruit du métier du poète… et je me suis rendue compte que moi, pour être fidèle à
tout ça, j‟allais y passer des mois.
Comment retrouver la modernité de la langue ? Conserver la poésie ? Le théâtre est toujours dans
l‟instant présent. Shakespeare parle la langue de son temps, celle des grands de ce monde, et celles des
petites gens et c‟est cela qu‟il s‟agit de retrouver. Il parle aussi la langue du théâtre qui est celle des
personnages, de leurs émotions, de leurs passions et c‟est cela qu‟il s‟agit de retrouver. Il parle la
langue des poètes qui est celle du rythme et de la musique et c‟est cela qu‟il s‟agit de retrouver. Bref,
c‟est à cette langue aux formes multiples qu‟il faut se colleter. Traduire revient alors à essayer de ré-
pondre à toutes les langues du théâtre à la fois et parfois c‟est tout simplement impossible, il faut choi-
sir. S„éloigner du sens littéral pour être vraiment fidèle. Oser les jeux de mots. Comprendre quand la
langue est triviale, traquer les doubles sens, les triples sens, les sous-entendus. Reconnaître ce qu‟il
peut y avoir de conatif ou de phatique dans le discours, autrement dit identifier les mots qui accompa-
gnent le discours et donnent plus un éclairage sur l‟état d‟un personnage qu‟ils ne “disent ” quelque
chose. Trouver la musicalité. Mettre tout cela en bouche.
Car c‟est là quelque chose d‟important. Le texte traduit doit être dit. Il doit être aussi fidèle que pos-
sible et un acteur doit pouvoir le jouer. Et là, c‟est encore une petite cuisine instinctive, où le souffle et
la fluidité de la phrase finiront par être au rendez-vous. Le texte doit être dit, et on doit y croire ; le
comédien doit pouvoir apporter toute sa sensibilité, la phrase doit être un écrin pour ses émotions et
pas une falaise à escarper et puis elle doit ouvrir son imagination, les images, les métaphores doivent
parler à son cœur…
En somme, je croyais avoir à traduire et je me suis trouvée à partir pour un voyage au long cours au
pays du théâtre, dans ce pays magique, en Illyrie, dans mon tout petit bureau… avec derrière moi, le
fantôme bienveillant du grand Will.
Marie-Paule Ramo, traductrice
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Ce qui a séduit Dan Jemmett à notre époque est le potentiel comique voire festif (jeu de mot assumé
sur le nom du bouffon, « Feste ») de La Nuit des Rois ; il avait d'ailleurs déjà réalisé une adaptation de
La Comédie des erreurs. Sa réécriture de l'œuvre shakespearienne insiste irrésistiblement sur le co-
mique de travestissement (Viola/Sébastien/Césario sont joués par la même actrice !) et donne un rôle
prépondérant au bouffon Feste, qui fait figure de maître de cérémonie… et de disc-jockey. Les thèmes
traditionnellement comiques du parasite glouton et ivrogne (Tobie, qui se continuera en Falstaff), du
sot indécrottable (André), de l'arrogant berné (Malvolio) sont férocement mis en valeur. Chez Dan
Jemmet, l'accent est mis sur la performance d'acteurs, chacun ayant plusieurs rôles et effectuant les
changements d'identité à la vue du public. Le metteur en scène révèle ainsi ce qui était traditionnelle-
ment caché en coulisse, donnant au spectateur la satisfaction intellectuelle d'assister au dévoilement du
jeu théâtral, de ses codes, de ses illusions. Nous avons le plaisir de comprendre mais nous n'avons plus
le plaisir d'être mystifiés. Du coup, le travestissement de Césario n'est plus que l'un des nombreux
changements de costumes sur scène. Autre temps, autre public, autre effet théâtral.
Shake @ Mario Del Curto 2001
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Les personnages dans la pièce et son adaptation
Personnages de La Nuit des Rois de Shakespeare
ORSINO, duc d'Illyrie
VALENTIN, gentilhomme de la suite du duc
CURIO, gentilhomme de la suite du duc
VIOLA, amoureuse du duc
SÉBASTIEN, jeune gentilhomme, frère de Viola
ANTONIO, capitaine de vaisseau, ami de Sébastien
OLIVIA, riche comtesse
MARIE, suivante d'Olivia
SIR TOBY BELCH, oncle d'Olivia
UN CAPITAINE DE VAISSEAU, ami de Viola
SIR ANDREW AGUECHEEK, compagnon de Sir Toby
MALVOLIO, intendant d'Olivia
FABIEN, au service d'Olivia.
FESTE le clown, bouffon au service d'Olivia
UN PRÊTRE.
SEIGNEURS.
MATELOTS.
OFFICIERS.
MUSICIENS.
SERVITEURS.
8 Personnages retenus par Dan Jemmet dans Shake (et seulement 5 comédiens sur scène !)
Viola / Sébastien - Frère et soeur jumeaux : (rôle joué par la même comédienne) émouvante et pa-
thétique dans son rôle d‟amoureuse transie, volontaire et calculatrice quand il s‟agit de défendre le
camp auquel elle a associé son destin.
Orsino - Duc d’Illyrie / Malvolio - Intendant d’Olivia : (rôle joué par le même comédien) un séduc-
teur latino gominé rappelant Elvis. Le même acteur joue l‟intendant ridicule de la Comtesse, imbu de
lui-même, imbécile fini facilement berné, alors que le personnage était beaucoup plus inquiétant dans
le texte originel.
Feste - Bouffon d’Olivia : un bouffon shakespearien. Ici un commentateur avisé des évènements,
susceptible de déraper dans l‟absurde à tous moments, avec des ajouts incongrus au texte, et une placi-
dité lunaire en contraste total avec l‟excitation générale qui préside à l‟intrigue.
Olivia - Comtesse : comtesse branchée, plus Marilyn que noble, rousse incendiaire qui sombre par
instants dans un sentimentalisme nunuche, très « princesse de tabloïd » dans le fond.
Sir Toby - Oncle d’Olivia : vieux noceur, viveur démoniaque et alcoolique, interprété par un acteur
ventriloque particulièrement impressionnant dans sa démesure et la perfection technique de sa double
voix.
Sir Andrew - Compagnon de débauche de Sir Toby : un pantin hystérique et bavard, manipulé par
son mentor, dont le prototype écumait les plateaux de télévision dans les années soixante.
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Texte versus Adaptation : Détail d’une scène
La pièce de Shakespeare…
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27
In :
La Nuit des Rois, traduction de Jean-Michel Déprats et notes de Gisèle Venet, Editions Théâtrales, 2001, pp. 7-8
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… et son adaptation…
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Shake dans la presse…
LE TEMPS –10 NOVEMBRE 2001
Lausanne : une merveille d'humour et d'émotion
Avec « Shake », cinq comédiens font rougir Shakespeare de bonheur
Avec ses lunettes à grosses montures de mathématicien en état de lévitation, sa distraction affichée sur
le visage comme une marque de fabrique et ses 34 ans aux allures bohèmes, l' Anglais Dan Jemmett
est un poète ambulant. On l'imagine volontiers tracer sur l'ardoise de ses rêves et d'une craie lyrique
des équations insensées. Par chance, cette tête chercheuse, mari d'Irina Brook, fille de Peter (elle mon-
tera début décembre Roméo et Juliette) est metteur en scène. Autant dire que ses équations sont
d'abord poétiques et pataphysiques.
Après avoir tranché ainsi dans la chair mélancolico-sanguine d'Hamlet en compagnie du comédien
Gilles Privat (Presque Hamlet la saison passée à Vidy) il remixe avec un art certain du coq à l'âne La
Nuit des rois du même Shakespeare. Cela s'appelle Shake, c'est joué au Théâtre de Vidy à Lausanne
par cinq comédiens vertigineux et c'est une merveille de théâtre qui donne envie d'y courir toujours.
Princesse de tabloïd. Un quintet pour La Nuit des rois. C'était a priori culotté. Cette histoire de nau-
frage, de jumeaux séparés (Sébastien et Viola) de duc Orsino follement épris de la belle comtesse Vio-
la, bref, ce brouillage amoureux avec éclaircie miraculeuse en fin de parcours semblait nécessiter plus
de bras et de têtes. Dan Jemmet, lui, a décidé d'alléger la comédie. Il a planté sous le chapiteau de
Vidy cinq cabanons, qui sont autant de loges et de repaires de pirates pour des acteurs capables de
toutes les rapines. Il y a Geoffrey Carey, simplement captivant en bouffon tombé de la lune, Valérie
Crouzet, excellente en princesse de tabloïd, Antonio Gil Martinez, dont on ne dira rien sauf qu'il ex-
celle dans la saute d'humeurs, Hervé Pierre impressionnant en viveur démoniaque et la jeune Julie-
Anne Roth surtout, qui cumule les rôles de Viola et de Sébastien et qui donne le frisson lorsqu'elle
jette ses grands yeux d'enfant dérouté sur l'assistance.
Ces cinq-là exultent dans l'art du patchwork, entre clownerie tragique, fièvre du samedi soir déclinée
sur un pick-up d'une autre époque, excentricité à l'anglaise et multiple œillade à tous les amoureux de
la scène. Oui, ce Shake est d'abord une invitation permanente au jeu. C'est pour cette raison qu'on
l‟aime autant.
Alexandre Demidoff
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DAN JEMMET
Biographie
Après des études supérieures en Études théâtrales et en Littérature à l‟université de Londres, Dan
Jemmett fonde, avec Marc von Henning, Primitive Science, une compagnie de théâtre expérimentale
qui représente à Londres notamment Médée-Matériau de Heiner Müller (Soho Poly Theater), Antigone
de Brecht (Battersea Arts Centre), Quartett de Heiner Müller (Lilian Baylis Theatre), Fatzer, frag-
ments de Bertolt Brecht, montage de Heiner Müller (Gate Theatre), Hunger d‟après des textes de Kaf-
ka (Purcell Room), Imperfect Librarian d‟après des nouvelles de Borgès (Young Vic Theatre).
Dan Jemmett fait sa première mise en scène au Young Vic Theatre avec Ubu Roi d‟Alfred Jarry. Le
spectacle est repris à Paris, en 1998, au Théâtre de la Cité internationale. Dan Jemmett vit depuis lors
en France.
Ses mises en scène en France incluent notamment Presque Hamlet d‟après Shakespeare (Théâtre de
Vidy-Lausanne, Théâtre national de Chaillot), Shake d‟après La Nuit des Rois de Shakespeare, cou-
ronné par le prix de la Critique française comme Meilleure Révélation Théâtrale 2000-2001 (Théâtre
de la Ville), Dog Face d‟après The Changeling de Thomas Middleton (Théâtre de Vidy-Lausanne,
Théâtre de la Ville), L’Amour des trois oranges de Carlo Gozzi (Théâtre de Sartrouville et tournée en
France), Femmes gare aux femmes de Thomas Middleton (Théâtre de la Ville, Théâtre de Vidy-
Lausanne), William Burroughs surpris en possession du Chant du Vieux Marin de Samuel Taylor Co-
leridge, texte contemporain de Johny Brown, traduit par Marie-Paule Ramo (Théâtre de la Ville), The
Little Match Girl, d‟après le conte de Hans Christian Andersen, La Petite Fille aux Allumettes, un
spectacle créé en collaboration avec le groupe anglais The Tiger Lilies au festival de Syracuse, ayant
fait une tournée européenne. En 2010, il met en scène Le Donneur de Bain, de Dorine Hollier au
Théâtre Marigny, et La Comédie des Erreurs de William Shakespeare créée au Théâtre de Vidy-
Lausanne, en tournée en 2011 et 2012.
Plus récemment, Dan Jemmett a mis en scène une adaptation de Ubu Enchaîné d'Alfred Jarry, crée au
Théâtre du Phénix à Valenciennes en 2011, en tournée en 2011 et 2012, une adaptation du Roi Richard
III de William Shakespeare, Les Trois Richard, créée au Printemps des Comédiens en 2012, en tour-
née en 2012 et 2013, et Macbeth (The Notes), crée à Sortie Ouest à Béziers en 2014, en tournée en
2014 et 2015.
Aux État-Unis, Dan Jemmett a travaillé à une nouvelle version de Dog Face au Quantum Theater de
Pittsburgh, qu‟il fit représenter dans une usine désaffectée connue sous le nom de Heppenstall Plant.
Ce spectacle fut joué à Madrid en 2006, au festival de l‟automne. Au Quantum Theater, il présente
également une adaptation de The Collected Works of Billy the Kid de Michael Ondaatje en 2007, re-
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prise en avril 2013 au Théâtre des Bouffes du Nord. A Pittsburgh, il a présenté aussi en 2009 une ver-
sion du Dr Faustus de Christopher Marlowe, FaustUS.
En janvier 2008, il retournait à Madrid, pour une mise en scène de la pièce de Tirso de Molina, Le
Trompeur de Séville, créée au Théâtre Abadia, avant de présenter en 2013 une nouvelle mise en scène
au Teatro de la Abadia : El Café de Rainer Werner Fassbinder. A Varsovie, au Teater Polski, il met en
scène La Nuit des Rois de William Shakespeare en 2011, puis La Tempête de William Shakespeare en
2012.
Ses mises en scène à l‟opéra incluent La Flûte Enchantée de Mozart, en collaboration avec Irina Brook
(Reisopera, les Pays-Bas), L’Occasione fa il Ladro de Rossini (Ensemble Matheus, direction Jean-
Christophe Spinozi, Le Quartz, Brest, 2004, tournée en France avec la compagnie de l‟ARCAL), The
Gondoliers de Gilbert et Sullivan (Deutsche Oper Am Rhein, Düsseldorf, Allemagne), Un Segreto
d’Importanza de Rendine (Theatro Communale di Bologna), L’Ormindo de Cavalli crée à la Maison
de la musique de Nanterre, avant une tournée en France. En 2010, il met en scène Béatrice et Béné-
dicte de Hector Berlioz à l‟Opéra Comique, à Paris, en tournée au Grand Théâtre du Luxembourg en
2011. Il met en scène la même année Le Freischutz de Carl Maria Von Weber avec un livret français
d'Hector Berlioz à l'Opéra Comique, opéra dirigé par John Eliot Gardiner.
Dan Jemmett a mis en scène au Théâtre du Vieux-Colombier en 2007 Les Précieuses Ridicules de
Molière, spectacle présenté également en tournée en Europe de l‟Est du 10 novembre 2008 au 9 février
2009, repris en mai 2009 au Théâtre du Vieux-Colombier. En 2009, il a mis en scène La Grande Ma-
gie d‟Edouardo di Filippo à la Comédie-Française, salle Richelieu, spectacle repris les deux saisons
suivantes. En 2013 il a mis en scène La Tragédie d’Hamlet de William Shakespeare, également à la
Comédie Française, salle Richelieu, spectacle qui sera repris en juin 2015.
En 2014 Dan Jemmett est devenu artiste en résidence à la MAL de Thonon-les-Bains, ou il fonde sa
propre compagnie - Eat a Crocodile. Eat a Crocodile prépare une version de Measure pour Measure de
Shakespeare en anglais pour le Shakespeare Festival à Neuss, Allemagne, en Juin 2015, une reprise de
Shake au théâtre de Carouge, Genève, en Octobre 2015, et la création d‟une nouvelle pièce Clytem-
nestr@pocalypse de l‟auteur americain David Turkel pour la rentrée 2016.
Shake @ Mario Del Curto 2001
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In :
La Nuit des Rois, traduction de Jean-Michel Déprats et notes de Gisèle Venet, Editions Théâtrales, 2001, p. 150
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PARCOURS PÉDAGOGIQUES
Shake
Visite thématique au MAMCO, Musée d‟art moderne et contemporain
S’approprier, au théâtre, au musée
Pour la deuxième année consécutive, le Mamco et le Théâtre de Carouge s'associent pour explorer des
questions communes au musée et au théâtre.
Il s‟agira de proposer aux classes de s'intéresser aux artistes qui s'approprient des objets, des textes,
des idées modestes et géniales, conçus par d'autres.
Combinaison Théâtre de Carouge / Mamco pour les classes genevoises à partir du secondaire : les
élèves assistent à la représentation Shake de Dan Jemmet et visitent le Mamco sous l'angle de
l'appropriation.
MAMCO, Musée d’art moderne et contemporain, 10 rue des Vieux-Grenadiers, 1205 Genève
Réservation auprès du Bureau des transmissions du Mamco en remplissant le formulaire en ligne :
http://www.mamco.ch/public/8_Visite_groupe.html
Merci de préciser "Combinaison Théâtre de Carouge / Mamco".
10 classes maximum
… Et pour retrouver Shakespeare sur grand écran, grâce à de délicieux films muets :
Shakespeare, côté courts
Ciné-concert le mercredi 11 novembre à 19h30 au Temple de Carouge
Improvisations à l‟orgue de Vincent Thévenaz
Informations : [email protected]