INSPECTION ACADEMIQUE DE TARN-ET-GARONNE
-_-_-_-_-_-_-_-_- Daniel Amédro
27 août 2010
« I l y a l ’ au to r i t é qu i u se du pouvo i r e t du savo i r - f a i r e don t e l l e d i spose ,
pou r subordonner l e s au t res à ses f i n s (…) ; ce l l e - l à es t a sse rv i s san te .
I l y a l ’ au to r i t é qu i u se du pouvo i r e t du savo i r - fa i r e , pou r se subordonner e l l e -même en un sens
à ceux qu i l u i son t soumi s , e t qu i , l i an t son so r t à l eu r so r t ,
pou rsu i t avec eux une f i n commune : ce l l e - l à es t l i b é ra t r i ce .
En t re ces deux man i è res de concevo i r e t de p ra t i quer l ’ au to r i t é , i l n ’ ex i s t e pas seu lement une d i f f é rence
i l ex i s t e une con t rad i c t i on »
L . Laber thonn i è re , Théor i e de l ’ éduca t i on
2
Plan
Page
Introduction
Ière PARTIE : APPROCHE HISTORIQUE
- les Grecs
- Rome
- le Moyen-âge
- la Renaissance
- les Lumières
- la Révolution
IIè PARTIE : APPROCHE CONTEMPORAINE
II.1 Avoir de l’autorité
- compétence
- popularité
- prestige
II.2 Avoir une autorité
- 1ère idée : autorité et droit
- 2è idée : autorité et histoire
- 3è idée : autorité et morale
Pour conclure
Bibliographie
3
INTRODUCTION
Autorité et pouvoir ; je dirai que c’est à la fois un
sujet qui vous intéresse et un sujet intéressant.
> Un sujet qui vous intéresse parce que vous êtes dans
des fonctions d’autorité, de chef ; c’est une évolution que vous
avez en principe souhaitée, après y avoir sans doute mûrement
réfléchi ; vous avez peut-être attendu ce passage avec
impatience.
Il s’est traduit par des changements de responsabilités dans
toute une série de domaines, très divers selon les fonctions qui
sont les vôtres. L’un d’entre eux, le moins palpable et, en
même temps, le plus évident, est le changement de situation
vis à vis de l’autorité.
> Sujet qui vous intéresse, donc. Mais aussi sujet
intéressant, eu égard à la complexité de la relation
qu’entretient la société avec l’autorité. « L’autorité est
nécessaire, mais elle n’est pas aimée »1. «… toute société
humaine réclame une autorité pour survivre comme société, ….
Mais … en même temps toute société craint l’autorité
susceptible de nier ses libertés, de mettre à mal ses capacités
d’agir, voire de défaire son ordre propre pour en instaurer un
autre, artificiel »2.
Cette relation complexe, contradictoire, à l’autorité, se
retrouve bien dans la société française. Celle-ci, en effet, a
gardé de la monarchie absolue une « révérence
1 Chantal Delsol, L’autorité, PUF/Que sais-je ?, 1994. 2 Ibidem.
4
exceptionnelle 3» à l’égard de l’Etat, mais elle manifeste, en
même temps, « un tempérament frondeur, une inclination à
contester toute décision prise par l’autorité, une propension à
tenir tête au pouvoir central… 4».
Le contexte de crise que nous connaissons, et qui va sans
nul doute s’approfondir, renouvelle aussi la question de
l’autorité. Ne peut-on soutenir, en effet, que quand tout va
bien, le besoin d’autorité est moins pressant que lorsqu’il faut
gérer des ressources rares ? Par gros temps, les chefs sont mis
en demeure de montrer tout leur savoir-faire.
Cette ambivalence de la relation à l’autorité, complexifiée
par le contexte de crise, est encore redoublée (à moins que ce
ne soit l’inverse…) par la complexité de l’écheveau de
significations que portent les mots. Deux d’entre eux semblent
se disputer la vedette dans cette affaire : autorité et pouvoir.
Vos fonctions actuelles au sein de l’Education Nationale, quelles
qu’elles soient, vous ont sans doute mis en situation d’éprouver
les différences entre autorité et pouvoir.
Lustre superbe et fragile de l’autorité, d’un côté, mécanique
froide et efficace du pouvoir, de l’autre ; voix d’autorité, d’un
côté, décisions du pouvoir, de l’autre ; autorité spirituelle, d’un
côté, pouvoir temporel, de l’autre. Cristal et acier.
Mon propos est d’essayer de clarifier tout cela pour
déboucher – je l’espère – sur un échange.
Dans une première partie, je retracerai l’histoire de la
distinction entre autorité et pouvoir (auctoritas et potestas)
dégagée par Rome, et qui a persisté jusqu’à nos jours.
3 René Rémond, La société française et l’autorité, in Migrants-Formation, n° 112, mars 1998. 4 Ibidem.
5
Nous serons alors prêts pour l’approche contemporaine.
Auctoritas d’abord : c’est l’ascendant ; c’est le type d’autorité
dont fait preuve, au sein d’un groupe, un individu qui se révèle
capable d’influencer l’attitude des autres et qui acquière ainsi
une sorte de prééminence. C’est l’autorité personnelle. C’est
celle que l’on vise quand on dit de quelqu’un qu’il a de
l’autorité.
Potestas ensuite : c’est l’autorité dont sont investies
certaines personnes à raison de la fonction qu’elles remplissent
dans un cadre institutionnel. C’est le pouvoir légal, l’autorité
fonctionnelle. C’est celle qui va nous faire dire d’une personne
qu’elle a une autorité.
Avoir de l’autorité d’un côté, avoir une autorité de l’autre ;
tel sera le balancement de cette deuxième partie.
6
Ière PARTIE
APPROCHE HISTORIQUE
1. Les Grecs ne connaissaient pas le mot autorité. Hannah
Arendt rapporte, dans Qu’est-ce que l’autorité ?5, cette
remarque de l’historien grec Dion Cassius6 qui, écrivant une
histoire de Rome, trouve impossible de traduire en grec le mot
auctoritas. Dans cette « patrie de la libre curiosité, du libre
examen, de la libre discussion, l’autorité intellectuelle y
apparaît réduite au minimum7 ». L’esprit grec est
antiautoritaire. Clément d’Alexandrie8 parlait de « ces
philosophes grecs qui ne cessent d’argumenter et de disputer
par une vanité stérile, qui ne s’occupent enfin que d’inutiles
fadaises9 » ; et il ne trouve pas étonnant que « l’histoire ne
nous montre chez eux que des bourgades souveraines toujours
en guerre et que rien ne put jamais amalgamer10 ».
2. Rome apporte un esprit « pratique, positif, utilitaire11 »,
« politique et administratif, amoureux d’unité, d’organisation et
de discipline, préoccupé d’ordre et de morale, prêt à mettre un
frein aux curiosités et à imposer silence aux discussions12 ».
Le processus juridique de droit privé y est conçu comme
quelque chose qui « métamorphose le fait pour lui conférer la
force [auctoritas] qui le rend efficace13 » : c’est un processus
de majoration. Et cela permet de mieux comprendre la
signification première du mot autorité, qui dérive du verbe
5 In La crise de la culture. 6 V. 155-v. 240. 7 Grand dictionnaire universel du XIXè siècle de Pierre Larousse, article autorité. 8 Philosophe et docteur chrétien (v. 160-v. 217). 9 Cité par le Grand dictionnaire universel du XIXè siècle. 10 Ibidem. 11 Ibidem. 12 Ibidem. 13 Dictionnaire de la culture juridique.
7
augere signifiant augmenter. L’auctoritas en question « n’est ni
une autorisation donnée par avance ni une ratification procurée
après coup, mais une intervention qui valide un acte sinon
imparfait14 ». Cette intervention, c’est celle de l’auctor. L’auctor
est un garant.
La même notion se retrouve en droit public, en plus
complexe. La constitution républicaine romaine a cette
particularité d’organiser la collaboration du Sénat, des
magistrats et du peuple. Polybe15, vers 150 av. J.-C., attribuait
les succès de Rome à cette constitution mixte. Dans les faits,
cependant, la prééminence de l’auctoritas du Sénat fausse
l’équilibre du pouvoir. Le fond de l’affaire est qu’à Rome le
pouvoir revêt plusieurs formes : auctoritas et potestas.
Auctoritas du Sénat d’un côté : capacité à rendre des avis
(senatus-consulte) ; potestas des magistrats de l’autre : droit
de prendre des décisions, de donner des ordres, d’exercer un
certain pouvoir de contrainte. Mais la potestas ne s’engage
jamais seule, « à découvert », a-t-on envie de dire ;
l’auctoritas du Sénat est toujours sollicitée.
L’explication de cette complicité étrange réside d’abord
dans le fait que les membres du Sénat sont, à l’origine,
exclusivement d’anciens magistrats. Elle tient aussi au fait,
ainsi que l’explique Hannah Arendt, qu’« au cœur de la politique
romaine, …, se tient la conviction du caractère sacré de la
fondation, au sens où une fois que quelque chose a été fondé il
demeure une obligation pour toutes les générations futures.
S’engager dans la politique voulait dire d’abord et avant tout
conserver la fondation de la cité de Rome16 ». L’autorité a ses
racines dans le passé. Les anciens, ou les patres du Sénat,
étaient les mieux à même de l’ incarner. Ainsi s’explique 14 Ibidem. 15 Historien grec (v. 206-v. 128). 16 « Qu’est-ce que l’autorité ? », in Crise de la culture.
8
l’auctoritas patrum exceptionnelle (autorité des pères) dont ils
jouissent. Les patres ne donnent qu’un avis consultatif mais, en
pratique, celui-ci est souvent décisoire. « Plus qu’un conseil et
moins qu’un ordre, un avis auquel on ne peut passer outre sans
dommage », écrit Theodor Mommsen dans son Histoire romaine.
« L’autorité émane d’une assemblée dépourvue de pouvoir
immédiat, mais dont le prestige est tel qu’elle règle la vie de la
Cité17 ». Cette autorité ira si loin qu’au temps de la constitution
patricio-plébéienne (VIè siècle av. J.-C.), c'est-à-dire quand la
noblesse devra partager le pouvoir avec la plèbe, « la noblesse
et son assemblée, le Sénat, réussirent cependant à conserver la
haute main sur la vie politique de la Cité en se drapant dans l’
auctoritas18 ». Mieux encore : la plèbe elle-même fera
« consacrer ses projets de réforme par des leges autorisées par
senatus-consulte, plutôt que par des plébiscites qui ne
dépendaient que d’elle19 ».
Bien plus tard, en 27 av. J.-C., le Sénat accorde à Octave,
qui avait restauré la paix, l’ imperium proconsulaire non limité,
c'est-à-dire le pouvoir légal, assorti du qualificatif d’Auguste,
porteur d’auctoritas. Jamais un tel qualificatif n’avait été donné
aux hommes. C’était le début de l’Empire romain. Dans son
testament politique Octave explique l’effet de la mesure : « Dès
lors je l’ai emporté sur tous en autorité (auctoritas), mais je
n’ai pas eu plus de pouvoir (potestas) qu’aucun de mes
collègues dans mes diverses charges ». Il surpasse néanmoins
les pouvoirs établis parce qu’il est premier par l’autorité.
La distinction autorité-pouvoir va se trouver renforcée et
densifiée avec la christianisation de l’Empire. Surgit alors la
question de l’obéissance des premiers chrétiens à la Res publica
païenne. Pouvoir spirituel d’un côté, pouvoir temporel de 17 Dictionnaire de la culture juridique. 18 Ibidem. 19 Ibidem.
9
l’autre. Le concept d’auctoritas aura l’occasion de montrer ses
ressources. Il va permettre à l’épiscopat de « sauvegarder
l’autonomie de son magistère spirituel en s’insérant dans la vie
publique de l’Empire20 ». « En 445, l’Empereur Valentinien III
reconnaît à la papauté et aux évêques pris collectivement une
auctoritas publique qui met à leur disposition la puissance du
bras séculier21 ».
En 494, le Pape Gélase écrit à l’Empereur d’Orient : « Il y a
deux forces, empereur Auguste, par lesquelles ce monde est au
premier chef régi : l’auctoritas sacrata des pontifes et la
potestas des rois ». Mais il affirmait la prépondérance de la
première sur la seconde.
3. Le Moyen-âge s’inspira de la formule de Gélase. Au
pape l’auctoritas, la direction générale du peuple chrétien. Aux
rois la potestas, l’administration gouvernementale. Le Moyen-
âge sera « le bon temps de l’autorité intellectuelle22 » :
infaillibilité ecclésiastique, domination de la philosophie par la
théologie, études réduites au commentaire des écritures. C’est
le temps des Sommes, rassemblant l’ensemble des certitudes
du moment, au premier rang desquelles figure celle de Saint
Thomas d’Aquin.
Dès le XIè siècle, cependant, la ratio s’oppose à l’auctoritas
dans le contexte de la polémique entre dialecticiens et
antidialecticiens. La critique de l’auctoritas se fait plus virulente
au XIIè siècle avec saint Bernard et Pierre Abélard. Au XIIIè
siècle, la représentation du monde et de la société se
rationalise sous l’influence de la philosophie aristotélicienne et
de l’averroïsme. Un moine d’Oxford, Roger Bacon, ose déclarer
que la science du Moyen-âge, tout entière tirée de l’antiquité et 20 Dictionnaire de la culture juridique. 21 Ibidem. 22 Grand dictionnaire universel Larousse, article autorité.
10
de la tradition, formait un édifice fragile et caduc La négation
de l’auctoritas par la raison s’affirmera pleinement au XIVè
siècle avec le nominalisme. En fin de compte, « c’est dans un
monde désenchanté qu’éclôt la pensée politique moderne23 ».
4. La Renaissance marque la décadence de l’auctoritas
intellectuelle. Trois grands événements y contribuent :
l’ invention de l’ imprimerie, la prise de Constantinople par les
Turcs qui va pousser les lettrés grecs vers l’Italie et y créer un
foyer intellectuel de première grandeur, et, enfin, et surtout, la
découverte du nouveau monde. « Ce qui caractérise, toutefois,
ce premier moment de la Renaissance, ce n’est pas encore
l’affranchissement de l’esprit, c’est le conflit des autorités, si
bien unies jusqu’alors24 ». Au faux Aristote, celui de la
scolastique, on oppose le vrai ; ou bien on lui oppose Platon.
Condorcet fera ce commentaire dans l’Esquisse d’un tableau
historique des progrès de l’esprit humain : « …et c’était déjà
avoir commencé à secouer le joug que de se croire le droit de
se choisir un maître ».
La Réforme, relayée par l’ imprimerie, ajoutera ses propres
effets, en opposant à l’autorité de l’Eglise le libre examen
appliqué à la Bible.
La liste des grands aventuriers de la science libre va
commencer à s’étoffer : Copernic, Tycho-Brahé, Galilée,
Paracelse, François Bacon, Descartes. Ce dernier semble
distinguer deux domaines de la pensée et de l’esprit humain :
celui auquel s’applique le doute méthodique et le travail de la
raison, et celui qu’il abandonne à l’autorité de l’Eglise et à
l’autorité de l’Etat. Autrement dit : raison d’un côté, tradition
de l’autre. Pascal sera un bon exemple, au XVIIè siècle, de la
23 Dictionnaire de la culture juridique. 24 Grand dictionnaire universel Larousse, article autorité.
11
pensée opposant rationalisme et traditionalisme. Il distingue
deux espèces de sciences : les sciences d’autorité (histoire,
jurisprudence, langues et surtout théologie) et les sciences de
raisonnement et d’expérience (sciences mathématiques,
sciences physiques).
5. Les Lumières. Ce que les deux Bacon et Pascal avaient
fait pour les sciences mathématiques et physiques, les Lumières
vont le réaliser pour ce que nous appelons aujourd’hui les
sciences humaines (science politique, histoire, morale…). La
distinction entre rationalisme et traditionalisme est enfoncée.
La citadelle sacrée, celle des écritures et de la théologie, est
assiégée. Les héros de ce combat ont noms : Spinoza, Bayle,
Locke, Condillac, Voltaire, Montesquieu, Rousseau, Diderot,
D’Alembert et bien d’autres. La théorie du contrat social vient
au centre de la réflexion politique et consacre une conception
antinaturaliste et antiprovidentialiste de l’organisation poltique.
L’autorité procède d’un acte de volonté. Elle n’est plus qu’une
charge, une fonction. Elle est désacralisée, démystifiée.
6. La Révolution elle-même, pourtant, lui reconnaitra
encore une aura la distinguant du simple pouvoir. C’est ainsi
que « c’est sous les auspices de l’Etre suprême qu’est énoncée
la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen25 ». De
même, à partir de la Révolution, la loi s’est hissée (mais non
sans des périodes de régression) au rang de nouveau concept
transcendant. Les habitus mentaux vieux de deux millénaires
ont été les plus forts.
La Révolution vient ainsi retentir comme la vaste conclusion
de trois siècles d’effervescence intellectuelle et politique sans
les nier.
25 Dictionnaire de la culture juridique.
12
Nous retiendrons de ce survol l’ idée que le concept
d’autorité a montré au fil du temps assez de solidité et de
ressources pour organiser la pensée des hommes aussi bien
dans le domaine de la connaissance que dans celui de
l’organisation de la société. Inventé à Rome, dans une société
païenne, pour réguler les relations entre les protagonistes de la
vie de la Cité, il a été réinvesti, plus tard, par la papauté, pour
organiser les relations entre le pouvoir spirituel et le pouvoir
temporel. A partir de la Renaissance, le concept de raison entre
en scène et la tension qu’il va bientôt former avec le concept
d’autorité constituera la pierre angulaire de la réflexion
philosophique et politique.
13
IIè PARTIE
APPROCHE CONTEMPORAINE
II.1.
AVOIR DE L’AUTORITE
L’autorité (avoir de l’autorité) met en jeu des qualités
personnelles que la sociologie regroupe autour des trois notions
de compétence, popularité et prestige. En voici une synthèse
rapide :
o Compétence : c’est très vrai dans un groupe relativement
restreint comme un établissement scolaire constitué pour
l’exercice d’une activité spécifique et soumis à un réseau
serré et complexe de règles et de procédures.
o Popularité :
Elle peut, elle-même, être décomposée en trois facteurs :
o Simplicité : un chef va être populaire parce qu’il est
tenu pour simple, parce qu’il va montrer que « son
élévation ne le différencie pas des autres
hommes »26, parce que sa cordialité va ôter à
l’obéissance « tout parfum de subordination
hiérarchique »27
o Aptitude à se faire comprendre : pour être populaire
le chef doit mettre à la portée du groupe les
données des problèmes, quitte à les simplifier, mais
sans les caricaturer. Ce faisant, ses subordonnés
auront « le sentiment d’avoir percé le mystère qui
26 Encyclopaedia Universalis, article Autorité. 27 Ibidem.
14
environne le pouvoir »28, de participer à son
essence.
o Capacité à libérer le groupe de ses frustrations : le
chef populaire est alors « celui qui dit non à la
difficulté, non aux contraintes, non à toutes les
formes d’oppression »29, notamment
technocratiques. « Outre que ce geste fait porter
par les « autres » la responsabilité du mal, il donne
au groupe l’ impression qu’il va être affranchi de sa
dépendance »30, il lui procure l’occasion d’un
défoulement général. Ce dernier aspect peut, -en
plus d’une occasion, -être à l’origine de dissensions
ou de frictions entre les différents niveaux de la
chaîne hiérarchique, quand le niveau supérieur a la
désagréable impression que le niveau inférieur se
défausse, cherche à échapper à ses responsabilités,
ou bien, inversement, quand c’est le niveau
inférieur… Non, là je m’égare ; dans ce sens, cela ne
se produit jamais…
o Prestige : pour que l’ascendant personnel engendre
l’autorité de manière durable et sereine, il ne peut rester
cantonné dans les registres de la compétence et de la
popularité, « i l faut qu’il se mue en prestige ; c'est-à-dire
que, n’étant plus exclusivement la manifestation de qualités
personnelles, il exprime une valeur sociale »31. Cela signifie
que le groupe voit dans le chef l’incarnation de valeurs
partagées, socialisées. Nous avons tous en tête des exemples
de chefs d’établissement qui ont acquis dans une ville, au fil
28 Ibidem. 29 Ibidem. 30 Ibidem. 31 Ibidem.
15
des années, un statut social et moral remarquable parce
qu’ils ont su, avec leurs équipes, se mettre à l’écoute des
attentes, des aspirations et des valeurs de la population,
parce qu’ils ont su aussi faire prévaloir auprès de celle-ci,
patiemment, les valeurs du service public, et parce qu’ils ont
su donner une forme concrète, vivante, incarnée, à
l’ensemble.
Compétence, popularité et prestige sont donc les trois
grands ingrédients de l’autorité personnelle. Des ingrédients qui
vont s’ajouter, se sédimenter et se composer lentement avec le
temps. Dans ce domaine, la perfection est rarement une réalité,
mais plutôt un idéal régulateur. Il faut savoir s’en accommoder,
c’est la vie. La vie se passe à progresser. Cela ne veut pas dire
qu’il ne faut pas chercher à bien faire, à toujours mieux faire.
Mais il faut être patient, laisser du temps au temps.
Compétence, popularité et prestige se distinguent aussi
sous l’éclairage de la notion d’imputabilité personnelle.
L’élément de l’autorité personnelle le plus personnel et le plus
« imputable » est sans aucun doute la compétence, celle dont
traite le référentiel de compétences des chefs d’établissement.
C’est, en quelque sorte, la dot que le chef (ou l’adjoint) apporte
dans la corbeille quand il est nommé dans un établissement.
La popularité est déjà un produit plus subtil, plus incertain ;
c’est l’effet émergent d’années de vie commune entre un chef
(ou un adjoint) et ses équipes. Le hasard des circonstances, des
événements malheureux, ou, au contraire, favorables, peuvent
y avoir leur part.
Avec le prestige nous sommes parvenus à la forme achevée
de l’autorité personnelle, et, en même temps, à ses confins.
Nous sommes, en effet, à la lisière de l’ individuel et du
16
collectif, plus exactement du social. En fait, nous sommes aux
portes du pouvoir en ce qu’il est institué, en ce qu’il renvoie au
Politique.
II.2.
AVOIR UNE AUTORITE
(Avoir du pouvoir)
• Première idée (l’autorité dans ses rapports avec le
droit) : le pouvoir, le droit de commander, repose sur un droit,
sur le droit. Il implique une légitimité. L’autorité doit être
autorisée. Sous l’éclairage du pouvoir qui est le nôtre
maintenant, un individu tient son autorité d’une autorité
supérieure à la sienne, laquelle autorité supérieure tient sa
propre autorité d’une autre autorité supérieure. Chaque autorité
procède d’une autorité existante, déjà là, positive, constituée.
Et d’autorité constituée en autorité constituée nous parvenons
ainsi à l’autorité de la Loi.
Le fonctionnaire peut commander parce qu’il obéit. Il est
reconnu dans son « autorité à commander » vers l’aval parce
qu’il reconnaît lui-même, en amont, l’autorité de celui à qui il
obéit. Dit autrement, notre force prend sa source dans nos
limites.
Vu du point de vue de l’organisation, c’est la notion de
chaîne hiérarchique ; vu du point de vue de la personne et de
sa manière de servir, c’est la notion de loyauté.
Première idée donc : l’autorité-pouvoir a partie liée avec le
droit. Si le pouvoir s’exerce sans le droit, on est en présence
d’une autorité usurpée. Mais le droit peut aussi exister sans le
pouvoir : c’est le cas des autorités méconnues (une SASU qui
17
fait office de chef de service ; un CPE qui remplit les fonctions
d’adjoint ; un IEN-IO qui tient le rôle d’un IAA…).
• Deuxième idée (l’autorité dans ses rapports avec
l’histoire) : l’autorité (potestas) ne peut procéder simplement
du jeu efficace de la mécanique de la chaîne hiérarchique.
Celle-ci est une ossature qui ne véhicule pas par elle-même du
sens. Autour de l’os il faut de la chair. L’autorité se nourrit de
textes.
Chaque « chantier » de notre grande maison (collège, LP,
lycée), vous le savez bien, a ses textes-repères, dont la durée
de vie va être de quelques années. Au-delà de ces textes qui
jalonnent le développement de tel ou tel niveau
d’enseignement, on peut distinguer des grands textes. C’est
ainsi que le système éducatif dans son ensemble, après avoir
vécu « sous l’empire de la Loi d’orientation sur l’éducation de
juillet 1989, se réfère maintenant à celle de 2005. Au-delà
encore de ces grands textes, il y a ce qu’on pourrait appeler
des textes fondateurs (Rapport Langevin-Wallon, lois sur la
laïcité, grandes lois scolaires, grandes déclarations, Jules Ferry,
Condorcet…).
Tout à l’heure l’autorité avait partie liée avec le droit. Ici,
elle a partie liée avec l’écrit, la tradition, l’histoire. Envisagée
sous l’éclairage de l’histoire, l’autorité a rapport au sacré. Dans
son Vocabulaire des institutions indo-européennes de 1969, le
linguiste Emile Benvéniste dit que l’autorité va au dépositaire
des choses saintes. Avoir une autorité, c’est aussi s’imprégner
de cela, et lui donner une voix.
• Troisième idée (l’autorité dans ses rapports avec la
morale) : la finalité de l’autorité est l’augmentation de l’être à
qui elle s’applique. Ceci est suggéré par l’étymologie puisque
18
autorité vient du latin augere qui veut dire augmenter. Spinoza
disait, au XVIIè siècle, que l’autorité est ce qui augmente et
dilate les puissances, tandis que le pouvoir est ce qui les
contraint et les limite. Il disait également que l’autorité procure
la joie et le pouvoir la tristesse. L’autorité se définit par le
service de l’autre, qui accepte de reconnaître, dans cette
médiation, les moyens de sa propre élévation. Et cela veut dire,
du même coup, -vu du point de vue de la personne sur laquelle
l’autorité s’exerce, - que la fin de cette autorité est sa propre
disparition, dès lors que l’autre est accompli dans ses propres
fins.
Mais cet accomplissement plénier ne se peut effectuer que
dans et par la confiance publique d’une augmentation qui ne
dépossède pas des capacités critiques de questionner, de
mettre en cause et de dialoguer.
L’autorité, disait Kant, est de promouvoir l’autre comme
cause de ses propres causes et non de produire sur lui des
effets entraînants32.
L’horizon de la notion d’autorité et de sa pratique est donc
la question de l’autonomie et de la responsabilité. L’autorité est
en tension avec la liberté.
Ceci est vrai d’une manière générale, pour tous les types
d’organisation, mais ça l’est encore plus pour l’école
Pour les éducateurs, tout d’abord, parce qu’il leur revient,
précisément, d’instituer la liberté des élèves, de les conduire
vers la liberté, vers l’autonomie, la responsabilité.
32 Dont on a vu les effets catastrophiques, en plusieurs occasions, au XXè siècle. Malheur au peuple qui a besoin de chefs.
19
Mais aussi pour les cadres de l’éducation, car le bon
déroulement du service public d’enseignement suppose de
reconnaître, de respecter la liberté pédagogique des
enseignants.
A l’école plus qu’ailleurs l’autorité doit être placée au
service de la liberté. J’irai même plus loin : à l’école plus
qu’ailleurs, l’autorité des cadres se joue dans un entre-deux,
entre le contrôle tatillon et autoritaire du respect des
instructions dont la référence intellectuelle serait Surveiller et
punir de Michel Foucault, d’un côté, et, de l’autre, l’observation
attentive des pratiques inventives, non réglées, non officielles.
Avec cette troisième idée, l’autorité a partie liée avec la
philosophie et la morale.
Aujourd’hui, l’autorité n’est plus acquise d’emblée. Elle
« doit, dit René Rémond33, se justifier par la qualité de ceux qui
l’exercent, par les objectifs que l’ institution se fixe, par les
résultats qu’elle obtient… ».
S’agissant de la qualité des personnes, René Rémond
poursuit : « La relation [entre autorité (avoir de l’autorité) et
pouvoir (avoir une autorité) ] s’est inversée : autrefois
c’étaient les personnes qui recevaient leur autorité de la
fonction qu’elles occupaient et qui leur apportait le supplément
dont quelquefois leur médiocrité, intellectuelle ou caractérielle,
avait besoin. Aujourd’hui c’est la personne qui apporte à la
fonction le supplément d’autorité dont cette fonction a besoin
parce qu’elle ne se justifie plus par elle-même aux yeux des
usagers. On ne s’en sort plus sans une autorité personnelle ».
33 Conférence introductive au XXIIIè colloque de l’AFAE de mars 2001, in Administration et éducation, n° 3, 2001 (cf. bibliographie).
20
On pourrait dire aussi, en reprenant la distinction de Pascal
entre grandeur d’établissement et grandeur naturelle, que dans
le passé la première primait sur la seconde, et qu’aujourd’hui
c’est l’ inverse.
Cette analyse permet, au passage, de comprendre pourquoi
on constate, de nos jours, à la fois une « crise de l’autorité » et
une recrudescence de la demande d’autorité. Ce qui est en crise
c’est l’autorité des institutions34 ; et cette crise génère une
demande d’autorité au sens d’ascendant personnel. « Les
individus, écrit Chantal Delsol, répugnent de plus en plus à
obéir aux instances officielles ou hiérarchiques, c'est-à-dire à
ceux qui sont revêtus des attributs traditionnels ou légaux de
l’autorité. Pour autant ils ne cessent pas d’obéir, mais suivent
tel individu choisi pour son prestige »35. L’autorité ne s’est pas
affaiblie, elle s’est déplacée.
René Rémond aborde ensuite la question des objectifs que
se fixe l’institution et des résultats qu’elle obtient. Je ne
développe pas ces thèmes et vous renvoie à sa conférence.
34 Cf. François Dubet, Le déclin de l’institution, Seuil/L’épreuve des faits, 2002. 35 L’autorité, PUF/Que sais-je ?, 1994.
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POUR CONCLURE
Je dirai, dans la droite ligne des propos de René Rémond
que je viens de citer, que l’autorité à des ressorts individuels et
des ressorts collectifs.
Les ressorts collectifs sont relatifs aux missions et objectifs
de l’école, aux résultats qu’elle obtient. Ils tiennent aussi à
l’autorité que la société reconnaît à l’Etat pour définir ces
missions et objectifs ; à l’autorité qu’elle lui reconnaît dans le
choix des moyens pour les atteindre ; et, enfin, à l’efficacité
dont elle peut le créditer. La confiance que la société peut faire
ou ne pas faire à l’Etat et à l’ institution éducative sur toutes
ces questions ne peut pas ne pas avoir des effets sur l’autorité
de ses agents36.
En ce qui concerne les ressorts individuels de l’autorité, je
pense, suivant en cela Hannah Arendt, que le rôle des
personnes qui ont des fonctions d’autorité est d’être des
« augmentateurs »37, et cela dans deux directions
complémentaires :
• en direction des groupes ou des collectifs de travail dont
elles ont la charge, elles doivent être celles qui vont aider à la
bonne formulation des problèmes, qui vont instaurer des règles
et des pratiques de discussion collective ouvertes et équitables,
qui vont faire prévaloir les meilleures solutions possibles, qui
vont dénouer les conflits de manière positive, qui vont enrichir
le patrimoine de procédures reconnues par les membres du
groupe, qui vont étendre et consolider sa palette d’institutions
36 Sur ce thème de la crise de l’autorité dans le système éducatif on trouvera une intéressante mise en perspective historique par René Rémond dans Administration et éducation (cf. bibliographie). 37 Hannah Arendt, La crise de la culture.
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communes, de valeurs partagées. Et qui vont faire tout cela en
faisant prévaloir la justice. Considérée de ce point de vue,
l’autorité peut se comparer à l’effet de gravité que produit le
lest du navire, et qui lui permet de ne pas être renversé sous
l’effet des vents contraires. Quand Hannah Arendt écrit que
« ce que l’autorité ou ceux qui commandent augmentent
constamment, c’est la fondation »38, elle est sur une idée très
proche. Que faut-il entendre par fondation ? Ce qui fonde un
groupe ou un collectif, c'est-à-dire – ainsi que je le disais il y a
un instant - des procédures, des institutions, des valeurs, des
représentations collectives, des types de relations, des
réalisations. Lest ou fondation, dans les deux cas l’idée est que
l’autorité inspire confiance, rassure et rassemble.
• en direction des personnes, les détenteurs de l’autorité
doivent être ceux qui vont instituer la liberté, l’autonomie et la
responsabilité des personnes (personnels) pour les aider à
instituer, à leur tour, la liberté, l’autonomie et la responsabilité
des élèves. Ce sont ceux qui sont capables de faire confiance,
de déléguer, d’encourager les initiatives. Un philosophe de la
fin XIXè/début XXè, aujourd’hui bien oublié, Lucien
Laberthonnière, a dit là-dessus quelque chose que je trouve
très profond : « Il y a l’autorité qui use du pouvoir et du savoir-
faire dont elle dispose, pour subordonner les autres à ses fins
(…) ; celle-là est asservissante. Il y a l’autorité qui use du
pouvoir et du savoir-faire, pour se subordonner elle-même en
un sens à ceux qui lui sont soumis, et qui, liant son sort à leur
sort, poursuit avec eux une fin commune : celle-là est
libératrice. Entre ces deux manières de concevoir et pratiquer
38 Ibidem.
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l’autorité il n’existe pas seulement une différence, il existe une
contradiction »39.
Je vous remercie de votre attention.
39 Théorie de l’éducation, 1901 (cité par Paul Foulquié, à l’article Autorité, dans le Dictionnaire de la langue pédagogique, PUF/Quadrige, 1991, et par André Lalande, à l’article Autorité également, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, PUF/Quadrige, 2002)
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