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le délitPublié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill
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le seul journal francophone de l’Université McGill
Le mardi 1er mars 2011 | Volume 100 Numéro 19
Spécial Royauté
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L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’Université McGill.
Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la repro-duction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).Le Délit est membre fondateur de la Canadian University Press (CUP) et du Carrefour international de la presse universitaire francophone (CIPUF).
Volume 100 Numéro 19
le délit
3Spécial Royautéx le délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com
Harper, roi malgré lui
Certains remettent en question la légitimité de la monarchie au Canada, alors que ceci n’empêche
pas Stephen Harper de régner en monar-que.
Dimanche soir, lors d’une conféren-ce de presse, Stephen Harper a appelé le Colonel Kadhafi à «renoncer sur-le-champ à ses pouvoirs» et à «mettre fin au bain de sang» en Libye. En conformité avec la résolution adoptée samedi par le conseil de sécurité de l’ONU, le gouvernement canadien a décidé d’appliquer un embargo sur la vente ou l’exportation d’armes ou de fournitures d’armes, d’ordonner l’inspec-tion de toute marchandise à destination de la Libye, de geler les avoirs de Kadhafi et de sa famille en plus de les interdire de voya-ger au Canada. De plus, Ottawa compte aller un peu plus loin en interdisant toute transaction financière avec la Libye et ses institutions bancaires.
Les Conservateurs se présentent en-core comme les défenseurs de la sécurité publique, après avoir concentré près de 40% de leur agenda législatif et des mil-liards de dollars sur la législation sur la criminalité. Le gouvernement continue de financer les infrastructures carcérales (le Service correctionel Canada), alors que le Canada fait face au plus grand déficit budgétaire de son histoire, et que d’autres départements voient leur budget coupé ou gelé.
Les prisonniers sont peu vus par des professionnels de la santé, bien qu’on es-time qu’au moins un quart des nouveaux internés souffrent d’un forme quelconque de maladie mentale. Les prisons sont deve-
nues des oubliettes et ceux qui y souffrent s’y trouvent se feront en effet vite oublier si on en croit le manque d’aide qui leur est accordée. Alors que le gouvernement Harper gonfle les prisons canadiennes, il élimine le registre des armes à feux.
La méthode radicale de Harper consis-te à préférer l’échafaud plutôt que la rési-lience. Il pense qu’il faut garder à l’écart les criminels. Le hic c’est que certains d’entre eux ont besoin plus que des barreaux pour se réhabiliter. L’isolation ne fait que ghet-toïser nos communautés, alors que cette vision manichéenne ne tient pas compte des circonstances telles la pauvreté, les abus de drogues et la santé mentale.
Stephen Harper ne s’en prend pas seulement aux criminels, mais aussi aux artistes.
Il y a un mois, les Conservateurs cé-lébraient leur cinquième année au pou-voir. Dans cette période, le gouvernement Harper a démontré un grand irrespect et mépris pour le développement des arts au Canada. En 2007, les Tories avaient aug-menté le budget du Conseil des Arts du Canada de trente millions, pour une som-me de 183 millions de dollars. Le gouver-nement Harper a cependant coupé dras-tiquement jusqu’à quarante-cinq millions de dollars dans le financement des arts et de la culture, et surtout dans le budget alloué aux voyages et aux expositions hors pays (le programme Promotion des Arts a quant à lui été complètement annulé). L’art canadien se trouve ainsi dans une position précaire. Au temps des rois, on pouvait compter sur les mécènes, de nos jours, l’artiste est plus vulnérable aux lois du marché et à des contraintes politiques, et il a alors besoin du soutien du gouver-nement.
Anne Howland, la directrice des com-munications des Affaires étrangères, avait expliqué que le financement était coupé pour des groupes ou des artistes dits «radi-caux» ou «marginaux», car ils ne représen-teraient pas bien le Canada à l’international. Les coupures inexpliquées et inattendues du gouvernement Harper ne projettent-elles pas, elles-mêmes, cette image de radi-calisme? Les Conservateurs ont démon-tré un profond manque de respect dans leur dialogue avec la communauté artis-tique, insufflant cent millions de dollars à des événements culturels déjà largement financés par des corporations, comme le Festival international de film de Toronto. De surcroît, le budget a été distribué par lndustrie Canada, plutôt que par le Conseil des Arts du Canada.
Au Québec, les quinze millions de coupures ont semé la rogne et donné lieu à plusieurs manifestations à Montréal. Alors que l’influence de la culture améri-caine se fait grandissante, l’art canadien et de surcroît québécois est en voie d’extinc-tion. Pour rivaliser avec les productions américaines exportées ici, nos œuvres et artistes ont besoin de l’aide du gouverne-ment, qui malheureusement a fermé ses fenêtres aux cris du peuple. Le Québec et le Canada forment peut-être bien des lieux démocratiques, ceci ne semble pas empê-cher Stephen Harper d’agir comme bon lui semble, comme un roi.
Alors que tout le monde s’attend à de prochaines élections au mois de mai, et que Stephen Harper se félicite de son bon travail, les décisions prises unilatéra-lement et sans consultation laissent à dési-rer. Rappelons-nous que nous vivons dans un pays démocratique, et présentons-nous devant les urnes. x
Mai Anh Tran-HoLe Délit
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4 Spécial Royauté x le délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com
Pour de nombreux Canadiens, la na-ture du régime politique sous lequel ils vivent importe peu, du moment
qu’il est démocratique. Or, nous vivons dans une monarchie constitutionnelle, et trop peu de gens (25% selon un sondage Ipsos Reid réalisé en 2008) savent que le chef de l’État n’est pas le Premier minis-tre, mais plutôt la reine d’Angleterre, dont le représentant au Canada est le gouver-neur général. Confrontée à cette réalité, la Ligue monarchiste du Canada s’est donc donné comme mandat de remédier à la situation en éduquant les Canadiens et les Canadiennes. En prévision de ce numéro spécial Royauté, Le Délit (LD) s’est entretenu par courriel avec le Major Léo J. Regimbal (LJR). Travaillant à temps plein au Quartier général de la Défense nationale à Ottawa, c’est un passionné de la monarchie constitutionnelle, ce qui le mène ainsi à s’impliquer bénévolement depuis une quinzaine d’années au sein de la Ligue Monarchiste du Canada comme représentant médiatique de la filiale d’Ot-tawa.
Le Délit (LD): La Ligue existe de-puis 1970. Pourquoi aucune organisa-tion de ce genre n’existait auparavant, et d’où provient ce désir de promou-voir la monarchie au Canada?
Léo J. Regimbal (LJR): Il faut pré-ciser que le Canada est une monarchie depuis sa découverte. Notre petit pays fut «découvert» et colonisé suite aux désirs des rois de France et d’Angle-terre. Les guerres incessantes entre la France, l’Angleterre et l’Espagne ont vu un va-et-vient de règnes sur le conti-nent américain au cours d’une période
s’échelonnant sur plus de deux-cents ans jusqu’à la «conquête» de l’Amérique du Nord par la couronne britannique (qui n’était en fait qu’un accord commercial entre le roi Louis de France qui vou-lait les richesses perçues de Madagascar et d’autres terres lointaines et le roi
George d’Angleterre qui voyait le poten-tiel du continent américain). Depuis ce temps, les Canadiens sont les sujets du Souverain britannique. (Les guillemets sont de l’auteur NDLR.)
À la fin des années soixante, le Canada émergeait de la génération fleur bleue du Peace and Love avec tous les bouleversements sociaux et la pen-sée. C’était les fondements de la pensée indépendantiste soi-disant «politique» avec les René Lévesque et compagnie. C’était la Crise d’Octobre; c’était l’état de choc partout au Canada. Plusieurs événements (la formation du Ralliement indépendantiste national (RIN), les grands remous du Front de libération du Québec, les bombes dans les boîtes aux lettres, et celle qui a fait éclater la tête de
la statue de la Reine Victoria à l’UniversitéMcGill) ont mené notre société à manquer de respect envers les institutions établies du Canada, et à remettre en question le rôle d’une monarchie constitutionnelle dans un État moderne.
Ainsi, John Aimers, un jeune qué-bécois anglophone qui poursuivait des études en science politique et qui tra-vaillait sur la colline parlementaire à Ottawa pendant ses vacances estivales, fut approché entre autres par le lieute-nant-colonel Strome Galloway, un pro-che de John Diefenbaker. La venue de la Ligue monarchique du Canada se faisait donc dans une atmosphère pour le moins cahoteuse et vouée à plusieurs branle-bas politiques dans notre pays. De plus, plusieurs leaders canadiens de la fin des années soixante voulaient conserver lesystème politique stable qu’offrait la monarchie constitutionnelle et certains d’entre eux ont sollicité l’énergie et le savoir-faire d’Aimers et Galloway afin de rendre compréhensible les principes compliqués d’une monarchie constitu-tionnelle à la population canadienne par le biais d’une organisation qui éduquerait les Canadiens et Canadiennes dans cette matière. Ainsi est née la Ligue monarchi-que du Canada: le fait de promouvoir la monarchie au Canada vient du fait que notre souverain fait partie intégrante de notre régime constitutionnel.
LD: Votre but est-il de promouvoir notre monarchie constitutionnelle ou bien de promouvoir la monarchie en-soi seulement?
LJR: Nous voulons promouvoir la
monarchie constitutionnelle. La promo-tion de la monarchie en-soi est un exer-cice voué à la futilité, car on embarque plus souvent qu’autrement dans le sensa-tionnalisme médiatique lorsqu’on fait ce genre de promotion.
LD: À quel point la monarchie fait-elle partie de l’identité canadienne?
LJR: La monarchie fait partie inté-grante de notre société et de notre iden-tité canadienne. Prenez par exemple les règlements juridiques au Canada. Que ce soit le Common Law canadien ou le Droit Civil québécois, le terme «couronne» ap-paraît partout. Il en est de même pour les Forces armées du Canada.
Le gouvernement canadien contient sa part de termes «royaux»: la chambre des
communes où siègent les représentants du peuple contient le siège du Président qui représente la couronne auprès des communes et le Président du Sénat du Canada siège quant à lui devant le trône de Sa Majesté où seul le Souverain ou le gouverneur général peut prendre place. Toutes les provinces du Canada ont un Lieutenant-gouverneur qui représente la couronne. Tous ces individus sont les représentants du Souverain.
Les allusions au fait monarchique ne manquent pas. Chaque pièce de monnaie que nous utilisons comporte soit l’effi-gie de Sa Majesté ou une mention de la Couronne. Les noms de rues font sou-vent allusion à la royauté. La rue Guy, à Montréal, par exemple, fait référence à Sir Guy Carleton, Lord Dorchester, un des premiers gouverneurs du Canada après laconquête qui a assuré que les Canadiens-Français puissent conserver leur langue, leurs coutumes et leur religion! La rueVictoria, le Square Phillips, le pont Victoria (dont le nom complet est en fait le Queen Victoria Diamond Jubilee Bridge), le château Ramezay: ce sont tous des noms de souverains ou de la noblesse des régi-mes français et anglais.
LD: Comment la monarchie peut-elle être plus populaire au Québec? La langue est-elle le seul obstacle?
LJR: Elle serait plus populaire si les chaînes médiatiques et certains aspects du gouvernement et du système d’édu-cation au Québec prenaient le temps d’expliquer correctement le bien-fondé de la monarchie dans notre quotidien. Si on cessait de avilir la monarchie à cha-
que fois que le Canada choisit une politi-que impopulaire auprès de l’intelligentsia québécoise, ce serait déjà un pas dans la bonne direction. La monarchie n’est pas là pour nuire au Québec ou le détruire. Au contraire, si ce n’était de notre mo-narchie constitutionnelle, les protections établies depuis que la couronne française a cédé le territoire canadien à la couronne anglaise suite à la «conquête», le Québec et les québécois d’expression française auraient cessé d’exister en tant que for-ce au Canada en moins de deux ou trois générations, surtout si l’on regarde ce qui est arrivé aux acadiens de Louisiane suite à la cession de la colonie par la France.
L’impopularité de la monarchie n’est pas une question de langue, mais bien une de perception. L’obstacle est notre compréhension de la monarchie consti-tutionnelle canadienne. C’est pourquoi la Ligue monarchique du Canada cherche à éduquer les Canadiens, ce qui comprend évidemment les Québécois, à ce sujet. Lorsqu’on comprend les enjeux, on est en meilleure position pour les expliquer et les apprécier.
LD: Quels genres d’activités orga-nisez-vous?
LJR: Dans la région d’Ottawa, nous organisons tous les ans une session d’in-formation lors des feux de la Fête de la Reine dans un parc du centre d’Ottawa. Lorsque Sa Majesté ou un membre de la famille royale vient nous rendre visite, nous sommes souvent sur place pour l’accueillir. Notre représentant auprès des médias locaux est en mesure de commen-ter la visite elle-même et de répondre aux questions des journalistes à propos du bien-fondé de la monarchie constitution-nelle canadienne.
LD: Quel est l’âge moyen de vos membres? La monarchie est-elle plus populaire auprès d’un groupe d’âge particulier?
LJR: Lorsque j’ai rejoint les rangs de la Ligue monarchique du Canada, des jeunes comme moi étaient très rares. Depuis ce temps, par contre, j’ai remar-qué que la moyenne d’âge de nos mem-bres est passée de la soixantaine à la qua-rantaine! Je crois que la monarchie est toujours très populaire au Canada et au Québec. Bien des gens se sentent un peu
Xavier PlamondonLe Délit
La monarchie,constitutionnellement nôtreLoin d’être anachronique et de souhaiter l’imposition du pouvoir absolu de la Reine d’Angleterre sur le Canada, la Ligue monarchiste du Canada cherche à informer les Canadiens de leur héritage constitutionnel.
DOSSIER
«Bien des gens se sentent un peu gênés d’affirmer qu’ils sont en faveur de notre monarchie canadienne, car ils sont intimi-dés par leur entourage, leur famille ou d’autres facteurs..»
«[Plusieurs évènements des années soixante et soixante-dix] ont mené notre société à manquer de respect envers les institutions établies du Canada, et à remettre en question le rôle d’une mo-narchie constitutionnelle dans un État moderne.»
«Le fait de promouvoir la monarchie au Canada vient du fait que notre souverain fait partie intégrante de no-tre régime constitutionnel.»
![Page 5: Le Délit](https://reader034.vdocuments.net/reader034/viewer/2022042823/568bde6d1a28ab2034b97477/html5/thumbnails/5.jpg)
5Spécial Royautéx le délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com
gênés d’affirmer qu’ils sont en faveur de notre monarchie canadienne, car ils sont intimidés par leur entourage, leur famille ou d’autres facteurs. En jasant avec des Canadiens un peu partout au pays, je m’aperçois que l’âge n’est pas réellement un facteur dans l’appréciation de notre système monarchique. Ceux qui com-prennent notre constitution ont généra-lement tendance à être positifs envers la monarchie et ceux qui n’ont pas pris le temps de s’informer sont indifférents ou silencieux sur la question.
Un phénomène qui rapproche la jeu-
nesse canadienne de notre monarchie est la popularité du prince William et de sa fiancée Kate Middleton, dont les parents sont maintenant des résidents de la ré-gion montréalaise. Le tout est un évé-nement positif pour le fait monarchique au Canada et aide à faire valoir un futur génial pour ce jeune couple dans notre société.
LD: Comment répondez-vous aux critiques qui affirment que la mo-narchie est anti-démocratique?
LJR: Dans le contexte mondial actuel,
dans lequel on vit des moments à la fois difficiles et inspirants dans plusieurs pays du Moyen-Orient, on voit des régimes dictatoriaux qui tombent enfin aux mains d’un mouvement qui, on l’espère, est une manifestation d’un idéal démocratique qui aurait dû apparaître il y a longtemps. Ceci dit, il faut regarder au-delà de l’im-médiat et songer à ce qui pourrait arriver dans ces pays dans les mois et les années à venir.
La différence entre ces pays et le Canada, c’est que ces premiers étaient des autocraties, des dictatures. Ici, on prône
le régime du droit commun, des droits et des responsabilités des individus vis-à-vis de notre société, ainsi que de la liberté d’expression fondamentale de l’individu. Nous avons un système démocratique. On peut critiquer notre gouvernement et même notre souverain sans peur de représailles; ce n’est pas le cas dans la majorité des pays du globe. Est-ce que la monarchie est antidémocratique? Je vous affirme sans équivoque que non, elle ne l’est pas, car, au contraire, la monarchie constitutionnelle du Canada protège no-tre démocratie. x
Le Canada a indéniablement des origines monarchiquesRaphaël Thézé / Le Délit
![Page 6: Le Délit](https://reader034.vdocuments.net/reader034/viewer/2022042823/568bde6d1a28ab2034b97477/html5/thumbnails/6.jpg)
Ce n’est un seCret pour personne; je suis un grand fan de la Reine et de la mo-narchie britannique. Rien ne me fait plus rager que ces mouve-ments républicains au sein du Commonwealth. Rien ne me fait plus rager que le Réseau de Résistance du Québécois qui a le culot de venir déranger la visite du Prince Charles à Montréal. Si j’en avais eu le temps, je serais allé chanter Rule, Britannia! au visage des protestataires.
Mon affection démesurée pour notre chef d’État en étonne plus d’un. En effet, les Québécois «de souche» de mon âge souhai-teraient plutôt voir disparaître
cette institution qui a traversé les siècles. Pourtant, c’est préci-sément pour cette raison que je souhaite le maintien de la mo-narchie. Elle transcende les âges. Le Royal Standard, le drapeau du monarque, n’est jamais en berne, même si ce dernier décède. Aussi, l’institution permet d’offrir une continuité même lorsque la so-ciété change. Elisabeth II règne depuis maintenant cinquante-neuf ans. Elle aura vu son pays se relever de la Seconde Guerre mondiale, connu la Dame de fer, traversé l’épreuve de la mort de Diana, assisté au mouvement du New Labour et aura nommé David Cameron comme premier ministre à la tête de la première coalition depuis le conflit mon-dial de 1939-1945. Aucun de ces grands moments de l’histoire britannique ne se sera traduit par une grande instabilité à la tête de l’État, mise à part peut-être la mort de Diana. Faites le fil des événements au cours de la même période aux États-Unis. Pour n’en nommer que quel-ques-uns, un président a reçu une balle dans la tête, un autre a été contraint de démission-
ner pour des histoires de fraude et d’espionnage et un dernier a failli subir une procédure d’im-peachment pour des histoires de couchette.
D’ailleurs, un président élu est partisan. Rappelez vous décembre 2008, lorsque nous vivions une crise parlementaire qui a rendu la vie politique cana-dienne bien plus excitante pour une majorité de la population. Le gouverneur général de l’époque, Michaëlle Jean, fut contrainte à faire un choix. Stephen Harper avait-il le droit de proroger le Parlement pour éviter un vote de confiance qui aurait signifié la chute de son gouvernement? Si le Canada avait été une république, le président aurait dû trancher. Imaginez s’il avait été conserva-teur et avait donné au Premier ministre ce qu’il désirait. La décision aurait été décriée com-me un choix partisan. Imaginez maintenant qu’il eût été libéral et qu’il n’eût pas exaucé le dit sou-hait. Nous aurions eu droit à la même psychose politique. John Howard, ancien premier minis-tre australien, demandait, alors que son pays se posait des ques-
tions sur l’avenir de son lien à la Couronne anglaise, s’il était pos-sible d’avoir un chef d’État plus neutre que la Reine. Je crois que non. La Reine, ou le gouverneur général, n’ont d’autre choix que de s’en tenir à la Constitution ou aux traditions parlementaires. Leurs décisions seront objecti-ves.
Le God Save the Queen, dans son dernier couplet, proclame fièrement: «May she defend our laws». La Reine est l’ultime pro-tectrice de nos libertés. Elle est l’État et les droits qu’il nous garantit. Jamais une tyrannie ne pourra s’établir au sein de nos démocraties tant et aussi longtemps que notre monarque veillera à ce que ceux-là soient respectés. Le monarque peut aussi devenir le symbole de la ré-sistance contre l’hostilité de cer-taines nations. Les Britanniques auront su serrer les rangs autour de George VI alors qu’ils met-taient tous leurs efforts en com-mun pour défaire l’Allemagne nazie. Les affiches de propagan-de britanniques portaient l’effi-gie de la Couronne ou l’indica-tion God Save the King au cours
des deux guerres mondiales pour rappeler aux Britanniques que la Couronne ne fléchirait pas devant ceux qui voulaient la voir disparaître.
Trêve de rationalité. Mon attachement pour la monarchie vient du cœur. J’aime le faste. J’aime le protocole. J’aime la cour. J’aime le symbole que re-présente la Couronne anglaise. C’est cette couronne qui aura répandu l’État de droit à travers le monde. C’est sur cette cou-ronne que le soleil ne se couchait jamais. Elle est la représentation de la gloire d’un Empire qui aura donné naissance aux États-Unis et à notre pays, le Canada. C’est d’elle que sont nés nos institu-tions et notre Parlement. De voir nos soldats, en tenue de cérémo-nie, l’accueillir sur nos terres qui sont aussi les siennes fait tou-jours vibrer une corde sensible en moi. D’ailleurs, cet accueil est toujours pleinement justifié pour notre Chef d’État qui aime beau-coup le Canada.
C’est d’ailleurs pourquoi je chanterai toujours, pour citer notre hymne royal, with heart and voice: God Save the Queen! x
J’aime la ReineJean-François Trudelle | Attention, chronique de droite
CHRONIQUE
6 Spécial Royauté x le délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com
«Je me souviens que né sous le lys, je crois sous la rose», disait Eugène-
Étienne Taché. Les trois premiers mots nous sont familiers, à tel point qu’ils sont même visibles sur les plaques d’immatriculation. Cependant, la population ne se souvient pas de la signification de la devise du Québec. Comme si elle faisait davantage référence à une amnésie historique ou à une ignorance provoquée: je me sou-viens, oui, mais de quoi? Jacques Rouillard, dans son essai L’énigme de la devise du Québec: à quel souvenir fait-elle référence, décrit de manière juste l’origine et la signification de la devise québécoise.
A priori, la devise du Québec provient de l’architecte du Parlement de Québec Eugène-Étienne Taché. Cet homme de la bourgeoisie canadienne-française de la ville de Québec a ajouté cette phrase aux armoiries de la provin-ce le 9 février 1883 lors de la signa-ture du contrat de construction du Parlement. Cependant, il n’a laissé aucun indice qui expliquerait le sens de la devise. Trois éléments d’interprétations permettent tou-
tefois de comprendre le sens de celle-ci; ils se trouvent au sein du Parlement de Québec lui-même.
Les armoiries du Québec constituent un élément impor-tant pour la signification de la devise. En effet, l’écu représente trois fleurs de lis qui symbolisent la Nouvelle-France, un léopard pour la Couronne britannique et un rameau de trois feuilles d’érable pour le Canada. Enchâssant ces ar-moiries, le Je me souviens rappelle les origines françaises du Québec, les liens maintenus avec la Grande-Bretagne et l’appartenance au Canada.
La façade du Parlement, quant à elle, rend hommage aux grands personnages du Québec. De plus, compte tenu de son aspect cen-tral pour la vie démocratique de la province, l’édifice devient «un monument consacré à l’histoire», soit d’autant plus un véhicule de la «quête identitaire» de la nation, selon Jacques Rouillard. À cela s’ajoutent les statues des gouver-neurs anglais «les plus sympathi-ques à notre nationalité», comme Murray, Dorchester, Prévost, Bagot et Lord Elgin. Fait intéres-sant, les statues de La Fontaine et de Baldwin furent installées avant celles de Jacques Cartier et de
Samuel de Champlain, car pour la bourgeoisie canadienne-fran-çaise, l’avènement du gouverne-ment responsable sous l’entente La Fontaine-Baldwin signifiait «la conquête des libertés démocrati-ques et elle [assurait] l’avenir du peuple canadien-français, puisque les députés qu’ils [élisaient étaient] garants de la protection des droits des francophones.»
Malgré quelques références à la culture française, l’ornementa-tion générale, aussi bien à l’exté-rieur qu’à l’intérieur, met davanta-ge en valeur les institutions britan-niques. On tenait en haute estime les institutions britanniques, parce qu’elles avaient permis «l’acquisi-tion du système démocratique de gouvernement et une autonomie politique pour le Québec». De plus, lors des célébrations du 300e anniversaire de la fondation de la ville de Québec en 1908, Eugène Étienne Taché était responsable du dessin d’une médaille pour commémorer l’événement. Or, au revers de cette médaille, se trouve l’inscription: «Deux aidant, l’œu-vre de Champlain née sous les lis a grandi sous les roses», faisant référence à l’épanouissement des Canadiens-Français sous l’autorité britannique.
La Révolution tranquille a provoqué un brassage mémoriel qui a fait oublier la signification de la devise élaborée par Eugène Étienne Taché. Notre devise reflète les idéaux de la classe politique de son temps. «[L]a mémoire des Québécois d’aujourd’hui repré-sente un passé recomposé par le présent, fait d’oublis et d’une sélection d’événements», comme
le dit si bien Jacques Rouillard. En somme, la devise du Québec fait référence à un héritage triple pour la compréhension duquel le Parlement est la clef.
Moi, Je me souviens que la France ait donné le premier des biens, l’existence, mais que c’est à l’Angleterre que nous devons le second, la liberté, disait Sir Wilfred Laurier. x
Les armoiries donnent une indication sur la signification de la deviseGracieuseté de Wikipedia
Francis L. racineLe Délit
Oublier de se souvenirPortrait d’une époque empreinte de reconnaissance envers la Couronne britannique.
HISTOIRE
![Page 7: Le Délit](https://reader034.vdocuments.net/reader034/viewer/2022042823/568bde6d1a28ab2034b97477/html5/thumbnails/7.jpg)
7Spécial Royautéx le délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com
Ils ne souhaitent ni le retour du roi, ni un renforcement des pouvoirs des représentants de
la reine au sein de la monarchie constitutionnelle. Comme l’expli-que Tom Richards, le coordona-teur national de la branche jeu-nesse de la Ligue monarchiste du Canada, «Nous sommes pour la monarchie constitutionnelle, où le monarque est contraint par convention, et où il est une garantie du droit et non un légis-lateur.»
La Ligue se bat depuis 1970 pour préserver la monarchie telle que nous la connaissons actuel-lement au Canada, ainsi que tous ses symboles. Leurs objets de lutte, affichés sur leur site Internet, comptent notamment la
conservation du Dominion Day, l’érection d’une statue éques-tre de la reine sur la colline par-lementaire (ce qui a été fait en 1992), l’obligation pour chaque bureau de Postes Canada de ven-dre des timbres à l’effigie de la reine, etc. Étienne Boisvert, por-te-parole québécois de la Ligue, raconte que presque toutes leurs campagnes ont été couronnées de succès, à l’exception de leur tentative d’empêcher le retrait de la mention royale sur les let-tres de créances des consuls. Cependant, «la décision est venue de Buckingham palace même», note Monsieur Boisvert.
Leurs figures principales ne semblent pas refléter l’aspect un peu nostalgique de leur quête: le président, Robert Finch, est dans la trentaine, le porte-pa-role du Québec, dans la ving-
taine, et la Ligue compte depuis quelques décennies une branche «jeunesse». Elle s’affiche aussi comme une source d’identité dans un Canada de plus en plus multiculturel. «Il y a bien sûr des Canadiens de souches, beaucoup d’anglophones, assurément, mais un Français nous a rejoint la se-maine dernière et plusieurs nou-veaux Canadiens acceptent cette tradition au même titre», précise Monsieur Boisvert.
À propos de la présence de francophones au sein de la Ligue, les voix sont unanimes: les Québécois sont sous-représentés. «C’est un de mes projets person-nels», assure le porte-parole du Québec, «c’est un domaine qui s’améliore. Il n’y a pas beaucoup de francophones, donc les anglo-phones n’ont pas eu cette idée avant.» Tom Richards note aussi
une amélioration depuis que le site a été traduit en français, il y a quelques années.
La branche jeunesse est active partout au Canada et pos-sède un noyau dans les universi-tés ontariennes comme celles de Toronto, d’Ottawa et de Queens, entre autres. Tom Richards a bien remarqué une certaine résis-tance de la part de plusieurs étu-diants, lors de ses tournées dans les universités pour répandre la parole monarchique. «Très peu de personnes sont informées sur ce que signifie réellement la mo-narchie au Canada. Beaucoup la confondent avec la monarchie au Royaume-Uni. Certains sont très passionnés de par cette confu-sion», note Monsieur Richards.
Une des principales fonc-tions de la Ligue est d’informer. Monsieur Boisvert explique que
ce que «la ligue monarchiste vise c’est qu’on parle [de la mo-narchie]. Éveiller les consciences n’est pas quantifiable». L’aspect local est important, et c’est pour cela qu’on encourage les petites actions, comme poster ses lettres avec des timbres de la reine ou demander à ses députés croyants d’inclure dans leurs prières une prière pour la reine. Bien qu’une certaine vision du Canada monar-chiste coïncide avec l’idéologie de notre président actuel, la Ligue se considère comme une organisa-tion strictement apolitique.
La Ligue compte dans ses prochaines activités la célébration du mariage du Prince Williams et de Kate Middleton et un accueil chaleureux, contrairement à ce que d’autres leur réservent, lors de leur tournée pancanadienne prévue du 30 juin au 8 juillet. x
Symbole de la victoire des Anglais sur les Français, la couronne britannique
n’a jamais vraiment occupé une place de choix dans le cœur des Québécois.
Déjà en 1964, le Québec s’était levé contre la venue de la Reine Elizabeth qui, fait rarissime, avait prononcé un discours devant l’Assemblée Nationale à Québec. L’émeute est sévèrement réprimée et le matraquage des manifestants par la Police provinciale a donné son nom à l’événement, le samedi de la matraque.
En novembre 2009, plusieurs centaines de manifestants avaient perturbé la venue du Prince Charles à Montréal. Encore une fois, l’escouade antiémeute avait
été appelée à intervenir.Quelles sont donc les reven-
dications de ces Québécois qui n’entendent pas la musique royale de cette oreille?
Très vocal, le Réseau de Résistance du Québécois (RRQ), groupe souverainiste considéré comme faisant partie de la frange extrême du mouvement, semble mener la fronde. Il compte «aller à la confrontation avec tout ce qui représente l’occupation du Québec». C’est ce qu’explique Patrick Bourgeois, président du RRQ. Pour lui, même si «ça n’est qu’un symbole, ça a de l’impor-tance».
«Pour le Réseau de Résistance et les indépendantistes en général, la couronne d’Angleterre rappelle de bien tristes événements. C’est au nom de cette couronne que le Québec a été conquis et soumis
par la force des armes en 1759. C’est au nom de cette même cou-ronne que les Patriotes de 1837-1838 ont été emprisonnés, dépor-tés et pendus.» Le RRQ va même plus loin et élargit son horizon en reprochant à la monarchie britannique d’avoir «assujetti et exploité» en Afrique et en Asie. Le réseau fait même référence au conflit en Irlande du Nord.
«Jamais nos militants n’ac-cepteront qu’une tête royale, foule le sol du Québec en toute impu-nité.»
C’est donc couplé au dis-cours indépendantiste que les arguments antimonarchistes se développent. Pour autant les prin-cipaux partis souverainistes ne semblent pas vouloir commenter.
Contacté à plusieurs reprises, le Bloc Québécois n’a pas sou-haité s’exprimer sur le sujet. Plus
direct, le porte-parole du Parti Québécois expliquait au Délit que son Parti n’est «même pas inté-ressé à faire évoluer le lien entre le Canada et la couronne britan-nique. Notre seul objectif, c’est sortir du Canada.»
Ouvertement favorable à la monarchie, le parti libéral du Canada est «pour le maintien du système actuel».
Si la plupart des partis insti-tutionnels n’appelleront donc pas à manifester en juin lors de la ve-nue du Prince William et de Kate Middleton, le RRQ, avec tout au plus quelques milliers de militants et de sympathisants, a pourtant une force de frappe conséquente.
Patrick Bourgeois le rappelle: «Nous avons infligé une humilia-tion en novembre 2009 lors de la venue du Prince Charles à la ca-serne du Black Watch à Montréal.
Il a dû passer par l’entrée des poubelles.» Cette année encore, le RRQ a déjà annoncé par voie de communiqué qu’il «réserverait au Prince William le traitement royal qu’il mérite».
En somme, ces visites royales sont une affaire rentable pour le RRQ. Patrick Bourgeois se rap-pelle qu’en 2009 déjà, la presse du monde entier s’était faite l’écho de la mobilisation contre le Prince Charles. «Nous avions reçu de nombreux soutiens, des nouveaux militants et des dons. Grâce à 2009, on sera en mesure d’envoyer des bus en juin.»
Cela permet aussi au RRQ d’entrer sur la scène politique fédérale. Le premier ministre du Canada s’assure du bon déroule-ment des visites royales et il re-doute sans doute déjà ce que pré-parent les militants du RRQ. x
Le Québec trouble-fête des jeunes mariésLe futur couple royal visitera plusieurs provinces canadiennes en juin. Quel accueil leur réservera le Québec?
LES POURFENDEURS
Emma Ailinn HautecoeurLe Délit
Anthony LecossoisLe Délit
Pour le statu quo au CanadaCette institution séculaire forme nos traditions et assure notre distinction.
LES DéFENSEURS
Novembre 2009. Manifestation contre la venue du Prince Charles à la caserne du Black Watch de Montréal. Miranda Whist
![Page 8: Le Délit](https://reader034.vdocuments.net/reader034/viewer/2022042823/568bde6d1a28ab2034b97477/html5/thumbnails/8.jpg)
8 Spécial Royauté x le délit · le mardi 1er mars 2011· delitfrancais.com
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9Arts & Culturexle délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com
Pascal Quignard écrit dans La Leçon de musique (1987) à propos de la viole. Or, ses propos dépassent largement,
bellement, le seul instrument de la viole; il écrit à propos de ce rapport complexe, pro-fond et amoureux du violiste et de la viole, du musicien et de l’instrument, de l’écou-teur et de la musique.
La corporalité de l’instrument, devenu ce «grand ventre», ce «grand sac de peau», est antique; déjà Roland sonnait de son cor d’ivoire jusqu’au dernier souffle, par survie, par manque. Cet acte était le dernier pour raviver les troupes, la vie.
Et c’est bien dans cette approche de survie que l’ensemble Arion Orchestre Baroque est né, en 1981, sous l’égide de quatre jeunes finissants de l’École de musi-que de McGill (Claire Guimond, Chantal Rémillard, Betsy MacMillan et Hank Knox). Spécialisé dès ses débuts dans la musique des XVIIe et XVIIIe siècles, dite baroque, Arion est passé de quatre musi-ciens à une dizaine (le nombre demeure changeant selon les concerts) aujourd’hui, ainsi que vingt-cinq titres en formation de chambre ou d’orchestre.
Fort prolifique de sa programmation, donnant environ deux séries de concerts tous les mois, Arion Orchestre Baroque donnera à la salle Redpath de notre uni-versité les 11, 12 et 13 mars un concert intitulé Le Sanguin et le Mélancolique, d’après la pièce du même nom de Carl Philipp
Emanuel Bach, le second des fils du célèbre compositeur.
Philippe Gervais, spécialiste de musi-que baroque, écrit dans sa présentation pour le concert: «Emanuel Bach, dont l’œuvre témoigne souvent d’une sensibilité à fleur de peau, fut un véritable précurseur
du romantisme.» Il poursuit: «Le composi-teur s’efforce aussi d’être au goût du jour en publiant des œuvres faciles, dans le style galant.» Ainsi, manipulant tantôt l’inven-tion, tantôt l’imitation, parfois les deux ensemble dans un jeu habile et sérieux de renversement et de continuité, Carl Philipp demeure un homme des Lumières sensible aux changements de son époque.
Selon Philippe Gervais, Sanguineus und Melancholicus W.161/1 est «une vérita-ble scène de théâtre où s’affrontent deux tempéraments opposés, le sanguin et le mélancolique». Ce dialogue, qui rappelle le dialogue d’Héraclite et de Démocrite, est courant à l’époque baroque et ouvre le concert. La Symphonie en si bémol majeur W. 182/2, le Concerto pour flûte en sol majeur W. 169 et le Quatuor pour clavecin (ou pianoforte), flûte et alto W.93 constituent la totalité du concert.
Carl Philipp écrivait que le «musicien ne saurait émouvoir sans être lui-même ému». Il réside dans cette affirmation le caractère complexe et amoureux de ce qui est essentiel en musique, «cette quête sans terme au fond de soi d’une voix per-due, d’une tonalité perdue, d’une tonique perdue», écrit Pascal Quignard, qui prend germe dans tous les ventres du monde. x
Le ventre de la musiqueJouer de la viole, c’est étreindre le plus ancien résonateur. Tirer le son d’un grand ventre. Un grand sac de peau devenu caisse de bois.
COUP DE CŒUR
La Noce est une histoire mille fois ra-contée: un rassemblement de famille, un soir de mariage, qui tourne au vi-
naigre. Malheureusement, dans la mise en scène de Gregory Hlady, c’est aussi pour le public que les choses se gâtent.
Famille et amis sont conviés à célé-brer l’heureux événement avec les nou-veaux mariés (Stéphanie Cardi et Frédéric Lavallée) lors d’un souper. La noce com-mence dans l’allégresse: on boit, on man-ge, on rit. On fait la fête autour d’une grande table ronde, sous les regards bien-veillants de la mère (la savoureuse Danielle Ouimet) et du père (l’impassible Denis
Gravereaux). Cependant, les pulsions qui habitent les invités font rapidement surfa-ce. Cris, pleurs, élans charnels incestueux, attaques surprises: eros et thanatos mènent une lutte acharnée sur scène, au milieu d’une sorte d’hystérie collective. La comé-die fait place à l’absurde. Tous les excès semblent permis.
C’est là que se trouve le problème de la pièce. La Noce, œuvre de jeunesse de Brecht, est un texte plutôt mince que Gregory Hlady tente de psychanalyser. Il en déterre le sous-texte pour lui inventer un inconscient. Chaque réplique est donc chargée de sous-entendus, soi-disant là pour mettre à nu les tensions qui han-tent les personnages. Le rythme du récit est fragmenté, comme si Hlady avait sou-
mis le texte à des électrochocs dévoilant les névroses des personnages. L’exercice est louable, mais on perd malheureu-sement vite intérêt pour ce qui se révèle une séance de défoulement sans vérita-ble fil conducteur. Visiblement, le travail du metteur en scène n’arrive pas à faire oublier que le texte manque de tonus.
Une belle énergie anime cependant les comédiens qui jouent le jeu de l’explora-tion des pulsions avec intensité. Leur har-monie est palpable, ce qui sert la dynami-que cathartique que le metteur en scène a voulu créer. On remarquera en particulier la performance de Paul Ahmarani, dont le costume militaire fait écho aux dérives qu’a connu l’Europe après la Première Guerre mondiale.
Les comédiens évoluent dans une vaste salle à manger au décor minimal dont les meubles, les chaises et les tables se bri-sent les uns après les autres. Cela fait écho à l’état vulnérable des personnages, entraî-nant rapidement la comédie vers un genre plus cruel où tous les coups sont permis. Des projections de poissons nageant dans un aquarium occupent le mur arrière de la scène. Ces poissons, ce sont un peu les personnages, qui, dans un monde sans is-sue, finiront dévorés par leurs pulsions, au grand soulagement des spectateurs. x
Une noce qui tourne au vinaigreGregory Hlady psychanalyse La Noce de Brecht.
THÉÂTRE
La NoceOù: Théâtre ProsperoQuand: jusqu’au 19 marsCombien: 20$
Dominique Lafond
Pierre Charbonneau
Habib HassounLe Délit
Marie Catherine DucharmeLe Délit
Arts&[email protected]
![Page 10: Le Délit](https://reader034.vdocuments.net/reader034/viewer/2022042823/568bde6d1a28ab2034b97477/html5/thumbnails/10.jpg)
Référendum de l’hiver 2011
Période de scrutin : du 4 au 10 mars
Les bureaux de vote :
Le 4 mars : McConnell 9 h – 17 hLe 4 mars : Shatner 14 h – 17 hLe 7 mars : Leacock 8 h – 17 hLe 8 mars : Bronfman 9 h – 17 hLe 9 mars : Leacock 8 h – 17 hLe 9 mars : Stewart 8 h –13 hLe 10 mars : Shatner 9 h – 17 h
D’autres informations concernant les dates et emplacements des bureaux de voteseront diffusées prochainement par courriel et sur ssmu.mcgill.ca/elections
Pour toute question, contactez Élections McGill à[email protected]
ASSEMBLÉEGÉNÉRALE
L’assemblée générale annuelle de la Société des publications du Daily (SPD), éditeur du McGill Daily et du Délit, se tiendra
mardi le 22 mars au Leacock 232 à 18h.
Les membres de la SPD sont cordialement invités. La présence des candidats au conseil
d’administration est obligatoire.
Pour plus d’informations,contactez-nous:
![Page 11: Le Délit](https://reader034.vdocuments.net/reader034/viewer/2022042823/568bde6d1a28ab2034b97477/html5/thumbnails/11.jpg)
Mon séjour en BirManie a mal commencé; très mal. Déjà, dans l’avion qui m’amenait de Bangkok à Rangoon, je com-mençais à me sentir un peu fai-ble. À mes premiers pas hors de l’avion, j’ai eu l’impression que j’allais m’évanouir. Ma tête était prête à imploser à tout moment. De grosses gouttes de sueur cou-laient de mon front, malgré l’air climatisé de l’aéroport. Et un ap-pel assez pressant des toilettes…Bref, comme arrivée dans un pays comme le Myanmar (nom officiel donné au pays par la sympathi-
que junte militaire au pouvoir), il y a mieux. Parce que, voyez-vous, en plus de ne pas être un exem-ple de démocratie et de liberté, le pays est pauvre, très pauvre. Mon intuition me disait donc que le système de santé n’allait pas être des plus fiables. Un peu à l’image du taxi qui m’amena de l’aéro-port à l’auberge: une carrosserie à quatre roues sans air climatisé ni clignotants… J’étais un peu inquiet.
Mais bon, après moult visi-tes aux toilettes et un nombre incalculable de Tylenols, je m’en suis sorti. De toute façon, en Asie, tout le monde passe par là tôt ou tard. Le truc embêtant, c’est que sur les douze jours que je m’étais réservé en Birmanie, trois d’entre eux venaient de passer sans que j’aie pu goûter un seul plat birman, mis à part l’indémodable bol de riz blanc, et les pâtisseries locales; j’en ai mangé des rondes, des carrées, des triangulaires, des jaunes, des rouges et des fourrées… Eh ben, elles goûtaient toutes la banane.
Le lendemain, à mon arrivée à Bagan, une ville plus au Nord
du pays, j’étais prêt à recom-mencer à manger comme un être humain normal. J’ai donc pris place dans le premier res-taurant venu et commandé le plat qui semblait le plus birman: «Fried mutton balls». «Il n’y en a plus», la serveuse me dit, tout en m’indiquant qu’ils peuvent me faire du «Fried mutton» tout court. De quelle partie du mou-ton s’agit-il, mademoiselle? Elle n’a pas pu (voulu?) me le dire. Après dix minutes d’attente, la fille revient avec un gros bol de soupe, deux salades, des arachi-des dans de l’huile avec des épi-nards, des feuilles de laitue, deux petits plats d’épices et un gros bol de riz. Pas de trace de mon mouton frit. Je me jette sur la soupe, qui est en fait un bouillon accompagné de quelques légu-mes et de coriandre dont le fond est noir comme de la terre. Très épicé, mais excellent. La serveuse revient avec un dernier plat, qui ressemble à tout sauf à l’idée que je me faisais du mouton frit. Sauf si l’on parle des poils de la bête. Je ne vois toujours pas de quoi d’autre il pouvait s’agir.
«Filandreux» est un euphémisme pour décrire ces galettes aplaties de fils frits de couleur noirâtre.
Au moins, les deux sala-des étaient très bonnes. Faites à partir d’échalotes frites dans de l’huile d’arachide, d’ail, d’oignon, de pâte de poisson, de lime et de poudre de pois chiches et de tomates, ces thote (salade en birman) m’ont permis de faire honneur à mon premier repas au Myanmar. Je sortais quand même du resto en me disant que j’allais trouver le temps long, si tous les plats de viande ressem-blaient à ce que je venais d’es-sayer de manger. Je pouvais tou-jours me consoler en pensant au prix payé: moins de deux dollars pour le tout.
Trois jours plus tard, je par-tais de Bagan, les papilles tou-jours insatisfaites, pour aller dans la région du Lac Inle. Le «potager du pays», d’après un guide birman auquel j’avais parlé la veille. J’avais de l’espoir. Et de l’espoir, il m’en a fallu, pour pas-ser au travers des nombreuses heures de routes de montagnes passées dans un minibus, entas-
sé que j’étais entre un touriste chinois et les nombreux Birmans qui s’installaient au milieu de l’allée sur des petits tabourets en plastique. Ainsi, pendant un assez long moment, j’avais mon nouvel ami, Wang, qui dormait confortablement sur mon épaule gauche, et une femme birmane qui allaitait son bébé à ma droite. Ce fut long. Onze heures et 330 kilomètres (sans blague) plus tard, nous étions arrivés aux abords du lac.
De là, mes deux compa-gnons de route et moi avons pris un petit bateau à moteur, direc-tion n’importe quel restaurant sur le lac (les gens vivent littéra-lement à la surface de l’eau, dans des maisons sur pilotis). Une fois arrivé, je n’ai pas attendu longtemps avant d’avoir devant moi un plat d’anguille fraîche-ment pêchée, accompagné d’un délicieux curry aux tomates. Et c’est là, à ma première bouchée, alors que le soleil se couchait sur le majestueux lac, que j’ai com-pris pourquoi, malgré tout, les Birmans arrivent à garder le sou-rire et l’espoir. x
L’espoir birmanChristophe Jasmin | Les pieds dans les plats
CHRONIQUE | SOCIÉTÉ
en ce retour de seMaine de lecture, que vous avez sans aucun doute passée à faire une tonne de lectures scolaires, j’in-terromps le programme habituel de «critique sérieuse de livres sérieux» pour m’aventurer dans le monde de la BD, souvent ignoré du milieu universitaire. Et qui plus est, dans la contrée du «non sérieux» par excellence, la Belgique. Hé oui, je vous propose
cette semaine un spécial Tintin.C’est que le sympathique
globe-trotter à houppette a tra-versé dernièrement de nouvelles frontières, notamment celle de la décence publique. En effet, le blog de la revue d’art Collection affichait récemment une ver-sion revue de Tintin au Congo intitulée Tintin au Congo à poil. Tintin y est effectivement en tenue d’Adam, si l’on oublie ses espadrilles. Le dessinateur a créé plusieurs vignettes où l’on voit Tintin évoluer dans toute sa splendeur parmi les autres per-sonnages qui ne semblent s’aper-cevoir de rien. Ce Tintin natu-riste est dessiné avec talent et humour, mais comme on peut se l’imaginer, les images, après avoir fait un tabac sur Internet, ont été retirées du blogue. Il s’agissait presque d’une opération suicide pour le dessinateur, qui risquait certainement un procès, vue la cupidité infâme des héritiers de Hergé. Il existe toutefois de nom-
breuses copies de ces vignettes sur d’autres sites, si vous êtes cu-rieux de voir ça par vous-mêmes.
Ce qui m’a étonnée de ce pe-tit épisode, ce sont les nombreu-ses réactions d’indignation dans la mer de commentaires qu’ont suscitée ces images. Au milieu des encouragements et des in-quiétudes quant à un éventuel procès, on retrouve une grande quantité de remarques tout à fait sérieuses comme «on ne respecte plus rien», «il n’y a plus rien de sacré», «insultant», «obscène», etc. Ces commentaires ne reflè-tent certainement pas qu’un point de vue isolé. En effet, Tintin reste un symbole apparemment intouchable de la belgitude. Ce qui m’amène à vous parler d’un autre voyage de Tintin, chez les siens, cette fois-ci.
À la fin du mois de décembre dernier paraissait Tintin chez les Belges, un album inédit, préfacé par Philippe Geluck (crédibilité instantanée, pour moi en tout
cas). Le superbe petit ouvrage, accompagné d’un commentaire érudit de Tintinologue (oui, oui, le terme existe), est une belle sélection de vignettes de Hergé représentant Tintin en Belgique. En plus d’y recenser de nom-breuses allusions à la belgitude de Tintin en voyage à l’étranger, on y apprend nombre d’anecdo-tes fascinantes, à citer en soirée sur le mode «saviez-vous que» pour épater ses amis (idéal pour le parfait petit littéraire qui sou-haite masquer son ignorance de la BD avec un peu d’érudition). Ce livre est également un puits de renseignements sur la Belgique, et sur ses enjeux sociaux et culturels, idéal si vous cherchez à comprendre la «Révolution des frites», mouvement étudiant qui fait rage au moment même où j’écris cette chronique, avec le légendaire «non sérieux» belge.
Enfin, comme nombre d’en-tre vous le savez déjà, l’intrépide reporter se rendra également à
Hollywood, chez l’un de ses plus illustres représentantsdu septiè-me art, Steven Spielberg. Le réa-lisateur a avoué qu’il ne connais-sait rien au personnage de Hergé avant de signer le contrat, tout en précisant qu’il avait depuis lors tout lu et qu’il était emballé par les aventures du personnage. Aucune inquiétude à avoir, donc: l’équipe de tournage a bien fait ses devoirs. L’un des comédiens principaux du film a même fait preuve d’une perspicacité exemplaire quant à la psycho-logie des personnages, si l’on en juge par les propos rappor-tés récemment par le magazine Première: «Tintin et le capitaine Haddock sont deux êtres émo-tionnellement instables, et ils vont l’apprendre l’un de l’autre». On pourra donc s’attendre sans crainte à une bonne dose de psy-chologisation à l’américaine dans le prochain Blockbuster signé Spielberg. Pour la répartie belge, on repassera. x
Tintin autour du mondeLuba Markovskaia | Réflexions parasites
CHRONIQUE | ARTS & CULTURE
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xle délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com 11Arts & Culture
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« Des lignes de transmission rompues, ça peut vouloir dire des vies en danger. Mon travail consiste à inspecter et à réparer le matériel de communication de mon équipe. Je fais en sorte que tous restent
en contact pour que tous restent en sécurité. »Caporal HAEBE BAGUIDY
![Page 13: Le Délit](https://reader034.vdocuments.net/reader034/viewer/2022042823/568bde6d1a28ab2034b97477/html5/thumbnails/13.jpg)
Gracieuseté de Métropole Films
Une foi douce amèreDes hommes et des dieux, le dernier film de Xavier Beauvois, fait un portrait juste et émouvant de l’assassinat des moine de Tibhirine.
CINÉMA
Le Délit (LD) s’est entretenu avec Henry Quinson (HQ), conseiller monastique du film
Des hommes et des dieux.
LD: Comment le projet vous a-t-il été présenté?
HQ: C’est d’abord très per-sonnel puisque j’ai connu quatre des sept moines qui ont été assas-sinés. En août 2007, j’ai commencé à écrire un scénario sur les moines, après avoir écrit et traduit des livres sur eux. Aujourd’hui, c’est le ciné-ma qui permet de toucher un grand nombre de personnes; en France, on s’interroge beaucoup sur qui a tué les moines, et c’est une histoire qui a sa place parce que c’est une question de justice, mais c’est très désespérant, c’est une histoire de mort. Et pour moi, ce que je voulais mettre en valeur c’est le testament de Christian de Chergé, ce qu’était la vie de ces frères. Je voulais leur re-donner parole et pas à leurs meur-triers qui se cachent. Je voulais met-tre de la lumière dans cette histoire.
J’ai un très vieil ami dans une entreprise de production à qui j’avais présenté le projet en 2009 qui ne pensait pas que l’histoire se vendrait. Je me suis dit que mon truc était prétentieux, qu’il fallait que j’oublie ça. Dix jours après, je reçois un courriel d’Étienne Comar qui me propose une histoire sur les moines de Tibhirine avec Xavier Beauvois. Celui-ci me demande peu de temps après d’être conseiller sur le film.
LD: Est-ce qu’il y avait déjà un scénario?
HQ: Oui. Mon rôle était de débusquer tout ce qui n’était pas historique, monastique, qui sonnait faux, quitte à ce qu’ils le gardent par la suite. Par exemple, Xavier Beauvois pensait que les frères pouvaient chanter du Jacques Brel pendant la vaisselle, mais c’est im-possible. J’ai proposé de la musique classique à table, ce qui a donné la dernière scène. J’ai aussi suggéré d’inclure une scène sur la question
du martyr, alors que le mot ne figu-rait qu’une seule fois dans le scé-nario. Pour le décor, en 2006 j’avais pris des photos de Tibhirine dans l’idée de faire un film. Je pouvais organiser certaines scènes (dans la chapelle, notamment) comme je le voulais. Pour les costumes, les cou-les, ces grands habits blancs, on les a refaites à partir d’un modèle em-prunté aux monastères.
J’ai emmené l’équipe du tour-nage dans un monastère à la de-mande de Xavier Beauvois; je leur ai fait rencontrer des moines, pour voir que ce n’est pas qu’un habit ou des rites, pour comprendre ce qui brûle chez ces gens-là. C’est la re-cherche avec Dieu, la question de la divinité, de la spiritualité que pour certains d’entre eux était réglée ou pas encore posée.
LD: Avez-vous contribué à l’esthétique du film?
HQ: J’ai trouvé que Xavier avait des intuitions géniales. J’ai un peu joué le rôle du Père Fouettard,
mais c’est un film, il faut raconter une histoire, avec une esthétique de film. Par exemple la scène de l’héli-coptère; je n’ai jamais vu ça, il n’y a pas d’improvisation, mais l’idée est parlante. Cinématographiquement, ça permet d’exprimer la résistance non-violente.
Les références multiples, par exemple à Mantegna, frappent les spectateurs. Quand il soigne un terroriste, il soigne le Christ, et c’est très choquant pour les gens. Dans la règle de saint Benoît, on reçoit les pauvres et les étrangers comme le Christ. Dans ce tableau, fait l’expé-rience d’une vraie spiritualité, d’une vraie mystique chrétienne. Il soi-gne un homme, mais à travers lui il adore le Christ; un amour sans limite pour les hommes et pour son prochain.
LD: Comment définissez-vous le titre, Des hommes et des dieux?
HQ: C’est Xavier Beauvois qui le voulait. La plupart des gens dans
le film, toutes les familles étaient contre ce titre. Finalement, j’ai pro-posé en exergue du film, le psaume 81 [«Vous êtes des dieux, des fils du Très-Haut, vous tous! Pourtant, vous mourrez comme des hommes, comme les princes, tous, vous tom-berez.»] C’est pour sauver le titre pour le public chrétien, pour qui il n’y a qu’un seul dieu, que nous avons osé ces différentes représen-tations de Dieu.
Les moines sont devenus des dieux par participation, pas par nature, ce qui est conforme à la théologie chrétienne; Dieu s’est fait homme pour que l’homme devien-ne dieu. C’est un titre assez majes-tueux pour un film qui s’attaque à la question de l’homme et de la di-vinité de manière colossale, un titre mystérieux qui ne prétend pas du tout mettre un terme à la question, et qu’on peut le lire de différentes manières; c’est alors un bon titre. x
Propos recueillis par Mai Anh Tran-Ho.
En 1996, sept moines trap-pistes sont enlevés par le GIA (Groupe islamique
armé), puis assassinés. Ces moines vivaient à l’abbaye Notre-Dame de l’Atlas perchée dans les monta-gnes algériennes. Le monastère de Tibhirine servait de refuge spirituel et de dispensaire, où les moines côtoyaient les habitants des villages voisins. Lorsque le pays connaît les violences d’une guerre civile, des travailleurs étrangers sont assassi-nés; on offre aux frères une protec-tion de l’armée, qui devient aussi violente que les terroristes, protec-tion qu’ils refusent. La menace se fait plus grande et le doute s’instal-le: doivent-ils partir ou rester? Le martyr est-il leur destin? Le film Des hommes et des dieux dresse un ta-
bleau de cet engagement quotidien et de cette foi inattaquable.
Xavier Beauvois filme avec simplicité une esthétique presque teintée de froideur documentaire, mais qui ne manque pas d’empa-thie. La mise en scène sobre expo-se la vie réglée des moines dans les moindres détails et dans un décor réaliste. Une vie organisée autour de la prière commune à la chapelle, nourrie de psaumes, et des réu-nions au cours desquelles se pren-nent, à l’issue d’un tour de parole et d’un vote, les décisions enga-geant la vie de la communauté, qui témoignent ici de la réduction progressive des antagonismes vers une communion spirituelle, struc-turent le film.
Mais la place est faite, aussi, aux moments partagés avec les vil-lageois (travail de la terre, dispense de soins, fêtes familiales…), dans
le respect de l’islam. L’économie narrative et les plans fixes ainsi que les longs travelings panoramiques rendent justement le silence du recueillement qui règne dans le quotidien des moines. Car enfin, même avec une réplique cynique du chef de police qui reproche à la colonisation française de ne pas accorder à l’Algérie son indépen-dance, ce qui intéressait le réalisa-teur, au-delà du politique, c’étaient ces hommes qui avaient fait don de leur chair et de leur sang par leur serment sacré.
Il est toujours difficile d’évo-quer des événements doulou-reux, et la fiction permet de mieux aborder –et peut-être de mieux comprendre– la réalité. Malgré sa modeste esthétique, Xavier Beauvois se permet quelques fio-ritures qui rompent l’unité réaliste de l’histoire, ou bien fait d’autres
références que celles monasti-ques. Par exemple, dans quelques scènes, un terroriste rappelle le tableau Lamentation sur le Christ mort de Mantegna, ou lorsqu’ils chantent à l’unisson pour couvrir le bruit d’un hélicoptère militaire, ou encore, dans une des dernières séquences, le repas des moines, qui rappelle La Cène de De Vinci, est filmé de façon très lyrique. Xavier Beauvois délaisse les plans d’ensemble pour un plan détaillé du visage de chacun des moines qui acceptent finalement leur mort imminente, au son du Lac des cygnes de Tchaïkovski.
Après le refus de frère Christian de mettre frère Luc (Michel Lonsdale, magistral), leur médecin, et des médicaments, à la disposition d’un groupe de terro-ristes, une nuit de Noël, les moines savent que leur mort est assurée;
seulement ils ne savent pas quand.D’abord plongés dans le
chaos par la peur qu’a engendrée chez chacun la perspective de sa propre mort, et qui a fait chance-ler la cohésion du groupe, la peur converge vers la fraternité.
De nombreuses répliques cristallisent la spiritualité et l’es-poir intarissable de ces moines, par exemple, quand il cite saint Paul, «L’amour espère tout, en-dure tout» ou que Frère Christian répond au désir de fuite d’un de ses compagnons par «les fleurs des champs ne se déplacent pas pour recevoir la lumière du soleil.»
Grand Prix du Festival de Cannes 2010, Prix du Jury Œcuménique et Prix de l’Éduca-tion Nationale, Des Hommes et des Dieux rend la vie de ces moi-nes avec justesse et beaucoup de grandeur. x
13Arts & Culturex le délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com
Gracieuseté de Métropole Films
Mai Anh Tran-HoLe Délit
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14 Arts & Culture x le délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com
Le cinéma de demain récompensé à la Berlinale
CINÉMA
L’Ours d’or pour le meilleur film a été remis sans grande surprise, mais avec beaucoup de joie, à Nader and Simin, A Separation de Asghar Farhadi. L’équipe a d’ailleurs remporté d’autres prix: l’Ours d’argent pour la meilleure actrice et l’Ours d’argent pour le meilleur acteur ont tous les deux été décernés à l’ensem-ble des acteurs du film. Leila Hatami, Sarina Farhadi, Peyman Moadi, Sareh Bayat et Shahab Hossein ont donc reçu une récompense qui salue un vérita-ble travail d’équipe. En effet, cette re-mise des prix à un collectif plutôt qu’à
un(e) meilleur(e) acteur(-trice) permet de repenser, pour une fois, le travail des comédiens non plus comme des talents individuels mais bien comme une col-laboration, un soutien entre les acteurs. De plus, ces deux prix permettent de rappeler l’importance de l’étape souvent oubliée qu’est l’audition.
C’est donc un véritable triomphe qui attendait Farhadi à Berlin, ce réalisateur talentueux qui pourrait bien devenir un habitué des festivals, après avoir rempor-té l’Ours d’argent du meilleur réalisateur en 2009 pour A propos d’Elly…x
Béla Tarr est connu pour sa maîtrise cinématographique et sa technique impec-cable. Son film A torinói ló (The Turin Horse), qui met en scène la ritualité jusqu’à l’épui-sement, est l’histoire d’un père, Ohlsdorfer (Janos Derzsi), de sa fille (Erika Bok) et de leur cheval, tous les trois isolés dans une plaine où les vents soufflent avec violence. La vie oppressante des personnages, symbo-lisée par ce vent, est mise en scène dans une réalisation sobre et pour le moins intrigante. Si la lenteur extrême du film et sa répétitivité servent efficacement le propos du réalisa-teur, il n’en reste pas moins que le film en découragera plus d’un. Adressé à un public très réduit, The Turin Horse a néanmoins reçu le Grand Prix du Jury, sans discours de réception du prix par Béla Tarr.
Cette récompense n’est pas très éton-nante, au vu de la carrière du réalisateur.
Toutefois, elle pose la question de l’après festival, c’est-à-dire de la réception du film par un public non constitué de journalistes cinéphiles de la première heure. Difficile d’imaginer la distribution qu’obtiendra ce film qui ne prétend pas à un quelconque succès tant son propos, comme sa réalisa-tion le destinent à un public d’intellectuels qui ne font que penser le cinéma, et non le penser et le ressentir comme une source de réflexion et de loisir. The Turin Horse est –tout comme Saranghanda, Saranghaji Anneunda (Come rain, come shine) de Yoon-ki Lee, éga-lement présenté en compétition– une œuvre annoncée par le réalisateur comme étant faite pour un certain public et non pour le grand public. Ces deux films, dont l’action, les dialogues, les émotions des personnages et le récit sont minimalistes, laisseront donc perplexes quelques spectateurs. x
Le prix Alfred Bauer, en mémoire du fondateur du festival pour une œuvre par-ticulièrement novatrice, a été décerné à Andres Veiel pour Wer wenn nicht wir (If Not Us, Who), le récit des premiers mouvements d’extrême gauche dans l’Allemagne des an-nées 1970, mouvements guidés par Gudrun Ensslin et Andreas Baader, qui se sont par la suite radicalisés.
L’histoire, qui débute en 1960 avec Bernward Vesper, fils de l’écrivain poète fi-dèle d’Hitler Will Vesper, s’attarde sur l’his-toire d’amour peu conventionnelle et pour le moins tourmentée de ce personnage avec Gudrun Ensslin, future co-fondatrice de la RAF (Fraction armée rouge) avec Andreas Baader. Andres Veiel a choisi de montrer des étudiants qui se rebellent contre l’ordre établi, se révoltant contre toute forme d’esta-blishment, les empêchant de changer une so-ciété contre laquelle ces enfants du nazisme ne peuvent que s’élever. Très détaillé, le film ne s’attarde pas sur le terrorisme, les atten-tats de la «Bande à Baader» des banques et des grands magasins, mais aborde plutôt la mise en place de ces réseaux de résistance, de ces mouvements qui ont donné lieu aux excès de violence tristement connus. Sans jugement, il évoque l’enthousiasme et la passion de ceux qui voulaient faire changer la société allemande de l’après-guerre.
Un film historique que l’on peut rapprocher de Mein bester Feind (Mon meilleur ennemi), film hors compéti-tion de Wolfgang Murnberger, et de V Subbotu (Innocent Saturday) d’Alexander Mindadze, pour leurs explorations de l’Histoire, dans le but de comprendre le passé mais aussi le présent, et peut-être l’avenir. Mein bester Feind, plein d’humour, présente un personnage juif victorieux et héroïque qui, pendant la Seconde Guerre Mondiale, prend l’uniforme SS de son ancien meilleur ami et se fait passer pour lui. V Subbotu retrace, quant à lui, l’his-toire d’un ouvrier de la centrale nucléaire Lénine en Ukraine pendant les quelques heures qui ont suivi la catastrophe de Tchernobyl, le plus grave accident nu-cléaire répertorié de nos jours.
Tout comme Wer wenn nicht wir, ces films abordent de manière origi-nale des événements historiques d’une grande importance. Pourtant, au-delà de toute considération artistique, ces films manquent d’une actualité à l’image de Margin Call. On aimerait en effet parfois s’interroger sur le présent à travers l’ac-tualité et non par le biais d’événements que l’on connaît déjà, non seulement par la presse, mais aussi par la littérature, le théâtre, le cinéma, etc. x
L’Ours d’argent du meilleur réalisa-teur a été décerné à Ulrich Kölher pour Schlafkrankheit (Sleeping Sickness), un prix mérité qui, on l’espère, fera paraître ce film sur les écrans du monde entier, et non uniquement en Allemagne.
El Primo (The Prize) a, quant à lui, été récompensé par l’Ours d’argent pour une performance artistique exceptionnelle, dans les catégories caméra (Wojciech Staron) et production design (Barbara Enriquez), ex æquo.
Joshua Marston et Andamion Murataj n’ont pas été oubliés: The Forgiveness Of Blood a reçu l’Ours d’argent
du meilleur scénario pour un film retra-çant l’histoire d’une vendetta en Albanie. Ce film, servi par des comédiens pour la plupart non professionnels, était un véri-table plaisir pour les yeux et l’esprit.
Une fois de plus, la Berlinale a récompensé des talents prometteurs. Contrairement à la cérémonie des Césars, qui sont le plus souvent décernés à des acteurs et à des réalisateurs confirmés, la Berlinale se veut en effet un festival à la recherche des équipes cinématogra-phiques de demain, ceux dont les plus grands chefs-d’œuvre sont encore certai-nement à venir. x
Annick LavogiezLe Délit
Le triomphe d’A. Farhadi
Le cheval de l’ennui
L’Histoire au programme
Les autres récompensés
Gracieuseté de la Berlinale - Festival International du Film de Berlin
Gracieuseté de la Berlinale - Festival International du Film de Berlin
Gracieuseté de la Berlinale - Festival International du Film de Berlin
![Page 15: Le Délit](https://reader034.vdocuments.net/reader034/viewer/2022042823/568bde6d1a28ab2034b97477/html5/thumbnails/15.jpg)
15Arts & Culturex le délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com
Sorti dans les salles de cinéma après sa nomination pour l’Oscar du meilleur acteur pour Javier Bardem et pour le
Meilleur film étranger, Biutiful est réalisé par Alejandro González Iñárritu, à qui l’on doit également la célèbre trilogie Amores perros (2000), 21 Grams (2003) et Babel (2006).
Biutiful est un drame familial retraçant la destinée impossible de deux jeunes enfants, d’un père cancéreux aux mille occupations et d’une mère prostituée, alcoolique et maniaco-dépressive, dépouillée d’amour-propre et sans contrôle aucun sur son corps.
Biutiful est aussi un drame politique sur les immigrants, surtout venus de Chine et d’Afrique, sans emploi et tristement dépossé-dés dans la Barcelone des quartiers pauvres, démantelés.
Biutiful est par-dessus tout un drame so-cial, architectural –où la société est vue com-me structure physique– dans lequel la tension règne entre le corps policier, les patrons, la classe du commerce illicite et le gouverne-ment.Toutefois, Biutiful est en contrepoint une plainte déchirante, une tragédie totale et excessive pour la survie humaine. Le film dé-passe la critique et repose sur l’idée de l’hom-me impuissant et écorché, incarné magistra-lement par Bardem, face à sa mort prochaine,
qu’il tente de repousser jusqu’à son dernier souffle.
La circularité du film, la première scène étant aussi la dernière, évoque la mémoire d’une vie antérieure remplie de peines et d’une espérance possible. Parce que de cette noirceur des sentiments et des actes humains naît tout de même une lumière: celle de la force d’une communauté qui se soutient soli-dement afin d’outrepasser le malheur.
Le film d’Iñárritu prend forme dans une déconstruction et une fragmentation qui est à l’image même de ses thèmes; en majeure partie filmé à l’épaule et en lumière naturelle, le film se pare de quelques (rares) scènes surréelles au début et à la fin, scènes qui transfigurent
les douloureuses destinées des personnages. D’ailleurs, la métaphore de la mer traverse et sous-tend le discours cinématographique. C’est bien sûr la mer, ses vagues et son bruit, sa lumière et son mouvement, l’apparence de liberté qu’elle semble offrir; mais c’est aussi la mère et sa voix réconfortante, absente dans les rapports familiaux.
Entre la mer et la mère, il y a l’amour, défait et malhabile, mais présent dans le film comme un idéal à atteindre; un peu comme si les trois, conjugués et reliés, pouvaient don-ner naissance à une multiplicité incommen-surable: l’amour maternel, marital, maritime; la mère maritime, amoureuse; la mer amou-reuse, maternelle. x
Un père, une mère, trois enfants mè-nent une vie paisible dans une ban-lieue où règne un calme inquiétant.
C’est le tableau choisi par le réalisateur grec Yorgos Lanthimos pour nous présenter un film psychédélique qui repousse les limites du cinéma. Avec Canine, Lanthimos propose un film qui met en scène la brutalité d’un homme. L’homme en question est le père d’une famille atypique, qui élève, avec la complicité de sa femme, ses enfants dans un confinement total. En effet, chez eux, la sa-lière se nomme téléphone et les avions dans le ciel sont de simples jouets prêts à tomber
à n’importe quel moment dans le jardin. Ces enfants, qui sont de jeunes adultes, n’ont jamais mis les pieds à l’extérieur de la villa somptueuse dans laquelle ils vivent. Ils ont donc grandi dans un cadre absurde qui a éveillé en eux des pulsions quasi-meurtriè-res les entraînant dans une farouche compé-tition dont le but premier est d’avoir le plus de points et donc la satisfaction du père. La seule personne étrangère au clan autorisée à fréquenter la famille est Christina, une jeune femme engagée par le père pour assouvir les besoins sexuels du fils. Cette histoire res-semble étrangement à une mauvaise expé-rience scientifique. Le scénario expose donc des personnages qui vivent dans une dyna-mique de huis clos, quand un événement
bouleverse à jamais cette quiétude.Yorgos Lanthimos ne laisse donc per-
sonne indifférent avec son film. Le génie de Canine réside justement dans l’audace expé-rimentée dans un cadre cinématographique nouveau dans lequel on a la nette impres-sion que les acteurs, qui travaillent plus avec leur corps qu’avec leurs facultés intellectuel-les, se laissent guider par leur instinct pour laisser le spectateur dans un vide psycholo-gique. L’univers qui nous est proposé (une immense maison, un magnifique paysage, un soleil omniprésent) tranche avec l’enfer-mement que subissent les personnages. On peut noter aussi l’importance de la réflexion apportée par cette œuvre sur le concept tra-ditionnel de famille, que Lanthimos défie
directement. On assiste donc à une distor-sion de l’unité familiale qui cesse d’exister dans l’organe social traditionnel que nous connaissons.
En ce qui concerne la photographie, Lanthimos met l’accent sur les réactions furtives des personnages. La peur est explo-rée dans les faciès; l’angoisse se lit sur le vi-sage des parents qui ne veulent pas perdre le contrôle dans une maison où les boulever-sements poussent à la rébellion. La lumière qui vient de l’extérieur s’oppose à la pesan-teur de l’intérieur. Canine n’a pas fini d’être acclamé par la critique internationale et res-te un film à surveiller, après sa nomination dans la catégorie du meilleur film étranger aux Oscars. x
Habib HassounLe Délit
Sabrina Ait AkilLe Délit
Iñárritu et le cinéma de la cruautéDans Biutiful, Alexandro Gonzáles Iñárritu réunit d’une main de maître les douleurs du monde.
CINÉMA
Un mal à extirperAvec Canine, le réalisateur Yorgos Lanthimos, lauréat du prix Un certain regard à Cannes en 2010, nous propose un film satirique et violent qui sort des sentiers battus.
CINÉMA
Gracieuseté de Maple Pictures
Gracieuseté du Cinéma du Parc
![Page 16: Le Délit](https://reader034.vdocuments.net/reader034/viewer/2022042823/568bde6d1a28ab2034b97477/html5/thumbnails/16.jpg)
En 1974, des paysans chinois font une découverte inatten-due: en creusant un puits, ils
découvrent une armée de soldats en terre cuite hauts de plus de deux mètres. Les archéologues retrou-vent ainsi la fameuse tombe du pre-mier empereur de Chine, enterré avec 8000 de ses soldats de terra-cotta. C’est dans ce mausolée de la province de Shaanxi que nous em-mène l’exposition L’empereur guer-rier de Chine et son armée de terre cuite, présentée au Musée des beaux-arts de Montréal.
D’entrée de jeu, des questions s’imposent: qui était cet empereur qui a ordonné la construction d’une tombe rivalisant avec les grandes pyramides d’Égypte? Pourquoi un tel projet? Et surtout, comment disposer cette armée monumentale à l’intérieur d’un musée?
Qu’on se le dise: cet empereur n’était pas qu’un simple suzerain parmi d’autres. En 221 avant J.-C., il conquiert les sept Royaumes com-battants de Chine et se proclame empereur Qín Shi Huángdì. Pour la première fois, le pays est unifié. S’ensuit un règne sanguinaire mar-qué par des exécutions sommaires, des réformes radicales et de grands travaux, tels les débuts de la Grande Muraille de Chine qu’on lui attri-bue. Malgré ces succès, l’empereur
est terrifié: il a peur de la mort. Une fois passé de l’autre côté, il craint d’être laissé seul à la merci de ses ennemis et des esprits malfaisants. C’est pourquoi il force quelques 700 000 ouvriers à construire un royaume entier à l’intérieur de son tombeau. Les travailleurs érigent une butte de 115 mètres de haut et de 56 mètres carrés de superficie, les sculpteurs y introduisent leurs milliers de soldats de terre cuite, et tous y sont enterrés pour l’éter-nité, les statues aussi bien que les vivants. Fort de son armée éternelle et de ses sujets (qui eux périront de soif), l’empereur peut régner dans l’au-delà.
Quand le Musée devient sépul-ture
Alors qu’ils évoluent à tra-vers les trois salles précédant celles consacrées à l’armée, les visiteurs ne peuvent s’empêcher de jeter un oeil au fond du couloir, car dans la quatrième salle, le premier soldat nous toise, paisible dans son éter-nelle fixité. Il nous invite à quitter la clarté des premières salles pour s’enfoncer dans la pénombre du mausolée Qin.
Lorsqu’on y entre, on doit reconnaître les efforts des coor-donateurs de l’exposition. Bien que l’on ait droit qu’à une dizaine de ces grandes statues, les jeux de lumière savent les mettre en valeur. Entourés d’obscurité, les soldats
sont nimbés de faisceaux lumineux. Lorsqu’on progresse vers la huitiè-me salle, on retient notre souffle à la vue d’une ombre de trois mètres, pour enfin découvrir la statuette d’un acrobate de trente centimè-tres. Des décorations murales telles que le mur criblé de flèches dans la salle de l’arbalétrier achèvent de nous immerger dans une Chine vieille de quelques millénaires.
C’est donc sur l’ambiance d’outre-tombe, plus que sur l’im-mensité de l’armée de terracotta, que mise l’exposition. Ce n’est qu’arrivé dans la tombe de la dy-nastie Han (datant de 206 à 220 avant J.-C.) que l’on est assailli par une centaine de petits cavaliers. Quant à la section sur l’empereur Qin, il s’agit d’une sélection des éléments importants de son mau-solée: un commandant, un soldat et un officier pour l’infanterie, deux chevaux pour la cavalerie, un fonc-tionnaire pour les affaires d’état, un danseur pour le divertissement de l’empereur et même un cygne venu du jardin d’agrément de la tombe. Bref, un bestiaire de variété qui montre que ce royaume des morts rivalisait de gloire avec celui des vivants.
Faute de moyens, l’exposition ne parvient pas à véhiculer l’im-pression de grandeur de l’armée de l’empereur Qin. Pour compen-ser, les coordonateurs ont mis le paquet sur une mise en scène bien
maîtrisée, ainsi que sur une histo-riographie concise couvrant plus d’un millénaire d’histoire chinoise. L’exposition rebutera donc les cu-rieux en quête de sensations for-tes, mais ravira les sinophiles et les férus d’histoire. x
16 Arts & Culture x le délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com
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Raphaël Dallaire FerlandLe Délit
L’empereur guerrier de Chine et son armée de terre cuite
Où: MBAM1380 Sherbrooke OuestQuand: jusqu’au 26 juinCombien: 7.50$
Voyage millénaire dans une Chine pétrifiéeAu Musée des beaux-arts, L’empereur guerrier de Chine et son armée de terre cuite dévoile ses soldats d’argile dans une exposition couvrant plus de mille ans d’histoire chinoise.
ARTS VISUELS
Bureau des reliques culturelles de la province du Shaanxi et Centre de la promo-tion du parimoine culturel du Shaanxi, République populaire de Chine, 2009.
Arbalétrier, terre cuite et peinture. Dynastie des Qin (221-206 av. J.-C). Exhumé en 1986, fosse n°2 de l’armée de terre cuite. Lintong, province
du Shaanxi. Musée de l’Armée en terre cuite du Premier Empereur.
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17Spécial Royautéxle délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com
Mai Anh Tran-HoLe Délit
Lorraine Pintal, directri-ce générale et artistique du Théâtre du Nouveau
Monde (TNM), retourne sur les planches dans la peau de Madame de Maintenon, dans un solo théâ-tral qu’elle a écrit et mis en scène en 1988. Ce sera donc du 29 mars au 30 avril au Théâtre du Rideau Vert qu’il sera possible de s’entre-tenir avec cette marquise ayant ré-gné indirectement pendant trente ans sur la France en gagnant le cœur du Roi-Soleil.
Née en prison et issue de la petite noblesse, Françoise d’Aubi-gné grandit dans les couvents de l’époque. Elle épouse le poète Paul Scarron, de vingt-cinq ans son aîné. Sa personnalité la fait briller au sein de la société littérai-re et, à travers la fréquentation de divers amis artistes de son mari, elle devient la gouvernante des bâtards du roi Louis XIV. Celui-ci, lassé de ses amourettes après la mort de Marie-Thérèse d’Autri-che, se prend d’affection pour celle qui s’occupe de ses enfants illégitimes avec tant d’amour. Elle acquiert ainsi le titre et le château de Maintenon, et épouse secrète-ment le roi en 1683. C’est donc à partir d’extraits de biographies, des correspondances de Madame de Maintenon, des écrits de Saint-Simon, de Ninon de Lenclos et de la marquise de Sévigné, que Lorraine Pintal raconte ce par-cours de vie inspirant.
Le Délit (LD): Qu’est-ce qui vous avait motivé, il y a plus de vingt ans, à écrire cette pièce?
Lorraine Pintal (LP): Les femmes avaient été silencieuses, l’histoire des hommes avait éva-cué, muselé leur voix. Mais par sa force de volonté, sa détermi-nation, Madame de Maintenon s’est élevée dans la hiérarchie et est devenue une reine. Je voulais réhabiliter l’histoire par les écrits de cette femme qui était révolu-tionnaire, construire une histoire féminine.
LD: Pourquoi avez-vous choisi la tirade ou le monolo-gue?
LP: Je voulais me retrouver seule par rapport à un spectacle et au processus de mise en scène que je connaissais déjà. Être confrontée à la page blanche. Avec une bourse du Conseil des Arts du Canada, j’ai visité les lieux de vie de Madame de Maintenon, j’ai parcouru les archives nationales. Lorsque tu ne suis qu’un personnage, sa moti-vation, son parcours historique, l’adaptation se construit autour d’une seule ligne pour approfondir le propos. On se met aussi en dan-ger par rapport au public, c’est un état de déséquilibre, de confron-tation avec le public. C’est un des défis que je voulais me lancer, cette solitude sur scène.
LD: Pourquoi reprendre la pièce aujourd’hui; l’avez-vous modifiée, et pourquoi au Théâtre du Rideau Vert?
LP: La reprise ne m’aurait jamais effleuré l’esprit, j’avais tourné la page et j’étais prête à explorer autre chose, je pensais à Jeanne d’Arc, à la Reine d’An-gleterre, Virginia Woolf… C’est Denise Filiatrault qui m’a lancé l’idée de reprendre la production telle quelle, il y a environ un an. La scène du TNM est trop gran-de pour un solo, au Théâtre du Rideau Vert, c’est plus intime.
LD: Le contexte socio-culturel a-t-il changé depuis, avez-vous modifié le texte ou la mise en scène?
LP: La structure est la même, mais j’ai modifié l’intérieur de
certains monologues. C’est une esthétique très classique pour le costume, le maquillage, la perru-que. J’ai évolué avec le personna-ge, je l’ai modernisé, je lui ai ap-porté une parole plus personnelle. J’ai voulu mettre en lumière les contradictions de l’époque, com-ment ça se situe dans le contexte actuel, la femme dans la société, par rapport à l’éducation, aux relations amoureuses, à la séduc-tion, au questionnement de sa foi, à la spiritualité. Tous ces sujets dont on discute encore abondam-ment de nos jours.
LD: Quels mots ou quelles images –réelles ou chiméri-ques– vous viennent en tête au mot «royauté»?
LP: Des images très ancien-nes, Élizabeth Ière, la marquise de
Maintenon, Christine de Suède. On pense aussi à une royauté moins glorifiée, aux pays arabes, à une certaine forme de despotisme, à des dictatures. Louis XIV n’était pas un despote, j’interroge la royauté par le biais de cette fem-me qui se retrouve reine, dirigean-te. De quelle manière impose-t-elle son autorité, gère-t-elle l’état, organise-t-elle ses priorités? On connaît en ce moment une des plus grandes périodes de révo-lution dans notre histoire, je ne préconise pas la monarchie, mais je cherche comment une femme, qu’elle soit premier ministre ou présidente, assume cette royauté très réelle, pas chimérique.
LD: Croyez-vous que la royauté joue un rôle important dans l’histoire du Québec?
Quelle relation avons-nous avec la Royauté aujourd’hui?
LP: Je ne crois pas du tout que la royauté possède un grand rôle dans l’histoire du Québec. De par notre appartenance au Canada, par la Couronne britan-nique, il existe une relation, mais elle n’est même pas symbolique. C’est une réalité qui se rapproche de celle de l’Australie. La royauté, c’est une figure sur les billets de dollars, c’est encombrant même, c’est une très vieille structure qu’on n’a pas cru bon de trans-former, peut-être à cause de l’at-tachement public, surtout chez les personnes âgées. x
Madame Louis XIV, écrite, mise en scène et interprétée par Lorraine Pintal, sera présenté du 29 mars au 30 avril au Théâtre du Rideau Vert.
Madame Louis XIVLorraine Pintal donne sa voix à Madame de Maintenon.
THÉÂTRE
Gracieuseté du Théâtre du Rideau Vert
![Page 18: Le Délit](https://reader034.vdocuments.net/reader034/viewer/2022042823/568bde6d1a28ab2034b97477/html5/thumbnails/18.jpg)
L’écrivain mexicain Carlos Fuentes l’avait déjà suggéré dans Le Miroir enterré au sujet
de l’Amérique latine, et la gauche française actuelle est en passe de le confirmer d’ici l’élection présiden-tielle en 2012. Le discours nationa-liste-populiste relève avant tout du domaine d’expertise et de réussite de la droite. Les autres pions de l’échiquier politique feraient mieux de ne pas trop s’y aventurer s’ils veulent en sortir gagnants.
Contraints de répondre à la montée fulgurante de la nouvelle héritière de la dynastie du Front National, Marine Le Pen, la gau-che contre-attaque ces dernières semaines sans avoir retenu la le-çon. Elle répond au populisme de l’extrême droite par le populisme ou la démagogie, donnant une tou-che «monarchique» ou «royale» à leur stratégie électorale. Après tout, dans un monde où la plupart des monarques ne conservent qu’un rôle représentatif, on peut en effet se demander si les discours du nou-vel an d’Elizabeth II au Royaume-Uni ne font pas plus qu’un avec les communications sans substance du Parti socialiste (PS).
«Opération Séduction» 2 en Afrique
Première en lice à cet exercice, nul autre que le premier secré-taire du PS, Martine Aubry, lors de son passage au forum social de Dakar du 6 au 11 février. Certes, les Français, Sénégalais et les autres n’ont pas eu droit à un remake de Ségolène Royal portant un bou-bou, comme lors de la visite de cette dernière en 2009. En échan-ge, cependant, la fin de semaine suivante, les téléspectateurs d’un célèbre rendez-vous politique fran-çais ont tout de même dû faire les frais de longues minutes à observer Madame Aubry contempler devant les caméras les peintures d’artisans pêcheurs locaux. Quid de l’annon-ce de propositions concrètes pour le Tiers-monde, et de la redéfini-tion des relations France-Afrique qui auraient montré un réel souci, au-delà de l’image, pour la misère des populations en question? Néant. Même au micro des journa-listes l’interrogeant sur les raisons
de ce soudain manque de réticen-ce à être filmée dans un contexte plus «intime», la chef des troupes socialistes s’agace, avouant ainsi à demi-mot la supercherie électora-liste de sa visite.
Copycat sauce gauche ouvrièreNe soyons cependant pas
trop durs avec Martine Aubry; la gauche de la gauche s’en donne elle aussi à cœur joie au jeu de la démagogie du FN. Pis encore, à travers l’ex-ministre socialiste et actuel co-président du Parti de Gauche, Jean-Luc Mélenchon, les ficelles usées du parti d’extrême droite sont purement et simple-ment copiées. Traitant la gauche et la droite traditionnelle au pouvoir depuis plusieurs décennies de «vé-ritables oligarchies» et louant les français «d’être un grand peuple» lors d’un face-à-face télévisé le 14 février avec la nouvelle présidente du FN, on ne s’éloigne guère des slogans «Contre le pacte UMPS!» ou «les français sont un grand peuple d’un grand pays» du Front nouvelle génération. Encore une fois, les propositions politiques réelles de la gauche en sont rédui-tes à peau de chagrin: la vague idée de créer un «SMIC (salaire mini-mum) européen» et d’étendre la loi sur la laïcité aux anciens ter-ritoires allemands d’Alsace et de Moselle…
Une stratégie gagnante?Alors oui, ne nous y trom-
pons pas, la gauche française sem-ble avoir fait le choix du popu-lisme dans la perspective de 2012. Malheureusement, au regard de l’échec de Ségolène Royal en 2007, qui avait occasionnellement pris la ligne dure du FN dans sa campa-gne sur la sécurité, allant jusqu’à proposer la création de camps militaires de redressement pour jeunes délinquants, on peut dou-ter qu’elle parvienne à transformer l’essai. En effet, comment vraiment convaincre avec de la pure rhétori-que très sécuritaire, nationaliste et antisystème lorsque l’on a parti-cipé pendant des années aux poli-tiques de Mitterrand et d’autres en partie responsables du bilan actuel de la France? À ce petit jeu, le Front National, n’ayant jamais participé à l’exercice du pouvoir, ne peut que convaincre davantage avec un discours populiste, réac-tionnaire. Les sondages actuels, exprimant des niveaux d’inten-tions de vote pour Marine Le Pen jamais atteints par son père à un peu plus d’un an d’une élection présidentielle, rendent plus que crédible le scénario de la présence du FN, comme en 2002 au second tour, cette fois-ci peut-être même en tête. Si cette hypothèse se fait réalité, le propos de Carlos Fuentes sur le populisme étant avant tout le territoire de la droite pourrait aller s’appliquer bien au-delà des terres au sud du Rio Grande. x
Palais Royal: à gauche toute
BILLET
Guillaume Dumas-GaldeanoLe Délit
«La République n’est pas le régime qu’il faut à la France», avait
lancé Charles de Gaulle. La mo-narchie est l’institution qui a vu l’évolution de la France de Clovis à Louis XVI, en passant par Saint Louis, François Ier et Henri IV. Cependant, la monarchie n’est pas seulement l’histoire d’un roi.
Tout d’abord, les royalistes français avancent que la mo-narchie serait le système poli-tique le plus naturel, car fondé sur le bonheur du peuple, plutôt que sur les intérêts personnels de ses dirigeants. De plus, l’ins-titution royale serait impartiale, puisqu’elle ne choisirait pas le parti ministériel; «le monarque règne, mais ne gouverne pas». Le clivage entre la droite et la gauche détruit la légitimité du chef d’État qui n’est finalement élu que par la moitié des français. La royauté ferait aussi de la France un pays libre de tout pouvoir politique et financier, des pressions exté-rieures et électorales. L’unité et la continuité caractériseraient cette institution.
En France, on compte sur un millénaire et trois siècles six dynasties, deux empires en moins de soixante-quinze ans et cinq républiques en deux siècles. À l’époque, les rois régnaient pendant environ vingt-cinq ans, soit l’équivalent de cinq quin-quennats et donc cinq change-ments de gouvernant. La stabi-lité qu’apporte une monarchie permettrait à la France d’avancer
vers le bien commun. Le régime électoral français centralise toute l’administration à Paris, ce qui réduit les libertés locales. Le rôle des municipalités, des dépar-tements et des régions est mis de côté pour mettre à l’avant la République.
Un parti politique s’oppose à la république démocratique: l’Alliance Royale, fondée en 2001. Leur slogan, «Ils vous pro-mettent tous la Lune, exigez le Soleil», réprouve la République et invite à considérer l’alternative monarchiste. Ils ne vantent pas la monarchie comme un moyen de résoudre tous les problèmes, mais ils constatent que depuis la Révolution et l’instauration de la République, la France perd de son influence au niveau mondial. L’histoire contemporaine montre même une dégradation politique, économique et sociale.
De son côté, le mouvement des Jeunes Royalistes dénonce, entre autres, le retrait des pro-grammes d’histoire de grandes fi-gures tels Louis XIV et Napoléon Ier, et la réduction des heures d’étude consacrées à l’histoire. Ces Jeunes Royalistes sont res-ponsables d’opérations provo-cantes, comme la confection d’une banderole sur laquelle était imprimé: «La République couche avec le fric», et l’affichage de cette dernière dans l’une des grandes artères de Paris, ou encore la pro-cession effectuée en janvier der-nier pour commémorer la mort de Louis XIV.
Interrogé sur les raisons de son combat pour la monarchie, le représentant des Jeunes
Royalistes, Stéphane Piolenc, explique que la «monarchie, telle qu[’ils] la conçoiv[ent], portera en elle les germes d’une véritable démo-cratie, aura pour but de défendre nos libertés, de bâtir une Europe plus jus-te et plus respectueuse des nations. La royauté doit incarner un véritable re-nouveau psychique de notre pays, car le drame des Français, c’est qu’ils ne s’aiment plus.» Il ajoute que la démo-cratie post-totalitaire est de plus en plus dénoncée. «À nous de rappeler que les désastres d’aujourd’hui trou-vent leurs racines dans la Révolution dite française et dans son cortège de trahisons et de meurtres» affirme enfin le représentant des Jeunes Royalistes.
Un sondage effectué en 2007 par BVA –société de son-dages d’opinion et de marketing française– concluait que 17% des Français seraient favorable à ce que la fonction de chef d’État soit assumée un jour par un roi, et 20% assurent qu’ils voteraient pour un candidat royaliste au premier tour de l’élection prési-dentielle.
Les royalistes sont cepen-dant partagés quant à l’éventuel successeur du dernier roi de France. Il y a deux prétendants au trône: Louis de Bourbon, des-cendant direct d’un petit-fils de Louis XIV, qui soutient l’instau-ration d’une monarchie française adaptée au monde moderne, et Henri d’Orléans, descendant du dernier roi de France, qui souhai-te une monarchie parlementaire comme au Royaume-Uni.
C’était bien la monarchie qui devait unifier la France pour lui redonner sa grandeur perdue? x
18 Spécial Royauté xle délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com
La monarchie, baume pour les maux français
BILLET
Fanny DevauxLe Délit
Les royalistes veulent sauver le panache de la France en défiant la République.Matthieu Santerre | Le Délit
Martine Aubry et Marine Le PenMatthieu Santerre | Le Délit
Quel régime pour la France? Que pensez-vous de la place des monarchistes aux
présidentielles? Publiez vos commentaires surdelitfrancais.com
![Page 19: Le Délit](https://reader034.vdocuments.net/reader034/viewer/2022042823/568bde6d1a28ab2034b97477/html5/thumbnails/19.jpg)
19Spécial Royautéxle délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com
Le Prince William et Kate Middleton, Albert de Monaco et Charlène
Wittstock: 2011 est décidément l’année des mariages royaux, tandis que le spectre de la crise économique plane encore sur les esprits. Alors que les spécu-lations sur le déroulement des cérémonies –de la robe de la mariée à la marque des gâteaux– occupent le monde entier, Le Délit a décidé de creuser l’or-ganisation de ces mariages en grande pompe.
On aurait pu croire que les têtes couronnées d’Europe s’échangeaient les coordonnées des meilleurs wedding planners, mais la tendance des prépara-tifs de cérémonies royales sem-ble bien indiquer le contraire. En effet, les mariages royaux restent globalement d’organi-sation nationalistes, que ce soit pour le choix du fleuriste, du photographe ou du pâtissier. À chaque famille royale sa tradi-tion. En Grande-Bretagne, pour le choix des fleurs, les Windsor ont habituellement recours à la Worshipful Company of Gardeners, une institution de charité placée sous l’auspice de la Reine et chargée, entre autres, de lui proposer des bou-quets lors d’occasions officiel-
les. D’autres fleuristes britan-niques de renom, telle Shane O’Conolly, peuvent s’ajouter à la liste, mais l’on prête davan-tage attention au choix symbo-lique des fleurs –des perce-neige de la reine Victoria aux orchi-dées de la Reine Mère– qu’à leur créateur.
Il en est de même pour le choix du photographe, qui change selon le mariage. Ainsi, alors que le célèbre photographe de mode Mario Testino avait pris les clichés des fiançailles du Prince William et de Kate Middleton il y a quelques mois, ce n’est pas lui qui se chargera de prendre les photos de leur mariage. Cette tâche reviendra à un certain Hugo Burnand, célè-bre photographe qui s’était déjà chargé d’immortaliser le Prince Charles lors de sa discrète union à Camilla Parker-Bowles. Par le passé, d’autres individus, par-fois des amis ou des proches des familles royales, s’étaient vus at-tribuer ce rôle, sans doute pour tenter d’éviter le trop grand manquement à la tradition des photographes de mode.
La pâtisserie a longtemps été la seule exception à la rè-gle des choix nationaux pour les mariages royaux, grâce au pâtissier belge de renom S. G. Sender. Surnommé «le pâtis-sier des rois», il présentait ses créations aussi bien au roi
Baudouin qu’à Charles et Lady Di. Cette véritable icône de la pâtisserie royale a, durant des années, confectionné de super-bes gâteaux. Après son décès en 2009, chaque monarchie a dû choisir son propre pâtissier. En Angleterre, c’est le Classic Celebration Cakes, situé dans le Cheshire, qui est traditionnelle-ment sollicité pour la confection des gâteaux royaux. Bien que la compagnie ait fourni les gâteaux des cinq précédents mariages royaux, ce ne sera pas le cas pour le mariage à venir. «Nous avons produit un gâteau pour le mariage du Prince William, mais il n’a pas été retenu», affirme la dirigeante de CCCakes, Liz Davidson.
Globalement, les maria-ges royaux ne perdent donc rien de leur opulence au fil des ans, même s’ils ont tendance à vouloir davantage de discrétion en ce qui concerne les coûts, à une époque où les monarchies elles-mêmes sont plus que ja-mais tenues à l’œil. Alors que, en 1981, le somptueux mariage de Charles et Diana, estimé à plus de quarante-sept millions de dollars canadiens, avait ému le monde entier (vingt-sept gâ-teaux de mariage, 10 000 perles cousues sur la robe de Diana, 6000 policiers assurant la sécu-rité), il semblerait bien qu’une telle exubérance ne soit plus la
Ils se marièrent et eurent beaucoup de fraisLes coûts faramineux des mariages royaux remettent en question la monarchie.
L’AMOUR ROYAL
Polina KhomenkoLe Délit
Westminster Abbey, où se célèbrent les mariages royaux anglaisGracieuseté de geograph.org.uk
bienvenue à l’avenir. L’année dernière déjà, le mariage de la princesse Victoria de Suède avec son entraîneur personnel, estimé à treize millions de dol-lars canadiens, avait provoqué une profonde indignation dans tout le pays. Les mariages de 2011 feraient donc mieux d’évi-ter les cérémonies trop coûteu-ses, car c’est une période criti-que pour les finances publiques, en Angleterre davantage qu’à Monaco. Pour calmer le jeu, les parents de Kate ont offert près de 160 mille dollars canadiens pour aider à financer le mariage de leur fille. D’après le quoti-dien britannique The Sun, la rei-ne Elizabeth et le prince Charles sont tenus de payer la majorité des coûts du mariage, s’élevant à plusieurs millions de livres. The Sun souligne également que les
frais liés à la sécurité, estimés à près de huit millions de dollars canadiens, seront à la charge du contribuable. Néanmoins, les mariages royaux restent une importante source de revenus pour le pays, notamment dans les secteurs du tourisme, de la porcelaine et de diverses autres marchandises. Ainsi, certains prévoient déjà que le mariage britannique apportera un gain d’un peu moins d’un milliard de dollars canadiens à l’économie anglaise. L’organisation de plus en plus contrôlée des mariages royaux, dont les organisateurs restent discrets sur les coûts réels de ces cérémonies fastueu-ses, indique que la phrase de l’historien Walter Bagehot reste d’actualité: «le mystère de la monarchie» semble bien être «sa vie même». x
Gracieuseté de flickr
![Page 20: Le Délit](https://reader034.vdocuments.net/reader034/viewer/2022042823/568bde6d1a28ab2034b97477/html5/thumbnails/20.jpg)
Buying contraband cigarettes costs more than you think. It fuels other criminal activities, such as the traffi cking of drugs and guns. Individuals caught in possession of contraband cigarettes face serious consequences ranging from a fi ne to jail time.
contrabandconsequences.gc.ca
L’achat de cigarettes de contrebande coûte plus cher qu’on le pense : il alimente d’autres activités criminelles comme le trafi c d’armes et de drogues. Les individus pris en possession de cigarettes de contrebande s’exposent à de graves conséquences, allant de l’amende jusqu’à l’emprisonnement.
consequencesdelacontrebande.gc.ca
![Page 21: Le Délit](https://reader034.vdocuments.net/reader034/viewer/2022042823/568bde6d1a28ab2034b97477/html5/thumbnails/21.jpg)
Aujourd’hui, le complexe de l’Ermi-tage désigne un groupe de bâti-ments incluant le palais d’Hiver, le
Vieil Ermitage, le Théâtre de l’Ermitage et le Nouvel Ermitage. Le palais d’Hiver était la résidence principale de l’empereur de Russie. Il fut modestement construit en 1711 par Pierre le Grand. Puis, sa fille, l’impératrice Élisabeth, l’agrandit de façon majestueuse de 1754 à 1762. En 1764, Catherine la Grande y construisit l’Ermi-tage afin d’y placer sa collection d’œuvres d’art, qui forma plus tard le musée de l’Er-mitage et du même coup le premier musée de Russie.
L’Arche russe se déroule comme suit: le narrateur, invisible au spectateur, se re-trouve au musée de l’Ermitage. Très rapi-dement, il rencontre un visiteur étranger, Astolphe de Custine. Cet écrivain fran-çais s’était rendu en Russie en 1839 avant d’écrire un livre intitulé La Russie en 1839, relatant son voyage. Ensemble, ils visitent trente-trois pièces du musée et rencon-trent différents personnages importants de l’histoire de la Russie, dont Catherine la Grande et Nicholas II.
La particularité de ce film réside tou-tefois dans l’aspect technique. En effet, le film a été filmé en un seul plan-séquence
d’une durée de quatre-vingt-seize minutes, ce qui représente un record. Il s’agit égale-ment du premier film tourné en une seule prise. L’Arche russe n’a subi aucun montage. S’il y avait une erreur à la moitié du tour-nage, il fallait tout recommencer depuis le début. Pour compliquer le tout, on a éga-lement dû faire appel à trois orchestres qui jouaient en direct et à environ 2000 acteurs.
Les extras sont très intéressants à re-garder, car ils expliquent en détail le proces-sus de tournage du ce film. Une connais-sance en histoire russe est fortement recommandée, car le spectateur ne reçoit
aucune indication concernant les person-nes rencontrées. Le réalisateur prend pour acquis que le spectateur connaît l’histoire de la Russie. Il ne faut pas oublier que le film est exclusivement présenté en Russe, avec sous-titres en Anglais.
Somme toute, L’Arche russe est un film impressionnant à voir, grâce à sa complexi-té technique. Ce n’est toutefois pas un film fait pour se renseigner sur l’histoire de la Russie. Il est préférable que le spectateur s’y connaisse un peu avant de visionner le film. x
Disponible en DVD à la bibliothèque Redpath.
La famille des Kennedy est considérée comme une famille royale américai-ne, car ses membres étaient beaux,
photogéniques, riches et puissants. La fa-mille Kennedy avait un impact important sur la politique, et plus particulièrement sur le Parti démocrate. Plusieurs Kennedy se sont énormément impliqués en politique. De plus, presque tous les membres de la fa-mille ont étudié à Harvard. D’ailleurs, l’éco-le d’affaires publiques de Harvard se nom-me John F. Kennedy School of Government.
Toute l’histoire a véritablement débuté avec le mariage de Joseph P. Kennedy Senior, un ancien ambassadeur des États-Unis au Royaume-Uni, avec Rose Fitzgerald, la fille du maire de Boston. C’était alors l’union des deux familles les plus célèbres de Boston.
Ensemble, ils ont eu neuf enfants, dont Robert «Bobby» Kennedy, Edward «Ted» Moore Kennedy et bien sûr John Fitzgerald Kennedy.
D’après le site IMDB, la série The Kennedys présente cette famille chouchou des américains sous un jour moins glorieux que d’habitude. Le patriarche est montré comme un homme manipulateur et narcis-sique qui se serait servi de ses fils charisma-tiques pour asseoir la gloire familiale.
La controverse concernant les droits de diffusion est plutôt nébuleuse. History Channel devait présenter cette télésérie aux États-Unis, mais s’est rétracté en janvier 2011 parce que l’émission ne correspon-dait pas à son type de programmes et qu’il y avait trop d’inexactitudes historiques.
Les télédiffuseurs Showtime, FX et Starz ont également décliné l’offre, pour les mêmes raisons que History Channel. Finalement, ce sera ReelzChannel qui présentera les huit épisodes dès le 8 avril 2011.
Ce n’est certainement pas faute d’acteurs renommés. On retrouve Greg Kinnear (Little Miss Sunshine) dans le rôle de John Fitzgerald Kennedy et Katie Holmes (Batman Begins) dans le rôle de Jackie O. De plus, l’acteur anglais Tom Wilkinson (In the Bedroom) interprète Joseph P. Kennedy Senior et Barry Pepper (Saving Private Ryan) interprète Bobby Kennedy.
Alors, quelles sont les véritables rai-sons de ce refus? Certains disent que c’est à cause du manque d’exactitude historique. Le réalisateur, Jon Cassar, réfute cette hy-
pothèse. Il dit avoir appliqué tous les chan-gements que History Channel lui imposait. Les acteurs ont lu beaucoup d’écrits sur les personnages qu’ils incarnaient, et cha-que détail historique a été vérifié à plusieurs reprises.
Une autre raison invoquée serait l’in-fluence importante de la famille Kennedy, et plus particulièrement de la pression exercée sur les différents télédiffuseurs afin de ne pas présenter cette série.
Certes, une controverse comme cel-le-là ne pourra qu’avoir un effet inverse, c’est-à-dire une augmentation des cotes d’écoute. x
The Kennedys sera présenté sur la chaîne History Television à compter du 10 avril 2011.
Gracieuseté de Celluloid Dreams
Gracieuseté de Muse Distribution International
300 ans d’histoire, 96 minutes, une seule prise
La couronne à l’écranCINÉMA
L’Arche Russe, un film réalisé par Alexandre Soukourov, nous fait visiter le musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, en racontant 300 ans d’Histoire filmées en un seul plan séquence.
Emilie BlanchardLe Délit
God bless the Kennedys
The Kennedys, une télésuite de huit épisodes à venir sur la famille Kennedy, a créé beaucoup de controverse aux États-Unis, comme aucun télédiffuseur ne voulait en acheter les droits.
21Spécial Royautéx le délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com
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22 Spécial Royauté x le délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com
HISTOIRE
Raphaël ThézéLe Délit
Apparues en Europe à la fin du XIIe siècle, à une époque où il était difficile
de s’y retrouver entre combat-tants lors d’une mêlée, les armoi-ries étaient au début de simples couleurs et figures peintes sur la surface des écus. En effet, tous portaient la même tenue armée qui leur couvrait presque entière-ment le visage et n’aidait en rien le risque de frapper un compa-gnon d’armes. Les princes, puis les riches seigneurs, adoptèrent peu à peu leurs propres orne-ments, permettant une identifica-tion rapide du porteur, mais aussi créant une marque de propriété. Transmis d’une génération à une autre, ils devinrent rapidement le signe d’appartenance à une famille ou une terre, de nou-veaux blasons naissant au gré de l’évolution sociale d’une famille ou par accolement lorsqu’un seigneur sans fils mariait sa fille à une autre famille, réunissant ainsi les deux blasons. Au fil des siècles, les styles et les goûts évo-luèrent selon les modes, mais toujours en suivant certaines rè-gles bien précises, dont la science se nomme l’héraldique.
Le but étant d’être vu et reconnu, on utilise des cou-leurs vives; il en existe sept: deux métaux, l’or et l’argent, et cinq émaux, azur ou bleu, gueules ou rouge, sable ou noir, sinople ou vert, pourpre ou violet, ainsi que l’hermine et le vair, inspi-rés de la texture d’une fourrure. Surmontant et entourant le bla-son, on retrouve les timbres, c’est-à-dire les ornements ex-
térieurs de l’écu, qui font la beauté des armoiries par la ri-chesse des détails symboliques et l’imposante effervescence d’attributs dont certaines font preuve. Le blason est divisé par des traits horizontaux, verticaux ou obliques, appelés partitions, selon des dizaines de combinai-sons possibles. Les symboles sont appelées meubles et représentent le porteur. Par exemple, François 1er avait la salamandre, un animal légendaire réputé pour vivre dans le feu, dont elle est le symbole en alchimie, que l’on dit «sans âme» et représentant la foi qui ne peut être vaincue. Louis XIV choisit le soleil, symbole païen de l’ordre et de la vie, illustrant à merveille le théâtre du quoti-dien du roi que celui-ci imposait à la cour. Napoléon prit l’aigle, emblème de la Rome impériale et de Charlemagne, ainsi que les abeilles. Ces dernières, symboles d’immortalité, sont aussi liées à
une mystérieuse histoire de tom-beau de Childeric 1er, fondateur de la dynastie des Mérovingiens et plus ancien souverain de France, que l’on aurait trouvé enterré en 1653 avec trois cents abeilles en or, une tête de cheval coupée, une tête de taureau en or ainsi qu’une boule de cristal. Symboles de royauté et de sorcel-lerie semblent étrangement liés dans l’héraldique française.
Les armes royales de la cou-ronne d’Angleterre racontent
une toute autre histoire. Le bla-son contient les armoiries d’An-gleterre, d’Écosse et d’Irlande. Sur les côtés, il est supporté à droite par le lion d’Angleterre et à gauche par la licorne d’Écosse
et reposent tous sur une ter-rasse de roses pour l’Angleterre, de chardons pour l’Écosse et de trèfles pour l’Irlande. Le lion, qui habituellement est vu comme un symbole royal de force, cache ici autre chose. En héraldique, le lion et le léopard sont représen-tés de manière identique, excepté que le premier est de profil et le second de face. Une autre dif-férence est que le lion est géné-
ralement rampant, c’est-à-dire debout, et le léopard est pas-sant, c’est-à-dire allongé. Il faut savoir qu’à l’époque médiévale, le léopard trouve son origine dans une contraction de «lion-panthère-bâtard». Le lion, «roi des animaux» par sa réputation, a forcément séduit de nom-breux seigneurs en quête de bla-son, notamment en Normandie, et, celui-ci devant être unique, il fallut trouver des variantes. L’héraldique anglaise choisissant
d’ignorer ce détail créa le «lion passant regardant». Ainsi, ce qui est fièrement porté comme sym-bole de royauté chez les Anglais est vu comme mauvais chez leurs voisins. Notez aussi la devise en français «Dieu et mon droit» da-tant de Richard 1er, avant la ba-taille de Gisors. Il s’agissait d’un mot de passe, signifiant la volonté de celui-ci de ne pas être vassal du roi de France. Les Français perdirent la bataille et le mot de passe devint devise.
Qu’en est-il de notre chère université? Les armoiries de l’Université McGill sont direc-tement inspirées des armoiries du fondateur, James McGill.
Traditionnellement, les trois merlettes, petits oiseaux my-thiques, lorsqu’elles sont rouges symbolisent l’ennemi tué sur le champ de bataille. En héral-dique, elles sont habituellement représentées sans bec ni pattes pour illustrer les blessures re-çues. Le livre ouvert, symbole académique, contient la devise de James McGill «En Dieu j’ai mon abri». Les couronnes font allusion au nom royal de la ville et prennent une forme de fleur de lys en hommage aux origines françaises de Montréal. Voilà un blason qui, malgré un certain aspect sanglant, illustre bien les épreuves que l’on traverse.x
L’enThousiasme eT l’hystérie populaires grimpent len-tement mais sûrement autour du mariage royal du Prince William et de Kate Middleton. Quel styliste
habillera Kate pour la cérémonie? Qui sera invité? Qui ne sera pas invité, exceptée Sarah Ferguson, duchesse de York? Quelle teinte d’autobronzant choisira Chelsy Davy, petite amie officielle du Prince Harry: «Citrouille grillée» et «Terre brûlée du Sahara»? Vers quelle clinique privée de greffe capillaire se tournera le prince William avant la cérémonie, dans l’espoir vain de mettre fin au Prince William’s Receding Hairline Watch des divers tabloïds britanniques?
Toutes ces questions d’une importance cruciale pour la sur-vie de l’humanité post-princesse Diana nous préoccupent, à forte raison. Le rêve de devenir une princesse que presque toutes les filles, petites ou grandes, ont ca-
ressé un jour dans leur vie, est de-venu réalité pour Kate Middleton, ainsi que pour quelques autres avant elle. Grace Kelly, star hol-lywoodienne des années 1950, se maria à 26 ans avec le Prince de Monaco en abandonnant sa brillante carrière d’actrice; plu-sieurs autres, comme cette der-nière, investirent le fruit de leurs études universitaires, leur talent et leur intelligence dans une vie d’isolement, dans un enclave coupé du monde pour pondre à temps perdu quelques bébés royaux, le tout vêtues richement. Réjouissez-vous, les filles! Il reste quelques princes célibataires à marier et au moins un autre film superficiel de Sofia Coppola à faire!
Je vais terminer ce billet dont vous êtes le héros par un reproche fait à vous, chers lec-teurs: je ne reçois que trop rare-ment des commentaires de votre part sur ma moche petite chro-nique prétentieuse. Pourtant, je suis persuadée que certains d’entre vous auraient quelque chose à répliquer à mes élucu-brations, que ce soit une insulte, une lettre d’amour ou une mise au point.
Tout texte d’opinion mé-rite son lot de commentaires, de critiques ou d’approbations. Évidemment, j’imagine que j’ac-corde trop d’importance à ce que j’écris pour avoir le droit de vous demander de réagir, masse apa-thique de lecteurs que vous êtes.
Je suis consciente que le lectorat de notre petite publication est restreint et que, comme tout le monde, ceux qui nous lisent ont mieux à faire que de prendre la peine de commenter nos textes.
Ainsi, je pourrais me procla-mer reine de la patate frite mai-son, reine du sexe-fiction, et même reine de la presse écrite d’opi-nion que personne ne m’écrirait une lettre d’insultes bien senties pour me ramener sur Terre. Je crois que c’est exactement ce qui s’est passé avec Lady Gaga et, honnêtement, souhaitez-vous réellement me voir un jour pro-pulsée au sommet de la gloire parce que personne n’a jamais osé mettre fin à mon délire mé-galomane? x
La royauté et autres plaiesCatherine Renaud | Billet incendiaire
CHRONIQUE
«Voilà un blason qui, malgré un certain aspect sanglant, illustre bien les épreuves que l’on traverse.»
Raphaël Thézé | Le Délit
Armoiries, armoiries, dis-moi qui je suis
![Page 23: Le Délit](https://reader034.vdocuments.net/reader034/viewer/2022042823/568bde6d1a28ab2034b97477/html5/thumbnails/23.jpg)
23Spécial Royautéx le délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com
Il est 22h55. Les reines de la nuit se préparent à monter sur scè-ne. Dans les loges, tout obser-
vateur se sentirait comme un grain de sable au sein d’une fourmilière en effervescence. Chacun de leurs gestes est orchestré en vue de la prestation qui suit: des hommes aux traits androgynes, maquillés avec exagération, répètent leurs pas de danse. Un artiste ajoute de la bourrure à son soutien-gorge, tandis qu’un autre s’arme d’un corset et d’une culotte particuliè-rement serrés. Tous s’entraident avec enthousiasme, se passant boucles d’oreilles et fixatif à che-veux avec moult exclamations. Dans cette famille royale compo-sée de drag queens, l’extravagance et le charme sont rois.
Il est maintenant 23h00, et Dream jubile du haut de son pié-destal. Attifée de paillettes dorées et munie d’un sourire à perturber le plus chaste des moines, elle ani-me d’une main de maître la soirée dominicale du cabaret Mado.
Qui peut bien se retrouver toutes les semaines dans l’antre d’une contre-culture aussi colo-rée? Le Délit a rencontré trois drag queens –sans leurs atours de rei-nes– qui avouent que le meilleur auditoire reste celui qui en est à sa première fois.
En effet, qui ne tomberait pas sur le dos en voyant pour la pre-mière fois un spectacle haut en couleur et en paillettes, un specta-cle sans tabou destiné à un audi-toire de tous les genres? Les drag queens sont de véritables artistes, des artisans de la scène qui met-tent des heures à s’approprier un personnage, à monter une choré-graphie, à choisir un costume et à répéter leur spectacle. Et ce, sans compter le temps passé à se ma-quiller pour le spectacle lui-même. Pourtant, «jamais je ne voudrais devenir une femme! C’est bien trop de travail!», s’exclame Éric «Erica» Davignon, artiste chez Mado depuis douze ans.
Les Queens se dévoilent
Il faut mettre certains juge-ments de côté lorsqu’on en vient à définir ce qu’est une drag queen. Ces hommes qui se déguisent en femme le font le temps d’un spectacle seulement. Ils ne sont
ni travestis ni transsexuels. Julien ajoute: «Nous aimons beaucoup trop notre corps d’homme pour vouloir devenir femmes, mais nous sommes très gays tout de même!»
Kevin voit son emploi de drag queen comme une façon de vivre à fond son excentricité. «Quand je me transforme en Céline, par exemple, je deviens véritablement Céline. J’agis et je réagis comme elle.» C’est d’ailleurs pour cette raison que les drag queens se disent
reines de la nuit: elles aiment jouer les divas. Plus encore, les premiè-res dames du cabaret Mado se voient comme des porte-paroles des homosexuels, des bisexuels et des transsexuels. Au moyen de l’exagération et de la comédie, ils n’inhibent aucun tabou, mais connaissent leurs limites. Les drag queens ne veulent être ni des icônes, ni des exemples, mais savent que si
les travestis peuvent choquer, elles, n’offusquent personne.
D’amateur à professionnel
Le dimanches au cabaret Mado, c’est l’occasion pour la relève de se faire une place sur la scène professionnelle. «Les jeunes drag queens commencent de plus en plus tôt, car il y a de plus en plus
de demande sur le marché de la drag, c’est de plus en plus ouvert» souligne Éric. «J’ai commencé à 28 ans alors que les jeunes de main-tenant ont de belles opportunités d’emploi à 20 ans seulement!»
Chacun emprunte un par-cours différent avant de se produi-re en spectacle. Ces personnages colorés vivent de leur art à temps plein ou à temps partiel, mais tous
ont dû gravir les échelons avant de se produire dans un cabaret aussi branché que Chez Mado. Unis par un amour commun pour l’art de la scène, les Blancs, les Noirs, les Asiatiques et même les femmes de tous les gabarits ont leur place sur le marché de la drag. «Tout est pos-sible, martèle Éric. Si tu as le talent, la forme de ton corps ne devrait pas être un obstacle à ta réussite.»
Les critères d’un bon specta-cle? «Le divertissement!», s’excla-
ment en cœur les drag queens. Il faut absolument s’approprier une chanson en faisant les mimiques de la chanteuse pour que l’audi-toire y croie. La ressemblance, oui, mais la magie doit aussi être présente dans les spectacles. «Il est tellement difficile d’être belle que parfois, nous préférons met-tre notre ‘kit lette’ pour faire rire et s’amuser un peu». Ainsi, affu-
blés d’une veste de cuir, d’une perruque coupée style Longueuil, et d’un jean Levis taille haute par exemple, les drag queens prennent soin de défaire l’image de la diva le temps d’une soirée.
Chacun son styleDes drag queens, il y en a pour
tous les goûts et de tous les genres. À Montréal, de nombreux clubs organisent des spectacles spéciali-sés: le café Cléopâtre, le Sky et le Drugstore proposent par exemple des soirées pimentées de numéros. Pourtant, c’est au cabaret Mado que les gens vont pour le simple plaisir du spectacle. Les person-nages adoptent des styles plus variés les uns que les autres, de la «matante quétaine et comique» à l’androgyne du style de Marylin Manson, en passant par la diva glamour.
La laide par exprès est aussi assez agréable à jouer car, comme le souligne Julien, «Ça donne mal à la tête d’être belle!». Même si deve-nir drag queen ne dépend pas uni-quement de la forme du corps, cer-taines morphologies sont plus fa-ciles à transformer. Les Asiatiques, par exemple, n’ont besoin que de peu de maquillage pour devenir femme.
Drag kings au berceau
Depuis quelques mois à peine, les drag kings, des femmes qui jouent à être des hommes, prennent elles aussi leur place sur scène. «C’est un phénomène encore assez inconnu à Montréal, mais de plus en plus en vogue à New-York», souligne un des drag queens qui admet ne pas en savoir beaucoup plus. En fait, les drag kings sont encore bien amateurs. Du point de vue des drag queens, imiter des chanteurs hommes permet beaucoup moins de folie: «Ils ont nécessairement moins de possibilités, car il existe moins de chanteur à imiter». Elvis Presley et Georges Michael ont été trop souvent imités, d’après mesda-mes. Il faudrait quelqu’un qui ait un style très différent ou qui, du moins, soit très drôle, pour arriver à s’installer aussi confortablement dans les mœurs masculines que le sont les drag queens dans les mœurs féminines.
Selon Edmund Leach, la queen est une personne au statut anormal, positif pour ce qui est de la «reine», négatif pour l'«homo-sexuel». Le tabou de l'un magni-fie-t-il l'autre? x
Reines de la dragueEn anglais, queen signifie à la fois «reine», soit la première dame du pays, et «homosexuel» ou «folle». Entrez dans l’univers des drag queens, reines de la nuit.
SOCIÉTÉ
Anabel Cossette CivitellaLe Délit
Sur la scène du cabaret MadoAnabel Cossette Civitella | Le Délit
«Ça donne mal à la tête d’être belle.»
«Les drag queens sont de véritables artistes, des artisans de la scène qui mettent des heures à s’approprier un per-sonnage.»
![Page 24: Le Délit](https://reader034.vdocuments.net/reader034/viewer/2022042823/568bde6d1a28ab2034b97477/html5/thumbnails/24.jpg)
24 Spécial Royauté x le délit · le mardi 1er mars 2011 · delitfrancais.com