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L’impact des changements de dirigeants sur la
performance RSE des entreprises françaises cotées
Yohan BERNARD
Maîtres de conférences
IAE de l’Université de
Franche-Comté
CREGO – EA 7317
Laurence GODARD
Maîtres de conférences HDR
IAE de l’Université de
Franche-Comté
CREGO – EA 7317
Mohamed ZOUAOUI
Maîtres de conférences
IAE de l’Université de
Bourgogne
CREGO – EA 7317
Résumé :
Cet article cherche à identifier les déterminants de la performance RSE (responsabilité sociale)
des entreprises, en intégrant l'un de ses mécanismes de gouvernance, à savoir les changements
de dirigeants, dans la logique du courant stratégique et de l’upper echelon theory. De plus,
l’impact de la promulgation de la loi NRE (2001) est également considéré. En s’appuyant sur
des données de panel portant sur 88 entreprises françaises cotées entre 1999 et 2011 et sur
l’évaluation de leur performance RSE par le cabinet Vigéo, nous montrons l’existence d’effets
directs de ces deux variables à l’échéance de 5 ans, en plus des variables de contrôle
habituellement utilisées dans la littérature (ROA, free cash flow, etc.).
Mots clés : RSE, changement de dirigeant, performance, loi NRE
Whether CEOs' turnover influences CSP of listed French
firms in the stock exchange
Abstract:
This paper investigates the factors that explain corporate sustainability performance (CSP) of
French firms. We examine if CEO turnover, a governance mechanism, influence CSP, using
the upper echelon theory framework and the view coming out of the prevailing tradition of
strategic management. Moreover, our model integrates the impact of the NRE French law.
Using an analysis of panel data for a sample of 88 French firms during the sample periods 1999
to 2011, results indicate that the two variables influence CSP 5 years after, including control
variables (ROA, FCF…).
Key words: CSR, CEO turnover, performance, law
Coordonnées
Laurence Godard
Université de Franche-Comté, UFR SJEPG/IAE
45 D Avenue de l’observatoire
25030 Besançon Cedex
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L’impact des changements de dirigeants sur la
performance RSE des entreprises cotées
Les changements de dirigeants au sein des grandes entreprises sont des évènements
fréquents dans la vie de l’organisation. D’après l’étude de Lucier et al. (2006) réalisée sur les
2500 plus grandes entreprises du monde, le taux de changement des dirigeants est passé de 9%
à 15% entre 1995 et 2005. Sur cette période, la durée moyenne du mandat d’un dirigeant a
diminué de 9 à 6,6 années. Il paraît important d’examiner les conséquences possibles de ces
changements sur les choix stratégiques des entreprises, et en particulier sur la politique en
matière de RSE (responsabilité sociale de l’entreprise). Cette dernière est en effet elle aussi très
variable, et conduit à des performances très différentes d’une entreprise à l’autre. Ainsi, par
exemple, en 2011 la note moyenne attribuée par Vigéo aux plus grandes entreprises cotées en
France était d’environ 45/100 pour un écart type de près de 10.
Les explications habituelles de la performance RSE des entreprises sont recherchées
dans les liens avec la performance financière (Artiach et al., 2010 ; Campbell, 2007), avec un
certain flou quant au sens et au signe des relations (Ullmann, 1985 ; Lee, 2006 ; Becchetti et al.
2005). La théorie des échelons "supérieurs" de Hambrick et Mason (1984) souligne pourtant
que les dirigeants d’une entreprise peuvent grandement influencer les résultats de cette dernière.
Elle constituera le cadre conceptuel de notre recherche. Cette théorie permet d'introduire
l'influence personnelle du dirigeant pour tenter d'expliquer la diversité de situation en matière
de performance RSE des entreprises. Selon ces auteurs, les expériences, les valeurs et les
personnalités des managers influencent grandement leurs interprétations des situations
auxquelles ils sont confrontés et affectent donc leur choix. En développant leur théorie, ils
s'interrogent sur l'influence des dirigeants sur les choix stratégiques et les résultats des
organisations, et opposent alors deux visions différentes de leur influence : d'un côté, l'existence
d'une influence des dirigeants, hypothèse qui est soutenue par le courant stratégique (Andrews,
1971; Child, 1972), de l'autre, l'absence d'influence des dirigeants, hypothèse privilégiée par les
écologistes et la théorie néo-institutionnelle notamment (Hannan et Freeman, 1977; DiMaggio
et Powell, 1983). Leur apport est de souligner que les deux hypothèses peuvent être exactes, et
que la vérification de l'une ou l'autre hypothèse dépend de la discrétion managériale qu'ils
définissent comme l'absence de contraintes en présence d'une ambiguïté élevée moyens/fins.
Par conséquent, selon eux, si la discrétion managériale est importante, le dirigeant dispose d'une
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grande influence (l'hypothèse du courant stratégique est alors vérifiée), a contrario, si la
discrétion est faible, le dirigeant aura une faible influence (les théories néo-institutionnelle et
écologiste prennent alors le pas sur le courant stratégique).
L'objet de cet article est donc d’offrir un premier test empirique de l’influence des
dirigeants sur la performance RSE des entreprises françaises, en examinant si les changements
de dirigeants à la tête de grandes entreprises cotées ont un impact sur la performance RSE de
ces mêmes entreprises.
Notre article s’articule autour de quatre parties. Les deux premières parties sont
consacrées à une revue de la littérature conduisant à un cadre conceptuel et à deux hypothèses
principales qui seront testées. La troisième partie présente la méthodologie de l’étude
empirique. La quatrième partie détaille et analyse les résultats qui seront enfin discutés en
conclusion.
1. L’IMPACT DES DIRIGEANTS SUR LA PERFORMANCE RSE
1.1. LA THÉORIE DES ÉCHELONS SUPÉRIEURS
Le courant stratégique (Andrews, 1971; Child, 1972) postule que les dirigeants des
entreprises exercent une influence importante sur les résultats de ces dernières. Au travers de
leur théorie des échelons supérieurs, Hambrick et Mason (1984) proposent un cadre théorique
permettant justement d’expliquer les choix et les performances des organisations par les « biais
et dispositions des acteurs les plus importants », à savoir les top-managers. Ces derniers agissent
sur la base de leurs interprétations personnalisées des situations stratégiques qu'ils rencontrent.
Leur théorie met également l'accent sur l'importance de l'équipe managériale pour mieux
comprendre les résultats des organisations, plutôt que de se focaliser sur l'impact d'un seul
individu en la personne du dirigeant (CEO). Les connaissances collectives, les capacités et les
interactions de l'équipe managériale dans sa globalité sont des éléments qui contribuent aux
comportements stratégiques puisque selon ces auteurs le leadership d'une organisation
complexe peut être qualifié d'activité partagée qui ne repose pas sur les épaules d'une seule
personne. Ainsi, un certain nombre d'études empiriques ont mis en exergue l'influence de la
composition de l'équipe managériale sur les résultats des organisations (Bantel et Jackson, 1989
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; Carpenter et Fredrickson, 2001) ou encore l’influence des processus qu'elle développe
(Eisenhardt et Bourgeois, 1988 ; Simons, Pelled et Smith, 1999).
La théorie des échelons supérieurs accorde une place particulière aux valeurs des
dirigeants dans l'étude de l'influence de ces derniers sur les choix stratégiques des organisations.
Cette idée s'appuie sur l'analyse du processus de prise de décision stratégique en rationalité
limitée (strategic choice under conditions of bounded rationality) décrit par Hambrick et Mason
(1984), processus qui peut être qualifié de séquentiel. Ainsi, « …Tout d'abord, un dirigeant ne
peut appréhender en détail chaque aspect de l'organisation et de son environnement. Le champ
de vision du manager – ses domaines d'attention – est restreint, ce qui se traduit par une
profonde limitation de ses perceptions. Ensuite, cette restriction des perceptions des dirigeants
est renforcée parce que chacun ne perçoit de manière sélective qu'une partie des phénomènes
inclus dans le champ de vision. Enfin, les segments d'informations choisis pour le traitement
sont interprétés via un filtre entrecoupé des bases cognitives et des valeurs du dirigeant1 ».
Dans ce schéma, les caractéristiques personnelles du dirigeant – telles que ses valeurs, ses
expériences passées, sa personnalité, etc. – influencent directement les choix stratégiques des
organisations.
La théorie des échelons supérieurs plaide donc en faveur d’un impact direct des
dirigeants sur la performance RSE des entreprises dont ils ont la charge. Toutefois, cette relation
a rarement été testée dans la littérature. Les études portant sur l’impact personnel des dirigeants
en matière de RSE analysent plutôt leurs effets sur la performance globale de l’entreprise (e.g.
Kotey et Meredith, 1997), sur les conditions favorables à la mise en place d'une politique RSE
dans l’entreprise (Aguilera et al., 2007 ; Pant et Lachman, 1998 ; Agle et al., 1999 ; Wood,
1991), ou sur le comportement socialement responsable de l’entreprise (Chin, 2013 ; Waldman
et al. 2006). Tous ces travaux soulignent bien l’influence personnelle de dirigeants sur des
thématiques liées à la RSE, mais sans jamais considérer la performance RSE comme variable
dépendante en tant que telle, à l’exception notable et récente de Huang (2013) qui montre que
la performance RSE de l’entreprise est liée à certaines caractéristiques sociodémographiques
du dirigeant telles que la spécialisation de sa formation supérieure (MBA vs Science), son
ancienneté et son sexe. A notre connaissance, ce travail est le premier à étudier directement les
1 D'après notre traduction.
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liens entre dirigeants et performance RSE. Les résultats étant concluants, cette voie de
recherche semble prometteuse.
1.2. L'IMPACT DES CHANGEMENTS DE DIRIGEANTS
La littérature rassemblée dans la partie précédente permet donc de postuler une influence
des caractéristiques personnelles des dirigeants sur les résultats de l’entreprise, donc notamment
sur sa performance RSE. Toutefois, comme il est difficile d’obtenir des données fines sur les
caractéristiques les plus personnelles des dirigeants de grandes entreprises (personnalité,
valeurs, etc.), nous proposons dans un premier temps d’analyser plus spécifiquement l’impact
éventuel des changements de dirigeants sur la performance RSE de l’entreprise. Un nouveau
dirigeant présente généralement des caractéristiques personnelles différentes de son
prédécesseur ; c’est d’ailleurs une des raisons qui peut justifier le souhait des actionnaires de
changer de dirigeant.
D’une manière générale, les études empiriques publiées montrent que les changements de
dirigeants ont des effets importants sur l’entreprise, même si le sens de ces effets (positifs ou
négatifs) n’est pas évident (pour une synthèse sur ce sujet, voir Karaevli, 2007). On a pu
observer des effets sur la valeur boursière de l’entreprise (e.g. Warner et al., 1988), sa
performance financière (e.g. Murphy and Zimmerman, 1993; Pourciau, 1993), ses choix
industriels (e.g. Weisbach, 1995) et stratégiques dans les hôpitaux (Goodstein et Boeker, 1991)
ou encore sa réputation (Flatt et al., 2013). Certains effets peuvent être immédiats (notamment
sur le cours de l’action), alors que d’autres s’observent à moyen terme (choix industriels,
performance financière).
Le processus de succession du dirigeant constitue un mécanisme important à travers lequel
l'inertie organisationnelle peut être vaincue. Wiersema et Bantel (1992) observent que la durée
de fonction est négativement corrélée au changement stratégique alors que Miller (1991)
conclut que les dirigeants avec une durée de fonction élevée ont moins de chance – comparés à
leurs contreparties ayant une durée de fonction moins élevée – d’être à la tête d'une entreprise
dont la stratégie et la structure s'alignent sur leurs environnements.
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1.3. L'IMPACT DES CHANGEMENTS DE DIRIGEANTS SUR LA RESPONSABILITÉ
ENVIRONNEMENTALE
Après avoir présenté de manière générale les implications possibles des changements de
dirigeants, nous allons aborder de manière spécifique son implication sur la RSE. Les seules
études sur la question se sont penchées sur un seul aspect de la RSE, l'aspect environnemental.
A notre connaissance deux études seulement se sont intéressées à l'impact des changements
de dirigeants sur la responsabilité environnementale des entreprises dont une étude empirique.
D'une part, Zutshi et Sohal (2004) ont montré que les changements de dirigeants, résultant de
différentes causes, peuvent entrainer des influences compliquées sur la responsabilité
environnementale des entreprises. D'autre part, l'étude empirique de Meng, Zeng, Tam et Xu
(2013) examine l'influence des changements de dirigeant2 sur la responsabilité
environnementale des entreprises. Cette étude porte sur 782 entreprises chinoises cotées entre
2006 et 2008. Les résultats mettent en évidence que l'influence sur la responsabilité
environnementale des entreprises dépend du type de changement. Quatre motifs conduisant au
changement de dirigeant sont pris en compte :
- les changements de contrôle (par exemple : changements d'actionnaires, fusions-
acquisitions, OPA) et de gouvernance au CA (séparation ou non de la fonction de PCA
et de DG) ;
- les changements involontaires et négatifs (par exemple : problèmes de santé, difficultés
financières, révocation, batailles juridiques) ;
- les changements involontaires et normaux (par exemple : départ en retraite, fin du
contrat) ;
- les changements volontaires (par exemple : raisons personnelles, démission).
En outre ils prennent en compte les caractéristiques du successeur : interne ou externe ainsi que
son indépendance.
La responsabilité environnementale est mesurée en construisant un score de divulgation
de l'information environnementale à partir de 10 items environnementaux (pouvant prendre une
valeur comprise entre 0 et 3), à l'aide d'une analyse de contenu du rapport annuel des entreprises
de l'échantillon. Cinq variables de contrôle ont été retenues : la taille de la firme, la
2 Le dirigeant correspond au PCA (Président du Conseil d’Administration), qui revêt un rôle plus important que
le DG, en Chine.
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concentration de la structure de propriété, la performance économique, le risque financier, et la
dualité du dirigeant.
Les auteurs ont travaillé en données de panel. Ils ont testé deux modèles : le premier modèle
évalue l'impact du changement de PCA (Président du Conseil d’Administration) sur le
changement dans le niveau de divulgation de l'information environnementale en comparant à
un échantillon d'entreprises n'ayant pas enregistré de changement de PCA ; le deuxième modèle
teste l'impact du changement de PCA sur le changement dans le niveau de divulgation de
l'information environnementale, en fonction des caractéristiques du successeur : interne ou
externe ainsi que son indépendance3.
Les principaux résultats significatifs confirment les relations suivantes.
Le départ du PCA afin de séparer sa fonction de celle de DG exerce un effet positif sur
la divulgation d'informations environnementales.
Les révocations et les problèmes de santé exercent un effet négatif sur la divulgation
d'informations environnementales.
La démission du PCA exerce un faible effet négatif sur la divulgation d'informations
environnementales.
Ces résultats montrent l'intérêt de considérer les changements de dirigeants, mais également
la nécessité de travailler sur la RSE dans sa globalité et non pas seulement sur l'aspect
environnemental, et de les confronter à un contexte institutionnel différent (étude menée dans
un pays émergent).
A notre connaissance, aucune recherche ne s’est intéressée à l’impact des changements de
dirigeants sur la performance RSE de l’entreprise. Mais au vu des effets habituels des
changements de dirigeants, il semble raisonnable de penser que ces changements impacteront
également la performance RSE des entreprises. En synthèse, nous formulons donc l’hypothèse
suivante :
H1 : Le changement du dirigeant à la tête de l’entreprise exerce à terme une influence sur
la performance RSE de cette dernière.
3 Les caractéristiques du successeur : interne ou externe; son indépendance, ne sont pas significatives.
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La littérature montre que l'influence des changements de dirigeants varie selon l'origine du
dirigeant (interne ou externe). Généralement les recherches concluent que la nomination d'un
dirigeant interne représente une stratégie de maintien. Les dirigeants d'origine externe sont
supposés avoir des perspectives plus larges et sont associés au changement. Nous prévoyons
d'introduire cette distinction dans un prochain travail.
2. LA DISCRETION MANAGERIALE
Deux visions peuvent s'opposer quant à l'influence des dirigeants sur les choix stratégiques
des entreprises : existence d'une réelle influence, hypothèse qui est soutenue par le courant
stratégique, ou absence d'influence, hypothèse privilégiée par les théories néo-institutionnelle
et écologistes notamment4. Les deux points de vue peuvent être réconciliés en mobilisant la
théorie de l’échelon supérieur, et en particulier son concept de discrétion managériale
(Hambrick et Finkelstein, 1987). En effet, si la discrétion est importante, le dirigeant influence
sensiblement les choix stratégiques des entreprises (l'hypothèse du courant stratégique est
vérifiée), inversement, si la discrétion est faible, le dirigeant influence peu ces mêmes choix
stratégiques (la théorie néo-institutionnelle prend alors le pas sur le courant stratégique).
Hambrick et Finkelstein (1987) introduisent le concept de discrétion managériale, qu'ils
définissent comme une latitude d'action, concept qui est central pour faire le lien entre les deux
visions de l'influence des dirigeants sur les organisations. Ainsi, cette influence peut s'étaler sur
un continuum allant de la nullité à l'omniprésence, en fonction de la discrétion dont disposent
les dirigeants.
Plus précisément, un dirigeant « qui est conscient de l'existence de plusieurs possibilités
d'actions qui rentrent dans la zone d'acceptation des parties influentes est considéré comme
ayant de la discrétion5 » pour ces auteurs (p. 378). Ces derniers insistent sur le fait que la
discrétion implique des actions potentielles plutôt que de simples choix ou des décisions et
4 Pour les écologistes, les organisations souffrent d'inertie et l'élément clé pour expliquer leur survie est la sélection
environnementale plutôt que leur adaptation (Hannan et Freeman, 1977 ; Aldrich, 1979). De même, si l'on se réfère
à la théorie néo-institutionnelle, les dirigeants sont sensés avoir peu d'effet sur les résultats des organisations qui
sont contraintes par une horde de conventions et de normes et font donc preuve d'une très grande inertie (DiMaggio
et Powell, 1983).
5 D'après notre traduction.
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soulignent qu'il n'est pas aisé de déterminer si un dirigeant dispose ou non de choix multiples
d'actions et donc de latitude. En outre, la discrétion est rarement définie de manière explicite.
Selon eux, la discrétion provient des caractéristiques du dirigeant et n'est pas seulement
déterminée par des forces externes. Ainsi, les dirigeants, grâce à leurs répertoires personnels,
peuvent considérer des options qui n'auraient pas été considérées par d'autres dirigeants
(exemple de dirigeants créant de la discrétion à travers une vision élargie et une perspicacité
politique). La discrétion est également déterminée par le contexte. Les contraintes ne sont pas
fixées et testées. Ainsi, une contrainte existe lorsqu'une action est en dehors de la zone
d'acceptation des parties influentes qui ont un intérêt dans l'organisation. Les différentes parties
prenantes ont toutes leurs propres zones d'acceptation. La contrainte dépend de la radicalité
perçue de l'action et du pouvoir relatif de ceux qui la voient comme radicale.
La discrétion dépend des contraintes qui pèsent sur le dirigeant. Ainsi, Hambrick et
Finkelstein (1987) identifient trois facteurs déterminant le degré de discrétion managériale.
Selon eux, la latitude d'action d'un dirigeant dépend du degré de variété et de changement
autorisé par l'environnement, du contexte organisationnel qui rend possible ou non un éventail
d'actions et qui autorise le dirigeant à formuler et exécuter ces actions6, et enfin elle dépend de
la capacité du dirigeant à personnellement envisager ou créer de multiples voies d'actions7.
La discrétion managériale renforce ou limite l’impact du dirigeant sur les choix
stratégiques. Si elle est forte, le dirigeant détient une plus grande capacité d’influencer les choix
de son entreprise. Cet effet modérateur a été validé dans le cas de la politique RSE de
l’entreprise, puisque Chin et al. (2013) montrent que le pouvoir relatif du CEO (qui relève de
la discrétion managériale) vient modérer l’influence de certaines valeurs du dirigeant
(libéralisme vs conservatisme) sur la politique RSE mise en place dans son entreprise.
Parmi les facteurs environnementaux qui peuvent entraver ou favoriser la discrétion
managériale, nous pouvons citer notamment des caractéristiques telles que la différenciation
des produits, la croissance du marché, la structure concurrentielle du secteur, l'instabilité de la
6 Parmi ces facteurs figurent ce que les auteurs appellent les forces d'inertie, qui sont des facteurs qui créent une
inertie et peuvent réduire la discrétion managériale (la taille de l'entreprise, son âge, la culture), la disponibilité de
ressources et les conditions politiques internes (structure de propriété, conseil d'administration). 7 Les caractéristiques managériales évoquées par Finkesltein et Hambrick (1987) font référence par exemple au
niveau d'aspiration, à l'engagement, à la tolérance à l'ambigüité, à la complexité cognitive, à la perspicacité
politique, à la base du pouvoir (pouvoir du dirigeant, propriété, durée de fonction, cooptation du CA…).
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demande, les contraintes légales, l'existence de forces externes puissantes (fournisseurs,
clients…).
La limitation de la discrétion managériale en termes de RSE trouve une première origine
dans le fait que les activités des organisations sont encadrées par des contraintes de régulation.
Ainsi, les contraintes légales imposent des lignes de conduite aux entreprises dans de nombreux
domaines (comptabilité, ressources humaines, etc.) et notamment en matière de RSE. D’un
point de vue réglementaire, la loi NRE (Nouvelles Régulations Economiques, promulguée en
2001) impose aux entreprises cotées de publier des informations sociales et environnementales
dans leur rapport annuel. La législation a par conséquent favorisé l’apparition de normes en
matière de RSE. Les contraintes ne sont pas uniquement légales mais peuvent également relever
de pressions issues de différentes procédures largement répandues (procédures de certification
qualité ou environnement ISO) ou de groupes de pression (actionnaires par exemple). On peut
donc penser que la NRE, en réduisant la discrétion managériale du dirigeant, joue un rôle
modérateur sur l’influence du changement de dirigeant sur la performance RSE de l’entreprise,
d’où H2 :
H2 : L’influence du dirigeant sur la performance RSE de l’entreprise est modérée par la
mise en place de la loi NRE.
3. MÉTHODOLOGIE DE L’ÉTUDE EMPRIQUE
3.1. PRESENTATION DE L'ECHANTILLON
Pour tester nos hypothèses, nous avons retenu comme échantillon 88 entreprises françaises
cotées représentant tous les secteurs à l’exception des services financiers. Les institutions
financières ont été exclues de notre échantillon puisque leurs caractéristiques financières et leur
structure de bilan sont différentes de celles des entreprises non financières. Les entreprises
retenues sont celles pour lesquelles nous disposions d’une évaluation de leur performance RSE
(cf. partie suivante) ainsi que de divers indicateurs financiers et économiques qui forment nos
variables de contrôle (cf. tableau 2). Les données comptables et financières ont été collectées
respectivement dans les bases de données "Worldscope" et "Datastream" qui sont elles-mêmes
fournies par la base "Thomson One Reuters". La période couverte maximale va de 1999 à 2011,
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mais toutes les entreprises retenues n’ont pas été systématiquement évaluées sur cette période.
Au final, on dispose de 684 observations (firme-année).
Tableau 1: Répartition de l'échantillon par secteur d'activité
Ce tableau présente la réparation sectorielle de notre échantillon. La classification sectorielle est basée sur le GICS (Global Industry
Classification Standard). N représente le nombre d'entreprises dans chaque secteur d'activité et Total % représente le pourcentage d'entreprises
appartenant à chaque secteur d'activité.
Code Secteur N Total %
1010
1510
2010
2030
2510
2520
2530
2540
3010
3020
3030
3510
3520
4510
4520
4530
5010
5510
Energie
Médias
Biens d'équipement
Télécommunications
Automobiles et composants automobiles
Biens de consommation durables et habillement
Services à la clientèle
Médias
Distribution alimentaire et pharmacie
Produits alimentaires, boisson et tabac
Produits Domestiques et de Soin Personnel
Équipements et services de santé
Sciences pharmaceutiques, biotechnologiques et biologiques
Logiciels et services
Matériel et équipement informatique
Semi-conducteurs et équipement pour leur fabrication
Matériel et équipement informatique
Services aux collectivités
5
5
13
5
4
4
4
12
3
4
2
2
1
10
5
1
4
4
5,68%
5,68%
14,72%
5,68%
4,54%
4,54%
4,54%
13,36%
3,40%
4,54%
2,27%
2,27%
1,13%
11,36%
5,68%
1,13%
4,54%
4,54%
3.2. LES VARIABLES DE L’ÉTUDE
La mesure de la variable dépendante est fondée sur l’évaluation de la performance RSE
fournie par le cabinet de notation extra-financière Vigéo. Plus exactement, Vigéo a noté chaque
entreprise sur 5 dimensions : ressources humaines, environnement, gouvernance d'entreprise,
comportements sur les marchés, engagement sociétal. Nous avons retenu la moyenne des 5, qui
peut varier entre 0 et 100. Dans l’échantillon, la note la plus basse est 10, la plus haute est 98
(cf. tableau 2).
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Tableau 2: Statistiques descriptives des variables utilisées dans l'étude
Ce tableau présente les statistiques descriptives de base des principales variables utilisées dans l'étude sur la période 1999-2011. RSE représente
l’évaluation de la performance RSE de l'entreprise fournie par le cabinet de notation extra-financière Vigéo. DIR est une variable muette qui prend la valeur de 1 dans les années où l’entreprise a connu un changement de dirigeant, et 0 ailleurs. Taille représente la taille de l'entreprise
mesurée par le logarithme du total de l’actif. ROA est le ratio de rentabilité des actifs mesuré par le rapport entre le résultat avant impôts, taxes
et intérêts et le total actif. LEV représente l’endettement de l'entreprise mesuré par le total des dettes divisé par le total des actifs. FCF représente le ratio entre les free cash flow et le total des ventes. MTB est le ratio Market-to-book mesuré par le rapport entre la valeur boursière et la
valeur comptable des fonds propres.
Variables Moyenne Médiane Ecart type Min Max
RSE 42,634 44,200 13,381 10,000 98,000
DIR 0,132 0,000 0,338 0,000 1,000
TAILLE 9,173 9,026 1,877 3,627 14,546
ROA 0,053 0,050 0,076 -0,526 0,448
LEV 0,246 0,225 0,170 0,000 1,244
FCF 2,014 1,644 1,805 0,190 33,591
MTB 0,009 0,020 0,451 -3,328 8,608
Notre principale variable explicative est le changement de dirigeant. Elle a été codée 1
les années où l’entreprise a connu un changement de dirigeant, 0 sinon. Cette variable a été
collectée en étudiant les rapports d’activité annuels des entreprises de l’échantillon sur la
période 1999-2011.
Nous nous sommes également intéressés à l’impact éventuellement modérateur de la
promulgation de la loi NRE sur la relation principale (H1) au travers de notre 2ème hypothèse.
Nous avons donc créé une variable muette (NRE) qui, pour toutes les entreprises de
l’échantillon, prend la valeur 1 à partir de 2001, date de promulgation de cette loi, et 0 les années
antérieures.
La littérature souligne que certaines caractéristiques spécifiques à l'entreprise agissent
comme des déterminants de la performance RSE (taille de l’entreprise, endettement, etc.) et
peuvent donc expliquer des variations dans le niveau de cette performance. Il convient donc de
les contrôler afin d'isoler l'influence du changement de dirigeant sur la performance RSE. Ces
variables ont notamment été utilisées dans l'étude de Artiach et al. (2010) et dans celle de
Lourenço et Branco (2013) dans un contexte brésilien. Elles sont au nombre de cinq. Il s'agit
de la taille de l'entreprise, de l'endettement, de sa capacité financière (FCF et rentabilité) et des
opportunités de croissance. Nous les avons retenues dans cette étude et mesurées de la même
manière que Artiach et al. (2010).
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- La taille de l'entreprise : les arguments avancés reposent sur des éléments tels que une
plus grande visibilité et donc une plus grande pression, réponse plus appuyée aux
demandes des parties prenantes ; la taille est également favorable aux économies
d'échelle. La taille de l'entreprise est supposée être reliée positivement à la performance
RSE. La taille de l'entreprise est mesurée par le logarithme de l’actif total.
- L'endettement : son effet s'explique par le pouvoir sur les ressources requises par
l'entreprise. L'endettement incite l'entreprise à privilégier les créanciers, qui sont
généralement plus puissants que les autres parties prenantes. L'endettement de
l'entreprise est supposée être reliée négativement à la performance RSE. L’endettement
de l'entreprise est mesuré par le total des dettes divisé par le total des actifs
- La capacité financière : en cas de rareté des ressources, les dirigeants doivent prioriser
entre les besoins des différentes parties prenantes. Des free cash flow (FCF) élevés
indiquent que la firme dispose d'une capacité financière suffisante pour investir dans la
RSE sans que cela se fasse au détriment d'autres domaines. De même, la rentabilité de
l'entreprise influence sa capacité à entreprendre des programmes en faveur de la RSE.
Plus la performance est élevée moins elle subit une pression élevée des investisseurs
financiers et plus elle peut satisfaire des attentes sociétales et environnementales. Il
existe une relation positive entre la rentabilité de l'entreprise et la performance RSE.
Nous avons retenu deux mesures : les free cash flow (FCF) et le ROA.
- Les opportunités de croissance : plus les opportunités de croissance sont nombreuses,
plus l'entreprise est capable d'intégrer des principes de RSE dans sa stratégie et plus la
performance RSE est élevée. La mesure retenue est le market to book (MTB).
3.3. METHODE D'ANALYSE
Nous cherchons à étudier si les changements de dirigeants influencent la performance RSE
au delà des caractéristiques spécifiques des entreprises. L'effet de ces changements sur la
performance RSE ne peut pas être immédiat. En effet, il faut du temps pour que la politique
RSE menée par le nouveau dirigeant produise ses effets. C'est la raison pour laquelle la variable
changement du dirigeant doit être décalée, dans notre modélisation, par rapport à la variable
représentant la performance RSE. L’impact des variables explicatives sur la performance RSE
des entreprises est évalué selon une modélisation en données de panel. La forme fonctionnelle
du modèle multivarié est la suivante :
-14-
𝑅𝑆𝐸𝑖,𝑡 = 𝛼1 + 𝛽1 𝐷𝐼𝑅𝑖,𝑡−𝑘 + 𝛽2 𝑇𝐴𝐼𝐿𝐿𝐸𝑖,𝑡 + 𝛽3 𝐿𝐸𝑉𝑖,𝑡 + 𝛽4 𝐹𝐶𝐹𝑖,𝑡
+𝛽5 𝑅𝑂𝐴𝑖,𝑡 + 𝛽6 𝑀𝑇𝐵𝑖,𝑡 + ∑ ∅𝑗𝐼𝑁𝐷17𝑖=1 +𝜀𝑖,𝑡
Où RSEi,t est la performance RSE de l'entreprise i à la date t. DIRi,t-k représente le changement
du dirigeant de l'entreprise i à la période t-k. TAILLEi,t représente la taille de l'entreprise i à la
date t. ROA est la rentabilité économique de l'entreprise i à la date t. LEV représente
l’endettement de l'entreprise i à la date t . FCF représente le ratio entre les free cash flow et le
total des ventes de l'entreprise i à la date t. MTB est le ratio Market-to-book de l'entreprise i à
la date t. IND sont des variables muettes qui captent les effets de secteur d'activité. k est
l’horizon de prévision retenu. Dans notre cas, nous présentons les résultats pour des horizons
de prévision de k = 1 à 5 ans. Notre modèle a un caractère prédictif.
Tableau 3 : Matrice de corrélation
Ce tableau présente les coefficients de corrélation de Pearson entre la variable RSE et les variables de contrôle pour la période 1999-2011. RSE
représente l’évaluation de la performance RSE de l'entreprise fournie par le cabinet de notation extra-financière Vigéo. DIR est une variable muette qui prend la valeur de 1 dans les années où l’entreprise a connu un changement de dirigeant, et 0 ailleurs. Taille représente la taille de
l'entreprise mesurée par le logarithme du total de l’actif. ROA est le ratio de rentabilité des actifs mesuré par le rapport entre le résultat avant
impôts, taxes et intérêts et le total actif. LEV représente l’endettement de l'entreprise mesuré par le total des dettes divisé par le total des actifs. FCF représente le ratio entre les free cash flow et le total des ventes. MTB est le ratio Market-to-book mesuré par le rapport entre la valeur
boursière et la valeur comptable des fonds propres. ***, **,* désignent respectivement les degrés de significativité au seuil de 1%, 5%, et
10%;
RSE TAILLE LEV FCF ROA MTB
RSE 1
TAILLE 0,528*** 1
LEV 0,112* 0,009 1
FCF 0,332*** -0.005 -0,131 1
ROA -0,128** -0,107* -0,309*** 0,391*** 1
MTB 0,232** -0.236** -0,102* 0,016 0,274** 1
La lecture du tableau 3 fait apparaître une corrélation plus ou moins forte entre la
variable RSE et les variables explicatives retenues. Tous les coefficients de corrélation affichent
le signe attendu à l’exception du coefficient de corrélation entre RSE et ROA qui affiche un
signe négatif inattendu. La plus forte corrélation est enregistrée entre la variable RSE et la taille
de l'entreprise (52,8%), ce qui laisse présager que la taille de l'entreprise est le déterminant le
plus important de la performance RSE de l'entreprise. La plus faible corrélation est enregistrée
entre les variable RSE et LEV.
-15-
Certaines corrélations entre variables explicatives de notre modèle étant significatives, nous
avons procédé à un test de multicolinéarité. Nous avons estimé les modèles par la méthode des
moindres carrés ordinaires pour calculer les facteurs de l’inflation de la variance (VIF). Il est
généralement considéré qu’un VIF supérieur à 10 signale un problème de multicolinéarité
important. Dans les régressions menées dans notre étude, tous les VIF sont inférieurs à 4 ce qui
permet d’écarter tout problème de multicolinéarité.
4. LES RESULTATS
Dans un premier temps, nous testons l’effet des changements de dirigeant sur la
performance RSE de l’entreprise. Il s’agira notamment d’identifier le délai avec lequel s’exerce
éventuellement cette influence. Par la suite, nous intégrerons les effets des variables de contrôle.
Enfin, nous envisagerons l’effet de la mise en place la loi NRE (H2).
4.1. TEST DE L'HYPOTHESE 1
Le tableau 4 présente les résultats de la régression en données de panel avec effets
individuels fixes. Le changement de dirigeant a un effet positif et significatif sur la performance
RSE de l’entreprise, mais seulement au bout de 5 ans. L'effet est significatif au seuil de 1%.
Une explication probable est que le nouveau dirigeant met en place une nouvelle politique qui
nécessite du temps pour porter ses effets positifs sur la RSE. Un effet trop immédiat aurait été
peu crédible voire suspect. Cela correspond à une logique industrielle et sociale, par exemple :
formation du personnel, mise en place de démarche d’éco-conception des produits, processus
de certification des fournisseurs, etc. Le coefficient de détermination ajusté est d'environ 6%
pour cet horizon de prévision. La faiblesse relative du pouvoir explicatif de notre régression
peut être expliquée par la nature prédictive de la relation entre le changement du dirigeant et la
performance RSE.
-16-
Tableau 4: Résultats de la régression en données de panel avec effets fixes
Ce tableau présente les résultats de l’estimation de la régression en données de panel avec effets fixes en utilisant comme seule variable
explicative le changement de dirigeant. k est l’horizon de prévision retenu. ***, **,* désignent respectivement les degrés de significativité au seuil de 1%, 5%, et 10%.
k=1 k=2 k=3 k=4 k=5
Constante
t-stat
DIR
t-stat
R2 ajusté
0,054***
5,418
-0,012
-0,913
0,026
0,044***
4,568
-0,108
-0,881
0,031
0,051***
4,858
-0,026
-0,158
0,012
0,039***
3,256
0,021
1,592
0,041
0,437***
6,027
0,072***
2,917
0,058
Nous retenons donc l’échéance temporelle de 5 ans, pour affiner les résultats et prendre
en compte l’influence des variables de contrôle identifiées dans la littérature (Artiach et al.
2010). Nous avons testé deux modèles intégrant les variables de contrôle (cf. tableau 5) : le
changement du dirigeant n’est intégré que dans le modèle 2. On observe que les variables de
contrôle considérées seules sont toutes significatives et expliquent 29,6% de la performance
RSE des entreprises (modèle 1). Ces résultats sont conformes à ceux de l’étude de Artiach et
al. (2010) à l’exception du ROA que nous trouvons faiblement significatif, alors qu’il n’est pas
significatif dans leur étude. Lorsque nous intégrons le changement du dirigeant dans le modèle
(modèle 2), on remarque que cette nouvelle variable est hautement significative, et que le
modèle voit son pouvoir explicatif progresser jusqu’à 35,1%, soit une amélioration de 5,5 points
du R² ajusté. Les résultats sont conformes à ceux de l’étude de Artiach et al. (2010) pour 4 des
5 variables de contrôle ; la seule différence provient des free cash flow dont l’effet n’est pas
significatif dans leur étude. Par rapport au modèle 1, deux variables de contrôle perdent leur
significativité : l’endettement et la rentabilité économique. Il semble donc que le changement
du dirigeant domine ces deux variables financières en matière de prévision de la performance
RSE. Au final, la variable représentant le changement du dirigeant fournit un pouvoir prédictif
incrémental par rapport à celui des autres variables explicatives habituellement utilisées dans
la littérature.
-17-
Tableau 5: Résultats de la régression en données de panel avec effets fixes en présence
des variables de contrôle
Ce tableau présente les résultats de l’estimation de la régression en données de panel avec effets fixes. Le modèle 1 intègre uniquement les
variables de contrôle alors que le modèle 2 intègre à la fois la variable changement du dirigeant et les variables de contrôle. k est l’horizon de
prévision retenu. ***, **,* désignent respectivement les degrés de significativité au seuil de 1%, 5%, et 10%.
Signe espéré Modèle 1 - variables de
contrôle seules
Modèle 2 - changement
de dirigeant + variables
de contrôle
Constante 0,226
0,902 -0,003
-0,018
DIR +/-
0,012***
2,819
TAILLE + 0,667***
2,659 0,055**
2,437
LEV - -0.017**
-2.139
0,161
0,958
FCF + 0,024***
3,685 0,105***
3,342
ROA + -0.010*
-1,724 -0,010
-1,632
MTB + 0,018***
4,027 0,014***
2,825
Fisher 6,414***
0,000
10,594
0,000
R2 ajusté 0,296 0,351
Globalement, l’analyse des résultats confirme donc l’impact significatif des changements
de dirigeants sur la performance RSE de l’entreprise, au terme d’une période de 5 ans, ce qui
permet d’accepter l'hypothèse 1.
4.2. TEST DE L'HYPOTHESE 2
Notre deuxième hypothèse prévoit que la mise en place de la loi NRE devrait modérer
l’influence des changements de dirigeants sur la performance RSE de son entreprise. Pour tester
cette hypothèse, il convient donc d’intégrer la variable muette « promulgation de la loi NRE »
dans le modèle. Cette variable exerce un effet significatif sur la performance RSE de
l’entreprise, mais seulement à partir de 4 ans. Cet effet devient hautement significatif au bout
de 5 ans. Cette législation a donc incité les dirigeants à se conformer aux exigences en matière
de RSE, ce qui s’est logiquement traduit par une amélioration de la performance RSE de leur
entreprise, mais au terme d’une période de 4 à 5 années, nécessaires pour que les dispositifs mis
en place portent leurs fruits.
-18-
Tableau 6: Résultats de la régression en données de panel avec effets fixes
Ce tableau présente les résultats de l’estimation de la régression en données de panel avec effets fixes en utilisant comme seule variable
explicative la variable NRE. La variable NRE prend la valeur 1 à partir de 2001, date de promulgation de cette loi, et 0 les années antérieures. k est l’horizon de prévision retenu. ***, **,* désignent respectivement les degrés de significativité au seuil de 1%, 5%, et 10%.
k=1 k=2 k=3 k=4 k=5
Constante
t-stat
DIR
t-stat
R2 ajusté
0,509***
8,125
0,009
1,421
0,022
0,602***
7,215
0,007
1,425
0,021
0,525***
7,125
0,008
1,511
0,024
0,458***
6,258
0,017*
1,645
0,048
0,405***
7,712
0,028***
3,031
0,083
Comme les effets de la promulgation de la loi NRE ont le même horizon temporel que
l’effet des changements de dirigeants (5 ans si l’on retient un seuil élevé de significativité), on
retient donc cette échéance pour tester l’effet modérateur de la loi NRE. Nous avons donc ajouté
cette variable, ainsi que son interaction avec les changements de dirigeants, en plus des
variables du modèle 2 pour former le modèle 3 suivant (cf. tableau 7) :
𝑅𝑆𝐸𝑖,𝑡 = 𝛼1 + 𝛽1 𝐷𝐼𝑅𝑖,𝑡−𝑘 + 𝛽2 𝑇𝐴𝐼𝐿𝐿𝐸𝑖,𝑡 + 𝛽3 𝐿𝐸𝑉𝑖,𝑡 + 𝛽4 𝐹𝐶𝐹𝑖,𝑡
+𝛽5 𝑅𝑂𝐴𝑖,𝑡 + 𝛽6 𝑀𝑇𝐵𝑖,𝑡 + 𝛽7𝑁𝑅𝐸𝑡−5 + 𝛽8 𝑁𝑅𝐸𝑡−5 × 𝐷𝐼𝑅𝑖,𝑡−5
+ ∑ ∅𝑗𝐼𝑁𝐷
17
𝑖=1
+𝜀𝑖,𝑡
Les résultats (cf. tableau 7) montrent que la promulgation de la loi NRE exerce un effet
direct, positif et très significatif sur la performance RSE. En revanche, aucune interaction avec
le changement de dirigeant n’est validée, ce qui infirme l'hypothèse 2. Bien que la loi NRE ait
impacté positivement les pratiques sociétales des entreprises, conduisant à une amélioration de
leur performance en la matière, elle ne renforce ni ne minimise l’impact du changement de
dirigeant sur cette performance (absence d’effet modérateur). Les deux effets sont simplement
complémentaires.
Les résultats concernant les autres variables restent inchangés par rapport au modèle 2,
ce qui confirme leur robustesse. De plus, l’ajout de la loi NRE dans le modèle améliore son
pouvoir prédictif puisque le R² ajusté atteint désormais 41,9%.
-19-
Tableau 7 : Effet modérateur de la loi NRE sur la performance RSE
Signe espéré
Modèle 3 - changement
de dirigeant + variables
de contrôle + effet
modérateur de la loi NRE
Constante -0,008
0,025
DIR -/+ 0,011***
2,789
TAILLE + 0,058**
2,542
LEV - 0,158
0,782
FCF + 0,013***
3,245
ROA + -0,010
-1,622
MTB + 0,015***
2,782
NRE + 0,045***
5,331
NRE*DIR
Fisher
+
-0,086
-1,602
11,43***
0,000
R2 ajusté 0,419
Discussion et conclusion
Ce travail permet de souligner les impacts positifs des changements de dirigeants et de
la promulgation de la loi NRE sur la performance RSE de l’entreprise. Il montre que ces effets
se font ressentir au bout de 5 années. Il se distingue par son originalité puisque, à notre
connaissance, aucune étude n’a analysé les effets directs des changements de dirigeants ainsi
que l’impact de la législation sur les efforts des entreprises en matière de RSE. En outre, les
résultats confirment l’influence importante des variables de contrôle retenues par Artiach et al.
(2010).
Toutefois, contrairement à nos attentes, la loi NRE n’interagit pas avec les changements
de dirigeants, les deux effets étant indépendants et complémentaires. Ce constat met en
évidence que la loi NRE n’est pas un facteur de discrétion managériale en matière de politique
RSE. La performance RSE d’une entreprise sera d’autant plus forte que la loi est contraignante
en la matière, et que l’entreprise a changé de dirigeant. La discrétion a probablement d’autres
sources : adhésion de l’entreprise à des espaces communs de réflexion type GRI, mimétisme,
facteurs organisationnels, etc.
-20-
L’effet du changement de dirigeant pourrait s’expliquer par son attachement à certaines
valeurs (Huang, 2013 ; Bernard et Godard, 2013) ou à d’autres caractéristiques personnelles
conformément à notre cadre conceptuel fondé sur l’upper echelon theory (Hambrick et Mason,
1984). Puisque le changement de dirigeant impacte la performance RSE, c’est donc bien que le
nouveau dirigeant marque de son empreinte les politiques mises en place comme le courant
stratégique l’affirme. Le changement de dirigeant est donc un mécanisme de gouvernance à part
entière.
D’un point de vue managérial, nos résultats soulignent l’existence d’un délai nécessaire
pour que les politiques mises en place par le nouveau dirigeant ainsi que les impératifs légaux
exercent un effet mesurable sur la performance RSE de l’entreprise. En l’occurrence, ce délai
semble être de 5 années. Pour l’Etat, ce résultat est encourageant, puisque la législation a un
effet positif sur les pratiques des entreprises, même si cet effet est long à se manifester, surtout
à l’échelle du temps politique où l’on attend des résultats plus rapides, voire immédiats.
Cette étude présente néanmoins quelques limites. La principale tient à la mesure de la
variable dépendante qui s’est limitée à la seule évaluation des entreprises par Vigéo. Il serait
opportun de répliquer cette étude en retenant une autre mesure, telle que l’indicateur de
performance RSE des entreprises fourni par la base Bloomberg. Par ailleurs, la notion de
discrétion managériale n’a été approchée qu’au travers de la loi NRE, alors que la littérature
souligne la pertinence de nombreux autres facteurs : conditions environnementales (par
exemple, adhésion à un GRI), organisation (par exemple, l’existence d’un comité d’éthique),
etc. De plus, la mise en place récente de la loi Grenelle II pourrait également être étudiée.
Ce travail ouvre donc de nombreuses voies de recherche. Il pourrait être complété par
l’introduction de l’origine des nouveaux dirigeants (interne ou externe) afin d’affiner l’impact
sur la performance RSE. En outre, il serait intéressant de considérer les valeurs personnelles
des dirigeants de manière explicite pour comprendre pourquoi certains d'entre eux influencent
plus que les autres la performance RSE de leur entreprise. Cela pourrait nécessiter d’interroger
directement les dirigeants pour cerner les valeurs auxquelles ils souscrivent et étudier les liens
éventuels entre ces valeurs et la performance RSE. Ce point fait l'objet d'une recherche en cours.
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