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UNIVERSITE DE PARIS IV SORBONNE
CELSA
Ecole des hautes tudes en sciences de linformation et de la communication
MASTER 2me anne
Mention : Information et Communication Spcialit : Mdias et Communication
Parcours : Mdias Informatiss et Stratgies de Communication
Comment lanalyse des conversations en ligne peut permettre de
questionner nouveau la notion dopinion publique ?
Les enjeux de lopinion mining dans les tudes dopinion
Prpar sous la direction du Professeur Vronique RICHARD
Marie Morin Promotion : 2013-2014 Option : Mdias et Communication Soutenu le : 1er octobre 2014 Note du mmoire : 15,5/20
Mention : Bien
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Remerciements
Je tiens remercier en premier lieu Alban Martin, mon rapporteur professionnel,
pour son suivi et ses encouragements pendant la rdaction de ce mmoire. Je
remercie galement Bertrand Horel, mon rapporteur universitaire, pour ses conseils
et ses retours sur mon travail.
Je remercie galement mes collgues de Bouygues Telecom, pour leur soutien et
leurs encouragements pendant la rdaction de ce mmoire, et en particulier Adrien et
Alexandre qui ont manifest un intrt particulier pour mon sujet.
Enfin, je remercie toutes les personnes qui ont contribu de prs ou de loin
llaboration de mon sujet ainsi qu la relecture de ce travail universitaire en
particulier : Anne, Paulette, Alain, Lucie, Xavier, Odile et Michel.
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Table des matires
Introduction ......................................................................................................................... 3
I. Imaginaires de la cyberdmocratie : le rseau, un espace plus dmocratique que
lespace public traditionnel ? ............................................................................................14
A. Dcloisonnement de lespace public : entre rallocation de lautorit et
dsinformation du citoyen ..................................................................................... 17
1. La fin du paternalisme mdiatique ........................................................... 17
2. Lre de la dsinformation ........................................................................ 21
B. Slection des informations en ligne : la part prescriptive de la technique 25
1. Algorithmes, les nouveaux gate-keepers ? ........................................ 25
2. Les hasards de lorganisation sociale de linformation ............................. 29
C. Diffusion des informations sur Internet : la viralit nest pas un processus
galitaire ............................................................................................................... 32
1. Dconstruire la prsupposition dgalit ................................................... 32
2. La mtaphore de la viralit en question .................................................... 36
II. Discours promotionnels : un frein dpasser pour lgitimer la fouille dopinion 42
A. Libration des subjectivits : comment reconnatre une opinion ? ........... 44
1. Le nouveau partage du sensible .............................................................. 44
2. Lopinion, un objet ncessairement impalpable ? ..................................... 50
B. Des promesses opaques : les processus techniques dissimuls par des
discours promotionnels ......................................................................................... 52
1. La vise promotionnelle du discours de lgitimation ................................ 52
2. Des processus techniques enferms dans des boites noires ................... 59
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C. Dvoiler les ajustements techniques : un cheminement ncessaire pour
mettre fin aux controverses ................................................................................... 62
1. Forces et faiblesses du traitement automatique des langues ........................ 62
2. La disparition des critres sociodmographiques .......................................... 64
III. Analyse et reprsentation des donnes : transformer la fouille dopinion en enjeu
de pouvoir par la rationalisation des mthodes ...............................................................68
A. Interprtation des noncs : limportance des mdiations techniques et du
contexte dnonciation .......................................................................................... 69
1. Lnonciation ditoriale, un lment indissociable de ses mdiations
techniques ......................................................................................................... 69
2. La ncessaire laboration de nouveaux critres dinterprtation ............. 72
B. Reprsentation des opinions : la recherche des ajustements qui
permettront dillustrer les diffrentes forces en prsence ...................................... 76
1. Lopinion publique, une simple addition des opinions individuelles ? ....... 76
2. Lopinion, un objet sans cesse ajust au contexte social dans lequel elle
sexprime ........................................................................................................... 79
C. Mise en forme du Web : un nouvel enjeu de pouvoir ? ..................................... 81
1. Cartographies du Web, des objets communicationnels crateurs de sens
81
2. Le Web, un nouveau laboratoire politique ? ............................................. 85
Conclusion ..........................................................................................................................90
Bibliographie ......................................................................................................................95
Annexes ............................................................................................................................ 102
Rsum ............................................................................................................................. 114
Mots cls ........................................................................................................................... 115
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Introduction
En dcembre 2010, le mouvement contestataire que lon appellerait bientt le
Printemps Arabe mergeait pour la premire fois en Tunisie, inaugurant la vague
protestataire qui allait rapidement se propager dans une grande partie du monde
arabe. Si le bilan de ces mobilisations est aujourdhui mitig, ces manifestations ont
nanmoins permis de mettre en exergue le rle jou par Internet et en particulier par
les rseaux sociaux, pour contourner la censure et la propagande qui dominaient
dans les mdias traditionnels1 dans des pays o la dissidence ntait pas autorise.
Bien quil convienne de ne pas se laisser emporter par un certain dterminisme
technique qui consisterait attribuer une autonomie ces technologies de
linformation et de la communication comme ont pu le suggrer les titres accrocheurs
de certains journaux tels que rvolution Facebook , e-rvolution ou encore
rvolution 2.02 , il est ncessaire de sinterroger propos du rle jou par Internet
pendant ces mobilisations, notamment en ce qui concerne la diffusion et la circulation
de linformation, ainsi que lexpression dopinions alternatives. En effet, si les usages
dInternet ne peuvent tre considrs comme tant lorigine du soulvement du
peuple tunisien n Sidi Bouzid suite limmolation dun jeune vendeur, Internet
1 LECOMTE, Romain, Rvolution tunisienne et Internet : le rle des mdias sociaux , LAnne du
Maghreb [disponible en ligne : http://anneemaghreb.revues.org/1288], publi le 01 septembre 2011, consult le 28 juin 2014. 2 Ibid. Lauteur rappelle que lorigine de la rvolution tunisienne de 2010-2011 vient des populations
des rgions rurales de lintrieur du pays qui revendiquaient un droit au travail, la justice sociale, la dignit . Bien que les jeunes tunisiens connects aient t des acteurs essentiels de la rvolution tunisienne et que la Tunisie ait juste titre t remarque pour son dveloppement et ses avances en matire de NTIC relativement au reste du continent africain et mme du monde arabe , le pays est cependant marqu [d]importantes disparits rgionales en termes daccs et dutilisation dInternet . Il est donc ncessaire de rappeler que si Internet a [..] pu faciliter ou acclrer la propagation des rvoltes dans les zones les plus dfavorises du pays, le tlphone portable a probablement constitu une arme communicationnelle bien plus dterminante dans cette extension .
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en tant quespace alternatif difficilement contrlable, a permis de nombreux
Tunisiens connects de dcouvrir images lappui les vnements qui
secouaient dautres zones du pays, partager les informations avec leurs contacts,
mettre en commun un mcontentement grandissant3 .
Ainsi, pendant le soulvement en Tunisie, le contrle des mdias traditionnels4 par
le pouvoir, empchant la confrontation des ides et contribuant au verrouillage de
lespace public a t contourn par des activistes qui ont utilis Internet et les
rseaux sociaux comme canal de diffusion de linformation, ainsi que comme espace
public alternatif pour exprimer une opinion contestataire. Lexemple tunisien, ainsi
que celui des autres rvolutions arabes ayant eu lieu depuis ce premier
soulvement, illustrent bien comment, dans le cas dun espace mdiatique musel
par le pouvoir en place, Internet peut permettre de capter des mouvements dopinion
alternatifs qui navaient pas pu trouver leur place dans un espace public cloisonn.
Face ce constat, nous pouvons nous demander si en dmocratie, et en
particulier en France o lespace mdiatique est a priori libre, il existe une
fragmentation similaire entre la reprsentation de lopinion publique offerte par les
mdias traditionnels et lopinion publique qui circule en ligne ?
Ltude de lopinion publique ne peut se faire sans sinterroger propos de la
notion despace public. Dfinissant les fondements du concept, Habermas
caractrise lespace public bourgeois du XVII et XVIIIme sicle comme suit :
[Il sagit de] la sphre intermdiaire qui sest constitue historiquement, au moment des lumires, entre la socit civile et ltat. Cest le lieu, accessible tous les citoyens, o un public sassemble pour formuler une opinion publique. Lchange discursif de positions raisonnables sur les problmes dintrts gnraux permet de dgager une opinion publique
5.
Cette premire dfinition du concept assigne donc lespace public un rle de
mdiateur entre la socit et lEtat. La notion de publicit revt galement une
importance fondamentale dans le fonctionnement de cet espace. En effet, il sagit de
3 Ibid.
4 Par mdias traditionnels nous entendons la radio, la presse crite et la tlvision
5 Dfinition de lespace public par HABERMAS, Jrgen selon WOLTON, Dominique, Espace
public , Dominique Wolton [Disponible en ligne : http://www.wolton.cnrs.fr/spip.php?article67], consult le 10 juillet 2014.
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lgitimer la sphre publique et les dbats qui sy droulent par lusage public de la
raison qui permet de mettre en concurrence des arguments dans le but de trouver un
consensus qui pourra reprsenter lintrt gnral de la socit6, et ainsi donner un
moyen de pression aux citoyens pour contrer le pouvoir de lEtat. Dans cette
conception de lespace public, tous les propos ne mritent cependant pas dtre
ports la connaissance de tous car il faut que ceux-ci correspondent des
critres spcifiques qui leur confrent un intrt gnral7 , ce qui dlimite ainsi le
primtre de la publicit.
Pour complter cette notion, Dominique Wolton caractrise lespace public dans
une dmocratie de masse cest--dire un espace beaucoup plus large
quautrefois, avec un nombre beaucoup plus grand de sujets dbattus, un nombre
beaucoup plus grand dacteurs intervenant publiquement, une omniprsence de
linformation, des sondages, du marketing et de la communication8 :
Il sagit dun espace symbolique o sopposent et se rpondent les discours, la plupart contradictoires, tenus par les diffrents acteurs politiques, sociaux, religieux, culturels, intellectuels, composant une socit. Cest donc avant tout un espace symbolique, qui requiert du temps pour se former, un vocabulaire et des valeurs communes, une reconnaissance mutuelle des lgitimits ; une vision suffisamment proche des choses pour discuter, sopposer, dlibrer
9.
Ainsi dmatrialis, lespace public selon Dominique Wolton prend donc une
dimension symbolique, celle de la dmocratie et du dbat dides en train de se faire.
Cependant, pour pouvoir prendre la parole dans cet espace, il faut que la
lgitimit des acteurs qui participent au dbat soit reconnue. Cet espace nest
donc a priori pas ouvert tous.
Alban Martin, complte cette notion en y intgrant le rle des mdias en tant que
support la circulation et la formation dopinions :
6 BENRAHHAL SERGHINI, Zineb et MATUSZAK, Cline, Lire ou relire Habermas : lectures croises
du modle de lespace public habermassien , tudes de communication [Disponible en ligne : http://edc.revues.org/868], publi le 02 septembre 2009, consult le 10 juillet 2014. 7 CARDON, Dominique, La dmocratie internet, promesses et limites , op. cit., p.35
8 WOLTON, Dominique, Espace public , op. cit.
9 Ibid.
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Lopinion publique circule dans la sphre intermdiaire entre la socit civile et lEtat : lespace public. Cest le lieu accessible thoriquement tous les citoyens, o lon trouve les publications (publicare) qui concernent tout le monde (publicus), et qui sont destines tre potentiellement discutes. Les mdias, au cur de lespace public, servent de support la formation dopinions et leur circulation. Leur rle dinformateur, de filtre et dagrgateur des diffrents courants dopinions y contribue beaucoup. A cette fin, ils crent et diffusent des sondages, offrent une tribune aux experts, aux lus, aux responsables dorganisation reprsentant un nombre plus ou moins grand de citoyens. Par ce biais, les hommes politiques, lus ou candidats, ont accs lespace public, et contribuent directement ou indirectement la formation de lopinion publique
10
Nous voyons bien ici, travers ces diffrentes conceptions de lespace public,
comment celui-ci va tre amen jouer un rle sur la formation de lopinion publique.
Lidal de lespace public est donc de permettre chacun, par confrontation
darguments et dides, de se forger une opinion personnelle. Les mdias jouent
aujourdhui un rle central dans la diffusion et la circulation des ides, offrant une
tribune permettant la confrontation des arguments. La recherche de lintrt gnral
doit alors permettre de dgager une opinion dite publique , cest--dire une
opinion concerte capable dmerger aprs confrontation des opinions personnelles
raisonnes de chacun des acteurs. Traditionnellement rvle par le biais de
sondages dopinions qui permettent travers des critres de reprsentativit de
rendre lopinion publique plus tangible, les reprsentants institutionnels vont chercher
travers elle asseoir leur lgitimit.
Cependant, nous avons vu avec lexemple de lespace public tunisien que lorsque
la libert de la presse est inexistante, les mdias sont en incapacit de jouer ce rle
de mdiateur qui permet de faire se confronter diffrents mouvements dopinions au
sein de lespace public. Or, lespace public nest cependant pas inexistant, puisque
lmergence dune opinion publique alternative reste possible par le biais des mdias
informatiss.
En effet, Internet a considrablement favoris llargissement de lespace public
en permettant le dsenclavement de lespace dexpression. La parole publique,
habituellement rserve par les mdias traditionnels aux journalistes, au personnel
politique ou aux experts considrs comme lgitimes, se voit ainsi ouverte de
nouveaux nonciateurs qui nhsitent pas sen servir. Rseaux sociaux, sites
10 MARTIN, Alban, Egocratie et Dmocratie. La ncessit de nouvelles technologies politiques , France, FYP ditions, Coll. Prsence / Essai , 2010, p.22-23
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Internet, blogs deviennent des espaces o les opinions se publient, schangent, se
confrontent en permanence et sont accessibles tous sans aucune slection
pralable. Une certaine porosit semble dailleurs stre installe entre ce qui est
visible et ce qui est public , ce qui a permis de dmocratiser la prise de parole
et la critique en ligne11, mais aussi laccessibilit des formes dexpression plus
intimes et la mise en visibilit de soi. Sur le Web, des individus bavardent et ne
se proccupent gure de savoir qui peut les entendre ou les voir en dehors de leur
entourage numrique proche , comme nous lexplique Dominique Cardon :
Les nouveaux internautes, plus jeunes, moins diplms, plus divers sociologiquement, se sont regroups dans des niches de proximit pour converser, se moquer, diffuser de linformation tout en valorisant leur identit. [..] Cet Internet de la conversation a jou un rle dcisif dans la dmocratisation des usages. Les nouveaux internautes ont profit du fait quInternet tait non seulement une agora trs publique , mais aussi un boudoir o leurs propos ne seraient pas soumis aux critres de slection traditionnels .
Les internautes ont galement pris pour habitude de consulter de nombreux avis
dposs par dautres personnes dans le but dtre aids par exemple prendre des
dcisions dachat. Les avis, les opinons intressent donc les internautes et ont
suscit des applications et services multiples, ce qui provoque un cercle vertueux
dencouragement donner son avis et mme se faire reconnatre comme donnant
des avis pertinents et suivis par les autres12 .
Face lmergence de ces nouveaux territoires dexpression, des acteurs privs
semparent du sujet et promettent de concevoir, en sappuyant sur les conversations
des internautes, de nouveaux types dtudes dopinions qui reposent sur des
mthodes appeles par les anglo-saxons opinion mining , ou sentiment
analysis que lon peut traduire en franais par fouille dopinion . Lobjectif pour
ces entreprises est dextraire, partir de la masse de donnes textuelles disponible
sur Internet, des tendances, des avis ou des mouvements dopinions. Les marques
sont galement trs sensibles ces nouvelles formes dexpression et cherchent
11
CARDON, Dominique, La dmocratie internet, promesses et limites , op. cit., p.36 12
BOULLIER, Dominique et LOHARD, Audrey. Chapitre 1. Historique et tat du march In Opinion mining et Sentiment analysis : Mthodes et outils [Disponible en ligne : http://books.openedition.org/oep/204]. Marseille, OpenEdition Press, 2012. Publi en 2012, consult le 18 juin 2014
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matriser leur identit numrique ainsi qu comprendre les attentes et les critiques
disperses sur le Web en provenance de leurs clients.
Inspir des concepts de data mining13 et de text mining14 , lopinion
mining consiste identifier, extraire puis analyser de faon automatise des
informations subjectives principalement prsentes sous forme de texte15 diffuses
sur Internet. Les donnes rcoltes peuvent tre au format Web16, mais sont aussi
rgulirement issues dautres applications ayant un format propre, comme Twitter ou
Facebook. Lexpression opinion mining est rgulirement associe, comme
prcis plus haut, au terme sentiment analysis qui peut se traduire en franais
par analyse de sentiment ou analyse de tonalit . Cette seconde traduction
semble dailleurs plus juste car elle permet de prciser ce qui diffrencie lopinion
mining des autres mthodes de traitement du matriau linguistique, savoir lanalyse
de jugements de valeurs qui sont aujourdhui traits de faon polarise pour en
dfinir une tonalit positive ou ngative. Ainsi, lexpression analyse de tonalit
permet de lever lambigut associe au terme de sentiment puisque ce ne sont
pas des motions qui vont tre traites, mais bien des jugements explicites17.
Le march de la fouille dopinion est actuellement, et depuis quelques annes, en
pleine explosion. Bien que loffre ne soit pas encore tout fait mature (nous
reviendrons sur ce point au cours de ce mmoire), de nombreux acteurs se sont
positionns sur ce march et proposent des offres de service trs diversifies,
13
Le data mining, ou exploration de donnes en franais, peut tre dfini comme lapplication de la technologie et des techniques de banques de donnes (comme lanalyse statistique et la modlisation) dans le but de dcouvrir les structures caches et les relations subtiles entre donnes, et den infrer des rgles permettant la prdiction de rsultats futurs Dfinition extraite de ROUVROY, Antoinette et BERNS, Thomas, Le nouveau pouvoir statistique , Multitudes 1/ 2010 (n 40), p. 88-103 [Disponible en ligne : URL : www.cairn.info/revue-multitudes-2010-1-page-88.htm.] Consult le 3 juillet 2014. 14
Le text mining ou fouille de textes en franais est une spcialisation de la fouille de donnes et fait partie du domaine de l'intelligence artificielle. C'est un ensemble de traitements informatiques consistant extraire des connaissances selon un critre de nouveaut ou de similarit dans des textes produits par des humains pour des humains. Dans la pratique, cela revient mettre en algorithmes un modle simplifi des thories linguistiques dans des systmes informatiques d'apprentissage et de statistiques. Dfinition extraite de larticle wikipdia Fouille de textes [Disponible en ligne : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fouille_de_textes] Consult le 3 juillet 2014. 15
Il est galement possible de traiter des informations chiffres ou iconiques (par exemple le nombre dtoiles accompagnant un avis). Les technologies cherchent aujourdhui galement intgrer leur traitement dautres matriaux comme les images, le son ou les vidos en les convertissant en texte. Dans ce mmoire, nous nous intresserons cependant uniquement au matriau textuel original brut. 16
Format HTML ou XML 17
BOULLIER, Dominique et LOHARD, Audrey. Chapitre 1. Historique et tat du march In Opinion mining et Sentiment analysis : Mthodes et outils , op. cit.
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entretenant une certaine confusion quant aux services vritablement disponibles
dans un secteur o le vocabulaire nest pas encore stabilis. Ainsi, les frontires sont
floues entre les diffrentes offres appeles coute de la conversation des
internautes , social mdia monitoring , analyse de sentiment ou encore
management de le-rputation . Mais dans tous les cas, lobjectif est de dtecter
et danalyser les opinions prsentes sur les rseaux sociaux et le Web, en utilisant
des techniques dextraction dinformation et en essayant de fournir aux clients des
indicateurs de leur prsence, de leur image, de celle de leurs concurrents18 .
On dnombre aujourdhui trois types dacteurs principaux19 positionns sur ce
march :
Historiquement, les diteurs de logiciels ont t les premiers se positionner sur
le march du traitement automatique des donnes textuelles issues du Web20. Leurs
solutions sont capables de traiter un volume trs important de donnes et de
proposer diffrents services comme la catgorisation automatique, la volumtrie,
lanalyse de tonalit, etc.21
Les deuximes types dacteurs principaux sont les prestataires de services. Ces
prestataires sont majoritairement des agences de communication spcialises en
veille et e-rputation , social mdia monitoring ou des instituts dtude
qualitatifs. Ceux-ci ne disposent pas la plupart du temps de leurs propres
technologies mais proposent des services dalerte, de suivi en temps rel des
conversations ou danalyse partir des outils dvelopps par les diteurs de
logiciels. Ils proposent galement danalyser limpact de certaines campagnes de
marketing, les conversations gnres autour de celles-ci leur servant dindicateur.
18
Ibid. 19
Il existe galement des services internes aux entreprises qui se positionnent sur ce type dactivit. Cependant, ces services internes sont souvent raliss de faon manuelle, le traitement des donnes ntant pas automatis. Certains laboratoires de recherche sintressent galement lextraction dopinions et travaillent mi-chemin entre lingnierie informatique et les sciences du langage dans le but damliorer les outils logiciels existants. Cependant, ces laboratoires travaillent majoritairement sur des corpus ferms et non sur des flux, comme cest le cas pour lanalyse des opinions sur le Web. Source : BOULLIER, Dominique et LOHARD, Audrey. Chapitre 1. Historique et tat du march In Opinion mining et Sentiment analysis : Mthodes et outils , op. cit. 20 ACHACHE, Gilles, Opinion mining : ces algorithmes qui dcryptent nos conversations [S3E5] , Social Mdia Club France, [Disponible en ligne : http://socialmediaclub.fr/2014/03/smc-talks-opinion-mining-ces-algorithmes-qui-decryptent-nos-conversations-s3e5/] Publi le 28 mars 2014, consult le 24 juillet 2014. 21
BOULLIER, Dominique et LOHARD, Audrey. Chapitre 1. Historique et tat du march In Opinion mining et Sentiment analysis : Mthodes et outils , op. cit.
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Enfin, les instituts dtudes dopinions, encore peu nombreux, utilisent les
technologies de traitement automatique des langues pour suivre les mouvements
dopinions22 que lon peut capter partir des conversations des internautes, dans le
but de produire des tudes dopinion dun nouveau genre. Cest ce troisime type
dacteurs que nous allons nous intresser au sein de ce mmoire.
En effet, si lanalyse des conversations en ligne a dj dmontr son utilit dans
les domaines du marketing et de la communication, la production dtudes dopinions
partir de matriaux linguistiques rcolts sur le Web pose aujourdhui de
nombreuses questions et anime les dbats quant la lgitimit de telles tudes. Les
diffrentes offres commerciales se confrontent ainsi aux travaux universitaires qui en
avancent les limites.
En effet, quid des catgories socio-dmographiques traditionnellement utilises
par les sondages pour assurer la reprsentativit des individus ? Est-il possible de
considrer le Web comme plus mme de faire circuler et se confronter tous types
dopinions que les mdias traditionnels ? Les opinions peuvent-elles tre
considres comme plus vraies lorsquelles sexpriment spontanment sur une
plateforme sans mdiation pralable ? Comment est-il possible de produire du sens
partir dune telle prolifration de conversations enchevtres ? Le Web peut-il tre
considr comme un laboratoire o il serait possible dobserver des opinions
mergentes, ou lobsession de la quantification nest-elle quun moyen de se rassurer
face limmensit dun flux dinformations que lon ne peut pas saisir du regard ?
Autant de questions que nous devrons traiter dans le prsent mmoire.
Positionnement thorique :
Pour dvelopper notre rflexion, nous nous appuierons largement sur les travaux
de Dominique Cardon propos des transformations de lespace public contemporain
en lien avec le dveloppement des technologies numriques, ce qui nous permettra
de comprendre comment se construit lespace public numrique en lien avec
lespace mdiatique traditionnel. Les rflexions menes par Dominique Cardon nous
22
ACHACHE, Gilles, Opinion mining : ces algorithmes qui dcryptent nos conversations [S3E5] , op. cit.
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conduiront galement analyser les diffrentes formes dexpressions individuelles
qui circulent en ligne, ainsi que les nouveaux processus qui gouvernent la diffusion
des informations sur Internet. Les travaux de Dominique Boullier et dAudrey Lohard
sur ltat de lart de lopinion mining nous serviront galement de point dancrage
pour comprendre comment fonctionnent ces nouvelles mthodes danalyse ainsi que
les enjeux techniques quelles sous-tendent. La combinaison de ces deux approches
nous permettra ainsi de comprendre comment les instituts qui utilisent les mthodes
de fouille dopinion pour sonder lopinion publique parviennent lgitimer leur
dmarche, quelles en sont les limites et comment celles-ci pourraient parvenir se
rationnaliser pour transformer ces outils en objets politiques.
Problmatique :
Notre rflexion sarticulera autour de la question suivante :
Alors que les mthodes dites dopinion mining sappuient sur des discours
idologiques et promotionnels pour lgitimer leurs analyses, comment la mise en
visibilit des choix techniques utiliss a priori pour collecter, traiter et analyser les
donnes rcoltes pourrait-elle permettre lensemble de ces procds de dpasser
les controverses pour se rationnaliser, et se transformer en nouvel enjeu de
pouvoir ?
Trois hypothses viennent soutenir le dveloppement de cette rflexion :
Nous supposons dans un premier temps que, si Internet a permis un
dcloisonnement de la parole publique, lide convoque par les acteurs de la fouille
dopinion selon laquelle le rseau serait plus dmocratique que lespace public
traditionnel reste utopique et fait appel aux imaginaires de lInternet militant. Certains
filtres prdominent en effet la diffusion massive dune opinion qui demande de
surcroit une comprhension des codes de communication du rseau.
De plus, nous prsumons que, sous couvert dune dmarche communicationnelle,
les acteurs de lopinion mining enferment les enjeux smiotiques de la fouille
dopinion dans des boites noires. Si cette dmarche leur permet de se soustraire
tout processus de vrification des analyses proposes et de prserver leurs
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mthodologies des concurrents, elle jette galement un certain discrdit sur ces
mthodes qui ne peuvent alors pas tre normalises et valides. Lopinion qui rsulte
de ces processus opaques ne peut alors pas tre crdibilise.
Enfin, nous supposons que llaboration par les acteurs de la fouille dopinion de
normes communes et de nouveaux critres dinterprtation prenant en compte les
mdiations techniques ainsi que le contexte nonciatif des messages, et assurant la
mise en visibilit des processus dapproximation utiliss, permettrait de crdibiliser
ces mthodes qui pourraient alors se transformer, terme, en enjeux de pouvoir.
Prsentation du corpus et dmarche mthodologique :
La fouille dopinion tant une discipline encore rcente, notamment en ce qui
concerne les tudes dopinion, nous avons d nous contenter pour notre recherche
dun corpus relativement restreint.
Afin de comprendre les enjeux en cours autour de cette thmatique, nous avons
choisi de nous appuyer sur les discours prsents sur les sites internet des instituts
dtudes qui proposent ce type danalyses. Pour cela, nous avons retenu trois dentre
eux, qui prsentent lintrt de justifier leurs dmarches et leurs mthodologies au
sein de plusieurs pages web, ce qui nous a permis de disposer pour notre analyse
dune quantit et dune qualit de matriaux textuels relles.
Pour dvelopper notre recherche, nous nous sommes donc appuys sur une
analyse de discours compare tablie partir des sites Internet des trois instituts
dtude suivants : Scan-Research23, Linkfluence24 et Netscope25. Ainsi, nous avons
cherch comprendre comment ces acteurs, grce leurs discours, parvenaient
lgitimer leurs pratiques et justifiaient leur expertise sur le sujet de lanalyse des
conversations en ligne. Pour cela, nous avons tudi les modes dargumentation, les
modles nonciatifs, ainsi que les champs smantiques utiliss sur leurs sites
Internet. De plus, nous avons coupl cette recherche lanalyse smiologique dune
infographie prsentant la technologie utilise par lagence Linkfluence pour traiter les
23
SCAN RESEARCH [Disponible en ligne : www.scan-research.com] Consult le 5 juillet 2014 24
LINKFLUENCE [Disponible en ligne : http://linkfluence.com/fr/] Consult le 5 juillet 2014 25
NETSCOPE [Disponible en ligne : http://www.netscope.fr/institut] Consult le 5 juillet 2014
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opinions mises sur le Web. Cette tude nous a ainsi permis de comprendre quels
taient les imaginaires convoqus par ces instituts pour lanalyse des opinions sur
Internet et la manire dont ceux-ci parvenaient justifier de leur mthodologie.
Prsentation du plan :
Il conviendra tout dabord de nous intresser aux modes de tri, de classement et
de mise en visibilit des informations sur le Web. Nous nous demanderons comment
le dcloisonnement de lespace public, conforme aux imaginaires de lInternet
militant, peut jouer sur la formation des opinions. Pour cela, nous devrons tudier les
diffrents formats que peut prendre lopinion sur le Web, et tudier les conditions de
sa circulation.
Dans une deuxime partie, nous verrons que la libration des subjectivits ayant
lieu sur le Web entrane des difficults quant la classification des opinions. Nous
tudierons alors les discours et les promesses des acteurs de lopinion mining afin de
dcrypter ce que cachent leurs discours promotionnels.
Enfin, une dernire partie nous permettra de nous interroger propos des
conditions de lgitimation de ces mthodes de fouille dopinion, et de comprendre
comment celles-ci pourraient terme se transformer en enjeux de pouvoir.
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I. Imaginaires de la cyberdmocratie : le
rseau, un espace plus dmocratique que
lespace public traditionnel ?
Le mythe de la cyberdmocratie hante les imaginaires dInternet depuis que le
rseau a t rendu accessible au grand public. En effet, selon Howard Rheingold,
La force politique de linformatique communicante vien[drait] de sa capacit
concurrencer le monopole de la hirarchie politique existante sur les puissants
mdias de masse26 . Au-del de limaginaire dune possible dmocratie alternative,
laccs ce dispositif de communication permettrait de favoriser le dbat
dmocratique et la diffusion des ides. Lmergence des rseaux sociaux a dailleurs
permis de ranimer les discussions autour de cette thmatique, puisque linternaute
a dsormais la possibilit de sexprimer encore plus facilement quauparavant27.
En effet, sur Internet, tout le monde peut prendre la parole de manire gale
contrairement aux mdias traditionnels sur lesquels rgne une autorit du statut.
Aucune distinction nest faite entre lmetteur et le rcepteur, cest pourquoi ce mdia
parait particulirement adapt llaboration du dbat dmocratique ainsi qu
lchange dopinions.
26
RHEINGOLD, Howard, The Virtual Community , cit par FLICHY, Patrice, 7. La fin du politique , In L'imaginaire d'Internet , La Dcouverte, 2001, p. 195-222 [Disponible en ligne : www.cairn.info/l-imaginaire-d-internet--9782707135377-page-195.htm.] Consult le 28 juin 2014 27
FLICHY, Patrice, Internet et le dbat dmocratique , Rseaux 4/2008 (n 150), 2008, p. 159-185 [Disponible en ligne : www.cairn.info/revue-reseaux-2008-4-page-159.htm] Consult le 28 juin 2014
-
15
Ainsi, Internet pourrait tre peru comme une agora publique qui permettrait de
revitaliser le systme dmocratique. Llargissement de lespace public permettrait
une dmocratisation de la diffusion des ides, et par l mme un largissement des
dbats conduisant llaboration de positions partages.
Cest sur cet imaginaire dun espace public accessible tous dans lequel les ides
et les opinions se formeraient, sexprimeraient et circuleraient de faon spontane et
sans filtre que sappuient les promoteurs de lopinion mining, comme le montrent les
discours publis sur leurs sites Internet28 :
Ainsi, les mthodes de fouille dopinion permettraient [d]observer lopinion dans
son mouvement spontan sur Internet29 . Cette spontanit semble dailleurs tre
un argument promotionnel important pour les acteurs de cette discipline, la promesse
tant donc de dcrypter lopinion qui se forme et sexprime spontanment sur le
Web social30 . Ainsi, le consommateur est connect en permanence, [] interagit,
peut sexprimer librement sans tre ncessairement sollicit31 .
Les instituts se positionnant sur le crneau de lanalyse dopinion en ligne
affirment galement, conformment lidal de lespace public en ligne, que le
Web 2.0 apparait dsormais comme un espace quasi-illimit de production et de
circulation des opinions 32 sur lequel il est possible de prendre en compte
lnorme quantit de messages et davis mis en ligne chaque jour par les Internautes
sur les rseaux sociaux, les forums consommateurs, les sites davis et de
commentaire 33 . Ainsi, ce seraient des millions de points de vue qui
sexprime[raient] tous les jours sur la toile 34 , permettant chacun de
communiquer, de sexprimer grande chelle35 .
28
Les dtails de lanalyse de discours de ces Instituts peuvent tre consults dans lAnnexe 1 p 103. Une analyse plus approfondie est galement disponible dans la partie II.B.1 La vise promotionnelle du discours de lgitimation p.52. 29
SCAN RESEARCH [Disponible en ligne : www.scan-research.com] Consult le 5 juillet 2014 30
LINKFLUENCE [Disponible en ligne : http://linkfluence.com/fr/2009/10/19/observatoire-politique-Web-social/] Consult le 5 juillet 2014 31
TNS SOFRES [Disponible en ligne : http://www.tns-sofres.com/notre-offre/nos-solutions/le-futur-des-etudes] Consult le 5 juillet 2014 32
NETSCOPE [Disponible en ligne : http://www.netscope.fr/institut] Consult le 5 juillet 2014 33
SCAN RESEARCH, op. cit. 34
NETSCOPE, op. cit. 35 HO2S [Disponible en ligne : http://www.ho2s.com/fr/services-Web/surveillance-de-l-opinion/] Consult le 5 juillet 2014
-
16
Les mthodes de fouille dopinion permettraient donc de suivre lvolution
constante et rapide de lopinion des consommateurs au rythme de leurs contributions
quotidiennes aux rseaux sociaux36 , Internet tant devenu un lieu dexpression et
de circulation majeur de lopinion37 . Cest donc grce cette multitude de points
de vues et dopinions qui sexpriment et circulent sur la toile [et qui] reprsentent un
formidable stock dinformations ltat virtuel 38 quil est possible de mieux
connaitre les opinions, mesurer ce qui produit ladhsion ou, au contraire, ce qui
suscite le rejet chez les citoyens internautes39 .
Nous voyons bien ici que ces discours promotionnels sappuient largement sur les
imaginaires dcrits par les pionniers du net dans lesquels Internet peut tre
considr comme une nouvelle agora lectronique permettant chacun de faire
circuler massivement ses opinions, en opposition aux mdias traditionnels qui
slectionnent a priori les personnalits juges lgitimes pour sexprimer dans un
espace public cloisonn.
Face ces imaginaires, nous nous interrogerons dans cette premire partie
propos des conditions de la circulation des opinions, afin de dterminer si le rseau
des rseaux est bel et bien aussi dmocratique que ce que les discours sur lespace
public numrique le laissent supposer.
Ainsi, nous nous demanderons comment les opinions exprimes sur Internet
cohabitent avec lopinion vhicule par les mdias traditionnels et nous interrogerons
propos de ce qui les diffrencie. Le rseau peut-il vraiment tre considr comme
un lieu de dbat et de construction dopinions accessible tous ?
Nous nous interrogerons galement propos des logiques de traitement et de tri
de linformation propres au Web. En effet, sil nexiste pas de slection pralable
lexpression des opinions sur Internet, nexiste-t-il pas dautres formes de mdiations
propres Internet qui pourraient freiner la diffusion de certains contenus et en
favoriser dautres ?
36
SCAN RESEARCH, op. cit. 37
ACHACHE, Gilles, Opinion mining : ces algorithmes qui dcryptent nos conversations [S3E5] , Social Mdia Club France, op. cit. 38
NETSCOPE, op. cit. 39
Ibid.
-
17
Enfin, nous nous demanderons si tous les internautes sont vraiment mme de
faire circuler largement leurs opinions en permettant leurs ides de sexprimer haut
et fort, ou sil existe des limites cette circulation. Pour cela, nous nous interrogerons
propos de la notion de viralit .
A. Dcloisonnement de lespace public : entre
rallocation de lautorit et dsinformation du
citoyen
1. LA FIN DU PATERNALISME MEDIATIQUE
Les mdias traditionnels ont depuis longtemps instaur les rgles de publicit
permettant un contrle a priori des informations publies. Ainsi, les informations
rendues visibles sur ces mdias sont par nature publiques et ont fait lobjet dune
slection pralable fonde sur leur intrt gnral. Cette slection est effectue par
ce que Dominique Cardon nomme les gate-keepers , dont le rle consiste
rendre visible ce quils consid[rent] comme public40 . Les professionnels des
mdias se sont donc depuis toujours rserv le droit de trier les informations qui
devaient tre rendues publiques. Avec la loi du 29 juillet 1881 sur la libert de la
presse, ils ont instaur dexigeantes rgles de publicit dfinissant un contrle a
priori des informations avant leur mise en visibilit41 . Ainsi, lespace public pouvait
tre qualifi de public parce que les informations rendues visibles tous avaient fait
lobjet dune slection pralable par des professionnels soumis des normes
dontologiques42.
40
CARDON, Dominique, La dmocratie internet, promesses et limites , op. cit., p.36 41
Idem. 42
Idem.
-
18
Sur le Web, les notions de visibilit et de publicit sont dsormais dcouples. De
nombreux propos sont en effet visibles, sans pour autant avoir un caractre public. Il
nexiste plus aucun filtre la publication des informations et la frontire entre public
et priv devient poreuse. Il nexiste plus non plus de lgitimit du statut de journaliste,
de reprsentant ou dexpert qui limiterait les prises de paroles un public circonscrit.
Les internautes sont donc dsormais matres des informations quils vont publier,
mais galement de celles quils vont consulter. En effet, le Web a permis aux
internautes de saffranchir du paternalisme des mdias traditionnels :
Ce dplacement nous montre ce que lespace public traditionnel a de paternaliste. Au fond, il sest toujours mfi du public et a inlassablement cherch le protger contre les autres et surtout contre lui-mme. En le relguant dans un rle daudience, il lui te ses capacits daction. En le filtrant, il domestique ses prises de parole. En privatisant son intimit, il lui interdit de sengager corps et me. En faisant corriger ses connaissances par des experts agrs, il professionnalise le savoir. En le consultant travers des sondages, il le ventriloquise tout propos. Mais sils nont pas disparu, tous ces travers appartiennent dsormais au pass de la dmocratie. Car, sur Internet et grce Internet, ce public sous contrle sest mancip. Il prend la parole sans quon le lui demande. Il sexpose sans vergogne pour crer de nouveaux liens sociaux. Il produit des connaissances sans sen remettre dautres. Il dfinit lui-mme les sujets dont il veut dbattre. Il sorganise. [] Ce paternalisme est de moins en moins tolrable dans des socits qui sindividualisent en prescrivant la responsabilit, lautonomie et la diversit. Internet est un instrument de lutte contre linfantilisation des citoyens dans un rgime qui est cens leur confier le pouvoir. En ce sens, le Web incarne lavenir de la dmocratie
43
Ainsi, nous voyons bien ce que le Web, conformment aux imaginaires dInternet,
a de dmocratique. En se dbarrassant du paternalisme des mdias traditionnels, les
internautes sont dsormais libres de faire circuler tout type dopinions. Ces mdias
perdent alors le monopole de la cration des informations puisque chacun est
dsormais libre de se servir dInternet comme tribune pour vhiculer ses ides. Ils
perdent galement le contrle de la mdiation des informations puisque chaque
message peut dsormais circuler sans leur approbation sur des vecteurs qui leurs
sont extrieurs. Les mondes de la production et de la rception des informations
cohabitent dsormais dans un mme espace sans contrle a priori, entrainant une
perte de pouvoir des mdias traditionnels.
Dornavant, deux espaces publics cohabitent, se rpondent, sentremlent.
Toutefois, on constate que les mdias traditionnels jouent toujours un rle sur leffet
43
Ibid, p99-100
-
19
dagenda, cest--dire les thmes qui vont tre discuts dans lespace public. En
effet, si linfluence des mdias sur la formation des opinions peut tre dbattue, on
ne peut cependant pas nier que ceux-ci jouent un rle dcisif pour dterminer les
thmes autour desquels se cristallise[nt] les dbats dans la socit44 .
Formalis en premier lieu par Maxwell McCombs et Donald Show le principe
dagenda-setting 45 met lide selon laquelle les mdias traditionnels vont
focaliser lattention de leur audience sur certains vnements tout en en ngligeant
dautres alors jugs moins importants. En effet, devant la multitude des informations
disponibles, il va tre ncessaire de choisir les informations qui vont tre diffuses,
ce qui va avoir des consquences la fois sur le calendrier des vnements qui vont
tre discuts, mais aussi sur leur hirarchisation. Ainsi, le rle des mdias
traditionnels ne serait pas de dire aux citoyens ce quils doivent penser, mais ce
quoi ils doivent penser. Les rseaux sociaux ont par exemple largement montr que
laccord dattention ddi par les mdias traditionnels certains sujets joue un rle
important quant aux sujets qui vont ensuite tre dbattus au sein de lespace public
numrique.
Mais linverse, le principe du buzz sur Internet est [galement] au cur de ce
mcanisme et finit par exercer une pression sur les mdias classiques eux-mmes
en focalisant lattention, par exemple, sur LA vido scandaleuse du moment46 .
Ainsi, on constate que des sujets massivement diffuss sur le Web sont galement
capables dinfluer sur ce qui va tre discut au sein des mdias traditionnels.
Pour illustrer cela, il est par exemple possible de parler du mouvement nomm
bring back our girls (ou rendez-nous nos filles en franais) qui sest droul
sur les rseaux sociaux aprs que la secte islamiste Boko Haram ait enlev, le 14
avril 2014, deux cent soixante-seize lycennes au Nigria, et dont la chronologie
mdiatique peut interpeler.
44
ROSANVALLON, Pierre, La contre-dmocratie : La politique lge de la dfiance , Paris, Editions du Seuil, coll. Les livres du nouveau monde , 2006, p.45 45
MCCOMBS, Maxwell et SHOW, Donald, The Agenda-Setting Function of Mass-Media , Public Opinion Quaterly n36, 1972, p.176-187 [Disponible en ligne : http://www.unc.edu/~fbaum/teaching/PLSC541_Fall06/McCombs%20and%20Shaw%20POQ%201972.pdf] Consult le 1er juillet 2014. 46
BOULLIER, Dominique, Les industries de l'attention : fidlisation, alerte ou immersion , Paris, Rseaux, 2009/2 n 154, p. 239
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20
Apparu sur les rseaux sociaux le 23 avril 2014 la suite dun tweet dIbrahim
Abdullahi, avocat nigrian47, le hashtag48 #BringBackOurGirls a t largement
diffus avant dtre repris le 7 mai 2014 par Michle Obama qui va alors donner une
visibilit mondiale au mouvement. Le mot cl sera par la suite repris par de
nombreuses personnalits publiques et politiques, mais galement par de nombreux
anonymes, offrant alors une nouvelle visibilit au sujet.
En effet, sil avait t possible dobserver un lger traitement mdiatique de ce
sujet en France dans les mdias audiovisuels ds le 4 mai suite la publication
dune vido de lAgence France Presse, cest bien aprs la diffusion massive du
hashtag sur les rseaux sociaux que les mdias traditionnels vont rellement
semparer du sujet qui ne fera la une du journal de 20 heures diffus sur France 2
que le 10 mai 201449.
Cet exemple nous permet de constater que, si les mdias traditionnels jouent un
rle sur leffet dagenda, cest--dire les sujets qui vont capter lattention de lopinion
et tre largement discuts dans la socit civile et sur le Web, les discussions se
produisant sur les rseaux sociaux peuvent galement avoir une influence sur ce qui
va tre discut au sein des mdias traditionnels.
Ainsi, conformment aux attentes de lInternet militant, lespace public lre
dInternet slargit, permettant de dsenclaver les espaces dexpression et
contribuant la diversification des opinions exprimes et accessibles tous. Les
citoyens sont alors capables de se mobiliser pour attirer lattention sur des sujets qui,
selon eux, mritent dtre dbattus au sein de lespace public, faisant fi du
paternalisme des mdias traditionnels et permettant de reprendre la main sur les
thmes qui mritent dtre dbattus au sein de lespace public.
47
LE SECRET DES SOURCES, Les ambigits mdiatiques sur les lycennes enleves au Nigria , France Culture, [Disponible en ligne : http://www.franceculture.fr/emission-le-secret-des-sources-les-ambiguites-mediatiques-sur-les-lyceennes-enlevees-au-nigeria-2014]. Publi le 17 mai 2014, Consult le 11 septembre 2014 48
Signals par le caractre # , les hashtags sont des mots cls balise qui permettent de rsumer lobjet dun tweet. 49
LE SECRET DES SOURCES, Les ambigits mdiatiques sur les lycennes enleves au Nigria , op. cit.
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21
2. LERE DE LA DESINFORMATION
Si le dclin du paternalisme mdiatique a permis de dsenclaver les modalits de
la prise de parole, il est cependant possible de constater que les dbats se droulant
dans les diffrents espaces dexpression prsents sur le Web sont loin de voir
saffronter, comme lespraient les pionniers dInternet, des changes dides
prsentant des arguments rationnels conformes lidal de lespace public
habermassien, comme lexplique Patrice Flichy :
Les forums sont souvent le sige de ces guerres dinjures (flame wars) o les internautes dfendent violemment des opinions dont ils ne veulent plus dmordre. Pour Mark Poster, les dbats en ligne ne correspondent pas aux caractristiques de lespace public, savoir un dbat entre gaux o les arguments rationnels prvalent et o on cherche laborer une position commune. Internet ne rpond qu la premire caractristique. Les internautes peuvent effectivement changer sur un pied dgalit. Par contre, lchange argument est loin dtre toujours la rgle. Le dbat ne tend pas vers llaboration dune position commune, mais plutt vers une multiplication de points de vue contradictoires
50.
Ainsi, nous pouvons constater que si ce dsenclavement a bel et bien permis une
rallocation de lautorit des citoyens quant aux sujets qui mritent dtre dbattus
dans lespace public, en opposition au paternalisme des mdias traditionnels qui
infantilisait les citoyens en imposant les sujets qui mriteraient leur attention, les
nombreux dbats qui ont lieu sur Internet aboutissent rarement llaboration dune
position commune prenant en compte les intrts de chacun et susceptible alors
dtre qualifie dopinion publique. Cette premire constatation nous montre dj que
le mythe dune dmocratie numrique en ligne est loin dtre sur le point de devenir
ralit. Si les conditions de lmergence dun espace public informatis sont bien
runies, lchange sur le Web darguments rationnels permettant de faire avancer le
dbat public napparat pas, ce jour, dans les faits.
De ce fait, si nous devons admettre que dsormais, deux espaces publics
cohabitent et sinfluencent mutuellement, et quil nexiste plus de mdiation pralable
la diffusion dune information ou lexpression personnelle, force est de constater
50
FLICHY, Patrice, Internet et le dbat dmocratique , Rseaux 4/ 2008 (n 150), p. 159-185 [Disponible en ligne : www.cairn.info/revue-reseaux-2008-4-page-159.htm] Consult le 18 juillet 2014.
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22
que toutes les subjectivits qui sexpriment sur la toile ne sont pas bnfiques
lespace public ni llaboration de ce qui pourrait tre qualifi dopinion publique.
De nouvelles formes dnoncs circulent aujourdhui sur la toile et le tri de ces
innombrables informations qui oscillent entre les frontires devenues floues du priv
et du public devient difficile. Si la disparition des gate-keepers a permis de rendre
lespace public plus dmocratique, elle a donc galement engendr une confusion
face aux informations qui mritent lattention de tous.
Dsormais, la slection et la hirarchisation des informations quil est possible de
consulter nest plus effectue par les professionnels des mdias, mais par
linternaute lui-mme qui choisit les informations quil souhaite examiner. Le
traitement a priori des informations par les professionnels des mdias permettait
cependant de ne faire circuler dans lespace public que des informations vrifies,
permettant de construire des opinions sur des faits avrs.
Lexercice du mtier de journaliste est en effet, comme nous lavons vu, soumis
certaines rgles dontologiques. La charte de Munich ou Dclaration des devoirs
et des droits des journalistes signe en 1971 Munich a t adopte par la
Fdration Europenne des journalistes puis la Fdration Internationale des
Journalistes et lOrganisation Internationale des Journalistes. Lensemble des
syndicats de journalistes franais, regroups au sein de lUnion Nationale des
Syndicats de Journalistes la galement adopte. Cette charte est devenue une
rfrence internationale en matire de dontologie journalistique et distingue dix
devoirs et cinq droits des journalistes dont :
1) respecter la vrit, quelles quen puissent tre les consquences pour lui-mme, et ce, en raison du droit que le public a de connatre ;
[]
3) publier seulement les informations dont lorigine est connue ou les accompagner, si cest ncessaire, des rserves qui simposent ; ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altrer les textes et les documents ;
[]
-
23
8) sinterdire le plagiat, la calomnie, la diffamation, les accusations sans fondement ainsi que de recevoir un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression dune information51
Ainsi, selon les rgles dontologiques des journalistes, les informations diffuses
dans lespace public traditionnel se doivent dtre vraies, vrifies et approuves par
des sources valides et connues.
Sur Internet, nous avons vu que le filtre journalistique avait dsormais disparu. Si
cela a pu engendrer une dmocratisation de lespace dexpression, cela nest pas
sans consquence quant la vracit des informations qui circulent sur Internet. En
effet, sur le Web, de fausses informations peuvent facilement circuler, ce qui peut
conduire une dsinformation voire une manipulation de lopinion.
Pour illustrer cela, retenons lexemple rcent de la rumeur sur la thorie du
genre lcole qui a entrain le retrait de lcole de centaines denfants les 24 et
27 janvier 2014 suite un appel au boycott lanc sur Internet et par SMS par Farida
Belghoul, militante dextrme droite proche de lessayiste Alain Soral. Cet appel
affirmait, entre autres, quune ducation sexuelle tait prvue en maternelle la
rentre 2014 avec dmonstration et apprentissage de la masturbation ds la crche
ou la halte-garderie52 .
Ici, Guillaume Brossard, cofondateur de HoaxBuster53 explique que les rseaux
sociaux et autres canaux viraux ont servi blanchir [lorigine de la rumeur]54 . En
effet, la forme crite et la possibilit de voir qui sont les destinataires et les metteurs
des messages qui voquent la rumeur en question ont deux consquences. Tout
dabord, le support crit est trs persuasif parce quil est assimil une note
administrative, une circulaire officielle voire au procs-verbal dun vnement rel,
51
SYNDICAT NATIONAL DES JOURNALISTES, Dclarations des devoirs et des droits des journalistes , Munich, 1971, [Disponible en ligne : http://www.snj.fr/spip.php?article2016] Consult le 7 aout 2014. 52
BATTAGLIA, Mattea et LE BARS, Stphanie, Thorie du genre : lappel au boycott qui alarme lcole , Le Monde, [Disponible en ligne : http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/01/29/l-appel-au-boycott-qui-alarme-l-ecole_4356195_3224.html] Publi le 28 janvier 2014, Consult le 7 aout 2014. 53 HOAXBUSTER [Disponible en ligne : www.hoaxbuster.com] Consult le 7 aout 2014. 54
BROSSARD, Guillaume, Thorie du genre lcole : comment facebook et les SMS servent blanchir la rumeur , Le plus Nouvel Obs [Disponible en ligne : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1138487-theorie-du-genre-a-l-ecole-comment-les-reseaux-sociaux-servent-a-blanchir-la-rumeur.html] Publi le 30 janvier 2014, Consult le 7 aout 2014.
-
24
donc son impact auprs des destinataires est plus profond55 quune rumeur qui
circulerait par exemple loral. De plus, si dans le cas dune rumeur orale on ignore
le nombre dindividus qui ont eu connaissance, pour la rumeur lectronique, la
prsence des noms des destinataires successifs, cest--dire le fait que la rumeur a
dj touch du nombre, la fait basculer dans le domaine de l'irrfutable, car si l'on
peut contredire un interlocuteur unique, il devient plus difficile de ne pas sincliner
devant la profusion56 . Ainsi, cest le fait mme quun nombre important dindividus
ait discut de cette rumeur sur les rseaux sociaux qui a suffi la crdibiliser, faisant
seffacer lorigine de linformation au profit de la masse.
Nous voyons donc ici que si Internet a autoris un dsenclavement de lespace
dexpression qui a permis de redonner une certaine autorit aux citoyens quant aux
sujets qui devaient tre dbattus, la perte du contrle des informations par les
mdias traditionnels a pu galement entraner des effets nfastes pour la
construction de lopinion publique. Tout dabord, lchange darguments rationnels
assurant de conduire une position commune est souvent loin dtre prsent dans
les dbats se droulant sur le Web. Ensuite, la perte du contrle a priori des
informations peut mener une dsinformation de lopinion qui peut avoir de relles
rpercussions politiques.
Ainsi, de nouveaux enjeux se dessinent aujourdhui sur Internet, pour le traitement
et lorganisation de ce dluge dinformations. Aussi, une sourde lutte sorganise
aujourdhui pour le contrle des outils permettant de hirarchiser a posteriori les
informations sur le Web57 .
55 TAIEB, Emmanuel, Persistance de la rumeur , Rseaux 2/ 2001 p. 231-271 [Disponible en ligne : www.cairn.info/revue-reseaux-2001-2-page-231.htm.] Consult le 7 aout 2014. 56
Idem. 57
CARDON, Dominique, La dmocratie internet, promesses et limites , op. cit., p.100
-
25
B. Slection des informations en ligne : la part
prescriptive de la technique
1. ALGORITHMES, LES NOUVEAUX GATE-KEEPERS ?
La hirarchisation des informations sur Internet est au cur des dbats autour de
lespace public numrique. Le rseau a longtemps t peru comme le recours qui
permettrait de smanciper du contrle des lites mdiatiques sur les informations et
de ractiver les expressions individuelles des citoyens. Mais alors, il convient de se
demander comment sont justement classes et rendues accessibles les informations
publies sur lnternet.
Dans son ouvrage La richesse des rseaux , Yochai Benkler avance lide que
ce serait lensemble des internautes qui, en publiant et en se citant mutuellement,
permettraient de faire ressortir les informations pertinentes. Ces liens permettraient
en effet aux documents de qualit dtre reprs par des algorithmes58
qui les
ordonneraient par la suite dans les moteurs de recherche. La visibilit des
informations serait donc le rsultat dune coproduction des internautes et des outils
de traitement informatique59.
Mais alors, comment distinguer la part du travail due la recommandation des
internautes de celle effectue par traitement automatique ? Quels sont les autres
soubassements techniques qui rgissent les modes de visibilit du Web ? Pour
rpondre ces questions, nous nous appuierons majoritairement sur les travaux de
Dominique Cardon.
58
Le terme dalgorithme a t popularis par la prsence de plus en massive du calcul informatique dans nos socits. Il a vu, en mme temps, sa signification stendre. Il dsigne une suite dinstructions et de processus requis pour raliser une tche. Initialement utilis par les mathmaticiens pour dcrire une srie de calculs, le terme sest gnralis pour dsigner les tches automatises de la programmation informatique. Dfinition par CARDON, Dominique, Prsentation , Rseaux 1/ 2013 (n 177), p. 9-21 [Disponible en ligne : www.cairn.info/revue-reseaux-2013-1-page-9.htm] Consult le 7 aout 2014. 59
BENKLER, Yochai, La richesse des rseaux cit par CARDON, Dominique, Prsentation , Rseaux 1/ 2013 (n 177), p. 9-21 [Disponible en ligne : www.cairn.info/revue-reseaux-2013-1-page-9.htm] Consult le 7 aout 2014.
-
26
Si linternaute joue un rle dans le classement des informations, ce sont bien les
moteurs de recherche qui, in fine, ont la main sur les procds techniques qui vont
gouverner et hirarchiser les informations prsentes sur le Web en dcidant que
certaines doivent tre rendues visibles et dautres non. Ainsi, en dcidant de ce qui
doit tre vu, ils encouragent ou dcouragent la confrontation et la discussion,
participent la construction de lagenda public et slectionnent les bons
interlocuteurs60 .
Ainsi, les algorithmes qui permettent de hirarchiser les informations enferment
des principes de classement et de vision du monde61 qui vont structurer la manire
dont les internautes vont pouvoir voir ces informations, ainsi que les itinraires
numriques quils vont tre amens emprunter. Avec le dveloppement des usages
et larrive de logiques marchandes, une vritable guerre la visibilit sest lance
sur Internet. Selon les intrts des uns et des autres, plusieurs critres peuvent
tre enferms dans les algorithmes : le mrite, laudience, la communaut et la
vitesse62 .
Afin de comprendre limportance de la part prescriptive de la technique dans les
modes de reprsentation des utilisateurs, nous nous intresserons dans un premier
temps au PageRank de Google, cet algorithme qui analyse les liens et mesure la
popularit des pages Web dans le but de procder leur classement.
Sur les pages qui prsentent son entreprise, linstar des propos de Yochai
Benkler, la firme de Mountain View prsente le PageRank comme un processus
dmocratique qui fonctionnerait comme un systme de vote et permettrait dlire les
contenus jugs comme tant les plus pertinents sur Internet :
La dmocratie fonctionne sur le Web :
La recherche Google fonctionne, car sa technologie fait confiance aux millions dinternautes qui ajoutent des liens sur leur site Web pour dterminer la valeur du contenu dautres sites. Nous valuons limportance de chaque page Web partir de plus de 200 mesures et de
60
CARDON, Dominique, Prsentation , Rseaux 1/ 2013 (n 177), p. 9-21 [Disponible en ligne : www.cairn.info/revue-reseaux-2013-1-page-9.htm] Consult le 7 aout 2014 61
CARDON, Dominique, La dmocratie internet, promesses et limites , op. cit., p.95 62
Idem.
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27
diverses techniques, dont notre algorithme brevet PageRank qui dtermine les sites "lus" comme les meilleures sources dinformation via dautres pages du Web
63.
Nous voyons bien ici comment, nouveau, Google convoque les imaginaires de la
dmocratie numrique pour lgitimer ses choix techniques, allant mme jusqu
comparer les modes de mise en visibilit du Web un processus lectoral.
Pourtant, nous pouvons considrer qu travers ces processus de lgitimation,
le PageRank est une machine morale [qui] enferme un systme de valeurs,
donnant la prminence ceux qui ont t jugs mritants par les autres64 . Ainsi,
en analysant les discours autour du procd algorithmique qui rgit le classement
des pages indexes par Google, nous pouvons comprendre comment celui-ci a
impos au Web un mode de visibilit qui lui est propre et qui ne repose en rien sur un
processus dmocratique mais sur un jugement moral.
Ainsi, le moteur de recherche impose sa vision dun monde ditorial objectif et
neutre. Cette objectivit repose entirement sur un systme mcanique, mis en
opposition au jugement humain qui tait celui des gate-keepers dans lespace public
traditionnel jug comme irrmdiablement subjectif. Cette automatisation est donc
centrale pour Google qui se refuse effectuer des modifications la main qui
seraient juges comme partiales. Cest donc labsence de jugement possible de la
part des algorithmes qui est prsente comme garante de la neutralit du dispositif65.
Aux Webmasters qui interrogent le moteur de recherche pour savoir comment tre
mieux rfrenc, Google rpond seulement quils doivent dvelopper un site de
qualit66 afin doptimiser les critres qui permettront aux robots dindexation de lire
facilement le contenu du site. Ainsi, le systme du PageRank impose sa vision dun
contenu de qualit en domestiquant les techniques dcritures propres au Web.
63
GOOGLE, Dix repres cls [Disponible en ligne : http://www.google.com/about/company/philosophy/] Consult le 7 aout 2014. 64
CARDON, Dominique, Dans l'esprit du PageRank : Une enqute sur l'algorithme de Google , Rseaux, 2013/1 n 177, p. 63-95. 65
Ibid. 66
GOOGLE, Informations supplmentaires concernant la cration dun site de qualit , [Disponible en ligne : https://sites.google.com/site/Webmasterhelpforum/informations-supplementaires-concernant-la-creation-de-sites-de-qualite] Consult le 7 aout 2014.
-
28
Lexpression des personnes souhaitant tre entendues par le moteur doit sadapter
ce que les robots savent en lire67 :
Ils ont appris la manire dont le robot parcourait les pages du Web : dabord, lURL, puis le titre et les sous-titres, limportance des caractres en gras et en italique, le fait que le PageRank ne garde que la premire ancre dun lien lorsquune mme page est cite plusieurs fois, limportance des tags dans les fichiers images, limpossibilit de crawler les fichiers pdf, etc. Cette intense familiarisation aux moindres procdures de lalgorithme est devenue un savoir-faire dclin en formations, en guides de conseil, et en outils de mesure de la Google-compatibilit des sites
68 .
Cependant, en formatant leurs contenus en fonction de lalgorithme, les
utilisateurs agissent de faon rflexive sur la structure du Web qui se voit ainsi
formate selon un systme de valeur impos. La neutralit revendique par Google
se voit ainsi vince par la forme mme du processus mis en place pour la
rechercher. Ainsi, les rsultats les mieux classs ne seront pas forcment les plus
mritants, mais ceux qui auront t capables de sadapter aux prescriptions du
moteur de recherche.
Le classement des informations ncessite donc des comptences qui ne sont pas
accessibles tous et qui se situent trs loin du processus dmocratique prn par
lentreprise, comme en tmoigne le dveloppement du march du rfrencement qui
a transform une partie du Web en une gigantesque comptition des acteurs
publiants pour se faire voir des algorithmes69 .
La mise en place de processus de rfrencement payant est galement un biais
dans lgalit du classement des informations. Si la volont du moteur de recherche
est de bien diffrencier visuellement les rsultats de ceux qui ont pay pour leur
visibilit de ceux dont le rfrencement est considr comme naturel, les processus
marchands captent tout de mme une part importante du trafic Web qui ne peut alors
tre considr comme un processus galitaire et dmocratique.
Le modle mritocratique de Google se voit de plus chahut par larrive sur
Internet de gros et puissants acteurs comme les entreprises, les mdias traditionnels
67 CARDON, Dominique, Dans l'esprit du PageRank : Une enqute sur l'algorithme de Google , op.
cit. 68
Ibid. 69
Ibid.
-
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ou les institutions. Connus de tous, ils sont trs vite cits par tous sur le Web et
attirent eux suffisamment de liens pour prendre la tte des classements70 . La
hirarchie des informations se voit ainsi domine par des mastodontes, et la visibilit
donne aux propos de chacun ne prsente finalement que peu de diffrences avec
celle qui avait lieu dans les mdias traditionnels, leurs critres de lgitimit stant
ainsi exports dans le monde du Web.
Ainsi, si sur le Web chacun se voit donner la possibilit de crer du contenu, aussi
pertinent soit-il, les mthodes de tri et de classement de linformation sont rgies par
des algorithmes qui, loin dtre aussi neutres que le discours de leurs concepteurs le
laisse entendre, reproduisent les travers de lespace mdiatique traditionnel.
2. LES HASARDS DE LORGANISATION SOCIALE DE
LINFORMATION
Cependant, lmergence de ce qui a t appel le Web 2.0 a permis de mettre
en lumire de nouveaux systmes de mdiation de linformation sappuyant sur
laspect communautaire dInternet. Cette navigation relationnelle permet chacun de
circuler sur les plateformes numriques partir des sociabilits cres sur diffrents
outils en ligne.
A partir de ces traces laisses par leurs amis et les autres utilisateurs du
rseau, les internautes peuvent circuler entre les informations sans avoir recours aux
moteurs de recherche. Ainsi, ce sont les espaces relationnels des individus qui vont
se charger dorganiser les informations, permettant certains contenus mal classs
par les moteurs de recherche traditionnels et qui forment ce qui est appel la
longue trane dInternet dtre consults71.
70
CARDON, Dominique, La dmocratie internet, promesses et limites , op. cit., p.95 71
Ibid.
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30
Ainsi, face aux recherches objectives par les moteurs de recherche, ces modes
de navigation permettent de sappuyer sur les traces laisses par la navigation des
autres. Ce type de navigation permet lusager de circuler de contenu en contenu
sans prsupposer de ce quil va trouver, cest--dire sans effectuer de requte a
priori. Cette dmarche est nomme srendipit. Ce sont donc les agrgats laisss
par dautres personnes, comme par exemple les tags ou les playlists, qui vont
permettre de se dplacer dans lespace numrique. Ces dispositifs permettent de
tenir compte de lide que dans de nombreux cas, les utilisateurs nont pas formul
dintention pralable leur recherche72. Cest par la proximit de leurs intrts que
les internautes vont tre capables de se proposer rciproquement des informations
susceptibles de les intresser :
En invitant chacun rendre publiques informations et productions personnelles et en dveloppant des fonctionnalits de communication et de partage, ces plateformes offrent des opportunits la constitution de formes collectives sur un mode non-prescriptif et rsolument auto-organis. A leur manire, elles favorisent lmergence dune dynamique de bien commun partir de logiques dintrt personnel en articulant de faon originale individualisme et solidarit
73 .
Cependant, il est possible de se demander si ces phnomnes de
recommandation sappuyant sur ces communauts virtuelles ne peuvent pas faire
tomber le systme daccs linformation dans un autre travers tout aussi loign de
tout systme dmocratique.
En effet, malgr la quantit dinformations disponibles en ligne, les informations
consultes par les internautes pourraient ne pas tre si diversifies. Si, comme nous
lavons-vu, le phnomne de srendipit augmente les chances de tomber par
hasard sur des contenus trs diversifis que lon naurait sans doute pas consult en
effectuant une recherche sur un moteur ddi, le regroupement de communauts en
rseaux augmente les chances de se contenter de linformation diffuse par ses
pairs, entrainant une uniformisation de lopinion dans des entre-soi , participant
72
CARDON, Dominique, Le design de la visibilit , Rseaux 6/ 2008 (n 152), p. 93-137 [Disponible en ligne : www.cairn.info/revue-reseaux-2008-6-page-93.htm] Consult le 7 aout 2014. 73
Ibid.
-
31
ainsi au phnomne de balkanisation des opinions sur Internet, phnomne surtout
observable chez les internautes dont les positions sont juges extrmistes74.
Ainsi, si la logique de diversit des informations et des opinions est au cur des
principes qui rgissent le Web et ses imaginaires, nous avons observ ici que les
mthodes de classement des informations ont tendance ractualiser le systme de
hirarchisation qui existait dj dans lespace public traditionnel. Ce tri nest toutefois
plus opr a priori, mais aprs publication. Les phnomnes de sociabilits qui
investissent le Web permettent cependant de rendre visible les lments qui
composent la longue trane des contenus faible audience, le phnomne le plus
radicalement dmocratique de lInternet75 . Cependant, les logiques marchandes
investissent elles-aussi de plus en plus les territoires de la sociabilit en devenant
amies avec les internautes, qui adoptent eux-mmes des comportements de
plus en plus stratgiques pour agir sur les mesures daudience et gagner en
rputation76 .
Les plateformes sociales modifient alors elles aussi leurs algorithmes et se
laissent entraner dans des logiques marchandes qui nuisent la dcouverte de la
diversit des contenus prsents sur le Web. De plus, les internautes, de plus en plus
conscients du contre-pouvoir que peuvent leur offrir ces plateformes, se transforment
en experts et laborent des stratgies pour se faire connatre et devenir influents.
Aussi, il convient de se demander comment les internautes apprivoisent ces
nouveaux outils afin de permettre leurs ides et opinions de circuler largement de
faon se faire entendre dans un espace public qui a vu le volume de ses
contributions augmenter de faon importante.
74
FLICHY, Patrice, Internet et le dbat dmocratique , op. cit. 75
CARDON, Dominique, La dmocratie internet, promesses et limites , op. cit., p.98 76
Ibid.
-
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C. Diffusion des informations sur Internet : la viralit
nest pas un processus galitaire
1. DECONSTRUIRE LA PRESUPPOSITION DEGALITE
Katz et Lazarsfeld ont trs tt minimis le rle des medias dans la formation des
opinions en dveloppant la thorie de la communication double tage. Cette
thorie avance que ladoption dune opinion ou dun comportement au sein de
groupes sociaux homognes se ralise en deux temps. Tout dabord, les messages
diffuss par les mdias sont reus par des leaders dopinion considrs comme
des autorits influentes au sein de leur groupe. Dans un second temps, ces
influenceurs vont devenir des prescripteurs auprs des individus qui composent leur
groupe social dinfluence, permettant lopinion en question dtre adopte
massivement77.
La figure du leader dopinion dveloppe par Katz et Lazarsfeld dans leur modle
de linfluence interpersonnelle se concentre donc autour dune zone sociale
dinfluence dlimite appele groupe primaire . Ces groupes peuvent tre
caractriss par leur petite taille, leur dure relative, leur style informel, leurs
contacts en face face et leurs finalits plus ou moins spcialises78 . La figure du
leader dopinion se voit ainsi accorder une lgitimit dans des domaines plus ou
moins restreints dans lesquels une expertise particulire lui est reconnue.
Cependant, ces processus dinfluences sont fonds sur une crdibilit acquise
dans les interactions de la vie quotidienne79 .
Dsormais, sur Internet, les schmas de diffusion de linformation ne fonctionnent
plus uniquement selon le partage dinformations entre interlocuteurs connus. Cest
pourquoi il est ncessaire de se rapproprier les schmas et les analyses de la
77
RAMPON, Jean-Michel, Elihu KATZ et Paul L. LAZARSFELD (1955/2008), Influence personnelle. Ce que les gens font des mdias , Communication Vol. 29/1, 2011 [Disponible en ligne : http://communication.revues.org/2550] Publi le 04 octobre 2011, consult le 08 aot 2014. 78
PASQUIER, Dominique, Les jugements profanes en ligne sous le regard des sciences sociales , Rseaux 1/ 2014 (n 183), p. 9-25 [Disponible en ligne : www.cairn.info/revue-reseaux-2014-1-page-9.htm.] Consult le 8 aout 2014. 79
Ibid.
-
33
circulation de linformation au prisme de lInternet et des rseaux sociaux pour
comprendre comment peuvent sy propager les diffrents contenus.
Ltude des mcanismes de diffusion des informations sur Internet sattache donc
dgager comment certains individus sont capables de permettre leurs ides
dtre diffuses massivement. Sil est difficile de mesurer concrtement lactivit
gnre par un contact particulier dans la diffusion dune opinion, on peut tout de
mme penser que sur Internet, ce qui peut caractriser un influenceur serait sa
propension susciter la discussion80. Sur ce point, un parallle peut donc tre fait
avec les mdias traditionnels et la notion dagenda setting que nous avons dj
voque auparavant.
Alban Martin nomme gocratie cette facult dinfluence, consistant faire
entendre sa voix plus que celle du voisin81 quil dfinit comme une prise plus
directe sur la production de la volont gnrale lors de la dlibration entre
reprsentants, via lappropriation personnelle de la cration dune opinion
publique82 . Ainsi, la diffusion dune ide sur le Web orchestre par une minorit
pourra avoir une influence notable sur les termes du dbat qui concernent tous les
citoyens.
Si aujourdhui tout le monde peut sexprimer sur le rseau, on ne peut pas
considrer que tous les citoyens ont la possibilit de faire rsonner leur voix de
manire gale, et de se faire entendre du plus grand nombre. Ce qui caractrise les
individus capables de se transformer en leaders dopinions et de faire circuler
largement leurs ides, outre les personnalits publiques et politiques dj connues
grce aux mdias traditionnels qui par leur popularit prcdemment acquise ont
une influence sur ceux qui les suivent sur Internet, est la comprhension des codes
de communication propres au rseau.
Lexemple des pigeons , ces entrepreneurs en colre contre les rformes de la
fiscalit induites par le Budget 2013, est ce titre une bonne illustration. Initi sur les
rseaux sociaux, ce mouvement qui se revendiqu[ait] anonyme, non organis, sans
80
BOULLIER, Dominique et LOHARD, Audrey. Chapitre 3. Le sourcing In Opinion mining et Sentiment analysis : Mthodes et outils , op. cit. 81
MARTIN, Alban, Egocratie et Dmocratie. La ncessit de nouvelles technologies politiques , op. cit. p.12 82
Ibid, p.66
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objectif ni financement et apolitique83 a rapidement pris de lampleur avant dtre
relay par les mdias traditionnels. N dune conversation prive sur Facebook84 le
28 septembre 2012, ce mouvement sest rapidement organis afin dorchestrer sa
propagation. Trs vite, une page Facebook est cre, suivie dun compte Twitter et
dun site Internet. Le hashtag #geonpi va par la suite tre largement diffus par de
nombreux auto-entrepreurs85, jusqu ce que les mdias traditionnels semparent
leur tour du sujet. En effectuant une recherche personnalise sur Google avec le mot
cl pigeons , nous pouvons constater que de nombreux articles de mdias
traditionnels en ligne ont t publis entre le 1er et le 4 octobre 2012, soit trois jours
aprs la naissance de ce mouvement de protestation en ligne, comme par exemple
sur le site du Monde86 le 1er octobre, ou encore sur le site de Libration87 le 2 octobre
ou du Figaro88 le 4 octobre.
Toutefois, le succs de ce mouvement n sur Internet ne semble pas tre le fruit
du hasard. En effet, le site Internet defensepigeons.org a t enregistr par une
agence de communication, Yopps89, dont le Web et les rseaux sociaux sont les
domaines dexpertise. Les pages Facebook et Twitter ont t cres par Fabien
Cohen et Carlos Dias, respectivement patron de Whoozer 90 et fondateur de
BlueKiwi9192. Nous voyons bien ici que le buzz engendr par le mouvement des
83
RAYMOND, Gregory "Pigeons" : d'un change Facebook au recul du gouvernement, autopsie d'un buzz , Huffington Post [Disponible en ligne : http://www.huffingtonpost.fr/2012/10/04/pigeons-geonpi-entrepreneurs-buzz-moscovici_n_1939291.html] Publi le 4 octobre 2012, Consult le 18 juillet 2014 84
SAMUEL, Laurent Pigeons, gense dune mobilisation efficace , Le Monde [Disponible en ligne : http://www.lemonde.fr/politique/article/2012/10/04/pigeons-genese-d-une-mobilisation-efficace_1770123_823448.html] Publi le 4 octobre 2012, Consult le 18 juillet 2014 85
RAYMOND, Gregory "Pigeons" : d'un change Facebook au recul du gouvernement, autopsie d'un buzz , Huffington Post [Disponible en ligne : http://www.huffingtonpost.fr/2012/10/04/pigeons-geonpi-entrepreneurs-buzz-moscovici_n_1939291.html] Publi le 4 octobre 2012, Consult le 18 juillet 2014 86
SAMUEL, Laurent, Pigeons, la grogne des entrepreneurs gagne la toile , Le Monde [Disponible en ligne : http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/10/01/pigeons-la-grogne-des-entrepreneurs-gagne-la-toile_1768408_3234.html] Publi le 1er octobre 2012, Consult le 18 juillet 2014 87
ALBERTINI, Dominique, Entrepreneurs, des pigeons pas si plums , Libration [Disponible en ligne : http://www.liberation.fr/economie/2012/10/02/entrepreneurs-des-pigeons-pas-si-plumes_850287] Publi le 2 octobre 2012, Consult le 18 juillet 2014 88
LE GALES, Yann et CHAPERON, Isabelle, La rvolte fiscale des patrons des start-up se rpand , Le Figaro [Disponible en ligne : http://www.lefigaro.fr/entrepreneur/2012/10/03/09007-20121003ARTFIG00702-la-revolte-fiscale-des-entrepreneurs-est-allumee.php?cmtpage=0#comments-20121003ARTFIG00702] Publi le 4 octobre 2012, Consult le 18 juillet 2014 89
YOPPS [Disponible en ligne : http://www.yopps.fr/] Consult le 18 juillet 2014 90
Whoozer est une application mobile de rseau social de proximit 91
BlueKiwi est un rseau social dentreprise
-
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pigeons na pas t gnr par nimporte qui, mais a t cr par une minorit
capable de sappuyer sur leur expertise et leur matrise des codes de communication
du rseau pour diffuser largement leurs ides et peser sur le dbat public.
Remarquons quau final, leurs revendications ont t prises en compte par le
gouvernement qui a modifi son projet de loi.
De la mme manire, la diffusion de la campagne Bring Back Our Girls cite
prcdemment na rellement t massive qu partir du moment o celle-ci a
commenc tre reprise par des personnalits publiques et politiques qui ont permis
de diffuser largement le message pour en faire un sujet central de lagenda
mdiatique, linstar de la premire dame des Etats-Unis.
Cette aptitude de quelques-uns focaliser lattention du plus grand nombre sur
leurs prises de parole fait donc tomber la prsupposition dgalit propre aux
imaginaires dInternet. Toutes les prises de paroles ne sont pas galitaires sur le
rseau, et tout le monde nest pas capable de se faire entendre de la mme manire.
Pour se faire entendre il faut tre capable de matriser techniquement le rseau et
connatre les modalits de la diffusion virale dune information. De plus, la
valorisation excessive de la prise de parole en ligne fait oublier que sont exclus, de
fait, tous ceux qui ne participent pas ou nont pas accs au rseau.
Lide selon laquelle, la multiplication des opinions sur un mme sujet tend
rduire la part de subjectivit individuelle et garantit une meilleure fiabilit du
jugement93 est donc exclure car elle occulte certains effets lis au rseau quant
la trs ingale participation des internautes :
Les mondes de lvaluation nchappent pas la loi de puissance qui rgit la plupart des univers du Web 2.0. Il y a un fort dsquilibre dans lintensit de la pratique, avec un petit nombre dinternautes trs actifs opposs un grand nombre dautres qui ninterviennent que ponctuellement
94 .
92
SAMUEL, Laurent Pigeons, gense dune mobilisation efficace , Le Monde [Disponible en ligne : http://www.lemonde.fr/politique/article/2012/10/04/pigeons-genese-d-une-mobilisation-efficace_1770123_823448.html] Publ