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Envie et gratitude
Table des matières
Avant-propos 2
Chapitre premier 4
Chapitre II 11
Chapitre III 20
Chapitre IV 24
Chapitre V 35
Chapitre VI 49
Chapitre VII 56
Conclusion 66
Avant-propos
II y a déjà un certain temps que je cherche à découvrir l’origine de deux attitudes, connues
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depuis toujours : l’envie et la gratitude. Je suis arrivée à la conclusion que l’envie était le
facteur le plus actif pour saper, à leur base même, l’amour et la gratitude, dans la mesure où
elle s’attaquait à la plus archaïque de toutes les relations humaines : la relation à la mère. Le
rôle fondamental que joue cette première relation tout au long de la vie affective du sujet a
déjà été établi par un grand nombre de travaux psychanalytiques. Mais, en explorant plus
avant un facteur spécifique, qui est sans doute à l’œuvre dès le plus jeune âge, je pense avoir
apporté une contribution substantielle à mes travaux précédents sur le développement de
l’enfant et la formation de la personnalité.
Je considère que l’envie est une manifestation sadique-orale et sadique-anale des pulsions
destructives, qu’elle intervient dès le commencement de la vie et qu’elle a une base
constitutionnelle. Ces conclusions concordent sur bien des points avec celles de Karl
Abraham tout en s’en écartant pour une part. Abraham a en effet découvert que l’envie est
un élément oral mais — et c’est en cela que nos conceptions diffèrent — il supposa que
l’envie et l’hostilité n’entrent en action qu’à une phase plus tardive qui constitue, selon lui, le
deuxième stade du développement : le stade sadique-oral. En outre, si Abraham ne parle pas
de gratitude, il décrit la générosité comme un élément oral. Il considère enfin que l’envie
comporte d’importants éléments anaux et il insiste sur le fait qu’ils dérivent des pulsions
sadiques-orales.
Je me trouve fondamentalement d’accord avec Abraham
encore sur un autre point, à savoir son hypothèse selon laquelle un facteur constitutionnelpréside à l’intensité des pulsions orales, qu’il rattache à l’étiologie de la psychose maniaco-
dépressive.
Mais surtout, tant l’œuvre d’Abraham que la mienne soulignent et approfondissent la
signification des pulsions de destruction. Dans son Esquisse du développement de la libido à la
lumière des troubles mentaux (1924), Abraham ne mentionne pas l’hypothèse freudienne de
l’instinct de vie et de l’instinct de mort, bien que Au-delà du principe de plaisir ait paru quatre
ans plus tôt. Pourtant, dans son livre, Abraham cherche à mettre au jour les racines des
pulsions de destruction et trouve là de quoi expliquer l’étiologie des maladies mentales d’unefaçon plus spécifique qu’on ne l’avait fait jusqu’alors. Bien qu’Abraham n’ait pas eu recours
au concept freudien d’instincts de vie et de mort, il me semble que ses recherches cliniques,
notamment ses analyses de malades maniaco-dépressifs — les premières à avoir été tentées
— s’appuyaient déjà sur une intuition qui l’aurait mené dans une direction analogue. Sa mort
prématurée l’a sans doute empêché de saisir toute la portée de ses propres découvertes
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comme leur relation à l’opposition freudienne des instincts de vie et de mort.
Au moment de publier cet ouvrage, trente ans après sa mort, c’est pour moi une grande
satisfaction de savoir que mon travail a contribué à faire reconnaître l’importance croissante
des découvertes de Karl Abraham.
Chapitre premier
Je me propose dans ce livre de présenter de nouvelles hypothèses concernant la vie affective
du très jeune enfant et d’en tirer quelques conclusions sur l’âge adulte et la santé mentale. Les
découvertes freudiennes postulent que l’exploration du passé d’un patient, de son enfance et
de son inconscient, est indispensable à la compréhension de la personnalité adulte. En
dévoilant le complexe d’Œdipe chez l’adulte, Freud s’est appliqué à reconstruire le conflit
œdipien non seulement dans ses détails mais aussi dans son parcours temporel. Lesrecherches poursuivies dans cette voie par Karl Abraham ont considérablement enrichi une
telle démarche qui caractérise aujourd’hui la méthode psychanalytique. N’oublions pas que,
selon Freud, la partie consciente du psychisme se développe à partir de l’inconscient. Le
matériel que m’ont fourni l’analyse des enfants puis celle des adultes, j’ai cherché à en
retrouver les sources dans la prime enfance : ce faisant, ma démarche a été celle de la
psychanalyse. Les observations recueillies auprès des jeunes enfants ne tardèrent pas à
corroborer les découvertes de Freud. Certaines de mes conclusions concernant un stade
encore bien antérieur, à savoir les toutes premières années de la vie, peuvent également êtreconfirmées jusqu’à un certain point par l’observation. Freud, dans le passage suivant, établit
de façon fort convaincante le droit — en fait, la nécessité — de reconstruire, à partir du
matériel fourni par nos patients, les particularités et les données concernant les stades
précoces :
« Ce que nous souhaitons, c’est une image fidèle des années oubliées par le patient, image
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sens plus large, comme une source de vie. Cette intimité physique et psychique avec le sein
gratifiant réinstaure dans une certaine mesure — si les choses se déroulent bien — l’unité
prénatale avec la mère, ainsi que le sentiment de sécurité qui l’accompagne. Ceci suppose que
le nourrisson est à même d’investir suffisamment le sein maternel ou sa représentation
symbolique, à savoir le biberon
; ainsi la mère devient un objet aimé. Avoir fait partie du
corps maternel durant la gestation contribue sans doute au sentiment inné de l’enfant qu’il
existe, extérieur à lui, quelque chose qui est capable de combler tous ses besoins et tous ses
désirs. Le bon sein ainsi incorporé fait dès lors partie intégrante du moi ; l’enfant qui se
trouvait d’abord à l’intérieur de la mère place maintenant la mère à l’intérieur de lui-même.
L’état prénatal s’accompagne à coup sûr d’un sentiment d’unité et de sécurité avec la mère ;
mais la mesure dans laquelle ce climat demeure stable dépend des conditions physiques et
psychologiques de la mère, et peut-être de certains facteurs encore inexplorés chez l’enfant in
utero. On peut voir dans cette nostalgie — universelle — ! d’un stade prénatal l’expression
d’un besoin d’idéalisation. Une source d’une telle nostalgie pourrait bien être alors l’intense
angoisse persécutive que déclenche la naissance. Nous pouvons imaginer que cette première
forme sous laquelle se manifeste l’angoisse s’étend aux expériences désagréables vécues, in
utero, qui s’associent au sentiment de sécurité ; serait ainsi préfigurée la dualité de la relation à
la mère : le bon et le mauvais sein.
Les circonstances extérieures jouent un rôle vital dans la relation initiale au sein. Un
accouchement difficile, entraînant des complications telles qu’une anoxie, peut perturberl’adaptation du sujet au monde extérieur ; la relation au sein maternel s’en trouve affectée dès
le départ. Dans de tels cas, la faculté de découvrir de nouvelles sources de gratification est
altérée ; le nouveau-né ne peut suffisamment intérioriser un véritable bon objet originel. La
capacité d’accepter le lait avec plaisir et d’intérioriser le bon sein se trouve soumise à divers
facteurs selon que l’allaitement et le « maternage » sont plus ou moins adéquats, que la mère
prend plaisir aux soins qu’elle prodigue à l’enfant ou bien que, anxieuse, elle éprouve des
difficultés psychologiques à le nourrir.
Un élément de frustration est nécessairement introduit dans la toute première relation del’enfant au sein maternel car toute situation d’allaitement, pour heureuse qu’elle soit, ne
saurait remplacer intégralement l’unité prénatale avec la mère. D’autre part, ce à quoi aspire
l’enfant, c’est à un sein inépuisable et omniprésent et cette aspiration ne dérive pas
uniquement d’un besoin alimentaire et de désirs libidinaux. En effet, même aux stades
initiaux, le besoin d’un amour maternel qui serait constamment témoigné est
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fondamentalement lié à l’angoisse. La lutte entre les instincts de vie et les instincts de mort,
ce qu’une telle lutte entraîne de menace d’anéantissement du soi et de l’objet par des pulsions
destructives constituent des facteurs fondamentaux de la relation initiale à la mère. Car les
désirs de l’enfant signifient que le sein maternel d’abord, puis que la mère elle-même écartent
de lui ces pulsions destructives et lui épargnent la souffrance engendrée par l’angoisse de
persécution.
Aux expériences heureuses se mêlent des griefs inévitables qui viennent renforcer le conflit
inné entre l’amour et la haine, ou, plus radicalement, le conflit entre les instincts de vie et de
mort, donnant ainsi naissance au sentiment qu’il existe un bon et un mauvais sein. La vie
affective précoce se trouve alors caractérisée par la sensation de perdre et de recouvrer le
bon objet. Par conflit inné entre l’amour et la haine, j’entends que la capacité d’éprouver à la
fois l’amour et les pulsions destructives est, dans une certaine mesure, constitutionnelle bien
que son intensité puisse varier selon les sujets et être influencée dès le départ par les
conditions extérieures.
A plusieurs reprises, j’ai déjà avancé l’hypothèse selon laquelle le bon objet originel, à savoir
le sein maternel, constitue le noyau du moi et contribue à sa croissance de façon vitale ; j’ai
souvent décrit comment l’enfant ressentait qu’il intériorisait concrètement le sein et le lait
maternel. Dès lors s’établit dans son psychisme un rapport mal défini entre le sein et les
autres parties ou les autres aspects de la mère.
Je ne dis pas que le sein représente simplement pour l’enfant un objet physique. L’ensembledes désirs et des fantasmes inconscients tend à parer le sein de qualités qui dépassent de loin
la fonction de nutrition en tant que telle 1.
L’analyse de nos patients montre que le bon sein est le prototype de la bonté maternelle, de
la patience et de
la générosité inépuisable, ainsi que de la créativité. Ce
sont précisément ces fantasmes et ces besoins pulsionnels qui enrichissent l’objet originel au
point de le constituer comme le fondement de l’espoir, de la confiance et de la croyance dans
le bien.
J’aborde dans cet ouvrage un aspect particulier de ces toutes premières relations d’objet et
des processus d’intériorisation, dont la source réside dans l’oralité. Je veux parler des effets
qu’exerce l’envie sur le développement de l’aptitude à la gratitude et au bonheur. L’envie
contribue à rendre l’élaboration du bon objet difficile à l’enfant : il sent que le sein s’est
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emparé à son propre profit de la gratification dont il a été, lui, privé ; le sein est ainsi
vécu
comme responsable de sa frustration a.
Il convient d’établir une distinction entre l’envie, la jalousie et l’avidité. L’envie est lesentiment de colère qu’éprouve un sujet quand il craint qu’un autre ne possède quelque
chose de désirable et n’en jouisse ; l’impulsion envieuse tend à s’emparer de cet objet ou à
l’endommager. La jalousie se fonde sur l’envie mais, alors que l’envie implique une relation
du sujet à une seule personne et remonte à la toute première relation exclusive avec la mère,
la jalousie comporte une relation avec deux personnes au moins et concerne principalement
l’amour que le sujet sent comme lui étant dû, amour qui lui a été ravi — ou pourrait l’être —
par un rival. Selon l’idée commune, la jalousie est le sentiment qu’éprouve l’homme ou la
femme d’être privé de la personne aimée par quelqu’un d’autre.L’avidité est la marque d’un désir impérieux et insatiable, qui va à la fois au-delà de ce dont le
sujet a besoin et au-delà de ce que l’objet peut ou veut lui accorder. Au niveau de
l’inconscient, l’avidité cherche essentiellement à vider, à épuiser ou à dévorer le sein
maternel ; c’est dire que son but est une introjection destructive. L’envie, elle, ne vise pas
seulement à la déprédation du sein maternel, elle tend en outre à introduire dans la mère,
avant tout dans son sein, tout ce qui est mauvais, et d’abord les, mauvais excréments et les
mauvaises parties du soi, afin de la détériorer et de la détruire. Ce qui, au sens le plus
profond, signifie détruire sa créativité.Un tel processus, qui dérive de pulsions sadiques-urétrales et sadiques-anales, je l’ai défini
ailleurs 1 comme étant un aspect destructif de l’identification projective qui se manifeste dès
le commencement de la vie 2. Du fait de leurs rapports étroits, l’on ne peut séparer
rigoureusement l’avidité de l’envie, mais une différence essentielle s’impose pour autant que
l’avidité se trouve surtout liée à l’introjection, l’envie à la projection.
Selon le Shorler Oxford Didionary, la jalousie est éveillée chez un sujet quand quelqu’un d’autre
lui a ôté ou a reçu le « bien » lui appartenant de droit. Dans ce contexte, je définirais le
«
bien
» comme étant le bon sein, la mère,
1.« Notes sur quelques mécanismes schizoïdes » (Développements de la psychanalyse).
2. Le Dr Elliott Jaques a attiré mon attention sur la racine étymologique du mot envie , du
latin invidia qui dérive du verbe invideo — regarder quelqu’un de travers, le considérer avec
méfiance ou rancune, lui jeter le mauvais œil, envier ou garder rancune à quelqu’un. On en
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trouve un exemple dans la phrase de Cicéron, dont la traduction signifie : « Provoquer un
malheur par le mauvais œil. » Ceci confirme la distinction que j’établis entre l’envie et
l’avidité, en soulignant le caractère projectif de l’envie.
l’être aimé, dont quelqu’un d’autre s’est emparé. Selon les Engtish Synonyms de Crabb..., « la
jalousie est la crainte de perdre ce qu’on possède ; l’envie est la souffrance de voir quelqu’un
d’autre posséder ce qu’on désire pour soi-même. [...] Le plaisir d’autrui tourmente l’envieux
qui ne se complaît que dans la détresse des autres. Ainsi tout effort pour satisfaire un être
envieux demeure stérile. » Toujours selon Crabb, « la jalousie est une passion noble ou
ignoble selon l’objet. Dans le premier cas, elle se traduit par une émulation aiguisée par la
crainte, dans le second, par une avidité stimulée par la crainte. L’envie est toujours une
passion vile, entraînant les pires passions dans son sillage. »
L’attitude générale envers la jalousie diffère de celle que l’on témoigne à l’égard de l’envie.Dans certains pays (notamment en France), un crime passionnel dont le mobile est la jalousie
bénéficie de circonstances atténuantes, cela en raison du sentiment, universellement répandu,
selon lequel le meurtre d’un rival implique l’amour envers l’infidèle. Ce qui signifie, dans
notre terminologie, que l’amour pour le « bien » existe et que l’objet aimé n’est pas
endommagé ou détérioré comme il le serait par l’envie.
Othello, en proie à la jalousie, détruit l’objet qu’il aime, ce qui caractérise, à mon avis, « une
passion ignoble » (selon les termes de Crabb) : l’avidité stimulée par la crainte. La jalousie est
dépeinte en tant que qualité inhérente à l’individu
:But jealous souts witl not be answer’d so ;
They are not ever jealous for the cause,
But jealous for they are jealous ; ’tis a monsler Begol upon ilself, born on ilself".
On pourrait dire que l’envieux est insatiable, toujours insatisfait, car l’envie, profondément
enracinée en lui, trouve aisément un objet sur lequel converger. Ceci nous montre également
le lien étroit qui existe entre la jalousie, l’envie et l’avidité.
Shakespeare ne semble pas toujours distinguer l’envie et la jalousie. Ces vers d’Othello
illustrent clairement la
signification de l’envie telle que je viens de la définir :
Oh beware my Lord of jealousy ;
Il is the green-eyed monsler which dolh mock
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The méat il feeds on3...
Comment ne pas évoquer ici l’expression « mordre la main qui vous nounit » qu’on peut
presque entendre ainsi : mordre, détruire et détériorer le sein maternel ?
O Seigneur , prenez garde à la jalousie
; C'est le monslre aux yeux verts qui nargue La chair même dont il serepaît...
Chapitre II
i
Mon expérience clinique m’a appris que le sein nourricier représente pour le nourrisson
quelque chose qui possède tout ce qu’il désire ; il est une source inépuisable de lait et
d’amour qu’il se réserve pourtant pour sa propre satisfaction : ainsi est-il le premier objet à
être envié par l’enfant4. Ce sentiment ne fait qu’intensifier sa haine et sa revendication et
perturbe ainsi la relation à la mère. Les formes excessives que peut revêtir l’envie dénotent
que les éléments paranoïdes et schizoïdes sont particulièrement intenses ; un tel enfant peut
être considéré comme malade.
Dans ce chapitre, je ne parlerai que de l’envie primordiale à l’égard du sein maternel, bien
différente des formes qu’elle affectera par la suite (que l’on retrouve aussi bien chez la fille
qui désire prendre la place de sa mère que dans la position féminine du jeune garçon),
formes où elle ne s’attache pas uniquement au sein mais se trouve déplacée sur la mère qui
reçoit le pénis du père, qui porte des enfants dans son ventre, les met au monde et les
nourrit.
J’ai souvent parlé des attaques sadiques contre le sein maternel qui naissent des pulsions
destructives. Je voudrais ajouter ici que l’envie confère à ces attaques une force particulière.
Lorsque je me référais aux fantasmes infantiles qui se proposent d’évider avidement le sein et
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le corps maternel, de détruire les enfants que la mère porte
en elle et de déposer dans son corps de mauvais excréments 5, j’anticipais sur ce que je
devais nommer plus tard la détérioration envieuse de l’objet.
Si nous tenons compte du fait que la privation accroît l’avidité et l’angoisse de persécution, etqu’il existe dans l’esprit de l’enfant le fantasme d’un sein inépuisable — c’est là son désir le
plus grand —, l’on comprend de quelle façon s’installe l’envie, même si l’enfant est
insuffisamment nourri, if semble que, pour l’enfant, le sein qui le prive devienne mauvais,
comme s’il gardait pour son propre compte le lait, l’amour et les soins qui se trouvent
associés au bon sein. L’enfant se met à haïr et à envier ce sein avare et parcimonieux.
On conçoit mieux que le sein satisfaisant puisse être également envié. C’est précisément la
facilité avec laquelle il dispense le lait — et gratifie ainsi l’enfant — qui suscite l’envie,
comme si ce don était inaccessible.Cette envie primitive pourra être revécue dans la situation transférentielle. Prenons un
exemple : l’analyste vient de donner une interprétation ayant soulagé la détresse du patient
qui, dès lors, reprend confiance. Certains patients, et ceci peut être vrai pour le même patient
à des moments donnés de son analyse, soumettent une telle interprétation à une critique
destructive et cessent aussitôt de la ressentir comme un don bénéfique et enrichissant. Leur
critique peut porter sur des détails : l’interprétation aurait dû être faite plus tôt ; ou bien elle
était trop longue et a troublé les associations du patient ; ou, trop brève, elle reflète un
manque de compréhension. LeÎjatient envieux n’accorde qu’à contrecœur à l’analyste e succès de son entreprise ; s’il sent
que l’analyste et l’aide qu’il apporte se trouvent détériorés et dévalorisés du fait de sa critique
envieuse, il lui devient impossible d’introjecter l’analyste en tant que bon objet ou d’accepter
et d’assimiler ses interprétations avec une conviction suffisante. Une conviction réelle, telle
qu’elle apparaît chez les patients moins envieux, comporte un sentiment de gratitude pour le
don reçu. Le patient envieux peut encore se sentir indigne de bénéficier de l’analyse : il est
coupable d’avoir déprécié l’aide qui lui fut prodiguée.
Il va sans dire que nos patients nous critiquent pour diverses raisons, dont certaines sont
justifiées. Mais le besoin qu’éprouve un patient de dévaloriser le travail analytique, dont il
vient de ressentir l’utilité, est l’expression même de l’envie. Grâce au transfert, nous
découvrons la racine de l’envie lorsque nous pouvons ramener les situations émotionnelles
vécues à des stades précoces jusqu’à la situation primordiale. La critique destructive est
particulièrement évidente et ouvertement exprimée par les patients paranoïaques qui
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trouvent un plaisir sadique à dénigrer le travail de l’analyste malgré le soulagement qu’il leur
procure. Avec d’autres patients, bien que la critique joue un rôle tout aussi important, elle
demeure implicite, voire inconsciente. L’expérience m’a montré que, dans ces cas, la
progression de l’analyse se trouve ralentie par l’envie. Les doutes et les incertitudes
persistantes quant à la valeur de l’analyse viennent de ce que le patient a scindé la partie
envieuse, hostile de son soi et présente constamment à l’analyste certains aspects qu’il croit
plus acceptables. Cependant ces parties clivées exercent une influence considérable sur le
cours de l’analyse qui, en fin de compte, ne devient vraiment efficace qu’en aboutissant à
l’intégration et en s’adressant à la personnalité globale. D’autres patients cherchent à éviter la
critique en étant confus ; la confusion n’est pas seulement une défense, elle reflète aussi un
certain doute : l’analyste demeure-t-il une bonne image ? ou, au contraire, l’analyste et l’aide
qu’il apporte ne sont-ils pas devenus mauvais pour avoir été soumis à la critique hostile du
patient
? Cette incertitude peut être rattachée aux sentiments de confusion qui sont une des
conséquences d’une perturbation survenue au cours de la toute première relation au sein
maternel. L’enfant qui, de par l’intensité des mécanismes paranoïdes et schizoïdes et la force
de son envie, ne parvient pas à départager l’amour de la haine, et, par conséquent, à
maintenir une séparation entre le bon et le mauvais objet, confondra par la suite, dans
d’autres situations, ce qui est bon et ce qui est mauvais.
C’est ainsi que l’envie et les défenses qui s’y opposent jouent un rôle important dans la
réaction thérapeutique négative ; elles se surajoutent aux facteurs décrits d’abord par Freud
puis par Joan Rivière 6.
Car l’édification7 progressive du bon objet dans la situation transférentielle est entravée par
l’envie et par les attitudes qui en découlent. Si la bonne nourriture et le bon objet originel
n’ont pu être acceptés et assimilés à un stade précoce, cela se répète dans le transfert et
retentit sur le cours de l’analyse.
En nous servant du matériel analytique, nous pouvons grâce à la perlaboration8 de situations
antérieures, reconstruire les sentiments éprouvés par le patient à l’égard du sein maternel,
lors de sa première enfance. Le nourrisson sent, par exemple, que le lait coule trop vite outrop lentement à son gré ou qu’il n’a pas été mis au sein au moment où il le désirait ; et,
lorsqu’on le lui présente, il ne voudra pas l’accepter : il s’en détourne et se met à sucer ses
doigts. Quand bien même il finirait par l’accepter, il ne prendra alors que peu de lait, ou bien
la tétée se trouve perturbée. Il est certain que beaucoup d’enfants éprouvent de grandes
difficultés à surmonter des griefs de cet ordre. D’autres y parviennent, même si ces griefs
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reposent sur des frustrations réelles : ils prennent le sein et en jouissent pleinement. Certains,
parmi nos patients, croient savoir que leur allaitement a été satisfaisant ; ils ont pu éliminer
par un clivage leurs ressentiments, leur envie et leur haine qui, cependant, s’inscrivent dans le
développement de leur caractère. Ce processus se révèle clairement dans la situation
transférentielle. Le désir initial de faire plaisir à la mère, le désir ardent d’être aimé, ainsi que
le besoin d’être protégé contre les conséquences de leurs propres pulsions destructives, se
retrouvent dans l’analyse de certains patients : ils favorisent la coopération ; mais leur envie
et la haine, détachées par clivage, sont alors partie intégrante de la réaction thérapeutique
négative.
1. En fait le nourrisson a pu manquer de lait ou n’avoir pas été nourri au moment où il le
desirait le plus ; ou encore n’avoir pas été nourri de façon satisfaisante pour lui : le lait avait
un débit trop rapide ou au contraire trop lent. La façon de tenir l’enfant, le fait qu’il se sentait
confortable ou non ; l’attitude de la mère à l’égard de l'allaitement, le plaisir qu’elle y prenait
ou l’angoisse qu’elle en ressentait, le fait que l’enfant ait été nourri au sein ou au biberon :
tous ces facteurs jouent, dans chaque cas particulier, un rôle très important.
ii
J’ai déjà souligné à quel point le nourrisson désire que le sein maternel soit inépuisable et
omniprésent. Et il apparaît par tout ce qui précède qu’il ne s’agit pas là seulement d’un désir
de nourriture ; l’enfant voudrait aussi être débarrassé de ses pulsions destructives et de son
angoisse persécutive. Au cours des analyses d’adultes, on retrouve ce souhait d’une mèreomnipotente, capable de protéger le sujet contre toutes les souffrances et tous les maux
provenant de l’intérieur comme de l’extérieur.
Remarquons à ce propos, en passant, que les nouvelles méthodes d’alimentation, assurément
moins strictes et mieux adaptées que celles qui soumettaient l’allaitement à un horaire rigide,
ne sauraient pour autant éviter complètement les difficultés de l’enfant car la mère est
incapable d’éliminer toutes les pulsions destructives et toute l’angoisse persécutive du
nourrisson. D’autre part, la sollicitude exagérée d’une mère anxieuse, qui tend à nourrir
l’enfant dès qu’il pleure, est bien loin de le soulager
: il perçoit l’anxiété maternelle, ce quirenforce la sienne. J’ai entendu des adultes qui se plaignaient de n’avoir pas eu la possibilité
de pleurer à leur aise, de n’avoir pu exprimer par là leur anxiété et leur chagrin (et, ce faisant,
y trouver uû soulagement) : ni leurs pulsions destructives ni leurs angoisses dépressives ne
purent trouver d’exutoire. Parmi les facteurs pathogènes de la psychose maniaco-dépressive,
Abraham mentionne justement à la fois l’excès de frustration et la trop grande indulgence 9.
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Si la frustration n’est pas excessive, elle peut favoriser l’adaptation au monde extérieur et le
développement du sens de la réalité. Une certaine somme de frustrations suivies de
gratifications permet effectivement à l’enfant de sentir qu’il a été capable d’affronter son
angoisse. J’ai également constaté que les désirs inassouvis de l’enfant — qui, répétons-le, ne
sauraient être comblés — contribuent à ouvrir la voie aux sublimations et aux activités
créatrices. L’absence de conflit chez le jeune enfant — à'supposer qu’on puisse imaginer une
telle situation — l’empêcherait d’enrichir sa personnalité et le priverait d’un facteur
important qui contribue à renforcer le moi.
Car tout conflit, qui comporte la nécessité de le résoudre, constitue un élément fondamental
de la créativité.
L’assertion selon laquelle l’envie détériore le bon objet originel et intensifie les attaques
sadiques dirigées contre le sein maternel entraîne d’autres conclusions. Le sein nourricierainsi attaqué est dévalorisé : déchiqueté par les morsures, empoisonné par l’urine et les
excréments, il est devenu un mauvais sein. L’envie excessive ne fait qu’accroître l'intensité et la
durée de ces attaques et rend la retrouvaille du bon objet perdu plus ardue pour l’enfant.
Lorsque les attaques sadiques contre le sein maternel sont moins sous-tendues par l’envie,
elles demeurent passagères et n’impliquent pas, dans l’esprit de l’enfant, une destruction aussi
violente et durable du bon objet. Retrouver le sein et en jouir fournit la preuve sensible de
son intégrité inaltérée, de sa « bonté »10.
Le fait que l’envie affecte la capacité de jouissance explique dans une certaine mesure laraison pour laquelle l’envie est aussi persistante11. C’est la jouissance et la gratitude qu’elle
entraîne qui atténuent les pulsions destructives, l’envie et l’avidité. Autrement dit, l’avidité,
l’envie et l’angoisse persécutive, étroitement liées entre elles, exercent, du fait de leur
coexistence, une intensification réciproque et inévitable. Le sentiment de dommage causé par
l’envie, l’intense angoisse qui en dérive et qui pose la question de la qualité de l’objet — est-il
bon ou mauvais ? — ont pour effet d’accroître l’avidité et les pulsions destructives. Toutes
les fois que prédomine le bon aspect de l’objet, il est d’autant plus avidement désiré et
incorporé. Cela s’applique aussi à la nourriture. Nous constatons que lorsqu’un patient doutede son objet, ainsi que de la valeur de l’analyse et de l’analyste, il peut se cramponner à
n’importe quelle interprétation susceptible de soulager son angoisse ; il cherche à prolonger
la séance afin d’absorber tout ce qu’il ressent comme étant « bon » au moment présent.
(Certains patients redoutent leur propre avidité au point de veiller scrupuleusement à
terminer la séance à l’heure dite.)
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Les sujets qui nourrissent des doutes quant à la possession du bon objet, et qui, de ce fait, ne
se sentent pas certains de leurs bons sentiments, s’engagent volontiers dans des
identifications avides et hasardeuses. Il s’agit d’individus très influençables pour autant qu’ils
n’osent se fier à leur propre jugement.
Contrairement à l’enfant qui, en raison de son envie, n’a pas pu édifier un bon objet interne
en toute sécurité, un nourrisson capable d’amour et de gratitude parvient à établir une
relation bien enracinée avec le bon objet ; il peut surmonter, sans en être fondamentalement
atteint, les états passagers de haine, d’envie et de rancune qui apparaissent même chez les
enfants aimés et entourés de la sollicitude maternelle. Ainsi, lorsque ces états négatifs sont
transitoires, le bon objet peut être chaque fois retrouvé. C’est là une condition essentielle
pour instaurer un bon objet, pour fonder la stabilité, établir un moi fort. Au cours du
développement, la relation au sein maternel permet à l’enfant d’acquérir la faculté de se
dévouer à autrui et de se consacrer aux valeurs humaines et culturelles. Ainsi se trouve
utilisée une partie de l’amour initialement porté à l’objet originel.
iii
Le sentiment de gratitude est un dérivé important de-, la capacité d’aimer ; il est essentiel à
l’édification de la relation au bon objet et nécessaire à la reconnaissance de ce qu’il y a de
« bon » chez les autres et chez soi-même. La gratitude naît des émotions et des attitudes de la
première enfance, lorsque la mère représente encore le seul et unique objet. J’ai mentionné
12
ce lien précoce qui constitue la base de toute relation ultérieure avec un être aimé. Cetterelation exclusive à la mère existe jusqu’à un certain point chez tous les sujets, même si elle
subit des variations individuelles dans sa durée et dans son intensité. Elle peut se trouver
perturbée du fait des circonstances extérieures. Mais les facteurs internes qui la fondent —
au premier plan, la capacité d’amour — semblent être innés. Les pulsions destructives, en
particulier le sentiment intense d’envie, peuvent perturber ce lien particulier avec la mère à
un stade primitif. Si l’envie à l’égard du sein nourricier est intense, la gratification ne saurait
être entière car l’envie implique la détérioration de l’objet : elle le dépouille de ce qu’il
possède.Le nourrisson ne peut ressentir une jouissance complète que s’il est capable d’aimer
suffisamment ; c’est cette jouissance qui est à la base de toute gratitude. Freud, décrivant la
béatitude de l’enfant au moment de l’allaitement, y a vu le prototype de la gratification
sexuelle13. Selon moi, ces expériences ne servent pas seulement de base à la gratification
sexuelle mais à toute possibilité de bonheur comme au sentiment de ne faire qu’un avec
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l’autre ; sentiment qui se manifeste par une profonde compréhension mutuelle, essentielle à
toute relation heureuse d’amour ou d’amitié. Une telle compréhension peut même s’exprimer
sans recourir aux paroles ; c’est qu’elle dérive de l’intimité originaire avec la mère qui
remonte au stade préverbal. La possibilité d’éprouver du plaisir, quelle qu’en soit la source,
repose sur la capacité de jouir de la toute première relation au sein maternel.
Pour que le bon sein puisse être introjecté avec un sentiment de sécurité relative, il faut que
le plaisir d’être nourri ait été vécu sans mélange et à de très nombreuses reprises. Avoir été
allaité au sein et en avoir été pleinement satisfait signifie pour l’enfant qu’il a reçu de son
objet d’amour un don unique, qu’il désire conserver. Tel est le fondement de toute gratitude.
Celle-ci est intimement liée à la confiance en une « bonne » image et implique avant tout une
aptitude à accepter et à assimiler l’objet d’amour primitif (non seulement en tant que source
d’aliment), sans que l’avidité et l’envie interviennent par trop. En effet une intériorisation
avide perturbe la relation avec l’objet ; le sujet sent qu’à le contrôler et à l’épuiser, il finit par
l’endommager, alors que, dans une bonne relation à l’objet interne et externe, le désir de le
conserver et de l’épargner prédomine. J’ai parlé ailleurs14 du processus qui rend possible la
croyance en un « bon » sein, croyance qui se rattache à la capacité qu’a l’enfant d’investir
libidi-nalement le premier objet externe. De cette manière se trouve instauré un « bon » objet
qui aime et qui protège le soi et que le soi aime et protège à son tour15. C’est là-dessus que
repose la croyance du sujet en sa propre « bonté ».
La jouissance et la gratitude sont éprouvées de façon d’autant plus fréquente que l’expériencegratifiante de l’allaitement au sein est vécue de façon répétée et est pleinement acceptée ; se
trouve aussi éveillé le désir de donner du plaisir à son tour. C’est la répétition fréquente de
cette expérience gratifiante qui fait que la gratitude s’instaure à un niveau plus profond ; de
même la capacité à la réparation aussi bien que' toutes les sublimations s’en trouvent
facilitées. Grâce aux processus de projection et grâce à la richesse intérieure prodiguée et ré-
introjectée, il se produit un enrichissement et une expansion du moi. De cette façon, la
possession d’un objet interne se trouve chaque fois réaffirmée.
La gratitude est étroitement liée à la générosité. Par l’assimilation du bon objet, la richesseintérieure est accrue, l’individu devient capable de partager ses dons avec autrui. Un monde
extérieur plus amical peut être introjecté et entraîne ainsi un sentiment d’enrichissement. Que
la générosité ne soit pas toujours suffisamment appréciée n’affaiblit pas nécessairement la
capacité de donner. En revanche, certains sujets n’ont pas su acquérir un sentiment de force
et de richesse intérieure suffisant : leurs accès de générosité sont suivis d’un besoin excessif
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d’estime et de gratitude, mais aussi d’une angoisse persécutive, d’une crainte d’avoir été
dépouillés et appauvris.
La satisfaction ne peut être pleinement ressentie lorsque le sein nourricier est l’objet d’une
envie intense. De même la gratitude se trouve entravée dans son développement. Ce n’est
pas sans d’excellentes raisons psychologiques que l’envie trouve sa place parmi les sept
péchés capitaux. J’irai jusqu’à dire que l’envie est inconsciemment ressentie comme le plus
grand des péchés parce qu’elle détériore et nuit au bon objet qui est à la source de la vie.
Chaucer le confirme clairement dans son Parson’s Taie : « Il est certain que l’envie est le pire
des péchés, car tous les autres ne sont péchés que contre une seule vertu, alors que l’envie
l’est contre toute vertu et contre tout bien. » Le sentiment d’avoir endommagé et détruit cet
objet primitif ébranle la confiance du sujet : il doute de sa sincérité dans ses relations
ultérieures, de sa capacité d’aimer et d’éprouver la bonté.
Il arrive souvent que les manifestations de la gratitude soient motivées par des sentiments de
culpabilité plutôt que par une capacité d’amour. Il importe de bien distinguer de tels
sentiments de culpabilité et la véritable gratitude, même si la gratitude la plus sincère n’est
pas exempte de toute trace de culpabilité.
J’ai pu constater que des modifications caractérielles importantes — qui, à les examiner de
près, se présentent comme une détérioration du caractère — surviennent plus volontiers
chez les individus qui n’ont pas réussi à instaurer leur premier objet avec une sécurité
suffisante et qui se montrent incapables de maintenir leur gratitude à son égard. Lorsque,pour des raisons internes ou externes, l’angoisse persécutive croît chez de tels sujets, ils
perdent complètement leur bon objet primitif, ou, plus exactement, ses représentants
substitutifs, qu’il s’agisse de personnes ou de valeurs humaines. Les processus qui sous-
tendent cette modification constituent un retour régressif à des mécanismes précoces de
clivage et de désintégration. Puisqu’il s’agit d’une question de degrés, et bien qu’en fin de
compte elle retentisse fortement sur le caractère, une telle désintégration ne mène pas
nécessairement à une maladie apparente. L’ambition du pouvoir et du prestige ou le besoin
d’apaiser à tout prix des persécuteurs, figurent parmi les aspects des changements caractérielsauxquels je fais ici allusion.
J’ai pu constater dans certains cas que, lorsque l’envie apparaît, une envie plus primitive se
trouve réactivée. Ces sentiments primitifs de nature omnipotente se répercutent sur le
sentiment d’envie actuel à l’égard d’une image substitutive, retentissent sur les affects éveillés
par l’envie et contribuent à intensifier le découragement et la culpabilité. La réactivation, par
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une expérience quelconque, de cette envie primitive est un phénomène que l’on retrouve
chez tous les sujets, mais le degré et l’intensité de ce sentiment, ainsi que le sentiment de
destruction omnipotente, sont soumis à des variations individuelles. Ce facteur peut s’avérer
d’une grande importance dans l’analyse de l’envie car ce n’est qu’en touchant aux couches les
plus profondes que l’analyse a des chances d’avoir son plein effet.
Nul doute que la frustration et les circonstances difficiles n’éveillent l’envie ou la haine au
cours de la vie de chacun d’entre nous, mais l’intensité de ces émotions et la manière de les
affronter varient considérablement d’un sujet à l’autre. C’est une des raisons pour lesquelles
la capacité de jouissance, liée au sentiment de gratitude pour le bien reçu, varie largement
selon les individus.
Chapitre III
i
Pour rendre cette discussion plus compréhensible, il est nécessaire d’avoir présente à l’esprit
ma conception du moi primitif. Celui-ci existe, selon moi, dès le début de la vie néo-natale,
mais sous une forme rudimentaire et peu cohérente. A un stade très ancien, il remplit déjà
nombre de fonctions importantes. Il est possible que ce moi précoce se rapproche de ce que
Freud a désigné sous le nom de partie inconsciente du moi. Freud ne croyait pas que le moi
existât d’emblée, mais il attribuait à l’organisme une fonction qui, à mon avis, ne peut être
tenue que par par le moi. La menace d’anéantissement par l’instinct de mort au-dedans
représente — et je m’écarte de Freud sur ce point16 — l’angoisse primordiale ; et c’est le
moi qui, au service de l’instinct de vie — peut-être même instauré par lui —, dévie pour une
part cette menace vers l’extérieur. Tandis que Freud attribuait à l’organisme cette défense
fondamentale contre l’instinct de mort, je tiens ce processus pour une activité primordiale du
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moi.
Il existe d’autres activités primordiales du moi qui dépendent, à mon avis, de la nécessité
impérative de faire face à la lutte opposant les instincts de vie et de mort. Une de ces
fonctions consiste en une intégration progressive qui naît de l’instinct de vie et trouve à
s’exprimer dans la capacité d’aimer. A l’opposé, la tendance du moi à se
cliver et à cliver ses objets est l’effet, d’une part, de son manque de cohésion à la naissance, et
apparaît, d’autre part, en tant que défense contre l’angoisse primordiale ; la tendance au
clivage est donc un moyen de protéger le moi. Depuis de nombreuses années, j’ai accordé
une grande importance à un processus de clivage particulier : la scission du sein maternel en
un bon et un mauvais objet. J’y ai vu l’expression du conflit inné entre l’amour et la haine, et
des angoisses auxquelles ce conflit donne naissance. Toutefois il existe, en même temps que
cette scission, des processus divers de clivage dont certains n’ont, été plus clairementcompris qu’au cours de ces dernières années. J’ai découvert, par exemple, que l’intériorisation
avide et dévorante de l’objet — en premier lieu du sein maternel — s’accompagnait d’un
véritable morcellement du moi et de ses objets : le moi disperse ainsi les pulsions
destructives et les angoisses internes de persécution. Ce processus, dont l’intensité est
variable et dont dépend le degré de normalité d’un sujet, est une des défenses élaborées au
cours de la position paranoïde-schizoïde qui s’étend normalement sur les trois ou quatre
premiers mois de la vie 17. Je ne dis pas que l’enfant ne puisse, au cours de cette période,
jouir pleinement de l’allaitement, de sa relation avec sa mère, ou qu’il ne passe par defréquents moments de bien-être et de confort physique. Mais, chaque fois que surgit
l’angoisse, elle est principalement de nature paranoïde, alors que les défenses qui se dressent
contre elle, aussi bien que les mécanismes utilisés, sont pour une grande part de nature
schizoïde. Mutatis mutandis, ceci s’applique à la vie affective de l’enfant au cours de la période
marquée par la position dépressive.
Revenons au processus de clivage que je considère comme une condition préalable à la
relative stabilité du nourrison ; au cours des tout premiers mois, il tend surtout à maintenir la
séparation entre un «
mauvais
» et un bon objet, et à protéger ainsi fondamentalement cedernier, ce qui signifie que la sécurité du moi se trouve renforcée. En même temps, cette
bipartition primaire ne peut réussir que si la capacité d’amour est suffisante et le moi
relativement fort. Je prétends que la capacité d’amour stimule à la fois les tendances
d’intégration et la possibilité de réussir ce clivage initial entre l’objet aimé et l’objet haï. Ceci
peut sembler paradoxal. Mais, comme je l’ai dit, puisque l’intégration dépend d’un « bon »
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objet, solidement ancré, qui constitue le noyau du moi, un certain clivage est indispensable
pour que l’intégration puisse se faire ; le bon objet se trouve ainsi protégé et le moi pourra
par la suite faire la synthèse de ses deux aspects. Des sentiments trop intenses d’envie, qui
expriment les pulsions de destruction, s’opposent au clivage primitif du bon et du mauvais
sein, et ne permettent pas l’édification d’un bon objet. Il manquera toujours une base solide
pour qu’une personnalité adulte bien intégrée puisse se développer, car toute différenciation
entre le « bon » et le « mauvais » se trouvera compromise. Pour autant que ce développement
est perturbé du fait d’une envie excessive, il faut y voir la prédominance, au cours des stades
initiaux, de mécanismes paranoïdes et schizoïdes qui, constituent la base de la schizophrénie.
il
Pour élucider les premiers processus de clivage, il est essentiel de distinguer le bon objet et
l’objet idéalisé, encore qu’il soit difficile de les différencier de façon rigoureuse. Un trèsprofond clivage entre les deux aspects de l’objet indique qu’il n’intervient pas entre le bon et
le mauvais objet, mais entre l’objet idéalisé, d’une part, et le très mauvais objet, de l’autre.
Une scission aussi profonde et aussi nette témoigne de l’intensité des pulsions destructives,
de l’envie et de l’angoisse de persécution ; l’idéalisation sert surtout de défense contre ces
affects.
Si le bon objet est solidement ancré, le clivage sera fondamentalement de nature différente et
favorisera l’activité des processus indispensables pour aboutir à l’intégration du moi et à la
synthèse des objets. L’amour peut atténuer la haine dans une certaine mesure, et faciliter ainsila translaboration de la position dépressive. De cette façon, l’identification au bon objet
global se fera avec d’autant plus de sécurité ; de même, le moi se trouve fortifié, capable de
préserver son identité et de sentir qu’il possède une bonté qui lui appartient en propre. Il
risque moins de s’identifier aux différents objets à tort et à travers, un processus qui
caractérise la faiblesse du moi. De plus, une pleine identification à un bon objet fait que le soi
a le sentiment de posséder une « bonté » qui lui est propre. En revanche, si des perturbations
surviennent, on peut voir l’identification projective devenir excessive ; une telle identification
projette les parties clivées du soi sur l’objet, et de ce fait permet de confondre le soi et l’objetqui vient à le représenter18. Ceci s’accompagne d’un affaiblissement du moi et entraîne une
profonde perturbation des relations d’objet.
Les enfants doués d’une forte capacité d’amour ressentent moins la nécessité de recourir à
l’idéalisation que ceux chez qui prédominent les pulsions destructives et l’angoisse de
persécution. Une idéalisation excessiv, indique que la persécution constitue la principale force
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pulsionnelle. J’ai découvert, il y a de nombreuses années, dans mon travail avec de jeunes
enfants, que l’idéalisation est un dérivé de l’angoisse de persécution et constitue une défense
contre elle — et que le sein idéal est le complément du sein dévorant.
L’objet idéalisé est moins bien intégré dans le moi que le bon objet, puisqu’il dérive surtout
de l’angoisse persécutive et, à un moindre degré, de la capacité d’amour. J’ai également
découvert que l’idéalisation découle du sentiment inné qu’il existe un sein maternel
« extrêmement bon », sentiment qui aboutit à désirer intensément un bon objet et à être
capable de l’aimer19. C’est là, semble-t-il, une condition même de la vie ou, si l’on veut, une
expression de l’instinct de vie. Et puisque le besoin de posséder un bon objet est universel,
on ne peut considérer que la distinction entre un objet idéalisé et un bon objet soit de nature
absolue.
Certains individus, incapables de posséder un bon objet, doivent faire face à cette incapacité — qui dérive de l’envie excessive — en idéalisant l’objet. Cette première idéalisation est
précaire car l’envie à l’égard du bon objet s’étend obligatoirement à sa forme idéalisée. Ceci
est vrai en ce qui concerne les idéalisations ultérieures et aussi l’identification à d’autres
objets, qui est souvent labile et hasardeuse : l’avidité y joue un rôle important, car le besoin
de posséder toujours ce qu’il y a de meilleur inhibe la faculté de choisir et de discerner. Cette
incapacité est également liée à la confusion établie entre le « bon » et le « mauvais »,
confusion qui se fait jour dans la relation à l’objet originel.
Ceux qui instaurent un «
bon
» objet originel, avec le sentiment d’une certaine sécurité, sontcapables de lui conserver leur amour en dépit de ses imperfections ; on découvre en
revanche, chez d’autres sujets, à quel point leurs relations d’amour et leurs amitiés sont
marquées par l’idéalisation. Celle-ci a tendance à s’effondrer et l’objet d’amour doit toujours
être remplacé par un autre, aucun ne parvenant à combler pleinement l’espoir placé en lui. La
personne autrefois idéalisée devient souvent un persécuteur (ce qui confirme que
l’idéalisation trouve son origine en tant que complément de la persécution), et le sujet
projette en lui son attitude envieuse et critique. Des processus analogues opèrent dans le
monde intérieur x)ù s’accumulent ainsi des objets particulièrement dangereux. Tout ceciconduit à rendre instables les relations humaines et constitue un autre aspect de la faiblesse
du moi.
Même lorsque la relation mère-enfant s’instaure de façon sécurisante, des doutes concernant
le bon objet surgissent facilement ; ils ne résultent pas seulement de l’extrême dépendance de
l’enfant vis-à-vis de sa mère, mais aussi de la répétition de l’angoisse, celle de succomber à sa
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l’enfance sans entraîner aussitôt l’angoisse persécutive avec ses défenses correspondantes qui
réapparaissent plus tard sous forme de projections sur l’analyste et de déni omnipotent.
Il semble qu’une des sources les plus profondes de la culpabilité est toujours liée au
sentiment d’envie à l’égard du sein nourricier et à la crainte de l’avoir endommagé par des
attaques envieuses dans ce qu’il a de « bon ». Le sujet peut d’autant mieux faire face à la
culpabilité ainsi engendrée que l’objet originel avait été intégré avec une relative stabilité au
cours de la prime enfance, car l’envie est alors plus passagère et la relation au bon objet s’en
trouve moins menacée.
L’envie excessive s’oppose aux gratifications orales et stimule, en les intensifiant, les
tendances et les désirs génitaux. Ainsi l’enfant a trop prématurément recours aux
gratifications génitales et la relation orale se génitalise tandis que les revendications et les
anxiétés orales imprègnent fortement les tendances génitales. Les sensations et les désirsgénitaux peuvent entrer en action dès la naissance ; l’on sait par exemple, que les petits
garçons ont très tôt des érections. L’apparition précoce de ces sensations signifie que les
tendances génitales viennent gêner les tendances orales à un stade ou prédominent
normalement les désirs oraux20. Ici encore il faut tenir compte des effets produits par une
confusion précoce qui estompe les limites séparant les pulsions et les fantasmes oraux, anaux
et génitaux. Que ces diverses sources de la libido et de l’agressivité empiètent les unes sur les
autres est un phénomène normal. Un tel chevauchement, qui empêche-
lorsque je décrivais la culpabilité et la persécution chez le très jeune enfant. Plus tard, endéfinissant la position dépressive, je distinguais plus nettement, mais peut-être d’une façon
trop schématique, la culpabilité, la dépression et les défenses s’y rattachant, d'une part, et,
d’autre part, le stade para-noïde, que je devais désigner plus tard sous le nom de position
paranoïde, que je devais désigner plus tard sous le nom de position paranoïde-schizoïde.
1. J’ai des raisons de croire que cette génitalisation prématurée se rencontre fréquemment
chez les sujets présentant de fortes tendances schizoïdes ou chez les schizophrènes avérés.
Cf. W. Bion, « Notes on the Theory of Schizophrenia • (1954) et • Differentiation of the
Psychotic from the Non-Psychotic Personalities
» (1955) ! —«
Remarques à propos de lathéorie de la schizophrénie » et « Différences entre les personnalités psvchotiaues et non
psychotiques ».
rait de percevoir suffisamment la prédominance d’une de ces tendances à son stade évolutif
correspondant, retentira sur tdute la vie sexuelle et sur toutes les sublimations. Une génitalité
qui ne serait qu’une fuite pour échapper à l’oralité est nécessairement mal affermie : elle se
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trouvera imprégnée de la méfiance et des déceptions liées à l’altération de la jouissance orale.
Lorsque les tendances génitales viennent saper la primauté orale, elles rendent plus fragile la
gratification de la sphère génitale et peuvent souvent être la cause de la masturbation
compulsionnelle et de la promiscuité sexuelle. Le manque de jouissance primaire introduit
des éléments compulsionnels dans les désirs génitaux et peut alors mener, comme j’ai pu le
constater chez certains patients, à l’envahissement de toutes les activités, de tous les
processus de pensée et des intérêts les plus divers par les sensations sexuelles. La fuite dans la
génitalité constitue aussi, chez certains enfants, une défense contre le fait de haïr et
d’endommager le premier objet à l’égard duquel ils éprouvent des sentiments ambivalents.
L’installation prématurée de la génitalité peut être liée à l’apparition précoce de la culpabilité
et représente l’un des éléments qui caractérisent la paranoïa et la schizophrénie 21.
Lorsque l’enfant aborde la position dépressive et devient capable de mieux affronter sa
réalité psychique, il perçoit aussi que ce que l’objet a de « mauvais » est dû, dans une large
mesure, à sa propre agressivité et à la projection de celle-ci. Cette prise de conscience,
comme on peut le constater dans la situation transférentielle, donne naissance à une
souffrance psychique et à une intense culpabilité lorsque la position dépressive atteint son
point culminant. Le soulagement et l’espoir qui apparaissent alors facilitent à leur tour la
fusion des deux aspects de l’objet et du soi, ainsi que la translaboration de la position
dépressive. Cet espoir est fondé sur la connaissance inconsciente croissante que l’objet
interne et externe n’est pas aussi « mauvais » qu’il semblait l’être lorsqu’il se présentait sous
ses aspects clivés. Pour l’enfant, l’objet s’améliore quand la haine se trouve atténuée par
l’amour ; s’atténue aussi la crainte d’avoir détruit l’objet par le passé et celle qu’il puisse être
détruit dans l’avenir : n’étant pas endommagé, il semble être devenu moins vulnérable.
L’objet interne acquiert une attitude lui permettant de se maîtriser et de se protéger ; sa force
accrue joue un rôle important dans sa fonction surmoïque.
La position dépressive est surmontée grâce à une plus grande confiance à l’égard du bon
objet interne : mais un tel résultat n’est pas définitivement acquis. Toute tension interne ou
externe peut réactiver la dépression et la méfiance — dans le soi et dans l’objet. Toutefois, lacapacité de se dégager de ces états dépressifs et de reconquérir le sentiment de sécurité
intérieure constitue, selon moi, le critère d’une personnalité bien développée. En revanche,
réagir à la dépression en durcissant ses propres sentiments et en niant la dépression, c’est
régresser aux défenses maniaques utilisées lors de la position dépressive infantile.
ii
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L’envie à l’égard du sein maternel et l’apparition de la jalousie sont directement liées. La
jalousie se fonde sur la rivalité avec le père, soupçonné et accusé de s’être emparé du sein
maternel et de la mère. Cette rivalité marque les stades initiaux du complexe d’Œdipe positif
et négatif, qui apparaît normalement en même temps que la position dépressive au cours du
second quart de la première année 22.
L’évolution du complexe d’Œdipe est fortement influencée par les vicissitudes de la première
relation exclusive à la mère ; lorsque cette relation est perturbée trop tôt, la rivalité avec le
père apparaît prématurément. Les fantasmes de pénis se trouvant à l’intérieur de la mère, ou
dans son sein, transforment le père en un intrus hostile. De tels fantasmes sont
particulièrement intenses lorsque l’enfant n’a pas pu éprouver toute la jouissance et le
bonheur dans sa première relation à la mère, et n’a pas pu intérioriser son premier bon objet
avec une suffisante sécurité. Un tel échec dépend en grande partie de l’intensité de l’envie.
Au cours de la position dépressive, l’enfant intègre peu à peu ses sentiments d’amour et de
haine, réussit à faire la synthèse des bons et des mauvais aspects de la mère, et affronte le
deuil qu’accompagnent les sentiments de culpabilité. L’enfant acquiert aussi une meilleure
compréhension du monde extérieur, et il commence à prendre conscience qu’il ne pourra
pas garder sa mère comme sa propriété exclusive. Que la relation au second objet — le père
— ou aux autres personnes de son entourage puisse aider ou non l’enfant à surmonter cette
douleur dépend en grande partie de ses afïects à l’égard de son unique objet perdu. Si cette
relation a été solidement établie, la crainte de perdre la mère est moins intense et l’enfantpourra mieux envisager de la partager avec autrui. Il peut alors éprouver plus d’amour envers
ses rivaux. Tout ceci présuppose une translaboration suffisante de la position dépressive,
possible à condition que l’envie à l’égard de l’objet originel ne soit pas excessive.
Nous savons que la jalousie est inhérente à la situation œdipienne et qu’elle s’accompagne de
haine et de désirs de mort. Normalement, l’acquisition de nouveaux objets susceptibles
d’être aimés — le père, les frères et sœurs — et d’autres compensations que le moi, en se
développant, puise dans le monde extérieur atténuent la jalousie et les revendications. Si les
mécanismes paranoïdes et schizoïdes sont intenses, la jalousie — et en dernier lieu l’envie —ne sera pas atténuée. L’évolution du complexe d’Œdipe est essentiellement influencée par
tous ces facteurs.
Les fantasmes que le sein maternel ou la mère contiennent le pénis du père, ou que le père
contient la mère, comptent parmi les éléments intervenant aux stades initiaux du conflit
œdipien ; ils permettent à l’image des parents combinés de s’édifier ; j’ai déjà insisté sur
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l’importance de ce fantasme L’intensité de l’envie et de la jalousie œdipienne retentit sur les
effets produits par l’image des parents combinés qui doit permettre à l’enfant de différencier
les deux parents et d’établir de bonnes relations avec chacun d’eux. L’enfant subodore que
les parents se satisfont sexuellement l’un l’autre ; le fantasme de l’image parentale combinée
— qui connaît aussi d’autres sources — se trouve renforcé.
Si ces angoisses sont très actives et persistent trop longtemps, elles peuvent entraîner une
perturbation durable dans les relations de l’enfant avec les deux parents. Cette incapacité à
dissocier la relation au père et la relation à la mère (car, dans l’esprit du sujet, les parents sont
inextricablement liés) se retrouve chez les malades graves, et joue un rôle important au cours
des états de confusion mentale.
Si l’envie n’est pas trop importante, la jalousie qui accompagne la situation œdipienne peut
devenir un moyen pour la translaborer. Lorsque apparaissent les sentiments de jalousie,l’hostilité se porte non pas tant sur l’objet originel que sur ses rivaux — le père ou les frères
et sœurs — et introduit aussi un effet de dispersion. En se développant, ces relations
donnent naissance à des sentiments d’amour et deviennent une nouvelle source de
gratification. Lors du passage des désirs oraux aux désirs génitaux, le rôle de la mère en tant
que dispensatrice du plaisir oral devient moins important. Chez le garçon, une grande partie
de la haine est déviée sur le père envié pour autant qu’il garde la mère en sa possession : c’est
la jalousie œdipienne typique. En dirigeant ses désirs génitaux sur le père, la petite fille
pourra trouver un autre objet d’amour. Ainsi, dans une certaine mesure, la jalousie supplantel’envie ; la mère devient le rival principal. La petite fille convoite la place de la mère : elle
désire posséder les enfants que le père aimé donne à la mère et s’occuper d’eux.
L’identification à la mère dans ce rôle favorise un éventail plus vaste de sublimations. La
translaboration de l’envie au moyen de la jalousie constitue aussi une défense importante
contre l’envie. La jalousie apparaît bien plus acceptable et donne moins lieu à la culpabilité
que l’envie primaire qui détruit le premier bon objet.
Il nous est souvent donné de constater le rapport étroit qui existe entre la jalousie et l’envie
au cours des psychanalyses. Un de mes patients éprouvait une violente jalousie à l’égard d’unhomme avec qui, pensait-il, j’étais très liée. Puis il eut l’impression que de toute façon je
devais être ennuyeuse- et de peu d’intérêt dans ma vie privée, et soudain toute l’analyse lui
parut ennuyeuse. Ce fut le patient lui-même qui vit là une défense et fut ainsi amené à
reconnaître que sa dévalorisation de l’analyste était le résultat d’une nouvelle vague d’envie.
Un autre facteur qui contribue dans une grande mesure à attiser l’envie est constitué par
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l’ambition. Elle est d’abord à mettre en relation avec la rivalité et avec la compétition de la
situation œdipienne ; mais lorsqu’elle est particulièrement intense, il est évident que ses
origines sont à chercher plus haut, dans les sentiments d’envie à l’égard de l’objet originel.
L’impossibilité de réaliser ses ambitions résulte souvent du conflit qui oppose le besoin
impérieux de réparer l’objet, endommagé par l’envie destructive, à une nouvelle résurgence
de l’envie.
En découvrant l’envie du pénis chez la femme et ses liens avec les pulsions agressives, Freud
fit une contribution fondamentale à l’étude du sentiment d’envie. Lorsque l’envie du pénis et
les désirs de castration sont intenses, l’objet envié, à savoir le pénis, doit être détruit et
l’homme qui le possède doit en être privé. Dans Analyse finie el indéfinie , Freud souligne les
difficultés auxquelles se heurte la femme dans l’analyse, du fait qu’elle ne peut jamais acquérir
le pénis qu’elle désire 23. Freud dit que la femme éprouve « la conviction intime que le
traitement analytique ne saurait servir à rien, et qu’il est impossible de l’aider. Il est difficile
de lui donner tort lorsqu’on apprend que la motivation la plus forte qui la pousse vers
l’analyste est l’espoir d’acquérir quand même un jour l’organe sexuel masculin si
douloureusement manquant ».
J’ai déjà évoqué les nombreux facteurs qui contribuent à l’envie du pénis 24. Je me bornerai
ici à envisager l’envie du pénis chez la femme sous l’angle de son origine orale. Sous la
prédominance des désirs oraux, une équivalence peut s’établir entre le pénis et le sein
maternel (Abraham)
: l’expérience clinique montre que l’on peut rattacher l’envie du pénis àl’envie du sein maternel. Si l’on aborde sous cette incidence l’analyse de l’envie du pénis chez
la femme, on peut constater qu’elle prend son origine dans la relation primitive à la mère,
dans l’envie fondamentale du sein maternel, et dans les sentiments destructifs qui
l’accompagnent.
Freud a su dégager l’importance vitale} de l’attitude de la fille à l’égard de sa mère, attitude
qui conditionnera plus tard ses relations avec les hommes. Lorsque la fille transfère l’envie du
sein maternel sur le pénis du père, son attitude homosexuelle peut s’en trouver renforcée.
Les angoisses intenses et les conflits qui apparaissent dans la relation orale peuvent aboutir àl’abandon brusque et soudain du sein maternel au profit du pénis. Il s’agit essentiellement
d’un mécanisme de fuite, qui ne saurait instaurer des relations stables avec le second objet. Si
l’envie et la haine éprouvées à l’égard de la mère sont la raison principale d’une telle fuite,
elles se trouvent bientôt transférées sur le pcre ; aucune relation affectueuse avec lui ne
saurait s’établir de façon durable. En même temps, la relation envieuse à la mère s’exprime
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dans une rivalité œdipienne exagérée. Ce n’est pas tant l’amour pour le père qui est à la base
de cette rivalité que l’envie à l’égard de la mère possédant à la fois le père et son pénis.
L’envie vécue à l’égard du sein se trouve intégralement transposée dans la situation
œdipienne. Le père (ou son pénis) est devenu une dépendance25 delà mcre et c’est pour
cette raison que la fille entend le lui ravir. Dès lors tout succès qu’elle remporte dans ses
relations masculines prendra le sens d’une victoire sur une autre femme. Cette rivalité existe
même à défaut d’une vraie rivale, car la rivalité s’adresse alors à la mère de l'homme aimé,
comme le cas par exemple dans les relations souvent difficiles entre belle-fille et belle-mère.
Si l’homme se trouve surtout valorisé parce que sa conquête est une victoire remportée sur
une rivale, la femme peut se désintéresser de lui dès que cette conquête est achevée.
L’attitude à l’égard de la rivale signifie alors : « Toi [qui représentes la mère], tu possédais ce
sein merveilleux auquel je ne pouvais accéder parce que tu me le refusais et que je désire
encore te ravir
; en conséquence je te dérobe ce pénis qui t’es cher.
» Le besoin de renouveler
chaque fois cette victoire sur une rivale haïe explique souvent la quête incessante d’un autre
homme.
Lorsque la haine et l’envie à l’égard de la mère ne sont pas aussi intenses, la déception et la
rancune peuvent pourtant détourner la fille de sa mère ; mais l’idéalisation du second objet, à
savoir du pénis paternel et du père, devient alors possible. L’idéalisation se rattache à la quête
d’un bon objet, qui ayant échoué une première fois, peut échouer de nouveau ; cette quête
peut aboutir si l’amour pour le père prédomine dans la situation de jalousie ; car la haine à
l’égard de la mère peut s’associer à l’amour pour le père et plus tard à l’amour pour d’autres
hommes. Dans ce cas, l’amitié avec une femme devient possible, à condition que celle-ci ne
représente pas un substitut maternel de façon trop évidente. Les amitiés féminines et
l’homosexualité sont alors fondées sur la nécessité de trouver un bon objet qui puisse
remplacer l’objet primordial qui a été évité. Le fait que certains sujets — hommes ou
femmes — puissent établir de bonnes relations d’objet est souvent trompeur ; car l’envie à
l’égard de l’objet originel reste sous-jacente ; bien qu’elle soit séparée par un clivage, elle
demeure active et peut perturber n’importe quelle relation.
Une frigidité plus ou moins marquée apparaît souvent comme une conséquence d’une
attitude instable à l’égard du pénis, car elle est surtout fondée sur une fuite devant l’objet
originel. La capacité d’éprouver la gratification orale pleine et entière, qui dépend
fondamentalement d’une relation satisfaisante à la mère, préside à la possibilité d’une pleine
satisfaction orgasmique (Freud). L’envie du sein maternel joue un rôle tout aussi important
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chez les hommes. Lorsque l’envie est trop intense et s’oppose à la gratification orale, la haine
et l’angoisse sont transférées sur le vagin. Une évolution génitale normale doit permettre au
garçon de conserver sa mère en tant qu’objet d’amour ; si cette relation orale est
profondément perturbée, des difficultés vont surgir et retentir sur son attitude génitale à
l’égard des femmes. Une perturbation de la relation au sein maternel d’abord puis au vagin
peut entraîner des troubles divers : l’impuissance sexuelle, un besoin compulsif de
gratification génitale, la promiscuité sexuelle et l’homosexualité.
Une des sources de la culpabilité homosexuelle réside dans le sentiment de s’être détourné de
la mère avec haine, et de l’avoir trahie en s’alliant au pénis du père et au père lui-même. Au
cours du stade œdipien, mais aussi plus tard dans la vie, cette trahison d’une femme aimée
peut perturber les amitiés masculines, même si elles n’affectent pas une allure ouvertement
homosexuelle. D’autre part, la culpabilité envers une femme aimée et l’anxiété qu’elle
suppose peuvent précipiter les réactions de fuite et renforcer les tendances homosexuelles.
L’envie excessive à l’égard du sein peut facilement s’étendre à tous les attributs féminins, en
particulier à la faculté d’avoir des enfants. Si le développement est normal, l’homme
cherchera à compenser l’inassouvis-sement de ces désirs féminins en établissant une relation
heureuse avec sa femme ou sa maîtresse, et en assumant son rôle paternel à l’égard des
enfants qu’elle lui donnera. Une telle relation ouvre de nouvelles voies ; par exemple, la
possibilité de s’identifier à l’enfant et de compenser aussi son envie et ses frustrations
précoces. De même, le sentiment d’avoir engendré un enfant neutralise lespremierssentiments envieux à l’égard de la féminité de sa mère.
L’envie joue un rôle dans le désir de s’emparer des attributs du sexe opposé, ainsi que de
s’approprier ou de détériorer ceux du parent du même sexe. Ainsi dans la situation
œdipienne positive ou négative la jalousie et la rivalité paranoïdes apparaissent dans les deux
sexes, aussi différente que soit leur évolution, et trouvent leur origine dans l’envie excessive à
l’égard de l’objet originel, la mère, ou plutôt le sein maternel.
m
Le «
bon
» sein qui nourrit et amorce la relation d’amour à la mère est le représentant de lapulsion de vie ; il est aussi ressenti comme étant la première manifestation de la créativité 26.
Au cours de cette relation fondamentale, l’enfant non seulement reçoit la gratification qu’il
désire mais éprouve le sentiment d’être maintenu en vie. La faim engendre la peur de
l’initiation — peut-être même de toute souffrance physique ou morale — et de ce fait elle est
ressentie comme une menace de mort. L’identification à un bon objet intériorisé,
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dispensateur de vie, donne une impulsion à la créativité. A première vue, le sujet semble
convoiter le prestige, la richesse et la puissance-d’autrui27 ; en fait son véritable but est la
créativité. La capacité de donner et de préserver la vie est ressentie comrïie. le don le plus
précieux, et la créativité devient ainsi la cause la plus profonde de l’envie. L’idée que l’envie
implique une destruction de la créativité se retrouve dans Le Paradis perdu de Milton 1. Satan,
envieux de Dieu, décide de devenir l’usurpateur du Ciel. Son combat avec Dieu, au cours
duquel il tente de détruire la vie céleste, entraîne sa chute et celle des autres anges. Déchus,
ils bâtissent l’Enfer pour rivaliser avec le Ciel, et deviennent la force qui cherche à détruire ce
que Dieu a créé2. Cette idée théologique nous viendrait de saint Augustin qui décrit une
force créatrice, la Vie, qu’il oppose à une force destructrice, l’Envie. On peut, dans cette
perspective, interpréter ainsi la Première Épître aux Corinthiens : « L’amour ne saurait
envier. »
Mon expérience analytique m’a appris que les sentiments envieux à l’égard de la créativité
jouent un rôle fondamental dans toute perturbation du processus créateur. Le fait de
détériorer et de détruire la source initiale de ce qui est « bon » a tôt fait d’aboutir à une
attaque et à la destruction des enfants contenus dans le ventre maternel et entraîne la
transformation du bon objet en un objet hostile, critique et envieux. La figure surmoïque sur
laquelle se projette l’envie devient particulièrement persécutoire et entrave les processus de
pensée, toute activité productrice et, en fin de compte, la créativité.
La critique destructive, souvent qualifiée de «
mordante
» et de «
pernicieuse
», est sous-tendue par une attitude envieuse et destructrice à l’égard du sein maternel. De telles attaques
sont surtout dirigées contre la créativité. L’envie est un loup vorace, comme l’écrit Spenser
dans The Faerie Queene :
He hated ait good workes and vertuous deeds.
And eke the verse of famous Poets witt He does backebite, and spightfutt poisorf spues From teprous mouth
on ail thaï ever wrill 3.
1. Livres I et II.
2. «
Mais c’est par l’envie du diable que la mort fait son entrée dans le monde, et sont mis à
l’épreuve ceux qui partagent son lot » (Sagesse de Salo• mon, chap. ii, v. 24).
3. Il haïssait les bons ouvrages el les exploits vertueux.
El de l'esprit de poètes fameux
Il médil aussi , vomissant de sa bouche lépreuse
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Un venin malveillant sur ce qui fut écrit.
Nous retrouvons chez Chaucer des références fréquentes à cette médisance et à cette critique
destructive dont usent les sujets envieux. Chaucer
Une critique constructive reconnaît d’autres sources
; elle vise à aider autrui et à promouvoirson œuvre. Quelquefois, la critique constructive dérive d’une identification intense avec
l’auteur de l’œuvre critiquée. Il n’est pas exclu qu’une attitude maternelle ou paternelle soit
également en jeu ; souvent aussi une confiance en sa propre créativité neutralise l’envie.
L’absence du sentiment d’envie chez les autres peut être un facteur particulier qui fait naître
l’envie. La personne enviée possède ce qui est fondamentalement le bien le plus précieux et
le plus désirable, à savoir un bon objet, ce qui signifie aussi avoir bon caractère et jouir d’une
bonne santé mentale. Celui qui peut se réjouir généreusement de la créativité et du bonheur
des autres ne souffre pas des tourments de l’envie, de la revendication et de la persécution.Libéré des sentiments malheureux qu’engendre l’envie, il peut vivre de façon paisible et
satisfaite, et, en fin de compte, se sentir sain d’esprit. Ceux qui ont connu de grands malheurs
et des souffrances morales trouvent les ressources intérieures, le ressort qui leur permettront
de rétablir l’équilibre. Une telle attitude, où l’on retrouve la reconnaissance pour les plaisirs
passés et la jouissance de ce que le présent offre encore, est celle de la sérénité. C’est ainsi
que les gens âgés peuvent s’adapter à l’idée que la jeunesse ne saurait être retrouvée, et
trouver du plaisir â s’intéresser à la vie des jeunes : ce peut être le cas de parents revivant leur
propre vie à travers leurs enfants et leurs petits-enfants, sous réserve qu’il ne s’agisse pas d’unsentiment exagéré de possessivité ou d’une ambition déçue. Ceux qui ont le sentiment
d’avoir eu leur part des expériences et des plaisirs de la vie sont, plus que d’autres, à même de
croire que la vie ne saurait s’arrêter 1. Être capable de se résigner sans trop d’amertume
décrit le péché de médisance comme résultant à la fois de l’incapacité de l’envieux à tolérer la
bonté et la prospérité des autres, et de la satisfaction qu’il trouve dans leurs malheurs. Ce
comportement impénitent se retrouve chez « celui qui loue son voisin, mais avec mauvaise
intention, car il ajoute toujours un mais suivi d’un reproche plus considérable que la louange
qu’il prodigue. Si un homme est bon et dit des choses (ou les fait) dans une bonne intention,le médisant retournera toute cette bonté en vue de ses propres fins astucieuses. Si d’autres
disent du bien de cet homme, le médisant renchérira en en disant plus de bien encore, mais il
parlera aussitôt de quelqu’un qui est encore meilleur et dénigrera ainsi celui dont d'autres
disent du bien. »
1. Un petit garçon de cinq ans dont la mère était enceinte eut un mot qu