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BROUILLON DE POULET POUR L’ÂNE
CARRÉS MAGIQUES : LA MÉTHODE DE LA LOUBÈRE
Originaires d’Asie, les carrés magiques ont fasciné les hommes au point où certains leur ont
accordé des pouvoirs protecteurs (voir figure 1). Les Arabes furent les premiers à s’y intéresser
pour leurs propriétés mathématiques. Les mathématiques arabes ayant conquis l’Europe, on ne
s’étonne pas que les carrés magiques soient devenus un jeu populaire aux temps des salons. La
méthode décrite par Simon de La Loubère dans son livre Du royaume de Siam publié en 1691 et
envoyé à Louis XIV permet de remplir n’importe quel carré magique d’ordre impair des
nombres 1, 2, … n2. C’est d’ailleurs de La Loubère qui a nommé « magiques » ces carrés dont
les sommes de chaque ligne, de chaque colonne et de chaque diagonale sont égales.
Figure 1 : Carré magique chinois datant du XIIIe siècle. (1)
La méthode de La Loubère ne fonctionne que sur des carrés d’ordre impair (c’est-à-dire dont
chaque somme provient d’un nombre impair de cases). Elle consiste brièvement à considérer
d’abord le carré magique comme un tore (fig. 2) en unissant la dernière colonne à la première et
la dernière ligne à la première et à définir dans ce tore les diagonales descendantes (fig. 3).
Figure 2 : Tore (2)
Figure 3 : Diagonales descendantes du carré d’ordre 9
Il suffit ensuite de placer le 1 dans la case centrale de la dernière ligne et à remplir les
diagonales descendantes. Lorsqu’une diagonale est complète, on se déplace dans la diagonale
descendante située immédiatement au-dessus de la dernière entrée.
37 48 59 70 81 2 13 24 35
36 38 49 60 71 73 3 14 25
26 28 39 50 61 72 74 4 15
16 27 29 40 51 62 64 75 5
6 17 19 30 41 52 63 65 76
77 7 18 20 31 42 53 55 66
67 78 8 10 21 32 43 54 56
57 68 79 9 11 22 33 44 46
47 58 69 80 1 12 23 34 45
Figure 4 : Méthode de La Loubère et termes porteurs
Nous appellerons terme porteur, le plus petit terme d’une diagonale descendante. Nous avons
dans la figure 4 identifié les termes porteurs en les soulignant.
De par sa construction, nous remarquons que les termes porteurs défileront de façon régulière
d’une colonne à sa précédente et d’une ligne à deux lignes au-dessus. Puisque le nombre de
ligne est impaire, les termes porteurs suivront la séquence ne, (n-2)e, … 1ère, (n-1)e, (n -3)e, … 2e
ligne. Ainsi, chaque ligne et chaque colonne auront un et un seul terme porteur.
Il serait possible de démontrer que la méthode de La Loubère fonctionne pour tous les carrés
magiques d’ordre n impair en considérant le terme général de chaque ligne, chaque colonne et
chaque diagonale. La démonstration manque d’élégance et lorsqu’il s’agit de la diagonale
secondaire, elle devient tout simplement hideuse. Nous préférerons utiliser les propriétés des
entiers modulo n et une propriété des entiers.
Propriété 1 : Si chaque case d’un carré magique de somme magique S est additionnée d’une
constante entière k, le tableau ainsi obtenu sera un carré magique dont la somme magique sera
S + nk.
Propriété 2 :
€
∀ a ∈ N*, n ∈ N * , ∃! (q , r) ∈ N 2 : a = qn + r.
En effet, chaque entier naturel peut être divisé de façon unique par un autre entier naturel, r
étant le reste de cette division, q le nombre de n entièrement contenu dans a.
De la première propriété, on peut d’abord construire un nouveau tableau que nous appellerons
carré translaté en plaçant les nombres de 0 à n2-1. Si le tableau obtenu est un carré magique,
en additionnant 1, donc en retournant au carré de La Loubère, nous aurons toujours un carré
magique.
La somme magique d’un carré translaté portant les nombres de 0 à n2-1 sera donnée par :
€
0 + 1 + ... + (n2 −1)n
=
n2 n2 − 1 ( )2n
= n n2 − 1 ( )
2
Dans le carré translaté, la méthode de La Loubère consiste à placer 0 au centre de la dernière
ligne, puis à remplir la diagonale descendante (voir fig. 5). Une fois remplie, on continue en
plaçant le terme porteur de la diagonale au dessus de la dernière entrée.
Les diagonales descendantes porteront donc les termes suivants :
0 1 2 … n-1
n n+1 n+2 … n+(n-1)
2n 2n+1 2n+2 … 2n+(n-1)
… … … … …
(n-1)n (n-1)n+1 (n-1)n+2 … (n-1)n+(n+1)
36 47 58 69 80 1 12 23 34
35 37 48 59 70 72 2 13 24
25 27 38 49 60 71 73 3 14
15 26 28 39 50 61 63 74 4
5 16 18 29 40 51 62 64 75
76 6 17 19 30 41 52 54 65
66 77 7 9 20 31 42 53 55
56 67 78 8 10 21 32 43 45
46 57 68 79 0 11 22 33 44
Figure 5 : Carré translaté d’ordre 9 ou A
Par la deuxième propriété, on peut considérer le carré translaté comme une matrice A = nQ + R.
€
A = ai, j[ ], Q = qi, j[ ], R = ri, j[ ] avec
€
ai, j = qi, j n + ri, j . (Voir fig. 6 et fig. 7.)
4 5 6 7 8 0 1 2 3
3 4 5 6 7 8 0 1 2
2 3 4 5 6 7 8 0 1
1 2 3 4 5 6 7 8 0
0 1 2 3 4 5 6 7 8
8 0 1 2 3 4 5 6 7
7 8 0 1 2 3 4 5 6
6 7 8 0 1 2 3 4 5
5 6 7 8 0 1 2 3 4
Figure 6 : Q associé au carré translaté d’ordre 9
0 2 4 6 8 1 3 5 7
8 1 3 5 7 0 2 4 6
7 0 2 4 6 8 1 3 5
6 8 1 3 5 7 0 2 4
5 7 0 2 4 6 8 1 3
4 6 8 1 3 5 7 0 2
3 5 7 0 2 4 6 8 1
2 4 6 8 1 3 5 7 0
1 3 5 7 0 2 4 6 8
Figure 7 : R associé au carré translaté d’ordre 9
Considérons Q.
La méthode elle-même fera en sorte que chaque diagonale descendante sera scalaire (ses termes
sont identiques). Chaque ligne et chaque colonne ne coupent chaque diagonale descendante
qu’en un seul terme. Par conséquent, les lignes et les colonnes seront les permutations
cycliques de [0, 1, …, n-1] et alors, la diagonale secondaire ne pourra elle aussi que contenir les
termes de 0 à n-1.
Considérons R.
La diagonale principale fera que
€
ri,i = (i −1) , puisqu’il s’agit d’une diagonale descendante et
comme le point milieu de la série se retrouve par construction au centre du tableau, il va de soi,
par symétrie, que le terme porteur de la diagonale principale sera
€
r1,1.
Puisque le terme porteur de chaque diagonale descendante a une ligne et une colonne qui lui est
propre, les colonnes seront des permutations cycliques de [0, 1, 2, …, n-1] et les lignes les
permutations cycliques de [0, 2, …, n-1, 1, 3, … n-2].
Puisque 0 est placé au centre de la dernière ligne de A, on a que
€
rn,1 = 1 et
€
rn+1− j, j = 3 j − 2[ ]mod n .
Sommes magiques
Pour chaque ligne et chaque colonne, nous obtenons :
€
ai, ji∑ = n qi, j +
i∑ ri, j
i∑ = n(0 + 1 ... + (n −1)) + (0 + 1 ... + (n −1)) =
n n2 − 1( )2
€
ai, jj∑ = n qi, j +
j∑ ri, j
j∑ = n(0 + 1 ... + (n −1)) + (0 + 1 ... + (n −1)) =
n n2 − 1( )2
Pour la diagonale principale, nous obtenons :
€
ai,ii∑ = n qi,i +
i∑ ri,i
i∑ = n (n −1)
2* n + (0 + 1 ... + (n −1)) =
n n2 − 1( )2
Pour la diagonale secondaire, les choses se compliquent.
Bien sûr,
€
qn+1− j, j j∑ = (0 + 1 ... + (n −1)) = n(n −1)
2.
Cependant, la somme de la diagonale secondaire des restes est moins évidente à calculer,
puisque
€
rn+1− j, j j∑ = 3 j − 2[ ]mod n
j∑ . Par contre, par sa forme, les éléments de la diagonale
secondaire peuvent être trouvés de façon récursive :
€
rn− j, j+1 = rn+1− j , j + 3[ ]mod n.
Pour n>1, ceci signifie que si des termes se répètent dans la diagonale, alors il existe une
position
€
j ≠1 telle que
€
rn+1− j, j = 3 j − 2[ ]mod n = 1. Il existe alors un entier k minimal tel que
€
3 j − 2 = kn + 1. Cette position j sera donnée par
€
j = kn3
+ 1 et
€
j ∈ 1, 2, ... n { }. Pour
être entier, k ou n doivent être multiples de 3.
Si n est multiple de 3, pour
€
j = n3
, on a
€
3 j − 2 = 3 n3
− 2 = n − 2 et pour
€
j = n3
+ 1 ,
on a
€
3 j − 2 = 3 n3
+ 1
− 2 = n + 1 et
€
rn+1− j, j = n + 1[ ]mod n = 1. La trace de la
diagonale secondaire est donc formée de trois répétitions de la série
€
3 j − 2( )j=1
n3
∑ .
Si n n’est pas un multiple de 3, alors k doit être un multiple de 3. Il existe donc un entier
naturel m tel que
€
k = 3m . Nous obtenons donc
€
3 j − 2 = kn + 1 = 3mn + 1.
Si m = 0, j = 1. Si m > 0, alors j > n. Il n’y a donc aucune répétition de termes dans la
diagonale et puisque cette diagonale compte n éléments et qu’il y a n restes distincts possibles,
on ne peut que conclure que la diagonale secondaire portera tous les nombres de 0 à n2-1.
Ainsi, si n n’est pas un multiple de 3, la somme de la diagonale secondaire se calcule comme celle
des lignes et des colonnes.
Si n est un multiple de 3, la somme de la diagonale secondaire est donnée par :
€
n qn+1− j , j j∑ + rn+1− j, j
j∑ = n
2(n −1)2
+ 3 3 j − 2( )j=1
n3
∑
= n
2(n −1)2
+ 9 jj=1
n3
∑ − 2n
= n2(n −1)
2 + 9
n n3
+ 1
6 − 2n = n
2(n −1)2
+ n n − 1( )
2 =
n n2 −1( )2
Pour retrouver la méthode de La Loubère, il suffit d’ajouter 1 sur chaque case, ce qui n’affecte
pas les propriétés magiques. Nous avons donc démontré que la méthode est valable pour tout
carré d’ordre impair.
Missmath
Sources des images:
1 http://home.nordnet.fr/~ajuhel/Grenier/car_mag.html
2 http://serge.mehl.free.fr/anx/IndicDupin.html