difficile?
compliquée?
utopique?
l’intégration
scolaire n’a encore
aujourd’hui rien
d’évident. Par leur
parcours, Joana et
anna prouvent
cependant qu’elle
est possible et
enrichissante pour
tous. histoire de
deux intégrations
réussies.
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point fort
Joana a bientôt 17 ans. Elle est élève au collège des
Grandes-Communes à Genève. Un collège ordinaire,
avec son grand préau et ses centaines d’élèves. Joana
est dans une classe de neuvième année, tout ce qu’il y
a également de plus ordinaire. Seule Joana n’est pas
tout à fait ordinaire. Car Joana est trisomique.
Malgré son handicap, elle achèvera sa scolarité obliga-
toire cet été. Une belle manière de conclure un parcours
exemplaire, intégratif et réussi. Car Joana a toujours
fréquenté le milieu ordinaire. De 3 à 5 ans, elle a été dans
une crèche. Elle a intégré ensuite l’école de son quartier.
D’abord seulement les matinées, puis toujours plus,
ne passant finalement que 2 à 3 demi-journées en
école spécialisée. Joana a accompli ce cursus sans
accroche. Elle a juste connu quelques difficultés en
3ème primaire et redoublé sa 6ème pour consolider cer-
tains acquis.
Madame Franco, sa maman, est heureuse et fière du
chemin accompli par sa fille. ”Joana va bien. Elle a ap-
pris à lire. Elle est avec les autres enfants. Je suis conten-
te“, dit-elle. Mais la première à se réjouir du tout cela,
c’est Joana. ”J’aime l’école. Avec mes amis. Je travaille
et j’apprends“, explique-t-elle, enthousiaste, avant de
citer ses matières favorites: ”J’aime le français, le dessin,
le sport. L’anglais, pas toujours. Mais je n’aime pas les
maths“, dit-elle en consultant l’horaire de son carnet
journalier.
Vers plus d’intégrationSi le parcours de Joana est exemplaire, il est aussi excep-
tionnel: elle est en effet actuellement la seule élève
mentalement handicapée intégrée individuellement au
niveau du cycle d’orientation à une telle intensité (une
intégration de 7 demi-journées sur 9, complétée par un
accueil au centre spécialisé du Lac). La seule du collège.
La seule du canton.*
Il faut dire que l’intégration scolaire en est encore à ses
débuts. Elle fait lentement son chemin. Et elle rencontre
encore bien des réticences. ”C’est vrai, des freins exis-
tent. Ils peuvent être liés aux enseignants qui craignent
Texte: France Santi / Photo: Pierre-Yves Massot
de ne pas savoir faire ou de se trouver devant une
surcharge de travail. Ou aux enseignants spécialisés qui
craignent que le milieu ordinaire soit mal adapté, voire
néfaste pour l’élève particulier“, note Christine Debruè-
res, enseignante spécialisée au Centre des Voirets, dont
elle est aussi depuis janvier de cette année la responsa-
ble pédagogique. C’est elle qui a suivi Joana tout au
long de sa scolarité jusqu’en huitième année.
Du côté des parents aussi, l’intégration fait parfois peur.
Ils craignent qu’elle se fasse n’importe comment, que
leurs enfants ressortent dévalorisés de l’expérience, voi-
re traumatisés. Il leur faut un certain courage pour tenter
l’expérience. Et de l’endurance aussi, pour faire face aux
réticences qui peuvent joncher le parcours. C’est du
moins ce que laisse entendre la maman de Joana qui a
dû surmonter sa timidité, demander, insister et faire face
pour imposer l’intégration de sa fille. Elle avoue d’ailleurs
L’intégration, c’est possible
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Intégration réussie: Joana finira sa scolarité obligatoire cet été.
qu’elle n’y serait jamais arrivée toute seule. ”Pour réussir,
il faut bénéficier de soutien. Il faut une association à ses
côtés. Il faut trouver des enseignants motivés. Il faut
discuter avec les directions d’école. Joana a eu de la
chance, son enseignante spécialisée était toujours dispo-
nible et a toujours tout arrangé. Sans elle, cela aurait été
difficile“, explique Madame Franco.
Pour Joana, l’investissement de son enseignante spécia-
lisée a été très important. Est-ce la seule clé de ce succès?
Pour Joana, l’investissement de son enseignante spécia-
lisée a été très important. Mais ce n’est pas la seul clé du
succès. Alors, quelles sont les conditions qui ont permis
à Joana de suivre ce chemin et qui pourrait permettre à
d’autres enfants de suivre ses pas. Car, comme le souli-
gne Madame Franco, ”si Joana a pu le faire, d’autres
enfants peuvent aussi le faire.“ Ces questions sont
d’autant plus importantes qu’actuellement, dans le
cadre de la mise en oeuvre de la RPT, les cantons redéfi-
nissent leurs lignes directrices en matière d’enseigne-
ment spécialisé (voir encadré p. 15).
Tout est dans la collaboration”Pour permettre une intégration en milieu scolaire, tous
les intervenants doivent devenir des partenaires. Le mot
clé, c’est la collaboration“, lance l’enseignante spéciali-
sée Christine Debruères. Il faut qu’un ou une ensei-
gnante ”ouvre la porte“. Dans l’idéal, il faut même plus.
Il faut que cette personne bénéficie d’un réel soutien,
tant de la part de l’école spécialisée que de sa propre
direction. ”Lorsque le projet d’une enseignante devient
le projet de toute l’école, le parcours s’effectue plus
facilement“, ajoute l’enseignante spécialisée qui se féli-
cite d’avoir pu travailler main dans la main avec le Col-
lège des Grandes-Communes. La direction s’est en effet
point fort
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point fort
ANNONCE
pleinement impliquée dans ce projet d’intégration. ”La venue de Joana
a été préparée avec soin. Une cellule pédagogique a été mise en place.
Une équipe d’enseignants intéressés et pouvant suivre Joana sur trois
ans a été constituée“, confirme Jean-Noël Rey, directeur du Cycle des
Grandes-Communes.
Dès le début, les échanges ont été intenses entre l’institution de Joana
et le collège, entre Christine Debruères et les professeurs ordinaires,
plus particulièrement avec Chantal Dupré, l’enseignante titulaire de
Joana depuis la 7ème année. Pour cette dernière, il était essentiel d’avoir
une personne de contact, d’obtenir des réponses et des outils pour son
travail au quotidien. ”Je n’avais pas de crainte à accueillir Joana. Mais
ne connaissant rien du handicap, j’avais beaucoup de questions. Je me
demandais comment communiquer avec elle, quelles exigences à avoir,
tant au niveau social qu’en ce qui concerne ses performances scolai-
res“, dit-elle. Sans ces échanges, rien n’aurait été possible. ”Pour moi,
l’intégration de Joana est un travail d’équipe“, résume Chantal Dupré.
Un travail d’équipe… C’est exactement en ces termes que les parents
d’Anna expliquent l’intégration réussie de leur fille en milieu ordinaire.
”Si ça marche, c’est parce qu’Anna est entourée d’un véritable réseau
de partenaires“, lance Bertrand Gentizon, le papa d’Anna.
Anna a 9 ans. Elle vit dans le canton de Vaud. Elle un retard mental
accompagné d’hyperactivité. Elle commence tout juste à parler. Elle a
toujours fréquenté le milieu ordinaire. Son intégration s’est faite à des
taux variables, selon les années, au gré des possibilités trouvées avec
les différents établissements scolaires qui l’ont accueillie. Aujourd’hui,
elle passe 2 demi-journées par semaine dans une classe ordinaire de
1ère année primaire.
Le réseau dont parlent les parents s’est constitué petit à petit. ”A l’ori-
gine, tout est venu de nous. C’est nous qui avons pris contact, qui
avons négocié… mais aujourd’hui, nous sommes entourés par de vrais
partenaires“, confirme le père d’Anna.
Ces partenaires sont des membres de l’école ordinaire, de l’école spé-
cialisée, du service de l’enseignement spécialisé, du service des besoins
spéciaux de la petite enfance, l’ergothérapeute et eux, bien sûr, les
parents. Ils se réunissent 2 à 6 fois par année pour faire le point et
établir les objectifs pédagogiques du projet d’intégration d’Anna. Les
objectifs posés pour Anna sont très ouverts. Il s’agit, par exemple,
qu’elle arrive à manger correctement ou à pratiquer des jeux sociaux.
Pour y parvenir, l’école privilégie les cours ”créatifs“, soit des cours de
bricolage plutôt que de maths. Et ça marche! Anna se sent bien et fait
de grands progrès. ”Elle a notamment appris à jouer avec les autres
enfants“, confirme Caterina Gentizon, sa maman.
C’est une victoire pour les parents dont le souci principal est d’offrir
des outils de socialisation, de la faire participer au monde qui l’en-
toure. ”Nous désirons qu’Anna vive dans le même univers que nous,
ses parents, et que ses deux frères. Nous voulons lui laisser la possibi-
lité d’avoir une place dans le monde ordinaire“, explique sa maman.
Du sur mesurePour Joana aussi, l’intégration scolaire vise en priorité l’acquisition de
compétences sociales. Et comme Anna, Joana fait dans ce domaine
d’énormes progrès. Si en 7ème année, elle restait dans son coin et était
souvent seule, elle s’est fait une place. Elle va maintenant de temps en
temps en pause avec un groupe de filles. Elle a même invité des cama-
rades à son anniversaire. Elle a pris de l’assurance en classe également,
osant toujours plus participer, prendre la parole d’elle-même.
Mais qui dit acquisition de compétences sociales ne dit pas absence
d’apprentissage cognitif. Pour Christine Debruères, c’est une erreur que
de vouloir séparer ces deux dimensions. ”A l’école, il n’y a pas de socia-
lisation sans apprentissage, pas d’apprentissages sans socialisation.
Joana a gagné en indépendance et autonomie. Elle a aussi appris à
écrire des phrases. Elle a développé des capacités cognitives de mé-
moire, de réflexion, d’organisation.“ Intégrer ne se résume donc pas à
placer un enfant dans une classe, sans le stimuler de façon adaptée.
Mais ce n’est pas non plus vouloir lui faire atteindre les mêmes perfor-
mances. ”En intégration, il y a adaptation réciproque. Les attitudes
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comme les objectifs sont adaptés“, résume Christine
Debruères.
C’est pourquoi Joana profite d’un horaire personnalisé,
établi en collaboration entre les partenaires. Elle passe,
par exemple, un jour par semaine en école spécialisée.
Elle ne fait pas d’allemand, profitant de ces heures libé-
rées pour aller à la médiathèque, soit seule soit en com-
pagnie de son enseignante spécialisée. Elle bénéficie
aussi d’exercices adaptés, de données écrites en lan-
gage simplifié et d’une attention particulière de la part
de son enseignante titulaire. ”Quand la classe doit pas-
ser une épreuve, j’en profite pour m’occuper personnel-
lement de Joana“, confirme Chantal Dupré.
Anna aussi jouit d’un programme adapté. Du ”sur
mesure“ qui mélange soutien pédagogique et intégra-
tion sociale. Pour les parents d’Anna, cette capacité
d’adaptation de l’école ordinaire et de l’école spéciali-
sée est indispensable au projet d’intégration d’Anna. ”Il
y a de telles différences entre chaque handicap et entre
chaque enfant handicapé qu’il n’est pas possible de
s’appuyer sur un modèle. Il faut s’adapter à chaque cas.
Ce qui marche pour l’un ne fonctionnera pas forcément
pour l’autre“, dit Bertrand Gentizon, le papa d’Anna.
Les parents d’Anna espèrent que cette flexibilité conti-
nuera d’exister. Ils ont un peu peur car ils ont entendu
dire que l’intégration, dans le canton de Vaud, ce sera
du tout ou rien. Eux pour qui le passage de l’école pri-
maire au secondaire représente déjà un grand point
d’interrogation, ne voient pas Anna intégrée à 100% à
la manière de Joana. Du coup, ils craignent de devoir
carrément renoncer au projet d’intégration d’Anna.
Un enrichissement pour tousCe serait une grande perte. Pour leur fille. Pour eux.
Pour tout le monde. Car, comme les deux parents
aiment le souligner, l’intégration fait du bien à tous. Ils
en veulent pour preuve les témoignages des ensei-
gnants ayant accueilli Anna.Tous soulignent ce qu’Anna
leur a apporté tant au niveau personnel que profession-
nel et l’influence positive d’Anna sur la dynamique de
classe. Les parents des autres élèves aussi se montrent
reconnaissants. ”Certains parents nous ont remerciés
parce que, grâce à Anna, leurs enfants apprennent
beaucoup sur la tolérance et la différence… Et mainte-
nant, certains camarades de classe invitent même Anna
à leur anniversaire. C’est formidable!“, raconte sa ma-
man. Le papa enchaîne: ”Il faut arrêter avec notre so-
ciété de ségrégation. Il faut construire des ponts. Dans
ce projet d’intégration, nous sentons une petite touche
d’universalité.“
Bien entendu, tout n’est pas rose. Il y a toujours des
moqueries. Les frères d’Anna sont les premiers à le
savoir et à trouver cela injuste. Ils ont même une fois
exprimé le fait que, s’ils avaient une baguette magique,
ils l’utiliseraient pour que les autres arrêtent de se
moquer de leur sœur. Joana aussi est parfois regardée
de travers ou fait l’objet de remarques désobligeantes
de la part des collégiens. Mais ces regards sont lancés
par ceux qui ne la connaissent pas soulignent ses cama-
rades de classe. Eux, ils préfèrent parler d’enrichisse-
ment pour qualifier leurs années passées avec Joana. Ils
se sentent aujourd’hui beaucoup plus à l’aise face au
handicap mental, face à cette différence. ”Si ça a chan-
gé pour nous, ça doit aussi pouvoir changer dans la
société“, conclut l’un d’eux.
A propos de changement, Joana s’apprête à vivre une
nouvelle étape. Elle intégrera un centre de formation
professionnelle pour jeunes personnes mentalement
handicapées. Son rêve? Travailler dans le supermarché
de son quartier, là où elle a sa famille, ses amis, son
cours de danse, ses repères. Joana a envie de garder le
contact, d’avoir l’occasion de ”dire bonjour“ aux gens
qu’elle connaît.
Quand aux parents d’Anna, ils espèrent que leur fille
puisse intégrer une classe de troisième année afin d’être
avec des enfants de son âge. Pour le reste, ils s’abstien-
nent de tirer quelque plan que ce soit sur la comète,
conscients de la fragilité de leur projet: ”L’intégration
d’Anna est un chantier perpétuel“, disent-ils.
n
* Le canton de Genève compte actuellement 34 enfants intégrés de 1 à 7 demi-journée(s) au niveau primaire, ainsi que 6 adolescents dans la classe intégrée du CO de Bois-de-Clarens et 2 autres dans d’autres cycles.
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point fort
l’intégration, c’Est quoi?Pour Christine Debruères, il est important de souligner que l’intégration n’est pas assimilation. Contrairement à l’assimilation qui demande – à l’aide d’appuis spécifi-ques – que l’élève parvienne à faire comme ses camara-des, l’intégration, elle, appelle à une adaptation réciproque. ”Les activités sont les mêmes chaque fois que c’est possi-ble. Les objectifs, moyens et attitudes sont adaptés si né-cessaire. Des appuis sont of-ferts pour que ces objectifs (adaptés) personnalisé, fixés dans le projet, soient at-teints“, explique Christine Debruères. Pour insieme, l’intégration demande que l’école s’adap-te et se transforme, afin d’être capable d’accueillir l’enfant différent, quel que soit son handicap. Elle défend une intégration qui a pour but la poursuite d’objectifs d’apprentissage individuali-sés, adaptés à chaque enfant ayant des besoins spécifiques grâce à une organisation correspondante de l’ensei-gnement et avec le soutien d’enseignants spécialisés.
Plus d’intégrationAvec la mise en œuvre de la péréquation financière (RPT), en-trée en vigueur au 1er janvier de cette année, les cantons ont trois ans pour définir leur politique en la matière. Pour garder une certaine unité, la CDIP (Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique) a élaboré un accord inter-cantonal sur la collaboration dans le domaine de la pédagogie spécialisée. Cet accord pose les standards en matière d’ensei-gnement spécialisé. Il établit aussi le principe de l’intégration des enfants ayant des besoins éducatifs spécifiques dans l’éco-le ordinaire. ”Ce concordat représente un signe fort en faveur de l’intégration. Mais les moyens qu’il propose pour concrétiser cette intégration et la manière dont il définit l’intégration res-tent trop généraux. La situation risque de varier de canton en canton“, explique Heidi Lauper, co-directrice d’insieme Suisse. Elle invite les associations et parents à être particulièrement attentifs à la façon dont le principe sera concrétisé au niveau cantonal. Pour soutenir leurs démarches d’intégration, Heidi Lauper invite les parents cependant à y faire recours, tout comme à la loi sur l’égalité pour les handicapés (LHand Art. 20, al. 2).
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