29
PREMIERE PARTIE
LES DETERMINANTS TRADITIONNELS DE LA CROISSANCE:
LES MODELES A L’EPREUVE D’UN SIECLE DE DONNEES
31
L'objectif de cette thèse étant la croissance de long terme, il semble opportun
d'amorcer ce travail par une étude descriptive des facteurs traditionnellement invoqués pour
expliquer le dynamisme des économies. Un tel exercice est essentiel pour deux raisons.
D’abord, il permet une approche globale des phénomènes étudiés. La dimension temporelle
de notre travail étant dominante, une étude historique des pays de l’échantillon apporte un
premier éclairage nécessaire à une meilleure compréhension de la problématique étudiée.
L'analyse descriptive donne, ensuite, une intuition des relations à l’œuvre et permet, de ce fait,
de justifier les formes technologiques et les méthodes économétriques employées dans la
partie empirique de cette étude.
Cette partie (chapitre I) débute par une étude des indicateurs disponibles. La longueur de la
période étudiée impose une contrainte non négligeable sur les séries à disposition. Trois
variables sont particulièrement entachées d’une contrainte de disponibilité: l'investissement,
l'ouverture économique et le capital humain. Outre les erreurs potentielles liées à une
mauvaise collecte, chacune de ces variables doit faire face à une problématique particulière:
l'investissement pose la question d'un retour aux données de stock de capital physique tandis
que l'ouverture économique et le capital humain dépendent de manière cruciale des
indicateurs censés les représenter. Nous exposons donc pour chacune de ces variables les
problématiques empiriques qui les entourent et les solutions apportées dans le cadre de ce
travail.
L'analyse de ces séries se poursuit (chapitre II) ensuite par une rapide peinture des tendances
historiques enregistrées au cours du vingtième siècle. Un plan historique chronologique
s'impose tant les repères temporels paraissent marqués au cours de cette période. Les deux
guerres mondiales agissent comme des coupures nettes qui permettent de délimiter une fin de
dix-neuvième siècle stable, un entre deux guerres agité et contradictoire et une période de fort
dynamisme extraverti amorcée après la reconstruction. L’analyse historique constitue un
tremplin pour l’étude économétrique ultérieure: elle apporte un premier ensemble
d’explications aux évolutions observées et oriente de ce fait les tests mis en place pour capter
l’influence des facteurs de croissance.
Enfin, cette approche descriptive et historique de la croissance s'achève (chapitre III) par une
revue des principaux modèles et tests existant sur le sujet. Notre objectif est de vérifier si les
modèles économétriques habituellement utilisés pour étudier les déterminants de la croissance
restent valides sur le long terme. Cela donne lieu à un développement centré autour de deux
moteurs traditionnels: l’éducation et l’ouverture économique.
33
Chapitre I: Construction de la base de données: contraintes et pragmatisme
liés aux séries de long terme
Les études empiriques de la croissance - et de manière générale, les études macro-
économétriques - sont contraintes par la quantité ainsi que la qualité des données disponibles.
Afin d'augmenter le nombre de degrés de liberté de leurs régressions, les économètres ont
souvent recours à un élargissement de leur base de données dans le sens d'une prise en compte
du plus grand nombre de pays possible. Un tel choix n'est pas sans poser problèmes. En effet,
les équations de croissance font généralement appel à des hypothèses d'homogénéité
technologique et de proximité de l'équilibre qui s'accommodent mal de la multiplication
d'individus disparates. De plus, l'étude des sources de la croissance comporte une dimension
temporelle largement ignorée par ces travaux. Celle-ci est assimilée implicitement à la
dimension transversale selon l'idée que les pays en développement aujourd'hui correspondent
à ce qu'ont été les pays développés lorsqu'ils ne l'étaient pas encore. Cette assimilation
représente cependant une hypothèse contraignante en ce qu'elle laisse de côté toute possibilité
de rupture structurelle et d'effet d'apprentissage lors du processus de croissance.
Notre travail se démarque à cet égard car il repose sur une orientation inverse: il favorise
l'aspect temporel de la croissance au lieu de la dimension transversale. Le coût en est la faible
représentativité de notre échantillon. Un tel choix nous oblige, en effet, à réduire le nombre de
pays étudiés à une vingtaine, et nous incite à nous intéresser essentiellement à l'avenir des
pays les plus développés au début du vingtième siècle. Cette orientation ne résout pas non
plus le problème d'hétérogénéité technologique rencontré par les études transversales: il est
certainement tout aussi délicat de supposer une homogénéité technologique sur long terme
qu'entre pays différents. Cependant, la prise en compte d'une période temporelle longue nous
permet d'éviter l'assimilation entre dimensions transversale et longitudinale et de nous
restreindre à un nombre de pays plus petit. Les résultats obtenus seront donc, d'une part, plus
rigoureux sur le plan de la description des évolutions de long terme et, d'autre part, mieux
adaptés aux pays étudiés (car ils ne seront pas le fruit de moyennes effectuées sur des
économies fortement disparates).
Ayant fait ce choix d'une dimension temporelle longue, les problématiques étudiées sont
fortement contraintes par la disponibilité des données. Nous menons, dans ce qui suit, une
revue systématique des données à disposition et des indicateurs qu'il a été possible de
34
construire à partir des variables disponibles. Seule la variable de PIB n'est pas discutée. Elle
est issue de l'ouvrage de Maddison (1995) qui a effectué à son propos un travail colossal
d'homogénéisation à la fois en temporel et en transversal (prise en compte des différences de
définition entre comptabilités nationales, des déplacements de frontières, des écarts de
pouvoir d'achat entre pays…). Les données issues de ces recherches sont communément
adoptées au sein des études empiriques de la croissance de long terme8. Par opposition, les
variables d'investissement, de capital humain et d'ouverture économique se présentent comme
largement moins consensuelles au sein de la littérature.
A. La variable d'investissement et le retour aux données de stock
L’investissement est le déterminant traditionnel de la croissance. Il correspond au moteur
essentiel du modèle de Solow (1956) et revient systématiquement, malgré son caractère
clairement endogène, dans toute analyse de la croissance. Le lien entre accumulation de
capital physique et croissance économique est direct et linéaire: plus d’investissement entraîne
automatiquement une croissance plus importante du niveau de production. Cette relation n'est,
néanmoins, vraie que sur le chemin de transition vers l'équilibre. A l'équilibre même,
l'accumulation de capital vise uniquement au remplacement du matériel existant et ne
constitue pas un moteur de croissance. La croissance économique en ce point ne dépend que
de facteurs exogènes tels le taux de croissance démographique, le taux de progrès technique et
le taux de dépréciation du capital physique. Cependant, comme le soulignent Barro et Sala-i-
Martin (1995), les prédictions du modèle de Solow (1956) concernant l'équilibre sont
relativement peu intéressantes car, concrètement, les pays n'ont pas encore atteint cette
trajectoire de croissance stable. Les enseignements du modèle de Solow (1956) proviennent
essentiellement de sa prédiction d'un processus de convergence conditionnelle dans la zone de
transition vers l'équilibre. Au cours de ce processus là, le taux de croissance du PIB par tête
est tiré par la relation suivante:
(I.1)
8 Voir Ben-David et Papell (1995) et Romer et Sala-I-Martin (1995) entre autres…
k
k
kf
kfk
y
y°°
= *)(
)(’*
35
Où y est le PIB par tête, k le capital physique par tête et f(k) une fonction de production,
homogène, continue, croissante et concave en k.
Ce qui donne, dans le cas où la fonction de production considérée est une Cobb-Douglas à
rendements constants, une relation linéaire directe entre accumulation du PIB par tête et
investissement en capital physique par tête:
(I.2)
Où α est le coefficient affecté au capital dans la fonction de production.
Bien qu'essentielle au sein des régressions de croissance, la variable d'accumulation de capital
physique fait l'objet de nombreuses critiques. Parmi celles-ci, reviennent régulièrement
l'inadéquation d'un taux d'investissement dans le PIB pour approximer l'accumulation de
capital physique et les erreurs de données dont sont entachées les séries d'investissement.
Dans ce qui suit, nous discutons des données disponibles et de leur pertinence au regard des
critiques précédentes.
1. Les données d’investissement utilisées
La variable d'investissement à laquelle nous avons recours est issue de différentes bases de
données selon la période considérée. Cependant, les sources retenues partagent un point
commun: elles donnent accès aux parts d'investissement dans le PIB et non directement à des
taux de croissance du capital physique.
a. L’avant guerre : la base de Jones et Obstfeld (1997)
Pour ce qui est de l'intervalle 1880-1945, les données d'investissement proviennent de Jones et
Obstfeld (1997). Elles concernent 10 pays de l'OCDE et constituent le facteur limitatif qui a
décidé de la taille de la base de données. Trois pays (Belgique, Espagne, Pays Bas) ont ainsi
du être supprimés de l’échantillon car leurs statistiques, disponibles en termes de PIB par
habitant et d’exportations, faisaient défaut en ce qui concerne l’investissement.
k
k
y
y°°
=α
36
b. L'après guerre: les données de la Banque Mondiale contre celles de Nehru et Dhareshwar
(1993)
Après 1945, plusieurs bases de données sont disponibles, parmi lesquelles celle de la Banque
Mondiale et celle de Nerhu et Dareshwar (1993). Ces sources fournissent des données
relativement disparates, puisque les représentations graphiques (feuille de graphes I.1) qui en
découlent se distinguent en niveau. Cependant, ces deux séries de courbes étant relativement
parallèles, elles recensent des évolutions de la part de l'investissement identiques au cours du
temps. Les méthodes statistiques utilisées dans la suite de cette étude - et notamment
l’estimation de modèles à effets fixes - s'appuient principalement sur les variations des
indicateurs et non sur leurs niveaux absolus. Les deux séries présentées ci-dessus devraient
donc mener à des résultats similaires au sein des régressions économétriques.
c. La relation entre taux d'investissement et accumulation de capital physique
Traditionnellement, la variable d'accumulation de capital physique utilisée au sein des
régressions de croissance correspond au taux d'investissement (c'est à dire à la part
d'investissement dans le PIB). Cependant, cette assimilation est techniquement erronée
puisque la variable à prendre en compte devrait être le taux de croissance du capital physique.
Dans la suite, nous essayons d’évaluer le biais qu’une telle approximation peut entraîner sur le
coefficient structurel affecté à la variable d'accumulation de capital physique.
Par définition, au sein d'une fonction Cobb-Douglas:
(I.3)
Où Y est la production, K le capital physique, L le travail, A le facteur technologique, I
l'investissement, δ le taux de dépréciation, et s la propension à épargner.
KsYKIKavec
L
L
K
K
A
A
Y
YLAKY
∂−=∂−=
++=⇒=
°
°°°°
:
βαβα
37
Série de graphes I.1: Comparaison des données d’investissement concernant la périoded'après guerre, Banque Mondiale contre Nehru et Dhareshwar (1993)
Canada Etats-Unis
France Royaume-Uni
Allemagne Japon
.... Données de Nehru et Dhareshwar (1993)__ Données issues de la Banque Mondiale
0
0,05
0,1
0,15
0,2
0,25
0,3
1950
1951
1952
1953
1954
1955
1956
1957
1958
1959
1960
1961
1962
1963
1964
1965
1966
1967
1968
1969
1970
1971
1972
1973
1974
1975
1976
1977
1978
1979
0
0,05
0,1
0,15
0,2
0,25
0,3
1950
1951
1952
1953
1954
1955
1956
1957
1958
1959
1960
1961
1962
1963
1964
1965
1966
1967
1968
1969
1970
1971
1972
1973
1974
1975
1976
1977
1978
1979
0
0,05
0,1
0,15
0,2
0,25
0,3
0,35
1950
1951
1952
1953
1954
1955
1956
1957
1958
1959
1960
1961
1962
1963
1964
1965
1966
1967
1968
1969
1970
1971
1972
1973
1974
1975
1976
1977
1978
1979
0
0,05
0,1
0,15
0,2
0,25
1950
1951
1952
1953
1954
1955
1956
1957
1958
1959
1960
1961
1962
1963
1964
1965
1966
1967
1968
1969
1970
1971
1972
1973
1974
1975
1976
1977
1978
1979
0
0,05
0,1
0,15
0,2
0,25
0,3
0,35
1950
1951
1952
1953
1954
1955
1956
1957
1958
1959
1960
1961
1962
1963
1964
1965
1966
1967
1968
1969
1970
1971
1972
1973
1974
1975
1976
1977
1978
1979
0
0,05
0,1
0,15
0,2
0,25
0,3
0,35
0,4
0,45
1950
1951
1952
1953
1954
1955
1956
1957
1958
1959
1960
1961
1962
1963
1964
1965
1966
1967
1968
1969
1970
1971
1972
1973
1974
1975
1976
1977
1978
1979
38
Si l'on ne s'intéresse qu'à la partie accumulation de capital physique de cette équation et que
l'on néglige la dépréciation du capital physique,
(I.4)
Ce qui nous donne la relation entre taux d'investissement et accumulation de capital physique
suivante:
(I.5)
L'indicateur d'accumulation de capital physique utilisé dans les régressions économétriques
correspond à la vraie valeur du taux de croissance du capital multipliée par l'intensité
capitalistique. Le coefficient structurel obtenu lors des régressions économétriques devrait, de
ce fait, être multiplié par l'inverse de la part de capital dans le PIB pour correspondre à l'effet
véritable recherché, ce qui signifie que les estimations de croissance telles qu'elles sont
menées traditionnellement surestiment l'impact de l'accumulation de capital physique sur la
croissance (la part du capital physique dans le PIB est, en effet, supérieure à l’unité).
Néanmoins, le biais n'est pas si simple à calculer car l'intensité capitalistique varie dans le
temps. Il ne s'agit donc pas seulement de corriger le coefficient structurel associé à
l'investissement d'un facteur constant. La remarque précédente reste cependant vraie en
moyenne.
La construction d'un meilleur indicateur de l'accumulation de capital physique impliquerait
donc le retour à des stocks de capital physique, de manière à diviser les données
d'investissement par le niveau de capital physique atteint par l'économie.
2. La reconstitution de séries de capital physique
A partir des données d'investissement, nous avons tenté de reconstituer des séries de capital
physique de long terme. Un tel exercice permettrait de passer d'une analyse des déterminants
de la croissance à une étude de la fonction de production en elle-même. A terme, les variables
de stock pourraient permettre la détermination de relations de cointégration et d'un modèle à
correction d'erreur. Un second intérêt de cet exercice est de vérifier la validité des niveaux
d’investissement utilisés. En effet, l’obtention de données de stocks crédibles pourrait
K
I
K
K =°
Y
K
K
I
Y
I*=
39
constituer une première confirmation du caractère raisonnable des valeurs d’investissement
disponibles.
a. L’extrapolation de la méthode de Nehru et Dareshwar (1993) sur la période d’avant guerre
Afin de reconstituer des variables de stock, nous utilisons la méthode de Nehru et Dareshwar
(1993). Il s'agit de prendre, pour point de départ, le taux de dépréciation du capital utilisé par
ces auteurs et la série de capital qu'ils ont construite pour l'après guerre. La reconstitution des
séries d'avant guerre consiste ensuite en une déduction des niveaux de capital physique à
partir du taux d'investissement et de la donnée de capital physique de l'année précédente. La
méthode est donc une incrémentation mais effectuée à rebours selon la formule suivante :
(I.6)
Avec Kt, le niveau de capital physique en t, It celui de l'investissement et δ, le taux de
dépréciation du capital physique.
Malheureusement, la reconstitution des données de stock, telle qu’elle est effectuée selon
cette méthodologie, débouche sur des résultats aberrants. La déduction des statistiques de
capital physique à partir des données de Nehru et Dareshwar (1993) entraîne l’obtention, soit
de valeurs négatives (cas de la France et du Danemark), soit de valeurs supérieures en début
de période à celles de fin de période (Royaume Uni, Canada, Etats Unis). Un tel résultat
s’explique en partie par l’utilisation, inadéquate en termes économiques et statistiques, d’un
taux de dépréciation de capital physique constant sur toute la période étudiée et pour tous les
pays considérés. Les courbes obtenues indiquent que pour certains pays les taux de
dépréciation choisis par Nehru et Dareshwar (1993) sont trop élevés pour être conservés tels
quels avant guerre (cas du Canada, des Etats Unis et du Royaume Uni) et que pour d’autres ils
sont trop faibles (cas de la France, du Danemark).
∂−−
= ++
111 tt
t
IKK
40
Série de graphes I.2: Extrapolation des stocks de capital physique avant la seconde guerremondiale selon la méthode de Nehru et Dhareshwar (1993) pour quatre pays de l’échantillon
b. Un cas de sous-évaluation du taux de dépréciation: la France
Si l'on se restreint à l’exemple de la France, le résultat en termes de sous-évaluation du taux
de dépréciation se comprend dans la mesure où la deuxième guerre mondiale a occasionné
d'importantes destructions sur le territoire français, entraînant de ce fait plus qu’un
ralentissement de l’investissement, une destruction du capital physique. Ces destructions
peuvent être assimilées à des cas extrêmes de dépréciation du capital physique et de ce fait
portent le taux de dépréciation à des valeurs largement supérieures à 5%. D’ailleurs, si l’on se
réfère à l’étude historique de Pierre Villa (données répertoriées sur le site du CEPII), la
France aurait connu des taux de dépréciation de l’ordre de 10% durant les années de guerre.
Cependant, lorsque les taux de dépréciation plus adéquats recensés par cet auteur sont utilisés
dans le calcul précédent ils mènent eux aussi à des résultats aberrants. Ils aboutissent à une
forte décroissance des niveaux de capital physique tout au long du XXème siècle (feuille de
graphes I.3). Si, par contre, les taux variables de Pierre Villa ne sont utilisés que pour calculer
Canada
0
200 000
400 000
600 000
800 000
1 000 000
1 200 000
1 400 000
1880
1883
1886
1889
1892
1895
1898
1901
1904
1907
1910
1913
1916
1919
1922
1925
1928
1931
1934
1937
1940
1943
1946
1949
1952
1955
1958
1961
1964
1967
1970
1973
1976
1979
Etats unis
0
5 000 000
10 000 000
15 000 000
20 000 000
25 000 000
1880
1883
1886
1889
1892
1895
1898
1901
1904
1907
1910
1913
1916
1919
1922
1925
1928
1931
1934
1937
1940
1943
1946
1949
1952
1955
1958
1961
1964
1967
1970
1973
1976
1979
France
-30 000 000
-25 000 000
-20 000 000
-15 000 000
-10 000 000
-5 000 000
0
5 000 000
10 000 000
15 000 000
1880
1883
1886
1889
1892
1895
1898
1901
1904
1907
1910
1913
1916
1919
1922
1925
1928
1931
1934
1937
1940
1943
1946
1949
1952
1955
1958
1961
1964
1967
1970
1973
1976
1979
Royaume Uni
0
100 000
200 000
300 000
400 000
500 000
600 000
700 000
800 000
900 000
1 000 000
1880
1883
1886
1889
1892
1895
1898
1901
1904
1907
1910
1913
1916
1919
1922
1925
1928
1931
1934
1937
1940
1943
1946
1949
1952
1955
1958
1961
1964
1967
1970
1973
1976
1979
41
les niveaux de capital physique d'avant guerre, la courbe obtenue laisse apparaître des
données de capital physique négatives avant les années 1920.
Série de graphes I.3: Extrapolation des stocks de capital physique avant la seconde guerremondiale dans le cas de la France, selon le taux de dépréciation choisi
Projection des niveaux de capital physique dans le cas de la France, depréciation variable
0
50 000 000
100 000 000
150 000 000
200 000 000
250 000 000
300 000 000
350 000 000
400 000 000
1880
1883
1886
1889
1892
1895
1898
1901
1904
1907
1910
1913
1916
1919
1922
1925
1928
1931
1934
1937
1940
1943
1946
1949
1952
1955
1958
1961
1964
1967
1970
1973
1976
Projection des niveaux de capital physique dans le cas de la France, dépreciation semi variable
-20 000 000
-15 000 000
-10 000 000
-5 000 000
0
5 000 000
10 000 000
15 000 000
1880
1883
1886
1889
1892
1895
1898
1901
1904
1907
1910
1913
1916
1919
1922
1925
1928
1931
1934
1937
1940
1943
1946
1949
1952
1955
1958
1961
1964
1967
1970
1973
1976
1979
42
b. Deux cas de surévaluation du taux de dépréciation: le Canada et les Etats Unis
Dans le cas du Canada, il n’existe pas de séries longues de taux de dépréciation. Cependant,
ce pays n’ayant pas connu de destructions directes sur son territoire lors des deux guerres
mondiales, il n’y a pas de sous-estimation de son taux de dépréciation durant ces périodes. La
reconstitution par extrapolation de son capital physique d’avant guerre laisse même supposer
une surestimation de ce taux puisque la courbe apparaît fortement décroissante avant les
années 1950. Une étude plus approfondie des séries d’investissement du Canada mène à la
conclusion que tout taux de dépréciation supérieur, en moyenne, à 2.2%, entraîne l'obtention
d'une courbe en U inversé. Un taux de 2% mène aux résultats consignés dans le graphe I.4.
Une étude similaire appliquée au cas des Etats Unis conduit à un taux critique de dépréciation
de 2%.
Série de graphe I.4: Extrapolation des stocks de capital physique avant la seconde guerremondiale dans le cas du Canada avec taux de dépréciation égal à 2%
Finalement, il apparaît plus conforme à la réalité de considérer le taux de dépréciation comme
variable au cours du temps. Effectivement, l'étude de cas précis tels le Canada, la France et les
Etats-Unis suggère une dépréciation du capital physique plus faible avant la seconde guerre
mondiale que sur la période suivante sur laquelle l’hypothèse de Nehru et Dareshwar (1993)
0
200 000
400 000
600 000
800 000
1 000 000
1 200 000
1880
1883
1886
1889
1892
1895
1898
1901
1904
1907
1910
1913
1916
1919
1922
1925
1928
1931
1934
1937
1940
1943
1946
1949
1952
1955
1958
1961
1964
1967
1970
1973
1976
1979
43
d’un taux à 5% est crédible. Un tel résultat peut se justifier par l’adoption après guerre de
techniques de plus en plus élaborées - liées notamment au développement de l’informatique -
qui, de ce fait, ont probablement connu une obsolescence plus rapide. Il faut aussi compléter
cette analyse, dans le cas de certains pays européens (France, Italie, Allemagne, Belgique),
par l'adoption de taux de dépréciation particulièrement élevés pendant la guerre pour prendre
en compte les destructions massives de capital intervenues alors.
Cependant, la recherche de taux de dépréciation appropriés est un travail fastidieux, aux
résultats incertains. Au lieu de faire des hypothèses trop contraignantes et d’ajouter à
l’imprécision des données en "inventant" des taux de dépréciation plausibles, nous avons
préféré nous contenter des données d’investissement. Toutefois, l'absence de données précises
relatives aux taux de dépréciation du capital physique contraint de manière notable notre
étude en rendant impossible le retour à des variables de stock. La suite de ce travail se
concentre donc sur des analyses de flux et ne peut permettre un retour aux fonctions de
production de long terme.
Ce résultat jette également un doute sérieux sur la pertinence des données d’investissement
disponibles. En effet, si le caractère peu plausible d’un taux de dépréciation constant sur toute
la période semble être une des raisons pour lesquelles il n'est pas possible de reconstituer des
variables de stock, la mauvaise qualité des données pourrait, elle aussi, expliquer un tel
résultat. La suite de ce travail, et notamment l'estimation économétrique, nous aidera
certainement à trancher ce débat.
B. La variable de capital humain, stock ou flux ?
La recherche des déterminants fondamentaux de la croissance, ainsi que la volonté de fonder
des modèles de divergence ont conduit certains économistes à se tourner vers le capital
humain comme moteur potentiel de la croissance. Celui-ci est ainsi devenu, au même titre que
l'investissement, un déterminant fondamental des performances économiques des pays.
Cependant, la multiplication des modèles prenant en compte ce facteur a entraîné un
foisonnement des spécifications dans lesquelles il intervenait et a créé un doute sur les
caractéristiques de l'indicateur susceptible de le représenter. Mankiw, Romer et Weil (1992)
l'ont incorporé au modèle de Solow (1956) sous la forme d'un facteur de production. Deux
44
spécifications alternatives issues du modèle ainsi déterminé le font tour à tour apparaître sous
la forme d'un investissement (approximé par un taux de scolarisation) et d'un stock (nombre
d'années d'école accumulées par la population active). Cependant, les résultats paradoxaux
mis à jour sur données de panel, ainsi que le caractère peu convaincant d'une convergence
conditionnelle qu'il est nécessaire de contrôler par l'ajout de multiples dummies pays, ont
remis en cause la pertinence du modèle de Solow (1956) augmenté. Les économistes se sont
alors tournés vers des spécifications issues directement des fonctions de production pour
déterminer l'impact du capital humain sur la croissance. Ces modèles ne se référent plus à une
proximité de l'équilibre, mais s'appuient sur une transformation de la fonction de production
en modèle dynamique, pour dériver la spécification utile à l'estimation économétrique. Il n'en
reste pas moins un doute persistant sur la nature du concept de capital humain et par
conséquent sur le type d'indicateur à utiliser lors des estimations économétriques.
1. Quel indicateur de capital humain adopter ?
Le capital humain, tel qu'il a été conçu par les théoriciens de la croissance endogène est un
concept à multiples facettes. Lorsqu'il s'apparente à du learning or doing, il se réfère
explicitement aux années passées par les individus au sein des institutions scolaires.
Cependant, il recouvre aussi le phénomène de learning by doing et, de ce fait, s'apparente à de
l'apprentissage. Mais son influence sous forme d'externalité fait aussi appel à un concept
beaucoup plus large, mêlant la capacité des individus à adopter de nouvelles technologies,
leur adaptation au système et leur aptitude à la communication. Dans ces conditions, la
validation empirique des modèles traditionnels se heurte à la difficulté de choisir un indicateur
pertinent de capital humain.
a. La nature multiple du capital humain
La nature du capital humain est peu ou mal spécifiée. Alors que les études empiriques
macroéconomiques se focalisent sur les données concernant l'éducation pour tenter d'estimer
cette grandeur et son impact sur les performances économiques, les économistes s'accordent
sur le fait que le capital humain ne se réduit pas à l'enseignement. Il relève autant des
connaissances acquises que du domaine de la santé. Ensuite, même si la notion de capital
humain se limitait à celle de "qualifications", l'éducation ne correspondrait alors qu'à un mode
spécifique d'acquisition du capital humain. En effet, l'apprentissage et l'acquisition des
45
connaissances hors milieu scolaire participent également du processus d'accumulation du
savoir. Intervient aussi dans ce panorama le phénomène d'obsolescence du savoir, peu étudié,
mais essentiel pour estimer la qualité de la main d'œuvre.
De plus en plus, les études empiriques tentent d'intégrer des indicateurs de qualité au sein de
leurs estimations statistiques. Islam (1995) souligne, à ce propos, que l'absence de prise en
compte d'une dimension qualitative lors des estimations économétriques pourrait expliquer
que la variable de capital humain ne soit plus significative au sein des régressions de
croissance: des pays peuvent artificiellement augmenter le nombre d'années d'éducation sur la
période tout en laissant la qualité de l'enseignement s'effondrer9. Là encore la tâche est ardue
car se pose à présent la question de la mesure quantitative la plus pertinente pour rendre
compte de la qualité d'un savoir. Au niveau de l'éducation scolaire même, il est difficile
d'affirmer avec certitude que la quantité des inputs - locaux, matériel, professeurs, etc. -
entretient un lien systématique avec la qualité des enseignements dispensés ; bien qu'en la
matière, les études micro-économiques aient évolué d'une position très sceptique (Hanushek,
1986 et 1996) à une réhabilitation de l'importance de ces facteurs (Case et Deaton, 1999).
Sur le long terme, il nous est impossible de prendre en compte la qualité des institutions
éducatives au sein de nos régressions. Il est, cependant, probable que la proximité des pays
étudiés limite l'importance des écarts qualitatifs. A cet égard, les pays d’Amérique Latine,
ainsi que le Japon en début de période, constituent sans doute une entorse au principe
d’homogénéité.
b. L'arbitrage stock de capital humain, taux de scolarisation
L’emploi d’un estimateur de capital humain conduit traditionnellement au dilemme du choix
entre variable de stock et taux de scolarisation. Cette dernière option est cependant
problématique dans la mesure où les modèles de croissance généralement testés se réfèrent à
des niveaux d’éducation atteints et non aux investissements éducatifs. Or, les taux de
scolarisation s’apparentent à des flux plus qu’à des variables de stock. Pritchett (1996a)
énonce une position encore plus radicale, puisque selon lui, les taux de scolarisation ne
correspondent à aucune réalité économique. Ils ne constituent pas des flux car le lien entre
nombre d'années d'éducation de la population et pourcentage de la population en âge d'être
scolarisé effectivement inscrit à l'école n'est pas direct. Il ne s'agit pas non plus de stocks, et
9 De manière similaire, Behrman et Birdsall (1983) démontrent au sein d'équations de salaire appliquées auBrésil l'importance de l'ajout d'une variable qualitative pour expliquer les rendements de l'éducation.
46
Pritchett (1996a) montre même qu'il existe une corrélation négative entre taux de croissance
du stock et taux de scolarisation initial, grandeur sur laquelle sont basées les études
transversales de la relation entre taux de croissance économique et niveau de capital humain.
A cette fin, il explicite l'exemple de la Grande Bretagne qui est caractérisée par un fort taux de
scolarisation dans les années 1960, mais enregistre un accroissement faible de son stock au
cours des années qui suivent. A contrario, la Corée présente un taux de scolarisation
relativement faible en 1960, et un accroissement appréciable de son stock de capital humain
sur la période. Par conséquent, l'utilisation de taux de scolarisation alors même que la variable
influente devrait être le stock de capital humain conduit à estimer l'inverse de l'effet que l'on
souhaitait à l'origine capter.
Cette critique est particulièrement contraignante sur une base de long terme. Il n’existe, en
effet, pas de données de stock sur la période précédant la seconde guerre mondiale. Leur
construction nécessiterait l’obtention d’une année de base afin de pouvoir, par incrémentation,
remonter aux données précédentes. Or, cette condition requiert une concordance parfaite entre
la nature des données de flux et celle de la valeur du stock, ce qui est particulièrement difficile
à obtenir sur le long terme. Ainsi, par exemple, nos variables d'éducation concernent le
pourcentage des 5-19 ans scolarisés dans le primaire et le secondaire sans prise en compte ni
des redoublements, ni du début ou de la fin effectifs des enseignements, ce qui n’est pas
compatible avec les données de stock de capital humain existantes10. De plus, les difficultés
rencontrées lorsqu'il s'est agi de reconstituer des stocks de capital physique laissent présager
le caractère hasardeux d'une démarche identique appliquée à des indicateurs de capital
humain, c'est à dire à des données dont la pertinence et la précision sont encore plus
contestées. Une méthode alternative aurait été de sacrifier une quarantaine d’années de
l’échantillon afin de générer des séries de stocks purement issues de nos données. Un tel
choix n’est cependant pas forcément souhaitable lorsque l’étude menée se propose d'identifier
les déterminants de long terme de la croissance. Au regard de ces limites, il nous a donc paru
plus sage de conserver les taux de scolarisation au sein des tests économétriques.
2. L’indicateur adopté et sa pertinence
La rareté relative des données de capital humain sur long terme nous a incité à adopter des
taux de scolarisation comme indicateur de l’éducation. Ceux-ci ne nous semblent, cependant,
10 Barro et Lee (1993), Nehru, Swanson et Dubey (1995)
47
pas être une approximation trop mauvaise au regard de leur corrélation avec les données de
stock existantes.
a. L’indicateur adopté
Les variables d’éducation utilisées dans le cadre de nos estimations économétriques sont
issues de la mise en commun de deux bases de données - Maddison (1995) et Banks (1995) -
et des statistiques de l’INED. Banks (1995) recense des séries d’étudiants scolarisés en
pourcentages de la population totale. Nous les corrigeons de la structure démographique en
nous référant aux données par âge de l’INED11. Nos estimateurs finaux s’apparentent ainsi à
des taux de scolarisation. Cependant, parce que de telles données sont assez peu précises sur
un siècle, nous ne pouvons conserver les trois estimateurs initialement présents dans la base
de Banks (1995): scolarisation dans le primaire, le secondaire et à l’université. Nous
agrégeons les deux premiers en une seule variable: le pourcentage des 5-19 ans inscrits dans
le primaire ou le secondaire.
b. La pertinence de l’indicateur adopté
Souhaitant tenir compte de l’objection de Pritchett (1996a), nous cherchons à identifier les
liens existant entre nos taux de scolarisation et les stocks de capital humain rassemblés par
différents auteurs. A cette fin, nous calculons les coefficients de corrélation reliant les deux
séries pour les périodes sur lesquelles la disponibilité des données le permet. Le premier
tableau (I.1) expose les résultats obtenus lors de la comparaison entre les taux de scolarisation
construits à partir de Banks et les stocks de capital humain recensés par Nehru, Swanson et
Dubey (1995). Les coefficients de corrélation sont construits à partir de données annuelles sur
la période 1960-1979. Le second tableau (I.2) recense les pays pour lesquels les données
annuelles ne sont pas disponibles. C'est donc la moyenne des taux de scolarisation qui est
comparée aux valeurs de stock construites par Barro et Lee (1993). Au sein de ces deux
tableaux, nous comparons la statistique issue des travaux de Banks (1995), c'est à dire le taux
11 Les données de structure démographique étaient manquantes pour plusieurs pays. Nous les avons extrapoléesen nous basant sur la proximité de structure démographique de certaines économies. Nous avons supposé que lesvariations de population a l’intérieur de chaque classe étaient les mêmes pour des pays suffisamment similaires,ce qui nous a permis d’appliquer les taux de croissance de la population déduits des pays de référence aux payspour lesquels il nous manquait des valeurs. Nous avons ainsi pu combler les données manquantes de l’Australieen nous référant au Canada (pour les années 1920-1935), celles de l’Argentine, du Brésil et du Venezuela en
48
de scolarisation dans le primaire et le secondaire, à, successivement, l'indicateur du nombre
d'années moyen passées dans le primaire, celui du secondaire et l'éducation totale.
Le tableau I.2 a une portée limitée dans la mesure où les coefficients de corrélation sont
calculés sur quatre points seulement. Cependant, dans la mesure où nous contestons
l’assimilation de la dimension transversale à la dimension temporelle, il ne nous paraît pas
pertinent de regrouper les données - fussent-elles d’une même région - afin d’augmenter
artificiellement le nombre de points. De plus, même sur un nombre réduit de points, les
résultats obtenus donnent une bonne idée des relations en présence puisque le même niveau
de corrélation se retrouve pour plusieurs pays différents.
Il existe globalement une forte corrélation entre taux de scolarisation et nombre d'années
d’éducation. Cette corrélation est particulièrement forte lorsque la variable d'éducation qui
introduit le plus de variance au sein de l'estimateur agrégé est prise en compte. Ainsi, au sein
de notre variable d'éducation, c'est le secondaire qui a connu l'évolution la plus forte entre
1960 et 1979. C'est donc cette tendance qui imprime son mouvement à la variable agrégée et
justifie une corrélation avec le nombre d'années d'éducation secondaire. Le même phénomène
se retrouve dans les deux tableaux que les données de référence soient celles de Nehru,
Swanson et Dubey (1995) ou de Barro et Lee (1993).
Tableau I.1: coefficients de corrélation entre le nombre d'années moyen d'éducation de la population de Nehru,Swanson et Dubey (1995) et les taux de scolarisation construits à partir de Banks (1995) sur la période 1960-79
Canada Danemark France Allemagne Italie Japon Norvège UK US Suède
1aire -.489 -.773 -.785 -.796 .076 -.402 -.908 -.692 .6982aire .327 .964 .934 .704 .987 .396 .946 .832 -.742 .958Total .245 .974 .082 -.795 .965 .438 .952 .145 -.921
Tableau I.2: coefficients de corrélation entre le nombre d'années d'éducation de Barro et Lee (1993) et les tauxde scolarisation construits à partir de Banks (1995) en moyennes quinquennales sur la période 1960-1975
Argentine Australie Belgique Brésil Chili Pays Bas Espagne Venezuela
1aire .916 -.069 .455 .990 .942 -.663 .910 .8602aire .977 .894 -.519 .990 .905 .758 .920 .914Total .932 .818 -.564 .992 .915 -.072 .939 .872
nous appuyant sur les données chiliennes, et les données de la Finlande d’avant guerre ont pu être extrapolées àpartir des données suédoises.
49
Il est remarquable que, mis à part les Etats Unis et la Belgique, qui connaissent des
corrélations négatives, et le Canada et le Japon, dont la corrélation n'est que de,
respectivement .327 et .396, les autres pays aient connu une évolution parallèle de leur stock
de capital humain et de leurs taux de scolarisation. Nos résultats semblent donc suggérer un
effet inverse de celui souligné par Pritchett (1996a).
Dans le cas des Etats Unis, qui semble, au contraire, confirmer la thèse de Pritchett (1996a), il
paraît possible de justifier les statistiques obtenues au vu de leur forte propension à attirer les
travailleurs les plus qualifiés des autres pays (phénomène de brain drain). En effet, l'afflux de
capital humain, alors même qu'il n'est pas issu des écoles américaines, est de nature à faire
croître le stock de capital humain du pays. Le taux de scolarisation est, quant à lui, purement
régi par le taux de présence des Américains au sein de leur système éducatif et ne dépend
nullement de l'afflux de travailleurs qualifiés étrangers. Ainsi, l'observation des données nous
donne à contempler la relative baisse des taux de scolarisation américains alors même que le
stock de capital humain de la région ne cesse de croître.
Un test alternatif d'intégration des séries nous permet de confirmer la similarité de
comportement entre taux de scolarisation et stocks de capital humain. En effet, les résultats
reportés au sein du tableau I.3 suggèrent l'existence d'une racine unitaire dans neuf cas sur
dix, ce qui indique des séries dont l'évolution présente repose largement sur l'histoire passée.
Tableau I.3: Test de Dickey Fuller appliqué aux taux de scolarisationDF P-value Lag
Allemagne -2.09 .55 2Canada -1.66 .77 2Danemark -1.70 .75 3USA -.94 .95 2France -1.20 .91 2Italie -.90 .96 2Japon -3.8 .02 7Norvège .009 .99 2Royaume-Uni -2.76 .21 3Suède -1.35 .87 2
DF: statistique de Dickey Fuller, Lag: nombre de retards pris en compte
Statistiquement, les taux de scolarisation semblent donc répondre à une logique
d'accumulation. Sur le plan théorique, un tel résultat peut se comprendre dans une perspective
où la part de capital humain alloué à l'éducation est proportionnelle au stock de capital
humain présent dans l'économie. Dans ce cas là, en effet, les deux grandeurs enregistrent des
évolutions communes. Une telle hypothèse n'est pas dénuée de sens, surtout à long terme,
50
horizon sur lequel le niveau de scolarisation est certainement limité par la quantité de capital
humain disponible. En effet, si l'on suppose que le capital humain est le principal ingrédient
de la scolarisation - ce qui se justifie par le fait que les professeurs constituent l'un des
principaux inputs de l'éducation - et si, d'autre part, le ratio élèves / professeurs reste constant,
il est vraisemblable que le nombre de professeurs détermine le nombre d'élèves et par
conséquent le taux de scolarisation. Cette relation se retrouve d'ailleurs au sein du modèle de
Lucas (1988) puisque l'hypothèse fondatrice de son modèle consiste en une équation
d'accumulation du capital humain qui fait dépendre la variation de H de son niveau. Si cette
variation est assimilée à de l'investissement éducatif, nous retrouvons l'hypothèse d'une
relation linéaire entre scolarisation et capital humain présent dans l'économie.
L’objection de Pritchett (1996a) nous est apparue principalement pertinente dans le cas d'une
étude transversale puisque l'introduction de la dimension temporelle fait disparaître la relation
négative entre l'évolution du taux de scolarisation et celle du stock de capital humain. Ainsi, si
l'on retourne à l'exemple décrit par Pritchett (1996a), on s'aperçoit que l'évolution des taux de
scolarisation de la Grande Bretagne et de la Corée a suivi celle des stocks: parce que la
Grande Bretagne avait déjà atteint un niveau de scolarisation élevé, les variations de celui-ci
se sont affaiblies – de même que l'accroissement du stock était limité – et symétriquement
dans le cas de la Corée. Ce développement tend à prouver que les taux de scolarisation
s'apparentent – dans leur dimension temporelle – à des stocks plus qu'à des flux. Ce résultat
nous incite, dans la suite de ce travail, à utiliser nos données d’éducation comme des
approximations du stock de capital humain.
C. Les exportations et la problématique de l'ouverture commerciale
L’étude des relations entre commerce extérieur et croissance présente, avant tout, un enjeu de
politique économique. En effet, s’il est possible d’établir une influence positive de l’ouverture
économique sur la croissance, alors les politiques de libéralisation commerciale se trouvent
justifiées. En revanche, si le commerce avec l’étranger peut s’avérer négatif pour un pays, le
protectionnisme devient légitime. Le débat opposant ouverture économique et développement
autocentré a été très vif jusque dans les années 1980, notamment parce que l'ouverture
économique semblait mettre en danger l’indépendance des PVD au lendemain même de leur
51
décolonisation. Lorsqu’il est apparu que les pays ayant préféré le développement extraverti au
protectionnisme enregistraient des taux de croissance plus élevés, les thèses libérales se sont
imposées. Elles ont pris appui sur les résultats contrastés des PVD pour démontrer la
supériorité du libre échange sur les politiques de substitution aux importations. En effet, les
décennies 1960 et 1970 ont été marquées par une croissance accélérée des nouveaux pays
industrialisés d’Asie alors que le continent africain et la région sud-américaine, où beaucoup
de pays avaient fait le choix d'une stratégie basée sur la politique de substitution aux
importations, ont du faire face à des taux de croissance très faibles, voire même négatifs. Ce
contraste entre le dynamisme des pays d’Asie en partie imputable, apparemment, à leur
commerce extérieur et la stagnation des pays d’Afrique est apparu comme la preuve de
l’échec des politiques de développement basées sur l’industrialisation protégée12. Il a ainsi
débouché sur le changement de perspective à l’origine des travaux sur exportations et
croissance.
1. Le débat sur l'indicateur d'ouverture économique à adopter
Les études économétriques de l’influence de l’ouverture économique sur la croissance
rencontrent un problème similaire à celui déjà exposé dans le cas du capital humain, celui du
choix d'un indicateur statistique approprié. Si les nouvelles théories du commerce et de la
croissance ont contribué à améliorer les fondements théoriques de la relation commerce /
croissance, elles se sont peu intéressées à la dimension empirique de la question. Rodrik
(1995) et Pritchett (1996b) soulignent le caractère insatisfaisant des études qui concentrent
leurs tests empiriques sur le taux de dépendance des économies (importations plus
exportations sur PIB). Ce dernier leur apparaît, en effet, entaché d'un biais lié à la taille des
pays et ne représente pas la volonté politique des pays à échanger mais certaines
caractéristiques intrinsèques. Certains auteurs, dont Edwards (1998) et Dessus (1998)
répondent à cette critique en multipliant les indicateurs d'ouverture commerciale au sein de
leurs régressions afin de tester la robustesse de leurs résultats. Un tel choix n'est, cependant,
pas possible sur long terme compte tenu de la faible disponibilité de certaines données. Cette
12 Dans le cadre de la théorie de l’industrie infantile, Prebisch et Singer (1950) considèrent qu'étant exportateursde matières premières et importateurs de biens manufacturés, les PVD sont sensibles à la détérioration destermes de l’échange, ce qui les empêche de se développer. Deux étapes les mènent à adopter une positionprotectionniste: d’une part, ils déduisent de leur remarque initiale que si les PVD ne s’industrialisent pas, ilsrisquent de pâtir de l’échange inégal et d’entrer dans un cycle de récession. L’industrialisation leur parait doncêtre une étape essentielle vers le développement. D’autre part, ils considèrent que l’industrie a besoin d’être
52
contrainte nous oblige à nous contenter de la variable d'exportation comme indicateur
privilégié.
a. Les modèles des années 1980: le choix des exportations comme estimateur de l'ouverture
économique
Le souci des économistes du développement des années 1980 a été d’établir une corrélation
entre exportations et croissance dans le but de justifier une ouverture économique fondée sur
une promotion des exportations.
Ainsi, les travaux pionniers de Krueger et Bhagwati (1978) se concentrent sur le lien
ouverture commerciale / croissance des exportations afin de pouvoir ensuite limiter l’étude de
l’impact des politiques commerciales sur la croissance à des régressions économétriques entre
exportations et PIB. Dans cet esprit, ils constituent une classification des régimes
commerciaux selon le degré d’encouragement ou de découragement des exportations. Celui-ci
est calculé à partir du ratio taux de change subi par les importateurs sur celui rencontré par les
exportateurs, qui, selon sa position par rapport à 1, exprime l’orientation commerciale du pays
(encouragement des exportations si ce ratio est inférieur à 1, substitution aux importations si
le ratio est supérieur à 1, régime neutre si le rapport est égal à 1). La libéralisation
commerciale est ensuite assimilée à une politique de réduction du biais anti-exportation.
L’étude de l’impact du régime commercial sur la croissance se trouve finalement réduite à
l’étude du lien entre les variations des exportations et celles du PIB.
Balassa (1982) utilise ce même raccourci en démontrant à l’aide de tests économétriques que
les pays à faible biais anti-exportations connaissaient les taux de croissance des exportations
les plus forts. Ainsi, si les politiques de taux de change ayant pour but de favoriser les
exportations ont un impact positif sur la croissance des exportations (et réciproquement), cela
permet d’utiliser les exportations, non seulement comme estimateur de l’ouverture
économique d’un pays, mais aussi comme approximation des politiques commerciales
menées.
protégée pour se développer car lors de son implantation, elle ne peut être aussi efficiente que les entreprisesétrangères qu’elle doit concurrencer, puis remplacer.
53
b. Les critiques adressées à la variable d'exportation et au taux de dépendance
A la suite des diverses études empiriques menées par les auteurs néoclassiques des années
1980, plusieurs séries de critiques ont été adressées à la variable d'exportation comme
indicateur de l'ouverture extérieure.
Une première série d'attaques a concerné le caractère endogène des données d'exportation.
Cette critique fait suite à la controverse la plus féconde des années 1980, soulevée par Jung et
Marshall (1985), concernant le sens de la causalité entre les relations en présence. Il existerait,
selon ces auteurs, autant d'arguments pour justifier une causalité allant de la croissance vers
les exportations que pour établir la relation inverse. Bradford (1992) prolonge ces résultats en
montrant que même au sein des NPI le développement par les exportations est une idée
fausse. Rodrik (1994), Cyrus, Frankel et Romer (1997) utilisent ces arguments pour justifier
l'utilisation, au sein de leur modèle économétrique, de l'instrumentation de la variable
d'exportations. Ce faisant, ils visent à épurer le possible impact des exportations sur la
croissance de la composante symétrique. Pour vérifier l'existence d'une possible endogénéité
des phénomènes sur notre échantillon, nous menons dans le troisième chapitre de cette partie
des tests de causalité simples empruntés à Granger (1969).
Une seconde critique adressée à l'égard de la variable d'exportation, formulée par Edwards
(1993), Rodrik (1995) et Pritchett (1996b) a consisté à remettre en cause le lien entre
exportations et ouverture économique. Rien n'assure, en effet, qu'il existe un lien direct et
univoque entre la volonté d'ouverture extérieure et les flux d'échange d'un pays. Certains
auteurs ont essayé de contourner ces problèmes en utilisant les informations contenues dans
les décisions de politique commerciale des pays pour établir des mesures de distorsion
commerciale (Banque Mondiale, 1987, Sachs et Warner, 1995 et Johnson et Sheehy, 1996).
Cependant ces indicateurs présentent l’inconvénient d’être des variables qualitatives
dichotomiques, c’est à dire relativement pauvres en information par comparaison aux
variables continues que constituent le taux d’exportation ou le taux de dépendance. Quant aux
indicateurs de barrières commerciales – tels que les quotas ou les tarifs douaniers – utilisés
par Levine et Renelt (1992), Anderson et Neary (1994), ils présentent le défaut, rédhibitoire
dans le cadre de notre étude, de ne pas être disponibles sur toute la durée de notre échantillon
tout en étant extrêmement difficiles à extrapoler.
54
2. L’indicateur adopté et sa pertinence
Malgré les critiques émises précédemment, nous adoptons une mesure d’ouverture extérieure
fondée sur le taux d’exportation. Les données ont été empruntées à Maddison (1995) 13. Elles
sont, tout comme les données de PIB, calculées en PPA, niveau de dollar 1990. Un tel
indicateur nous parait pertinent pour plusieurs raisons. D’abord, ainsi que le soulignent
Alesina et Wacziarg (1998), cet indicateur constitue une mesure satisfaisante de l’interaction
commerciale entre les économies. Or, comme nous le verrons plus tard, c’est cette mesure qui
nous intéresse, davantage que celle relative à la volonté politique d'échanger. D’autre part, il
présente l’avantage de prendre ses valeurs à la fois dans la dimension temporelle et la
dimension interindividuelle, rendant ainsi possible l’utilisation des méthodes économétriques
de données de panel (Vamvakidis, 1999). Nous discutons cependant la pertinence de ce choix
en considérant deux limites potentielles: le rôle des importations et celui de la taille des pays.
Nous essayons également d’établir un indicateur alternatif d’ouverture économique en
combinant la variable dichotomique de Sachs et Warner (1995) et les travaux sur la
libéralisation commerciale de Bairoch (1997).
a. Le rôle des importations
Les exportations ne représentent qu'un versant des échanges économiques des pays: les
produits destinés à la vente extérieure. Un complément nécessaire à cette étude devrait donc
être la prise en compte des statistiques d'importation. Malheureusement, les séries
d'importation ne sont pas disponibles sur long terme pour tous les pays de la base de données.
Nous présentons, néanmoins, au sein de la feuille de graphes I.5 les séries d'importations
mises à disposition par la base historique du NBER en les reliant aux statistiques d'exportation
correspondantes. Ce faisant, nous tentons d'analyser ce qui peut unir ces deux flux afin d'en
déduire s'il est adéquat de réduire l'étude du commerce à celle des mouvements
d'exportations.
13 Maddison (1995) ne consigne que sept données d’exportations par pays (1820, 1870, 1913, 1929, 1950, 1973et 1992). Pour notre étude, il nous a donc fallu compléter ces données de manière à obtenir une base annuelle. Laméthode utilisée a été la même pour tous les pays. Nous avons recherché les références citées par Maddison(1995) desquelles nous avons extrait les exportations en valeur constante. Puis, nous en avons déduit les taux decroissance des exportations d’une année sur l’autre, que nous avons appliqué à une année de référence donnéepar Maddison (1995).
55
Série de graphe I.5: courbes d’importations et d’exportations dans le cas du Royaume-Uni, de la France et desEtats-Unis
Légende: Importations ….. Exportations
Les graphes de la série I.5 suggèrent l'existence d'une forte corrélation entre importations et
exportations quelque soit le pays représenté. Le calcul du coefficient de corrélation par pays
confirme ce résultat puisqu'il s'élève à 0.89 dans le cas du Royaume Uni, à 0.93 dans celui de
la France et à 0.97 en ce qui concerne les Etats Unis. Cette forte corrélation nous permet de
considérer les exportations comme un estimateur pertinent des importations et par extension
du commerce d'un pays avec le reste du monde.
b. La prise en compte de la taille des pays
La part des exportations dans le PIB reste, cependant, un estimateur grossier de l'ouverture
économique en ce qu'elle tombe sous le coup de la critique traditionnelle adressée à tout
Royaume Uni, 1856-1950
0
50
100
150
200
250
1856 1895 1922 1949
1000
2000
3000
4000
5000
6000
1882 1902 1916 1938
Etats Unis, 1867-1969
0
500
1000
1500
2000
2500
3000
3500
1867 1894 1927 1969
56
indicateur d’ouverture économique non corrigée par la taille des pays. Selon cette dernière, il
serait naturel que les grands pays échangent moins (relativement à leur niveau de PIB) que les
petites économies car leur dotation factorielle leur permet de satisfaire une grande partie de
leurs besoins et d'organiser au sein même de leurs frontières une première décomposition du
processus productif. Un indicateur d'ouverture économique pertinent devrait prendre en
compte cette propension naturelle à l'introversion et permettre de considérer qu'un grand pays
est ouvert alors même que ses échanges avec l'extérieur sont relativement plus limités que
ceux d'un petit pays.
Plusieurs méthodes permettent de soustraire la taille de l’indicateur des exportations. Une
première option, fréquemment utilisée au sein des études empiriques, consiste à diviser le
terme d’échanges commerciaux par la population des pays. La limite majeure liée à une telle
spécification est le caractère endogène de la variable de population dans les régressions de
croissance. Celle-ci est, en effet, fortement dépendante du niveau de revenu atteint par les
économies et interfère par ce biais avec le processus de convergence économique.
Une seconde méthode essaye d'éliminer ce biais en se fondant sur un modèle de gravitation
afin de déterminer les éléments « naturels » qui influencent le niveau du commerce extérieur.
Il s'agit alors d'établir des modèles économétriques dans lesquels les échangent commerciaux
– qu’ils soient approximés par la part des importations dans le PIB, celle des exportations ou
de la somme des deux – dépendent de variables de politique commerciale ainsi que de
caractéristiques naturelles telles que la surface des pays ou la distance entre capitales. Les
deux derniers effets sont alors récupérés afin d’en corriger la variable de commerce extérieur
et de la rendre uniquement dépendante de facteurs politiques et économiques. Cette solution
alternative est d’autant plus pertinente qu’elle corrige le défaut d’endogénéité de la première
méthode. En effet, surface et distance sont, par définition, des variables exogènes et
pourraient même faire figure d’instruments de la statistique de population. C’est donc cette
dernière option que nous adoptons en nous référant à la propension naturelle des pays à
échanger de Lee (1993).
La propension naturelle à échanger de Lee (1993)
Lee (1993) établit une mesure alternative de l'ouverture commerciale en corrigeant les
variables traditionnelles d'ouverture économique à l'aide d'un coefficient défini à partir d'un
modèle gravitationnel. Il régresse, ainsi, la part des importations dans le PIB sur la dotation en
57
ressources naturelles des pays (approximée par leur taille géographique), la distance par
rapport aux principaux exportateurs mondiaux (comme approximation des coûts de
transaction) et sur des estimateurs de distorsions commerciales (parmi lesquels les droits de
douane et le marché noir). Il contraint ensuite les coefficients des distorsions commerciales à
être nuls, ce qui lui permet de déduire une mesure de l'ouverture économique qui correspond à
un monde parfait où ne compteraient que la taille et la distance. L'estimateur d'ouverture
économique qu'il dérive de cette méthode correspond à la distance de chaque pays par rapport
à son niveau "naturel"14 d'ouverture économique.
L’estimation de l’équation de gravitation liée à un marché parfait le mène à déterminer les
coefficients suivants :
VarLee = 0.528 – 0.026 * log (surface) – 0.095 * log (distance) (I.7)
De celle-ci, il déduit une valeur de la propension naturelle à commercer par pays.
Tableau I.4 : valeur des propensions naturelles à échanger déterminées par Lee (1993) pour les pays présentsdans notre base de données
Allemagne Canada Danemark USA France Italie Japon Norvège UK SuèdePropension naturelle àéchanger .304 .202 .359 .108 .292 .287 .167 .286 .282 .265
Il est à remarquer que les pays sensiblement plus grands que les autres (USA, Canada), ainsi
que ceux éloignés des pôles américain et européen (Japon) sont caractérisés par une
propension naturelle à échanger plus faible que les autres pays de l’échantillon. Au sein de
l’Europe, toutes les économies se tiennent en terme de propension naturelle à échanger sauf le
Danemark sensiblement plus propice à l’échange que ses voisins.
L’indicateur corrigé de l'ouverture économique est ensuite obtenu de la manière suivante :
OUV = Import / VarLee (I.8)
De sorte que les pays ayant une propension naturelle à échanger plus faible se voient attribuer
une valeur de commerce effectif plus importante que leurs données d'importations le
laisseraient supposer.
14 i.e. issue seulement des caractéristiques intrinsèques du pays et non liée à des distorsions de politiqueéconomique.
58
L’indicateur adopté dans notre étude
Nous reprenons la notion de propension naturelle à échanger développée par Lee (1993) et
nous l’appliquons à la variable d’exportation. Nous nous appuyons sur nos résultats
concernant la proximité d’évolution des variables d’importations et d’exportations pour
justifier le passage de l’estimateur de Lee (1993) à un indicateur basé sur les flux
d’exportations. Nous faisons aussi l’hypothèse d’une constance de la propension naturelle des
pays à échanger dans le temps, hypothèse peu contraignante si celle ci ne dépend que de la
distance géographique entre pays et de la surface15. Notre indicateur d’ouverture commerciale
se définit donc de la manière suivante :
Xpib = (X/PIB) / VarLee (I.9)
c. Un indicateur alternatif de l’ouverture économique
Nous introduisons également une variable alternative d’ouverture économique qui prend pour
valeur 1 lorsque le pays est considéré ouvert et 0 sinon. Cet indicateur dichotomique combine
la variable utilisée par Sachs et Warner (1995) concernant l'après guerre et les recherches de
Bairoch (1997) sur la période de l’avant guerre16. Elle a pour avantage d’incorporer les
volontés politiques d’ouverture économique, mais présente l’inconvénient d’être pauvre en
information, limitant les possibilités aux deux extrêmes: ouverture totale ou parfaite
introversion. Cependant, un indicateur polytomique aurait pour limite rédhibitoire d’imposer
un écart subjectif entre chacune des modalités. Nous utilisons cet indicateur alternatif
essentiellement pour tester la robustesse de nos résultats.
15 La distance est certainement une notion subjective en ce sens qu’elle s’amenuise au fur et à mesure dudéveloppement des transports et des nouvelles technologies. Cependant, si les innovations technologiques et detransport ont touché tous les pays de façon identique, les propensions à échanger des pays se sont certainementmodifiées dans les mêmes proportions.16 Méthodologie utilisée pour l’extrapolation et valeurs obtenues en annexes
59
Conclusion:
La première étape de ce travail a consisté à déterminer et discuter les variables disponibles
pour notre étude. De cette discussion ressortent trois éléments clés:
- l’impossibilité de retourner aux données de stock, ce qui contraint notre analyse à une
étude des flux ;
- la forte corrélation entre taux de scolarisation et nombre d'années de scolarisation qui
nous permet d'assimiler les taux de scolarisation à des stocks de capital humain ;
- la pertinence du taux d’exportations corrigé de la taille des pays à la fois comme
approximation du taux de dépendance entre les économies et comme indicateur du niveau
d'intégration économique.
A partir de ces résultats, il nous a semblé pertinent d’axer notre étude de la croissance de long
terme autour de deux concepts clé: l'ouverture économique, approximée par la part des
exportations dans le PIB corrigée de la taille des pays et le capital humain, représenté par le
taux de scolarisation des 5-19 ans au sein du primaire et du secondaire. Ces études sont
menées à partir d'échantillons dont la taille a directement découlé de la contrainte de
disponibilité des données. Pour les besoins de ce travail, nous avons construit deux bases de
données représentant un arbitrage longueur temporelle / largeur transversale différent. Le
tableau (I.5) récapitule les caractéristiques des échantillons sélectionnés.
Tableau I.5: récapitulatif des caractéristiques des différentes bases constituées à partir des données disponibles
Base 1 Base 2
Longueur temporelle 1880-1980 1920-1980
Pays concernés Allemagne, Canada, Danemark, Etatsunis, France, Italie, Japon, Norvège,Royaume Uni, Suède
Allemagne, Argentine, Australie, Belgique,Brésil, Canada, Chili, Danemark, Espagne,Etats unis, Finlande, France, Italie, Japon,Norvège, Pays Bas, Royaume Uni, Suède,Venezuela
Variables disponibles PIBPopulationInvestissementExportationTaux de scolarisation
PIBPopulationExportationTaux de scolarisation
60
La première base de données recouvre 10 pays industrialisés et remonte jusqu'en 1880, tandis
que la seconde correspond à un horizon temporel plus court (1920-1980), mais inclut en son
sein quatre économies latino-américaines. Par la suite, nous ôtons des bases de données les
observations liées aux années de guerre et de reconstruction. Ce faisant, nous excluons de
l'analyse les processus de croissance liés à des chocs purement exogènes ou sporadiques.
Avant de passer à l'analyse économétrique proprement dite, cette étude s'attache à dresser
un récapitulatif des évolutions enregistrées au vingtième siècle. Ce rapide survey historique
permet, à la fois de mieux cerner les comportements à l’œuvre au sein de notre échantillon,
et de nous familiariser avec les variables d’intérêt.
61
Chapitre II: Aperçu des tendances historiques sur le XXème siècle
Un siècle de données, c'est aussi un siècle d'histoire. Nos données resteraient
incompréhensibles si elles n'étaient pas mises en perspective au sein du cadre politique, social
et économique de l'époque qu'elles décrivent.
Le vingtième siècle a été riche en chocs: deux guerres mondiales s'y sont succédées ainsi que
plusieurs crises économiques d'ampleur internationale. Plus que les chocs en eux-mêmes -
chaque époque a connu ses ruptures -, c'est l'ampleur et l'implication internationale des
conflits qui ressortent de cette étude. Cette globalisation constitue, en quelque sorte, le fil
conducteur du siècle: d'un monde relativement stable et intégré, l'économie mondiale passe
après la guerre de 1914-1918 et la crise de 1929 à une ère de repli sur soi-même qui n'est que
la réaction au processus d'ouverture précédent. Puis, la seconde guerre mondiale secoue, de
nouveau, l'équilibre précaire qui venait de s'installer. Elle mène à une période d'intégration
économique sans précédent, puisque dépassant même celle de la fin de siècle précédent.
Si la problématique de l'intégration mondiale domine l'histoire du XXème siècle, les deux
guerres mondiales se présentent comme des ruptures nettes qui permettent de différencier des
sous périodes au sein de cette époque. La première guerre mondiale délimite - de façon
traditionnelle chez les historiens - la fin du dix-neuvième et le début du XXème siècle. Elle
correspond aussi, d'après les graphiques à notre disposition - et insérés en annexes de cette
partie -, à une frontière entre une époque relativement stable et intégrée et un après guerre
confus mais aussi incubateur des évolutions futures. La seconde guerre mondiale met fin à
cette époque paradoxale en marquant le début d’une période d’accélération de la croissance,
mais aussi d’un approfondissement des disparités entre pays.
A. 1880 - 1914: La fin d’un monde stable
Les historiens s'accordent pour établir la fin du XIXème siècle, non à sa rupture formelle de
1900, mais à la veille de la première guerre mondiale. Un tel choix repose, d’une part, sur une
homogénéité des conditions historiques entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème.
D'autre part, la première guerre mondiale constitue une rupture - non seulement en termes de
destruction, mais aussi du point de vue des changements économiques qu'elle a générés – telle
qu'on puisse considérer qu’elle marque le début d'un siècle nouveau. Elle met fin à une ère de
62
relative stabilité économique qui concernait l'ensemble des secteurs économiques. Cette
stabilité se traduit par le caractère linéaire des courbes de revenu par tête, aussi bien que par la
relative homogénéité des pays en termes de performances économiques. Elle se concrétise
aussi par les forts degrés d'ouverture qui font de cette période le théâtre d'une des plus fortes
intégrations économiques jamais enregistrées. Seule la variable d'éducation semble témoigner
d'une discordance entre les pays, certains commençant dès cette époque à mener des
politiques éducatives actives alors que d'autres se contentent d'un système scolaire réduit.
1. La fin du XIXème siècle: un monde intégré et stable
a. Des niveaux de richesse par tête comparables
Les tendances de production par tête de la fin du XIXème siècle se caractérisent, pour la
plupart des pays, par trois traits principaux: leur relative linéarité, leur faible pente et leur
parallélisme. La linéarité témoigne d'une constance dans le temps des taux de croissance. De
fait, la fin du XIXème siècle se présente comme une période remarquablement stable par
rapport aux périodes ultérieures. L'aspect peu pentu des courbes implique, de son côté, des
taux de croissance relativement faibles. Cette faiblesse est, d'ailleurs, mise en valeur par le
caractère explosif de la croissance à la fin du XXème siècle. Cependant, un tel résultat ne doit
pas faire oublier que, par comparaison avec les siècles précédents, le développement
économique de la fin du XIXème siècle a été particulièrement rapide (Bairoch, 1997).
Le parallélisme signifie une évolution similaire des taux de croissance économiques entre
pays, ce dont témoigne le tableau I.5. Malgré cette apparente homogénéité des comportements
de croissance, les pays neufs à peuplement européen – Canada et Etats Unis – enregistrent des
statistiques de croissance plus élevées que leurs homologues européens. Ce dynamisme a,
sans doute, trouvé sa source dans l'abondance d'une main d'œuvre qualifiée, la multiplication
de flux de capitaux issus de la vieille Europe et l'existence de ressources naturelles. En
Europe, ce sont l'Allemagne, la Suède et le Danemark qui semblent se démarquer légèrement.
Tous trois correspondent aussi aux pays les plus éduqués de cette époque. Les pays
d'Amérique Latine ne dépareillent pas au sein de cet ensemble. Si, graphiquement, les Etats
Unis constituent la borne supérieure des courbes (les pays d’Amérique Latine ne semblent
jamais s’en rapprocher de manière significative et s’éloignent même de cette cible à la fin de
la période), l’Italie débute le XXème siècle à un niveau de PIB par tête inférieur à celui du
Chili et de l’Argentine. L'un et l'autre font, alors, partie du groupe des quinze pays les plus
63
riches au monde. D'ailleurs, à la veille de la seconde guerre mondiale, seul le Brésil connaît
un retard persistant sur les autres pays développés.
Tableau I.6: taux de croissance des PIB par tête en moyenne par année en %
1870 – 1913 1918 - 1929 1930 - 1938 1950 - 1973 1974 – 1994
Europe
Allemagne 1.23 2.55 2.68 3.33 1.59France 1.13 4.81 -0.18 2.85 1.35Italie 1 -0.87 1.52 3.30 1.73R. U. 0.84 -0.57 1.67 1.95 1.43Danemark 1.20 3 0.92 2.33 1.62Norvège 1.03 3.23 1.82 2.39 2.19Suède 1.13 3.26 2.12 2.32 0.85
Pays neufs
Canada 1.57 1.13 -0.72 2.23 1.2USA 1.34 1.66 -0.18 1.93 1.4
Amérique Latine
Argentine 2.58 -.02 2.06 0Brésil 1.86 2.49 3.76 .8Chili 3.79 -.01 1.19 2.23Venezuela 1.26 2.34 1.61 -1.14
Japon
Japon 1.43 1.62 3.14 4.53 2.6
Tableau I.7: niveaux des PIB par tête à six dates clé du vingtième siècle
1870 1913 1930 1950 1973 1994
Europe
Allemagne 1 913 3 833 4 049 4 281 13 152 19 097France 1 858 3 452 4 489 5 220 12 940 17 968Italie 1 467 2 507 2 854 3 425 10 409 16 404R. U. 3 263 5 032 5 195 6 847 11 992 16 371Danemark 1 927 3 764 5 138 6 683 13 416 19 305Norvège 1 303 2 275 3 377 4 969 10 229 18 372Suède 1 664 3 096 3 937 6 738 13 494 16 710
Pays neufs
Canada 1 620 4 213 4 558 7 047 13 644 18 350USA 2 457 5 307 6 220 9 573 16 607 22 569
Amérique LatineArgentine 3 797 4 080 4 987 7 970 8 373Brésil 839 1 061 1 673 3 913 4 862Chili 2 653 3 143 3 827 5 028 7 764Venezuela 1 104 3 444 7 424 10 717 8 389
Japon
Japon 741 1 334 1 780 1 873 11 017 19 505
64
b. Un monde ouvert et intégré
Les statistiques d'ouverture commerciale, de leur côté, montrent que le taux d’exportations
rapporté au PIB de chaque pays est demeuré relativement stable avant la première guerre
mondiale – en fait, légèrement croissant. Cette stabilité masque, cependant, une progression
des échanges sans précédent historique qui permet de justifier les niveaux élevés de
commerce atteints à la veille de la première guerre mondiale. Néanmoins, l’expansion rapide
des échanges au XIXème siècle a touché les pays de l’échantillon de façon assez inégale, ainsi
que l’atteste le tableau I.7. L'Allemagne, le Royaume Uni et le Canada en ont particulièrement
profité tandis que les Etats Unis restaient peu enclins à l’échange.
Tableau I.8: part des exportations en pourcentage du PIB
1870 1913 1929 1938 1950 1970 1992
France 5 8 8.5 5.5 7.5 13 24Allemagne 15.5 26.5 20 10 6 20.5 41.5Italie 4.5 5 4.5 2.5 3.5 11.5 18.5Norvège 10 15.5 16 17 14 26 53.5Royaume Uni 13 18.5 13.5 8 11.5 12.5 20.5Canada 12 12 16 15.5 13 18.5 28Etats Unis 2.5 4 3.5 3 3 4.5 8Japon 2.5 3.5 6 2.5 7 13.5
En Amérique Latine, la variance des taux d’exportations a été largement plus importante en
début de période (avant la seconde guerre mondiale, mais surtout avant la guerre 1914-1918)
que sur la fin du XXème siècle. Cette région apparaît alors comme un continent aux
comportements extrêmement hétérogènes, regroupant à la fois des pays fortement
exportateurs comme le Venezuela et dans une moindre mesure le Brésil – qui reste cependant
plus ouvert que les pays européens et d’Amérique du Nord - et des pays moins extravertis
comme l’Argentine et le Chili. A cette époque, tous les pays latino-américains enregistrent
d’ailleurs des niveaux d’exportations supérieurs à ceux de l’Italie, ce qui peut s’expliquer par
une expansion rapide des exportations de produits agricoles tropicaux et le début des
exportations massives de matières premières.
65
c. Des comportements d'accumulation de facteurs contrastés
Les comportements d’investissement
Durant la période qui précède la première guerre mondiale, on observe une relative stabilité
des taux d'investissement au sein des pays européens. Ces derniers se situent tous dans une
fourchette de 8 à 15% dont le Royaume Uni et la Norvège constituent les bornes supérieure et
inférieure. De manière générale, les taux d'investissement enregistrés par les pays neufs
apparaissent plus élevés que ceux des pays européens à la même époque, mais aussi plus
erratiques. Ainsi, leurs investissements sont particulièrement sensibles aux deux guerres
mondiales et à la crise de 1929. La seule exception en la matière est le Japon, dont les
évolutions apparaissent contra cycliques par rapport aux Etats Unis et au Canada.
La scolarisation17
Les pays européens connaissent une évolution stable de leurs taux de scolarisation avant la
première guerre mondiale. A ce propos, l’Allemagne et la France sont caractérisées par une
quasi constance et dominent les autres pays avec des taux respectifs de 55% et 65%. La
Norvège débute la période légèrement en dessous des taux précédents, mais rejoint
l’Allemagne dès les années 1890. Le Royaume Uni connaît un fort développement de son
niveau de scolarisation dans les années précédant la première guerre mondiale. Il part d’un
niveau de 35% en 1880 – ce qui constituait un retard de plus de 20 points de pourcentage par
rapport à la France et à l’Allemagne – pour atteindre les niveaux français de 60% en 1910.
L’Italie affiche des résultats plus médiocres sur toute la période d’avant guerre. Moins de 25%
de sa population en âge d’être scolarisée est inscrite à l’école en 1880 et cette proportion
s’élève légèrement au dessus de 30% au début du vingtième siècle, ce qui constitue une
progression minime par rapport à celle enregistrée par le Royaume Uni à la même période.
Le Canada et les Etats Unis connaissent, en début de période, des niveaux d’éducation
nettement supérieurs à ceux des pays européens à la même époque. Si leurs taux de
scolarisation apparaissent eux aussi plutôt stables, ils atteignent 65%, soit 10 points de plus
que le taux français à la même date. Le Japon affiche un niveau d’éducation initial plus faible
17 Les comportements éducatifs sont étudiés par le biais du taux de scolarisation (pourcentage d’une classe d’âgepoursuivant des études primaire ou secondaire), indicateur explicité dans le premier chapitre.
66
que celui de l’Italie, mais la croissance qu’il connaît ensuite lui permet d’atteindre un niveau
supérieur en 1913 (45% au lieu de 30%).
Le Chili et l’Argentine débutent le XXème siècle avec des taux de scolarisation relativement
proches de ceux des pays européens. Ils achèvent, cependant, le siècle en retard par rapport
aux autres pays développés. Par contraste, le Brésil et le Venezuela, et surtout ce dernier, se
situent nettement en deçà des performances des pays étudiés jusqu’à présent. Néanmoins, ils
enregistrent une croissance nette de leurs taux de scolarisation qui les mène en 1980 à des
niveaux comparables à ceux des autres pays d’Amérique Latine.
2. Les ruptures : les deux guerres mondiales et la crise de 1929
La première moitié du XXème siècle est marquée par l’éclatement de deux guerres mondiales
et par une crise économique, trois événements qui affectent profondément les tendances des
variables à notre disposition. La stabilité de la fin du siècle s'en trouve remise en cause et cela
durablement puisqu'une telle homogénéité des performances économiques ne se retrouvera
plus par la suite. Les chocs constitués par les guerres et la grande crise ne sont certainement
pas les uniques responsables des évolutions ultérieures. Ils marquent, cependant, le début
d’une période de divergence durable entre les pays de l’OCDE18 et ceux d’Amérique latine et
méritent, par conséquent, une étude plus spécifique. Dans ce qui suit, nous nous intéressons
de manière détaillée à l'impact des guerres et de la crise économique sur les tendances de nos
variables économiques. A cet effet, nous passons en revue les ruptures économiques
significatives pour les pays de notre échantillon. Selon la région étudiée, la date d'occurrence
de la rupture correspond à la première, la seconde guerre mondiale, voire la crise de 1929.
Nous revenons au plan strictement chronologique de notre développement et aux
caractéristiques propres à la période de l'entre deux guerres après l’étude détaillée de ces
ruptures.
a. Les ruptures dans les tendances de PIB par tête
Les pays européens ont tous connu une évolution croissante de leur PIB par tête au cours du
XXème siècle, entrecoupée par deux ruptures structurelles importantes: la première et la
18 Sont regroupés sous ce vocable les pays d'Europe occidentale, ainsi que l'Amérique du Nord et le Japon. Ilscorrespondent aux premiers pays membres de l'OCDE et représentent dans les années 1950 les pays les plusdéveloppés du monde capitaliste.
67
seconde guerre mondiale. La seconde guerre mondiale apparaît d’ailleurs comme une rupture
plus importante que le premier conflit en termes de revenu par habitant, ce qui peut
s’expliquer par sa longueur et son caractère particulièrement dévastateur. La mobilisation du
potentiel économique a, en effet, était plus complète au cours de ce second conflit et les pertes
matérielles ont été amplifiées par l’utilisation à grande échelle de l’aviation. L’étendue
géographique du conflit a également été plus large dans les années 1940 que lors de 1914-
1918: alors que ni les pays nordiques, ni le Japon ne participaient à la première guerre
mondiale, seule la Suède maintient une relative neutralité en 1940. Ces deux ruptures
apparaissent cependant plus prononcées pour la France, l'Italie et l'Allemagne – territoires qui
ont connu directement les méfaits des combats – que pour les pays nordiques et le Royaume
Uni.
Une analyse systématique de ces ruptures a été menée par Ben-David et Papell (1995) à partir
du test développé par Vogelsang (1994, 1997). Cette méthodologie est reprise au sein de ce
développement19. Elle permet d’identifier les ruptures dans l’évolution du PIB par tête pour
chacun des pays. Les résultats reportés au sein du tableau I.8 suggèrent des dates de rupture
légèrement différentes selon la base de données considérée. Ces écarts sont dus aux
différences entre les deux échantillons étudiés: celui de Ben-David et Papell (1995) s’étend
pour la plupart des pays de 1860 à 1989, tandis que le notre couvre les années 1860 à 1994.
Tableau I.9: Comparaison des dates d'occurrence des ruptures de trend du PIB par tête issues de Ben-Davidet Papell (1995) avec celles obtenues sur la base complétée de Maddison (1994), cas des pays de l'OCDE
Pays Ben-David et Papell (1995) Base complétée de Maddison (1994)
Allemagne 1946 1944Danemark 1939 1939France 1939 1939Italie 1945 1942Norvège n.s. n.s.Royaume- Uni 1918 1943Suède 1916 n.s.Canada 1928 1928Etats Unis 1929 1929Japon 1944 1944
n.s. : date de rupture non significative
Selon le tableau I.8, la plupart des pays européens ont connu une rupture de leur trend de PIB
par habitant lors de la seconde guerre mondiale. Cependant, au vu des résultats de Ben-David
et Papell (1995), deux pays font figure d’exceptions : la Suède et le Royaume Uni. Ces deux
19 Méthodologie exposée en annexes
68
économies se différencient en ce qu’elles présentent une rupture significative de leur
production, non pas entre 1940 et 1945, mais lors de la première guerre mondiale. Toutefois,
notre analyse ne confirme pas ces résultats. Elle ne parvient pas à identifier de rupture
significative dans le cas de la Suède et attribue au Royaume Uni un comportement similaire à
celui des autres pays européens. Nos résultats soulignent ainsi le caractère relativement
protégé des économies nordiques, Danemark mis à part, et l'aspect particulièrement
dévastateur de la deuxième guerre mondiale pour les pays d'Europe occidentale.
Par rapport aux pays européens, le Canada et les Etats Unis ne connaissent pas de rupture de
leur trend de production lié à la première guerre mondiale. Ils enregistrent même un
accroissement significatif de leur PIB par tête au moment de la seconde guerre mondiale. En
ce qui les concerne, l'événement dramatique qui a fait chuter de manière significative les
performances économiques est à rechercher du côté de la crise de 1929.
Quant au Japon, il se comporte comme les économies européennes et enregistre une rupture
significative de son trend lors de la seconde guerre mondiale. Il aura, lui aussi, pâti d'avoir été
un champ de bataille en s'engageant aux côtés des puissances de l'Axe.
b. Les ruptures de l'indicateur d'ouverture économique
Les deux guerres mondiales et la crise de 1929 ont aussi eu des conséquences catastrophiques
sur le niveau des exportations des pays européens. Lors de chacune de ces crises, le taux des
exportations a chuté de manière dramatique, atteignant des valeurs quasi nulles aux alentours
de 1945. La rupture de trend occasionnée est même beaucoup plus importante que celle
enregistrée par le revenu par tête20. Par contraste, les pays non européens de la base de
données ne semblent pas avoir connu de ruptures de comportement commercial liées aux deux
conflits mondiaux. Le Canada semble même avoir profité de cette période pour améliorer de
manière sensible ses performances commerciales. Cependant, la crise de 1929 constitue bien
une époque de repli sur elles-mêmes des économies nord américaines.
20 Nous ne pouvons, cependant, pas appliquer les tests développés par Vogelsang (1997) à la série d'exportationcar elle présente clairement plusieurs ruptures, ce que le test ne peut prendre en compte. En ce qui concerne cettesérie, l'observation des graphes est, cependant, suffisante pour inférer des ruptures significatives au moment desguerres pour les pays européens.
69
B. L'entre deux guerres: un laboratoire des progrès futurs21
L'entre-deux-guerres se présente comme une période paradoxale. La stabilité d'avant guerre a
disparu, mais les évolutions qui se dessinent n'en sont pas, pour autant, forcément négatives.
L'immédiat après guerre correspond à une période de reconstruction. Les tendances des
différentes variables amorcent une évolution ascendante qui laisse présager un retour aux
niveaux d'avant guerre. Cependant, cet élan est brisé par la crise de 1929 et, alors que certains
pays continuent sur leur lancée, d'autres se trouvent durablement freinés. D'autres pays, enfin,
ne paraissent subir, ni le coup de fouet de la reconstruction, ni l'essoufflement de la grande
crise. L'entre deux guerres a cela de remarquable qu'il constitue une période de gestation des
évolutions d'après guerre. Il voit l'amorce du décollage économique de plusieurs pays et la
perte de vitesse de certaines économies initialement plus prometteuses.
1. Une période paradoxale où coexistent des mouvements contradictoires
a. Des évolutions contradictoires
L'entre-deux-guerres est une période perturbée présentant des amplitudes de production
beaucoup plus marquées que précédemment. Parallèlement, l'investissement devient
hautement volatile, répercutant de façon amplifiée tout choc extérieur. De manière similaire,
la première guerre mondiale constitue une rupture dans les évolutions des variables
d'éducation de l’ensemble des pays de l’échantillon. Après elle, les courbes deviennent
confuses, sans tendance apparente : cette évolution traduit la forte instabilité liée à cette
période. En effet, alors que la fin du XIXème siècle et l’après deuxième guerre mondiale
apparaissent être des périodes relativement cohérentes, l’entre deux guerres doit, à son tour,
être divisée en plusieurs sous périodes pour laisser apparaître des tendances distinctes.
Dans l’immédiat après guerre, s’amorce la reconstruction économique des pays. Cependant,
celle ci est immédiatement freinée par la crise économique de 1920-1921, crise économique la
plus grave que les pays développés aient connue avant 1929. Cette crise débute aux Etats Unis
et se propage au Canada et en Europe, où elle touche particulièrement les pays industrialisés,
notamment le Royaume Uni. Les économies relativement agricoles y échappent (Danemark,
21 Terminologie empruntée à Asselain (1995)
70
Italie, France) dans la mesure où elles bénéficient de bonnes récoltes, ainsi que le Japon, trop
peu intégré à l'ensemble des pays occidentaux pour souffrir de la contagion.
La période qui suit cette crise, de 1922 à 1929, est une époque de prospérité non généralisée.
Elle correspond, en général, à une croissance rapide pour l'Europe et l'Amérique du Nord,
mais un pays important y fait figure d’exception notable: le Royaume Uni.
Les années 1930 sont des années de crise. Elles suivent la récession économique la plus grave
jamais enregistrée par les pays occidentaux. Celle-ci débute aux Etats Unis en 1929 et se
propage ensuite aux pays développés sans être limitée, cette fois-ci, par une bonne
performance de l'agriculture. Cependant, au vu des statistiques, elle ne présente pas le
caractère généralisé qui lui est habituellement attribué. Elle touche particulièrement
l'Amérique du Nord (le Canada car il subit directement la contagion de son puissant voisin), la
France (dont les politiques de dévaluation ont été trop tardives) et l'Allemagne. Les pays
nordiques sont relativement épargnés et le Royaume Uni connaît dans les années 1930 son
taux de croissance le plus élevé depuis 1850. Quant à l'Allemagne, si elle est touchée de plein
fouet à la fin des années 1920, sa politique de réarmement lui assure dès 1934 un taux de
croissance envié par ses voisins.
b. La mise en place d'une nouvelle hiérarchie
Durant l’entre-deux-guerres, les hiérarchies sont quelque peu bousculées: les Etats Unis
prennent la tête en termes de revenu par tête laissant derrière eux le Royaume-Uni qui perd sa
suprématie (mais reste leader incontesté en Europe jusque dans les années 1960). Ainsi, en
dehors des conséquences en terme de rupture de trend, les deux guerres mondiales ont eu pour
corollaire de déplacer le centre de gravité économique de l'Europe vers l'Amérique du Nord et
particulièrement les Etats Unis. Si le Royaume Uni pouvait se prévaloir d'un niveau de PIB
par habitant supérieur à celui de l'Amérique du Nord jusqu'au début du vingtième siècle, la
première guerre mondiale puis la seconde entraînent un bouleversement de ce rapport de
forces. Malgré une chute significative de leur croissance liée à la crise de 1929, époque à
laquelle le Royaume Uni est proche, de nouveau, de la première place en termes de PIB par
tête, les Etats Unis enregistrent une expansion économique très rapide pendant la seconde
guerre mondiale et deviennent, à partir de cette période, la puissance dominante incontestée.
Maddison (1991) remarque à ce propos que ce n'est pas à la suite d'une chute significative de
leur PIB par tête que le Royaume-Uni se fait dépasser, mais parce que les Etats-Unis se
présente à cette époque comme une économie beaucoup plus dynamique.
71
L'entre deux guerres voit aussi l'amorce d'une divergence économique durable entre les pays
de l'OCDE et ceux d’Amérique Latine. En effet, l'examen statistique du PIB par tête, et
notamment, la comparaison des trends de l'Argentine et du Chili avec celui des Etats-Unis,
nous montre un début de décrochage dans les années 1930. Si avant la crise de 1929, les trois
courbes sont relativement parallèles, après celle-ci, le graphe Etats-Unis semble se démarquer
à la hausse tandis que ceux de l'Argentine et du Chili, sans enregistrer de baisse importante, se
contentent d'une croissance moins rapide que celle de leur voisin américain. Cet effet
s’amplifie fortement après la seconde guerre mondiale, mais est déjà apparent sur la période
de l’entre deux guerres. Par contraste, le Japon semble connaître, dès les années 1930, un
léger rapprochement de son niveau de revenu par tête par rapport à celui des Etats-Unis,
même si la seconde guerre mondiale marque une rupture dramatique du niveau de vie dans ce
pays. Ainsi, il semble que l'on puisse voir, dès la période de l’entre deux guerres, l’esquisse de
ce qui deviendra, après la seconde guerre mondiale, un des faits stylisés de la croissance: le
décollage économique du Japon et la stagnation de pays latino-américains tels que l'Argentine
et le Chili.
2. La dislocation de l'économie internationale:
a. Le repli des pays de l'OCDE sur eux-mêmes
L'entre deux guerres n'est pas seulement caractérisée par une forte volatilité des indicateurs
économiques. Elle correspond aussi à une période de repli commercial comme les pays n'en
avaient pas connu depuis plus d'un siècle. Les niveaux d’exportations atteints avant guerre ne
se retrouvent pas. Il y a bien un début de rattrapage au cours des années 1920, mais il se solde
par une nouvelle rupture au début des années 1930. Les niveaux d'avant guerre ne seront,
d'ailleurs, de nouveau atteints qu'à la fin des années 1970 ou au début des années 1980.
Tableau I.10 : accroissements des taux d’exportations (X/PIB) au cours du XXème siècle en %
1870-1913 1913-1929 1929-1938 1950-1970 1970-1992
France 60 9 -35 69 83Allemagne 72 -24 -50 228 103Italie 13 -6 -50 216 63Norvège 55 5 6 83 105Royaume Uni 43 -27 -40 11 63Canada 2 29 0 43 50Etats Unis 46 -3 -16 45 89Japon 44 66 217 86
72
La nouvelle rupture des années 1930 est imputable à la crise de 1929 et aux désordres des
relations économiques internationales qu'elle entraîne. La dépression a pour conséquence
directe un effondrement du commerce international. Entre 1930 et 1932, le volume des
exportations chute d'un cinquième. Le recul enregistré est, d’ailleurs, plus accusé en Europe
avec une chute moyenne de 45% sur la période 1929 - 1938 alors qu'elle est nulle au Canada,
de 16% aux USA et qu’elle correspond même à un fort accroissement dans le cas du Japon
(tableau I.9).
L'impact de la crise est, de plus, amplifié par l'escalade des mesures protectionnistes qui lui
font suite. L'échec des conférences internationales de Genève de 1927 et 1930 conduit les
Etats Unis à adopter le droit de douane "Smoot Hawley", mesure la plus protectionniste entrée
en vigueur dans ce pays. Mais, c'est le Royaume Uni qui porte le coup fatal au système
commercial international en septembre 1931, en décidant de suspendre la convertibilité de la
Livre. Cette décision clôt un siècle de libre échange et a pour mérite immédiat de ralentir la
chute des exportations britanniques. Après 1932, les taux d'exportations atteignent un pallier
avant de replonger, à partir de 1938, en réponse au déclenchement de la seconde guerre
mondiale.
b. Le décrochement commercial durable des pays d'Amérique Latine
A l’instar des pays de l'OCDE, les pays latino-américains connaissent un nivellement à la
baisse de leurs trends d’exportations dans les années 1920. Cependant, ce phénomène est
moins brutal et correspond à un processus de fermeture de long terme.
Le Venezuela, pays producteur de pétrole, constitue certainement, à ce titre, une exception
parmi les pays latino américains. Après vingt années au cours desquelles les exportations
représentent 40% à 50% de son PIB, il enregistre dans les années 1920 une chute importante
de la part de ses exportations dans le PIB et rejoint les niveaux mondiaux. Sa courbe
d’exportations se stabilise ensuite jusque dans les années 1960 au cours desquelles, à
nouveau, elle enregistre une chute vertigineuse. A la fin des années 1980, le Venezuela a
rejoint le groupe des pays d’Amérique Latine, partageant leur faible niveau d’exportation et se
situant, pour la première fois de son histoire, en dessous des statistiques de l’Italie.
Le Brésil a connu une évolution similaire à celle du Venezuela, mais beaucoup plus
progressive. Il n’a pas été confronté aux chutes dramatiques des années 1920 et 1960, mais
enregistre une baisse constante de son taux d’exportations jusque vers 1980.
73
Le Chili et l’Argentine ont des comportements assez similaires sur la période considérée.
Leurs trends d’exportations restent relativement constants jusque dans les années 1930, pour
ensuite décroître lentement et se redresser enfin au cours de la décennie 1970. Cette similarité
de comportement est certainement liée à une proximité de leur structure de balance
commerciale. Les deux économies s'avèrent, en effet, être des producteurs de céréales bien
que le Chili accompagne cette production d'une spécialisation supplémentaire dans les
produits miniers. Leurs évolutions commerciales suivent donc celles des politiques
d'importations des pays acheteurs de céréales. Ainsi, à partir des années 1930, lorsque
l'Europe prend des mesures restrictives en matière d’importations de céréales, leurs taux
d'exportation chutent, et, malgré une évolution favorable après la seconde guerre mondiale,
rattrapent difficilement les niveaux de 1929. A ces difficultés liées aux exportations de
céréales, le Chili voit dès les années 1920 ses produits miniers et notamment le nitrate de
soude concurrencés par des produits de substitution qui génèrent une chute des prix.
C. Les trente glorieuses: un dynamisme extraverti
Les années qui suivent la seconde guerre mondiale constituent une période de dynamisme
inégalé dans l'histoire économique des pays de l'OCDE. Les trends en témoignent: toutes les
variables connaissent un décrochement à la hausse durable sur la période d'après guerre.
Cependant, et cela constitue la seconde caractéristique de cette époque, ce comportement n'est
pas partagé par tous les pays de notre échantillon. Tandis que les pays de l'OCDE se
développent à un rythme très rapide, les économies latino-américaines connaissent une
relative stagnation qui, par comparaison avec la croissance vertigineuse des autres pays, les
enferme dans une situation de sous développement. Les trente glorieuses sont donc, aussi, une
période au cours de laquelle les écarts se creusent et les divergences entre régions s'affirment.
1. Un mouvement de croissance jamais égalé
a. Les Trente Glorieuses
Après les années 1950, on assiste à un accroissement accéléré et généralisé de la production.
Cette évolution, que l’on peut constater graphiquement, est de nouveau confirmée par les
74
travaux de Ben-David et Papell (1995) qui soulignent qu’après l’occurrence d’une rupture
dans leur trend de production, les économies amorcent généralement un nouveau trend de
croissance plus élevé que le précédent. Le Canada et les Etats Unis se distinguent par une
nouvelle spécificité puisqu'à la suite de la crise de 1929, ils reviennent sur le même sentier de
croissance que précédemment. Cela permet à Ben-David et Papell (1995) d'en déduire une
validation du modèle néoclassique dans le cas de ces deux pays, un choc externe – même
d’envergure exceptionnelle – ne les empêchant pas de converger vers un équilibre de
croissance unique.
De manière assez visible, si l'on considère les graphes, la reconstruction qui fait suite à la
seconde guerre mondiale a été menée à un rythme plus rapide et plus régulier que celle qui
avait suivi le conflit du début du siècle. Cela est du, en partie, à la mise en place du plan
Marshall par les Etats Unis en 1948. Cette explication n'est, cependant, pas entièrement
satisfaisante puisque le Japon, qui n'a pas bénéficié de ce financement, a pourtant enregistré
une phase de reconstruction presque aussi rapide que celle des pays européens (avec
cependant un retard de 2 ou 3 ans par rapport à ces derniers). Il est, de toutes façons, difficile
d'être précis à ce sujet puisque la phase de reconstruction des pays occidentaux a donné lieu à
une période d'expansion économique sans précédent historique, deux phénomènes qui se
superposent vraisemblablement sur les graphes.
Les années 1950-1973 correspondent à des années de forte croissance économique pour la
totalité des pays de l'échantillon, phénomène qui n'empêche pas l'existence de fortes disparités
entre les taux de croissance des économies considérées. A cette époque, l'Europe connaît des
taux de croissance de l'ordre de 2.6 % avec un taux plancher de 1.95% pour le Royaume Uni
et une valeur record de 3.3% pour l'Allemagne et l'Italie. Le Canada suit de près cette
progression alors que les Etats-Unis minorent largement ces résultats avec une statistique de
1.93% et que le Japon devance de loin tous les autres pays en enregistrant une croissance de
4.53%. Ces deux derniers résultats s'interprètent aisément dans une problématique de
convergence, les Etats Unis, pays initialement doté du PIB par habitant le plus élevé, se voient
rattraper alors que le Japon profite de cette convergence.
La période d'après guerre est aussi caractérisée par des fluctuations économiques très
atténuées. Selon Bairoch (1997), les tendances observées après la seconde guerre mondiale
seraient 7 à 8 fois plus stables que celles de l'entre deux guerres et 3 fois plus que celles
enregistrées à la fin du siècle dernier. Ainsi, si les pays occidentaux ont bien connu deux
récessions au cours de cette période, celles de 1954 et 1958, celles-ci n’ont pas constitué de
véritables crises et ont tout au plus entraîné des ralentissements de la croissance. Une telle
75
stabilité des trends s'explique certainement par une conjonction de phénomènes. Parmi ceux
ci, notons l'importance des changements structurels et, notamment, le rétrécissement d'un
secteur autrefois porteur de volatilité économique: l'agriculture. A ces évolutions de fond se
sont sans doute superposées la relative stabilité monétaire lié au système instauré par les
accords de Bretton Woods et l'adoption quasi généralisée d'une planification souple, signe
d'une présence régulatrice de l'Etat.
b. Les crises pétrolières et le ralentissement des années 1980
Les années 1970 puis 1980 sont profondément marquées par un ralentissement de la
croissance au sein des pays industrialisés. Cependant ce tassement ne signifie aucunement un
renversement de la tendance générale. Au cours de cette période, les pays continuent de
croître et de converger vers des niveaux de PIB par tête très proches. Les taux de croissance
restent d'ailleurs supérieurs à ceux enregistrés au XIXème siècle et pendant l'entre deux
guerres. Ce tassement de la croissance peut s'expliquer par plusieurs facteurs concomitants. Il
faut remarquer, tout d'abord, que les pays qui connaissent une forte inflexion de leur trend de
PIB par tête sont ceux qui, comme le Japon, ont pratiquement complété leur rattrapage
économique vis à vis des pays les plus développés de l'échantillon. Ils ont, en quelque sorte,
épuisé les gains de croissance dus à la convergence. Ce facteur ne suffit cependant pas à
justifier la date d'occurrence de ce ralentissement et surtout ne peut expliquer les
comportements des pays en tête du peloton. Le facteur déterminant du ralentissement de la
croissance des années 1970 est à rechercher du côté des chocs pétroliers qui ont affecté les
pays importateurs de pétrole en 1973 et 1981. Ces deux chocs exogènes successifs ont
entraîné de fortes récessions au sein des pays industrialisés, bien que ceux ci aient été atteint
de façon hétérogène. L'Allemagne, les Etats Unis et le Royaume Uni ont été relativement
sensibles à ce changement de conjoncture tandis que la France et le Japon ont été plus
faiblement touchés.
2. Un mouvement général d'intégration commerciale
Après la deuxième guerre mondiale, les trends des séries d’exportations deviennent nettement
positifs. Ils apparaissent aussi quasi linéaires, bien que de pentes très hétérogènes selon les
pays considérés. La Norvège et l’Allemagne connaissent une véritable explosion de leurs
niveaux d’exportations qui dépassent ceux des autres pays européens, sans toutefois
76
converger vers un niveau identique (la Norvège semble conserver son avantage et même le
creuser). Cette évolution d'après guerre est exceptionnelle puisque non seulement les niveaux
d'avant 1914 sont retrouvés, mais ils sont aussi dépassés dans les années 1980. Les trente
glorieuses apparaissent donc être, à la fois, le théâtre d'une croissance économique hors du
commun, et celui d'une formidable intégration économique dont la conséquence est
l'accroissement du volume des échanges à un rythme 1.7 fois plus élevé que celui du volume
de la production. En comparaison, les pays d'Amérique Latine, dont les exportations
connaissent pourtant un regain de vitalité, apparaissent relativement introverti.
a. La réouverture des économies de l'OCDE
C'est la CECA, instaurée en 1952, qui amorce le processus d'intégration en Europe. Elle
comprend le Benelux, la France, l'Allemagne et l'Italie, pays qui dès ces années connaissent
un accroissement significatif de leur part d'exportations dans le PIB. En mars 1957, le traité
de Rome est signé donnant le jour à la CEE, expression de la volonté des pays de la CECA
d'accéder au stade d'une intégration économique plus complète. En 1973, quelques pays
supplémentaires sont intégrés dans la CEE, dont le Danemark et le Royaume Uni. Dans le cas
de ce dernier, les graphes attestent d'une stagnation de la part des exportations dans le PIB sur
la période 1950-1970, illustration du déclin commercial de ce qui avait été la puissance
dominante au siècle précédent. Cette stagnation a sans doute incité le Royaume Uni à entrer
dans la CEE. Le pays enregistre, d'ailleurs, à la suite de cette entrée, une tendance
d'exportation qui redevient positive.
Parallèlement à cette intégration européenne, débute un processus de réduction des droits de
douane au niveau international. En octobre 1947 le GATT est créé. Son objectif est, au travers
de rounds de négociation, de libéraliser le commerce international. D'après les graphes, les
pays neufs et notamment le Japon et les Etats Unis sont restés relativement fermés par rapport
aux pays européens. Par comparaison, le Canada a consenti un effort significatif, enregistrant
des taux d'exportations comparables aux statistiques européennes. Ces évolutions ne doivent
pourtant pas masquer le fait qu'en termes absolus, les exportations des Etats Unis représentent
une part énorme du commerce mondial (cf. tableau I.10).
77
Tableau I.11: part des exportations dans le total mondial, dollars courants, en %22
1913 1929 1938 1950 1970 1995
Royaume Uni 14 11 10 10 6 5Etats Unis 13 16 13 17 14 11Allemagne 13 10 10 3 11 10Japon 2 3 4 1 6 9
Il se lit certainement ici un effet de taille dont les grands pays pâtissent. Ainsi, malgré le
phénomène d'intégration européenne, la progression du taux d'exportation des Etats Unis est
l'une des plus élevées sur la période 1970-1993, après l'Allemagne et la Norvège, mais devant
la France, l'Italie et le Royaume Uni.
b. Le caractère relativement introverti des pays d'Amérique Latine
A la suite de la seconde guerre mondiale, les trends d’exportations des pays d’Amérique
Latine redeviennent légèrement positifs, à l'exception du Venezuela. Cependant, cette
évolution est négligeable en comparaison de celle enregistrée par les pays développés. Une
véritable divergence de comportements apparaît donc, liée, sans doute, à la structure des
échanges commerciaux, au fait que la majorité des produits exportés à partir de l'Amérique du
Sud sont des produits agricoles ou miniers. Par conséquent, les exportations latino-
américaines ont, sans doute, été sujettes à une chute de la demande au cours du XXème siècle,
s’expliquant, notamment, par une progressive saturation des besoins, par un progrès technique
à l’origine d’une diminution des intrants nécessaires à la production et par la mise au points
de nombreux produits de substitution.
Cependant, la faiblesse des exportations dans les pays d’Amérique Latine peut aussi
s’expliquer par les politiques protectionnistes mises en place par les différents gouvernements
populistes qui se sont succédés à la tête de ces pays. En effet, à la suite de la seconde guerre
mondiale et sous l’impulsion des théories développementalistes, les pays en voie de
développement, et notamment ceux d’Amérique Latine, ont mis en place des politiques de
substitution aux importations visant à développer leur potentiel industriel tout en le
maintenant à l’abri de la concurrence internationale. Selon Droz et Rowley (1987), cela aurait
permis à l’Argentine et au Brésil de couvrir, en 20 ans, 90% à 95% de leurs besoins
industriels. L’envers d’une telle politique a été le repli de l’Amérique Latine dans les
échanges commerciaux. C’est donc, en partie, par réaction à ces politiques de développement
22 Source : Bairoch (1997)
78
autocentrées que les pays d’Amérique Latine se tournent dans les années 1960 et 1970 vers
des politiques extraverties, et c’est à partir de ces années que leurs trends d’exportation
retrouvent une pente positive.
3. Un monde bipolaire, entre convergence et divergence
a. La convergence des pays de l'OCDE
Les trente glorieuses voient la réduction des écarts entre pays de l’OCDE à plusieurs niveaux:
convergence des PIB par tête, intégration économique générale et plafonnement des niveaux
d'éducation.
A la suite du second conflit mondial, la variance des taux de scolarisation s’amenuise
sensiblement en Europe. Bien que de manière beaucoup moins régulière qu’à la fin du XIXème
siècle, les taux de scolarisation semblent converger vers un équilibre haut se situant entre 80
et 90%. L’Italie profite de cette période pour rattraper considérablement son retard.
L’Allemagne semble, au contraire, s’essouffler, elle finit d’ailleurs la période en queue de
liste. Alors que l'enseignement primaire s'est développé en Europe principalement avant la
première guerre mondiale, avec la promulgation des lois Ferry en France en 1880 et le
développement des boarding schools en Grande Bretagne, l'entre deux guerres et surtout
l'après seconde guerre mondiale voit la démocratisation de l'enseignement secondaire. Le
passage d'une éducation réservée aux élites à un enseignement de masse explique la
croissance impressionnante des taux de scolarisation observée graphiquement.
Par opposition, les trends d’éducation au sein des pays neufs apparaissent beaucoup plus
volatiles après la seconde guerre mondiale que sur les périodes antérieures. Les Etats-Unis
sont toujours en tête, mais ils perdent leur première place sur la fin de la période et, alors
qu’ils atteignaient des taux de scolarisation de 90% dans les années 1960, ils retombent à
moins de 70% en 1980. Le Canada se stabilise autour de 80, 85% de jeunes inscrits en
primaire et secondaire. Le Japon, après avoir connu une rupture de son niveau d’éducation
dans les années 1960, enregistre une remontée spectaculaire de sa scolarisation et rejoint les
niveaux du Canada à la fin de la période.
79
b. Le décrochage des pays d'Amérique Latine
L’observation des données, notamment celles de la fin de la période, suggère une convergence
des pays latino-américains vers un niveau de revenu par tête largement inférieur à celui atteint
par l’Europe, le Japon et les Etats d’Amérique du Nord. D’ailleurs, dès la fin des années 1950,
l’Argentine et le Chili chutent dans le classement des pays riches et entrent dans la catégorie
des pays en développement. Compte tenus des bons résultats enregistrés en début de période
par les pays d’Amérique Latine, une telle convergence vers un équilibre bas est surprenante et
conduit à s’interroger sur les raisons ayant conduit ces pays, initialement dans le peloton de
tête en termes de niveaux de revenu par tête, à se désolidariser des pays les plus développés.
L’analyse graphique suggère un début d’explication : alors que l’Italie connaît visiblement
une croissance économique remarquable à la suite de la seconde guerre mondiale,
l’Argentine, le Brésil et le Chili poursuivent leur trend ascendant sans, pour autant, enregistrer
de ruptures à la hausse significatives. Seul le Venezuela connaît un réel regain de dynamisme
dans les années 1950 (il est aussi le seul pays à concurrencer les pays européens jusque dans
les années 1970). Ainsi, la seconde guerre mondiale apparaît, en un sens, avoir déclenché des
mécanismes de croissance accélérée dans les pays qui en ont été le théâtre. Les économies qui
n’ont pas été directement impliquées dans le conflit n’ont pas enregistré de ruptures brutales
en termes de production et ont poursuivi leur chemin d’expansion de manière plutôt linéaire.
Ainsi, et cela peut paraître paradoxal, elles semblent avoir pâti de cette stabilité à long terme
qui ne leur a pas permis de connaître de "coup de fouet". En réalité, ce paradoxe n’est
qu’apparent car la guerre entraîne généralement une destruction massive de capitaux dont le
remplacement, au lendemain des combats, peut donner lieu à une restructuration de l'appareil
productif et, de ce fait, le rendre plus compétitif qu’auparavant. Au lendemain de la seconde
guerre mondiale, les pays n'ayant pas procédé à ce renouvellement ont conservé leurs
archaïsmes. Autrement dit, ils n'ont pas effectué leur reconversion technologique de manière
suffisamment rapide pour rivaliser avec les pays européens.
Ce premier élément ne suffit pas, cependant, à expliquer l'évolution des pays d'Amérique
Latine. Parallèlement à une réorientation technologique, les pays qui ont connu la guerre ont
pu bénéficier, à la suite de la seconde guerre mondiale, d’une aide financière d’envergure -
accordée par les Etats Unis dans le cadre du plan Marshall - et des effets d’entraînement des
économies voisines. Au contraire, les pays d’Amérique Latine, du fait de leur éloignement du
pôle de croissance européen et en raison d’un mode de développement autocentré, n’ont pas
pu profiter des éventuelles retombées positives de la croissance occidentale.
80
Enfin, en plus d’une croissance relativement faible par rapport à celle des pays développés,
les pays d’Amérique Latine ont également connu un fort ralentissement de leurs performances
économiques dans les années 1980. D'ailleurs, en appliquant la méthode de Ben-David et
Papell (1995) aux données sud-américaines, on met en évidence une rupture du trend de
revenu par tête du Brésil et du Chili durant cette décennie (tableau I.11). Ainsi, plus que
l’absence d’un boom significatif au lendemain de la seconde guerre mondiale, la crise de la
dette des années 1980 semble avoir enrayé de manière significative les efforts de décollage
économique des pays d’Amérique Latine.
Tableau I.12: occurrence des dates de rupture dans les séries de PIB par têteselon la méthode de Ben-David et Papell (1995), pays d'Amérique Latine
Pays Date d’occurrence de la rupture
Argentine n.s.Brésil 1980Chili 1981Venezuela n.s.
Cette convergence vers des équilibres proches ne doit cependant pas faire oublier
l'hétérogénéité des comportements au sein de la région latino-américaine. En matière de PIB
par tête, nous avons déjà souligné la forte dispersion qui caractérise le début du siècle. Avant
la première guerre mondiale, alors que l'Argentine et le Chili paraissent se comporter comme
deux pays riches, le Brésil et le Venezuela enregistrent des niveaux de PIB par tête largement
inférieurs. Si la dispersion des statistiques en niveau se réduit au cours du temps, les
comportements de croissance restent relativement différenciés selon les pays. Cette évolution
est mise en évidence par les tableaux I.5 et I.12.
Tableau I.13: taux de croissance du PIB par tête annuels des pays d’Amérique Latinesur la période 1973-1994
1973-1980 1980-1985 1985-1990 1990-1994
Argentine .48 -3.46 -.98 6.20Brésil 4.27 -1.35 -.37 .26Chili 1.83 -2.07 4.39 5.03Venezuela -1.03 -3.44 -.54 .76
Jusque dans les années 1950, tous les pays considérés profitent d'une croissance positive,
cependant, le Venezuela se distingue largement par ses bonnes performances. Second
81
producteur mondial de pétrole en terme d'extraction en 1950, il a, en effet, bénéficié des forts
afflux de capitaux générés par l'exploitation de ce dernier. De 1950 à 1970, c’est le Brésil qui
bénéficie d’une croissance forte, alors que le Chili et l'Argentine doivent se contenter de taux
de croissance médiocres et se voient rattraper en termes de niveau de revenu. Le début des
années 1980 est caractérisé par un recul généralisé des performances économiques, mais dès
la seconde moitié de cette décennie, le Chili et un peu plus tard l'Argentine connaissent une
évolution qui redevient favorable.
Conclusion
L’étude descriptive des évolutions historiques suggère l’existence d’une relation forte entre
ouverture extérieure et croissance ainsi qu’entre éducation et croissance.
D’une part, les périodes de forte intégration semblent avoir coïncidé avec une amélioration
notable des performances économiques et les pays les plus ouverts semblent avoir fait mieux,
notamment sur le long terme, que les pays plus introvertis aux premiers rangs desquels ceux
d’Amérique Latine.
D’autre part, la relation positive entre capital humain et croissance économique semble être
confirmée dans un certain nombre de cas: en début de période, l’Argentine, l’Allemagne et la
France sont caractérisés simultanément par un haut niveau d’éducation et par de bonnes
performances économiques. A l’inverse, l’Italie, le Brésil et le Venezuela cumulent de faibles
niveaux éducatifs et relative stagnation économique.
Cependant, en dynamique, la relation entre les deux grandeurs semble se perdre. Non
seulement, le pays le plus développé en début de période (le Royaume Uni) n’est pas le plus
riche en capital humain, mais les pays ayant accumulé un capital éducatif important ne
semblent pas forcément en avoir profité sur le long terme (cas de l’Argentine).
Une étude systématique, fondée sur l’utilisation de méthodes économétriques, apparaît
donc nécessaire afin de départager les effets en présence.
82
Chapitre III: Les modèles traditionnels à l’épreuve des données de long terme
Dans la suite de ce travail, nous amorçons une première étude économétrique des
effets en présence en nous focalisant sur deux moteurs traditionnels de la croissance: le capital
humain et l'ouverture économique. De nombreuses études empiriques se sont déjà intéressées
à l’impact de l'éducation et du commerce sur la croissance. Cependant, elles ont généralement
pour champ d’action la période d’après guerre pour laquelle les données sont largement
disponibles. Notre travail concerne la croissance de long terme et même de très long terme
puisque nos données remontent à la fin du dix-neuvième siècle. Une première étape de notre
étude consiste donc à tester la validité d'un certain nombre de modèles traditionnels sur
longue période. Outre l'intérêt direct d'une étude de la robustesse des modèles de croissance
traditionnels, un tel exercice nous permet de dégager une première série de conclusions
simples concernant le processus de croissance au cours du XXème siècle. Les limites des
spécifications traditionnelles nous incitent, ensuite, à nous tourner vers des approches plus
complexes des phénomènes de croissance.
A. Les modèles de capital humain
Les premières modélisations du capital humain dans le processus de croissance ont découlé de
la représentation solowienne du développement économique. Dans son modèle, Solow (1956)
fait l'hypothèse qu'un terme d'efficience (un progrès technique neutre au sens de Harrod)
vient, de manière exogène, augmenter le nombre d'unités de travail efficace et stimuler, de
façon transitoire, la croissance. Ce terme d'efficacité At, multiplicatif du facteur travail au sein
de la fonction de production, peut être considéré comme du capital humain. Par conséquent,
dans le cadre du modèle de Solow (1956), alors même que la croissance s'épuise avec
l'accumulation du capital physique selon la règle des rendements factoriels décroissants, la
présence de capital humain permet d'augmenter le taux de croissance d'équilibre au dessus du
taux naturel n (taux de croissance démographique). Cependant, les revenus par tête des
différentes économies continuent de converger, même s'ils convergent de manière
conditionnelle à l'effort d'accumulation du capital humain par pays. Autrement dit, la prise en
compte du capital humain ne débouche pas, dans ce cadre, sur une croissance auto-entretenue.
83
De plus, le capital humain étant introduit dans le modèle comme un facteur exogène, le choc
qu'il entraîne doit être répété de période en période pour obtenir une croissance du stock de
capital par tête non nulle. Ce caractère exogène ne peut que laisser insatisfait puisqu'il ne
permet pas de conceptualiser ni la rémunération du capital humain, ni son mode
d'accumulation. D'après le théorème d'Euler, en effet, la rémunération du travail et celle du
capital physique épuisent le produit global de sorte que le capital humain At ne peut être
rétribué. Il est difficile, dans ces conditions, de saisir ce qui motive l'accumulation de capital
humain. Pourtant, cette accumulation représente un véritable enjeu, autant qu'un coût
important, pour les économies nationales.
Il est donc probable que l'accumulation de capital humain réponde à un processus endogène,
notion que Mankiw, Romer et Weil (1992) ont tenté d'incorporer au modèle de Solow (1956)
en supposant que le capital humain était un facteur de production au même titre que le capital
physique et le travail. Ces auteurs introduisent ainsi au sein de leur fonction de production la
variable capital humain comme déterminant direct du niveau d’output d’une économie. Le
modèle de Solow (1956) augmenté, testé par Mankiw, Romer et Weil (1992) révèle une
relation robuste entre capital humain et croissance. Nous entreprenons donc, dans une
première partie de ce chapitre, de tester la validité du modèle de Mankiw, Romer et Weil
(1992) sur le long terme.
Toutefois, les études empiriques ont mis en avant le caractère non convaincant d’une théorie
de la convergence globale, même conditionnelle, puisqu’il s’est notamment avéré impossible
d’inclure l’Afrique au sein des modèles traditionnels. En effet, celle-ci, loin de confirmer
l’existence d’un rapprochement relatif des revenus par tête, devait être contrôlée par
l’insertion de dummies pour permettre de conserver le résultat traditionnel23. Finalement, si
l’idée d’un ensemble de pays convergeant entre eux reste valide, elle est essentiellement
vérifiée pour les pays de l’OCDE (Baumol, 1986). L’étude des autres pays nécessite, quant à
elle, de se tourner vers des modèles théoriques qui justifient la persistance des divergences.
Ces résultats nous incitent à nous tourner vers un modèle alternatif de croissance plus large
dans sa prise en compte du facteur capital humain. Cette nouvelle spécification, empruntée à
Benhabib et Spiegel (1994), supplée aux carences du modèle de Mankiw, Romer et Weil
(1992) de plusieurs façons. Elle évite l’hypothèse contraignante d’une proximité de l’équilibre
stationnaire en s’intéressant à la transition vers l’équilibre et non à la distance par rapport à la
cible. Elle intègre deux rôles possibles du capital humain en le présentant à la fois comme un
23 Voir, à ce propos l'ouvrage synthétique de Guellec et Ralle (1995).
84
possible moteur de croissance – façon croissance endogène – et un facteur de rattrapage
technologique.
1. Le capital humain, un facteur de production: modèle de Mankiw, Romer et Weil (1992)
a. La spécification
Soit la fonction Cobb-Douglas suivante:
Yt,i = KitαHit
β(AitLit)1-α-β (I.10)
où Yit est le niveau de production, Ait le niveau de technologie, Kit le capital physique, Hit le
capital humain et Lit le travail.
Comme chez Solow (1956), le travail et la technologie sont supposés croître à rendements
exogènes constants: n et g et la dépréciation du capital physique se nomme δ. La résolution
standard du modèle mène à l'équation de convergence conditionnelle suivante:
∆ Lnyit = (1 - e-λt) [lnyit-1 + α /(1-α-β) lnI/Yit + β /(1-α-β) lnsHit – (α +β)/(1-α-β) ln(η+g+δ)] (I.11)
Avec y, la production par unité efficace de travail, sHit, l'investissement en capital humain
et λ, la vitesse de convergence.
Un modèle alternatif, dans lequel le capital humain ne serait pas explicité sous forme
d'investissement, mais sous forme de stock peut aussi être dérivé du modèle précédent. Il
correspond à une semi résolution du modèle de Solow (1956) avec capital humain, modèle
dans lequel le mode d’accumulation du capital humain n'est pas développé:
∆ lnyit = (1 - e-λt) [lnyit-1 + α / (1-α-β) (lnI/Yit - ln(η+g+δ)) + β / (1-α-β) lnhit ] (I.12)
Habituellement, l’estimation d'une équation de convergence est problématique car elle
s'apparente à un modèle dynamique. Dans ce cas, en effet, l'utilisation des méthodes
d'économétrie de panel traditionnelles mène à des coefficients biaisés du fait de la corrélation
entre variable endogène retardée et résidus. Cependant, une telle contrainte n'est effective que
lorsque la période étudiée est courte, ce qui est le cas de la plupart des études en panel menées
85
à ce sujet. Dans notre cas, la longueur de la base de données est suffisante pour permettre la
convergence des estimateurs et éliminer le biais lié au panel dynamique.
b. Les résultats économétriques
Les tests économétriques sont menés sur données annuelles, forme qui nous permet de
conserver les propriétés de convergence des estimateurs. La somme du taux de dépréciation et
du taux de progrès technique exogène est fixée à 0.05 selon l’hypothèse émise par Mankiw,
Romer et Weil (1992). Deux spécifications sont tour à tour estimées: l’une utilisant le taux de
scolarisation présent comme indicateur du capital humain et l’autre s’appuyant sur le taux de
scolarisation retardé de dix ans. La première méthodologie correspond à une reprise du
modèle de Mankiw, Romer et Weil (1992) et assimile le taux de scolarisation actuel à la
propension à investir en capital humain (sHti). La seconde se justifie par la proximité des
tendances des variables d’éducation en stock et en taux de scolarisation24. Si le taux de
scolarisation se comporte comme un stock, il peut alors être intégré comme tel au sein de la
régression. Nous choisissons néanmoins de le retarder de dix ans pour permettre aux
générations scolarisées de mettre à profit leur formation au sein d’activités productives.
Les tests sont effectués sur deux bases de données alternatives: l’une commençant en 1880 et
se restreignant aux pays développés, l’autre incorporant les pays d’Amérique latine, mais ne
débutant qu’en 1920.
Les résultats sur la base 1880-1980
Les résultats obtenus sur la base 1880-1980 - et consignés au sein du tableau I.14 - confirment
l’existence d’une convergence conditionnelle à l’accumulation des facteurs physique et
humain. La vitesse de convergence est estimée respectivement à 2 % et 2.4 % ce qui
correspond aux valeurs traditionnellement mises à jour au sein de la littérature. De façon
similaire, la statistique agrégeant le taux de croissance démographique, le taux de dépréciation
et le progrès technique exogène se comporte de manière attendue.
Cependant, le coefficient structurel associé à l’investissement n’est ni significatif, ni
plausible. Il reflète certainement la mauvaise qualité des données disponibles, en tous cas en
ce qui concerne la période précédent la seconde guerre mondiale. D'ailleurs la même
spécification différenciée selon la période produit des résultats tout à fait satisfaisants en ce
24 Résultat mis à jour dans le premier chapitre de cette partie.
86
qui concerne la seconde moitié du XXème siècle tandis que l'impact de l'investissement reste
fortement négatif avant la seconde guerre mondiale25. Il faut remarquer à ce sujet une plus
forte significativité de l'ensemble des variables explicatives sur la période d'après guerre. Cela
confirme les doutes que nous avions émis à l'égard des données d'investissement de Jones et
Obstfeld (1997) lorsqu’il nous a été impossible d’extrapoler les valeurs de stock de capital
physique. Cela suggère aussi une meilleure adéquation du modèle de Mankiw, Romer et Weil
(1992) aux phénomènes d'après guerre.
Tableau I.14: spécification de Mankiw, Romer et Weil (1992) appliquée à la base 1880-1980
Résultats deMRW (1992)
Résultats de la spécification de MRWappliquée à la base 1880-1980
Ln(Scol actuel) Ln(Scol10)
C 2.81 (1.19) .051 (.073) .050 (.077)Lny -.398 (.070) -.020** (.004) -.024** (.005)Ln(inv) .335 (.174) -.001 (.004) .001 (.004)Ln(scol) .223 (.144) .012* (.007) .018** (.007)Ln(n+0.05) -.844 (.334) -.229** (.084) -.294** (.089)
R² .65 .255 .270F-test (p-value) .380 .350Durbin Watson 2.047 2.043Hétéroscédasticité (p-value) .583 .939Nombre d'observations 810 710
Variable dépendante: Lnyi,t+1-Lnyi,t. Ecart-types entre parenthèses. Significativité à 5% (**) et 10% (*).Lny: revenu par tête initial, Ln(inv): log de l'investissement, Ln(scol): log de l'éducation, n: taux decroissance démographique, 0.05: approximation de la somme du taux de dépréciation et du progrèstechnique. F-test: test du Fisher d'existence d'effets spécifiques.Dummies temporelles prises en compte au sein de la régression mais non reportées par soucis de clarté.
Le coefficient structurel de la variable de capital humain se présente comme positif et
significatif, mais relativement faible. Ce résultat peut paraître assez surprenant puisqu’il
réaffirme l'existence d'une relation entre capital humain et croissance là où les études sur
données de panel attestaient d’une influence significative mais négative26. Cet effet est peut
être à mettre au compte de la période et des pays étudiés. En effet, nous avons, jusqu’à
présent, réduit l’analyse au cadre des pays développés, seules économies pour lesquelles les
données sur longue période sont disponibles. Les études menées en panel concernent
d’habitude un nombre de pays plus élevé et incluent, notamment, certains pays en voie de
développement. Cette première approche suggère un début de réponse au paradoxe soulevé
par les études traditionnelles en termes d'hétérogénéité des individus de l'échantillon. Le signe
25 Résultats désagrégés selon la période en annexes.
87
négatif obtenu pour la variable de capital humain s’interprète comme une limite à la
comparabilité des fonctions de production lorsque les économies étudiées sont trop disparates
du point de vue de leur technologie ou de la qualité de l'enseignement. Les pays de notre base
de données se présentent comme relativement homogènes en termes technologiques. Leurs
comportements d’accumulation sont relativement proches. Il s’ensuit que les écarts
concernant le stock de capital humain, ou l’investissement éducatif, se traduisent par des
niveaux de croissance différents.
La comparaison nombre à nombre des résultats obtenus sur la base 1880-1980 et de ceux mis
à jour par Mankiw, Romer et Weil (1992) n'est pas d'un grand intérêt dans la mesure où ni la
base de données étudiée, ni la période considérée, ni les indicateurs adoptés, ni les méthodes
économétriques employées ne sont similaires. Mankiw, Romer et Weil (1992) se réfèrent à
une estimation cross-section concernant 22 pays de l'OCDE sur la période 1960-1985 tandis
que nous nous intéressons à 10 pays de l'OCDE en panel sur 100 ans. De plus, notre variable
endogène est un taux de croissance rapporté à la population totale tandis que la leur est
ramenée à la population active. L'indicateur de capital humain varie aussi entre les deux
études: nous utilisons un taux de scolarisation dans le primaire et le secondaire tandis qu'ils se
réfèrent au pourcentage des étudiants du secondaire dans la population active. Cependant,
nous ne pouvons que constater la faiblesse de l'effet de notre variable d'éducation en
comparaison avec celle de Mankiw, Romer et Weil (1992). Ce résultat suggère un impact
cross-section de l'éducation plus important que son effet temporel, comme si cette variable
permettait mieux de départager les pays entre eux que d'expliquer leurs évolutions
temporelles.
Les résultats sur une base incorporant les pays d’Amérique latine
Les résultats obtenus diffèrent fortement du tableau précédent. Essentiellement deux
inversions de signe sont suggérés par cette nouvelle régression. A présent, l'éducation a un
impact négatif sur les performances économiques. De plus, la somme de l’effet
démographique et du taux de dépréciation influence positivement la croissance.
26 Voir Knight, Loayza et Villanueva (1993), Islam (1995), Caselli, Esquivel et Lefort (1996) et Dessus (1998).
88
Tableau I.15: spécification de Mankiw, Romer et Weil (1992) appliquée à 1920-1980
H: Ln(Scol actuel) H: Ln(Scol10)
Lny -.042** (.011) -.055** (.013)H -.035** (.008) -.018** (.008)Ln(n+0.05) .278** (.075) .308** (.074)
R² .362 .444F-test (p-value) .000 .000Durbin Watson 1.737 1.632Hétéroscédasticité (p-value) .000 .000Nombre d'observations 912 722
Variable dépendante: Lnyi,t+1-Lnyi,t. Lny: revenu initial par tête, H: log de l'éducation, n: taux de croissancedémographique, 0.05: somme du taux de dépréciation et du progrès technique. Ecart-types entre parenthèses.Significativité des coefficients à 5% (**) et 10% (*). F-test: test du Fisher d'existence d'effets spécifiques.Dummies temporelles prises en compte au sein de la régression mais non reportées par soucis de clarté.
Plusieurs facteurs pourraient justifier une telle modification. Par rapport à la spécification de
base, nous n’avons pas pu intégrer dans cette régression de variable d’investissement. En
effet, l’absence de telles données pour les pays d’Amérique Latine concernant l’avant guerre
nous a obligé à supprimer cet indicateur de l’estimation. Cependant, les mauvais résultats
obtenus préalablement lors de l’estimation du coefficient structurel lié à l’investissement au
sein des pays développés laisse présager une absence de relation entre nos résultats et le retrait
de la variable d’investissement de la spécification. D’ailleurs un test économétrique de la
spécification sans investissement appliquée à la base 1880-1980 confirme le caractère
"indolore" de la variable d’investissement au sein de ce modèle27.
Une seconde explication de ce résultat pourrait être le passage d’un modèle MCO à un modèle
à effets fixes. Cependant, les modèles alternatifs donnés par le logiciel ne résolvent pas les
inversions de signe trouvées précédemment.
Ces résultats contradictoires pourraient, finalement, découler de l’ajout des pays d’Amérique
Latine à l'échantillon initial. Une telle explication rejoindrait les critiques adressées au modèle
de convergence conditionnelle selon lesquelles l'hétérogénéité technologique entre pays biaise
l'estimation économétrique des spécifications28. Elle confirmerait aussi l'argument avancé lors
des estimations sur 1880-1980 pour justifier l'obtention d'un coefficient positif et significatif
associé au capital humain sur un tel échantillon. Cependant, le retrait des pays latino-
américains de l'échantillon ne change pas significativement les résultats. Il semblerait plutôt
que c'est le rétrécissement de la dimension temporelle qui entraîne ces divergences de
27 Les résultats d’une telle régression sont: Lyt+1-Lyt = -.02** Lyt + .012* LnScol - .232** Mrw + .048avec les coefficients significatifs à 5% (**) et 10% (*)28 Maddala (1999) constitue un survey synthétique des critiques adressées à l'économétrie des données de panelappliquée aux échantillons de pays.
89
résultats puisque l'estimation d'un modèle sur une période similaire mais sans les pays latino-
américains produit les mêmes résultats.
A la suite de cette première série d'estimations, il faut souligner le caractère peu convaincant
sur long terme du modèle de Mankiw, Romer et Weil (1992) dont la robustesse se vérifie
principalement sur la période d'après guerre et qui conduit à des résultats très surprenants
lorsque la longueur temporelle de la base de données est réduite et l'échantillon augmenté des
pays d'Amérique Latine. Ce manque de robustesse s'ajoute à une contrainte de proximité des
pays de leur équilibre, qui s'avère peu crédible dans le cas d’une étude de long terme. Dans la
suite de ce développement, nous adoptons le modèle de Benhabib et Spiegel (1994). Ce
dernier nous permet à la fois de relâcher la contrainte de proximité technologique nécessaire
au modèle Mankiw, Romer et Weil (1992) et de prendre en compte la multiplicité des rôles
que peut emprunter le capital humain.
2. Le capital humain, un vecteur des nouvelles technologies: Benhabib et Spiegel (1994)
Au sein du modèle de Benhabib et Spiegel (1994), l'impact du capital humain sur les
performances économiques prend deux formes: il intervient comme moteur potentiel de
croissance selon la terminologie empruntée à la théorie de la croissance endogène ; il est aussi
vecteur de rattrapage technologique. Sa nature de facteur de croissance est ici négligée. Elle
se confondrait, de toutes façons, au sein du modèle économétrique avec sa caractéristique de
moteur de croissance tel qu’il en deviendrait impossible de départager les effets.
a. La spécification
Soit la fonction Cobb-Douglas suivante: Yit = AitKitαLit
β (I.13)
où Yit est le niveau de production, Ait la productivité totale des facteurs, Kit le capital physique
et Lit le travail.
En calculant les log - différences dans (I.13), on obtient l'équation suivante, dans laquelle le
taux de croissance du PIB est une fonction linéaire du changement technologique, de la
variation de capital physique et de celle du travail:
lnYit - lnYit-1 = lnAit - lnAit-1 + α (lnKit - lnKit-1) + β (lnLit – lnLit-1) (I.14)
90
L'accroissement de technologie est à son tour défini comme la somme de deux facteurs:
lnAit - lnAit-1 = c + d Hit-1 + e Hit-1 * (ymaxt-1 - yit-1)/yit-1 (I.15)
Le premier facteur (Ht,i) est le niveau de capital humain et représente le développement
technologique directement influencé par l'accumulation domestique de capital humain. Ce
premier terme fait référence à la théorie de la croissance endogène, puisque différents niveaux
de capital humain sont supposés entraîner différents rythmes d'accumulation technologique,
qui à leur tour justifient l'existence d'une divergence des taux de croissance. Le second terme
de l'équation (I.15) est constitué d'une variable interactive (Ht,i * (yt,max - yt,i)/yt,i) et représente
l’écart technologique entre pays amplifié par le capital humain. L’intuition économique
derrière cette spécification, reprise à Nelson et Phelps (1966) est la suivante: l'accumulation
de technologies est supposée dépendre de l’écart entre le niveau de savoir atteint par le pays et
le pool de connaissances mondial, la vitesse du rattrapage étant directement fonction du
niveau de capital humain atteint par l’économie. Ainsi, plus un pays est loin du niveau de
connaissance accumulé au plan mondial, plus il lui sera facile d’augmenter son propre stock
de connaissances, selon la règle des rendements décroissants. Cependant, la vitesse de cette
accumulation sera déterminée par le niveau d’éducation de la population, une main d’œuvre
qualifiée permettant une absorption plus rapide des nouvelles technologies.
Finalement, l’équation à laquelle aboutissent Benhabib et Spiegel (1994) est la suivante :
∆ lnYit = c + d Hit-1 + e Hit-1 * (ymaxt-1 - yit-1)/yit-1 + α ∆ lnKit + β ∆ lnLit (I.16)
b. Les résultats économétriques
Les résultats obtenus par Benhabib et Spiegel (1994) et ceux issus de la reprise de leur modèle
sur la base 1880-1980 sont présentés au sein du tableau I.16. Etant donnée l'hétérogénéité des
estimateurs utilisés, il n’est pas possible de comparer directement les coefficients structurels
de ces deux séries de tests. Alors que Benhabib et Spiegel (1994) testent très précisément une
fonction de production, avec variation du travail et du capital, nous avons du approximer ces
variables par, respectivement, le taux de croissance démographique et la part de
l’investissement dans le PIB. Il en est de même pour l’estimateur de capital humain qui, chez
nous, est un taux de scolarisation et pour Benhabib et Spiegel (1994) une variable de stock.
91
Cependant, sachant, une fois encore, que le taux de scolarisation se comporte comme un
stock, notre approximation n’est pas dénuée de tout fondement.
Tableau I.16: spécification de Benhabib et Spiegel (1994) appliquée à 1880-1980
Benhabib et Spiegel 1880-1980
Scol Scol10
Constante .163 (.114) .0009 (.016) -.010 (-.016)∆K .472** (.072)
I / Y .023 (.025) .032 (.026)∆L .188 (.164)
n .518** (.166) .403** (.177)H -.014 (.014) -.015 (.012) -.009 (.012)H * (ymax / Y) .001** (.0002) .019** (.004) .024** (.005)
R² .262 .274Durbin Watson 2.075 2.069Hétéroscédasticité (p-value) .610 .296F-test (p-value) .103 .140Nombre d'observations 810 710
Variable dépendante: LnYi,t+1-LnYi,t., ∆K: variation du capital physique, ∆L: variation du travail, I / Y: part del'investissement dans le PIB, H: éducation, n: taux de croissance démographique, (ymax / Y): écart technologiqueau pays le plus développé. Ecart-types entre parenthèses. Significativité des coefficients à 5% (**) et 10% (*). F-test: test du Fisher d'existence d'effets spécifiques. Dummies temporelles prises en compte au sein de larégression mais non reportées par soucis de clarté.
Malgré ces divergences liées au manque d’estimateurs pertinents sur long terme, il est
remarquable que nos résultats confirment ceux de Benhabib et Spiegel (1994): l’interaction
éducation, écart technologique apparaît dans tous les modèles comme une variable
déterminante des performances économiques des pays.
Notons aussi que le modèle de Benhabib et Spiegel (1994) est robuste au changement de
période étudiée. L'existence d'un effet de rattrapage technologique conditionné par le capital
humain est confirmée avant et après la seconde guerre mondiale29. Seule la variable
d'investissement présente un signe aberrant pour la période de 1880 à 1937, renforçant
l'hypothèse d'un problème de qualité lié à ces données. Ce dernier résultat nous permet aussi
de trancher le débat concernant la robustesse du modèle de Mankiw, Romer et Weil (1992): la
forte baisse de significativité globale du modèle sur la période 1880-1937 ne peut se réduire à
un biais introduit par la variable d'investissement (dans ce cas, le modèle de Benhabib et
Spiegel (1994) devrait être affecté de la même manière), elle signifie plus généralement une
meilleure adéquation de ce modèle à la période d'après guerre.
29 Voir les résultats consignés en annexes.
92
Enfin, une estimation du modèle de Benhabib et Spiegel (1994) effectuée sur la base 1920-
198030 entraîne une forte baisse de significativité du modèle tout en conservant un coefficient
lié au processus de rattrapage technologique relativement crédible. La variable interactive
introduite par Benhabib et Spiegel (1994) reste aussi significative à 15%. Ce dernier résultat
souligne encore une fois le manque de robustesse du modèle de Mankiw, Romer et Weil
(1992) - son comportement surprenant sur la base 1920-1980 est mis en valeur par l'aspect
robuste du modèle de Benhabib et Spiegel (1994) - tout en suggérant qu'aucun des deux
cadres d'analyse jusqu'alors étudiés ne sont satisfaisants pour décrire les évolutions observées
sur une base élargie.
Au final, les résultats obtenus confirment la pertinence des études de court terme, bien que
cette conclusion soit principalement vérifiée dans le cas du modèle de Benhabib et Spiegel
(1994). Les estimations du modèle de Mankiw, Romer et Weil (1992) posent clairement le
problème de la généralisation à une période temporelle plus large que celle d'après la seconde
guerre mondiale et à un échantillon de pays dépassant le strict cadre de ceux de l'OCDE.
B. Les modèles traditionnels de l’ouverture économique
De 1977 à 1989, les articles se sont succédés au sein du Journal of Development Economics,
discutant de la pertinence des indicateurs, des spécifications et des méthodes utilisés pour
estimer l’impact de l’ouverture économique sur la croissance. Les controverses étaient
essentiellement d’origine technique et économétrique, laissant largement de côté la
justification théorique des formes employées.
Les modèles fondateurs de Michaely (1977), Heller et Porter (1977) et de Balassa (1978)
entament une réflexion critique sur les variables à intégrer aux équations de croissance. Ils
émettent l’idée que la relation comptable reliant exportations et PIB est de nature à biaiser la
corrélation entre croissance et ouverture commerciale. Le remède proposé consiste à
multiplier les indicateurs d’ouverture économique au sein des spécifications économétriques
afin de tester la robustesse des relations. Aux côtés de la part des exportations dans le PIB est
donc testé le taux de croissance des exportations. Un tel débat a le mérite de mettre à jour
deux effets des exportations sur le PIB: un effet direct, via la relation comptable et un effet
30 Résultats de nouveau consignés en annexes.
93
indirect lié à la répercussion de l’ouverture économique sur les autres variables de l’équation
de demande.
Le problème de spécification est ensuite repris par Feder (1983) qui enrichit considérablement
les études précédentes en se basant sur la fonction de production et l’existence de secteurs
plus ou moins extravertis pour justifier l’impact de la croissance des exportations sur les
performances économiques. Deux nouveaux canaux d’influence sont mis à jour: d’une part, la
réorientation des ressources vers le secteur exportateur se concrétise par une hausse de
productivité générale ; d’autre part, les exportations entraînent des restructurations
productives au sein même du secteur non extraverti par ricochets. C’est ce premier modèle
que nous choisissons d’estimer sur long terme dans une première partie de ce travail car il
nous semble le plus robuste du point de vue des fondements théoriques. Toutefois, parce
qu’une large proportion des études menées à ce sujet ont pris la forme de régressions de
convergence, nous reprenons ce cadre empirique auquel nous ajoutons notre indicateur
d’ouverture économique.
Cependant, la controverse la plus féconde des années 1980 a été soulevée par Jung et
Marshall (1985) et concerne le sens de la causalité entre les relations en présence. Il existe,
selon eux, tout autant d’arguments pour justifier une causalité allant de la croissance vers les
exportations. Bradford (1992) prolonge ces résultats en arguant que même au sein des NPI le
développement par les exportations est une idée fausse. C’est l’Etat qui, en voulant
encourager les exportations, entraîne des modifications de structure et des investissements
propices à la croissance. Nous achevons donc cette première approche des effets de
l’ouverture commerciale sur la croissance par des tests de causalité simples entre
développement économique et taux d’exportation.
1. L’impact de l’ouverture économique sur la croissance de long terme
a. Le modèle de Feder (1983):
Nous abordons la résolution technique du modèle de Feder (1983) en partie III de cette thèse.
Nous nous contentons, dans cette première approche du modèle de Feder (1983), d'en
communiquer l'intuition et l'équation économétrique de base:
Y
X
X
XF
L
L
Y
I
Y
Yx **)
1(
°°°
++
++=δ
δβα (I.17)
94
Avec Y/Y, taux de croissance de la production, I/Y, taux d’investissement, L/L, taux de
croissance de la main d’œuvre, Fx, élasticité de la production des biens non exportables par
rapport aux exportations, δ écart de productivité entre le secteur exportateur et le secteur
protégé, X/X, croissance des exportations et X/Y, part des exportations dans le PIB.
Dans le cadre du modèle de Feder (1983), l’économie est caractérisée par deux secteurs
économiques, un secteur exportateur et un secteur non exportateur, moins productif que le
premier. Les gains de productivité du secteur non exportateur sont liés à ceux du secteur
exportateur tels que la fonction de production globale de l’économie dépend à la fois de la
quantité de travail et de capital physique allouée à la production, mais aussi des exportations
produites par le secteur échangeable. Plus les exportations sont une part importante de la
production nationale, plus le secteur exportateur tire la productivité globale de l’économie
vers le haut, ceci dépendant aussi de la réactivité du secteur non exportable par rapport aux
exportations (estimée par l’élasticité Fx) et de l’écart de productivité entre les deux secteurs.
Si les exportations affectent la production des biens non exportables avec une élasticité
constante θ, l'expression précédente peut se réécrire:
X
X
Y
X
X
X
L
L
Y
I
Y
Y°°°°
+−+
++= θθδ
δβα **)1
( (I.18)
Les résultats obtenus par Feder (1983), ainsi que nos propres estimations de (I.17) et (I.18)
sont consignés au sein du tableau I.17. La régression issue de la spécification de Feder (1983)
effectuée sur la base 1880-1980 confirme l'existence d'effets fixes et le rôle des dummies
temporelles (non reportées ici par souci de clarté). Elle donne, cependant, des résultats peu
probants concernant l'investissement, ce qui, compte tenus des doutes pesant sur la
constitution de cette série n'est pas surprenant. Mise à part l'invraisemblance des coefficients
liés à l'investissement et malgré l’absence d’un estimateur pertinent concernant la population
active – que nous avons approximée par le taux de croissance démographique -, les résultats
obtenus à partir de la base 1880-1980 sont proches de ceux mis à jour par Feder (1983) sur
son échantillon complet. Ils accréditent l'impact positif de l'accroissement des exportations
pondéré par le poids de ces exportations dans le PIB tout en accordant à cette variable un
coefficient plus élevé que celui mis à jour par Feder (1983): .887 au lieu de .422.
95
Tableau I.17: spécification de Feder (1983) appliquée à 1880-1980
Feder : base complète31 Feder: paysdéveloppés32 Base 1880-1980
Spécif (I.16) Spécif (I.17) Spécif (I.17) Spécif (I.16) Spécif (I.17)
I/Y .178 (3.54) .124 (3.01) .141 (2.86) -.006 (.031) -.006 (.031)∆L .747 (2.86) .696 (3.40) .660 (1.48)n .320** (.185) .321* (.185)∆X * (X/Y) .422 (5.45) .305 (4.57) -.240 (1.31) .887** (.146) .804** (.210)∆X .131 (4.24) .494 (5.48) .012 (.022)C .002 (.18) .006 (.60) -.030 (2.61)
R² .689 .809 .815 .289 .27Durbin Watson 2.107 2.115Hétéroscédasticité .360 .357F-test .002 .01Nombre d'observations 810 810
Variable dépendante: LnYi,t+1-LnYi,t. ∆L: variation du travail, I / Y: part de l'investissement dans le PIB, n: taux decroissance démographique, ∆X: croissance des exportations, X/Y: part des exportations dans le PIB.Entre parenthèses: T de Student chez Feder, écart-types sur 1880-1980. Significativité des coefficients à 5% (**)et 10% (*). Tests de Fisher (test d'existence d'effets spécifiques) et d’hétéroscédasticité exprimés en p-value.Dummies temporelles prises en compte au sein de la régression mais non reportées par soucis de clarté.
Notons toutefois que les bases de données utilisées pour mener à bien ces tests sont fortement
hétérogènes. La base de Feder est constituée de 31 pays semi industrialisés dont les taux de
croissance sont estimés sur la période 1964-1973. La base de données 1880-1980 regroupe 10
pays développés pour lesquels nous disposons de données annuelles sur 100 ans. D'ailleurs,
une régression menée sur un échantillon constitué uniquement de pays développés conduit
Feder (1983) à rejeter la significativité d’un différentiel de productivité selon la nature
extravertie ou non des secteurs économiques. Ainsi, si les résultats obtenus pour les pays
développés dans une perspective de long terme se rapprochent de ceux de Feder (1983)
concernant les pays semi-industrialisés, ils ne confirment pas le modèle qui devrait leur
correspondre plus spécifiquement.
Cependant, les pays considérés comme aujourd’hui fortement développés ont pu connaître il y
a un siècle des comportements identiques à ceux des pays semi industrialisés aujourd’hui. Le
tableau I.18 recense les niveaux de PIB par tête enregistrés par les pays développés au début
du XXème siècle. Ceux-ci sont à comparer aux niveaux de revenu des pays semi-industrialisés
31 Afrique du Sud, Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Corée, Costa Rica, Côte d'Ivoire, Egypte, Equateur,Espagne, Grèce, Guatemala, Hong Kong, Inde, Israël, Kenya, Malaisie, Maroc, Mexique, Pérou, Philippines,Portugal, République Dominicaine, Singapour, Syrie, Taiwan, Thaïlande, Tunisie, Turquie, Uruguay,Yougoslavie32 Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Danemark, GB, Etats Unis, Finlande, France, Italie, Japon,Norvège, Pays Bas, Suède, Suisse
96
qui constituent la base de Feder (1983) et dont les statistiques sont exposés pour les dates
limites de l’échantillon, 1964 et 1973 dans le tableau I.19.
Tableau I.18: niveaux de revenu par tête des pays de l’OCDE au début du XXème siècleCanada Danemark France Allemagne Italie Japon Norvège Suède RU US
1880 1721 2099 2100 2078 1546 818 1444 1846 3556 3193
1900 2758 2902 2849 3134 1746 1135 1762 2561 4593 4096
1930 4558 5138 4489 4049 2854 1780 3377 3937 5195 6220
Tableau I.19: niveaux de revenu par tête des pays semi-industrialisés à la fin du XXème siècleAfriquedu Sud
Egypte Maroc Argentine Brésil Inde Corée Thaïlande Grèce Espagne
1964 3049 844 1592 5929 2482 823 1508 1191 4219 4675
1973 3844 947 1651 7970 3913 853 2840 1750 7799 8739
Effectivement, en ce qui concerne les niveaux de PIB par habitant, les pays semi-
industrialisés de la fin du XXème siècle apparaissent relativement similaires aux économies
occidentales à la veille de la seconde guerre mondiale (avec l’Inde comme symétrique du
Japon et l’Afrique du Sud plus proche des Etats-Unis), ce qui pourrait justifier les liens étroits
entre les conclusions mises à jour sur la base 1880-1980 et celles du modèle de Feder (1983).
D’après ces résultats, cependant, la spécification (I.17) apparaît plus pertinente que (I.18). En
effet, la décomposition issue de l'hypothèse d'une élasticité constante de la production des
biens non exportables par rapport aux exportations conduit à l'introduction d'une variable peu
significative lors des régressions, à savoir la croissance des exportations. Cela signifie
probablement que l'approximation effectuée par Feder (1983) n'est pas pertinente sur la base
considérée, ce qui, compte tenue de sa longueur temporelle, n'est pas forcément surprenant. Il
semble, en effet, peu crédible que la production des biens non exportables ait réagi aux flux
d'exportations de manière similaire sur toute la période.
b. Le modèle de convergence élargi
Une façon alternative de tester l'impact de l'ouverture économique consiste à élargir la
fonction de production néoclassique. Cet ajout se fait par le biais d’une endogénéisation de la
productivité globale des facteurs qui, de ce fait, peut dépendre d'un grand nombre de
97
déterminants33. La robustesse de nos résultats est vérifiée en utilisant la méthode préconisée
par Edwards (1998) et Dessus (1998), c’est à dire en faisant varier les indicateurs d’ouverture
économique utilisés au sein de la régression. Trois indicateurs de l’ouverture économique sont
considérés: le taux de dépendance, réduit à sa composante exportation, corrigé de la taille des
pays ; cette même variable transformée en log et un index qualitatif repris à Sachs et Warner
(1995) pour l'après 1950 et complété sur la base de l'ouvrage de Bairoch (1997) pour la
période précédant la seconde guerre mondiale.
Tableau I.20: modèle de convergence conditionnelle avec ouverture économique, base 1880-1980
Scol actuel Scol10
Lny -.042** (.011) -.058** (.012) -.019** (.005) -.045** (.012) -.061** (.013) -.021** (.005)Ln(inv) .004 (.005) .003 (.005) -.005 (.004) .003 (.006) .007 (.006) -.003 (.005)Ln(scol) .014 (.009) -.007 (.010) .008 (.007) .030** (.010) .007 (.011) .011 (.007)
Xpib .050** (.016) .051** (.017)Ln(Xpib) .028** (.006) .031** (.006)Ouv -.008* (.004) -.008 (.005)
R² .256 .271 .251 .269 .281 .260F-E .085 .003 .766 .036 .002 .561DW 2.084 2.077 2.087 2.099 2.090 2.088Het .405 .279 .446 .771 .614 .094Obs 810 810 810 710 710 710
Variable dépendante: Lnyi,t+1-Lnyi,t. Ecart-types entre parenthèses. Significativité à 5% (**) et 10% (*).Lny: revenu par tête initial, Ln(Inv): log de l'investissement, Ln(scol): log de l'éducation, Xpib: part desexportations dans le PIB, Ouv: variable dichotomique d'ouverture, F-E: test du Fisher d'existence d'effetsspécifiques (p-value), DW: test de Durbin Watson, Het: test d'hétéroscédasticité (p-value).Dummies temporelles prises en compte au sein de la régression mais non reportées par soucis de clarté.
Les résultats confirment l’influence de la variable d’ouverture économique prise sous sa
composante exportations. Cet effet est cependant plus élevé lorsque la variable est insérée
telle quelle dans la régression et non log-transformée. Cette transformation entraîne aussi un
second effet négatif: la perte de significativité de la variable de capital humain. Une telle
conséquence souligne, à nouveau, le manque de robustesse de la variable de capital humain au
sein de cette première série de régressions.
L’indicateur qualitatif ne semble pas se présenter comme une variable pertinente de
l’ouverture économique. Son coefficient n’apparaît que faiblement significatif au sein de nos
régressions. Ce résultat est assez peu surprenant si l’on considère la faible variabilité de cet
33 La possibilité d'ajouter au modèle de convergence une multiplicité de facteurs a été largement critiquée.Levine et Renelt (1992) ainsi que Sala-I-Martin (1997) ont tenté de hiérarchiser les canaux possibles d'influenceen effectuant des tests de robustesse. Ils en concluent que seul un nombre restreint de variables passent au cribled'un test de robustesse.
98
indicateur qui s’apparente plus à une dummy temporelle qu’à une réelle proxy de l’ouverture
économique.
2. La problématique de la causalité
A la suite des études en cross-section sur exportations et croissance menées par les
économistes néoclassiques des années 1980, un certain nombre d'auteurs se sont tournés vers
des tests sur séries temporelles34. Cette orientation est née de plusieurs aspirations distinctes.
D'une part, elle répondait à une insatisfaction concernant le caractère endogène des
phénomènes étudiés. Puisqu'il semble exister autant de justifications empiriques soutenant
l'hypothèse d'une croissance des exportations tirée par la croissance économique que l'inverse,
les estimations cross-section sont certainement affectées par un biais d'endogénéité et de
simultanéité. Seules des études en temporel pourraient permettre d'étudier plus précisément
les liens de causalité entre les variables. D'autre part, le recours à la dimension temporelle
permettrait aussi d'assouplir les estimations en autorisant la variation des coefficients
structurels entre pays.
Dans ce qui suit, nous effectuons des tests de causalité simples empruntés à Granger (1969)35.
Nous choisissons délibérément d'ignorer les problèmes de stationnarité des variables - nous
estimons les équations en croissance afin d'éviter les effets de spurious regression - et nous
effectuons les tests avec un seul retard. Cette méthode devrait, cependant, nous permettre de
capter les relations fortes entre exportations et croissance. Le test est d’abord mené sur
l’ensemble de la période puis décomposé en deux sous tests: un sur l’avant guerre et un sur les
années qui ont suivi la seconde guerre mondiale. Le tableau I.21 recense les relations de
causalité en présence et leur seuil de significativité. Il est décomposé en deux sous-périodes
puisqu'en la matière, la seconde guerre mondiale a joué le rôle d'une rupture radicale. La
dernière colonne de ce tableau recense les pays qui ne semblent enregistrer aucune corrélation
(ni dans un sens, ni dans l'autre) entre PIB et exportations.
34 Une revue détaillée des études effectuées aussi bien en cross section qu'en séries temporelles est entreprise parGiles et Williams (2000). Cette étude revient sur les différents problèmes techniques rencontrées par les deuxtypes d'estimation.35 Méthodologie explicitée en annexe.
99
Tableau I.21: récapitulatif des relations de causalité
Avant 1940 Après 1945
X => PIB PIB => X X => PIB PIB => X Pas de corrélation
Belgique** Danemark** Allemagne** France** FinlandeCanada** Norvège* Italie** Pays Bas** Royaume-UniUSA** Suède** Norvège** Espagne
Japon** Japon** Australie
Significativité à 5% (**), 10% (*)
A notre connaissance, aucune étude n'a conduit de tests systématiques entre exportations et
croissance économique sur une longueur temporelle similaire à celle de notre base de
données. Grabowski, Sharma et Dhakal (1990) s'intéressent à une base de données de long
terme, puisque couvrant les années 1885 à 1980, mais se limitant au Japon. Comme nous, ils
soulignent l'absence d'une quelconque causalité avant la seconde guerre mondiale, mais ils
trouvent un phénomène de croissance tirée par les exportations après 1950 là où nous mettons
à jour une causalité réciproque. De manière similaire, Serletis (1992), en s'intéressant
uniquement au Canada, trouve une causalité allant des exportations vers le log du PIB sur la
période 1870-1944 et rien ensuite. Nos estimations confirment, à nouveau, ces résultats.
Cependant, alors que Afxention et Serletis (1991) mettent à jour des exportations tirées par le
niveau de revenu dans le cas de la Norvège, du Japon et du Canada, une relation causale dans
les deux sens pour les Etats-Unis et pas de relation causale en ce qui concerne la Belgique, le
Danemark, la Finlande, l'Allemagne, les Pays Bas, l'Espagne, la Suède et le Royaume Uni sur
la période 1950-1985 ; nos résultats ne suggèrent aucune causalité après la seconde guerre
mondiale pour les Etats unis tandis que l'Allemagne, les Pays Bas et la Suède enregistrent une
relation causale significative. Thornton (1997), quant à lui, s'appuie sur la période 1850-1913
pour déterminer une relation des exportations vers la croissance pour l'Italie, la Norvège et la
Suède, un lien inverse dans le cas du Royaume-Uni et une absence de causalité pour le
Danemark et l'Allemagne. Nos résultats contredisent totalement ces résultats à l'exception du
lien PIB / exportations trouvé pour le Danemark, et encore, nous ne parvenons pas à mettre en
évidence un lien réciproque.
Aucune relation systématique ne ressort de ces études. Le sens de la causalité ne semble lui-
même présenter que peu de logique. Il oppose les pays nordiques les uns aux autres et suggère
que l'Italie, la France et l'Allemagne sont caractérisés par des comportements dissemblables
100
sans que la justification économique ne soit claire. Néanmoins, notons que l'interprétation de
ces résultats est un exercice complexe car les spécifications en présence pèchent par omission
de variables. Une conclusion ressort cependant clairement: un tel exercice ne nous permet
visiblement pas de trancher le débat concernant l'endogénéité de la variable d'exportation.
Conclusion
Cette première série d’estimations suggère globalement la robustesse des relations entre
croissance et ouverture économique sur le long terme. L'ouverture économique a visiblement
exercé un impact positif sur les performances économiques des pays les plus développés tout
au long du XXème siècle. Le capital humain semble lui aussi être un déterminant essentiel du
dynamisme des économies. Le modèle de Mankiw, Romer et Weil (1992), ainsi que celui de
Benhabib et Spiegel (1994) mettent en lumière son rôle de facteur de croissance et de média
des technologies au sein des pays développés. Cependant, une estimation de ces mêmes
modèles sur une base de données à la fois plus large (incluant en plus des pays d'Amérique
latine) et plus courte (ne débutant qu'en 1920) met en valeur le manque de robustesse des ces
spécifications et en particulier l'inadéquation du modèle de Mankiw, Romer et Weil (1992) à
représenter les comportements en présence.
De plus, ces premières estimations ne sont pas entièrement satisfaisantes puisqu'elles ne
permettent pas de départager de groupes de pays aux comportements distincts au sein des
échantillons. Les modèles présentés sont tous linéaires, ils attribuent toujours les mêmes effets
aux mêmes causes et supposent une homogénéité de comportements de toutes les économies
étudiées face aux mêmes chocs. Ce faisant, ils occultent un fait majeur mis en lumière par
l'analyse descriptive des données: la divergence de comportement des pays latino-américains
par rapport aux économies de l'OCDE et la convergence des performances économiques de
ces dernières.
Ces remarques nous conduisent, dans la suite de ce travail, à nous pencher sur des modèles
alternatifs susceptibles de représenter de manière plus adéquate les comportements des divers
pays présents dans les échantillons. Au lieu de nous attacher à une étude globale des effets,
nous segmentons l'analyse de manière à circonscrire les effets. Nous nous attachons d'un côté
aux facteurs qui pourraient expliquer la divergence durable des pays d'Amérique Latine.
101
Parallèlement, la pertinence des spécifications de Feder (1983) et Benhabib et Spiegel (1994)
à expliquer les évolutions enregistrées par les pays développés nous incite à prolonger ces
spécifications dans le sens d'une prise en compte simultanée des effets du capital humain et de
l'ouverture commerciale sur la croissance.
La suite de ce travail s'oriente vers une étude plus précise des déterminants économiques qui
ont pu entraîner le décrochement durable des pays d'Amérique Latine alors qu'ils permettaient
au Japon de connaître un rattrapage extraordinaire. Elle se tourne, dans un premier temps
(Deuxième partie), vers une explication en termes d'imbrication des sphères institutionnelle et
économique. Elle parvient, de ce fait, à identifier un certain nombre de facteurs politiques
explicatifs du comportement de croissance des pays d'Amérique Latine.
Elle s'oriente, ensuite (troisième partie), vers une explication de type rattrapage technologique
lié à une interaction entre l'éducation et le commerce. Cette deuxième option nous permet de
comprendre le phénomène de convergence économique caractéristique de la seconde moitié
du vingtième siècle.
105
Annexe I.1 : Création d’une variable dichotomique basée sur l’indicateur de
Sachs et Warner (1995) et les recherches de Bairoch (1997)
Afin de tester la robustesse de nos estimations, nous faisons varier les indicateurs d’ouverture
économique au sein des régressions. Nous introduisons, notamment, une variable
dichotomique censée représenter les choix de politique commerciale. Celle-ci est construite à
partir des valeurs déjà recensées par Sachs et Warner (1995) pour l’après guerre. Les données
d’avant guerre sont extrapolées sur la base de l’ouvrage de Bairoch (1997). La méthode
utilisée consiste à contraindre la variable d’ouverture à 0 lorsque la législation se révèle
protectionniste et à 1 lorsqu’elle témoigne d’une volonté politique d’ouverture. Notre variable
étant relativement grossière, nous ne prenons en compte que les avancées décisives en matière
de législation de l’ouverture économique.
Nous nous appuyons sur Bairoch (1997) pour établir qu’avant la première guerre mondiale et
plus précisément de 1866 à 1913, les Etats unis sont les plus protectionnistes des pays
développés. Le Canada se présente lui aussi comme largement introverti à cette époque. Par
contraste, les économies européennes et surtout les pays du nord et de l’ouest de l’Europe
enregistrent un degré d’ouverture élevé au moins jusqu’à la fin du XIXème siècle. Le leader en
la matière est le Royaume Uni qui persiste dans le libéralisme jusqu’en 1932. La France
abandonne le libéralisme en 1892 (même si dès 1881, elle adopte des mesures
protectionnistes), la Suède et le Danemark à la fin des années 1880.
L’Allemagne et l’Italie ont abandonné le libéralisme dès la fin des années 1870, ce qui fait
qu’elles se présentent, dans notre base de données, comme des pays fermés jusque dans les
années 1960. Quant au Japon, il n’adopte un certain libéralisme qu’à partir des années 1964.
Nous consignons les valeurs de la variable dichotomique dans le tableau suivant.
106
Tableau A.1 : extrapolation de l’indicateur d’ouverture économique initiée par Sachs et Warner (1995)Allemagne Canada Danemark US France Italie Japon Norvège UK Suède
1880 0 0 1 0 1 0 0 1 1 11881 0 0 1 0 1 0 0 1 1 11882 0 0 1 0 1 0 0 1 1 11883 0 0 1 0 1 0 0 1 1 11884 0 0 1 0 1 0 0 1 1 11885 0 0 1 0 1 0 0 1 1 11886 0 0 1 0 1 0 0 1 1 11887 0 0 1 0 1 0 0 1 1 11888 0 0 1 0 1 0 0 1 1 01889 0 0 1 0 1 0 0 1 1 01890 0 0 1 0 1 0 0 0 1 01891 0 0 0 0 1 0 0 0 1 01892 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01893 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01894 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01895 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01896 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01897 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01898 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01899 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01900 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01901 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01902 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01903 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01904 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01905 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01906 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01907 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01908 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01909 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01910 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01911 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01912 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01920 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01921 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01922 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01923 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01924 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01925 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01926 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01927 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01928 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01929 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01930 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01931 0 0 0 0 0 0 0 0 1 01932 0 0 0 0 0 0 0 0 0 01933 0 0 0 0 0 0 0 0 0 01934 0 0 0 0 0 0 0 0 0 01935 0 0 0 0 0 0 0 0 0 01936 0 0 0 0 0 0 0 0 0 01937 0 0 0 0 0 0 0 0 0 01950 0 0 0 1 0 0 0 1 1 01951 0 0 0 1 0 0 0 1 1 01952 0 1 0 1 0 0 0 1 1 01953 0 1 0 1 0 0 0 1 1 01954 0 1 0 1 0 0 0 1 1 01955 0 1 0 1 0 0 0 1 1 01956 0 1 0 1 0 0 0 1 1 01957 0 1 0 1 0 0 0 1 1 01958 0 1 0 1 0 0 0 1 1 01959 1 1 1 1 1 1 0 1 1 01960 1 1 1 1 1 1 0 1 1 11961 1 1 1 1 1 1 0 1 1 11962 1 1 1 1 1 1 0 1 1 11963 1 1 1 1 1 1 0 1 1 11964 1 1 1 1 1 1 1 1 1 11965 1 1 1 1 1 1 1 1 1 11966 1 1 1 1 1 1 1 1 1 11967 1 1 1 1 1 1 1 1 1 11968 1 1 1 1 1 1 1 1 1 11969 1 1 1 1 1 1 1 1 1 11970 1 1 1 1 1 1 1 1 1 11971 1 1 1 1 1 1 1 1 1 11972 1 1 1 1 1 1 1 1 1 11973 1 1 1 1 1 1 1 1 1 11974 1 1 1 1 1 1 1 1 1 11975 1 1 1 1 1 1 1 1 1 11976 1 1 1 1 1 1 1 1 1 11977 1 1 1 1 1 1 1 1 1 11978 1 1 1 1 1 1 1 1 1 11979 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1
107
Annexe I.2 : Les évolutions du PIB par tête au cours du XXème siècle
Graphe 1: PIB par tête, cas de quatre pays européens
Graphe 2: PIB par tête, cas des pays nordiques
6,5
7
7,5
8
8,5
9
9,5
10
1870
1874
1878
1882
1886
1890
1894
1898
1902
1906
1910
1914
1918
1922
1926
1930
1934
1938
1942
1946
1950
1954
1958
1962
1966
1970
1974
1978
1982
1986
1990
1994
France
Allemagne
Italie
GB
6,5
7,5
8,5
9,5
10,5
1870
1874
1878
1882
1886
1890
1894
1898
1902
1906
1910
1914
1918
1922
1926
1930
1934
1938
1942
1946
1950
1954
1958
1962
1966
1970
1974
1978
1982
1986
1990
1994
Danemark
Norvège
Suède
108
Graphe 3: PIB par tête, cas des pays occidentaux hors pays européens
Graphe 4: PIB par tête, cas des pays d'Amérique Latine
6,5
7
7,5
8
8,5
9
9,5
10
1900
1903
1906
1909
1912
1915
1918
1921
1924
1927
1930
1933
1936
1939
1942
1945
1948
1951
1954
1957
1960
1963
1966
1969
1972
1975
1978
1981
1984
1987
1990
1993
Argentine
Brésil
Chili
Venezuela
US
6,5
7
7,5
8
8,5
9
9,5
10
1870 1875 1880 1885 1890 1895 1900 1905 1910 1915 1920 1925 1930 1935 1940 1945 1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990
Canada
US
Japon
109
Annexe I.3 : Les évolutions de la part des exportations dans le PIB au coursdu XXème siècle
Graphe 1 : part des exportations dans le PIB, cas de quatre pays européens
Graphe 2: part des exportations dans le PIB, cas des pays nordiques
0
0,05
0,1
0,15
0,2
0,25
0,3
0,35
0,4
0,45
1870
1874
1878
1882
1886
1890
1894
1898
1902
1906
1910
1914
1918
1922
1926
1930
1934
1938
1942
1946
1950
1954
1958
1962
1966
1970
1974
1978
1982
1986
1990
1994
France
Allemagne
Italie
UK
0,05
0,1
0,15
0,2
0,25
0,3
0,35
0,4
0,45
0,5
0,55
1870
1874
1878
1882
1886
1890
1894
1898
1902
1906
1910
1914
1918
1922
1926
1930
1934
1938
1942
1946
1950
1954
1958
1962
1966
1970
1974
1978
1982
1986
1990
1994
Danemark
Norvège
Suède
110
Graphe 3: part des exportations dans le PIB, cas des pays développés non européens
Graphe 4: part des exportations dans le PIB, cas des pays d'Amérique Latine
0
0,05
0,1
0,15
0,2
0,25
0,3
1870
1874
1878
1882
1886
1890
1894
1898
1902
1906
1910
1914
1918
1922
1926
1930
1934
1938
1942
1946
1950
1954
1958
1962
1966
1970
1974
1978
1982
1986
1990
1994
Canada
US
Japon
0
0,05
0,1
0,15
0,2
0,25
0,3
0,35
0,4
0,45
0,5
1900
1903
1906
1909
1912
1915
1918
1921
1924
1927
1930
1933
1936
1939
1942
1945
1948
1951
1954
1957
1960
1963
1966
1969
1972
1975
1978
1981
1984
1987
1990
1993
Argentine
Brésil
Chili
Venezuela
111
Graphe 5: part des exportations dans le PIB corrigée de la taille des pays par la variable deLee (1992), cas des pays européens
Graphe 6 : part des exportations dans le PIB corrigée de la taille des pays par la variable deLee (1992), cas des pays non européens
0
0,2
0,4
0,6
0,8
1
1,2
1,4
1,6
1870
1874
1878
1882
1886
1890
1894
1898
1902
1906
1910
1914
1918
1922
1926
1930
1934
1938
1942
1946
1950
1954
1958
1962
1966
1970
1974
1978
1982
1986
1990
1994
France
Allemagne
Italie
GB
0
0,2
0,4
0,6
0,8
1
1,2
1,4
1,6
1,8
1870
1874
1878
1882
1886
1890
1894
1898
1902
1906
1910
1914
1918
1922
1926
1930
1934
1938
1942
1946
1950
1954
1958
1962
1966
1970
1974
1978
1982
1986
1990
1994
Canada
US
Japon
112
Graphe 7: part des exportations dans le PIB corrigée de la taille des pays par la variable deLee (1992), cas des pays d'Amérique Latine
0
0,5
1
1,5
2
2,5
3
1900
1903
1906
1909
1912
1915
1918
1921
1924
1927
1930
1933
1936
1939
1942
1945
1948
1951
1954
1957
1960
1963
1966
1969
1972
1975
1978
1981
1984
1987
1990
1993
Argentine
Brésil
Chili
Venezuela
113
Annexe I.4 : Les évolutions du taux de scolarisation dans le primaire et lesecondaire au cours du XXème siècle
Graphe 1 : Taux de scolarisation, cas des pays européens
Graphe 2 : Taux de scolarisation, cas des pays nordiques
0,2
0,3
0,4
0,5
0,6
0,7
0,8
0,9
1880
1883
1886
1889
1892
1895
1898
1901
1904
1907
1910
1913
1920
1923
1926
1929
1932
1935
1938
1949
1952
1955
1958
1961
1964
1967
1970
1973
1976
1979
Allemagne
France
Italie
Norvège
UK
0,2
0,3
0,4
0,5
0,6
0,7
0,8
0,9
1880
1883
1886
1889
1892
1895
1898
1901
1904
1907
1910
1913
1920
1923
1926
1929
1932
1935
1938
1949
1952
1955
1958
1961
1964
1967
1970
1973
1976
1979
Danemark
Norvège
Suède
114
Graphe 3: Taux de scolarisation, cas des pays "neufs"
Graphe 4: Taux de scolarisation, cas des pays d'Amérique Latine
0,2
0,3
0,4
0,5
0,6
0,7
0,8
0,9
1880
1883
1886
1889
1892
1895
1898
1901
1904
1907
1910
1913
1920
1923
1926
1929
1932
1935
1938
1949
1952
1955
1958
1961
1964
1967
1970
1973
1976
1979
Canada
US
Japon
UK
0
0,1
0,2
0,3
0,4
0,5
0,6
0,7
1920
1922
1924
1926
1928
1930
1932
1934
1936
1938
1946
1948
1950
1952
1954
1956
1958
1960
1962
1964
1966
1968
1970
1972
1974
1976
1978
1980
Chili
Bresil
Argentine
Venezuela
115
Annexe I.5 : Le test de rupture structurelle de Vogelsang (1997)
Ben-David et Papell (1995) utilisent la méthode de Vogelsang (1994, affiné en 1997) pour
déterminer si les trends des séries de PIB ont été caractérisés par une rupture structurelle au
cours du vingtième siècle. Pour cela, ils étudient d’abord la stationnarité des séries car les
valeurs critiques du test de changement structurel dépendent de la présence ou non d’une
racine unitaire dans le processus considéré. La première étape du test consiste donc à
appliquer le test séquentiel de racine unitaire de Zivot et Andrews (1992) en passant en revue
toutes les dates possibles d’une rupture structurelle. Le test élaboré par Vogelsang (1997)
permet ensuite la recherche d’une rupture dans le trend d’une série, que cette série soit I(0) ou
I(1). La statistique d’un tel test est le sup des valeurs du Wald obtenues pour chaque rupture
possible. L’apport de Vogelsang (1997) est d’avoir étudié les limites asymptotiques de cette
statistique et d’en avoir déduit deux tableaux de valeurs critiques selon la propriété de
stationnarité de la série étudiée. Lorsque les erreurs du processus considéré sont I(0), les
valeurs critiques du test sont 19.90, 15.44, 13.62 ce qui correspond aux seuils respectifs de
1%, 5% et 10%. Lorsque ces erreurs sont I(1), les statistiques précédentes deviennent : 30.44
(1%), 25.27 (5%), 22.60 (10%).
Ben-David et Papell (1995) appliquent le test précédent à une base de données construite par
Maddison (1991) et recensant 16 pays sur une période, variant selon les pays, mais courant
globalement de 1860 à 1989. Nous reprenons certains pays, déjà étudiés par Ben-David et
Papell (1995), et nous complétons ces séries en leur ajoutant les statistiques correspondant
aux années 1990, toujours en référence à Maddison mais en reprenant, cette fois, un ouvrage
de 1995. Nous étendons aussi cette étude en appliquant la même méthodologie aux pays
d’Amérique Latine suivants: Argentine, Brésil, Chili, Venezuela. Les résultats de Ben-David
et Papell (1995) concernant la première étape du test et les nôtres sont consignés au sein du
tableau A1. Ils permettent à Ben-David et Papell (1995) de rejeter l’existence d’une racine
unitaire au seuil de 10% dans 8 des 10 cas considérés. Nos résultats sont un peu différents
puisque sur les 10 mêmes pays étudiés, seuls 6 nous paraissent échapper à la présence d’une
racine unitaire. Dans le cas des pays d’Amérique Latine, le rejet touche 2 cas sur 4.
La seconde étape permet de déterminer l’année et la significativité de l’occurrence d’une
rupture dans le trend de PIB par habitant des pays étudiés précédemment. Les résultats en
terme de racine unitaire mis à jour précédemment sont repris afin de déterminer les seuils de
significativité des ruptures. Nos résultats diffèrent légèrement de ceux de Ben-David et Papell
116
(1995) en ce que nous refusons l’hypothèse de base dans 3 cas sur 10 alors que ces auteurs ne
la rejetaient que dans un seul cas. Nous mettons aussi à jour une date d’occurrence de la
rupture différente de celle déterminée par Ben-David et Papell (1995) dans le cas du Royaume
Uni. Enfin, en ce qui concerne les résultats liés à l’Amérique Latine, dans un cas sur quatre,
l’hypothèse d’une rupture de trend est rejetée tandis que dans les trois autres cas elle est
acceptée.
Tableau A2: résultats des tests de racine unitaire de Zivot et Andrews (1992) appliqués à la base de Ben-Davidet Papell (1995) et à celle de Maddison (1995)
Ben-David et Papell (1995) Base complétée de Maddison (1994)
Pays date DF k date DF k
Allemagne 1946 5.05 (10%) 0 1944 8.56 (1%) 5Danemark 1939 5.84 (1%) 4 1939 6.51 (1%) 2France 1939 6.06 (1%) 8 1939 7.46 (1%) 5Italie 1939 4.36 (n.s.) 1 1942 7.07 (1%) 1Norvège 1939 3.62 (n.s.) 3 1939 3.54 (n.s.) 1Royaume- Uni 1918 5.42 (5%) 8 1945 2.51 (n.s.) 8Suède 1916 5.55 (5%) 4 1929 3.41 (n.s.) 1Canada 1928 6.41 (1%) 7 1928 4.1 (n.s.) 1Etats Unis 1929 5.95 (1%) 1 1929 5.77 (1%) 1Japon 1944 6.57 (1%) 8 1944 5.59 (1%) 1Argentine 1963 4.59 (n.s.) 7Brésil 1980 5.06 (5%) 6Chili 1981 5.29 (5%) 1Venezuela 1972 2.77 (n.s.) 4
Tableau A3: résultats du test de Vogelsang (1997) appliqué à Ben-David et Papell (1995) et à Maddison (1995)
Ben-David et Papell (1995) Base complétée de Maddison (1994)
Pays date SupF K date SupF K
Allemagne 1946 45.35 (1%) 1 1944 75.55 (1%) 4Danemark 1939 30.24 (1%) 5 1939 47.23 (1%) 3France 1939 40.98 (1%) 5 1939 57.55 (1%) 6Italie 1945 23.27 (10%) 2 1942 55.38 (1%) 2Norvège 1944 18.19 (n.s.) 1 1939 17.40 (n.s.) 2Royaume- Uni 1918 39.74 (1%) 6 1943 25.1 (10%) 2Suède 1916 25.24 (1%) 5 1930 11.25 (n.s.) 2Canada 1928 34.61 (1%) 8 1928 15.21 (n.s.) 2Etats Unis 1929 16.09 (5%) 5 1929 30.31 (1%) 2Japon 1944 40.57 (1%) 5 1944 41.34 (1%) 2Argentine 1980 12.19 (n.s.) 1Brésil 1980 34.98 (1%) 1Chili 1981 32.43 (1%) 2Venezuela 1943 23.96 (10%) 5
117
Annexe I.6: Résultats des spécifications de Mankiw, Romer et Weil (1992) etBenhabib et Spiegel (1994) lors de modifications d'échantillons
Tableau A4: résultats de Mankiw, Romer et Weil (1992) désagrégés selon la période
< 1950 ≥ 1950
C .105 (.132) .270 (.062)**Lny -.012 (.006)** -.047 (.005)**Ln(Inv) -.006 (.005) .019 (.006)**Ln(Scol) .007 (.008) .026 (.011)**Ln(n+0.05) -.009 (.176) -.322 (.060)**
R² .196 .475
Avec: Lny, log du revenu initial, Ln(Inv), log du taux d’investissement, Ln(Scol),log de l’éducation présente, Ln(n+0.05), log de la somme du taux de croissancedémographique, du taux de dépréciation et du progrès technique
Tableau A5: résultats de Benhabib et Spiegel (1994) désagrégés selon la période
< 1950 ≥ 1950
C .016 (.016) -.026 (.017)n .963** (.351) .335** (.117)I/Y -.029 (.038) .096** (.026)H -.011 (.016) -.018 (.016)H * (ymax / Y) .011* (.006) .029** (.003)
R² .205 .443
Avec: n, le taux de croissance démographique, I/Y, le taux d’investissement,H, le taux de scolarisation présent et H * (ymax / Y), la variable interactive deBenhabib et Spiegel (1994) combinant éducation et retard technologique.
Tableau A6: résultats de Benhabib et Spiegel (1994) appliqué à 1920-1980
Scol10
n 1.60** (.121)H .110 (.120)H * (ymax / Y) .019 (.013)
R² .635F-test .000
Avec: n, le taux de croissance démographique, H, le taux de scolarisation présentet H * (ymax / Y), la variable interactive de Benhabib et Spiegel (1994).
119
Annexe I.7: Le test de Granger (1969)
L’objet du test de Granger (1969) est de déceler les liens de causalité entre deux variables : x
et y. Cette relation est cependant scindée en deux sous tests, le premier estimant l’existence
d’une causalité de x vers y et le second de y vers x. Ces deux sous relations étant symétriques,
dans la suite de cette exposition, nous limitons l’explication à la relation de causalité allant de
x vers y. Le test est mis en œuvre via la comparaison de deux régressions : la première
spécification fait dépendre y de ses valeurs retardées et des valeurs retardées de x ; la seconde
suppose que y est uniquement fonction de ses valeurs passées.
yt = a + t
m
iiti uy +∑
=−
1
α
t
n
jjtj
m
iitit vxyby +++= ∑∑
=−
=−
11
µλ
La statistique du test est un Fisher. Elle permet de comparer les résidus des deux équations
précédentes.
))1(/(
/)(
2
21
++−−
=NMTSCR
nSCRSCRF
avec : SCRi : somme des carrés des résidus de la régression i, i ∈ {1,2}T : nombre d’observationsm : nombre de retards pris en compte sur les yn : nombre de retards pris en compte sur les x
• Si F > Fisher (1, T-m-n-1), alors le second modèle est significativement meilleur que le
premier, c’est à dire qu’il existe une relation de causalité de x vers y.
• Si F < Fisher (1, T-m-n-1), alors l’introduction des valeurs retardées de x comme
variables explicatives n’améliore pas significativement le modèle.
En procédant symétriquement, il est ensuite possible de tester l’impact de y sur x. Dans le cas
où les deux relations semblent exister, un test de Fisher peut permettre de choisir entre les
deux modèles symétriques.