Quels nouveaux enjeux pour le féminisme européen? Ghislaine Toutain Conseillère du président de la Fondation Jean Jaurès Fondation Jean Jaurès Cette étude présente la synthèse des échanges qui se sont tenus lors du séminaire portant sur « Les nouveaux enjeux pour le féminisme en Europe », co-‐organisé par la Fondation Jean Jaurès et la FEPS, le 15 novembre 2014 à Paris. Où en est le féminisme européen aujourd’hui ? Femmes politiques et chercheures venant de toute l’Europe ont dressé le panorama de la situation des Européennes dans la sphère politique et ont mis en avant des propositions concrètes.
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Sommaire
Introduction 3 Les femmes de l’Antiquité 4 Du Moyen-‐Âge à la Renaissance 6 De la Renaissance aux Lumières 8 Des Lumières à nos jours 9 Vers une quatrième vague du féminisme? 11 Le séminaire 11 Pékin+20 12 I) La situation des Européennes dans la sphère politique : un enjeu toujours majeur 15 A) Dans quelques États membres 15 La question des quotas et de la parité 15 Les résistances à la culture de la parité 17 Constituer un rapport de force 19 Pouvoir et parité 20 Débat autour de la notion de parité 21 B) Dans l’Union européenne 22 La résistible féminisation du Parlement européen 22 La poussée des partis populistes et d’extrême droite 23 Le cas français 24 La résistible féminisation de la Commission européenne 25 Proposer une femme et un homme 26 II) Les débats qui traversent le féminisme en Europe et les nouveaux enjeux auxquels il est confronté 29 A) La question de la prostitution 29 Deux approches contradictoires 29 Une résolution du Parlement européen : vers le modèle nordique 30 B) Les questions de la GPA et de la PMA 32 La gestation pour autrui : l’Union en ordre dispersé 32 Le débat en France 32 Le débat en Europe 34 Le Parlement européen 34 Le Conseil de l’Europe 35 La procréation médicalement assistée : des débats toujours aussi passionnés 35 En France 35 Au Parlement européen 35 Conclusion générale 38 Les mots pour le dire 38 Annexe: le programme du séminaire du 15 novembre 2014 41
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Introduction
Comme chaque année -‐ mais avec un décalage pour cause de séminaire transatlantique1 -‐ la Fondation Jean Jaurès (FJJ) et la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS) ont organisé à Paris, le 15 novembre 2014, leur séminaire annuel sur le thème « Quels nouveaux enjeux pour le féminisme européen? »2. Il nous a paru nécessaire de faire le point sur cette question en raison des évolutions constatées depuis plusieurs années, qu’il s’agisse des nouvelles formes d’action plus radicales (FEMEN, associations comme, en France, « Osez le féminisme » ) qui se manifestent un peu partout dans et autour de l’Union européenne pour faire avancer « la cause des femmes » , ou des effets sur le féminisme européen (et international) et ses débats internes de la mondialisation et des mutations géopolitiques3 et technologiques en cours. Des évolutions se font jour aussi sur la façon dont votent les Européennes, moins réticentes qu’auparavant, semble-‐t-‐il, à donner leur suffrage aux partis populistes ou extrémistes de droite, sur la diversité de leurs revendications comme sur l’émergence et l’utilisation de nouveaux concepts, tel, depuis quelque temps, celui de « genre ». Le terme même de « féminisme4 » continue, aujourd’hui encore, d’avoir pour certains mais aussi pour certaines, jeunes notamment, une connotation négative. Un sondage réalisé en France en février 2013 par l’Ifop pour le magazine Causette révèle ainsi que 60% des femmes de dix-‐huit à vingt-‐quatre ans ne se considèrent pas comme féministes5. Cette étude, qui a constitué l’introduction au séminaire du 15 novembre 2014, a pour objectif de prendre une photographie de la situation du féminisme européen aujourd’hui, des débats et des controverses croissants en son sein, même s’ils ne sont pas nouveaux pour beaucoup d’entre eux (place des femmes dans la sphère politique, action de l’Union européenne, prostitution, questions liées au corps et à la reproduction notamment). Elle a été, comme d’habitude, complétée par une synthèse des débats du séminaire. Auparavant, retournons-‐nous un instant sur le passé et rappelons en quelques pages le combat très long et difficile -‐ encore inachevé et longtemps tapi dans le silence6 -‐ que les femmes ont conduit au
1 Le séminaire UE/USA s’est tenu en mars 2014 à Boston sur le thème « Women up ! For a new progressive agenda». Cf. aussi l’étude de Ghislaine Toutain sur Les femmes et les technologies de l’information et de la communication. 2 Programme en annexe page 56. 3 Cf. Françoise Picq et Martine Storti (dir.), Le féminisme à l’épreuve des mutations géopolitiques, Congrès international féministe, Paris, décembre 2010, Éditions racine de iXè, 250 pages, 21 euros. 4 Rappelons que le mot « féminisme » est, en France, à tort attribué au théoricien socialiste français Charles Fourier (1772-‐1837). C’est dans le pamphlet « L’homme-‐femme » écrit en 1872 par Alexandre Dumas fils, qu’apparaît l’adjectif « féministe », bien que l’auteur ne le soit pas vraiment. Comme le souligne dans Muse de la raison (1989) Geneviève Fraisse, le mot « féminisme » préexiste à l’adjectif. Il appartient au vocabulaire médical, ce qu’attestent certains dictionnaires médicaux du XIXe siècle. En effet, en 1871 paraît une thèse de médecine intitulée « Du féminisme et de l’infantilisme chez les tuberculeux » dont l’auteur est l’étudiant Ferdinand-‐Valère Faneau de la Cour, élève du professeur Jean Lorain, en fait le véritable auteur du mot nouveau. La suffragiste Hubertine Auclert se l’approprie en 1882 et lui a donné son sens actuel : « le féminisme devient l’emblème du droit des femmes, le porte-‐drapeau de l’égalité ». Même s’il n’existe pas un seul féminisme, historiquement et dans sa réalité actuelle, le féminisme peut être considéré dès lors, selon la définition qu’en donne Amélia Valcarcel, philosophe espagnole, dans Qu’est-‐ce que le féminisme et quels défis lance-‐t-‐il ?, comme « une tradition politique moderne, égalitaire et démocratique, qui soutient qu’aucun individu de l’espèce humaine ne doit être exclu d’un bien ou d’un droit ». Lire aussi la contribution de Monique Halpern au séminaire transatlantique FJJ/FEPS qui s’est tenu à Washington en octobre 2011 sur le thème « Usages et mésusages du féminisme ». 5 Ainsi, à la question « Vous considérez-‐vous comme féministe? », 51 % des femmes (tous âges confondus) ont répondu « non ». Seules 59% des femmes de plus de 65 ans ont apporté une réponse positive. 6 De nombreux ouvrages y sont désormais consacrés. Citons notamment Georges Duby-‐Michelle Perrot, Histoire des femmes (cinq tomes), Éd. Plon, juin 1991 ou encore Françoise Héritier, Sylviane Agacinski, La plus belle histoire des femmes, ou encore La place des femmes dans l’histoire, Éditions du Seuil, 2011. Geneviève Dermenjianh, Irène Jami, Annie Rouquier,
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il des siècles, depuis le début de l’histoire de l’Europe comme Outre-‐Atlantique, pour leur émancipation, pour leurs droits et pour l’égalité avec les hommes. Les femmes de l’Antiquité À aucune période de l’Antiquité, les femmes ne seront des sujets de droit. Dans la Grèce antique, avec des nuances selon les époques ou les lieux7, les femmes vivent séparées des hommes. Elles sont exclues de la vie de la cité. Ce ne sont pas des citoyennes. Elles n’ont donc pas droit à l’espace public et ne peuvent s’exprimer en public, quelle que soit leur situation, filles, épouses, mères, prostituées, courtisanes, hétaïres8, prêtresses et esclaves. Seuls les hommes, qui ne travaillent pas, participent aux débats au sein de l’ecclésia, l’assemblée des citoyens. Toute leur vie, elles vont être soumises à la domination masculine, selon un modèle patriarcal strict. Même au Panthéon antique, une déesse n’était pas l’égale d’un dieu. À Athènes, les femmes sont des mineures, dénuées de statut juridique et de presque tous les droits, notamment politiques, même si quelques unes exerceront une influence sur la vie politique, comme Bérénice, Arsinoé, Olympias ou Cléopâtre. Le salut des filles issues de familles riches réside dans le mariage organisé par leur père. Devenues épouses, elles sont placées sous l’autorité de leur époux et vivent enfermées dans la maison, le gynécée, n’en sortant (rarement) que pour accomplir des fonctions religieuses. Vouées « par nature » aux tâches domestiques, elles auront pour éducation essentielle le filage et le tissage de la laine. Elles devront aussi et surtout assurer la continuation de la famille. Seules les femmes des classes pauvres qui n’ont pas d’esclaves, sortent un peu plus, voire vendent des légumes sur l’agora. Une évolution de la condition des femmes s’amorcera au Ve siècle sous l’influence d’Aspasie, compagne ou épouse9 de Périclès et se poursuivra au IVe siècle10, sans que les femmes n’aient jamais acquis, dans les cités grecques, aucun droit politique. Les philosophes grecs ont abordé la question du masculin et du féminin et celle de l’égalité des sexes sans toutefois sortir de « l’androcentrisme » qui imprègne l’essentiel du discours philosophique jusqu’à une date récente. Ainsi, dans La République, Platon (428/348 av. J.-‐C) affirme, certes, qu’il n’y a pas de raison de penser que les femmes sont inférieures aux hommes. Elles doivent donc, dans sa cité idéale, recevoir la même éducation qu’eux (gymnastique, musique, art de la guerre) et assumer les mêmes fonctions, notamment celle de « gardiennes » de la cité, en tenant compte, ajoute-‐t-‐il, de leur plus grande faiblesse physique. Dans le même temps, Platon restreint les prérogatives qu’il leur accorde. Quant à Aristote (384-‐322 av. J.-‐C), il considère que la femme est inférieure par nature à l’homme en s’appuyant sur les différences biologiques qu’il constate. Selon lui, « le mâle est supérieur par nature et la femelle inférieure (…). L’un gouverne et l’autre est gouvernée ». Il faudra
Françoise Thébaud, Une histoire mixte, Éditions Belin, 415 pages, novembre 2010 et bien sûr, Michelle Perrot, Les femmes ou les silences de l’Histoire, Éditions Champs Flammarion, 2001. 7 À Sparte, notamment, les femmes étaient plus libres qu’à Athènes. L’école y était obligatoire pour les garçons mais aussi pour les filles qui devaient devenir des femmes en bonne santé pour donner à la cité des enfants qui deviendraient des soldats vigoureux. Notons qu’au fil des siècles, un mouvement « féministe » mais toutefois limité puisque les femmes n’auront jamais acquis aucun droit politique dans les cités grecques, se manifestera en faveur d’une plus grande liberté accordée aux femmes, notamment sur le plan scolaire. 8 Prostituées de haut rang, éduquées et pouvant tenir une conversation avec des hommes cultivés. Aspasie, maîtresse de Périclès, au Ve siècle av. J.-‐C, reçoit chez elle Sophocle. Seules avec les Spartiates (cf. note 6), elles peuvent gérer leurs biens. À l’époque classique, Théodoré, compagne d’Alcibiade, dialogue avec Socrate. 9 Sa situation diffère selon les historiens. 10 Après la mort d’Alexandre, notamment l’égalité des époux sera reconnue dans des contrats de mariage.
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attendre l’empire romain et Plutarque11(46 ap. J.-‐C -‐ 120 ap. J.-‐C) pour affirmer, dans Dialogue sur l’amour, que les femmes peuvent inspirer, aussi bien que les hommes, un amour véritable et réhabiliter ainsi la femme et l’amour conjugal. Dans la Rome antique, les femmes restent des objets. À aucune période de l’histoire de la Rome antique, le droit romain n’en fait des sujets. L’infériorité naturelle de la femme en est l’un des fondements. Si la condition des Romaines va évoluer de la Royauté (VIIIe -‐ VIe siècle av. J.-‐C) jusqu’à l’Empire (27 av. J.-‐C -‐ 476 ap. J.-‐C) en passant par la République (Ve siècle av. J.-‐C -‐ 27 av. J.-‐C), elles n’obtiendront jamais le droit de voter et de s’impliquer dans la vie politique. Sous la Royauté, la plus grande austérité est de rigueur pour les femmes, ce que Tite-‐Live (59 av. J.-‐C – 17 ap. J.-‐C), dans son Histoire de Rome depuis sa fondation apprécie particulièrement, dressant un portrait de la femme romaine parfaite telle qu’elle existait, selon lui, à l’époque de la Royauté. Lucrèce est l’image de cette Romaine exemplaire qui, violée par l’un des fils du roi Tarquin le Superbe, préféra le suicide au déshonneur d’être accusée d’adultère12. Aux débuts de la République, la « matrone » est soumise à l’autorité du pater familias qui a droit de vie et de mort sur ceux qui vivent sous son toit. Avec le mariage (entre douze et quatorze ans, quand certaines ne sont pas destinées à être vestales dès l’âge de six ans), les filles passent de l’autorité de leur père à celle de leur mari. Toutefois, si elle ne peut occuper aucun rôle dans la vie politique, la femme romaine est moins confinée dans le gynécée que l’Athénienne. Même si son rôle essentiel demeure la garde du foyer, les tâches domestiques13 et assurer une descendance, elle sort de la maison accompagnée et participe, assise, au repas des hommes. C’est Cornelia Africana14 (189 av. J.-‐C -‐ 100 av. J.-‐C), fille de Scipion l’Africain, mère des Gracques, qui symbolise la mère romaine sous la République, notamment pour l’éducation donnée à ses fils et pour sa force de caractère. Dans le même temps, les courtisanes et les prostituées, souvent des esclaves ou des affranchies, qui ont toujours existé, sortent de la clandestinité, témoignant de l’évolution des mœurs de la société romaine. Au début de l’Empire, les femmes sont toujours privées du droit de voter et de participer aux assemblées mais l’autorité du pater familias s’atténue. Faisant moins d’enfants, les patriciennes mettent plus leur beauté en valeur, sortent plus, deviennent plus instruites, fréquentent les thermes et même les banquets. Elles s’insèrent dans la vie économique et politique comme l’impératrice Livie (58 av. J.-‐C -‐ 29 ap. J.-‐C), femme d’Auguste, qui s’instaure en conseillère politique de l’empereur. Agrippine la Jeune (15 ap. J.-‐C – 59 ap. J.-‐C), sœur de Caligula, symbolise à son tour cette femme émancipée et influente de l’Empire qui n’hésitera pas à assassiner son époux, l’empereur Claude, pour mettre son fils, Néron, sur le trône15. Les femmes du peuple, les plébéiennes, connaissent une vie plus dure. Dans les villes, elles travaillent dans les métiers du commerce et de l’artisanat. Dans les campagnes, elles participent largement aux travaux des champs16. Notons à cette occasion, comme
11 Plutarque consacrera aux femmes ayant fait preuve d’arété (vertu, mérite ou encore valeur selon les traductions) un traité, Vertus de femmes, dans lequel il honore de façon collective puis individuelle celles qui ont fait preuve de courage, comme les celles de la cité de Chios, les Tyrrhéniennes ou encore les Troyennes. 12 L’histoire veut que ce soit à la suite de ce viol que Rome est passée de la Royauté à la République en 509 av. J.-‐C, les hommes entourant Lucrèce soulevant le peuple contre la Royauté. 13 Les Romains, comme les Grecs, considèrent que « la nature a axé le travail de la femme sur les tâches domestiques et celui du mari sur les exercices extérieurs » selon l’agronome romain du Ier siècle ap. J.-‐C, Columelle, contemporain de Sénèque dans son ouvrage De re rustica. 14 Cornélia est l’une des rares femmes dont les écrits ont survécu, notamment deux lettres à son plus jeune fils, dont l’authenticité est contestée par certains historiens. 15 Devenu empereur grâce à sa mère, Néron la fera assassiner cinq ans après, supportant mal son autorité et sa volonté de régner, alors qu’elle compte de nombreux partisans dans l’armée. 16 Pilar Ballarin, Université de Grenade (Espagne), Catherine Euler, Université de Leeds Metropolitan (Royaume-‐Uni), Nicky
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le souligne Michelle Perrot17, que « le travail des femmes a toujours été un devoir et une nécessité. (…) On n’imagine pas la survie d’un groupe de population quel qu’il soit, à aucun moment, sans le travail des femmes ». Cette situation est particulièrement vraie dans les champs où les femmes travaillent depuis la nuit des temps, qu’elles soient femme et fille de paysan, esclave ou journalière. Le travail est dur mais les fermes ne peuvent se passer d’elles. Comme l’écrivent aussi les auteures d’Histoire des femmes et des mouvements féministes en Europe, « elles sèment, sarclent, fauchent, vendangent et récoltent les olives, préparent et entretiennent les outils de travail. Elles s’occupent des potagers, du bétail et des volailles, traient les chèvres et les vaches et tondent les moutons. Elles participent à l’élaboration du vin, de la bière et de l’huile. Elles préparent la graisse utilisée dans certaines sociétés pour la lumière ou comme aliment remplaçant l’huile. Elles participent également aux tâches liées à la préparation et à la conservation des produits : s’occuper du grain, le moudre; mettre en conserve les produits de printemps et d’été etc. ». Le travail domestique et le travail agricole harassants réalisés par les femmes resteront longtemps non reconnus (aujourd’hui encore, il ne l’est pas complètement !), ce qui a contribué à ne pas valoriser leur place dans la société, notamment sur le plan politique. Du Moyen-‐Âge à la Renaissance Au IVe siècle ap. J.-‐C, le christianisme devient la religion de l’Empire romain après la conversion de l’Empereur Constantin en 312. Ce passage progressif, dans l’Empire et au Bas-‐Empire, du paganisme au christianisme va apporter un certain nombre d’évolutions – limitées cependant – dans le statut de la femme, reconnue dans le texte biblique comme « une personne ». Ainsi, en 390 ap. J.-‐C, la loi civile va retirer au pater familias le droit de vie et de mort sur ses enfants, notamment sur les filles. Déjà, Jésus avait promu, vis-‐à-‐vis des femmes, une démarche compréhensive qui tranchait avec celles des hommes de l’Antiquité en énonçant l’égalité de l’homme et de la femme. De nombreuses femmes l’entouraient et elles furent très présentes dans les premiers temps, priant dans les catacombes, baptisant les enfants et multipliant les conversions. Pour autant, très vite, elles vont disparaître. En effet, les disciples de Jésus rechignent à le suivre dans cette voie. L’apôtre Paul (8-‐67 environ ap. J.-‐C) marque un recul par rapport à sa pensée en affirmant que la femme doit être vouée au silence, à la pudeur et à la soumission. En outre, elles seront exclues de la construction de l’Église, l’apôtre Pierre n’admettant comme clercs que des hommes18. Les préventions contre elles vont alors croissant, comme le souligne encore Michelle Perrot19, « les Pères de l’Église assimilent la sexualité au péché et présentent la femme comme une dangereuse tentatrice ». Le Haut Moyen-‐Âge (Ve -‐ Xe siècle) est une période de transition et de synthèse entre le droit romain et les coutumes « barbares ». L’influence de l’Église se fait sentir tout au long de cette période, notamment au cours de la période franque (VIe -‐ VIIe siècle), sur la conception évolutive du mariage, où apparaît le principe de libre consentement des époux. Ce principe se heurtera dans la réalité à de Le Feuvre, Université de Toulouse Jean Jaurès, Eeva Raevaara, Université de Helsinki (Finlande), Histoire des femmes et des mouvements féministes en Europe, ouvrage collectif d’un réseau d’études féministes européen. 17 Françoise Héritier, Michelle Perrot, Sylviane Agacinski, Nicole Bacharan, La plus belle histoire des femmes, Éditions du Seuil, 2011, 330 pages, 7,20 euros 18 En mai 2014, l’Institut Émilie du Châtelet a organisé un séminaire sur « Un écrit féministe chrétien du IIe siècle : les Actes de Paul et de Thècle », animé par Philippe Régnié, professeur au CNAM. Les Actes de Paul et de Thècle constituent un très ancien témoignage de la lutte que menèrent des femmes chrétiennes aux alentours de l’An 50 contre la répartition patriarcale des rôles au sein de l’Église primitive et même, au-‐delà de celle-‐ci, dans la société de leur époque. Ils sont, aujourd’hui encore, à l’heure de la querelle du genre, nourrie par certains mouvements d’inspiration religieuse, d’une particulière actualité. 19 Françoise Héritier, Michelle Perrot, Sylviane Agacinski, Nicole Bacharan, op.cit.
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fortes résistances, alors que dans le même temps, les droits économiques et sociaux des femmes des peuples germains s’étendent. Les femmes qui ne veulent pas se marier peuvent rejoindre les monastères qui se multiplient à partir du VIe siècle. Ces institutions, placées sous l’autorité d’une abbesse, apportent une certaine éducation aux nonnes (lecture, écriture, analyse de la Bible). Toutefois, ces monastères restent dépendants des hommes pour les offices et les confessions. L’une des plus célèbres de ces mères abbesses, l’Allemande Hildegarde de Bingen (1098-‐1179), appelée « la poétesse du Rhin » composera soixante-‐dix-‐sept pièces liturgiques et écrira plusieurs ouvrages dont la plupart sont réunis dans un grand livre, le Riesencodex, conservé à la bibliothèque régionale de Hesse à Wiesbaden en Allemagne. Au Moyen-‐Âge (Xe -‐ XVe siècle), la vie de celles qui ne deviennent pas religieuses dépend en partie du milieu social auquel elles appartiennent. Bien née, la petite fille apprendra à filer la quenouille. Dans les campagnes, elle vaquera aux travaux des champs avec sa mère. Les filles nobles, elles, apprendront à lire, à écrire et à coudre. De façon générale, la vocation des femmes médiévales, celles du peuple et de la bourgeoisie naissante en plein développement notamment, sont assez libres, même si le mariage (le plus souvent arrangé par les familles) et la maternité demeurent centraux, comme leur soumission aux hommes. Mais, même mariées, les femmes exercent de nombreux métiers (boulangères, lingères, blanchisseuses, apothicaires, coiffeuses, artistes, tailleurs, voire sages-‐femmes, servantes etc.). Certaines même sont des commerçantes indépendantes. Remarquons cependant que la plupart des corporations ne les admettait pas dans leurs rangs. Leur mari s’absentant souvent pour combattre dans les guerres ou participer aux croisades, elles assuraient la vie quotidienne de la famille. Elles pouvaient même voter dans les assemblées urbaines ou les communes rurales quand elles étaient chefs de famille. Quant aux femmes de la noblesse, moins libres, elles n’en géraient pas moins leurs biens quand leur époux était absent. Enfin, comme sous l’Antiquité, la prostitution existe. Les prostituées sont confinées dans les maisons closes des villes. Comme le souligne Georges Duby20, « dans l’Occident médiéval, les femmes parlaient. Elles parlaient même beaucoup... Pourtant, si volubiles qu’elles aient été, presque rien n’est venu jusqu’à nous de leurs paroles. Avant la fin du XIIIe siècle, le silence est quasi-‐total ». Quelques rares voix de femmes remarquables sont cependant parvenues jusqu’à nous. Celle d’Hildegarde de Bingen, on l’a vu, mais aussi la voix d’Héloïse (1101-‐1164), épouse d’Abélard, abbesse du Paraclet, très cultivée et connue pour ses écrits et ses chansons ou encore celle d’Aliénor d’Aquitaine (1122-‐1204), deux fois reine, mère de trois rois, cultivée, qui fut à l’origine de l’amour courtois et protégea les troubadours tout en s’occupant seule de la gestion du duché d’Aquitaine. Celle encore de Marie de France (1160-‐1210) qui est la première femme à avoir écrit des poèmes (des lais) en français21. Peu nombreuses encore sont celles qui dénoncent notamment la misogynie ambiante et la non reconnaissance du travail des femmes. Pourtant, le contexte général reste marqué par la misogynie véhiculée par le clergé, la femme étant considérée comme instigatrice du péché originel. Christine de Pisan (1363-‐1431), à la fin du Moyen-‐Âge, sera la première femme à vivre de sa plume après la mort de son mari et à défendre l’honneur des femmes, notamment dans son ouvrage La cité des dames22. Aux yeux d’un grand nombre d’historiens, elle est la première féministe occidentale. Figure majeure de la féminité médiévale, elle explique dans cet ouvrage que les femmes n’ont pas moins de valeur que les hommes, elles sont simplement moins instruites. Elle devance ainsi Mary Wollstonecraft qui, en 20 Pilar Ballarin, Université de Grenade (Espagne), Catherine Euler, Université de Leeds Metropolitan (Royaume-‐Uni), Nicky Le Feuvre, Université de Toulouse Jean Jaurès, Eeva Raevaara, Université de Helsinki (Finlande), op.cit. 21 Héloïse écrivait en latin. 22 La cité des Dames est un ouvrage allégorique qui décrit une cité idéale des femmes nobles, c’est-‐à-‐dire possédant l’intelligence du cœur et de l’esprit, sous l’égide de la Raison, de la Droiture et de la Justice, mais aussi de la Vierge Marie, souveraine de la cité.
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1792, dans A vindication of Rights of Woman23, estime, elle aussi, que les femmes doivent bénéficier d’une éducation et disposer des mêmes droits que les hommes (cf. infra). De la Renaissance aux Lumières
Cette question de l’éducation des filles constituera l’un des points de discussion lancé par la « querelle des femmes », cette controverse sur la situation de la femme, initiée par le juriste André Tiraqueau24 qui va diviser les intellectuels français et qui va se répandre dans toute l’Europe au cours du premier tiers du XVIe siècle. Se greffe sur cette question l’émergence, sous la Renaissance, de l’humanisme25, un mouvement de pensée qui se réfère à l’Antiquité et qui remet à l’honneur les valeurs de la connaissance et du savoir. Il ressuscite aussi le droit romain dont on sait la conception qu’il développe de la place de la femme dans la société (cf. supra). La question se pose donc de savoir si, dans ce contexte, la Renaissance a permis – ou non – une émancipation des femmes. Pas vraiment. En effet, ce retour aux « humanités », c’est-‐à-‐dire aux textes antiques, s’il prône l’éducation de l’homme n’en fait pas autant pour la femme. Certes, les femmes issues de l’élite reçoivent une éducation, telle Marguerite de Navarre, sœur de François Ier, qui va encourager les humanistes comme Rabelais ou encore Thomas More, qui, comme Érasme, se déclare favorable à l’éducation des filles. Et si le protestantisme émergeant se révèle, sous certains aspects, un peu plus tolérant à l’égard des femmes, l’Église catholique continue d’en véhiculer une vision dégradante, confortant la misogynie ambiante. À preuve les procès de sorcières qui commencent au XIVe siècle culminent sous la Renaissance où brûlèrent par milliers sur les bûchers des femmes accusées d’hérésie, notamment en Angleterre, en Allemagne, en France et en Pologne. Dans les faits, ce sont pourtant les institutions religieuses, les Ursulines par exemple, qui vont progressivement prendre en charge l’alphabétisation et l’instruction des filles, différenciée d’ailleurs selon leur appartenance sociale. Globalement, les femmes restent encore confinées dans l’espace privé et la soumission juridique à leur époux s’accroît selon un modèle patriarcal renforcé. De façon générale, les femmes continuent, comme dans la période précédente, à travailler dans les champs et dans les nombreux métiers qu’elles exercent dans les zones urbaines, comme ceux de la soie et de l’or ou encore la confection du linge blanc. Elles restent cependant exclues des corporations comme de la vie politique de leurs communautés. Pendant les guerres de religion (1562-‐1598), elles remplacent les hommes absents, comme cela se passera quelques siècles plus tard, au cours de la Première guerre mondiale notamment26. À la fin de ces guerres, qui ont cassé le cycle de croissance économique qui se développait en Europe depuis le milieu du XVe siècle, les femmes vont subir de plein fouet les périodes de crise économique qui ont suivi et devoir gérer les conflits alimentaires.
23 A vindication of Rights of Woman est souvent considéré comme le premier classique du féminisme. 24 Si André Tiraqueau (1488-‐1558) soutient qu'il est nécessaire qu’existe dans le mariage une affection réciproque, il affirme cependant sans ambiguïté la supériorité de l’homme sur la femme, en attribuant au mari le rôle de protecteur de sa femme. 25 Le mouvement humaniste naît en Italie avec Pétrarque (1304-‐1374) et Boccace qui traduit Homère en latin. Un engouement va émerger pour Platon, dont la philosophie conquiert l’Europe. 26 Cf. le colloque du 26 septembre 2014 « Les femmes pendant la guerre de 1914-‐1914 ou un siècle d’émancipation des Européennes », co-‐organisé par la Friedrich Ebert Stiftung et la FJJ à Paris, et les Actes à venir prochainement.
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Malgré ce contexte défavorable, certaines vont se distinguer sur un plan littéraire ou artistique, comme Louise Labé connue pour ses poèmes sensuels mais qui revendique aussi pour les femmes l’accès au savoir ou encore Marguerite de Valois, plus connue sous le nom de la Reine Margot, qui affirmait la supériorité de la femme sur l’homme. Citons aussi Marie de Gournay, fille adoptive de Montaigne, qui réclame, dans Égalité des hommes et des femmes, un meilleur accès à l’instruction pour les femmes. Pour autant, comme le soulignent dans leurs ouvrages Michelle Perrot27 et Nicole Racine et Michel Trebitsch28, les femmes seront tenues à l’écart de l’art jusqu’à une période récente. À la Renaissance, comme aux siècles qui ont suivi, « bien qu’elles soient de plus en plus nombreuses à publier leurs écrits, les activités intellectuelles demeurent pour la grande majorité d’entre elles des pratiques qu’il faut cacher ou minorer sous peine d’être raillées en tant que « précieuses ridicules ». Quant à Michelle Perrot, elle explique que « la création, c’est le Verbe au sens large, c’est Dieu. Créer quelque chose de nouveau dans le monde, cela relève du divin, du sacré. Au départ, seul Dieu est créateur. S’il a délégué son pouvoir, cela ne peut être qu’à la plus noble des créatures : l’homme, le mâle. Depuis l’Antiquité, tous les textes philosophiques affirment que la femme ne peut pas créer, qu’elle n’en est pas capable. Elle ne peut que copier, réciter, interpréter… Traductrice, cela a toujours été considéré comme un bon métier pour les femmes : transmettre d’une langue à l’autre la pensée d’un homme, cela leur va bien. Mais écrire pour elles-‐mêmes, c’est une autre affaire. Peindre, c’est encore plus difficile. Quant à composer de la musique, c’est le tabou suprême. Car la musique est la langue des dieux ». Notons enfin qu’en France, avant que ne s’applique formellement la loi salique29, entre 1483 (mort de Louis XI) et 1660 (début du règne de Louis XIV), les femmes furent nombreuses à participer au pouvoir – Anne de France, Catherine et Marie de Médicis ou encore Anne d’Autriche – assumant seules la direction du royaume ou en « binôme » avec le roi. La Révolution de 1789 les en éloignera pour longtemps. Des Lumières à nos jours
L’esprit du siècle des Lumières ne va pas faire disparaître la misogynie qui imprègne la société européenne du XVIIIe siècle. Sa philosophie qui met en avant la connaissance et la croyance dans le progrès, conteste le primat religieux et va forger la notion « d’individu » n’a que peu profité aux femmes de l’époque qui continueront d’être reléguées dans le domaine du privé et du domestique. En effet, si tout au long de ce siècle, la question du droit à l’éducation des femmes alimente le débat, leur infériorité ne sera pas remise en cause ni leur exclusion de la sphère publique et politique. La situation des femmes « du peuple », ne va guère évoluer par rapport au siècle précédent. Soumises au modèle patriarcal traditionnel, à la campagne, elles continuent d’effectuer un travail harassant dans les champs. En ville, elles sont toujours domestiques, boutiquières, boulangères etc… Seule une 27 Françoise Héritier, Sylviane Agacinski, op.cit. 28 Gisèle Sapiro, Compte rendu de Nicole Racine et Michel Trebitsch (dir.), Intellectuelles. Du genre en histoire des intellectuels, 2004, Le Mouvement Social, n° 214 (janvier-‐mars 2006). 29 La « loi salique » est d’abord un code de droit pénal et de procédure judiciaire concernant les personnes et les biens, datant des Francs Saliens. Elle règle notamment les droits de succession pour les biens fonciers qui ne peuvent échoir qu’aux hommes. C’est sur cette clause, qui ne concernait en rien la succession au trône du Royaume franc, que s’appuieront, au cours du XVème siècle, les juristes pour édicter une loi successorale évinçant les femmes de la succession royale.
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petite minorité de femmes de l’aristocratie et de la bourgeoise sont éduquées. Certaines – comme Mme du Tencin, Mme de Lambert, Mme Geoffrin ou encore Mme du Deffand – vont diffuser la philosophie des Lumières en recevant dans leur salon écrivains, philosophes, artistes et savants. Pour autant, les femmes n’obtiendront pas la reconnaissance de leur talent. Jean-‐Jacques Rousseau, dans une lettre à d’Alembert en 1758, n’hésite pas à écrire : « Les femmes, en général, n’aiment aucun art, ne se connaissent à aucun, et n’ont aucun génie. Elles peuvent réussir aux petits ouvrages qui ne demandent que de la légèreté d’esprit, du goût, de la grâce, quelquefois même de la philosophie et du raisonnement. Elles peuvent acquérir de la science, de l’érudition, des talents et tout ce qui s’acquiert à force de travail. Mais ce feu céleste qui échauffe et embrase l’âme, ce génie qui consume et dévore, cette brûlante éloquence, ces transports sublimes qui portent le ravissement jusqu’au fond des cœurs, manqueront toujours aux écrits des femmes: ils sont tous froids et jolis comme elles.» Voltaire, le compagnon d’Émilie du Châtelet30, mathématicienne et physicienne, Diderot et Montesquieu ont des positions plus nuancées. Ils prennent la défense des femmes et reconnaissent la nécessité de l’éducation pour elles aussi. Mais seuls quelques hommes brisent les tabous et prônent l’égalité entre les femmes et les hommes, comme François Poullain de la Barre, qui, en 1673, dénonce dans son traité De l’égalité des deux sexes, discours physique et moral où l’on voit l’importance de se défaire des préjugez que cette prétendue infériorité des femmes repose sur des préjugés sexistes. Il démontre que l’inégalité de traitement que subissent les femmes n’a pas de fondement naturel mais procède d’un préjugé culturel. Il préconise que les femmes reçoivent une véritable éducation mais aussi que leur soient ouvertes toutes les carrières, y compris les carrières scientifiques. En juillet 1790, Condorcet publie Sur l’admission des femmes au droit de cité, ouvrage dans lequel il se prononce pour le droit de vote des femmes. Deux ans plus tard, dans Cinq Mémoires sur l’instruction publique, il affirme que l’instruction doit être commune aux hommes et aux femmes, publique, laïque et gratuite. Il estime que les hommes ne peuvent être libres et égaux si la moitié du genre humain n’est pas libérée de ses entraves séculaires. Mais la Révolution française de 1789 est passée par là et il ne sera pas entendu. Olympes de Gouges, qui rédigera en 1791 La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne sera guillotinée. Les femmes ont pourtant largement participé au processus révolutionnaire. Dans les cahiers de doléances, elles réclament notamment le droit à l’instruction, le droit d’exercer un métier, le divorce et veulent être reconnues comme citoyennes à part entière. Peu iront jusqu’à avoir des revendications « féministes », comme Olympe, notamment celle du droit de vote. Elles vont cependant envahir les tribunes des assemblées politiques dont elles sont exclues et même prendre les armes, comme à Versailles en 1789 pour réclamer du pain à Louis XVI et le ramener de force à Paris. Elles descendront dans la rue à plusieurs reprises, en 1789, 1793, 1795, créeront des clubs, feront des pétitions. Elles tiendront même salon, comme Mme Rolland, qui, elle aussi, sera guillotinée, ou Mme de Condorcet. Malgré cette irruption dans la cité, elles n’obtiendront de la Révolution que quelques avancées civiles, parmi lesquelles la fin de la tutelle paternelle et maritale, le mariage civil et le divorce par consentement mutuel, les deux époux étant traités à égalité (loi de 1792), mais le droit de vote leur sera refusé, les laissant à l’écart de la vie politique et de la citoyenneté. La Convention finira même par interdire tous les clubs et sociétés de femmes. En 1804, le Code Napoléon déclarera l’incapacité juridique totale de la femme. Elles seront même plus écartées du pouvoir que sous l’Ancien régime qui leur interdisait le trône mais pas la régence.
30 Émilie du Châtelet (1706-‐1749) est l’une des premières femmes scientifiques d’influence. Elle traduisit l’œuvre de Newton et écrira « Institutions de physique ». Un institut de recherche sur les études de genre créé en 2006 à l’initiative de la Région Ile de France, porte son nom (cf. infra).
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En conclusion de cette introduction historique, vers une quatrième vague du féminisme?
La suite est mieux connue. Au XIXe siècle, les mouvements féministes et suffragistes vont éclore en Europe, notamment en Grande-‐Bretagne et en France. C’est à cette époque que paraissent les premiers journaux féminins (en France La femme libre, 1832) et que les revendications des femmes portées par les figures françaises de Flora Tristan puis de Louise Michel notamment, se font de plus en plus fortes, plus ou moins soutenues par le socialisme émergeant avec la révolution industrielle. Au cours du séminaire du 15 novembre dernier, la question a été soulevée de savoir si le féminisme européen n’entrait pas aujourd’hui dans une quatrième vague avec l’introduction de la notion de « genre » et le développement des études de genre (cf. infra). Quoi qu’il en soit, après ces millénaires de combat ininterrompu, au moment où le robot Philae nous donne des nouvelles d’une comète située à plus de six milliards et demi de kilomètres de nous, la route n’est toujours pas achevée sur la Terre pour la conquête de l’égalité entre les femmes et les hommes. Pire. Comme devait le souligner la députée européenne italienne Mercedes Bresso, la condition des femmes dans le monde qui subissent une loi religieuse sévère, notamment islamique, est très difficile. Elle est dramatique dans le Nord de l’Irak où le groupe État islamique (Daesh) perpétue les pires exactions à l’encontre de (très) jeunes femmes yézidies qu’il réduit en esclavage sexuel, séquestre, viole, mutile, voire tue avec une sauvagerie bestiale qui déshonore l’Humanité. Certaines d’entre elles ont préféré se suicider plutôt que de subir ces violences ou être vendues pour une trentaine d’euros en Arabie Saoudite ou en Syrie. Dans son rapport de décembre 201431, Amnesty international parle de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité. Certains médias et de nombreuses associations de femmes ont dénoncé ces exactions mais, en général, la « discrétion » reste de mise. En Europe même, poursuit la députée européenne, en raison de la soumission de nombreuses femmes immigrées à la loi religieuse et à la tradition, la condition féminine risque de s’aggraver. Dans un article du Figaro Madame du 9 janvier 2015, plusieurs responsables d’associations féministes32 décrivent « les insultes, les injures, les intimidations, voire les menaces » parfois très violentes qu’elles reçoivent lors de débats publics de la part d’extrémistes religieux, principalement musulmans, « qui ne supportent pas qu’on mette à mal la domination masculine ». Comme s’est exclamée Mercedes Bresso, « la liberté des femmes n’est jamais acquise. C’est un combat qu’il faut toujours recommencer! ». Le séminaire Le féminisme européen ou, comme devait le préciser Monique Halpern, présidente du Conseil d’orientation de l’Institut Emilie du Châtelet, « les » féminismes européens sont confrontés aujourd’hui à des enjeux multiples et pour certains nouveaux. Les débats du séminaire du 15 novembre 2014 ont essentiellement porté sur celui, majeur, de la résistible représentation des
31 Le 23 décembre 2014, Amnesty International a publié un rapport de quarante pages sur les femmes yézidies enlevées en août dernier dans le nord de l’Irak par les combattants du groupe État islamique. Entre septembre et novembre 2014, l’ONG a interrogé une quarantaine de femmes et jeunes filles qui ont réussi à échapper à leurs ravisseurs. Elles racontent ce qu’elles ont dû endurer. 32 Michèle Vianès, présidente de « Regards de femmes », Sabine Salmon, présidente de « Femmes solidaires », Fatima Ezzahara-‐Benomar, membre de l’association « Les Effrontées » ou encore Anne-‐Cécile Mailfert, porte-‐parole d’« Osez le féminisme » témoignent dans Le Figaro Madame du 9 janvier 2015
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Européennes dans la sphère politique, aussi bien dans les États membres (notamment en Estonie, en France, en Grèce, en Hongrie, en Italie et en Suède) que dans les institutions européennes (Parlement et Commission). Les raisons de ces résistances, notamment à la parité, ainsi que les propositions pour y mettre un terme, ont largement été débattues et font l’objet d’une synthèse dans ce rapport. La notion de « genre », qui fait désormais partie des concepts du féminisme européen (et depuis plus longtemps, américain) et qui recouvre les études sur les femmes a également été discutée. Cette notion suscite, au sein du mouvement féministe, quelques interrogations, particulièrement par rapport à l’universalité des droits des femmes. Toutefois, le débat a renouvelé et enrichi les travaux que la FJJ et de la FEPS conduisent depuis des années sur l’égalité entre les sexes. Par ailleurs, si les questions de la prostitution, de la gestation pour autrui (GPA) et de la procréation médicale assistée (PMA) n’ont été qu’évoquées, il n’est pas inintéressant d’y faire référence dans ce rapport car elles occupent le débat public en Europe – et particulièrement en France mais pas seulement – depuis un certain temps. Ce débat est loin d’être clos, d’autant qu’il traverse toutes les formations politiques comme le mouvement féministe européen dans toutes ses composantes. De même, ni la question du voile islamique et de la laïcité ni celle des mouvements comme les Femen ou en France La Barbe n’ont été abordées bien qu’elles aussi divisent les féministes. Elles auront toute leur place dans une prochaine rencontre. D’autres aspects, plus « classiques » mais non moins importants, comme les violences à l’encontre des femmes, l’inégalité salariale, la difficile conciliation entre vie privée et vie professionnelle ou encore le droit à l’IVG33 n’ont été que rappelés. Pia Locatelli, membre du parlement italien, affirma dans sa conclusion la nécessité de poursuivre une action déterminée sur l’ensemble de ces discriminations qui sont loin d’être résolues au niveau européen comme au niveau mondial, comme vient de le démontrer, cartes à l’appui, le premier Atlas mondial des femmes34, présenté le 12 janvier 2015 par l’Institut national d’études démographiques (Ined) qui décrit le long chemin qu’il reste à parcourir – déjà très long depuis la Grèce antique ! – pour parvenir à une égalité réelle entre les femmes et les hommes dans le monde, malgré les progrès enregistrés dans certains domaines. Pékin +20 Cet Atlas est publié quelques mois avant le vingtième anniversaire de la conférence mondiale des femmes35 qui s’est tenue à Pékin en septembre 1995 et dont la Déclaration et le programme d’action pour l’autonomisation sociale, économique et politique des femmes, bâti autour de douze domaines prioritaires36, ont marqué une volonté d’avancée sans précédent pour les droits des femmes. La préparation de cet événement qui se déroulera en mars prochain à New York, a fait l’objet du thème de la table ronde-‐déjeuner animée par Zita Gurmai, la présidente du PSE femmes. Pour elle, la cinquième conférence mondiale des femmes de l’ONU est l’occasion pour le féminisme « de
33 Rappelons que la FJJ et la FEPS ont développé ces questions à de nombreuses reprises à l’occasion de leurs séminaires annuels et dans les rapports qui en ont découlé. Notamment « La place des femmes dans l’Union européenne Un défi et un enjeu persistants » (décembre 2008) mais « Égalité entre les femmes et les hommes : ne pas renoncer malgré la crise », mars 2012. 34 Isabelle Attané, Carole Brugeilles, Wilfried Rault (dir.), L’Atlas mondial des femmes, Les paradoxes de l’émancipation, Ined, janvier 2015, Éditions Autrement. 35 La conférence de 1995 a regroupé près de 189 pays et 17000 participants. La plateforme adoptée a été revue tous les cinq ans à travers des processus de décision au niveau national et régional. En mars 2015, tous les États membres de l’ONU se retrouveront à New York, lors de la 59ème session de la Commission des Droits des femmes pour faire le point sur l’exécution de la plateforme de Pékin vingt ans après. 36 Ces douze domaines sont les suivants : les femmes et l’environnement, les femmes et la prise de décisions, la petite fille, les femmes et l’économie, les femmes et la pauvreté, la violence à l’égard des femmes, les droits fondamentaux de la femme, l’éducation et la formation des femmes, les mécanismes institutionnels, les femmes et la santé, les femmes et les médias, les femmes et les conflits armés.
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survivre » et de préparer un projet pour les cinq ans à venir autour de trois points-‐clé. Premièrement, réaffirmer l’exigence d’égalité entre les femmes et les hommes. L’espoir soulevé en 1995 n’a pas donné les résultats escomptés par manque d’enthousiasme pour cet objectif. Si les femmes ne se mobilisent pas pour parvenir à l’égalité, personne ne le fera pour elles, a poursuivi Zita Gurmai, d’autant que le retour en force de mouvements conservateurs en Europe (comme en Hongrie, en Espagne et en Autriche) et dans le monde va rendre plus difficile l’élaboration d’un programme progressiste. Deuxième point : il s’agit de passer de la revendication des droits pour les femmes à celle du pouvoir pour les femmes. Selon elle, le partage équitable du pouvoir entre les femmes et les hommes, allié à la liberté d’agir de façon indépendante, correspond à ce qu’attendent les nouvelles générations de femmes (mais aussi d’hommes). Troisième point, enfin : il est indispensable de créer un cadre approprié pour apporter l’éducation à toutes les femmes, quel que soit leur âge, condition essentielle pour leur autonomie et le développement. Au niveau de l’Union européenne, le Conseil européen a apporté à plusieurs reprises son soutien à la plateforme de 1995. La Commission européenne travaille actuellement sur plusieurs projets en vue de la préparation de Pékin+20, ainsi que le Lobby européen des Femmes (LEF) dont le rapport37 constitue une bonne base de discussion. Pour la présidente du PSE Femmes, le principal point d’achoppement portera sur la question des droits sexuels et reproductifs, de plus en plus mis à mal en Europe et dans le monde par les lobbies conservateurs et religieux comme par de nombreux États musulmans. Au fil des années, les droits des femmes ont été réduits à leur plus petit dénominateur commun. Ils sont en réel danger si les progressistes ne réagissent pas. Optimiste cependant, Zita Gurmai devait appeler les femmes à faire de cet anniversaire un nouveau jalon dans la conquête de l’égalité et de la parité pour les générations à venir. À cet effet, le PSE Femmes, en partenariat avec les associations et les fondations progressistes, envisage une grande manifestation dans les prochains mois. Lesia Radelicki, coordinatrice au PSE Femmes, a fait remarquer que peu d’Européennes semblaient être informées de la tenue de cet événement mondial majeur alors qu’un certain enthousiasme avait entouré la préparation de la conférence de 1995. Monique Dental, présidente du réseau féministe « Ruptures », attribuait cet état de fait en grande partie aux difficultés financières rencontrées en France par les associations de femmes pour préparer la conférence, alors même, soulignait Catherine Morbois, ancienne déléguée aux droits des femmes de la Région Ile-‐de-‐France, que le féminisme français se renouvelle actuellement avec la création d’associations par des femmes jeunes et motivées. Béatrice Ouin, membre du Comité économique et social européen (CESE), estimant que le contexte historique actuel était marqué par une certaine désaffection des États et des partis politiques à l’égard de la question des femmes par rapport à ce qu’il en était il y a vingt ans, a suggéré d’utiliser les réseaux sociaux et internet pour les mobiliser. Marie-‐Claude Vayssade, ancienne députée européenne et Martine Lévy, experte en politiques d’égalité, rappelaient que dès le lendemain de la conférence de 1995, des résistances à l’application de la plateforme, voire sa remise en cause, notamment sur les droits sexuels et reproductifs, s’étaient faites jour dans la foulée de la montée des conservatismes et des intégrismes religieux et de la mise en question progressive de l’universalité des droits des femmes. Ce dernier thème a rebondi dans le débat à la fin du séminaire (cf.infra). Enfin, Pia Locatelli, qui a participé à toutes les commissions sur le statut des femmes (CSW) de l’ONU depuis 1995, a expliqué qu’il fallait regarder la réalité en face et se montrer pragmatique par rapport
37 LEF, From words to action: 1995-‐2015: 20 years of Beijing platform for action. Women can’t wait 20 more years to enjoy their full human rights, octobre 2014. En 2015 aussi, le LEF fêtera son 25ème anniversaire.
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à ce qu’on peut obtenir en 2015. Tout d’abord, les progressistes doivent faire confiance aux associations de femmes, à la société civile et aux ONG, ces dernières ayant vu leur influence fondre au cours des dernières années. La députée italienne a ensuite affirmé la nécessité de rompre avec les Objectifs du Millénaire (ODM) qui, selon elle, appartiennent désormais au passé et qui, en tout état de cause, n’étaient pas favorables aux femmes. Dans la négociation qui s’ouvre sur l’agenda post 2015, il va falloir être particulièrement clair sur la question très controversée des droits sexuels et reproductifs et imposer qu’elle soit discutée dans sa globalité. Si nous acceptons qu’elle soit limitée au seul problème, certes très grave, de la mortalité maternelle et infantile, nous n’avancerons pas. Enfin, a-‐t-‐elle précisé, pour peser dans cette cinquième conférence mondiale que l’ONU a tardé à organiser, malgré les demandes réitérées au fil des ans, il est crucial de définir une stratégie et des objectifs cohérents et mettre en place des alliances solides. Un message fort sur les enjeux de cette conférence pour toutes les femmes dans le monde dans un contexte international tendu et peu réceptif aux questions d’égalité entre les sexes.
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I) La situation des Européennes dans la sphère politique : un enjeu toujours majeur
S’interroger, comme l’a fait, le 15 novembre 2014, à Paris, le séminaire de la FJJ et de la FEPS sur « Les nouveaux enjeux pour le féminisme européen » passe notamment par l’analyse de la présence des Européennes dans la sphère politique. En effet, malgré des progrès au cours des quarante dernières années et une volonté de l’Union européenne, affichée dans les traités38, de construire une démocratie paritaire, force est de constater la résistible progression de la parité politique aussi bien dans les États membres qu’au niveau de l’Union elle-‐même39. Les débats du séminaire ont permis de confirmer cette situation et d’affirmer la nécessité de poursuivre le combat pour la féminisation du monde politique. S’il n’est pas nouveau, la conquête de la parité dans les États membres et l’instauration d’une démocratie paritaire européenne constituent donc toujours – et d’une certaine façon renouvelé – un enjeu majeur pour les mouvements féministes et les partis progressistes européens. A) Dans quelques États membres En effet, à l’aube de 2015, que ce soit au parlement européen, dans les parlements nationaux ou au gouvernement, les femmes restent minoritaires dans ces institutions, même si leur représentation varie beaucoup d’un État membre à l’autre. Sur le plan parlementaire, la moyenne des femmes députées se situe environ à 27%. Actuellement, aucun État membre ne présente un parlement paritaire. La Suède arrive en tête avec 43,6% de femmes40 suivie de la Finlande (42,5%) et de l’Espagne (39,7%). La Roumanie (13,5%), Chypre (12,5%) et la Hongrie (10,1%) ferment la marche. Au niveau du gouvernement, seuls trois États membres ont des gouvernements paritaires, la France, l’Italie et la Suède. Le pourcentage moyen de femmes ministres dans l’UE est de 26,50 %41. De nombreux facteurs expliquent cette situation, communs pour beaucoup à l’ensemble des États membres, d’autres plus spécifiques à certains d’entre eux, liés aux institutions, à l’histoire et à la culture nationales, comme l’ont démontré les communications des intervenantes hongroise, grecque, italienne, française, suédoise et estonienne notamment. La question des quotas et de la parité De façon générale, cependant, pour parvenir à l’établissement d’une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans la sphère politique, la question de la mise en œuvre de quotas, voire de
38 Déjà, le traité d’Amsterdam, signé en 1997, affirmait pour la première fois le principe général d’égalité entre les femmes et les hommes. L’article 8 (ex-‐article 3 TCE) fixe un objectif de parité: « Pour toutes ses actions, l’Union cherche à éliminer les inégalités et à promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes ». Le traité de Lisbonne, signé en 2007, stipule dans son article 2 que « l’UE combat l’exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociale, l’égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l’enfant ». Même affirmation dans la Charte des droits fondamentaux. 39 La FJJ et la FEPS ont, dans plusieurs études et rapports, analysé les raisons de cette situation dans les différents États membres. Cf. notamment « Debout les femmes ! La représentation des femmes dans la sphère politique et dans la vie professionnelle en Europe et aux Etats-‐Unis », quatrième séminaire américano-‐européen, Bruxelles, octobre 2012. 40 Source : Union interparlementaire (UIP), 1er octobre 2014 41 Avec, là aussi, des différences selon les États : la Finlande compte 47,37 % de femmes ministres, les Pays-‐Bas 46,67 %, le Danemark et l’Allemagne ex aequo à 40 %. Quelques pays parviennent à 20 % de femmes au sein de leur gouvernement : la Slovénie (21,43 %), le Portugal (20 %), la Croatie (19,05 %) et le Royaume-‐Uni (18,18 %). La Lituanie (6,67 %), la Slovaquie (6,67 %) et la Grèce (5,26 %) sont les mauvais élèves de ce classement.
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la parité, demeure centrale. Cette approche a fait l’objet d’une analyse globale dans une précédente étude de la FEPS à laquelle nous renvoyons42. Rappelons que seuls deux États membres – la Belgique et la France – disposent d’une loi visant à instaurer une vraie parité (avec toutefois certaines limites). Une poignée d’autres ont adopté des quotas légaux obligatoires de représentation des femmes sur les listes électorales, comme le Portugal (33%), l’Espagne, la Slovénie ou encore la Pologne (35%). Par ailleurs, si les partis progressistes des États du Nord de l’Europe comme la Suède et le SPD allemand ont instauré un quota de 40%, dans les autres partis progressistes, il se situe le plus souvent entre 20 et 30%, loin de la parité. L’application d’une telle disposition continue de susciter des débats animés au sein des formations politiques comme au sein de la société, malgré la résolution du Parlement européen qui recommande aux partis « d’introduire des quotas de listes »43. Ainsi, en Hongrie, comme l’a analysé Anikó Gregor, universitaire, la loi électorale adoptée après le changement de régime en 1989 qui prévoit des quotas légaux de représentation des femmes n’a pas permis d’obtenir plus de 20% de candidates, placées d’ailleurs en bas de liste et 10% de députées au Parlement. Le PS hongrois dispose d’un quota de 20% qui englobe les jeunes et les femmes, ce qui explique le faible nombre de femmes socialistes élues. En Grèce aussi, les femmes du PASOK ont dû se battre, comme l’explique Zefi Dimadama, secrétaire du Pasok Femmes, pour que le quota de 40% de femmes soit maintenu alors que la direction du parti souhaitait le ramener à 30%. La France, de son côté, imprégnée de la culture de l’universalisme républicain issu de la Révolution française, s’est, elle aussi, longtemps montrée rétive à la notion de quota44. En queue de liste dans les classements internationaux et européens pour la représentation des femmes dans les assemblées élues, elle a fini par adopter, en juin 2000, la loi sur la parité en politique. Réjane Sénac, chercheure au CEVIPOF, souligna que la notion de « parité » avait été jugée plus compatible avec l’universalisme que la notion de « quota », même si pour pouvoir voter la loi, il avait fallu modifier la Constitution. Cette loi a-‐t-‐elle vraiment permis une meilleure représentation des femmes dans la vie politique française ? On peut en douter si on considère la 47ème place (sur 189) que la France occupe encore au classement de l’Union interparlementaire (UIP) du 1er novembre 2014. Certes, sur le plan parlementaire, avec 26% de députées à l’Assemblée nationale, il s’agit d’un échec relatif qui s’explique notamment par le mode de scrutin retenu pour cette élection – majoritaire à deux tours – moins favorable que le scrutin de liste à la mise en œuvre de la parité45. Mais, comme le souligne la politologue du CEVIPOF, ce classement prend comme seul critère le pourcentage de femmes dans les chambres basses. Il ne reflète qu’un aspect de la place réelle des femmes dans la vie politique dans son ensemble. Après quinze ans d’application de la loi de 2000, renforcée à plusieurs reprises, le bilan est plus satisfaisant sur le plan local et régional. Désormais, en effet, les conseils régionaux et les conseils municipaux des communes de plus de mille habitants46 sont à peu près paritaires, de
42 Ghislaine Toutain, Pour un parlement européen paritaire en 2014. Dix actions à conduire par les partis progressistes européens pour y parvenir, Fondation Jean-‐Jaurès, septembre 2013. 43 Dans sa résolution du 13 mars 2012, le Parlement européen « invite les partis politiques de toute l’Europe à introduire un système de quotas pour les listes de candidats des organes et des élections des partis, lorsque cela s’avère compatible avec le système électoral et lorsque les partis politiques sont compétents pour établir les listes électorales, en particulier en ce qui concerne les listes des élections européennes de 2014 ». Il estime « que la procédure d’établissement des listes électorales alternant les femmes et les hommes en tête de liste constitue la façon optimale d’améliorer la participation des femmes à la politique ». 44 Le PS français a mis longtemps avant de se doter d’un quota qui a eu du mal à atteindre les 20% à la fin du XXe siècle. Sa direction et son conseil national sont aujourd’hui paritaires. 45 La loi de 2000 impose une stricte alternance d’un homme et d’une femme sur les listes. 46 Le journal Le Monde, dans son édition du 4 mars 2014, titrait : « Municipales : pourquoi la parité a échoué ». Bien que la règle de la parité ait été appliquée en 2014 aux communes de plus de 1000 habitants (auparavant elle ne concernait que les communes de plus de 3500 habitants), 26 878 communes sur les 37 000 que compte la France étaient en dehors de la loi et
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même que les exécutifs de ces assemblées. Les conseils départementaux devraient suivre le même chemin en 2015 avec l’obligation pour les candidat(e)s de se présenter en binôme47. L’élection des député(e)s européen(ne)s et pour une partie des sénateurs et des sénatrices se fait aussi au scrutin de liste paritaire. Pour autant, la vie politique française reste encore largement dominée par les hommes, malgré ces avancées certaines mais insuffisantes48. Les résistances à la culture de la parité La culture de la parité en politique (mais pas seulement dans ce domaine !) n’imprègne pas encore la société française ni, d’ailleurs, à des degrés divers, la grande majorité des États membres. Ainsi, l’Italie est l’un des trois États membres de l’UE qui a un gouvernement paritaire et qui compte 31,4% de femmes députées à la suite de l’arrivée de la gauche au pouvoir en 2013. Toutefois, note Mercedes Bresso, la bonne représentation actuelle des femmes au Parlement est due au fait que le Parti démocrate a considéré comme un atout de présenter des femmes aux élections, notamment des femmes jeunes placées en tête de liste. Mais l’électorat, y compris l’électorat féminin, n’a pas toujours conscience de l’importance, quand le panachage sur les listes est possible, de voter pour des femmes. Mercedes Bresso, se référant à la loi française, estima que le système de listes paritaires bloquées, sans possibilité de panachage, imposé par la loi était indispensable pour assurer une bonne représentation des femmes, voire la parité, dans les parlements. Le résultat acquis en Italie reste fragile, souligne encore la députée italienne. Il suffit, par exemple, que le Premier ministre change pour qu’il y ait moins de femmes ministres. En Hongrie, où, on l’a vu, les femmes sont peu présentes dans la vie politique, il faudrait, estime Anikó Gregor, augmenter le quota légal de représentation des femmes. Or, la notion même de quota n’est pas acceptée car les Hongrois ne ressentent pas la nécessité de la parité en politique. Dans leur grande majorité, ils considèrent qu’il s’agit d’une obligation imposée par Bruxelles qui ne leur parle pas. Seuls les « petits partis », les Verts notamment, ont souhaité envoyer un message fort en organisant une codirection mixte pour déconstruire les stéréotypes sur les femmes en politique. Mais leur faible couverture médiatique limite leur influence. La situation est aggravée par le fait que le gouvernement de droite dure actuellement au pouvoir promeut une conception pour le moins traditionnelle du rôle de la femme. Zita Gurmai devait expliquer à son tour que les médias aussi portent une responsabilité certaine dans le fait que la jeune génération ne soit pas motivée par la question de la parité dans la vie politique. De leur côté, a-‐t-‐elle ajouté, les partis politiques de droite véhiculent une certaine haine à l’égard des femmes ainsi, d’ailleurs, qu’à l’égard des partis progressistes. La conséquence de cette situation, explique encore Anikó Gregor, est le taux de participation des femmes le plus bas jamais enregistré aux élections législatives de 2010 en Hongrie. Ce comportement est révélateur, selon elle, de leur retrait par rapport à la démocratie, phénomène seuls 35% de femmes y ont été élues. Au total, au niveau national, on compte 60% d’élus hommes pour 40% d’élues femmes. 47 La loi du 17 mai 2013 prévoit qu’en 2015, les conseillers généraux, rebaptisés conseillers départementaux, seront élus au scrutin majoritaire binominal mixte. Deux conseillers départementaux seront élus dans chaque canton, au scrutin majoritaire à deux tours. Les candidats se présenteront, devant le suffrage, constitués en binôme. Chaque binôme devra être composé d’une femme et d’un homme. Ce nouveau mode de scrutin nécessite un redécoupage des cantons dont le nombre sera divisé par deux (de 4 000 à 2 000). 48 Au niveau du Parlement, on l’a vu, mais aussi à celui des maires : 87% d’entre eux sont des hommes, notamment parce qu’on ne compte que 13% de femmes tête de liste. Il en va de même pour les présidents de conseils régionaux. Une note optimiste : malgré ces insuffisances, la part des femmes parmi les élus locaux progresse régulièrement, passant de 21% en 1995 à 40% en 2014. Et puis la France a un gouvernement paritaire!
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constaté aussi depuis quelques années chez les hommes. De façon générale, la population n’accorde qu’un intérêt limité à la chose politique (30% des hommes et 42% des femmes déclarent ne pas s’y intéresser du tout). Pour la sociologue hongroise, cette apathie politique est le fruit d’un long processus qui remonte bien au-‐delà de l’arrivée de la démocratie. Elle plonge ses racines dans l’histoire du pays et dans la persistance d’une société très patriarcale qui se maintenait même sous le socialisme. En Grèce, la situation des femmes n’est guère plus enviable. Elles sont les premières victimes de la profonde crise économique et financière qui continue de miner le pays. Zefi Dimadama expliqua que les femmes sont majoritaires parmi les chômeurs de longue durée et que beaucoup d’entre elles subsistent grâce au travail au noir, notamment celles qui perçoivent de petites retraites. Bien que les jeunes filles soient plus diplômées que les jeunes gens, elles rencontrent plus de difficultés à obtenir un emploi et leur salaire est très inférieur à celui des hommes. De nombreuses femmes dirigeantes de PME ont été contraintes à fermer leur entreprise en raison des difficultés qu’elles rencontraient pour trouver des soutiens financiers, victimes des stéréotypes qui veulent qu’une femme ne peut pas être à la fois cheffe d’entreprise et mère de famille. Zefi Dimadama devait aussi insister sur l’accroissement très important de la violence domestique subie par les femmes, notamment quand leur conjoint est au chômage et qu’il dépend du salaire de sa femme pour subsister. Mais peu de femmes sont prêtes à aborder cette question difficile. Dans ce pays aussi, la culture de la parité est loin d’être acquise et la tâche est immense, d’autant que le parti d’extrême droite, Aube Dorée, fait preuve d’un fort sexisme. Pour la section Femmes du Pasok, il s’agit d’abord, selon sa responsable, de convaincre le gouvernement de mieux prendre en compte la question de l’égalité entre les femmes et les hommes, ce qui n’est pas forcément chose facile puisque les femmes ont dû se battre pour empêcher que ne disparaisse le Secrétariat général à l’égalité entre les femmes et les hommes ! Les femmes du Pasok souhaitent aussi aborder la question de l’égalité entre les sexes à l’école pour lutter contre les stéréotypes et faire évoluer les mentalités, notamment en orientant les filles vers les carrières scientifiques et en les aidant à choisir des métiers dans les secteurs porteurs d’avenir comme l’innovation et les nouvelles technologies. Mais elles se trouvent confrontées à une situation tendue. D’une part, aux yeux de beaucoup, ces questions n’apparaissent pas comme prioritaires en période de crise. D’autre part, leur parti, qui a été au pouvoir avec la droite avant les élections législatives de janvier 2015, est tenu pour responsable des politiques d’austérité imposées par l’Union européenne que la population grecque rejette massivement, l’accusant d’un manque de solidarité à son égard. La section Femmes s’est mobilisée et le résultat aux élections européennes de 2014 a été un peu moins mauvais pour les socialistes que ce que les sondages annonçaient (8% contre 4 à 5% attendus et seulement 5% aux élections législatives anticipées du 25 janvier 2015). Zefi Dimadama entend cependant poursuivre le combat pour les droits des femmes en Grèce, de façon solidaire avec d’autres États membres. La situation est, bien sûr, très différente en Estonie, ce petit pays ex-‐communiste d’un million trois cent mille habitants qui n’a vraiment acquis son indépendance qu’en 1991, comme le rappela Maari Põim, chargée de mission sur l’égalité des sexes à la FEPS. Depuis peu, explique-‐t-‐elle, il connaît une certaine évolution. D’une part, une loi d’avril 2014, votée de justesse, instituant un PACS qui a suscité de multiples débats et contre laquelle les nationalistes se sont mobilisés, a constitué une révolution pour un État où, sous l’ancien régime, si l’avortement était légal et gratuit, l’homosexualité était rejetée. D’autre part, on assiste depuis quelques années à un « printemps féministe », après une longue période où la question de l’égalité entre les femmes et les hommes ne suscitait pas de débat, voire était considérée comme « ridicule », parce qu’à l’époque communiste, les femmes n’étaient confrontées à aucun problème d’emploi. Les valeurs transmises de ce passé sont encore ancrées dans les consciences. Mais dans la phase d’ultralibéralisme que connaît l’Estonie aujourd’hui, les nouvelles générations commencent à s’ouvrir aux idées progressistes et la question féministe
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émerge, notamment sur le terrain de l’égalité professionnelle, alors que les écarts de salaires sont très importants, de l’ordre de 25% à 30%, entre les femmes et les hommes. En outre, l’accroissement du trafic d’êtres humains – et notamment de femmes – ne devrait pas laisser indifférent. Mais nous sommes encore bien loin d’une démarche paritaire en Estonie (19% de femmes au Parlement), même si un léger espoir s’est levé, concluait Maari Põim. Comme en contrepoint, Anija Johansson, conseillère en charge des questions d’égalité des sexes dans une municipalité, a exposé la situation des femmes en Suède, ce pays considéré comme l’un des meilleurs élèves en matière d’égalité entre les femmes et les hommes et qui a ouvert la voie à la promotion de la parité. Rappelant les grandes étapes législatives qui ont jalonné l’histoire de l’émancipation des Suédoises, de 1864, où le viol conjugal a été interdit, à 2014 et l’élection d’un gouvernement « féministe », en passant par la loi de 1999 pénalisant la prostitution avec un certain succès (cf. infra), Anija Johansson devait cependant affirmer qu’un long chemin restait encore à parcourir pour parvenir à une société totalement égalitaire. Les chiffres en témoignent : 28% des jeunes filles de seize à vingt-‐quatre ans redoutent la violence (contre 4% des garçons). En 2013, 2136 actes de violences envers les femmes ont été recensés. Elles effectuent plus de travail non rémunéré que les hommes, elles travaillent plus à temps partiel et les différences de salaires restent sensibles. Elles ont majoritairement recours au congé parental. La question de la parité au sein des conseils d’administration, où ne siègent actuellement que 5% de femmes, est âprement débattue, les Suédois rejetant les quotas. Sur le plan politique, la Suède est le seul État membre où existe un parti féministe, Initiative féministe. Créé en 2005, il compte vingt mille adhérents et trois élues au conseil municipal de Stockholm. Mais il n’a pas réussi à obtenir des élues au niveau national. Pour autant, conclut-‐elle, avec ce gouvernement féministe, le féminisme suédois connaît peut-‐être sa quatrième vague puisque le féminisme semble revenir à la mode! Constituer un rapport de force Face à ce panorama peu réjouissant mais significatif de la résistible représentation des Européennes dans la sphère politique, même si dans certains États membres du Nord de l’Europe, comme la Suède avec des réserves, l’égalité entre les sexes est plus avancée, que faire ? Pour Mercedes Bresso, la question centrale réside dans le fait que la promotion des femmes est dépendante des hommes, même si certains sont de bonne volonté comme l’ont été José Luis Zapatero en Espagne ou Lionel Jospin en France49. Il n’existe pas de classe dirigeante politique féminine qui soit capable de garantir seule la continuité du progrès. Le progrès est réel mais trop lent. Un large consensus s’est opéré sur cette analyse, les unes et les autres, notamment Maryse Huet, vice-‐présidente de l’association Arborus, appelant les femmes à créer au sein des partis progressistes, un rapport de force, comme ont su le faire les Scandinaves dans les partis sociaux-‐démocrates du Nord de l’Europe50, capable d’imposer aux dirigeants en place la parité dans le choix des candidats aux instances de direction et aux différentes élections. Pour Anikó Gregor, les femmes doivent aussi utiliser les nouvelles technologies et les nouveaux médias51 pour peser dans le débat politique, constituer des groupes de
49 La loi sur la parité du 6 juin 2000 est le résultat d’un engagement pris par Lionel Jospin pendant la campagne pour les élections législatives de 1997, d’impulser, s’il était nommé Premier ministre, un processus législatif pour assurer une représentation significative des femmes dans la vie politique. En 2007, sous l’impulsion du Premier ministre José Luis Zapatero (PSOE), le Parlement espagnol a voté une loi instaurant une proportion minimale de 40% de femmes aux élections législatives, européenne et municipales. 50 Ce que n’ont pas toujours pu faire les femmes au sein du PS français, où l’appartenance à un « courant » l’emportait sur la solidarité féminine, comme le rappela Pervenche Berès. 51 Cf. le rapport de Ghislaine Toutain pour le séminaire transatlantique qui s’est tenu à Boston en mars 2041 sur Les femmes et les nouvelles technologies. Si les femmes restent largement minoritaires dans les métiers des NTIC, en revanche, elles utilisent les TIC de façon créative et stratégique. L’utilisation des TIC par les femmes et les féministes prend plusieurs formes: faire passer dans le discours sur internet et les réseaux sociaux l’exigence de prise en compte de la nécessité de l’égalité entre les sexes et lutter contre le sexisme et le machisme, constituer des réseaux de femmes permettant un
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femmes pour s’entraider et se soutenir car, de l’avis général, ce n’est pas toujours facile d’être une femme en politique ! Comme l’a souligné Lesia Radelicki, le mentorat doit aussi être développé pour que les femmes en situation de responsabilité et de pouvoir, comme les députées européennes et les femmes ministres, encouragent et conseillent les jeunes femmes qui veulent s’engager dans cette voie. Une solidarité doit s’instaurer entre les femmes, qui n’existe pas toujours, comme lors du rejet récent, jugé choquant par Lesia Radelicki, de deux rapports sur les droits des femmes par le Parlement européen (cf. infra)52. Pouvoir et parité La chercheure hongroise, Anikó Gregor, devait aussi estimer nécessaire d’initier le dialogue avec les hommes qui détiennent le pouvoir et avec l’ensemble des partis politiques sur la question de la parité. Réjane Sénac devait, sur cette question du pouvoir, explorer plus avant la notion de parité, qui, même si elle est moins chargée, selon elle, de pouvoir transformateur que la notion d’égalité, se définit comme le partage à égalité du pouvoir avec les hommes. Que signifierait être parvenu à la parité, s’est-‐elle interrogée ? Reprenant à son compte la théorie de la justice sociale53 développée par la philosophe féministe américaine Nancy Fraser, la chercheure explique que le partage du pouvoir ne se limite pas aux listes et aux assemblées paritaires, certes indispensables. Il exige aussi que soient réunis les trois « R »: Redistribution, Reconnaissance, Représentation. La « redistribution » analyse la présence des femmes dans les institutions, dont certaines sont dominantes par rapport à d’autres. On constate le plus souvent que les femmes sont plus présentes dans les institutions dominées. Un exemple en France : seules trois des huit commissions permanentes de l’Assemblée nationale (Affaires étrangères, Défense et Affaires sociales) sont présidées par des femmes54. Au Sénat, seules deux des sept commissions permanentes le sont: Culture, Éducation et Communication, et Finances55 Si on peut regretter le faible nombre de commissions parlementaires présidées par des femmes (entre 15% à 25%), on note cependant un léger progrès – mais limité – dans la redistribution des institutions « nobles » que sont les Affaires étrangères, la Défense et les Finances. La « reconnaissance » porte sur le fait de savoir si la parole et l’action des femmes qui occupent des postes de haut niveau ont la même autorité et la même légitimité incontestées que les hommes dans la même situation? Enfin, la « représentation » offre la possibilité de modifier les règles du jeu. Par exemple, dans les partis politiques, la capacité de choisir les candidat(e)s et les têtes de listes. Au PS français, 90% des responsables des fédérations départementales sont des hommes. Ils sont ainsi en capacité de désigner les femmes qui, à leurs yeux, représentent une « gène minimale » selon l’expression de Réjane Sénac, pour qu’ils n’aient pas à partager leur pouvoir ! La situation en Italie illustre assez bien la complexité des rapports entre parité et pouvoir. Pia Locatelli devait en effet rappeler qu’après vingt ans de gouvernement Berlusconi, en février 2011, des milliers de femmes ont manifesté contre ce que représentait le « berlusconisme », contribuant à y mettre un terme. Deux ans plus tard, le Parlement comptait plus de 30% de femmes et le jeune Premier ministre Matteo Renzi constituait un gouvernement paritaire, offrant à de jeunes femmes
dialogue élargi entre femmes du monde, mobiliser les femmes dans l’instant par la force des réseaux sociaux pour des actions spécifiques comme l’ont fait les Espagnoles pour faire échec, avec succès, au projet de remise en cause de l’IVG par le gouvernement. 52 Ceux d’Edite Estrela relatif à « La santé et les droits reproductifs et génésiques » (décembre 2013) et d’Ines Cristina Zuber sur « L’état des lieux de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’UE en 2012 » (mars 2014). 53 Nancy Fraser, Qu’est-‐ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, La Découverte, coll. « La Découverte/Poche », 2011, 178 pages. 54 Respectivement Élisabeth Guigou, Patricia Adam et Catherine Lemorton. 55 Catherine Morin-‐Desailly préside la Commission de la Culture, Éducation et Communication, Michèle André, celle des Finances, une « première » pour cette commission qui ne compte encore que quatre femmes sur quarante-‐neuf membres!
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brillantes des portefeuilles ministériels « dominants » comme la Défense, les Affaires étrangères ou encore les Affaires régionales. Les féministes « traditionnelles » applaudirent et s’attendaient à ce qu’une politique « féministe » soit mise en place, malgré la communication difficile avec les nouvelles ministres, moins sensibles à la question de l’égalité entre les sexes. Une première loi ratifiant la Convention d’Istanbul56 a été adoptée. En octobre 2013, un autre projet de loi contre le « féminicide », préparée par le ministère de l’Intérieur, a dû être amendé par les parlementaires car il ne prenait en compte que l’aspect « répression » et non l’aspect « prévention ». Un an après, ce texte n’est toujours pas voté. Le Premier ministre a nommé une conseillère pour l’égalité des chances, une jeune femme sans pouvoir réel. Les résultats se font attendre, malgré la parité installée au gouvernement. Même dans les États membres les plus en pointe sur l’égalité entre les sexes et la parité, aucun de ces trois « R » n’est entièrement appliqué. Réjane Sénac57 a rappelé qu’il y avait actuellement dans le monde à peine plus d’une dizaine de femmes chefs d’État et guère plus de femmes chefs de gouvernement. On est donc loin du renversement du pouvoir politique en faveur des femmes, même en Europe! Débat autour de la notion de parité À l’aune de cette démonstration, la mise en œuvre de la parité apparaît dans toute sa complexité, notamment culturelle. Réjane Sénac ajoute à cette analyse une dimension économique qu’elle récuse mais qui est largement utilisée au niveau de l’Union européenne pour magnifier l’apport de la rentabilité économique et la performance des entreprises58. Or, explique-‐t-‐elle, cette démarche constitue « une ruse de la raison » néo-‐ libérale pour intégrer dans le marché le principe d’égalité alors que ce principe doit être appliqué hors de toute considération économique et faire l’objet d’un ordre lexical premier. À ses yeux, s’il est tentant, en période de crise, de créer un partenariat sur cette question et de dégager un consensus entre la gauche et la droite, c’est aussi très dangereux car cela revient à sacrifier ce principe d’égalité à la loi du marché. Plusieurs participantes au séminaire ont marqué leur réserve par rapport à cette analyse tranchée. Maryse Huet, notamment, a rappelé que l’apport de la parité à la performance économique avait été évalué par l’OCDE en 201259 et que si on pouvait peut-‐être parler de « rentabilité » sur le court terme, dans une perspective de développement durable, la discrimination était inefficace et la parité apparaissait comme un élément de bien-‐être. Anne-‐Marie Grozelier, secrétaire générale du laboratoire social Lasaire, renchérissait en affirmant que, dans une approche pragmatique, il était nécessaire de faire des compromis pour avancer. En guise de conclusion (provisoire) à ce débat, Mercedes Bresso s’est interrogée sur le coût de la non-‐parité. Se priver de l’intelligence et du talent de plus de 50% de la population, c’est perdre une ressource humaine fondamentale pour améliorer la qualité de la vie. Il faut toujours avoir à l’esprit, poursuit la députée italienne, que la première ressource d’un pays ou d’une entité politique et
56 La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite convention d’Istanbul, est un traité international adopté par le Conseil de l’Europe le 11 mai 2011 à Istanbul. Elle repose sur l’idée qu’il s’agit d’une forme de violence sexiste dans la mesure où elle est exercée sur les femmes. En juillet 2014, trente-‐trois États l’ont signée et treize États (Turquie, Albanie, Italie, Monténégro, Portugal, Bosnie-‐Herzégovine, Serbie, Autriche, Andorre, Espagne, Danemark, France et Suède) l’ont ratifiée2. Elle est entrée en vigueur le 1er août 2014. 57 Présidente de la commission Parité au Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, Réjane Sénac annonce la parution prochaine d’un guide de la parité. 58 Plusieurs études de la FEPS ont analysé cette question au fil des années. Lire notamment : « L’égalité entre les femmes et les hommes : ne pas y renoncer malgré la crise », Paris, 24 mars 2012 ; « La crise : une chance pour les femmes ? », 2010. 59 Dans son « Initiative pour la parité » de mai 2012, l’OCDE affirme que l’égalité entre les femmes et les hommes est l’avenir de la croissance économique.
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économique comme l’Union européenne, ce sont les femmes et les hommes qui les composent, dans le monde professionnel et économique comme dans la sphère politique. Au sein de l’Union européenne, ce message mérite aussi d’être entendu, notamment pour construire la démocratie paritaire que l’Union appelle de ses vœux. B) Dans l’Union européenne
En effet, le résultat des élections européennes de mai 2014 constitue un excellent baromètre de l’état des lieux de la mise en place de cette démocratie paritaire européenne. Or, le scrutin a été marqué par une résistible féminisation du Parlement européen et par la poussée de partis europhobes, populistes ou extrémistes de droite peu enclins, pour nombre d’entre eux, à mettre en œuvre une démarche paritaire. On constate la même résistible féminisation au niveau de la Commission européenne. La résistible féminisation du Parlement européen On se souvient qu’à la veille des élections européennes, la FEPS avait publié une étude intitulée « Pour un parlement européen paritaire en 2014 : dix propositions à conduire par les partis progressistes européens »60. Cet objectif n’a malheureusement pas été atteint lors des élections de mai 2014. La proportion de femmes dans le nouveau Parlement européen ne progresse que légèrement (36,62% contre 35% dans le parlement sortant, soit à peine +2%), se situant bien en deçà de la parité, puisqu’il comprend encore 63,4% d’hommes. Cette situation est peu satisfaisante, même si la féminisation du Parlement européen demeure supérieure à la féminisation moyenne des parlements des États membres qui, au 1er janvier 2014, s’élevait à 27,21 % dans l’Union européenne et à 21,8% dans les parlements du monde, toutes chambres confondues61. Comme le note le Lobby européen des femmes (LEF), à ce rythme de progression des femmes au sein du Parlement européen, il faudra un demi-‐siècle pour atteindre la parité! Une boutade, mais qui marque cependant une certaine déception par rapport au résultat des élections sur ce point. Cette faible progression s’explique en grande partie, on l’a vu (cf. supra), par le fait que les lois électorales nationales diffèrent sur la mise en place de quotas et de la parité. On retrouve ces différences au niveau du Parlement européen où l’ensemble des formations politiques n’ont pas joué le jeu de la parité de la même façon, et particulièrement les partis conservateurs, eurosceptiques et europhobes. Le groupe le plus féminisé est celui de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique (GUE/NGL) avec 51,1% de femmes, suivi par le groupe S&D avec 45,5% de femmes, en progrès par rapport à 2009 (42%). En revanche, les Verts ne comptent que 36% de femmes dans leurs rangs, soit moins que les libéraux (ALDE) avec 40%. Le PPE est à la traîne et plafonne à 30,3% d’eurodéputées. Quant au parti eurosceptique ECR, il ne compte que 21,7% de femmes et l’ex-‐EFD62 21%. Face à ces chiffres, Mercedes Bresso souligna la persistance du clivage droite/gauche sur la question des droits des femmes et le relatif bon score des partis progressistes. Lesia Radelicki a précisé que onze de ces vingt-‐huit partis avaient placé des femmes en tête de liste et qu’un nombre plus
60 Ghislaine Toutain, Pour un parlement européen paritaire en 2014 : dix propositions à conduire par les partis progressistes européens, Fondation Jean-‐Jaurès, 20 septembre 2013. Lire également Ghislaine Toutain, « Un parlement européen paritaire en 2014 ? », FJJ/FEPS, avril 2013. 61 Source : Union interparlementaire au 1er janvier 2014 62 Ce groupe parlementaire qui avait éclaté le 16 octobre 2014 après la défection d’une eurodéputée lettone s’est reconstitué avec l’adhésion d’un eurodéputé polonais (cf. infra).
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important de listes avaient été composées de façon paritaire ou avec un quota significatif. En outre, grâce au travail du PSE Femmes et de sa présidente, Zita Gurmai, le manifeste du PSE pour les élections européennes avait mis en avant la question de l’égalité entre les femmes et les hommes, et particulièrement celle de l’égalité salariale, une revendication qui concerne l’ensemble des États membres. De son côté, le candidat progressiste à la présidence de la Commission européenne, Martin Schultz, avait fait de l’égalité entre les sexes et de la parité un thème central de sa campagne. Cette mobilisation en direction des Européennes explique la progression de la féminisation du groupe S&D. On retrouve dans la composition des délégations nationales des États membres les différences constatées pour les partis politiques: Malte arrive largement en tête avec environ 67% de femmes dans sa délégation – fait étonnant, cependant, car dans la législature précédente, Malte ne comptait aucune femme dans sa délégation – suivie de l’Irlande et de la Suède (55%) et de l’Estonie 50%. La France n’a envoyé que 43,2% des femmes au Parlement63, la lanterne rouge revenant à la Lituanie (9%), suivie de la Hongrie (19%) et de Chypre (17%). Il faut souligner que le parti féministe suédois, Initiative féministe, entre pour la première fois au Parlement européen (5,3% des voix) avec une élue qui a rejoint le groupe S&D. Notons enfin que les postes à responsabilité au sein du Parlement sont majoritairement occupés par des hommes. Sur ce plan aussi, on est loin de la parité. Une fois encore, le Parlement est présidé par un homme, Martin Schultz64 et cinq femmes seulement figurent parmi les quatorze vice-‐présidents. Dix65 des vingt-‐deux commissions que compte le parlement sont présidées par une femme, soit 45%, ce qui est un peu mieux que dans la législature précédente (40%). Sur le plan des groupes parlementaires, seuls deux sur sept sont présidés par une femme (l’allemande Gabriele Zimmer pour le groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique (GUE/NGL,) et l’allemande Rebecca Harms pour le groupe des Verts/Alliance libre européenne (Verts/ALE). Pour leur part, les sociaux-‐démocrates (S&D) ont choisi une fois encore un homme, l’italien Gianni Pitella pour le présider. Toutefois, la parité est respectée au niveau des vice-‐présidences (cinq femmes, cinq hommes) et à celui des chefs de délégations nationales (quatorze femmes sur vingt-‐huit). La poussée des partis populistes et d’extrême droite La faible progression de la féminisation du Parlement européen peut s’expliquer aussi par la forte poussée, dans l’ensemble de l’Union, des partis eurosceptiques et europhobes, les uns populistes, les autres d’extrême droite. Dans certains États membres comme l’Autriche, la Pologne, l’Allemagne et la Finlande, ces partis progressent. Dans trois autres pays – le Royaume-‐Uni (UKIP : 26,7%), le Danemark (Parti du peuple danois, 26,6%, soit +10% par rapport à 2009) et la France (Front national : 25%) – ils sont même arrivés en tête du scrutin. Il n’est pas dans l’objet de ce rapport d’analyser les raisons de la montée de ces formations dans l’ensemble de l’Union européenne, d’ailleurs assez différentes les unes des autres. Ce qui explique que seul un certain nombre d’entre elles ait finalement réussi, après quelques péripéties (cf. note 62 page 31) – à s’entendre et à former un
63 En baisse par rapport à 2004 (45%) et 2009 (44%), malgré l’obligation faite par la loi de juin 2000, modifiée à plusieurs reprises, aux partis politiques d’élaborer des listes strictement paritaires. Mais reste posée la question des têtes de liste, qui, dans 80% des cas, sont des hommes. 64 Rappelons que seules deux femmes – deux Françaises – l’ont présidé depuis qu’il est élu au suffrage universel en 1979 : Simone Veil de 1979 à 1982 et Nicole Fontaine de 1999 à 2002. 65 Outre celle des Droits de la femme et de l’égalité des genres présidée par Iratxe Garcia Perez, espagnole (S&D), sont présidées par une femme les commissions Droits de l’homme, Sécurité et Défense, Développement, Contrôle budgétaire, Marché intérieur et protection des consommateurs, Développement régional, Culture et Éducation, Affaires constitutionnelles, Pétitions.
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groupe parlementaire répondant aux critères exigés par le règlement du Parlement européen66. Il nous appartient ici d’analyser ce phénomène, qui a suscité un choc dans l’ensemble de l’Union, à l’aune de la question de la parité. En effet, ce sont ces formations qui ont – et de loin, on l’a vu – le plus faible taux de députées dans leur délégation, limitant d’autant plus la féminisation du Parlement. Le cas français Le cas français est d’ailleurs intéressant à analyser par rapport aux nouveaux enjeux du féminisme européen. Le Front national67, comme d’autres partis européens d’extrême droite, promeut, sur la question de la place des femmes dans la société, des conceptions aux antipodes des positions féministes. Dans son projet, ce parti continue de considérer la femme d’abord comme une mère et de vanter le salaire maternel. Il souhaiterait, en outre, le déremboursement de l’IVG. Opposé à la parité, comme on l’a vu au lendemain des élections européennes, le Front national a même tenté de contraindre une de ses candidates à démissionner, ce qu’elle n’a d’ailleurs pas fait (cf. note 66). Pour autant, alors que pendant très longtemps, les Françaises refusaient de voter pour l’extrême droite, les études réalisées après les élections européennes de mai 2014 ont confirmé la persistance d’un mouvement engagé lors de l’élection présidentielle de 2007 et qui s’est accentué lors de celle de 2012, les femmes et les hommes ayant alors voté à proportion égale pour le FN (18%)68. En 2014, le FN a recueilli à peu près à égalité les suffrages des votants (26%) et des votantes (23%), même si le vote frontiste reste plus masculin dans toutes les couches de la population. Il en a d’ailleurs été de même lors des élections municipales de mars 2014. Les raisons de l’évolution de l’électorat féminin sont multiples et reflètent les tensions sociales exacerbées par la crise. Réjane Sénac devait faire remarquer que cette évolution est liée au tournant social pris par le FN dans son programme, s’adressant désormais aux « oubliés de la République » et aux « petits blancs ». De façon générale, ce parti arrive en tête chez les ouvriers mais aussi chez les employés (36%), catégorie socioprofessionnelle majoritairement composée de femmes. Dans ces deux catégories, les femmes qui ont voté pour le FN sont celles qui occupent des emplois à temps partiel et précaires. Selon la chercheure, sans les protections apportées par le système de protection sociale, elles seraient encore plus nombreuses à donner leur voix au parti d’extrême droite ! Pour d’autres femmes, notamment seules avec enfants, il s’agit le plus souvent d’un vote de contestation lié aux difficultés de la vie quotidienne, à la peur de l’immigration et de l’islamisation du pays mais aussi à un euroscepticisme latent plus fort chez elles que chez les hommes. Le niveau de diplôme est également un élément déterminant du vote d’extrême droite. Toutefois, comme l’explique Joël Gombin69, les élections européennes de 2014 ont marqué une consolidation massive du vote frontiste dans les catégories où il est historiquement fort et une extension à des groupes sociaux jusque-‐là réfractaires, comme les femmes et les jeunes. Elles confirment également son extension à l’ensemble du territoire national. Cela laisse prévoir pour le FN, souligne encore l’auteur, 66 Il s’agit du groupe EFD (Europe, Liberté, Démocratie) qui regroupe notamment le parti pour l’indépendance du Royaume-‐Uni (UKIP), le mouvement italien Cinq étoiles de Beppe Grillo, le parti lituanien Ordre et justice, les Démocrates suédois ainsi qu’un élu tchèque, un élu polonais (du Congrès de la nouvelle droite (KNP) remplaçant une élue lettone et une Française du Front National dont l’arrivée avait été décisive. De son côté, le FN français n’est pas parvenu à constituer un groupe, ne s’entendant pas avec les partis d’extrême droite hongrois Jobbik et grec Aube Dorée. Dorénavant, toutes ces formations vont se retrouver au sein du même groupe des non-‐inscrits. 67 Le FN a remporté vingt-‐quatre des soixante-‐quatorze sièges français (vingt pour la droite et treize pour le PS). 68 Il en va différemment au Royaume-‐Uni. D’après un sondage de septembre 2014, les femmes soutiennent largement moins que les hommes (28% contre 43%) l’UKIP, notamment en raison de propos très désobligeants à leur égard tenus par certains membres de cette formation. 69 Joël Gombin, « Vote FN aux européennes: une nouvelle assise électorale ? », Fondation Jean-‐Jaurès, 9 septembre 2014.
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« des scores plus élevés dans des contextes de participation plus intenses », notamment l’élection présidentielle de 2017. Mais c’est un autre sujet. On peut penser aussi que le fait que ce parti soit dirigé par une femme, Marine Le Pen70, n’est sans doute pas étranger ni à l’évolution de l’électorat féminin ni aux 45% de femmes parmi ses adhérents. Pour autant, son arrivée n’a rien changé sur le fond, on l’a vu, au projet du FN sur la question des femmes. Comme le note Monique Halpern71, « Le cas de Marine Le Pen illustre bien l’ambiguïté qui peut entourer le féminisme aujourd’hui. On ne saurait voir en elle un porte-‐parole du féminisme… Et pourtant, par son comportement et sa trajectoire personnelle, Mme Le Pen peut être perçue comme un produit du féminisme, alors même que les idées qu’elle défend sont en totale contradiction avec ce que le féminisme défend ». On retrouve aujourd’hui cette ambiguïté dans toute l’Union. On ne peut encore connaître les conséquences de l’accroissement de ces formations politiques sur les nécessaires avancées de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la parité que l’Union doit conduire dans les années à venir. Mais il faut être vigilant face au nouveau comportement électoral d’un certain nombre de femmes qui n’hésitent plus à se tourner vers des partis dont les idéaux sont contraires à leurs intérêts, et alors que se développent des mouvements qui se disent « féministes » comme le « Nouveau féminisme européen » fondé en 2007 par Élizabeth Monfort, ancienne députée européenne (PPE), opposé à « la théorie du genre » et prônant « de nouveaux rapports entre les hommes et les femmes, égaux en droits et d’une égale dignité » ou encore l’émergence d’un « féminisme identitaire » ou « nationaliste » lié aux mouvements conservateurs, voire intégristes, comme ceux opposés au « mariage pour tous » en France. La résistible féminisation de la Commission européenne Au niveau de la Commission européenne aussi, la parité fait de la résistance. La nouvelle Commission qui est entrée en fonction le 1er novembre 2014 ne comporte que neuf femmes sur vingt-‐huit commissaires, soit 32,1%, un peu moins que dans la Commission sortante (33,33%). Pourtant, de nombreuses voix72 s’étaient élevées pour renforcer sa féminisation, sans succès, à l’évidence. C’est d’ailleurs l’un des problèmes récurrents de cette institution. Depuis sa création en 1958, treize hommes se sont succédé à sa tête. Elle n’a jamais été présidée par une femme. De même, il a fallu attendre 1989, lors du second mandat de Jacques Delors, pour que deux femmes en soient enfin membres73. Si, au fil des années, la Commission s’est quelque peu ouverte aux femmes, sa féminisation ne dépassera pas les 30% environ. En 2010, l’exécutif européen avait pourtant adopté une Charte des femmes qui l’engageait « à déployer tous les efforts requis pour un meilleur équilibre entre les femmes et les hommes au sein de la Commission ».
70 Elle n’est pas la seule en Europe dans cette situation. Dans de nombreux pays, des femmes jouent un rôle majeur au sein de partis populistes, voire d’extrême droite comme Krisztina Morvai en Hongrie, Anke Van Dermeersch en Belgique ou encore Pia Fjaersgaard au Danemark. En Norvège, la leader du Parti du progrès, Siv Jensen, est ministre des Finances dans le gouvernement conservateur dirigé par Ema Solberg. On peut comparer cette situation avec celle du très conservateur Tea Party, aux États-‐Unis, dirigé par Sarah Palin, qui a attiré de très nombreuses femmes dans ses rangs, dont Michele Bachman, malgré ses positions anti-‐avortement et valorisant la mère au foyer. 71 Cf. note 3 page 1. 72 Les neuf commissaires sortantes avaient plaidé pour avoir dix femmes ou plus dans le prochain exécutif. De même, les eurodéputés socialistes avaient adressé fin août 2014 une lettre en forme d’ultimatum à Jean-‐Claude Junker pour un plus grand nombre de femmes commissaires contre leur vote au Parlement. 73 La française Christiane Scrivener (Fiscalité et Union douanière), et la grecque Vasso Papandreou (Emploi, Relations industrielles et Affaires sociales).
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Proposer une femme et un homme Les États membres sont, bien sûr, responsables de cette situation. Certains, plus que d’autres. La Belgique, le Portugal ou encore la Finlande n’ont encore jamais envoyé de femmes à Bruxelles, alors que la Suède en a nommé trois depuis 1995, le Danemark et le Luxembourg deux (comme, parmi les nouveaux États membres, la Pologne, la Lituanie ou encore la Bulgarie), le Royaume-‐Uni et l’Espagne une. Si la France a été représentée à deux reprises à la Commission par une femme, l’une en 1989, l’autre en 199474, elle ne l’a, depuis, été que par des hommes, le dernier en date étant l’ancien ministre des Finances Pierre Moscovici, chargé des Affaires économiques dans la nouvelle Commission Junker. Pourtant, deux femmes étaient candidates à ce poste, rappelle Pervenche Berès, députée européenne, Élisabeth Guigou et elle-‐même. La présidente de la délégation socialiste française a expliqué que Jean-‐Claude Junker avait « mis la pression » sur les États membres qui tardaient à nommer leur commissaire pour qu’ils choisissent une femme ! À l’avenir, suggère-‐t-‐elle, chaque État membre devrait proposer au président de la Commission, qui doit intervenir dans le processus de désignation, deux candidats, une femme et un homme. Pia Locatelli a fortement appuyé cette proposition, estimant même nécessaire de commencer dès maintenant le lobbying pour y parvenir dans cinq ans. « Il faut mettre la parité dans la tête des dirigeants, ce que nous n’avons pas suffisamment fait jusqu’à présent », s’est-‐elle exclamée! D’autres combats restent à mener pour les droits des femmes au sein de l’Union européenne, alors que, comme le constate Pervenche Berès, une forme de régression liée à la crise économique mais aussi à la montée d’un courant conservateur se manifeste dans de nombreux États membres. On l’a vu avec le rejet du rapport Estrela75 qui reconnaissait le droit à la contraception, à l’IVG et qui abordait la question de la PMA et de l’éducation sexuelle. On l’a vu aussi avec le rejet du rapport Zuber, qui appelait à garantir l’égalité salariale, en raison de l’abstention d’un certain nombre de députés Verts en désaccord avec la position abolitionniste de la rapporteure sur la question de la prostitution. Autre chantier à faire enfin avancer rapidement pour la députée européenne : la directive sur le congé de maternité. En 2010, le Parlement européen a adopté en première lecture un projet qui prévoyait l’allongement du congé de maternité de quatorze semaines à un minimum de vingt semaines rémunérées à taux plein, le renforcement de la protection des travailleuses licenciées à leur retour de congé de maternité et l’instauration d’un congé de paternité de deux semaines rémunéré à taux plein, également pour les couples du même sexe. La Commission Emploi et Affaires sociales rappelle Pervenche Berès, qui la présidait alors, proposait un projet de congé de maternité moins « radical » de dix-‐huit semaines rémunérées. Le Conseil européen bloque depuis quatre ans le texte, les États membres ne parvenant pas à trouver un accord, certains, comme des lobbies patronaux, estimant que « vingt semaines seraient intenables pour les entreprises comme pour les fonds publics frappés par la crise ». À peine installée, la nouvelle Commission Junker a décidé de retirer le texte dans le cadre de son programme RETIF d’allègement législatif et administratif. Face aux protestations des partisans du projet de directive76, la présidence italienne a souhaité la remettre à l’ordre du jour. La commissaire
74 Christiane Scrivener déjà citée en 1989 et Édith Cresson, ancienne Première ministre, Commissaire européenne, de 1994 à 1999, chargée de la science, de la recherche et du développement. 75 Cf. note 52 page 27. 76 Joanna Maycock, secrétaire générale du Lobby européen des femmes (LEF) a déclaré à ce sujet : « C’est un exemple classique des attaques contre les droits des femmes et l’égalité des sexes en Europe. Cette décision envoie un mauvais signal aux femmes et aux hommes en Europe quant à la volonté de l'UE de soutenir les droits et les vies des individus ».
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à la Justice, aux consommateurs et à l’égalité des genres, Véra Jourova, a promis de soutenir « tous les efforts déployés pour relancer les négociations ». Cette démarche est également soutenue par la nouvelle présidente de la Commission des droits de la femme et de l’égalité des genres Iratxe Garcia Perez, par le Lobby européen des femmes, par la Confédération européenne des syndicats (CES) et de nombreuses élues du groupe S&D. Mais un esprit de compromis sera sûrement nécessaire pour parvenir à un accord. Pervenche Berès note que d’autres dossiers restaient en attente, comme la clause de l’Européenne la plus favorisée et la directive anti-‐discrimination. Il faudra aussi, précise-‐t-‐elle, si le Traité est révisé, ne pas oublier d’y ajouter le mot de « parité » qui ne figure nulle part ainsi que le droit à l’avortement. Au total, ce panorama de la situation des Européennes dans la sphère politique européenne appelle plusieurs remarques. Il laisse d’abord apparaître la persistance d’une prédominance masculine, malgré les textes et les déclarations des uns et des autres. Rien n’aurait-‐il donc vraiment changé en Europe depuis l’Athènes antique : aux hommes la polis, aux femmes l’oikia ? Les formations politiques et les associations de femmes progressistes doivent relever un lourd défi au niveau européen face à cette situation. Poursuivre le combat pour un monde politique plus féminisé et paritaire – et donc pour un approfondissement de la démocratie européenne – reste donc bien un enjeu réel pour le féminisme européen confronté à un retour en force du conservatisme (cf. infra). Pour y parvenir, Zita Gurmai a plaidé pour une législation solide assurant la parité. Par ailleurs, comme l’a fait remarquer Monique Halpern, il devient de plus en plus difficile de séparer le niveau national du niveau européen tant les enjeux sont communs à l’ensemble des États membres de l’UE. Deux mots symbolisent cette interdépendance : crise et solidarité. Pia Locatelli s’est dite frappée par l’omniprésence de la crise et la demande de solidarité dans les interventions des unes et des autres. Les politiques d’austérité mises en œuvre ont accru les inégalités entre les femmes et les hommes, mais aussi entre les femmes, notamment entre celles de l’est et celles de l’ouest, comme devait le souligner Anikó Gregor, évoquant le trafic des êtres humains et l’exploitation sexuelle d’un certain nombre de femmes venues d’Europe centrale par « des hommes occidentaux fortunés ». Pour Catherine Morbois, plus qu’elle ne l’a créée, la crise a révélé la violence domestique latente dénoncée par Zefi Dimadama. Enfin, bien sûr, pour les adversaires de l’égalité et de la parité, la crise constitue un formidable argument pour ne rien faire, considérant que les revendications des femmes sont un luxe en période de crise et non un droit. Face à une situation où les droits des femmes sont contestés de plusieurs façons et donc mis en danger, la solidarité est une manière de résister et de faire avancer les choses. Pia Locatelli affirma particulièrement sa solidarité avec la Grèce habitée par un sentiment d’abandon, notamment de la part de l’Allemagne, d’autant, explique-‐t-‐elle, que l’Italie devait suivre le même chemin. C’est à une Europe plus solidaire, notamment envers les femmes, que les intervenantes au séminaire ont appelé en même temps qu’à un nouveau modèle de développement qui pourrait sortir de la crise. Béatrice Ouin s’est appuyée sur la question du « care » et des emplois de services analysés dans un avis du CESE77 pour développer l’idée d’une remise en cause de la place du travail et de la famille dans la société et dans la manière de conduire l’action pour l’égalité entre les sexes en mettant un terme à la
77 Avis du Comité économique et social européen (CESE) sur « Les services à la famille » adopté le 16 octobre 2014 sur le rapport de Béatrice Ouin a pour objectif de développer ces services pour augmenter les taux d’emploi et promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes au travail. Béatrice Ouin expliqua que comme aux États-‐Unis où les Américaines ont pu conduire une vie professionnelle grâce à l’aide apportée par les Mexicaines, on constate le même phénomène en Europe. La question du « care » se situe au carrefour de la traite des êtres humains, de l’immigration, du travail au noir, de la précarité et de la pauvreté. Il est difficile de transformer les emplois de service dans les familles en travail salarié alors qu’ils sont souvent occupés par des immigrées sans papier. Le travail au noir est donc important. Dans son avis, le CESE propose trois pistes : travailler sur l’image de ces emplois pour en faire des emplois mixtes, mieux les rémunérer en aidant,
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division sexuelle du travail. À ses yeux, les femmes doivent s’emparer du développement durable pour bâtir un autre modèle de société. Une note d’optimisme enfin : Monique Halpern devait saluer l’action solidaire des Espagnoles et de nombreuses Européennes pour s’opposer au projet du gouvernement de droite de revenir sur la loi autorisant l’IVG en Espagne. Preuve, pour Pervenche Berès, que lorsque les femmes sont unies et solidaires, elles peuvent gagner. Quoi qu’il en soit, si le mouvement féministe européen s’accorde sur la nécessité de la parité politique, de l’égalité professionnelle ou encore de la solidarité pour la défense des droits des femmes, d’autres sujets le divisent, pour certains depuis quelque temps déjà, comme les questions de la prostitution et de la GPA notamment.
notamment fiscalement, les familles, les structurer et les professionnaliser en construisant un vrai secteur avec un intermédiaire entre les employés et les familles employeurs.
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II) Les débats qui traversent le féminisme en Europe et les nouveaux enjeux auquel il est confronté A) La question de la prostitution Selon le rapport du Conseil de l’Europe de mars 201478, « la traite des êtres humains, une des plus infâmes violations des droits de l’homme, touche chaque année entre 70 000 et 140 000 personnes en Europe (…) Les filles et les femmes sont touchées de manière disproportionnée (…) On estime qu’en Europe, 84 % des victimes de la traite sont destinées à être contraintes à la prostitution ». Deux approches contradictoires Au sein de l’Union, les États membres légifèrent en ordre dispersé sur cette question qui divise depuis une trentaine d’années le mouvement féministe européen. Elle oppose essentiellement deux approches contradictoires79 : l’une voit dans la prostitution une violence faite aux femmes à laquelle il faut mettre un terme. C’est l’approche « abolitionniste », partagée par un certain nombre d’États membres80 et la grande majorité des associations féministes. C’est la position du Lobby européen des femmes (LEF) qui affirme une position abolitionniste forte depuis 1998, même si quelques voix dissonantes existent en sont sein. « Nous considérons la prostitution » écrit-‐il, « comme une forme de violence faite aux femmes et un obstacle à l’égalité femmes-‐hommes. Nous sommes convaincu-‐e-‐s que la traite existe parce que la prostitution existe ; c’est le système prostituteur qui nourrit la traite des femmes à des fins d’exploitation sexuelle ». Cette démarche s’appuie sur la Convention pour la suppression de la traite des personnes et de l’exploitation de la prostitution, adoptée par les Nations Unies en 1949. Ce texte rejette toute réglementation de la prostitution et interdit le proxénétisme. Rappelons que c’est Joséphine Butler, féministe anglaise, qui, en 1875, fonde à Genève la Fédération abolitionniste internationale. L’autre approche considère la prostitution comme un « travail » basé sur le libre choix des femmes à disposer de leur corps comme elles l’entendent. Elle est censée briser les liens entre prostitution et crime organisé et apporter aux femmes prostituées une protection contre la violence et une amélioration sur le plan de la santé. Ce sont les Pays-‐Bas qui, dans les années 80, ont promu cette dernière approche81 en légalisant la prostitution puis en portant cette problématique sur la scène internationale. L’Allemagne a également adopté cette position en 200282. En réaction à ce modèle, en 1999, la Suède, à l’opposé des Pays-‐Bas, adoptait pour la première fois une législation novatrice fondée sur la pénalisation des clients. Ce modèle, dit néo-‐abolitionniste, a été adopté par la Norvège et l’Islande en 2009. La France, traditionnellement abolitionniste, a adopté en décembre 2013, en première lecture, une loi « renforçant la lutte contre le système prostitutionnel », qui comprend 78 Conseil de l’Europe, Assemblée parlementaire, 20 mars 2014, « Prostitution, traite et esclavage moderne en Europe », Commission sur l’égalité et la non-‐discrimination ; rapporteur: M. José Mendes Bota, Portugal, groupe du Parti populaire européen. 79 Il existe une troisième approche, dite prohibitionniste, qui interdit la prostitution, réprimant à la fois les prostituées, les « clients » et les proxénètes. Ce régime, peu appliqué en Europe (Lituanie, République tchèque, Slovaquie, Irlande), s’applique notamment aux États-‐Unis, en Chine, au Japon, et dans de nombreux pays arabes. 80 Royaume-‐Uni, Finlande, Belgique, Bulgarie, France, Estonie notamment. 81 Cf. l’historique et l’analyse approfondie de ce qui s’est passé aux Pays-‐Bas dans l’article de Janice G. Raymond in Le féminisme à l’épreuve des mutations géopolitiques, sous la direction de Françoise Picq et Martine Storti, 2011, Éditions iXè, 250 pages, 21 euros 82 La Grèce, la Lettonie, la Hongrie, l’Autriche notamment ont adopté la même position. Hors d’Europe, l’Australie a également légalisé la prostitution dans les années 80.
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notamment83 la pénalisation du client (contravention de 1500 euros pour l’achat d’actes sexuels). En juillet 2014, la Commission du Sénat chargée de l’examen du texte a rejeté cette mesure84 qui a suscité un vif débat en France, au sein de tous les partis politiques, comme au sein de la société dans son ensemble85 et des milieux féministes. Deux éminentes philosophes, se disant toutes deux féministes, ont pris des positions contraires, l’une, Élisabeth Badinter se prononçant contre la pénalisation du client, considérant qu’il s’agissait « d’une déclaration de haine à la sexualité masculine ». L’autre, Sylviane Agacinsky, se prononçant pour cette disposition, estimant que « le premier effet de la pénalisation sera de décourager les réseaux en dissuadant les clients ». Une résolution du Parlement européen : vers le modèle nordique Au cours des dernières années, de nombreuses études ont cherché à faire le bilan de ces deux démarches qui soulèvent des passions qui ne sont pas près de s’apaiser. Le rapport du Conseil de l’Europe fait état de deux études universitaires. La première86 a été réalisée en 2012 par des chercheurs de la London School of Economics and Political Science, de l’université de Heidelberg et de l’Institut allemand de recherche économique de Berlin qui ont comparé un grand nombre de données et d’études disponibles sur la prostitution dans un certain nombre de pays, dont l’Allemagne et la Suède. Il semble, d’après cette étude, que la légalisation de la prostitution conduise à une hausse de la traite des êtres humains. La deuxième étude87, qui repose sur une approche de type économique, a été publiée en 2010, puis révisée en 2013 par deux chercheurs de l’université de Göteborg, Niklas Jakobsson et Andreas Kotsadam. Elle démontre aussi que « la traite de personnes à des fins d’exploitation sexuelle commerciale est moins prévalente dans les pays où la prostitution est illégale; elle est plus fortement prévalente dans les pays où la prostitution a été légalisée et se situe à un niveau intermédiaire dans les pays où la prostitution est légale mais le proxénétisme illégal». D’autres études vont dans le même sens. L’étude de Julie Bindel et Liz Kelly88 précise que la légalisation de la prostitution ne réduit pas l’implication du crime organisé. Elle encourage la demande et marginalise les femmes les plus vulnérables. 83 Ce texte prévoit aussi particulièrement de renforcer les moyens d’enquête et de poursuite contre la traite des êtres humains et le proxénétisme et d’améliorer la prise en charge globale des personnes prostituées et la protection dont peuvent bénéficier les victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme (dispositions en matière de logement, de revenu de substitution, de protection et de réparation aux victimes de traite et du proxénétisme). En outre, afin de protéger les prostituées plutôt que de les interpeller, le délit de racolage instauré par la loi de 2003 est supprimé. 84 Depuis, le Sénat n’a toujours pas mis le texte à son ordre du jour. Dans une tribune publiée dans la presse en octobre 2014, deux cent élus et notamment les maires socialistes de Paris Anne Hidalgo, de Nantes Johanna Rolland, de Strasbourg Rolland Ries, mais aussi leurs collègues UMP d’Orléans Serge Grouard ou de Mulhouse Jean Rottner, rappellent que la « prostitution est d’abord une exploitation des plus vulnérables ». Ils invitent les sénateurs « à adopter rapidement un texte équivalent, ou renforcé, à celui adopté à une large majorité par l’Assemblée nationale», sous-‐entendu, incluant la pénalisation des clients. Cette tribune est publiée au moment où une ancienne prostituée, Rosen Hicher, 57 ans, devait arriver à Paris au terme d’une marche de 800 km depuis Saintes (Charente-‐Maritime), pour réclamer « l’abolition de l’esclavage sexuel » et la pénalisation des clients. 85 « 343 nigauds » (en référence aux « 343 salopes » qui avaient signé en 1971 un texte dans lequel elles disaient avoir avorté, alors que l’IVG était encore un crime) ont signé une pétition pour s’opposer à la pénalisation du client. De son côté, le syndicat des travailleurs sexuels s’est dit fortement opposé à cette disposition, estimant qu’elle va les précariser davantage sur le plan de leur sécurité et de leur santé. Les féministes favorables à la pénalisation du client ont aussi fait entendre leur voix en descendant dans la rue à plusieurs reprises. 86 Seo-‐Young Cho, University of Marburg -‐ School of Business & Economics, Axel Dreher, University of Heidelberg et Eric Neumayer, London School of Economics and Political Science (LSE), Does legalized prostitution increase human trafficking?, 16 janvier 2012. 87 Jakobsson, Niklas & Kotsadam, Andreas, The Law and Economics of International Sex Slavery: Prostitution Laws and Trafficking for Sexual Exploitation, Working Papers in Economics 458, University of Gothenburg, Department of Economics, 2010, revised June 7th 2013. 88 Julie Bindel et Liz Kelly, Unité d’études sur les abus touchant les femmes et les enfants, London Metropolitan University : Les effets pervers de la légalisation du proxénétisme, publiée dans « Prostitution et Société », numéro 148. Etude comparative réalisée dans l’État de Victoria en Australie, l’Irlande, les Pays-‐Bas et la Suède en 2004.
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Ainsi en Allemagne, elle n’a pas permis d’améliorer de façon significative le degré de sécurité ni l’accès aux droits des personnes prostituées. Les résultats de ces études sont plus nuancés dans les pays réglementaristes, même si aux Pays-‐Bas, des voix se sont élevées, comme celle de l’ex-‐maire d’Amsterdam Job Cohen en 2007, qui, estimant que la légalisation avait échoué, a fermé un tiers de ses maisons closes légales et de ses zones de tolérance à la prostitution, le « quartier rouge », notamment, étant devenu un refuge pour les trafiquants et un danger pour les femmes. D’autres grandes villes néerlandaises (Rotterdam ou La Haye) ont fait de même, à la suite des rapports du gouvernement néerlandais 89 (plus mitigé) et de la police nationale (plus corrosif), affirmant que la légalisation « avait ouvert les villes à la criminalité internationale organisée, au trafic des femmes et des enfants et aux cartels de la drogue »90. Les Pays-‐Bas tentent à l’heure actuelle de limiter avec beaucoup de difficultés les effets pervers de leur législation. En Allemagne également, la législation actuelle commence à être contestée. La journaliste féministe, Alice Schwarzer a publié début novembre 2013 un pamphlet intitulé « Prostitution, un scandale allemand » et lancé un « appel à la chancelière et au Bundestag » pour « abolir la prostitution ». À ses yeux, « l’Allemagne est un paradis pour proxénètes ». Son appel a recueilli en quelques jours plusieurs dizaines de signatures de personnalités, parmi lesquelles des artistes, des intellectuels et des responsables politiques de la CDU mais aussi du SPD. Du côté suédois, le bilan semble plus positif, même si, là aussi, des bémols sont apportés par certains. En 2010, le gouvernement suédois a publié un rapport qui estime que, de 1999 à 2008, les clients de prostituées sont passés de 13,8% à 7,8% et les personnes se prostituant de 2500 à 1250. Il note aussi que 80% de la population approuvent désormais la loi contre l’achat de services sexuels, beaucoup souhaitant même des peines plus sévères pour ces délits, alors que la même proportion la désapprouvait lors de son vote. Anija Johansson précisa qu’une loi était en préparation pour permettre une meilleure formation des forces de police. Pour autant, certains relèvent que la loi suédoise n’a fait que déplacer la prostitution sur internet et dans des endroits plus discrets et plus exposés au danger ainsi que vers d’autres pays. Ces arguments l’ont emporté à la Commission spéciale du Sénat français, on l’a vu (cf. supra page 41). Tel n’a pas été le cas du Parlement européen qui, le 26 février 2014, a voté à une large majorité un texte qui prône de lutter contre la prostitution en sanctionnant les clients de prostituées, et non les prostituées elles-‐mêmes. Dans une résolution non contraignante rédigée par la Britannique Mary Honeyball (S&D) et adoptée par 343 voix pour, 139 contre et 105 abstentions, le Parlement exhorte les États européens à suivre le « modèle nordique » pour combattre la prostitution, par opposition au modèle d’une légalisation globale. Cette position rejoint celle du Conseil de l’Europe déjà citée. Le texte préconise de faire de l’achat de services sexuels auprès de prostituées de moins de vingt-‐et-‐un ans un délit pénal dans l’ensemble de l’UE. La résolution souligne que la prostitution, qu’elle soit forcée ou volontaire, viole la dignité humaine et les droits de l’homme et constitue un obstacle à l’égalité entre les femmes et les hommes. La résolution appelle les États membres à renforcer leurs politiques pour combattre la traite des êtres humains et « à trouver des stratégies de sortie et d’autres sources de revenus pour aider les femmes qui veulent sortir de la prostitution, en améliorant notamment l’éducation et la lutte contre la pauvreté ». Le débat en est là au sein de l’Union européenne. Il fait rage dans de nombreux États membres, d’autant que, comme l’analyse en France l’Office central pour la répression de la traite des êtres
89 A.L. Daalder, Prostitution in the Netherlands Since the Lifting of the Brothel Ban, WODC (Research and Documentation Centre, Dutch Ministry of Security and Justice), 2007, www.wodc.nl/images/ 90 Cf. l’article de Janice G. Raymond, « Le féminisme à l’épreuve des mutations géopolitiques », sous la direction de Françoise Picq et Martine Storti, 2011, Éditions iXè, 250 pages, 21 euros.
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humains (OCRTEH), la prostitution a connu dans l’ensemble des pays d’Europe occidentale un bouleversement profond en l’espace de deux décennies : à la prostitution « traditionnelle », de plus en plus minoritaire, s’est progressivement substituée une prostitution exercée sous l’influence croissante de réseaux transnationaux de proxénétisme et de traite, devenue désormais très largement majoritaire et conduisant à une augmentation de la prostitution d’origine étrangère (83% en France), en provenance principalement d’Europe de l’est et d’Afrique subsaharienne. La position commune du Conseil de l’Europe et du Parlement européen, ainsi que les interrogations sur les deux approches opposées peuvent-‐elles rapprocher les positions des unes et des autres sur la façon de répondre aux questions posées sur ce qu’on continue d’appeler « le plus vieux métier du monde » ? B) Les questions de la GPA et de la PMA
Autres questions qui divisent le mouvement féministe européen : celles de la gestation pour autrui (GPA) et de la procréation médicale assistée (PMA). La gestation pour autrui : l’Union en ordre dispersé La gestation pour autrui, ou maternité de substitution pour pallier l’infertilité des femmes, est comme la prostitution, vieille comme le monde. La Bible, déjà, donne quelques exemples de « mères porteuses »91. Comme pour la prostitution, les États membres de l’UE ont des législations très différentes sur cette question. Seuls deux autorisent légalement la GPA de façon « altruiste » ou « éthique », c’est-‐à-‐dire sans rémunération de la mère porteuse, le Royaume-‐Uni depuis 1985 et la Grèce par les lois de 2002 et 200592. La Roumanie l’autorise avec rémunération. Dans d’autres États membres, elle n’est pas interdite, donc autorisée de fait (Pologne, Belgique, Slovaquie, Pays-‐Bas)93. Ailleurs, elle est interdite, notamment en France par la loi dite « bioéthique » du 29 juillet 1994, où le débat a été relancé après le vote de la loi sur le « mariage pour tous » en mai 201394. Le débat en France Il avait déjà été posé à la suite d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 25 octobre 2007 qui avait validé la transcription sur les registres de l’état civil français des actes de naissance américains des jumelles Mennesson nées en Californie en application d’une convention de gestation pour autrui. Cet arrêt avait été cassé par un arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 2008. Mais dès janvier 2008, la commission des Affaires sociales et la commission des Lois du Sénat avaient constitué un groupe de travail sur la GPA, présidé par Michèle André95 qui a débouché sur une proposition de loi
91 La femme d’Abraham, Saraï, ne lui avait pas donné d’enfant. Mais elle avait une servante égyptienne, nommée Agar, et Saraï dit à Abraham : « Vois, je te prie : Yahvé n’a pas permis que j’enfante. Va donc vers ma servante. Peut-‐être obtiendrai-‐je par elle des enfants. Et Abraham écouta la voix de Saraï ». (Genèse 16.1 & 16.2) 92 Comme devait l’expliquer Anija Johansson, en Suède, elle n’est pas légale mais en 2013, le Comité d’Éthique médical, consulté par le gouvernement, s’est prononcé pour une GPA « altruiste », provoquant une vive réaction de la coordination suédoise du LEF contre la GPA et « le commerce du corps des femmes et des enfants » qu’elle induit. 93 D’autres pays dans le monde l’autorisent : certains États américains, le Canada, la Russie, l’Ukraine, l’Afrique du Sud notamment. 94 Avec la loi n°2013-‐404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, la France devient le 9e pays européen et le 14e pays au monde à autoriser le mariage homosexuel. 95 Déjà citée. Présidente de la Commission des Finances du Sénat. Alors membre de la Commission des Lois et vice-‐présidente du Sénat. Dans un interview donnée à l’occasion des 44ème journées de l’École de la cause freudienne, les 15 et 16 novembre 2014, elle est revenue sur ce texte et a déclaré notamment que cette question « va avancer comme ont avancé autrefois de grandes questions, comme l’abolition de la peine de mort et la légalisation de l’IVG. Nous sommes là devant une société qui évolue et devant des progrès médicaux ».
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déposée en janvier 2010 et signée par quarante-‐quatre sénateurs socialistes. Ce texte, qui n’a toujours pas été inscrit à l’ordre du jour, autorisait et encadrait la GPA par des conditions très strictes96. En revanche, la mission parlementaire sur la révision des lois bioéthiques se disait, dans un rapport remis en février 2010, opposée à la levée de l’interdiction de la GPA. En 2011, le groupe socialiste de l’Assemblée nationale organisait un débat sur ce thème. Il a fait apparaître, au-‐delà d’une question qui divise l’ensemble des formations politiques, les divisions des féministes françaises à travers les interventions, à nouveau97, de deux philosophes féministes, Elisabeth Badinter soutenant la GPA au nom de l’égalité entre les femmes et les hommes et Sylviane Agacinski s’y opposant au nom de l’exploitation et la marchandisation du ventre de la femme. En plein cœur de la discussion sur le texte ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, qui déjà suscitait des réactions pour le moins virulentes au sein de la société française, le débat rebondit de plus belle, notamment après la circulaire98 adressée le 23 janvier 2013 par la garde des Sceaux aux tribunaux pour leur demander de ne plus refuser la délivrance des certificats de nationalité française (CNF) pour des enfants nés à l’étranger, au seul motif qu’ils concernent des enfants issus d’une gestation pour autrui. Ce texte a été fortement critiqué et immédiatement interprété par ses opposants, malgré les dénégations ministérielle et présidentielle, comme une reconnaissance déguisée de la gestation pour le compte d’autrui. À nouveau, les féministes se sont divisées sur cette question, des associations comme Osez le féminisme !, Le Collectif national pour les droits des femmes ou encore Les chiennes de garde y étant fortement hostiles alors que l’association Clara et parmi les mouvements LGBT (Lesbiennes, Gays, Bis et Trans en France), l’Association des familles homoparentales (ADFH) se prononcent en faveur de la GPA quand La Coordination lesbienne en France qui s’est retirée quelques mois auparavant de l’inter-‐LGBT, s’y oppose. Nouveau rebondissement : le 26 juin 2014, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamne la France et lui impose de reconnaître la filiation des enfants nés de mère porteuse à l’étranger. Deux mois et demi plus tard, et après la confirmation que la France ne ferait pas appel de sa condamnation par la CEDH, si la droite et la « Manif pour tous » s’insurgeaient depuis des mois contre le mariage homosexuel, la PMA et la GPA (bien qu’elles aient été exclues du texte), le Parti socialiste réagissait aussi en ordre dispersé. Ainsi, en septembre 2014, dans une lettre ouverte, dix députés socialistes99 demandaient à la France de faire appel du jugement, dénonçant un système qui « rabaisse les femmes à un rôle de génitrice ». Dans le même temps, lors de la campagne pour les élections sénatoriales de septembre 2014, les sénateurs socialistes des Français de l’étranger proposaient de « permettre l’accession à la nationalité française aux enfants nés légalement par GPA à l’étranger et adoptés par un couple dont l’un au moins est français ». En juillet, une tribune publiée dans le journal Libération, signée100 notamment par Lionel Jospin, ancien Premier ministre et Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne, se
96 Seuls pourraient bénéficier d’une gestation pour autrui les couples composés de personnes de sexe différent, mariées ou en mesure de justifier d’une vie commune d’au moins deux années, en âge de procréer et domiciliées en France. La femme devrait se trouver dans l’impossibilité de mener une grossesse à terme ou ne pouvoir la mener sans un risque d’une particulière gravité pour sa santé ou pour celle de l’enfant à naître. L’un des deux membres du couple au moins devrait être le parent génétique de l’enfant. 97 Cf. les positions des deux philosophes sur la prostitution page 41. 98 Circ. N° NOR JUSC1301528C, 25 janvier. 2013. 99 Notamment Jean-‐Louis Gagnaire, député de la Loire et Gilles Savary, député de Gironde 100 Parmi les premiers signataires, aux côtés de Jacques Delors et de Lionel Jospin, Yvette Roudy ministre des Droits des femmes de 1981 à 1986, Nicole Péry secrétaire d’État aux Droits des femmes (1998-‐2002) et vice-‐présidente du Parlement européen (1984-‐1997), Marie-‐George Buffet, députée de Seine-‐Saint-‐Denis, ancienne ministre, secrétaire national du Parti communiste français (2001-‐2010), Catherine Tasca, ancienne ministre, première vice-‐présidente du Sénat, Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT de 1992 à 2002, présidente de Vigeo, René Frydman, gynécologue obstétricien etc.
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prononçait contre cette « pratique sociale aliénante » et mettait en garde contre « le marché des bébés » qui se mettrait de fait en place « si les filiations des enfants issus de contrat de mère porteuse faites à l’étranger étaient inscrites à l’état civil français ». Le 12 décembre dernier, le Conseil d’État a rejeté une série de recours contre la circulaire Taubira de janvier 2013. Près de soixante députés UMP et une demi-‐douzaine d’associations avaient demandé à la plus haute juridiction administrative française d’annuler le texte pour excès de pouvoir, la gestation pour autrui (GPA) étant interdite en France. Mais, suivant les conclusions de son rapporteur public lors de l’audience fin novembre, le Conseil d’État a jugé que « la seule circonstance que la naissance d’un enfant à l’étranger ait pour origine un contrat qui est entaché de nullité au regard de l’ordre public français ne peut, sans porter une atteinte disproportionnée à ce qu’implique, en termes de nationalité, le droit de l’enfant au respect de sa vie privée, garanti par l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, conduire à priver cet enfant de la nationalité française à laquelle il a droit [...] lorsque sa filiation avec un Français est établie». Le Conseil d’État a par ailleurs souligné que la circulaire n’empêchait pas la lutte contre la GPA, qui demeure, pour l’instant, strictement interdite en France. Pour autant, force est de constater une certaine ambigüité sur la position de la France sur cette question, que n’ont pas manqué de relever les opposants de tous bords à la GPA. Ce qui explique sûrement en partie le fait que, le 4 décembre 2014, le groupe socialiste de l’Assemblée nationale ait écarté par une motion de rejet adoptée par vingt-‐deux voix contre seize, la proposition de loi du député UMP Jean Léonetti, rejetée en novembre en commission des Lois, qui visait à sanctionner les « parents d’intention » qui ont recours à une mère porteuse à l’étranger. La discussion sur le fond du texte n’a donc pas eu lieu101. Le débat en Europe Nous en sommes là en France, alors qu’au niveau européen, aucune position commune ne semble pouvoir être trouvée.
Le Parlement européen Le Parlement européen a peu abordé jusqu’à présent la question de la maternité de substitution. C’est dans sa seule résolution du 5 avril 2011 sur « Les priorités et la définition d’un nouveau cadre politique de l’Union en matière de lutte contre la violence à l’encontre des femmes », qu’il a, dans son point 20, invité « les États membres à reconnaître le problème grave de la maternité de substitution, qui constitue une exploitation du corps de la femme et de ses organes reproducteurs ». On ne retrouve ni cette référence ni cette analyse de la maternité de substitution dans ses résolutions suivantes102 sur la question des violences à l’encontre des femmes. Toutefois, en mai 2013, considérant que la GPA était une pratique « en plein essor », la commission des Affaires juridiques a commandé à une quinzaine d’experts français et étrangers une étude sur « Le régime applicable à la maternité de substitution au sein des États membres de l’UE », faisant le point sur les différentes politiques conduites au sein et hors de l’Union. Après avoir examiné les pratiques en
101 La proposition de loi prévoyait une peine d’un an de prison et 15 000 euros d’amende pour « provocation à abandonner un enfant » et de deux ans et 30 000 euros pour d’éventuels intermédiaires. Elle entendait également punir ces actes commis par des Français à l’étranger, ce qui est aujourd’hui exceptionnel (c’est le cas par exemple pour le tourisme sexuel et les actes pédophiles). Rappelons qu’en France, 200 enfants naissent chaque année grâce à l’intervention d’une mère porteuse. 102 Résolution du Parlement européen du 6 février 2013 sur l’élimination et la prévention de toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles en vue de la 57e session de la commission de la condition de la femme des Nations unies -‐ Résolution de 25 février 2014 portant sur « La lutte contre la violence à l’égard des femmes ».
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cours dans douze États membres et cinq pays hors Union, les experts remettaient le 8 juillet 2013 leur rapport103 aux députés européens. Un seul consensus en émanait : reconnaître la filiation et l’état civil des enfants issus d’une gestation pour autrui. La règle au Parlement européen étant l’unanimité, une réglementation européenne sur la gestation pour autrui est loin de voir le jour tant les pratiques diffèrent d’un pays à l’autre. En attendant que les débats progressent, le rapport recommande de s’inspirer des travaux de la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et de la coopération en matière d’adoption internationale pour établir une convention internationale sur la GPA. Celle-‐ci pourrait notamment définir des règles protégeant la santé et les droits de la mère.
Le Conseil de l’Europe De son côté, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a inscrit à son ordre du jour une proposition de résolution (Doc. 13562) déposée le 1er juillet 2014 par vingt-‐trois élus de divers partis (essentiellement de droite) portant sur les « Droits de l’homme et les questions éthiques liées à la gestation pour autrui ». Le texte, qui n’a pas encore été débattu par l’Assemblée, déclare clairement que « la gestation pour autrui porte atteinte à la dignité humaine de la femme enceinte, dont le corps et la fonction de procréation sont utilisés comme une marchandise » et « aux droits et à la dignité humaine de l’enfant, parce qu’elle a pour effet de faire du bébé un produit. » Elle invite l’Assemblée à examiner les liens de cette pratique « avec la santé génésique des femmes, la traite des êtres humains et les droits des enfants, et [à] réfléchir à des outils pour traiter ce problème. » L’Assemblée devra choisir entre l’interdiction et l’encadrement de cette pratique. La future résolution pourrait recommander aux gouvernements européens d’élaborer une convention ou un protocole européen sur la GPA et en rédiger des éléments, à l’instar, par exemple, de la Convention d’Oveido104. La procréation médicalement assistée : des débats toujours aussi passionnés La procréation médicalement assistée (PMA) suscite aussi des débats presque aussi passionnés que la GPA. Pourtant, de façon générale, en Europe, la PMA, qui comprend les différentes formes d’aide à la fécondation (in vitro ou par donneur anonyme), est autorisée, souvent depuis longtemps, pour les couples hétérosexuels infertiles. Au sein de l’UE, huit État membres105 l’autorisent même pour les femmes célibataires et pour les couples de même sexe.
En France La PMA est ouverte aux seuls couples hétérosexuels mariés ou apportant une preuve de vie commune de plus de deux ans. Le débat sur l’ouverture aux femmes célibataires et aux couples homosexuelles a émergé avec la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux personnes du même sexe. Le groupe socialiste de l’Assemblée nationale souhaitait, à cette occasion, déposer un amendement autorisant la PMA aux couples homosexuelles. Mais, face à l’ampleur inattendue de la « Manif pour tous» farouchement opposée à cette démarche au nom de la défense de la famille
103 Le régime applicable à la maternité de substitution au sein des États membres de l’UE, étude coordonnée par Laurence Brunet (Lead -‐ Université Paris I). 104 La Convention d’Oviedo est une convention internationale, signée à Oveido le 4 avril 1997 et entrée en vigueur en 1999. La plupart des États européens l’ont ratifiée, la France l’a ratifiée en 2012. Elle énonce les principes fondamentaux applicables à la médecine quotidienne ainsi que ceux applicables aux nouvelles technologies dans le domaine de la biologie humaine et de la médecine. 105 La Belgique, le Danemark (pour les femmes mariées uniquement), l’Espagne, la Finlande, les Pays-‐Bas, le Royaume-‐Uni, la Suède et depuis janvier 2014 l’Autriche. Hors UE, l’Islande et la Norvège.
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traditionnelle et aussi face à l’opposition de vingt-‐sept parlementaires PS106, le groupe socialiste devait renoncer à le faire, promettant que cette question serait intégrée dans le cadre du futur projet de loi sur la famille. Mais la PMA a de nouveau disparu devant une levée de boucliers au printemps 2014, à la suite de laquelle la loi sur la famille elle-‐même a été reportée. Les mouvements féministes sont moins divisés sur la question de la PMA que sur la GPA. Globalement, ils soutiennent la démarche du mouvement LGBT au nom de l’égalité entre les femmes, à l’exception, notable, de Sylviane Agacinski qui rejette la PMA comme la GPA (cf. supra), dénonçant notamment « l’industrialisation de la procréation »107. Pour autant, de nombreuses femmes célibataires et/ou homosexuelles se rendent dans les pays où elles peuvent avoir accès à une PMA. À leur retour, certains tribunaux estiment que ces femmes sont des « fraudeuses » au regard du droit français. Le 23 septembre 2014, la Cour de Cassation vient de confirmer que le recours à une PMA à l’étranger « ne fait pas obstacle à ce que l’épouse de la mère puisse adopter l’enfant ainsi conçu ». Les mères ne doivent donc pas être considérées comme des fraudeuses. Pour l’heure cependant, en France, la PMA reste fermée aux mères célibataires et aux couples d’homosexuelles. C’est pourquoi l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL) appelle à la légalisation de la PMA pour toutes les femmes.
Au Parlement européen La question de la PMA est venue aussi en débat. Une première fois, lors du rapport d’Edite Estrela sur « La santé et les droits reproductifs et génésique », rejeté en décembre 2013 sur la question de la reconnaissance du droit à l’avortement (cf. supra). Mais sa proposition 8 invitait « les États membres à permettre également aux femmes célibataires et lesbiennes de bénéficier de traitements de fertilité et de services de procréation médicalement assistée ». Une seconde fois en février 2014 avec le rapport Lunacek108 ou « Feuille de route de l’UE contre l’homophobie et les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre », adopté par le Parlement européen. Ce texte, comme d’ailleurs le rapport Estrela, est un rapport d’initiative sans valeur législative. Son adoption (par 394 voix pour et 176 voix contre et 72 abstentions) n’est donc pas contraignante pour les États-‐membres. Le texte se borne à proposer à la Commission européenne une série de démarches pour lutter contre la discrimination des personnes lesbiennes, bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI)109. Mais contrairement au rapport Estrela, la PMA pour les femmes célibataires et homosexuelles ne figure pas dans le texte adopté par le Parlement européen. Elle faisait partie d’amendements adoptés par la commission des Droits de la femme et de l’égalité des genres qui n’ont pas été repris par la rapporteure. Bien que cette résolution ait été un document de consensus, approuvé par les cinq grandes familles politiques européennes110 et qu’il reste très général, une
106 Parmi lesquels Gérard Bapt, Pascale Boistard, Carlos Da Silva et Martine Faure. 107 Dans Le Nouvel Observateur du 10 mai 2013, la philosophe devait déclarer: « En excluant a priori de la filiation soit le père, soit la mère, l'homoparentalité créerait une inégalité institutionnelle entre les enfants …Bien des enfants nés de dons anonymes de sperme veulent connaître leur histoire et se révoltent contre le secret organisé de leur naissance. Ce problème serait aggravé, pour les enfants nés de l'insémination d'une lesbienne, par l'effacement complet du père. De plus, si des couples d'hommes demandaient également l'accès à la PMA, le recours aux mères porteuses s'imposerait. Or cette pratique est inacceptable... Ne méprisons pas ces questions au nom d'une bonne conscience soi-‐disant progressiste et forcément de gauche. Ne courons pas derrière le système californien de fabrication d'enfants à la demande selon une tarification précise. Un discours ultralibéral et cynique prétend que tout se vend dans le monde, y compris les ventres et les enfants. Ce n'est pas ma conception du socialisme.» 108 Du nom de sa rapporteure, Ulrike Lunacek, eurodéputée autrichienne (groupe Verts), vice-‐présidente du Parlement européen depuis le 1er juillet 2014 et co-‐présidente de l’Intergroupe du Parlement européen sur les droits LGBT. 109 Le texte encourage la Commission « à recueillir des données pertinentes et comparables sur la situation des personnes LGTBI » et l’UE « à promouvoir l’égalité et la lutte contre les discriminations dans l’ensemble de ses programmes destinés à la jeunesse et à favoriser la formation des personnels ». 110 Parti populaire européen (PPE), Socialistes et démocrates (S&D), Alliance des Libéraux et Démocrates pour l'Europe (ALDE), Verts et Gauche unitaire européenne-‐Gauche verte nordique (GUE/NGL).
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partie de la droite européenne – et particulièrement française – l’a vivement combattue111.
111 Sur le site CitizenGo, une pétition contre cette feuille de route, lancée par « La Manif pour tous », a recueilli plus de 200 000 signatures.
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Conclusion générale Les mots pour le dire Au terme de ce rapport sur « Les nouveaux enjeux du féminisme en Europe », la conclusion portera sur le débat sémantique – mais non dépourvu d’enjeu pour le féminisme européen – qui a eu lieu au cours du séminaire du 15 novembre 2014 autour du terme de « genre ». Laurie Laufer112, psychanalyste, qui se définit comme « chercheure universitaire visible, praticienne clinique et militante cachée », a analysé où en est le féminisme en France et au-‐delà en Europe. La chercheure, qui articule psychopathologie et études de genre, s’est tout d’abord demandée combien de temps elle pourrait encore poursuivre son travail universitaire en raison de la force de la vague conservatrice113 qui submerge actuellement la vague du féminisme et qui entrave les travaux universitaires portant sur les études de genre. Elle a rappelé qu’à la fin des années 80, un engouement s’était emparé de l’Université pour ces études. C’est dans ce mouvement qu’a été créé, en 2006, l’Institut Émilie du Châtelet114, qui a permis à de très nombreux jeunes chercheur(e)s de produire des études de genre dans des champs disciplinaires multiples (grammaire, biologie, médecine, philosophie, psychanalyse, sociologie etc.). Le livre Qu’est-‐ce que le genre ?115 est issu du travail de ces chercheur(e)s réuni(e)s dans l’IEC. À cet égard, Laurie Laufer s’est dite frappée par le fait que le terme de « genre » avait été peu prononcé au cours du séminaire au profit de l’expression « égalité entre les femmes et les hommes ». Elle a rappelé que le mot « gender », qui ne signifie ni « femme » ni « égalité entre les femmes et les hommes », avait été utilisé pour la première fois en 1950 dans le milieu médical par deux psychiatres américains s’occupant de transsexuels et intersexués, Robert Stoller et John Money116. Les féministes se le sont appropriées dans les années 70, d’abord aux États-‐Unis puis en Europe. Elles ont produit des études qui ont pour cible centrale la différence des sexes, ce qu’on appelle le différentialisme. Pour Laurie Laufer, le « genre », entendu comme l’organisation sociale des rapports entre les sexes, est un outil scientifique qui permet « d’interroger les stéréotypes, les hiérarchisations et les inégalités longtemps restées invisibles et de mettre en perspective des transformations sociales, culturelles et politiques ». Aujourd’hui, explique la chercheure, les études de genre sont alimentées par ce qu’on appelle l’intersectionnalité. Cette approche contemporaine ne peut pas penser le genre en dehors des autres discriminations telles que la race et la classe sociale. La pauvreté des femmes, la racialisation de certains problèmes ou encore les discriminations sexuées ne peuvent plus se penser en dehors de la prise en compte de ces critères. Le « black feminism» américain, critiquant le discours sur l’universalisme des droits des femmes tenu par des féministes blanches et occidentales
112 Co-‐directrice, avec Florence Rochefort, de l’ouvrage Qu’est-‐ce que le genre ?, Petite bibliothèque Payot/Philosophie, 315 pages, octobre 2014, 10 euros. 113 L’Atlas mondial des femmes cité page 15 relève aussi cette « offensive des conservatismes au niveau international comme national qui ralentit la marche vers l’égalité ». 114 Ce Centre de recherche, financé par le Conseil régional d’Ile de France, regroupe depuis 2012 dix-‐sept grandes fédérations de recherche dans le cadre d’un domaine d’intérêt majeur (DIM). Monique Halpern devait ajouter que l’IEC est aussi une passerelle entre les chercheur(e)s et la société civile. 115 Op.cit. 116 Robert STOLLER, Sex and Gender: On the Development of Masculinity and Femininity I, Science House, NY, 1968.
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appartenant à la classe dominante, a fait avancer l’idée qu’en tant que féministe on ne pouvait plus penser le genre en dehors des autres discriminations. Peut-‐être avec cette démarche, explique Laurie Laufer, le féminisme en France et en Europe est-‐il entré dans sa quatrième vague. Les jeunes chercheur(e)s sont très intéressé(e)s par cette approche car elle a le mérite de ne laisser personne sur le bord du chemin. L’outil du genre a aussi permis l’émancipation des dites minorités sexuelles (qui se disent « minorisées » – tout dépend de là où on parle, explique encore Laurie Laufer) – ce qui a provoqué en France, poursuit-‐elle, « l’invraisemblable » Manif pour tous, avec pour enjeu la famille traditionnelle, le corps des femmes (prostitution, GPA, PMA) et la question des sexualités. Avec, aussi, pour conséquence non négligeable, on l’a vu, l’importance de la vague des chercheurs d’extrême droite qui recouvre actuellement celle des chercheur(e)s en études de genre. C’est la raison pour laquelle Laurie Laufer s’est inquiétée de l’éventuelle disparition de l’IEC après les élections régionales de 2015, ce qui priverait nombre de jeunes chercheur(e)s en études de genre d’allocation de recherche. Si, dans l’ensemble, les participantes au séminaire ont adhéré à ces propos, certaines ont émis quelques réserves. Maryse Huet, bien que jugeant nécessaire de prendre en compte l’ensemble des discriminations, a cependant exprimé la crainte que l’intersectionnalité, comme on l’a vu en France avec la démarche « diversité », ne « noie » le genre dans l’ensemble des discriminations et ne contribue à masquer la domination masculine subie par les femmes et à atténuer l’exigence d’égalité entre les femmes et les hommes. Au niveau européen, note encore Maryse Huet, la séparation est faite dans les directives entre les inégalités dont sont victimes les femmes et les autres formes de discrimination. De son côté, Monique Dental est revenue sur la question sémantique. Elle a rappelé que l’expression « égalité des sexes » utilisée par les féministes englobe à la fois l’égalité des droits et le féminisme comme démarche de transformation sociale. La notion de « genre » diffère de celle « d’égalité des sexes » car elle s’est inscrite plus ou moins en opposition à celle de « rapports sociaux de sexe » issue du matérialisme historique. Dans les universités, le terme de « gender », utilisé par l’ONU, s’est imposé dans les années 90. Les « études féminines » et les « études féministes » ont fait place aux « études de genre », la notion de genre étant mieux acceptée car portant moins en elle la radicalité de la domination patriarcale. De même, les institutions parlent de « discrimination » alors que les mouvements sociaux et les associations féministes continuent de parler de « domination masculine », l’intersectionnalité venant y ajouter l’ensemble des autres dominations. Si elle considère comme important pour l’évolution du féminisme l’apport de l’approche par l’intersectionnalité, Monique Dental s’est cependant dite gênée par l’utilisation du mot « race », notion déconstruite il y a quelque temps et supprimée de la législation française mais utilisée par les mouvements communautaristes pour remettre en cause l’universalité des droits des femmes, estimant que, sur cette question, « on est presque parvenu à un point de non retour si on ne réagit pas ». Tel est aussi l’avis exprimé par Marie-‐Claude Vayssade lors du débat sur Pékin+20 qui a considéré qu’il s’agissait d’un enjeu fondamental. « Les droits des femmes ne dépendent ni de la civilisation ni de l’histoire de chaque pays » a-‐t-‐elle affirmé. Ce débat entre relativisme culturel et universalisme, qui n’en finit pas de resurgir, divise les féministes. Si les arguments des unes et des autres doivent être entendus, cependant, comme l’écrit Françoise Picq dans Le féminisme à l’épreuve des mutations géopolitiques117, « la contestation de l’universalisme au nom de la diversité des féminismes rejoint la critique « post-‐moderniste » qui remet en question le modèle issu des Lumières et la centralité du sujet…Le débat a son intérêt mais il comporte un risque par les polémiques destructrices qui l’accompagnent ».
117 Op.cit.
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Bref, le sujet du séminaire « Quels nouveaux enjeux pour le féminisme européen ? » est loin d’être achevé d’autant qu’on ne peut plus désormais le séparer des changements du monde marqués par le retour en force du religieux et de la tradition, autant d’éléments qui enferment les femmes dans leur culture d’origine, les maintiennent sous la domination masculine et ralentit – quand elle ne le leur interdit pas – leur émancipation et leur aspiration à la liberté. La FJJ et la FEPS entendent poursuivre inlassablement en 2015 leur action pour la liberté des femmes et leur participation à égalité avec les hommes à toutes les sphères de la vie sociale. Baisser les bras sur cet objectif serait renoncer à leur idéal progressiste et à l’approfondissement de la démocratie en Europe, alors qu’il est acquis que le degré de démocratie et de civilisation atteint par une société se mesure à la place qu’elle accorde aux femmes. La cinquième conférence mondiale sur les femmes en mars 2015 doit être l’occasion de le réaffirmer avec force.
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ANNEXE
Quels nouveaux enjeux pour le féminisme européen?
PROGRAMME 9h30 : Accueil par Ghislaine Toutain, FJJ et Zita Gurmai, FEPS 10h00-‐11h45 : Panorama de la situation des Européennes dans la sphère politique Présidence: Martine Lévy, experte en politiques d’égalité, France Avec : Mercedes Bresso, députée européenne, groupe S&D, Italie Anikó Gregor, chercheure, Université d’Eotvos Lorand de Budapest, Hongrie Lesia Radelicki, coordinatrice au PSE Femmes, Belgique Réjane Sénac, chercheure au CEVIPOF, France 11h45-‐13h15 : Parlement et Commission : quelles actions pour la démocratie paritaire européenne? Présidence : Lesia Radelicki, coordinatrice au PSE Femmes, Belgique Avec: Pervenche Berès, députée européenne, groupe S&D, France Zefi Dimadama, secrétaire du Pasok Femmes, Grèce Béatrice Ouin, membre du Conseil économique et social européen (CESE), France 13h15-‐14h30 : Déjeuner-‐débat: quelle préparation de l’UE pour Pékin+20? Présidence: Zita Gurmai, présidente du PSE Femmes 14h30-‐16h30 : Où en est le féminisme européen? Présidence: Monique Halpern, présidente du Conseil d’orientation de l’Institut Emilie du Châtelet, France Avec: Anija Johansson, coordinatrice et conseillère en charge des questions sur l’égalité des sexes dans une municipalité, Suède Laurie Laufer, présidente du Conseil scientifique de l’Institut Emilie du Châtelet, chercheure associée en psychanalyse, Université Paris Diderot, France Maari Põim, chargée de mission sur l’égalité des sexes, FEPS, Estonie 16h30-‐17h00 : Conclusion par Pia Locatelli, députée, Italie
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PARTICIPANTS Anaïs Anouilh, chargée de mission au secteur Femmes du Parti socialiste, Bernard Bosc, référent 78 Réseau féministe « Ruptures », Agnès Bossuet, présidente du Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) Paris, Amandine Clavaud, chargée de mission aux secteurs International et Études à la FJJ, Monique Dental, présidente fondatrice Réseau féministe « Ruptures », Élisabeth Fenez, présidente de l’Association pour le Développement des Initiatives Economiques des Femmes (ADIEF), experte auprès de la Commission européenne, Anne-‐Marie Grozelier, secrétaire générale du laboratoire social Lasaire, Maryse Huet, experte sur l’emploi et l’égalité professionnelle, vice-‐présidente de l’association Arborus, Marie-‐Thérèse Letablier, sociologue du travail et de l'emploi, directrice de recherche au CNRS, Victoria Man, journaliste, Catherine Morbois, ancienne déléguée aux droits des femmes de la région Ile-‐de-‐France, Marie-‐Claude Vayssade, ancienne députée européenne.