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Le transfert du culturel
dans la traduction dePoisson dor
de Le Clzio
Camilla Skilbred
Masteroppgave i fransk sprkInstitutt for litteratur, omrdestudier og europeiske sprk
Universitetet i OsloHsten 2005
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Le transfert du culturel
dans la traduction de Poisson dor
de Le Clzio
Camilla Skilbred
Veiledet av Antin Fougner Rydning
Masteroppgave i fransk sprkInstitutt for litteratur, omrdestudier og europeiske sprk
Universitetet i OsloHsten 2005
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Remerciements
Je tiens remercier Mme Antin Fougner Rydning,ma directrice de mmoire,
pour ses remarques et ses corrections minutieuses.
Merci galement mes collgues tudiantspour leur aide et encouragement
au cours du travail.
Oslo, novembre 2005
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TABLE DES MATIRES
TABLE DES MATIRES ....................................................................................................... 4
I INTRODUCTION ................................................................................................................. 6
II J.M.G. LE CLZIO LCRIVAIN MYSTRIEUX................................................... 11
1 Repres biographiques........................................................................................................ 11
2 Le style.................................................................................................................................. 132.1 Lart romanesque ou le refus de celui-ci ........................................................................ 14
2.2 Le temps actuel et le monde imaginaire......................................................................... 16
3 Poisson dor.......................................................................................................................... 18
4 Le traducteur ....................................................................................................................... 21
III THORIE.......................................................................................................................... 22
1 Lcole de Paris................................................................................................................... 251.1 La comprhension .......................................................................................................... 26
1.2 La dverbalisation .......................................................................................................... 271.3 La rexpression ..............................................................................................................301.4 La vrification ................................................................................................................34
2 La thorie du Skopos ........................................................................................................... 35
3 Nida et ltude des aspects culturels en traduction .......................................................... 363.1 Equivalence formelle et quivalence dynamique...........................................................36
4 Le transfert du culturel chez Lederer ............................................................................... 394.1 Les lments extra-linguistiques .................................................................................... 394.2 Les lments indissociables la langue ......................................................................... 404.3 Les allusions culturelles ................................................................................................. 404.4 Ladaptation ................................................................................................................... 414.5 La conversion ................................................................................................................. 414.6 Lexplicitation ................................................................................................................414.7 Lethnocentrisme............................................................................................................42
IV ANALYSE ......................................................................................................................... 44
1 Les lments ancrs dans la culture franaise .................................................................. 47
2 Les lments ancrs dans la culture africaine .................................................................. 57
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3 Les lments ancrs dans la culture amricaine............................................................... 70
V CONCLUSION................................................................................................................... 76
1 Le skopos.............................................................................................................................. 762 Les procds employs par le traducteur.......................................................................... 77
2.1 Les emprunts .................................................................................................................. 772.2 Les explicitations............................................................................................................ 782.3 Les correspondances et les quivalences ....................................................................... 79
3 La forme et le sens ............................................................................................................... 81
4 Remarques conclusives ....................................................................................................... 82
BIBLIOGRAPHIE................................................................................................................. 84
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I INTRODUCTION
La traduction est avant tout une activit, un savoir-faire qui se dveloppe par la pratique. La
traductologie, la science de la traduction, est une science relativement nouvelle, ce qui
explique que de nombreux phnomnes nont pas encore t suffisamment approfondis. Ce
mmoire propose de traiter des obstacles culturels que rencontre le traducteur et de
limportance de la comprhension des textes dans leur totalit avant de commencer traduire.
Comment rsoudre les problmes de transfert culturel dans un texte littraire ? Quels procds
sont disponibles au traducteur pour transmettre les lments culturels ? Est-il possible de
conserver aussi bien la forme que le sens au sein dune mme solution ? En traduction
littraire, la forme fait corps avec le sens, et il sagit de garder la couleur locale et ne pasfamiliariser tous les lments trangers. La traduction par correspondances plutt que par
quivalences est-elle le rsultat dune telle approche ? Telles sont les questions auxquelles je
tcherai de rpondre dans mon mmoire. Dans toute traduction il existe toujours une
alternance entre correspondances et quivalences, mais je tiens mettre lpreuve le postulat
selon lequel les quivalences sont la rgle et les correspondances plutt lexception (voir le
chapitre III pour une dfinition de ces termes).
Mme si je trouve quil est important pour un traducteur davoir quelques repres thoriques
et davoir rflchi aux obstacles potentiels la communication avant que ceux-ci se
prsentent, jcris ce mmoire avec la pratique en tte. Contrairement aux traductologues qui
ont crit les ouvrages sur lesquels je me base tout au long du mmoire, et qui ont pratiqu la
traduction pendant des annes, jentreprends cette tude avant de dmarrer une carrire
professionnelle. Cette tude se fonde en une sorte sur une synthse des connaissances que jai
acquises au cours de mes tudes, savoir des connaissances en traductologie, en linguistique,
en littrature, en civilisation et en psychologie.
On distingue entre la traduction pdagogique, pratique par les tudiants comme moyen pour
apprendre une nouvelle langue, et la traduction professionnelle qui consiste essentiellement
restituer un message dans une autre langue pour faire comprendre le sens de celui-ci
quelqu'un. Cette tude est consacre la pratique et aux problmes lis la traduction
professionnelle.
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La thorie interprtative de lEcole de Paris a labor un modle des tapes du processus de la
traduction, et selon ses fondateurs toute ide peut tre exprime dans une autre langue parce
que lon traduit non pas les mots de la langue, mais le sens du message. Le traducteur se doit
de trouver une solution quivalente mme sil nexiste pas de correspondances pertinentes
dans la langue darrive. Chaque langue et chaque culture a sa propre manire dexprimer les
ides, do limportance daller derrire les mots pour saisir le message. Cette thorie
soppose aux conceptions de certains linguistes qui ont proclam que la traduction russie
tait impossible. Selon lhypothse Sapir-Whorf, dveloppe par les linguistes amricains
Edward Sapir et Benjamin Lee Whorf, toutes les langues ont leur propre faon de dcrire, et
donc concevoir le monde, ce qui implique que certaines penses d'un individu dans une
languene peuvent tre comprises par celui qui utilise une autre langue. Je choisis de fonder
lessentiel de mon tude sur la thorie interprtative de la traduction. La thorie du Skopos
telle quelle a t dveloppe par Katharina Reiss et Hans J. Vermeer, ainsi que les points de
vue dEugene Nida sur la traduction du culturel servent de fondement thorique
supplmentaire.
Les thories sont prsentes dans le troisime chapitre de ce mmoire o les concepts cls de
la traduction sont galement introduits. Je propose de regarder de plus prs les tapes du
processus de la traduction, ainsi que les diffrents niveaux dinterprtation.
Comme les thoriciens de lEcole de Paris ont essentiellement fond leur thorie partir de
donnes issues de textes pragmatiques, je me pose la question de savoir si leur thorie est
applicable aussi aux textes littraires. Dans mon analyse, jai choisi de prendre appui sur un
roman parce quil contient des lments qui sont aptes illustrer le sujet trait. Les textes
littraires cherchent raconter des histoires pour faire comprendre. On y trouve des
rencontres avec linconnu. La littrature est strictement lie la culture de lauteur, et lalangue utilise comporte de nombreux implicites culturels.
Dans lanalyse, je prends comme point de dpart le roman Poisson dorde J.M.G. Le Clzio,
paru en 1997, et sa traduction norvgienne, Gullfisken, faite par Ragnar Hovland. Lcrivain
Le Clzio est n Nice en 1940. Souvent dans ses rcits, il voit le monde avec les yeux des
enfants et des adolescents qui nappartiennent pas tout fait la socit dans laquelle ils
vivent, et qui cherchent une identit. La littrature et la traduction ont un but commun : fairepasser un message dune manire comprhensive. Les romans leclziens sont souvent des
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http://fr.wikipedia.org/wiki/Pens%C3%A9ehttp://fr.wikipedia.org/wiki/Languehttp://fr.wikipedia.org/wiki/Languehttp://fr.wikipedia.org/wiki/Pens%C3%A9e -
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rencontres avec lAutre, une multitude de cultures qui se croisent et qui senrichissent. Selon
la thorie interprtative de la traduction on ne traduit pas les mots mais le sens ; le sens
compos dexplicite (ce qui est dit) et dimplicite (le non dit). Pour reconnatre ce dernier, et
ainsi comprendre la totalit du texte, les connaissances culturelles propres chaque langue
sont primordiales. Dans mon analyse jessayerai de dvoiler les procds employ par le
traducteur pour voir si ceux-ci ont rsult en quivalences.
Il est difficile, voire impossible, de crer des traductions acceptables en langue darrive sans
connatre la culture quon dcrit. La thorie interprtative insiste sur la phase de
dverbalisation, mais afin de dverbaliser il faut comprendre. Je compte mettre en exergue la
phase de comprhension ainsi que limportance davoir des connaissances culturelles. Comme
le fait Le Clzio, le traducteur se doit de voir le monde avec les yeux de Lala, la jeune
Maghrbine vendue lge de six ans dans son village au Maroc, qui doit se battre pour
trouver sa place dans le monde. Je veux galement souligner limportance de voir le texte
dans un contexte plus grand, et non pas comme un texte isol.
Lorsque jtais Nice pour le dernier semestre de ma licence (mellomfagstillegg), jai suivi
des cours de littratures dexpression franaise et de littrature compare, et cest l que jai
fait connaissance avec luvre de J.M.G. Le Clzio et ceux dauteurs francophones de
lAfrique, du Canada, du Maghreb et des Antilles. Jai appris que la langue franaise est
beaucoup plus que le franais standard ; cest une langue qui vit dans tous les recoins du
monde, dans des cultures qui sont trs diffrentes les unes aux autres, et o les gens ont
diffrentes manires de sexprimer. Je trouve quil est important de reconnatre le fait quune
partie importante de la littrature francophone vient dendroits hors des frontires de
lhexagone, ou est crite par des personnes qui ont un bagage culturel autre que celui de la
plupart des Franais. La langue franaise contient donc des couleurs supplmentaires, quisont peut tre difficiles transmettre dans une traduction.
Les textes de Le Clzio ont sduit des lecteurs dans le monde entier. Ses derniers romans
surtout ont connu un grand succs de librairie (Labb 1999 : 255). Le Clzio compte parmi les
auteurs franais les plus traduits. Ce qui nous touche, cest peut-tre sa faon de dcrire des
thmes universels tels que la qute dune identit, lerrance, la peur, la douleur, lalination, la
transition de lenfance lge adulte, lamour et la fascination pour le voyage et pourlinconnu.
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Une des raisons pour lesquelles jai choisi Poisson dorest sa faon de dcrire les problmes
de socit auxquels la France fait face actuellement. Plutt que nous montrer la vie de la
bourgeoisie Paris, Le Clzio fonce dans la ralit noire des clandestins et des moins
fortuns. Nombreux sont les auteurs africains qui ont dcrit leur vie en Europe pour prvenir
leurs compatriotes qui rvent dune meilleure existence en Occident. Pour eux, lEurope, cest
le ciel, du moins le ciel rv. Pour les auteurs qui sont dj l, il sagit donc en partie de faire
sortir leurs compatriotes de leurs rves, et de leur faire comprendre que lEurope peut tre un
paradis pour les Europens, mais que pour un Africain notre continent peut ressembler
lenfer. Rappelons que Le Clzio lui-mme est un Occidental, un homme blanc qui aurait trs
bien pu tourner le dos ce genre de problme : des problmes sociaux qui ne le concernent
pas premire vue, mais qui sautent aux yeux ds quon ose les ouvrir. Une prsentation plus
approfondie du roman sera donne dans le chapitre II.
Lanalyse est une tude qualitative, et par consquent javais choisi trois chapitres que je
voulais examiner de plus prs. Il tait cependant difficile de se limiter un corpus si restreint,
alors jai dcid de me concentrer sur trois poques de la vie de Lala. Les exemples seront
tirs des chapitres qui le mieux reprsentent ces poques.
La premire poque dcrit la vie de Lala au Maroc o elle grandit. peine adolescente, elle
se prpare pour le voyage vers lEurope, et la deuxime poque est celle o Lala se trouve
Paris et prsente les impressions de la capitale de la jeune clandestine. Sa faon de concevoir
cette grande ville ne correspond pas celle des touristes qui ne voient que le bonheur et la
beaut de cette ville aux grands monuments, boulevards, cafs et grands magasins. Le
chapitre 7 est intressant puisquon suit Lala lorsquelle fait ses longues promenades de
dcouverte. Il contient galement des lments qui sont probablement trangers pour les
lecteurs franais, puisquil sagit du monde des Africains et des Antillais Paris. Cettemultitude de cultures pose-t-elle un problme pour le traducteur au niveau de la
comprhension ou au niveau de la reformulation en norvgien ? Lun des objectifs de mon
tude est de rpondre cette question.
La traduction sert de lien entre les langues et les cultures, mais Le Clzio nest pas toujours
facile suivre pour le traducteur. Le Clzio saute dun genre lautre, et malgr un
vocabulaire impressionnant il manque de mots. Alors il les invente, ou forme des expressions
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indites. Tout cela reprsente un dfi pour le traducteur qui doit puiser dans sa crativit pour
trouver une solution optimale.
Dans Poisson dor, le style est oral et les mots familiers abondent, alors que les sujets traits
dans le roman demandent plus deffort intellectuel de la part des lecteurs pour tre compris.
Le Clzio exige beaucoup de ses lecteurs, il nous donne des mots-cls, mais cest nous de
les lier un certain fait historique, une religion ou une culture spcifique. Nul doute quil
existe diffrents niveaux de langue dans ce roman, ce qui ne rend pas la tche du traducteur
norvgien facile, lequel doit trouver dautres moyens linguistiques pour exprimer ces
diffrences. Il convient aussi de prendre en compte le niveau de connaissances des deux
groupes avant de commencer traduire.
Seule la pratique peut mener une bonne matrise en traduction, mais pour faciliter la
pratique il est important davoir quelques repres thoriques. Il est vrai quune thorie de la
traduction doit se fonder sur une pratique russie, mais je pense cependant que dans une
analyse il est utile galement de prendre en compte les erreurs pour essayer de les expliquer.
Trs souvent cest lignorance du contexte qui aboutit des solutions errones. Dans lanalyse
du chapitre IV nous regarderons des solutions pertinentes ainsi que quelques traductions que
jai juges moins bonnes.
Je commence par une prsentation de lcrivain Le Clzio, de son roman Poisson doret du
traducteur norvgien. Ensuite nous passerons aux thories sur lesquelles je souhaite prendre
appui, avant de passer lanalyse au chapitre IV. Le dernier chapitre est consacr aux
conclusions tires partir de lanalyse.
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II J.M.G. LE CLZIO LCRIVAIN MYSTRIEUX
Si le langage n'est fait que de mots, il n'est rien du tout. Quelques bruits avec la bouche, quelques gestes,quelques silences : ce n'est pas une musique. Mais quand dans les mots viennent la danse, le rythme, lesmouvements, les pulsations du corps, les regards, les odeurs, les traces tactiles, les appels; quand les mots
jaillissent non seulement de la bouche mais du ventre, des jambes, des mains, quand tout l'air vibre et qu'il y acomme une aurole de lumire autour du visage; quand surtout les yeux parlent, et le regard est une route sansfin qui traverse le cosmos; alors on est dans le langage, dans sa beaut, et il n'y a plus rien de muet, oud'insens
(Le Clzio 1978 : 87-88)
Dans ce chapitre, je tiens vous prsenter lauteur de Poisson dorqui souvent est nomm
lcrivain de rupture par les critiques puisquil rompt avec les genres littraires, et parce
que ses personnages sont souvent sur le point de partir, de rompre avec leur vie actuelle sans
forcment savoir o aller. Tout dabord je propose une brve biographie avant de situerluvre dans le champ littraire francophone et de regarder de plus prs ce qui caractrise le
style leclzien. Dans une deuxime partie, je donne une brve introduction de Poisson dor
afin de prsenter le traducteur norvgien.
1 REPERES BIOGRAPHIQUES
Jean-Marie Gustave Le Clzio est n en 1940 Nice, issu dune famille bretonne qui a migr
lIle Maurice au 18mesicle. Il fait ses tudes de lettres lUniversit de Nice, puis part en
Angleterre pour un stage. la fin des annes soixante il prsente son mmoire de matrise sur
Le thme de la solitude dans luvre dHenri Michaux et commence un projet de thse sur
Lautramont, un projet qui ne sera jamais achev. Il effectue son service militaire en
Thalande, et entreprend des voyages au Mexique. Plus tard il travaille comme professeur
invit par lUniversit du Nouveau-Mexique o il enseigne la littrature.
Entre 1969 et 1973 Le Clzio fait des sjours chez les Indiens Embera au Panama, ainsi
que des sjours au Mexique, qui le transforment en pote. Il apprend deux langues indiennes,
et il reste trs marqu par leur civilisation (Bre 1990 : 17). Cest le voyage effectu lge de
huit ans au Nigeria pour retrouver son pre qui lavait pouss crire. Le petit garon timide
qui est le plus laise avec un stylo la main se met rdiger deux romans lors de son sjour
en Afrique. Il est fort heureux que lhorreur quil prouve pour les institutions scolaires ne la
pas empch de sexprimer ! Jean Onimus caractrise Le Clzio de temprament non actif, etle classe parmi les grands philosophes (1994 : 15). Onimus le classe galement de sur-motif,
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cest dire quelqu'un qui trouve laction extrmement fatigante, et qui a une forte sensibilit
envers ce qui lentoure (op.cit. : 15). Linaction est perue comme provocante par ceux qui
favorisent laction tout prix, mais devient une protestation silencieuse contre ceux qui ne
pense qu fabriquer des objets. Pour un grand nombre des personnages leclziens il suffit de
vivre, de vagabonder et dobserver plutt que de travailler pour obtenir des rsultats concrets.
Les ouvrages qui ont t consacrs Le Clzio sont utiles pour comprendre lauteur, mais ce
qui a vraiment illumin la personnalit de Le Clzio est son propre rcit LAfricain, un
portrait de son pre, qui pendant toute sa vie professionnelle tait mdecin militaire en
Afrique. Lcrivain na connu son pre qu lge de huit ans, lorsque sa mre emmne ses
deux fils pour vivre auprs de lui au Nigeria. La vie de Le Clzio change compltement
partir de larrive sur le continent africain; jusque l, il avait vcu dans un petit appartement
Nice avec sa mre, son frre et dautres membres de la famille pendant les annes de guerre.
Tout dun coup le petit garon se trouve dans la brousse africaine devant ce pre inconnu qui
parat si diffrent des hommes quil a connu en France. Le jeune Le Clzio fait alors la
connaissance dun homme qui est plus africain que franais dans sa faon de vivre et de
penser, et qui dteste le colonialisme. Plus tard Le Clzio va adopter cette attitude et il se
posera des questions sur son appartenance la race des colonisateurs : Est-ce ma faute, si je
suis de la race des voleurs ? Le blanc a toujours tout vol tout le monde. Les juifs, les
arabes, les hindous, les chinois, les ngres, les aztques, les japonais crit-il dans Le livre
des fuites(1969 : 249).
Le petit Le Clzio grandit dans un village o lui et son frre an de deux ans sont les seuls
enfants blancs. Pour lui lAfrique reprsente la libert totale du corps et de lesprit (2004 :
16), une libert qui nest restreinte que par la discipline rigoureuse de son pre. Il a donc
connu le sentiment dtre diffrent lors dun trs jeune ge. Il se sent toujours part lorsquilrentre Nice pour faire ses tudes au lyce Massna. La transition de la vie africaine est
ressentie difficile pour ladolescent qui prfre rester seul pour crire. Ces expriences
expliquent pourquoi il est si facile pour Le Clzio adulte de se mettre dans la peau des
hommes opprims et sous-estims par lOccident : Les Africains aussi bien que les Indiens de
lAmrique du Sud.
Ses voyages ont beaucoup influenc sa faon de considrer le monde et sa faon de penser.Lcrivain rejette la socit de consommation qui fait de lhomme un esclave. Il est en qute
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de lexprience originelle, de lhomme naturel. En fonction de ses observations il est plutt un
conteur et un porte-parole qui reste toujours du ct des minorits quun crivain. En 1978, Le
Clzio se dclarait citoyen franais-mauricien appartenant la culture occidentale
(Bre 1990 : 14). Malgr son appartenance officielle la culture occidentale, Le Clzio est
un crole jusque dans son esprit de rvolte, son indignation devant lexploitation coloniale,
son rejet de la barbarie industrielle, mais aussi dans son attrait pour la mer, la lumire et les
espaces toujours libres du rve crit Jean Onimus dans son tude sur luvre de Le Clzio
(1994 : 12). Lors dun entretien en 1994, il confie Catherine Argand que la langue
franaise est mon seul pays, le seul lieu o jhabite . DansHail dit je ne sais pas comment
cela est possible, mais cest ainsi : je suis un Indien (1971 : 78). On voit alors un mtissage
de penses chez un homme qui garde lesprit ouvert envers le monde.
LAfricainnest sorti quen 2004, et je lai donc dcouvert aprs avoir lu les autres ouvrages
sur Le Clzio et pendant que jtais en train dcrire ce chapitre. Heureusement il est arriv en
Norvge peu de temps aprs sa sortie en France. Cet ouvrage illumine la vie de lauteur de
manire extraordinaire travers les paroles de lcrivain lui-mme.
Rarement voit-on une uvre qui est aussi troitement lie la vie de lauteur. Non seulement
dans les essais o il parle avec sa propre voix, mais aussi dans les romans. Par consquent, la
biographie de Le Clzio devient importante pour la comprhension des textes, et peut aussi
rendre le travail du traducteur plus facile dans la phase de comprhension. Le Clzio
sapproche beaucoup des crivains de lautre ct ; ceux qui ont leurs racines dans un
autre pays francophone et qui doivent se confronter cette dualit culturelle qui leur est
impose.
2 LE STYLE
Le style de Le Clzio parat simple ; il ne veut pas dornements ou de mtaphores excessives.
Il cherche la puret du style et la prcision des sensations. Pour ce faire, il puise dans ses
facults sensorielles lorsquil nous prsente le monde. Selon lui, il faut ouvrir les sens pour
vivre dans le vrai sens du terme. Il faut regarder, couter, sentir et goter, et prendre le temps
de savourer les impressions. Cette innocence face au monde est souvent contamine chez les
adultes par la mfiance, le cynisme et lignorance, do le choix frquent de Le Clzio davoir
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recours aux enfants comme protagonistes dans ses romans. La description du moment o
Lala de Poisson dorvoit la France pour la premire fois aprs avoir travers les montagnes
entre lEspagne et la France avec le passeur, montre bien la langue potique de Le Clzio :
On a pass le col la tombe de la nuit. Le fond des valles tait tapiss de brumelaiteuse, une fume sans feu. Jai dit a Houriya : Regarde, cest la France. Cest
beau [] Ctait si beau, cette valle ouverte, la rivire de brume. Jai pens quemme si on mourait maintenant, a naurait pas dimportance, parce quon aurait tici, en haut de la montagne, on aurait vu cette valle immense, pareille une porte(1997 : 102).
Pour Le Clzio, il existe un lien troit entre la musique et la littrature. Jacques-Pierre Amette
a dit avec pertinence que cet crivain sait dcrire comme personne la douceur du soir, les
tendues deau, les nuages, la scintillation des villes, le vent, l ensauvagement intrieur,
lnigme que reprsente le simple fait dtre vivant. (2003 : 106).
2.1 Lart romanesque ou le refus de celui-ciLattitude de Le Clzio envers les genres littraires est transgressive, voire rvolutionnaire. Il
cherche mlanger les genres pour ne pas tre plac dans une catgorie fixe. Les romans
ressemblent souvent des essais, et les essais ont des traits romanesques comme dans
LInconnu sur la terre, un essai selon la couverture, mais qui contient un caractre fictif
nomm le petit garon inconnu .
Le procs-verbala t crit en pleine priode du Nouveau Roman ; une tendance littraire en
France des annes 1950 qui rejetait le roman traditionnel pour un roman dont lobjet tait
lacte dcrire et non pas la structuration des personnages autour dune intrigue. Le Clzio est
parfois class dans la catgorie des nouveaux romanciers, parmi des auteurs comme Alain
Robbe-Grillet, Michel Butor, Nathalie Sarraute et Marguerite Duras, tandis que dautres le
classe comme scandaleusement inclassable. Au lieu de mettre lcrivain dans une catgorie
spcifique, nous pouvons dire que la diffrence entre ce groupe dcrivains et Le Clzio rside
dans le fait que ce dernier na pas tent de faire une nouvelle thorie du roman, mais plutt
dispers la critique partout dans luvre. Il partage cependant certaines ides de ses
contemporains concernant ce qui constitue un roman. La posie, les romans, les nouvelles
sont des singulires antiquits qui ne trompent plus personne, ou presque , dit-il dans le
prologue de La Fivre (1965 : 8). Il continue dans LExtase matrielle: Les formes que
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prend lcriture, les genres quelle adopte ne sont pas tellement intressants. Une seule chose
compte pour moi : cest lacte dcrire. (1967 : 106-107). Comme les nouveaux romanciers,
Le Clzio condamne la psychologie et lanalyse psychologique des personnages. Dans
LInconnu sur la terre il crit : La faillite de la psychologie est tout entire dans son
intelligence. Car enfin, de quoi parlons-nous ? Parlons-nous des problmes de la socit, de la
pluie et du beau temps, des jeux de socit et des histoires drles ? Si oui, la psychologie
rpond parfaitement. Mais si nous parlons de lme, des motions, de lintrieur brlant et
remuant au fond de notre corps, comment imaginer que ces rgles et ces associations dides
vont russir en rendre compte ? (1978 : 85). Les personnages de Le Clzio sont
transparents dans le sens o il restreint les renseignements un strict minimum. Sur Lala de
Poisson doron sait quelle est sourde dune oreille, quelle a la peau trs noire et quelle ne
connat pas son vrai nom. Cette description est cependant plus dtaille que celles des
premiers romans. Comme le remarque Michelle Labb, les descriptions sont souvent limites
trois lments, notamment les vtements, la chevelure et le regard (1999 : 88).
Dans la littrature francophone contemporaine, Le Clzio se situe prs des crivains de
lautre ct , ceux qui se servent de la langue franaise pour sexprimer mais qui se
trouvent entre deux ou plusieurs cultures et dont le franais nest pas leur seule et unique
langue. Le Clzio ne se trouve pas dans la mme catgorie que Rachid Boudjedra (1941- ),
auteur algrien qui a commenc crire en franais, mais qui depuis 1982 crit
principalement en arabe, sa langue maternelle. On ne peut pas non plus le catgoriser avec des
crivains tels que Nina Bouraoui (1967- ), issue dun mariage mixte entre une femme
franaise et un homme algrien. Nina Bouraoui rpte plusieurs reprises quelle ne se sent
ni algrienne, ni franaise et cette agitation occupe une trs grande partie de son uvre.
Lagitation provoque par le manque dappartenance se manifeste galement chez Le Clzio,
mais ce dernier ne porte pas les marques extrieures quon ne peut jamais effacer et qui psentlourd dans une socit qui divise le monde en noir et blanc. Il est apparemment plus difficile
de vivre en Occident pour ceux qui ont la peau fonce que pour un grand blond qui selon un
journaliste ressemble la star amricaine Brad Pitt (Enthoven : 2003), alors que les
apparences peuvent souvent tromper. Sous la chevelure blonde de lcrivain culte se cache
des mystres et un engagement sincre pour prserver la plante et tout ce qui y vit. Pour bien
lire Le Clzio il faut, daprs Jean Onimus, disposer dun atlas, dune flore mondiale, de
bons livres sur les Mascareignes, sur lAfrique, en particulier le Maroc, et sur le Mexique
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(1994 : 172). Bilingue (franais et anglais), il est aussi fortement inspir par des crivains
anglophones tels que J.D. Salinger, Samuel Beckett et James Joyce.
2.2 Le temps actuel et le monde imaginaireUne grande partie des histoires leclziennes se droule dans les rves, o la vie relle se mle
la vie rve. Laspect onirique, ou ce qui est relatif au rve, senracine dans lesprit de
lenfance. Lenfant occupe une place primordiale dans luvre leclzien. Dans Linconnu sur
la terreil proclame que les enfants clairent, ils sont la lumire. Les enfants sont semblables
aux pauvres, aux nomades, et deux vient le mme sentiment de force, de vrit, le mme
pouvoir, la beaut. [] Les enfants sont magiques, les seuls tres absolument magiques
(1978 : 225).
Dans Voyages de lautre ctde 1975, on trouve des lments fantastiques. La conteuse du
rcit est une femme serpent, capable de toutes les mtamorphoses. Naja Naja voyage travers
les toiles, et elle entre dans les rves des gens qui dorment. Elle se transforme en lumire,
eau et feu pour raconter et pour vivre en intimit avec les lments naturels (Onimus 1994 :
115). Onimus remarque que Le Clzio tente de dire toute la ralit, mme ce qui est au-del
des mots, tout en se servant encore des mots (op.cit. : 157). Dans Ha, Le Clzio dit lui-
mme que le langage est une expression de lunivers modifie par la bouche des hommes
(1971 : 15).
Notre faon de voir le monde nous est impose par notre culture, et Le Clzio veut sortir de ce
modle pour voir avec ses propres yeux sans les contraintes habituelles. La ville et la foule
sont deux images dont lcrivain se sert souvent pour illustrer cet touffement permanent qui
simpose sur les hommes. La ville rend lhomme dpendant comme une drogue et la foule est
un monstre qui dvore les individus. De lautre ct on trouve la nature et lhomme seul qui
prend ses distances avec la civilisation capitaliste pour aller vers lexprience originelle et
ltat pur. Ces contradictions donnent luvre une certaine dynamique sans pour autant
tomber dans la navet. Chez Le Clzio, on trouve une apprciation des lments naturels : le
soleil et la lumire, la terre, les montagnes, la pluie et surtout la mer. Il prconise la
contemplation et la description des dtails, plutt que lavancement de laction.
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Dsert(1980) reprsente un changement, mme si on trouve toujours des lments magiques
et fantastiques dans les rcits les plus rcents. Dans les annes 80 lcrivain entre dans la
problmatique sociale et politique, et cet engagement attire le grand public. Les tout premiers
rcits sont plus fragments que ceux qui ont suivi Dsert; on saute dune histoire lautre,
tantt on se trouve dans le temps rel, tantt dans un rve, dans la tte dun personnage autre
que le protagoniste ou bien dans un autre temps. On ne suit pas forcment une intrigue qui se
droule du dbut jusqu la fin du roman, mais plutt une srie de penses qui nont pas
toujours grand-chose voir les unes avec les autres. Il y a une diffrence entre les premiers
romans leclziens et les plus rcents en ce qui concerne non seulement la volont de se
conformer aux normes littraires, mais aussi quant la faon de raconter les histoires.
Michelle Labb parle dune certaine volution vers une plus grande cohrence narrative
(1999 : 265), ce qui se voit en comparant Poisson dor (1997) nimporte quel rcit apparu
avant 1980.
Michelle Labb se pose la question de savoir si les derniers romans montrent une soumission
aux normes littraires. Elle se demande si la cohrence narrative est signe de fatigue de la
lutte et fatigue de la qute ? Les uvres nouvelles reprsentent-elles une soumission ? Le
Clzio a-t-il simplement cd au pur plaisir de raconter, plaisir que trahissent les voix de ses
fictions ? (1999 : 52).
Pour son premier romanLe procs-verbal, sorti en 1963, Le Clzio obtient le prix Renaudot.
Depuis, il na cess dcrire et son uvre comporte aujourdhui autour de quarante ouvrages
et de multiples articles. En 1980 il obtient le prix Paul Morand de lAcadmie franaise pour
luvre totale. J.M.G. Le Clzio est aujourdhui en tte des meilleures ventes en France, et il
est de plus en plus tudi dans les collges, lyces et universits.
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3 POISSON DOR
Dans ce rcit, on suit le chemin de la protagoniste Lala pendant une priode de quinze ans.
lge de six ou sept ans la jeune fille est vole dans son village au Maroc, et vendue Lalla
Asma, une vieille dame du mellah, le quartier juif. Heureusement, Lalla Asma voit en elle
beaucoup despoir. Lala apprend lire et crire, deux aptitudes qui vont laider sortir de la
misre quelle doit vivre ultrieurement. Aprs la mort de sa matresse quelques annes plus
tard, Lala entreprend un long voyage et une qute de soi qui ne sera acheve qu lge
adulte. Elle part vers lEurope o elle dcouvre la misre Paris et Nice, ensuite sa qute de
bonheur lemmne aux Etats-Unis. Elle fait un vritable parcours de ce grand continent ;
Boston Chicago, et prend ensuite la route vers la Californie. Cependant, son but nest atteint
que lorsquelle rentre son village natal au Maroc quinze ans aprs le rapt. Partout o elle va,
il y a toujours quelquun qui tente de lenfermer et de la contrler, ce qui fait quelle apprend
trs vite fuir les dangers et viter les piges. Lala se faufile dune situation lautre, elle
glisse comme un poisson, do le titre du roman. Ainsi, ses adversaires sont prsents comme
des filets tendus un poisson (Boulos 1999 : 53).
Lessentiel de luvre de Le Clzio est la qute spirituelle, et dans Poisson dor la mort-
renaissance de Laila se rpte plusieurs reprises. Selon Miriam Stendal Boulos lerrance
interminable des peuples sans attaches constitue le leitmotiv de Poisson dor (op.cit. : 53).
Cest un roman de Beurs (arabes en France) et dimmigration, et les personnages vivent dans
un nant social. On voit toujours des contrastes qui sopposent. Les lments exotiques
sopposent ce qui est normal . Les noms exotiques comme Nono, Houriya et El Hadj
sopposent des noms franais tels que Raymond, Batrice, Simone et Jean. Lopposition
intrieur/extrieur et haut/bas apparat aussi plusieurs fois. Paris aucun monument nest
mentionn, et elle habite toujours dans un environnement cach.
Comme toujours chez Le Clzio, les personnages sont dcrits par fragments. Lala nest pas
uniquement un poisson dor, mais aussi un camlon. La transformation de Lala a dj t
prfigure dans Dsert sorti en 1980, o le protagoniste Lalla quitte son bidonville, va
Marseille, se mtamorphose, sadapte puis devient une vedette de la photographie. Certains
critiques ont reproch Le Clzio de se rpter dun roman lautre. Lcrivain lui-mme se
dfend en disant quil ncrit pas des romans isols, mais quil travaille toujours sur le mmeuvre. Il ne considre pas ses uvres comme des romans isols, mais comme un tout
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(op.cit. : 54). Lors dune interview publie dans Le Point il avoue toujours crire le mme
livre, et de remettre sans cesse ses pas dans ses pas (Enthoven : 2003).
Lhistoire de Lala est une ascension ; elle meurt pour renatre et pour chaque tape dans le
processus elle a un mentor. Cest une mort symbolique, et chaque fois elle renat meilleure.
Le changement de nom en est un exemple. Sous une structure logique se cache les pulsions de
linconscient. Elle refuse des limites existentielles ; elle renat, nergie retrouve aprs chaque
enfermement. Au total, on trouve 28 scnes de fuite et de dpart, ce qui marque une preuve
dinstabilit, o chaque sance de stabilit est provisoire. Lala est une hrone du monde
moderne. Son profil est ambigu ; elle est tout le temps tire entre la curiosit et la mfiance.
Malgr toutes ses transformations elle reste fidle elle-mme, elle ne se transforme pas selon
les normes de la socit dans laquelle elle vit. Elle est un tre libre, recentre sur elle-mme.
La musicalit est un trait commun des crits leclziens. Dans Poisson dorla musique rythme
le vcu de Lala. Lorsquelle se trouve toute seule Paris les vibrations de la musique dans les
couloirs du mtro entre dans son corps et lui donne de lespoir, tandis qu Boston, lorsquelle
va mal, un rythme lourd rsonne dans son ventre et le bruit de la basse lui fait mal.
Le texte comporte plusieurs langages, et cest entre autres pour cette raison quil est
intressant dun point de vue traductologique. Quant au style, on trouve des lments dun
niveau de langue familier, comme a , il y a et une abondance de phrases clives
comme ce qui tait bien, ctait . Comment est-il possible de conserver les diffrents
niveaux de langue dans une traduction en norvgien ?
Lactualit de Poisson dor vient dtre mise en exergue par lhebdomadaire norvgien
Morgenbladet, lequel consacrait en dcembre 2004 six pages au sujet de limmigrationclandestine vers lEurope par Ceuta, une enclave espagnole. Ce port qui se trouve sur la cte
marocaine est pour certains la porte du paradis europen . Ceuta et Melilla sont des villes
en territoire marocain qui appartiennent lEspagne, et qui font partie de lespace Schengen.
Ce statut suscite cependant une contrebande vigoureuse o les hommes sont des marchandises
sur le mme plan que les cigarettes et les drogues. Dans les journaux franais on trouve de
nombreux articles sur ce sujet, mais le fait que les mdias norvgiens sy intressent prouve
que le roman de Le Clzio est aussi important et intressant pour des lecteurs norvgiens.Malheureusement, lhistoire de la protagoniste, Lala, ne sort pas dun monde purement fictif.
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Si Lala est un personnage invent par le romancier, les personnes qui sont dcrites dans
larticle norvgien, en revanche, sont bien vivantes. Parmi eux on trouve Jean, Malien de 25
ans qui mange des rats pour survivre, Chaka qui montait dans un camion avec 63 autres
clandestins, dont 11 taient dj morts larrive leur destination, et Amin, jeune garon de
14 ans qui fait la manche dans les rues de Tanger (Grahn : 2004). Avant darriver la
nouvelle terre de toutes les promesses, il faut cependant traverser le dtroit de Gibraltar, le
dtroit de la mort pour une grande partie des jeunes Africains qui rvent dune meilleure
existence.
Poisson dora connu un grand succs en France aprs sa parution en 1997, considr plus
grand public que les premiers romans de Le Clzio. Le roman a galement fait lobjet de
beaucoup dattention dans les milieux universitaires.
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4 LE TRADUCTEUR
Lhomme qui a traduit Poisson doren norvgien sous le titre de Gullfiskenest un crivain
connu en Norvge. Ragnar Hovland est n Bergen en 1952, et son enfance a t marque par
des ruptures et des dmnagements, tout comme celui de Le Clzio. Son pre tait pasteur et
devait dmnager en fonction de ses missions dans le sud-ouest de la Norvge. Par
consquent lcrivain se reconnat dans les sentiments de Le Clzio et de ses personnages.
Hovland crit en no-norvgien, la plus ancienne mais aujourdhui la moins utilise des deux
formes officielles de la langue norvgienne, ce qui explique en partie pourquoi ses romans
nont jamais atteint le grand public.
Luvre de Hovland comporte une bonne trentaine de romans, ainsi que des pomes, des
pices de thtre, des nouvelles, des articles et des essais sans oublier de nombreux livres pour
enfants et adolescents. Hovland et Le Clzio ont encore dautres traits en commun. Ils
naiment pas refaire leur travail, donc ils rflchissent avant de coucher les mots sur papier.
Dans leurs romans un personnage part souvent en voyage pour se dbarrasser dune agitation
intrieure. Ladjectif hovlandsk, qui est utilis par les critiques pour dcrire son style
particulier, comporte selon Hovland plusieurs lments. Tout dabord le thme de voyage etde qute, le plus souvent effectu dans lOuest de la Norvge entre les montagnes et la mer,
souvent dans le vent, le froid et sous la pluie. Deuximement il y a cette nostalgie quon
prouve sans forcment savoir do elle vient ou comment la faire disparatre, tout comme le
sentiment que tout est passager, et la fin invitable (Opedal : 2002). cela, jaimerai ajouter
son humour curieux qui marque ses textes et qui reste un trait caractristique de son style
dcrivain.
On peut se poser la question de savoir si les romanciers sont particulirement aptes aux
traductions littraires ? Comme ils ont probablement dvelopp leur propre style, lequel ne
concide pas forcment avec celui de lauteur traduire, il est intressant de savoir sils
prouvent du mal reformuler un texte dans leur propre langue sans laisser trop de traces de
leur propre voix.
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III THORIE
La traductologie est une science relativement nouvelle par rapport la linguistique. Elle est
ne dun fort besoin de dcrire la traduction vue aussi bien comme produit que processus
partir dune pratique russie, et de proposer des critres susceptibles de distinguer une bonne
traduction dune mauvaise.
Lhypothse Sapir-Whorf applique la traduction prsente une vue pessimiste sur la
traduction, du fait que rien nest traduisible parce que chaque langue reprsente des ralits
diffrentes, et dcoupe le monde sa manire. Il sensort quil nexiste pas de
correspondances dune langue lautre. La linguistique structurale suit cette ligne de pense,
et rend la traduction impossible puisque les signes des diffrentes langues nont pas la mme
valeur. Prenons par exemple le mot moutonen franais. Pour le traduire en anglais, il faut le
situer dans un contexte prcis. Sil sagit dun mouton quon voit dans un pr, il se traduira
par a sheep, sil sagit de ce qui se trouve sur une assiette, il se traduira par mutton. La
traduction du mot anglaisyouvarie galement en fonction de la situation o il est exprim ; si
on se trouve dans une situation formelle (vous) ou familire (tu). Comme il nexiste pas de
correspondances entre tous les mots, dun point de vue linguistique ces mots sont
intraduisibles. Or, dun point de vue traductologique labsence dun terme dans une langue
pour rendre le terme dune autre langue nimplique pas que le terme soit impossible
traduire, mais seulement impossible transcoder (voir la dfinition de ce terme ci-aprs).
Il nest donc pas surprenant quune nouvelle thorie susceptible dexpliquer la possibilit de
traduire des textes, en dpit de lintraduisibilit de certains mots et tournures syntaxiques, ait
vu le jour. Si la traductologie est une science nouvelle, il nen reste pas moins que la pratiquede la traduction date depuis lre des temps.
Il convient de distinguer la traduction linguistique, o seules les connaissances purement
linguistiques interviennent lors du processus de la traduction, sans rfrence la ralit, de la
traduction interprtative o lon traduit non pas des mots isols, mais des textes entiers situs
dans une situation de communication. La traduction linguistique est une traduction mot par
mot, une recherche des correspondances lexicalises. Pour le traducteur professionnel, lesproblmes dintraduisibilit sont plutt des faux-problmes ; il ne sagit pas de trouver des
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correspondances pour chaque mot, mais plutt de transmettre le sens du texte qui se cache
derrire lensemble de mots.
Le terme traductologie est dans ce mmoire utilis pour dsigner la discipline scientifique
qui cherche dcrire le processus de la traduction et les produits issus de celui-ci.
Le terme traduction dcrit et le processus de la traduction et les produits rsultant de ce
processus. Dans les diffrentes thories, le terme traduction na pas la mme dfinition, et
ceci est une des raisons pour lesquelles il est difficile de les comparer.
Je me sers galement des appellations texte de dpart (TD) pour dsigner le texte
traduire et texte darrive (TA) pour le produit final, ainsi que langue de dpart (LD)
pour dsigner la langue dans laquelle le texte original est crit, et langue darrive (LA)
pour la langue de la traduction. linstar des traductologues de lcole de Paris (voir ci-
aprs), je fais la diffrence entre traduction pdagogique et traduction professionnelle .
Cette premire nest quun outil dans lapprentissage des langues trangres, et ne sera donc
pas trait dans ce mmoire, tandis que la traduction professionnelle est un acte de
communication qui cherche faire comprendre un discours un nouveau public.
En traductologie, on peut distinguer plusieurs coles thoriques diffrentes. Lcole
Suprieure dInterprtes et de Traducteurs (ESIT) o sera dveloppe la thorie interprtative
de la traduction (TiT) voit le jour Paris en 1956. Cette cole, o seront forms les interprtes
de confrence et les traducteurs qui adoptent la dmarche interprtative, sera prsente en
dtail dans les pages qui suivent. Dans les annes 1960, on voit natre la voie thorique qui se
base sur le principe deffet quivalent, avec Nida aux tats-Unis et avec Newmark en
Angleterre. La russite dune traduction se mesure par leffet quelle produit sur les lecteurs :si la traduction produit le mme effet sur les lecteurs que loriginal a fait sur les siens, la
traduction est russie. Leur dfinition d quivalence na cependant rien voir avec la
notion dquivalence de la TiT. En Allemagne dans les annes 1980, Vermeer et Reiss
dveloppent la thorie du Skopos qui souligne limportance de la finalit du produit final,
laquelle peut diffrer de celle du texte original. En plus de ces trois thories sur lesquelles je
prendrai appui dans ce mmoire, on peut aussi mentionner la thorie qui se fonde sur le
principe de la pertinence propose par E.A. Gutt, ainsi que la Manipulation School ,reprsent entre autres par Gideon Toury et Susan Bassnett, laquelle est inspire par le
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formalisme russe.
La TiT sert de thorie de base dans ce mmoire, mais la thorie du Skopos de Reiss &
Vermeer, ainsi que quelques ouvrages dE.A. Nida, traitant de laspect culturel en traduction,
seront inclus galement. Mme si Nida tire la plupart de ses exemples des traductions de la
Bible, ceux-ci ne manque pas de pertinence pour dautres types de texte.
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1 LCOLE DE PARIS
Rejeter le sens en traduction, comme ont pu le faire en linguistique les Bloomfield ou les
Harris, ce serait rejeter la parole, cest--dire le discours et sa finalit. Se limiter au code, ceserait renoncer au souffle de vie que lhomme donne la langue lorsquil sen sert pourcommuniquer avec ses pareils.
(Marianne Lederer dansInterprter pour traduire, 1986 : 26)
Danica Seleskovitch, interprte de confrence de grande renomme, a dvelopp la thorie
du sens dans les annes 1970. Dautres thoriciens ont plus tard montr que ses principes de
linterprtation orale taient valables aussi pour la traduction des textes crits. Par consquent,
la thorie mrite lappellation de thorie gnrale de la traduction . E. Cary tait un des
premiers traductologues se fonder sur linterprtation de confrence pour expliquer la
traduction crite, alors que Seleskovitch en a dgag une thorie, Jean Delisle a propos une
mthode de traduction qui se base sur cette thorie. Nous allons regarder de plus prs les
tapes du processus de la traduction dans les pages qui suivent.
La thorie de Seleskovitch, qui plus tard a t baptise la thorie interprtative de la
traduction , tait une sorte dantithse la stylistique compare qui dominait la scne de la
traduction en France dans les annes 1960 et 1970. Dans Stylistique compare du franais et
de langlais (la SCFA), les auteurs J.P. Vinay et J. Darbelnet souhaitaient dvelopper une
technique nouvelle pour aborder les problmes de la traduction. Dans toutes les langues, il
existe des expressions figes et des tournures qui peuvent toujours tre traduites de la mme
manire, alors pour faciliter la tche du traducteur ils ont essay dassembler les cas o le
passage de la langue A la langue B est une porte troite qui nadmet quune solution
(1977 : 21). Pour ce faire, ils ont observ le fonctionnement dune langue par rapport une
autre, et confront la stylistique franaise et la stylistique anglaise pour dgager les lignes
gnrales de transfert (1977 : 27). Vinay et Darbelnet supposent que la traduction est avant
tout une discipline compare (1977 : 25), tandis que Jean Delisle dit clairement que traduire
nest pas comparer (1984 : 94). Daprs Delisle, la SCFA est avant tout un instrument
dobservation du fonctionnement de deux systmes linguistiques, et non une mthode de
traduction proprement dite, qui est un acte de communication et une interprtation du sens
(1984 : 92).
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En 1994, Marianne Lederer, qui plus tard allait assumer les fonctions de directrice de lESIT,
a critLa traduction aujourdhui, une synthse du travail quelle a effectu durant sa longue
carrire. Ce livre est consacr au processus de la traduction et son caractre universel
indpendant des paires de langues ou de luvre dun auteur particulier. Elle voulait montrer
que la dmarche du traducteur est fondamentalement la mme quel que soit le type de texte
traduire, et accompagne sa thorisation dabondants exemples tirs de la littrature et des
textes pragmatiques.
Le processus interprtatif de la traduction consiste dgager les ides, rverbaliser et vrifier,
et tout est, comme lindique le nom, interprtation. Le texte est lobjet et la raison dtre de la
traduction professionnelle, contrairement la traduction linguistique laquelle opre aux
niveaux du smantisme lexical (la langue hors emploi) et non sur le niveau de la mise en
uvre dune langue (au niveau de la parole en termes saussuriens).
La TiT divise le processus de la traduction en trois tapes : la comprhension du discours
original, la dverbalisationdes units de sens et larexpression de ces units par un nouveau
discours. Pour sassurer que sa traduction est russie, le traducteur passe aussi par une phase
de vrification.
1.1 La comprhensionComme le dit Delisle : On ne traduit bien que ce que lon comprend bien (1993 : 85). Afin
de mieux comprendre le texte traduire, il convient pour le traducteur de se poser un certain
nombre de questions. Quel est le genre du texte traduire ? Quand et o a-t-il t crit, et par
qui ? Quel est lobjectif et quel est le message du texte ? Comment le message est-t-il
structur ? Il convient galement de remarquer les effets stylistiques et le niveau de langue
employ. Les rponses ces questions seront utiles plus tard dans le processus. Si le
traducteur ne connat quun fragment du texte, il a affaire un macro-signe. En aucun cas un
texte nest compris au seul plan de la langue dans laquelle il est rdig, il y aura toujours une
association de connaissances linguistiques et extra-linguistiques. Les macro-signes ne
suscitent que des hypothses de sens, contrairement au texte entier dont on peut dduire le
vrai sens. Les phrases spares de leur contexte nont que des virtualits de sens. Le sens, et
non la langue, est lobjet de la traduction (1986 : 17). La distance entre le traducteur et le texte
est plus grande que celle qui spare linterprte du discours oral, qui se trouve en pleine
situation de communication (Lederer 1994 : 18). Pour cela il est important pour le traducteur
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des textes crits de saisir tous les paramtres qui puissent aider sa comprhension du texte.
Le but du traducteur dans cette premire phase est de saisir le sens du texte. Le sens peut tre
peru comme un iceberg ; la partie explicite est visible au dessus de leau, alors que la partie
implicite cache importe tout autant. Pour comprendre les implicites, le traducteur se sert de
ses complments cognitifs qui sont composs par le bagage cognitif ( savoir ses
connaissances sur le monde), et par le contexte cognitif constitu par les connaissances
acquises la lecture du texte.
Lederer nest pas daccord avec les linguistes qui postulent quil y a deux tapes dans la
comprhension des textes : premirement la comprhension de la langue et deuximement la
dduction du sens. Pour elle, la saisie du sens nest pas le produit dtapes successives mais
dune seule dmarche de lesprit. Selon Lederer : on ne comprend pas un texte dabord au
niveau de la langue, puis celui du discours, mais demble au niveau du discours (1994 :
25). Dans son exprience dinterprte de confrence, elle a dcouvert que sarrter sur des
significations dans le flot continu du discours fait obstacle lapparition du sens (1994 : 26).
Linterprte na pas le temps de se souvenir de chaque mot qui est prononc, alors ce qui reste
dans son mmoire cest le vouloir-dire de celui qui parle. Ce qui nous amne la phase de
dverbalisation.
1.2 La dverbalisationLa phase de dverbalisation est un apport important de la TiT la traductologie. Au lieu de ne
mentionner que la comprhension et la rexpression, on sarrte sur ce qui se passe dans le
laps de temps entre la disparition des signes linguistiques et ce qui reste dans la tte du
traducteur. On ne transmet pas les mots dun texte, mais le message, et pour dgager le sens
de celui-ci intervient la phase de dverbalisation. On entre dans une phase smasiologique, o
les signes sur lesquels viennent se greffer les complments cognitifs se transforment non pas
en dautres signes, mais en des ides. Puis, dans la phase onomasiologique, ces ides sont
converties, une fois de plus avec ladjonction des complments cognitifs, en un nouveau
systme de signes. Daprs Delisle, le sens est ce quoi un signe renvoie lorsquil sinsre
dans un nonc concret (1984 : 59). Jean-Paul Sartre a dit par rapport un ouvrage littraire
que le sens nest pas la somme des mots, il en est la totalit organique (Lederer 1994 : 24).
Ceci est galement valable pour le discours en interprtation et pour les textes en traduction.
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Daprs Lederer, le sens est un ensemble dverbalis, retenu en association avec des
connaissances extra-linguistiques (1994 : 24). Seleskovitch dlimite le sens de la faon
suivante dansInterprter pour traduire:
Le sens dune phrase cest ce quun auteur veut dlibrment exprimer, ce nest pas laraison pour laquelle il parle, les causes ou les consquences de ce quil dit. Le sens nese confond pas avec des mobiles ou des intentions. Le traducteur qui se ferait exgte,linterprte qui se ferait hermneute transgresserait les limites de leurs fonctions(1986 : 269).
Lessentiel est daller derrire les mots , cest dire de se dtacher des signes linguistiques
pour avoir accs au sens. Le risque que court le traducteur qui ne dverbalise pas, est de
traduire au moyen de transcodage, ce qui entrane souvent des calques et des faux amis. Ces
derniers sont des mots de langues diffrentes qui se ressemblent par la morphologie, mais qui
nont pas le mme sens. Les faux amis sont soit des homographes, soit des quasi-
homographes. Lhomographe versatile par exemple contient des sens diffrents en
franais et en anglais. En franais, le mot signifie un sujet qui change facilement dopinion,
quelquun dinconstant ou de lunatique, tandis quen anglais, versatile sutilise pour
dcrire quelquun de multiple et qui embrasse tous les points de vue. Les mots
ventuellement en franais et eventually en anglais sont des quasi-homographes. Le
premier est un synonyme de possiblement , et le deuxime signifie finalement . La
similitude de forme ne correspond donc pas toujours une similitude de sens (Delisle 1993 :
31).
Si nous ne traduisons pas mot par mot, ou phrase par phrase, quelle est alors lunit de
traduction ? Daprs Lederer et Seleskovitch, lunit de traduction est lunit de sens ; la
fusion en un tout du smantisme des mots et des complments cognitifs. Lederer a reprcette unit dans ses tudes de linterprtation simultane. Le dcoupage dun texte en units
de sens na pas de caractre absolu. Il change dune personne lautre et dpend du niveau de
connaissances du sujet trait ainsi que du niveau de connaissances de la langue en question.
Un auditeur qui connat bien le sujet trait na pas toujours besoin dentendre lnonc jusqu
la fin avant de le comprendre. Un autre qui serait moins vers dans le sujet, devra attendre les
derniers mots pour saisir ce qui a t dit (Lederer 1994 : 27). un moment donn se produira
un dclic de comprhension chez le locuteur ou le lecteur, qui rsultera en lunit de sens. Cedclic peut se produire en un millime dune seconde ou aprs plusieurs secondes. Les
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auditeurs apportant des connaissances diverses, la mme composante du discours sera
redondante pour certains et trop elliptique pour dautres. Lunit de sens nexiste quau plan
du discours, cest une reprsentation mentale. Le sens reste dans lesprit des auditeurs,
tandis que les mots qui servaient lexprimer disparaissent. La traduction au niveau du texte
est le rsultat dune opration mentale sur des units de sens (1981 : 377). Comme la dit
Seleskovitch : Le sens [...] se dfinit comme la chose quil convient de faire passer dun
vtement linguistique un autre (1986 : 271).
Daprs les auteurs de la Stylistique compare du franais et de langlais, lunit de traduction
est le plus petit segment de lnonc dont la cohsion des signes est telle quils ne doivent pas
tre traduits sparment. Delisle pour sa part insiste sur le fait quon ne traduit pas par phrases
dtaches, mais que la prise en compte de la dynamique interne du texte fait de sorte que le
traducteur peroit un sens qui sintgre de faon cohrente dans le suivi du texte. Il a alors
capt lunit de sens. La dverbalisation est ainsi une conceptualisation ncessaire afin de
crer des traductions idiomatiques dans lautre langue.
Si le concept original de la dverbalisation, cr par Seleskovitch, est un apport la
traductologie, il est nanmoins un concept qui a suscit de vives discussions. La TiT place la
dverbalisation au centre du processus de la traduction, entre la comprhension et la
rexpression, ce qui fait que le processus de la traduction nest plus considr comme un
processus linaire, mais comme une opration triangulaire. Tous les thoriciens ne partagent
pas cette vue sur la nature de cette tape. Certains pensent que la dverbalisation ne constitue
pas une phase distincte, mais quelle sintgre dans la phase de comprhension et dans celle
de la rexpression (Ladmiral 2005 : 476). Il nest pas encore possible de savoir exactement ce
qui se passe dans le cerveau du traducteur, alors pour tudier le processus de la traduction les
chercheurs ont recours entre autres des mthodes dintrospection, o le traducteur dcrit cequil fait pour rsoudre les problmes rencontrs au cours de son travail au moyen de
protocoles de verbalisation. Lanalyse de ces protocoles permet de cerner de plus prs
lopration traduisante et dmettre des hypothses sur la nature de la dverbalisation quil
reste tester.
La problmatique concernant la phase de dverbalisation touche galement la traduction des
textes littraires, o la prservation de la forme du texte est particulirement importante. Lamise en valeur de la forme est un trait caractristique des textes littraires. Contrairement au
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langage des textes pragmatiques, le langage littraire nest pas uniquement un moyen pour
communiquer, mais une fin en soi. DansLanalyse du discours, Delisle remarque que :
lcrivain [des textes littraires] fait un usage personnalis de la langue et, la limite,
son style devient le reflet de sa personnalit. Fuyant les clichs culs, indices dunepauvret dimagination et dune faiblesse de composition, il invente des mtaphores,produit des alliances inusites de mots, renouvelle les images (1984 : 30).
Cette assertion est certainement vraie en ce qui concerne les ouvrages de Le Clzio, o le
style accentue leffet total des images. La dverbalisation fait-elle perdre la forme de
loriginal ? Selon Lederer, le traducteur qui dverbalise reproduit non seulement le sens de
loriginal, mais aussi les mmes effets (1994 : 46). Le cas chant, le traducteur risque de se
laisser hypnotiser par lexpression trangre pour aboutir une solution mal formule dans lalangue darrive. Dans lanalyse au chapitre IV de ce mmoire, nous essayerons de dterminer
si le traducteur est pass par cette phase lors de la traduction des lments culturels, et de voir
sil a russi produire les mmes effets que loriginal.
1.3 La rexpressionTraduire un texte, cest partir dune ide dverbalise. Du fait que la syntaxe diffre dune
langue lautre, il convient de prter attention la faon de former les phrases dans la languedarrive. Delisle dit quune fois le sens saisi, sa restitution se fait en fonction des ides et non
en fonction des mots (1984 : 82).
Le traducteur ne peroit pas lentit de chaque mot dans un discours avant de le traduire. Au
contraire, il voit le mot dans son environnement, ce qui lui fournit la signification pertinente.
Il est heureusement de peu dimportance de savoir si les mots ont une correspondance exacte
au niveau des langues, puisquau niveau du texte, tout est traduisible lorsque les motssactualisent et se fondent en des sens rexprimables. Pour tablir des quivalences de textes,
il convient de connatre la situation vise et comprendre le raisonnement de lauteur. Pour
faire passer une notion ou une chose dans lautre langue il faut trouver ce qui dnote dans
cette autre langue cette notion ou cette chose, et non traduire la signification du mot quutilise
la langue premire (Lederer 1986 : 56).
Comme nous venons le dire, on ne traduit pas les mots, mais le sens. Le sens est cependant
compos dexplicites et dimplicites, et dans une traduction, il est parfois ncessaire de rendre
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les implicites par des explicites et inversement. Ce qui est dit de faon implicite dans une
langue, mais tout de mme peru par les lecteurs cibles, doit souvent tre explicit par le
traducteur pour faire ressortir le vouloir-dire de lauteur. Cela dpend des connaissances
prsumes chez les lecteurs. Les signes linguistiques fournissent au traducteur la partie
explicite du sens ; ce quon appelle aussi la synecdoque. La synecdoque dsigne la partie
explicite du sens. titre dexemple, nous pouvons prendre le terme franais trou de
serrure , et le comparer avec ses homologues norvgien et anglais, savoir nkkelhull et
key hole . Renvoyant au mme phnomne, ces termes nexplicitent pas les mmes
caractristiques. Pendant que le terme franais souligne limage de la serrure mme, o se
trouve le trou, les termes norvgien et anglais mettent laccent sur le trou dans lequel la cl
peut tre insre.
Tout texte contient des lments qui paraissent faciles ou difficiles traduire pour le
traducteur, et qui demandent des procds de traduction diffrents en vue dtre transfrs
dans lautre langue. La communication et la mmoire suivent le mme chemin : ou bien les
mots mobilisent un savoir pertinent et seront intgrs dans le bagage cognitif, ou bien ils
passent inaperus sans marquer lauditeur. Quelques lments exigent plus deffort
intellectuel que dautres pour tre compris, et Jean Delisle propose trois niveaux
dinterprtation, notamment le niveau des reports de vocables monosmiques, le niveau des
remmorationset celui des crations discursives. Ces notions servent claircir le processus
cognitif de la traduction en montrant que tous les lments nexigent pas le mme effort de
rflexion au moment de lapprhension du sens et lors de sa reformulation (1993 : 128).
Les lments qui peuvent tre transfrs au niveau du report ne ncessitent pas ou presque pas
danalyse interprtative. Il sagit dlments dinformation comme les noms propres,
nombres, dates, symboles et vocables monosmiques, c'est--dire des vocables qui nontquun seul sens. Le nombre dans 21 jours reste le mme dans une traduction norvgienne,
anglaise ou allemande, tandis que la traduction du mot jour met en cause la connaissance
et la mmoire des langues. Ce qui nous amne au deuxime niveau ; celui des remmorations.
ce niveau, il sagit de :
remettre en mmoire (se rappeler) une quivalence lexicalise habituellementconsigne dans les dictionnaires bilingues. [...] La remmoration fait intervenir
principalement la connaissance de la LD et de la LA. Toute quivalence qui nest ni un
reportni une cration discursiveest une remmoration. Le produit de cette approchersulte en quivalences lexicalises (Delisle 1993 : 41).
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Il en va de mme pour les expressions qui sont prlexicalises comme dans 15jours qui
est lquivalent de om 14dager en norvgien. La stylistique compare sen est tenue ce
niveau-l en essayant de systmatiser les correspondances pour certaines expressions
courantes qui existaient pralablement.
Ce que Delisle apporte de nouveau est le troisime niveau o le traducteur se sert de ses
comptences cratives pour trouver les solutions susceptibles de recrer intelligiblement le
sens. Il sefforce dtablir des quivalences non lexicalises, imprvisibles hors discours
(1993 : 26). Cette approche rsulte en des quivalences indites, qui sont adaptes au nouveau
public. Prenons titre dillustration un exemple de mon corpus, Poisson doret la traduction
norvgienne :
On touffait cause du radiateur qui pompait EDF mort
est traduit par:
Ein heldt p kvelast p grunn av radiatoren som pumpa ut elektrisitet av all sikraft (Retraduction franaise: [...] du radiateur qui pompait de llectricit detoutes ses forces ).
Lexemple montre que le traducteur souhaite faciliter la lecture pour les Norvgiens, qui ne
savent pas forcment ce quest lEDF. Lobjectif du traducteur est de restituer le sens, et dans
cette phrase, le sens est gard mme si le nom de la compagnie nest pas mentionn. Pour
produire des solutions idiomatiques, la TiT conseille de visualiser la situation, de connatre les
ralits des socits en question et la fonction symbolique dune expression, ainsi que le
registre de lexpression et la nature des expressions figes.
Une remarque ngative qui a t faite sur la profession de traducteur est quun traducteur est
une personne qui sait crire, mais qui na rien dire. mon avis cette remarque est errone,
puisque le mtier de traducteur consiste prcisment formuler les penses dautrui dans uneautre langue dans le but datteindre un public plus large. Le contenu est donn davance, mais
le traducteur reste tout de mme matre de lexpression.
Pour distinguer les traductions linguistiques de celles qui sont traduites au niveau de texte, la
TiT introduit les notions de correspondance et dquivalence. La correspondance est la
relation qui stablit entre les significations de langues diffrentes. La linguistique
contrastive se tient ce niveau en essayant dtablir des correspondances apriori entre leslangues, comme on les trouve dans les dictionnaires. Ce niveau est galement important dans
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lenseignement des langues ; en tablissant un vocabulaire de base on apprend les
significations des termes tels quelles sont consignes dans le dictionnaire, aprs quoi les
termes peuvent tre insrs dans un discours.
Delisle a tablie un glossaire des termes thoriques dans La traduction raisonne. Il dfinit
correspondance de la manire suivante (1993 : 26)
1. cest la relation didentit tablie hors discours entre des mots, des syntagmes ou desphrases et nayant que des virtualits de sens
2. cest le rsultat dune opration de transcodage .
Il explique la diffrence entre transcodage et traduction en ces termes :
Le transcodage est un exercice de confrontation des virtualits de deux codes
linguistiques, tandis que la traduction est un exercice dinterprtation dun sens (1984 :62).
Le transcodage est la traduction des langues en dautres langues, tandis que la traductionest la transformation dun texte en un autre texte (1981 : 375).
Dans les termes de Lederer, le transcodage est une traduction par correspondances, une
traduction linguistique (1994 : 217). Le transcodage se fait au niveau de la phrase isole,
tandis que la traduction proprement dite se fait au niveau de texte. Il existe des mots qui ont
des homologues dans dautres langues et qui peuvent tre traduits par correspondances. Dans
la traduction des textes techniques o lemploi dune terminologie exacte est primordial, le
traducteur se sert des glossaires terminologiques multilingues o les correspondances sont
prtablies. Contrairement la traduction des textes littraires qui demande une bonne dose
de crativit de la part du traducteur, la traduction des textes techniques exige lutilisation des
termes techniques spcifique au domaine en question.
Alors que les correspondances stablissent entre des lments linguistiques, les quivalencesstablissent entre des textes. La langue nest quune des composantes du message (Delisle
1984 : 77). Les correspondances sont prassignes dans la langue, tandis que les quivalences
stablissent posteriori. Une fois faite la traduction, le traducteur peut voir o il sest servi
de correspondances et o il a cr des quivalences.
Selon la dfinition de Lederer, les discours ou les textes sont quivalents lorsquils prsentent
une identit de sens, quelles que soient les divergences au niveau des structuresgrammaticales ou des choix lexicaux. Pour Delisle, lquivalence est premirement le rsultat
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de lopration de traduction, puis une relation didentit entre deux units de sens de langues
diffrentes ayant la mme ou presque la mme dnotation et la mme connotation. Daprs
lui, les quivalences sont toujours tablies au niveau du discours la suite dune interprtation
visant dgager le sens du TD. La connaissance de la langue et les connaissances des ralits
auxquelles renvoie le TD forment ensemble le fondement sur lequel se base le traducteur
(1993 : 29).
Le but de toute traduction est de produire des quivalences claires pour les lecteurs du TA.
Dans LAnalyse du discours comme mthode de traduction, Delisle constate que les bons
interprtes savent quil faut attendre lactualisation dun terme dans un discours avant den
proposer une traduction (1984 : 248). Cela explique pourquoi il est difficile de trouver une
solution immdiate lorsquon nous demande de traduire un terme hors contexte. Il suffit de
consulter son dictionnaire pour comprendre que la plupart des mots na pas une seule, mais
plusieurs correspondances qui sont employes diffremment en fonction du contexte dans
lequel ils sinscrivent un moment donn. Il est vident que toute traduction comporte
certaines correspondances entre termes et vocables, mais elle ne devient texte que grce la
cration dquivalences (Lederer 1994 : 55). La TiT prconise que la traduction des textes par
quivalences est la rgle, mais toute traduction comporte videmment bon nombre de
correspondances ponctuelles (1994 : 73).
1.4 La vrificationPendant lanalyse justificative, le traducteur devient nouveau lecteur. Il doit vrifier que son
texte est suffisamment adapt au nouveau public, et que sa traduction produit le mme effet
que le texte original. Cette phase est une deuxime interprtation, cette fois dans la langue
darrive. Puisque la premire interprtation se fait partir des signes de la langue de dpart et
lautre aprs sa rexpression dans une autre langue, il est ncessaire de comparer les deux
versions pour voir si elles ont la mme interprtation.
Le traducteur doit manier deux langues dans son travail ; le sens est compris travers une
langue et exprim travers une autre. Dans mon analyse, nous verrons que le traducteur de
Poisson dordoit manier trois langues et trois cultures lors de son travail.
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2 LA THORIE DU SKOPOS
Le mot skopos est un mot grec qui signifie but ou intention , et dans cette thorie,
apparue dans les annes 1980 en Allemagne, Katharina Reiss et Hans Vermeer prsument que
la traduction est une action et que toute action a un but prcis. Les stratgies employes par le
traducteur doivent par consquent tre choisies en fonction de la finalit du texte darrive. La
thorie se base sur la fonction du texte et non sur le type de texte.
Le rle quassume le texte de dpart dans la thorie du Skoposest contest. Selon les adeptes
de la thorie, le TA peut avoir une toute autre fonction que le TD, qui nest quun point de
dpart pour le traducteur, et par consquent le traducteur a une trs grande libert en ce qui
concerne le changement de la forme du texte. La notion dquivalenceest rejete parce que le
but nest pas toujours une quivalence entre deux textes. Les adhrents de la thorie du
Skopos souhaitent largir le sens de ce terme, et prfrent parler dune solution adquate
plutt ququivalente. Daprs eux, une traduction qui est adquate nest pas toujours
quivalente, tandis quune traduction quivalente est toujours adquate.
Mme si la thorie a t fortement critique par dautres thoriciens, on y trouve des pointsqui sont enrichissants pour le traducteur. La thorie met laccent sur limportance de la finalit
du texte, qui est souvent nglige par dautres thories. Pour le traducteur qui vient de
commencer le travail sur un nouveau texte, il est trs important de prendre en compte la
situation de communication. Il existe certains paramtres qui peuvent guider ses choix
lorsquil se trouve dans une impasse, mais il est ncessaire dy rflchir avant de dmarrer.
Une diffrence importante entre la TiT et la thorie du Skoposest leurs faons de dfinir lemot traduction . La dernire propose une dfinition encore plus largie du terme, en disant
quune traduction ne doit pas ncessairement garder les traits formels de loriginal. Le TD
nest quun point de dpart, et cest le skoposdu texte qui dterminera les changements du TA
par rapport au TD.
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3 NIDA ET LTUDE DES ASPECTS CULTURELS EN TRADUCTION
Words only have meanings in terms of the culture of which they are a part. [] The
meaning of words depends on the context of a discourse and the meaning of a discoursedepends in large measure on the pre-suppositions and values of the culture
(Nida 2003 : 77)
Eugene Albert Nida, linguiste amricain n en 1914, est trs souvent cit dans les ouvrages et
les articles sur la traduction. Non seulement est-il passionn des langues, il sintresse
galement aux hommes qui parlent ces langues, aux socits o ils vivent et aux cultures qui
les entourent. Limportance du contexte en traduction est un thme rcurrent dans ses textes.
Sa passion pour les langues a commenc trs tt ; il a grandi dans une famille monolingue,mais voulait pouvoir parler quatre langues comme ses voisins. Depuis, il a entre autres appris
le latin, lallemand, le franais, le grec ancien, diverses langues indiennes du Mexique et
lhbreu (Nida 2003 : 1).
Il se dcrit lui-mme comme un spcialiste en langues et en anthropologie culturelle qui a fait
des tudes smiotiques et socio-linguistiques. Cest pour cette raison quil a t invit par la
socit amricaine de la Bible mener des tudes pour savoir pourquoi la Bible est si souvent
mal comprise et peu lue (2003 : 135). Nida a tudi la communication verbale dans plus de 90
pays depuis le dbut de sa carrire, ce qui lui a permis de rassembler et systmatiser des
connaissances importantes en ce qui concerne les diffrences culturelles et les problmes que
celles-ci peuvent poser au niveau de la comprhension.
3.1 Equivalence formelle et quivalence dynamiqueNida se sert du terme quivalence , et il en distingue deux types :
(i)
lquivalence formelle(ii) lquivalence dynamique
Ces notions dquivalence ne sont pas confondre avec lquivalencede la TIT, laquelle se
rfre au rapport entre des units de sens.
Daprs Nida on cherche toujours obtenir soit lquivalence formelle soit lquivalence
dynamique lorsquon traduit un texte. La premire concerne le message lui-mme. Le
traducteur doit se tenir prs de loriginal pour obtenir une rendition prcise du contenu et des
traits formels. Lquivalence dynamique, par contre, concerne leffet quun texte produit sur
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ses lecteurs. Le traducteur doit sefforcer de produire un texte susceptible davoir le mme
effet sur les lecteurs du TA que le texte original avait sur ses lecteurs. Cet effet ne sera
dailleurs jamais identique puisque les deux groupes ne partagent pas les mmes valeurs
culturelles ou historiques. Il souligne que la transmission du sens est le facteur le plus
important, et doit tre assure avant de prendre en compte les traits stylistiques.
Limportance du contexte en traduction est fortement souligne par Nida. Dans son livre
Contexts in Translating, il distingue neuf types de contexte, parmi lesquels se trouve le
contexte qui concerne les valeurs culturelles. Le but de toute traduction est selon Nida
complete naturalness of expression (1964 : 160) et il dit que the real clues to meaning
depend on contexts (2001 : 29). En accord avec la thorie du Skopos, Nida dit que ngliger
lintention de communication serait rduire la traduction a mere game of verbal solitaire
(cit par Robert Larose 1989 : 78).
Il distingue trois types de distance culturelle en traduction ; celle qui apparat lorsquon traduit
entre des :
a) langues qui se ressemblent et dont les cultures sont proches (lhbreu en arabe)
b) langues loignes dont les cultures sont proches (le sudois en finlandais)
c)
langues loignes dont les cultures sont galement loignes (langlais en zulu)
(1964 :160).
Dans ce mmoire, nous traitons principalement de la premire catgorie, alors que les
exemples de Nida sont souvent tirs de la troisime catgorie. Les conclusions quil tire sont
tout de mme intressantes dun point de vue aussi bien traductologique quanthropologique.
Nida a par exemple dcouvert que la dfinition des choses nest pas la mme partout.
Lorsquil visitait un village au Soudan il a demand qui tait lhomme le plus riche dans levillage. Les hommes lui ont montr sa maison, qui ressemblait nimporte quelle autre
maison du village. Leur dfinition dun homme riche tait celui qui donnait le plus aux autres,
et non pas celui qui possdait le plus de valeurs matrielles. Dans certaines langues de
lAfrique de lOuest, seuls trois mots de base servent dcrire les couleurs : rouge, noir et
blanc. Cela ne veut pas dire que les hommes qui parlent ces langues sont incapables de les
dcrire, au contraire, ils font des centaines de distinctions au moyen de comparaisons avec les
couleurs des oiseaux ou des fleurs. La gographie et lcologie dun pays sont parfois lorigine des problmes de comprhension. Le dsert est tranger la plupart des Norvgiens,
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tout comme la neige est un phnomne inconnu aux peuples des pays o dominent le dsert et
la scheresse, alors dans une traduction appartenant la troisime catgorie il est parfois
ncessaire de donner des explications supplmentaires des nuances.
Il ne sagit pas de rejeter la linguistique compltement et de dire quelle na rien voir avec la
traductologie, puisque pour comprendre les mcanismes qui sont en jeu lors du processus de
la traduction, il faut pouvoir matriser les deux langues en question. Nida dit tout simplement
que la linguistique ne suffit pas elle seule pour expliquer le processus ou ce qui constitue
une bonne traduction. Il