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8/9/2019 Un profond bonheur
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Chris Iwen
Avec la collaboration de Kessani Iwen
Un profond
bonheur
Roman
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L o est ton trsor, l aussi sera ton cur
Matthieu 6 : 21.
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Chapitre 1.
Je mappelle Georges, et je vous prie de bien vous en rappeler, car je naurais
pas dautres occasions de vous dire mon nom. Cela faisait deux jours que javais
fait la dcouverte la plus importante de lunivers. Oh, il ne sagissait pas du grand
univers, cette masse insolente dindiffrence et ce mlange abyssal dtoiles et de
tnbres. Non, il sagissait seulement de mon petit univers personnel. Cest--dire
lunivers dun enfant de dix ans qui devait lutter jour et nuit contre la vigilance de
sa mre pour pouvoir accder quelques friandises et goter un peu de ces
liqueurs si agrables que son pre protgeait au fond dune malle. Mon univers
personnel, qui me paraissait parfois bien immense lorsque des inconnus venaient
la maison et disaient mon nom, comme si javais t une clbrit inconsciente de
sa renomme. Mais aussi mon univers personnel, qui me paraissait quelquefois
insignifiant lorsque je perdais mes billes au jeu, parce que le joueur en face tait
plus adroit et physiquement plus costaud que moi.
Deux levers de soleil staient donc consums depuis que javais lucid lemystre le plus fascinant de lunivers. Mais avant ce triomphe, que je devais
absolument garder secret, javais cherch et rflchi pendant des mois. A vrai dire
de longs mois dagonie au cours desquels javais souvent perdu espoir et fondu en
larmes. Mais mon agonie ntait plus quun vieux souvenir sans relief. Seule
lmotion du triomphe habitait mon cur et me donnait le sourire depuis deux
nuits. Mon sourire perptuel avait fini par veiller les soupons de ma mre. Et
ctait pour savoir exactement pourquoi je semblais si heureux, quelle mavait faitappeler. Laprs-midi et son soleil de plomb imposaient depuis une heure ou deux
une ambiance sereine et une atmosphre de torpeur quatoriale. Ma mre tait
installe dans un fauteuil bascule, sous le grand arbuste ct de la maison.
Lombre ne la protgeait pas beaucoup du soleil, et il aurait fallu quelle se dcale
dun ou deux mtres pour chapper la morsure de lastre du jour. Voulait-elle
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bronzer ? Elle nen avait pas besoin pourtant, sa peau tait aussi charge de
mlanine que la mienne.
Un petit vent si lger quil fallait se concentrer un peu pour le percevoir
bruissait doucement les feuilles de larbuste et produisait par terre un jeu de
scintillements qui mimait une danse presque hypnotique. Je narrivais pas
discerner si ma mre contemplait ces scintillements crs par le mouvement des
feuilles et les infiltrations des rayons du soleil, ou si elle explorait quelque chose
dans son esprit. Quand elle entrait dans son monde mental pour y chercher quelque
chose, son regard prenait parfois une expression absolument trange, une sorte
dabsence lucide qui me faisait peur et me fascinait en mme temps. Je me tenais
bien droit, la tte fire et le sourire imperturbable, et jattendais quelle lve les
yeux sur moi. A cause de la chaleur, je portais seulement une culotte marron, en
laine, qui marrivait mi-cuisses. Javais le torse nu, et de grosses gouttes de sueur
perlaient sur ma poitrine, car avant de me pointer devant ma mre, javais jou
saute-mouton avec dautres enfants qui habitaient quelques pts de maisons plus
loin. De modestes chaussures en plastique me permettaient de courir sur lesgravillons et dclabousser les flaques deau qui stagnaient ici et l autour des
sillons des eaux uses qui se dversaient des fontaines publiques. Javais un peu de
boue sur les chevilles, et de la poussire dans les cheveux. Jtais un peu crasseux,
mais cela pouvait sarranger en un clin dil, car il y avait une fontaine publique
pas trs loin de chez nous, et ctait plus amusant dy prendre sa douche qu la
maison.
Ma mre ne leva pas les yeux sur moi. Sa voix sadressait pourtant moi et mefrappait en plein visage comme une bourrasque. Javais un peu sursaut, car avant
quelle ne commence parler, je mtais moi aussi vad dans ma tte. Il me fallut
quelques secondes pour me ressaisir et dchiffrer le sens de ses mots.
- Tu es un enfant joyeux, dit-elle, comme tous les enfants ici mais depuis
quelques jours tu souris tout le temps, sans raison apparente. Jen conclu que cest
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dans ta tte quil y a quelque chose de drle, et a doit tre sacrment amusant
pour te faire sourire sans relche. Nas-tu pas mal aux lvres et aux joues force
de sourire comme a ?
Elle avait raison. Javais un peu mal aux joues force de sourire. Mais je ny
pouvais rien. Jtais heureux davoir fait la plus grande dcouverte de tous les
temps, et ce bonheur tait incontrlable. Peut-tre que dans quelques semaines, il
se sera suffisamment coul du temps pour que japprenne vivre avec cette
importante dcouverte de manire sereine, sans mettre au supplice mes
zygomatiques. Je portai une main ma joue et me massai doucement. La question
de ma mre nattendait aucune rponse, donc je nen fis aucune.
- Tu sais, mon chri, quand on a quelque chose de drle dans sa tte, il faut le
partager avec les gens, car la joie est faite pour tre partage, et le partage donne
plus de valeur lobjet de notre bonheur.
- Non maman, ce nest pas quelque chose de drle cest une super grande
dcouverte.
Je naurais jamais d prononcer ces mots. Jaurais d inventer nimporte quoi.Visiblement ma mre sattendait ce que lorigine de mon sourire soit quelque
chose de drle, peut-tre une blague, peut-tre une histoire insolite propos de
quelquun quelque chose dans ce genre-l. Ma mre sattendait ce que mon
sourire soit de la mme nature que le rire qui nous treint devant une histoire drle
ou devant une situation cocasse. Jaurais d dire que je souriais parce que je
pensais tout le temps une blague que javais entendue ou lue quelque part
Certes, jaurais eu bien du mal inventer ensuite une blague drle. Je navaisaucun talent pour ce genre dhumour. Mon humour consistait plutt rire de tout
et de nimporte quoi, mme quand ce ntait pas drle pour les autres. Une mouche
qui se posait sur le nez de mon pre alors quil tait en train de jouer aux dames
avec ses amis, cela pouvait me provoquer un fou rire qui stendait sur de longues
minutes.
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Une fois, javais ri pendant des heures, sans pouvoir marrter. Et pourquoi ? A
cause de lun des amis de mon pre. Ce jour-l mon pre et trois de ses amis
saffrontaient aux dames tour de rle. Pendant que deux jouaient, les deux autres
observaient et analysaient silencieusement la partie. Les pions taient en bois, et le
damier aussi. Mon pre avait lhabitude de dplacer ses pions en les faisant glisser
sur le damier avec un geste appuy. Cela produisait une espce de petit crissement.
Les autres joueurs avaient lhabitude de dplacer leurs pions dune autre manire.
Ils les soulevaient et les reposaient lendroit voulu. Ctait un mode silencieux, et
ils prfraient sy prendre ainsi parce quils simaginaient que le bruit pouvait
gner leur concentration. Mais personne nosait demander mon pre dadopter un
mode plus silencieux. Ce jour-l, il se passa quelque chose qui me fit rire jusqu
me rendre malade. Lune de mes petites surs, qui avait peine deux ans, jouait
ct de moi, et moi jessayais dobserver et danalyser la partie qui opposait mon
pre et lun de ses amis. A un moment du jeu, lami en question commena suer
abondamment. De grosses gotes de sueur scoulaient sur son visage, et il les
essuyait dun revers de la main. Ctait peut-tre la tension de la partie, car monpre tait un adversaire redoutable. Mais, quelques minutes plus tard, le joueur
appuya son doigt sur lun de ses pions, jeta un coup dil presque inquiet sur les
visages autour de lui, puis dplaa sa pice de bois en faisant le plus de bruit
possible. Au mme moment, un autre bruit, insolite, retentit. Ctait le bruit
reconnaissable dun pet. Mais un pet qui avait t aussi bref que possible. Malgr
tous les efforts du joueur, le bruit du pion navait pas t assez fort pour couvrir
lautre bruit. Tout le monde se raidit brusquement, car la surprise tait grande. Lesgens jetrent un regard rprobateur au joueur, mais celui-ci dit tout simplement :
Si ce nest pas le pion qui a fait ce bruit, alors cest la petite, elle doit tre en
train de faire caca dans ses couches . Cest cette rpliquequi provoqua en moi un
fou rire irrsistible.
Mais lincident tait bien loin, et dailleurs je naurais jamais t capable de
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rflchir suffisamment vite pour trouver un mensonge convaincant servir ma
mre. Elle mavait pris de court, ma mre. Ni elle ni mon pre ne devaient rien
savoir de ma dcouverte. Et dailleurs, ma dcouverte devait rester labri dans
ma tte, ctait la condition pour que je puisse en tirer un maximum de profit. La
plus petite confidence, mme celle de mes surs laquelle je faisais le plus
confiance, aurait rduit nant ma dcouverte, et aurait induit un changement
regrettable dans le cours de lunivers. Si je voulais que ma dcouverte conserve
toute son importance, et surtout si je voulais en tirer partie, alors je ne devais rien
dire.
- Une grande dcouverte, dis-tu ? Raconte ta maman, mon chri. De quoi
sagit-il ?
Elle leva les yeux sur moi. Son regard, doux et imprgn dune profonde
tendresse, menveloppa comme un nuage de velours. Elle me regardait souvent
comme a, maman. Avec ses yeux souriants et son visage ouvert au monde, elle
avait le don denvoyer quelque chose dans lair qui venait toucher au cur et qui
faisait sentir, dune manire presque palpable, combien son cur dbordaitdaffection pour ses proches. Quand elle posait sur moi son regard qui disait je
suis heureuse que tu existes , je pouvais tout lui donner, lui donner tout lamour
dont jtais capable, du haut de mes dix grandes saisons de pluies. Mais voil, je
ne pouvais pas lui livrer ma dcouverte. Jtais absolument certain quelle en ferait
mauvais usage. Je navais aucun doute l-dessus. Je baissai donc les yeux, car si je
soutenais son regard je pouvais succomber tout moment. Jtais simplement
incapable de rsister tout lamour qui se refltait dans ses yeux.- Ce nest pas grave, mon chri, si tu ne veux rien me dire. Je comprends tout
fait. Un grand garon comme toi doit avoir ses secrets. Je suis sre que ton secret
est quelque chose de beau et dimportant, et je comprends que pour que a reste
beau et important, il faut que a habite dans ton cur, et seulement dans ton cur,
bien labri du regard des gens.
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Sa voix avait pris des accents de douceur plus prononcs que dordinaire. Ses
mots me dlivraient dun immense poids, car je me sentais un peu mal laise
lide de devoir cacher ma dcouverte ma mre. Avec ce quelle venait de me
dire, je ne me sentais plus mal du tout. Je me sentais soulag. Je me sentais mme
un peu plus important, car ma mre avait reconnu que jtais assez grand pour
avoir mes propres secrets. Elle me saisit par le bras et mattira sur ses genoux.
Aprs mavoir embrass, elle me rendit mes activits de jeune garon.
- Tu peux retourner jouer si tu veux. Cest important de jouer, a permet de
cultiver la joie dans notre cur.
- Sauf quand on perd, car alors on est triste ou en colre.
- Cest parce que tu ne sais pas encore perdre.
Je me blottis contre sa poitrine. Un peu pour sentir ses seins, car a me rappelait
quand jtais bb et que je ttais. Et un peu pour sentir battre son cur, car
jaimais beaucoup le son que cela produisait dans mon oreille. Sa rponse mavait
un peu troubl. Je savais que perdre ne pouvait que susciter de la tristesse ou de la
colre. Tout le monde le savait. Ctait vident. Quand mes camarades perdaientau jeu, ils ragissaient comme moi-mme quand je perdais. Javais dj vu mon
pre snerver parce quil avait perdu un contrat ou parce quil avait perdu un
camion cause de la maladresse de lun des chauffeurs quil employait dans son
entreprise de construction. Javais dj vu lun des amis de mon pre verser deux
larmes parce quil avait t battu aux dames alors que mon pre avait promis une
certaine somme dargent au vainqueur. Il parat que cet ami-l avait besoin de cet
argent pour pouvoir sduire une femme quil convoitait en linvitant dans unrestaurant chic. Quand les gens perdaient, que ce soit dans le jeu ou dans la vie, ils
taient tristes ou en colre. Je croyais que cela tait tout simplement la loi de la
nature humaine.
- Maman, cest quoi savoir perdre ?
- On sait perdre et gagner quand on a trouv son trsor inestimable. Il y a
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quelque part un trsor inestimable qui attend chacun.
Je me redressai pour la regarder dans les yeux. Elle avait un petit sourire
paisible qui me disait quelle tait disponible pour parler si je voulais. Ses paroles
rsonnaient trangement dans mon esprit. Je ny comprenais pas grand-chose.
Mais javais dj remarqu que maman ntait pas comme tout le monde. Elle tait
toujours pleine de joie et daffection, et rien ne semblait pouvoir la rendre triste ou
la mettre en colre. Je navais jamais cherch connatre son secret, pour la simple
raison que je ne pensais pas quelle avait un secret. Je me disais quelle tait
comme a, que ctait sa nature, comme la nature de papa tait de se mettre
facilement en colre lorsque ses affaires au travail ne se passaient pas comme il le
dsirait
- Cest quoi le trsor inestimable ? O est-ce quon le trouve, maman ?
Comment je peux trouver le mien ?
- Tu veux vraiment le savoir ?
- Oui, maman. Je naime pas tre triste quand je perds, et je naime pas me
mettre en colre quand les choses ne se passent pas comme je veux. Jai enviedtre comme toi, de demeurer dans la joie mme quand lunivers se casse la
figure. Alors, maman, si tu sais o je peux trouver moi aussi mon trsor
inestimable, il faut me le dire.
Elle me passa la main dans les cheveux en riant.
- Tu sais quoi ? Je connais quelquun qui sy connat trs bien dans cette
histoire de trsor inestimable. Il ma aid trouver le mien. Il pourra tenseigner
comment trouver le tien.- Cest qui ?
- Ah, tu ne vas pas me croire. Cest quelquun de trs spcial.
- Cest qui, maman ?
- Cest un homme trs spcial mais aussi trs discret, et quand il se dvoile
vraiment on dcouvre qui il est en ralit : Dieu.
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- Dieu ?
- Oui, Dieu : le crateur de lunivers.
- Mais, maman, Dieu nexiste pas !
- Si tu commences comme a, tu ne risques pas de le trouver, et lui seul peut
taider trouver ton trsor inestimable.
Je ne savais pas quoi penser. Un jour, mon pre mavait expliqu que Dieu
nexistait pas. Il mavait parl de choses incomprhensibles comme le bang-bang
ou encore lvolution de tard ruine, je crois mais je navais pas bien compris les
mots, et des singes qui mangeaient dabord dans les arbres, et qui taient
descendus des arbres pour manger par terre avant de savoir faire des tables
manger sur de grands cailloux plats. Mme si je navais pas tout compris, il avait
russi me convaincre. Il parlait dune chose quil appelait la science, et qui
permettait de comprendre que la nature fonctionnait trs bien toute seule, et que
nulle part on ne pouvait dmontrer lexistence dune puissance surnaturelle
Javais retenu une phrase simple de toutes les paroles de mon pre : Dieu
nexiste pas . Ce ntait pas difficile de me convaincre de linexistence de Dieu,car javais une certaine horreur lide dadmettre lexistence des choses que je ne
pouvais ni voir ni entendre. Dailleurs, mon pre avait eu beaucoup de mal me
faire croire que les ondes lectromagntiques existaient. Et malgr mes dix ans et
notre grand tlviseur, cest peine si jy croyais
Ma mre semblait absolument sre et certaine de son affaire. Mais elle voyait
trs bien que je navais pas envie de croire en Dieu. A cause de mon pre, je
mtais mis dans la tte que croire en Dieu ctait quelque chose comme tre unpeu idiot, quelque chose comme croire au pre Nol et dautres choses qui
nexistaient pas. Il fallait tre un peu bte pour croire en une chose qui nexistait
pas. Mais maman tait la personne la plus heureuse et la plus intelligente que je
connaissais. Mon pre lui-mme ne se privait pas de lui demander son avis
lorsquil avait une affaire difficile son travail. Ma mre expliquait mon pre
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comment parler aux gens, comment se comporter avec les gens, et comment crer
entre lui et ses clients un climat damiti et de confiance qui tait agrable pour
tout le monde et propice pour de bonnes affaires. Comment une personne comme
ma mre pouvait-elle croire en Dieu ?
- Excuse-moi mon chri, ce nest pas grave si tu ne crois pas en Dieu.
- Mais, maman, tu dis que lui seul peut maider trouver mon trsor
inestimable.
- Disons seulement quil y a quelquun de spcial, quelque part, qui peut taider
trouver ton propre trsor inestimable. Appelons-le monsieur D. Ce monsieur
existe, comme toi tu existes, comme moi jexiste. Et je te dis que cest lui qui ma
aide trouver le mien. En fait, monsieur D est prt aider tous ceux qui iront le
trouver pour dcouvrir o se cache leur trsor inestimable.
- Maman, est-ce que tu peux me montrer ton trsor inestimable ? O est-ce quil
est ?
- Moi seule ai le droit de contempler mon trsor inestimable. Quand tu
trouveras le tien, toi seul auras le droit de le contempler. Tout ce que je peux tedire, cest que cest un trsor qui nous permet de demeurer dans la joie
inconditionnelle.
Je navais pas le droit de la forcer me montrer son trsor. Elle avait respect
mon secret, et moi je devais respecter le sien. Sa manire de prsenter les choses
sa manire de passer de Dieu, pour moi inacceptable, monsieur D, nigmatique,
me plaisait beaucoup. Je ne savais pas trs bien pourquoi, mais je navais aucune
peine admettre lexistence de monsieur D, alors que lide de lexistence de Dieume hrissait les trois poils que javais sur les bras. Pour moi, monsieur D tait
simplement un mystrieux personnage, qui habitait je ne savais pas encore o,
mais maman allait me le dire de suite.
- Maman, est-ce que tu peux me dire o je peux trouver monsieur D ?
- Oh mon chri, je suis vraiment dsole, mais chaque chercheur de trsor doit
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trouver monsieur D par lui-mme. Je ne peux pas te dire o le trouver, a cest
quelque chose que tu dois dcouvrir en faisant ta propre enqute. La personne qui
tenseigne lexistence du trsor na pas le droit de te dire o on peut trouver
monsieur D. Je peux seulement te dire quil habite quelque part dans cette ville. Le
reste, tu dois le dcouvrir en faisant tes propres recherches.
Ma premire raction fut la dception mais je me rappelai aussitt que, deux
jours auparavant, javais rsolu la plus grande nigme de lunivers. Javais fait la
plus grande dcouverte du monde. Alors, si javais russi un tel exploit qui devait
sinscrire en lettres dor dans les annales du cosmos, je pouvais bien trouver o
habitait monsieur D. Je voulus poser une autre question, mais ma mre me posa un
doigt sur les lvres et dposa un baiser sur ma joue, puis elle sen alla. Notre
discussion tait finie, et quelque chose me disait que nous ne reparlerons plus
jamais de cette histoire tous les deux, sauf si je trouvais mon propre trsor
inestimable. Finalement, je me sentais un peu dsempar, car le seul indice que
javais sur monsieur D, ctait quil sagissait de Dieu. Oh bon sang ! Pour trouver
monsieur D, il me fallait tenir compte de ce dsagrable indice. Je devais admettrecela comme hypothse de recherche.
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Chapitre 2.
Je navais aucune ide de ce que pouvait tre le trsor inestimable. Ma mre
avait sem quelque chose de fort dans mon esprit, mais elle semblait vouloir viter
toute discussion sur ce thme. Apparemment elle estimait que son rle tait fini,
ctait moi de jouer prsent. Peut-tre mobserverait-elle discrtement, peut-
tre ny pensait-elle plus Quest-ce que je savais ? Je savais que le trsor
inestimable tait dune richesse tellement extraordinaire quil rendait son
possesseur heureux, et il sagissait-l dun bonheur profond qui ne semblait pas
varier en fonction des circonstances et des vnements. Comment ma mre avait-
elle appel ce bonheur ? La joie inconditionnelle. Cela voulait dire une joie qui ne
dpendait pas des choses, et qui tait toujours vibrante et rayonnante. Il fallait
vraiment que ce trsor soit extraordinaire pour procurer son dtenteur une telle
joie. Je voulais moi aussi obtenir une telle joie, et le trsor pouvait mapporter ce
que je dsirais. Je voulais le trsor inestimable, pour la joie quil procurait.
En y rflchissant, je me rendais compte que je voulais les choses pour le plaisirquelles mapportaient. Ou alors, je voulais les choses parce quelles pouvaient
mapporter du plaisir, ou parce quelles pouvaient me soulager dun inconfort.
Mais le plaisir et le soulagement ntaient jamais dfinitifs, et ctait toujours une
exprience pnible lorsque la chose si proche mtait finalement inaccessible, ou
lorsque aprs avoir acquis la chose je la perdais pour une raison ou pour une autre.
Et quand je disais la chose ctait en fait plus gnral comme prise de
conscience. La chose qui pouvait mapporter du plaisir ou du soulagement ntaitpas toujours un objet. Ctait nanmoins souvent des objets. Par exemple une barre
de chocolat ou un paquet de bonbons.
Ah les bonbons. Jen mangeais trop, et de temps en temps ils me rendaient
malade. Une fois, javais achet un paquet de bonbons que javais russi cacher
sous les racines du grand manguier de notre cour. A la tombe de la nuit, aprs le
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dner, javais prtext que je voulais respirer le bon air frais du soir pour pouvoir
minstaller tranquillement au pied du manguier, dans la pnombre, bien labri du
regard vigilant de ma mre. Le manguier se trouvait une vingtaine de mtres de
la porte principale de notre maison, et lampoule qui clairait la cour tait
accroche au-dessus de la porte. Ma cachette tait du ct ombre, et je tournais le
dos la maison. Comme ma nuque devait tre visible depuis la maison, ma mre
nallait pas sinquiter, il lui suffirait de jeter un coup dil de temps en temps
pour constater que jtais toujours l et que tout allait bien. Aprs le dner, elle et
mon pre restaient table pour discuter paisiblement de tout et de rien, tandis que
mes petites surs regardaient la tl. Les discussions entre mon pre et ma mre se
passaient toujours bien, car ma mre nattachait aucune importance au fait davoir
tort ou raison, et mon pre essayait souvent davoir une pense objective sur les
choses. Mon pre hsitait se lancer dans la politique, et cette hsitation se
traduisait rgulirement en des discussions souvent longues o il analysait et
critiquait le pouvoir en place et la socit dans son ensemble. Ils devaient tre en
train de discuter de la nouvelle loi sur les exportations du sucre lorsque je portai ma bouche le bonbon de trop. Sur le bonbon prcdent javais senti comme une
espce de nause et dcurement, mais je navais pas voulu en tenir compte.
Mais lorsque le bonbon de trop fut suffisamment prs de ma bouche pour envahir
mon nez de son parfum de fraise, jeus un haut le cur et tout mon dner se
retrouva tal sur ma poitrine. Alors que je finissais de rgurgiter le dernier
morceau de poulet que javais mang, ma mre tait dj au-dessus de ma tte, et
elle avait un seau deau et un torchon. Sa rapidit mimpressionnait toujours,ctait comme si elle avait le don de prvoir les catastrophes.
- Ce nest pas grave, mon chri, mais il faudra tabstenir de bonbons pendant
quelques jours.
- Ce ne sera pas difficile, je crois que je ne pourrais plus supporter de voir un
bonbon de toute ma vie.
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- Oh, dans quelques jours tu men reparleras.
Elle me nettoya avec douceur, me rina la bouche puis me fit boire un grand
verre deau avant de me donner une douche chaude. Jaimais sa faon de soccuper
de moi. Elle tait toujours douce et attentionne, et mme si elle mexpliquait
pourquoi ce que javais fait tait une btise, elle ne snervait jamais. Au contraire
mes btises semblaient lamuser beaucoup. Ses premires paroles taient toujours
cest pas grave . Elle ajoutait souvent un mais suivi dune explication des
risques que je courrais ou des dgts que je causais, et je ressortais de tout a avec
une accolade affectueuse qui me donnait le sentiment que jtais protg et aim.
Quand je cassais quelque chose, elle minvitait ramasser les morceaux avec elle,
et me faisait participer la rparation lorsque ctait possible. Il ny avait en elle
aucun dsir de punition dans cette attitude, juste un dsir de mapprendre rparer
mes erreurs dans la bonne humeur. Ma mre navait pas dombre, et ce mcanisme
mental qui faisait que les gens sattristaient ou se mettaient en colre, semblait
totalement purifi chez elle. Elle tait pleine de joie, mais aussi pleine daffection.
Je veux que les gens soient heureux , disait-elle lorsquon la questionnait surson attitude qui paraissait parfois trange, car les gens comprenaient mal comment
elle pouvait demeurer pleine daffection et de bonne volont devant des personnes
qui manifestement faisaient nimporte quoi, et parfois du mal. Je savais
maintenant. Elle avait trouv son trsor inestimable, et ctait grce ce trsor
quelle vivait dans un tat de bonheur que les autres ne comprenaient pas.
Mais ctait quoi exactement ce trsor inestimable ? Elle avait refus de me
montrer le sien. Je me demandais ce que pouvait bien tre un trsor inestimable. Sima mre ne voulait pas me rpondre, alors je devais demander mon pre. Il avait
une entreprise florissante de construction de maisons et de btiments. Il possdait
plusieurs maisons et btiments quil louait des gens, et parfois ltat. Mais
daprs mon pre, ltat tait un trs mauvais payeur. Mon pre avait aussi
plusieurs voitures et quelques camions. Il tait riche, matriellement et
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financirement riche. Mme si toute cette richesse appartenait aussi ma mre,
parce quelle tait la femme de mon pre, ma connaissance ma mre ne possdait
pas grand-chose. Et propos de ma mre, il y avait quelque chose de bizarre.
Malgr tout largent de notre famille, ma mre voulait que nous ayons un mode de
vie simple. Par exemple, alors que mon pre avait plusieurs chauffeurs, mes surs
et moi allions toujours lcole pied, et ma mre, qui tait institutrice, tait
souvent heureuse de marcher avec nous. Lcole ntait pas loin, je dois le
reconnatre, mais il y avait des enfants qui habitaient encore plus prs de lcole et
qui pourtant taient dposs en voiture
Quelquun de riche, comme mon pre, devait forcment avoir une ide de ce
qutait le trsor inestimable. Javais attendu un jour bien spcial pour poser la
question mon pre. Une fois par semaine, ma mre allait rendre visite
quelques-uns de nos voisins. Javais cru comprendre quelle leur apportait de
temps en temps de la nourriture et de largent. Ctait drle : nous tions riches,
mais beaucoup de gens dans notre quartier taient extrmement pauvres. Mon pre
avait tendance considrer que ctait de leur faute sils taient pauvres. Cetteattitude mavait choqu pendant une longue priode, mais un jour je compris
pourquoi mon pre pensait ainsi. Il avait quitt son village lge de quinze ans,
sans un sou en poche, et il tait arriv dans la capitale sans connatre personne. Il
avait boss dur pendant des annes. Il vivait dans de petites et minables bicoques,
de pauvres cabanes dlabres de la dimension dune chambre. Cela lui permettait
de faire des conomies. Pendant des annes il stait refus toute distraction, et se
forait rester clibataire en plus de se priver parfois de nourriture, afin de pouvoirmettre de ct autant dargent que possible. Puis un jour il lana ses propres
affaires. Avec dtermination, et avec un travail acharn, il stait construit une
respectable fortune
Il avait ha la pauvret et voulu la richesse, et il avait engag toute sa force et
toute son intelligence dans la lutte pour saffranchir de la misre et accder la
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fortune. Mon pre tait un ancien pauvre, et il avait vcu dans des conditions qui
taient pires que celles de certains de nos voisins les plus dmunis. Durant sa
priode de pauvret, il ne stait jamais plaint, et il navait jamais considr que sa
misre tait un tat de fait sans espoir. Au contraire, il stait rempli de courage et
de dtermination, et stait battu sans avoir peur des dfaites et des checs qui ne
manqurent dailleurs pas de joncher sa route. Ces pauvres qui nous entouraient
avaient une mentalit qui les maintenait dans leurs conditions misrables, et cest
cette mentalit que mon pre pointait du doigt. Si tous ces gens avaient vcu leur
pauvret sans se plaindre et sans attendre des autres quils les sortent de l sans un
rel effort de leur part, peut-tre que mon pre naurait jamais adopt son attitude.
Il naimait pas la manire dont ma mre venait en aide ces gens, mais il ne
pouvait rien empcher. Javais surpris une discussion entre mes parents ce
propos.
- Ce sont des paresseux, disait mon pre. Sils voulaient vraiment sen sortir, ils
le pourraient !
- Ce nest peut-tre pas aussi simple, rpondait ma mre. Toi, tu as vaincu lamisre et conquis la richesse parce que tu avais un esprit toute preuve. Et pour
cela tu es digne du respect que tout le quartier te tmoigne. Mais ces gens-l ont un
esprit affaibli, les accidents de la vie et linhumanit des gens qui ont le pouvoir,
ont bris leur esprit. Ce nest pas de leur faute, ils nont pas cherch dlibrment
briser leur esprit. Dans leur volont, ils sont aussi mal en point quune personne
afflige dune maladie invalidante lest dans sa force physique.
Je crois que cest cette discussion qui avait un peu adouci mon pre dans sonattitude par rapport aux pauvres de notre quartier. Ma mre lui avait dit ces paroles
dune voix douce, en lui tenant affectueusement la main. Il y avait de la magie
dans la voix et dans les yeux de ma mre, et quelque chose dimpalpable mais de
tangible manait delle et renforait ses paroles en leur donnant une force de vrit
trs particulire. Mon pre avait presque baiss la tte. Ctait sa faon lui de
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reconnatre que ma mre avait raison. Mais, malgr cela, mon pre ne levait pas le
moindre petit doigt pour aider ma mre dans le soutien quelle manifestait aux
pauvres voisins. Quand ma mre faisait sa tourne hebdomadaire, mon pre en
profitait pour laver la plus belle de ses voitures. Et je lavais avec lui, car cette
voiture me plaisait beaucoup moi aussi, et jaimais normment lorsque mon
pre la prenait pour nous emmener la plage le dimanche. Mon pre et moi tions
donc en train de frotter la carrosserie lorsque je me lanai pour obtenir quelques
claircissements sur le trsor inestimable.
- Papa cest quoi ton trsor inestimable ?
Ma question le surprit beaucoup. Apparemment il ny avait jamais pens.
Quand il me regarda dans les yeux, il saperut que la question tait importante
pour moi. Il se faisait toujours un point dhonneur rpondre mes questions et
menseigner les choses de la vie. Peut-tre esprait-il que je serais comme lui,
cest--dire que je serais quelquun qui aurait une volont capable de renverser
tous les obstacles qui pourraient se dresser entre moi et mes objectifs. Il minvita
masseoir avec lui dans les grands escaliers devant la maison. Notre maison taitmonte sur un grand soubassement dau moins un mtre de haut, et il fallait gravir
quelques marches sur un escalier trs large en bton pour y pntrer.
- En voil une question intressante. Pour toi, comment on reconnatrait un
trsor inestimable ?
- Je ne sais pas, papa cest quelque chose qui nous donne le bonheur sans fin
une fois quon lobtient.
Ses yeux se plissrent, et son regard senfona au loin lhorizon. Ilrflchissait.
- Quand jtais pauvre et que je vivais dans la misre, jtais malheureux. Je
pensais que la richesse me rendrait heureux. Mais quand je suis devenu riche,
jtais encore malheureux. Les raisons de mon malheur avaient chang, mais mon
malheur tait le mme. Il tait mme plus grand, car en tant riche, javais la
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dception de dcouvrir que la fortune ne faisait pas le bonheur. La fortune
mpargne la faim et le froid, et elle me donne accs beaucoup de plaisirs
diffrents mais ce nest pas le bonheur.
- Donc le trsor inestimable ne peut pas tre de largent ?
- En effet, a ne peut pas tre de largent. a ne peut tre ni de largent, ni
quelque chose que largent peut acheter.
- Alors quest-ce que cest ?
- Mon trsor inestimable cest ta mre.
- Maman ?
- Oui. Avant de connatre ta mre, jai connu bien des femmes, mais aucune
delles na pu me rendre heureux. Certaines de ces femmes taient plus intresses
par mon argent que par moi, et dautres avaient un dsir fougueux caus par mes
attributs physiques, mais aucune affection vritable pour ce que jtais au-del de
mon apparence matrielle
Ctait vrai, mon pre tait non seulement riche, mais aussi beau, et de
nombreuses femmes lui faisaient la cour sans mme prendre la peine de sinquiterdu fait quil tait dj mari. Leur attitude ntait pas vraiment dplace, car ici un
homme pouvait pouser plusieurs femmes. Je navais aucune peine comprendre
que des femmes puissent dsirer mon pre pour sa beaut et pour sa richesse.
Ctait si courant que ce qui paraissait tonnant ctait une femme non-marie qui
affichait un manque dintrt total pour mon pre. Et parmi toutes les femmes,
ctait ma mre qui tait le trsor inestimable de mon pre.
- Donc, papa, comme tu as trouv ton trsor inestimable, tu dois avoir la joieinconditionnelle.
Je crus voir une lueur deffroi dans les yeux de mon pre. Le feutr de sa voix
se transforma en une sorte de murmure presque lugubre, et il y eut comme une
tension secrte dans son me. Quest-ce que mes mots avaient remu sans le faire
exprs ? Jaurais d savoir que mon pre ntait pas totalement immerg dans un
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ocan de bonheur qui ressemblerait lunivers de joie sereine et imperturbable de
ma mre. Ma mre tait comme un jour ternel dans lequel le soleil ne dclinait
jamais, mais restait souverain dans le ciel sans fond. Mon pre tait comme tout le
monde, cest--dire un bateau ivre qui tait secou ici et l par les remous des
colres et des tristesses, et par le ressac des plaisirs que le temps ne manquait
jamais dmousser. Le bonheur de mon pre tait comme lt, cest--dire un
soleil parfois radieux qui se couchait toujours, et de belles journes qui taient
parfois troubles par des averses imprvisibles
- Tu sais, fiston, ta mre me rend heureux, profondment heureux, mais jamais
aucun tre humain ne connatra la joie inconditionnelle, car les peines et les
colres font partie intgrante de la vie et enrichissent lexprience humaine. Ce
serait une autre sorte de pauvret que de ne plus connatre les peines et les colres.
Ce serait perdre quelque chose de son humanit. Il ny a pas dendroit sans un
envers pour le faire exister.
- Papa, est-ce que a veut dire que la joie inconditionnelle nexiste pas ?
- Oui, cest cela.Mon pre tait le champion pour mapprendre que des choses nexistaient pas.
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Chapitre 3.
Je devais me rendre lvidence : mon pre ne savait pas grand-chose du trsor
inestimable. Ma mre mavait dit que celui qui trouvait son trsor inestimable
entrait dans la joie inconditionnelle. Non seulement mon pre ne vivait pas dans la
joie inconditionnelle, mais en plus il ne croyait pas quune telle chose soit
possible. Heureusement pour moi, je vivais auprs de ma mre et je pouvais voir,
jour aprs jour, anne aprs anne, quelle demeurait dans une joie et dans un
amour qui ne connaissaient pas de nuits et mme pas dombre. Certes, ma mre ne
souriait pas tout le temps. Mais mme lorsquelle ne souriait pas, son regard tait
toujours rempli dun paisible sourire lorsquil se posait sur quelquun. On pouvait
ne pas le voir lorsquon tait soi-mme emprisonn dans une motion de peine ou
de colre, mais ctait bien l, dans ses yeux inbranlables. Quelque chose tait
toujours en train de sourire dans son me, et je savais, lorsquelle membrassait,
que ce sourire tait une lumire immortelle dans lternit.
Le trsor inestimable devait tre quelque chose de vraiment extraordinaire pourapporter un tel bonheur et une telle capacit aimer dun amour invincible qui
nattendait rien des gens, part un clair de plus dans leurs yeux, quelque chose
qui tait une vie rendue plus vivante. Jy avais rflchi encore et encore, et je me
rendais compte au fil des jours que jtais bien incapable de savoir ce qutait le
trsor inestimable. Je voulais viter daller la recherche de ce monsieur D, mais il
semblait que pour esprer moi aussi trouver mon trsor inestimable, je devais
dabord trouver monsieur D.Une aprs-midi, me reposant sous le manguier, je pris ma dcision. Les yeux
ferms, je prenais conscience de cet insondable ocan de srnit joyeuse qui se
refltait dans les yeux de ma mre. Mon pre avait tort, la peine et la colre
ntaient pas une richesse, mais une pauvret de lme, une maladie de lesprit. La
joie sans fin, toujours solaire, qui dissipait pour toujours les ombres de souffrance
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dans la substance de lme, dans la trame chaleureuse du cur, tait une richesse
indicible laquelle aucune fortune matrielle ne pouvait se comparer. Ma mre
tait riche dune lumire de vie, et ctait cette richesse que je dsirais. La richesse
plus prcieuse que de lor quapportait le trsor inestimable. La dcouverte
extraordinaire que javais faite me paraissait prsent de peu de valeur devant
lhorizon illimit qui transparaissait derrire le mystre du trsor inestimable. Tout
le plaisir que mavait apport cette dcouverte sestompait rapidement, et dans
quelques temps je ny penserais plus quavec cette neutralit blase que procurait
le recul du temps. Jen rirais encore de temps en temps, puis de moins en moins
souvent.
Ma dcision tait daller la recherche de monsieur D, et tant pis si je devais
commencer par accepter lide quil sagissait peut-tre de Dieu lui-mme. En fait,
javais ma petite ide l dessus. Monsieur D ntait videmment pas Dieu, car
Dieu nexistait pas. Monsieur D devait srement se faire passer pour Dieu, et
jtais un peu triste lide que ma mre ait cru ce mensonge. Mais ce mensonge
navait pas dimportance ct de ce que cet homme tait capable dapporter. Et simonsieur D tait un genre de fou, qui se trouvait par hasard connatre le moyen de
dcouvrir o se cachait le trsor inestimable, et qui ne pouvait aider un chercheur
de trsor que si celui-ci lui faisait le plaisir daccepter sa folie de se croire Dieu ? Il
sagissait certainement dun personnage dans ce genre. Je ne limaginais pas
dangereux. Je limaginais simplement un peu fantasque : peut-tre quen dehors de
sa folie de se croire Dieu, il tait normal dans le reste de sa vie, dans le reste de sa
personnalit.Mes recherches pour trouver monsieur D ne devaient pas tre bien compliques.
Ma mre mavait donn trois indices qui pouvaient me permettre de dmarrer mes
recherches. Dabord il sagissait dun monsieur, pas dune dame. Ensuite ce
monsieur prtendait tre Dieu. Et enfin ce monsieur habitait dans la ville. En
somme, tout ce que javais faire, ctait chercher un demi-fou qui croyait tre
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Dieu. Un ciel despoir souvrait au-dessus de ma tte, et un lit de facilit se
prsentait sous mes yeux. Mais la ville tait trs grande, et je ne pouvais pas
interroger les cinq cent mille personnes qui y habitaient. Heureusement, me dis-je,
il ne sera pas ncessaire dinterroger tout le monde.
La premire personne que jinterrogeai fut mon pre.
- Papa, connais-tu quelquun qui se prend pour Dieu dans cette ville ?
Ma question lui parut tellement incongrue quil clata de rire. Il tait dans son
bureau et travaillait sur un tas de papiers, sans doute des contrats ou des factures,
car son entreprise devait toujours acheter du ciment et dautres matriaux
importants pour la construction des maisons. Le bureau de mon pre se trouvait
dans une pice au fond de la maison, bien loigne de la salle de sjour, et une
porte de la sortie arrire. Il suffisait dy entrer et de fermer la porte derrire soi
pour se couper des bruits du reste de la maison. Un coussin de cuir habillait la
porte du bureau, et des grands meubles adosss contre les murs se gonflaient au
fils des ans de toutes les archives que mon pre classait dedans. Le meuble-bureau
de mon pre tait large, et des dossiers sy entassaient souvent. Une tasse de caffumant accompagnait trs souvent le travail de mon pre, et la nuit inquitante se
profilait comme une ombre vanescente travers les carreaux transparents de la
fentre, juste dans le dos de mon pre. A sa place, je ne me sentirais pas trs
rassur de porter la nuit dans mes paules. Mon pre aimait beaucoup que je
vienne faire mes devoirs le soir, assis un petit meuble de travail quil avait
install pour moi ct de son poste, et pour me mettre plus laise des rideaux
pais recouvraient ces vitres qui taient comme les yeux de lobscurit. Ctaitdans cet endroit respirant le dlicat parfum du caf que mon pre poursuivait
chaque soir luvre de ses mains et de son esprit, et consolidait sa fortune dj
immense.
Je travaillais mes devoirs depuis une heure sans redresser la tte. La prsence
proche de mon pre mtait un soutien silencieux qui me donnait plus dentrain
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ltude. De temps en temps, lun de mes grands frres venait pour renouveler le
caf de mon pre, car cette substance apportait dans son encre noire le pouvoir de
dfier la nuit et dtre libre de diriger tout son esprit dans le travail. Mais malgr
tout ce caf, mon pre ne se couchait que rarement aprs vingt-trois heures. Pour
lui ce ntait pas un excitant, mais seulement une boisson dont il aimait le got
tendre et fort en mme temps, et quil ne pouvait boire que le soir avec la fracheur
de la nuit, car dans la journe la virulence du soleil imposait dautres rgles. Mes
grands frres et moi navions que des rapports bien distants. Ils taient deux, issus
chacun de deux femmes que mon pre avait connues avant de rencontrer ma mre.
Ils taient aims de ma mre, mais leur ge plus avanc que le mien les portait vers
des occupations quotidiennes autres que les miennes. Mes occupations et mes
proccupations ntaient pourtant pas de mon ge, et des garons de dix ans
sintressaient rarement aux demi-fous qui croyaient tre Dieu. Mon pre rit
pendant plusieurs minutes, puis il se rendit compte que ma question navait rien
dune blague.
- Tu es srieux, fiston ?- Oui papa.
- Voyons je nai jamais entendu que quelquun dans cette ville disait tre
Dieu. Mais il y a quelques annes il y a eu un vieux monsieur qui a fait parler de
lui, car il prtendait avoir rencontr Dieu. Tu navais mme pas encore lge de
dire ton premier mot lpoque, et depuis je ne sais pas ce quest devenu ce
mythomane.
- Comment sappelait cet homme ?- Jai oubli son nom, mais je me rappelle quon lappelait par drision le
prophte. Il a srement mal fini.
- Est-ce quil tait fou ?
- Peut-tre mais il paraissait tout fait normal, mise part son histoire
absurde davoir rencontr Dieu.
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- Papa, est-ce que tu peux me dire o il habitait ?
Le prophte avait habit dans un quartier au nord de la ville. Je ne connaissais
rien de cette partie de la ville, mais pour moi ctait un espoir de trouver monsieur
D. La discussion steignit aussi soudainement quelle avait commenc : je
retournai mes devoirs, mon pre retourna ses dossiers, et la vapeur agrable du
caf me fit frmir les narines. Javais le droit de me saisir de la tasse et de boire
quelques gorges, mais aprs je ne devais pas en vouloir mon pre de ne pas tre
capable de trouver le sommeil avant trois heures du matin. Javais us de mon
droit une ou deux fois, et chaque fois la torpeur avait dsert mon esprit et les
brumes du sommeil avaient tard se lever derrire mes paupires. Ce soir-l, je
bus la moiti de la tasse, car javais la ferme intention de fuir le sommeil pour
avoir plus de temps pour prparer mon excursion prochaine dans le nord de la
ville. Ma mre mavait dit quil y avait un trsor inestimable pour chacun, il
suffisait seulement de le trouver. Je navais aucune indication prcise sur la nature
du trsor inestimable : sagissait-il de la mme chose pour tout le monde, ou le
trsor de lun tait-il dune nature diffrente du trsor de lautre ? Que le trsorinestimable ne soit pas de largent, cela mtait vident depuis les explications de
mon pre. Il ne pouvait pas sagir non plus de quelque chose que largent pouvait
acqurir, car dans ce cas mon pre naurait srement pas hsit lacheter : je
savais bien que derrire sa rsignation et son acceptation de la peine et de la colre
comme lments naturels de lexistence, gisait presque mort, comme chez tout le
monde, le dsir dun bonheur meilleur. Chez moi, ma mre avait vivifi ce dsir et
lavait transform en une volont aussi profonde que solide.
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Chapitre 4.
Je me rveillai tard le lendemain, le soleil tait quelques millimtres du
znith. Parce que ma tte tait lourde et mon esprit un peu brumeux, je me frottai
longuement les yeux, et lorsque je les ouvris enfin, une petite brise me caressa le
front, et un petit clat de rire memplit dune joie qui tait pour moi bien matinale.
Les grands yeux doux de ma mre me contemplaient avec affection, et le jeu des
scintillements entre les feuilles du grand arbuste me montrait des toiles en plein
jour. Jtais sur les genoux de ma mre, et mes petites surs jouaient sous le
manguier.
- Tu as beaucoup dormi aujourdhui, et jai pens que a te ferait plaisir de te
rveiller sur mes genoux, avec les ppiements de tes surs. Ton pre ma dit que
tu lui avais pos dtranges questions hier soir. Quand tu auras pris une douche et
quand tu auras mang, tu trouveras un peu dargent sur la table, ainsi quune petite
carte blanche o jai inscrit le numro de tlphone du bureau de ton pre, son
travail. Fais en bon usage mon chri.Nous navions pas le tlphone la maison, ctait pour cela quelle mavait
inscrit le numro de tlphone du travail de mon pre : de cette manire je pouvais
le joindre si jamais je me perdais, ou si je rencontrais un problme qui aurait
ncessit son intervention. Moi, je savais quil suffisait que je dise le nom de mon
pre pour que les choses saplanissent et pour que les gens se mettent en quatre
pour maider, car mon pre ntait pas seulement une clbrit dans notre quartier,
il tait connu et respect dans toute la ville. Ma mre avait devin mes projets, elleavait mme anticip les choses, car javais lintention de lui demander un peu
dargent, parce que la ville tait bien grande et quil me fallait prendre un taxi pour
rejoindre le quartier au nord. Jembrassai ma mre, puis je bondis vers lobjectif de
ma journe.
Il me fallut quelques minutes peine pour me prparer, et le premier taxi que
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jarrtai me pris. Ici, les taxis fonctionnaient dune manire bien particulire.
Aucun taxi navait le tlphone intgr, il fallait se mettre au bord dune rue et
tendre le pouce pour signaler un taxi qui roulait vive allure quon avait besoin
de ses services. Le taxi sarrtait alors, on devait courir quelques mtres, parfois
quelques dizaines de mtres lorsque le chauffeur avait hsit, et hurler la portire
la destination que lon dsirait atteindre. Il sagissait toujours du nom dun
quartier, ou du nom dun immeuble clbre ou dune glise connue, autant de
points de repres qui apparaissaient au taximan comme des adresses parfaitement
prcises Le chauffeur disait oui, ou non, en fonction de litinraire quil avait en
tte, ou en fonction des destinations des autres passagers. On se sentait toujours un
peu malchanceux lorsquun taxi vide vous disait non. Le taxi qui me prit ntait
pas vide. Une jeune fille de mon ge sy trouvait dj. Elle tait assise derrire, et
ctait justement pour viter de me retrouver directement ct delle que je
montai devant. De cette faon, je pouvais la scruter dans les miroirs de bord et
essayer de confirmer ou dinfirmer ma premire impression : elle tait
magnifiquement belle.Je ne mintressais jamais aux filles, pas plus quaux garons. Mais en voyant
ces yeux grands et clairs, et ce visage au sourire discret mais empreint dune
certaine force et dune indniable grce, mon regard se sentit subjugu et mon
esprit vacilla sur le perchoir de son indiffrence habituelle lunivers de la beaut
et de la sduction. Je pouvais le dire en toute vrit : je navais jamais rien vu
daussi beau daussi belle ! La pense de lui adresser la parole afin damorcer un
dbut de contact me traversa lesprit, et cette ondulation fugace dans le tissu de maconscience me glaa le sang et dclencha des tremblements de terreur
incontrlables. Je me dcouvrais plus timide quun dindon dplum. Javais du
mal respirer, et mes fonctions respiratoires se drglaient au fur et mesure que
lide de lui parler grandissait dans ma tte. De grosses gouttes de sueur
mergrent de ma peau sombre et dvalrent sur mon visage comme des boules de
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neige folles. Le taxi engloutissait les distances, et chaque maison qui dfilait sous
mes yeux signifiait une chance en moins de nouer le moindre contact avec cet ange
assis larrire.
- Tu devrais lui dire, petit.
Ctait la voix du chauffeur. Il avait presque murmur mon oreille, et je mis
quelques secondes pour comprendre le sens de ses paroles. Ma panique devait lui
sauter aux yeux, et la cause de cette tempte motionnelle ne lui tait pas cache.
Cette cause tait assise derrire, la tte penche contre la vitre, le regard presque
rveur. Cette cause avait les cheveux nous en un chignon presque strict, et une
robe fleurs qui donnait son jeune organisme la fragilit dune rose, sans noyer
cette force silencieuse qui se lisait dans une tonique que lon pouvait sentir dans
ses mouvements conomiss au geste prs. En apparence elle avait mon ge, mais
quelque chose en elle flottait, serein et pur, au-del du temps et de lespace. Ce que
javais devant les yeux apparaissait comme la projection dense dun tre la
dimension autre
- Je ne peux pas, cest une reine.Le chauffeur carquilla dabord les yeux, puis il acquiesa.
- Tu as raison petit, rien quen la regardant on sait que cest une reine. Mais tu
es un roi, a se voit aussi. Ecoute, depuis un moment je roule sans marrter, cest-
-dire sans prendre de nouveaux passagers, et tout a rien que pour te donner la
chance de nouer le contact. Je vous trouve mignons tous les deux, et on ne sait
jamais, il suffit dune parole pour commencer une grande histoire.
Un coup dil dans le rtroviseur minforma quelle avait tout entendu. Ellesouriait. Et mon Dieu quel sourire ! Il me semblait quelle tait heureuse de savoir
que je lui portais de lintrt. Est-ce que je rvais, ou alors elle mavait vraiment
adress un clin dil ? En lespace de quelques secondes, une trange
communication stait noue entre nous. Peut-tre tait-ce la naissance apeure et
muette de quelque chose de grand, une rencontre dans lternit, dans le
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confinement troit dun taxi. Mais le monde scroula soudainement lorsque ses
lvres sentrouvrirent et quun mot effroyable sen chappa.
- Ici !
Ctait lusage pour signaler au taxi quon tait arriv destination, et quon
voulait quil sarrte pour nous permettre de descendre. Le taximan sarrta donc
et me jeta un regard navr. Il tait dsol pour moi. La main de la jeune fille se
glissa entre le sige du conducteur et le mien, et le taximan attrapa presque au vol
la pice de monnaie quelle venait de laisser tomber en desserrant les doigts. Puis
la portire claqua, et il ny eut plus personne. Le taxi redmarra, et la petite
secousse de la brusque acclration me fit prendre conscience de la tragique
vrit : elle venait de mchapper, la jeune fille aux yeux clairs comme la pleine
lune. Quelque part en moi, une tension insoutenable sestompait au fur et mesure
que le vhicule sloignait de lendroit o lange tait descendu. Mais ce
soulagement mtait encore plus insupportable que lide de me retrouver face
face avec celle qui venait de me broyer le cur dun simple sourire. Je ne
comprenais rien ce qui tait en train de marriver. Le dsir de la tenir dans mesbras et de rire dans ses yeux stait empar de moi aussi soudainement quune
tempte quatoriale sabattant sans pravis dans des champs quon avait peine
commenc dfricher.
- Arrtez-vous, sil vous plat.
Combien de centaines de mtres le taxi avait-il avales depuis quelle tait
descendue ? Ma voix tremblait, et mes yeux voyaient un peu flou cause des
larmes qui essayaient de me noyer dans un ocan de dtresse. Je men voulais deme dcouvrir aussi timide, mais avant cet instant je navais aucun moyen de me
rendre compte de ce trait de mon caractre. Javais si souvent montr et dmontr
une totale absence de timidit et une profonde capacit de courage, que jaurais ri
aux clats si quelquun mavait dit que je serais clou de terreur un jour lide de
parler une fille, une simple fille. Lange du taxi avait touch quelque chose en
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moi, et jtais terroris sans savoir exactement pourquoi. Ce ntait pas ses yeux ou
son sourire doux comme une musique, et ce ntait pas cette espce de force
immatrielle qui se lisait dans son maintien et dans ses gestes. Javais vu un tre
magnifique, dune essence autre, belle et majestueuse, dont lapparence physique
ntait quune sorte de tmoignage extrieur.
- Je vais faire mieux que de marrter, me dit le taximan conscient de ma
dtresse.
Il fit demi-tour, remonta le cours du temps ou presque, et me dposa lendroit
o elle tait descendue.
- Bonne chance.
Debout sur le trottoir, je dcouvrais un quartier qui mtait totalement inconnu.
Les gens allaient et venaient sans mme remarquer la prsence dun jeune garon
de dix ans aux yeux chargs de larmes et au cur perdu dans le dsespoir.
Soudain, mon cur sarrta de battre, et ma tte explosa. Elle tait l, de lautre
ct de la rue, et elle me regardait. Son signe de la main me fit comprendre quelle
mavait attendu, quelle avait espr que je viendrais, quelle avait souhait que jefasse demi-tour Jtais heureux. Plus rien dautre nexistait que ses yeux, et le
monde tout autour de moi venait de seffacer dans une lumire qui minondait les
yeux et dbordait de mon cur. Sentant peine le sol sous mes pieds, je mlanai
pour la rejoindre de lautre ct de la rue. Mais le monde navait jamais disparu,
ctait seulement ma perception qui avait perdu le contact avec tout le reste pour
simbiber exclusivement de la prsence irradiante de la jeune fille. Il me sembla
vaguement quune masse mtallique me projeta dans les airs, et quune surfacerocheuse membrassa le corps dans une treinte soudaine et froide. Puis ce fut le
nant. La clameur deffroi de la foule et les crissements de pneus svanouirent
linstant mme de leur naissance dans le creux de mes oreilles
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Chapitre 5.
Javais dormi, mais je ne me souvenais pas de mtre couch. Non, je navais
pas dormi. Javais eu un accident. Mon pre et ma mre taient assis quelques
centimtres de mes doigts un peu crisps et me regardaient. Mon pre avait le
visage inquiet, et ma mre tait toujours le mme soleil de joie sereine, et sa
prsence illuminait la petite chambre dhpital que je dcouvrais en mme temps
que le souvenir des derniers vnements me revenait en mmoire. Il y avait deux
autres personnes dans la chambre : un homme qui devait tre mdecin, et
quelquun dautre qui affichait un air dsol qui se voulait rassur, mais pas
ncessairement rassurant. Le mdecin sapprocha et madressa quelques mots, puis
il se tourna vers mes parents pour leur dire que mes jours ntaient pas en danger.
- Mais il a plusieurs fractures, il ne pourra se dplacer quen fauteuil roulant
pendant quelques mois.
Jentendis que mon pre snervait. Il men voulait : javais t imprudent. Et il
en voulait ma mre : elle naurait jamais d me laisser partir tout seul larecherche dune absurdit dont elle tait responsable. Je lentendis remercier
linconnu, et je compris quil sagissait du pre de la jeune fille. Ctait lui qui
mavait transport lhpital et qui avait appel mon pre, car il avait trouv le
petit carton blanc avec le numro de tlphone dans lune de mes poches. Dans la
voix de mon pre je percevais de la colre, mais aussi de la peur. La peur tait la
vritable racine de sa colre : la peur de me perdre. Ma mre ne disait rien, mais
elle prit les mains de mon pre et les treignit avec une douceur et un calme quieurent pour effet de dissiper la peur de son mari. Le pre de la jeune fille se tenait
un peu en retrait, il devait se sentir oblig de rester encore un peu, ne serait-ce que
le temps de recueillir dans mes yeux un signe de reconnaissance, un remerciement.
Mon pre et ma mre sapprochrent, et chacun me prit la main.
- a va aller, me dit mon pre.
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Je voulus bouger, et je dcouvris que je portais plusieurs attelles : une sur
chaque jambe, et une au bras gauche. Mon pre minforma que ctait par
prcaution, je devais encore subir quelques radios et aprs on me mettrait des
pltres. Il commenait se demander comment on allait sorganiser la maison
avec un fauteuil roulant, car la demeure familiale navait jamais t construite en
tenant compte dune telle ventualit. Il y avait des marches un peu partout, et des
estrades pour souligner le moindre commencement dune salle, dune pice, dune
chambre Lvocation de toutes ces difficults en perspective raviva sa colre, et
son regard noir se posa nouveau sur ma mre avec une charge de reproche. Ma
mre se rendit immdiatement compte de cette humeur, et elle se contenta de dire
quelques mots de bon sens, de sa voix habituelle la tranquillit ocanique.
- Tu peux men vouloir si tu veux, mais demande-toi si cest la meilleure chose
faire, et si cest un sentiment qui te rend heureux.
Ces mots sadressaient mon pre, mais elle ne lavait pas regard. Elle
plongea son regard dans le mien, et il se passa quelque chose qui me fit
comprendre que je ne me trouvais pas en face dune personne ordinaire. Certes, lefait quelle soit si inbranlablement installe dans la joie et la paix intrieures
faisait dj delle quelquun dextraordinaire. Mais ce que je vis dans ses yeux
appartenait rellement un autre ordre des choses. Je ne pouvais pas dire
exactement de quoi il sagissait, mais je sentais bien que derrire ces yeux de
sereine douceur au rayon aussi pntrant que caressant, se tenait une force qui
parlait le langage dun autre rapport la ralit. Je ne sais pas comment je le
compris, mais la clart de cette prise de conscience simposa dans mon esprit avecla puissance dun tonnerre. Le trsor inestimable ne donnait pas seulement la joie
inconditionnelle, il donnait aussi autre chose
- Tout ira bien, me dit ma mre.
Et je savais que ce ntait pas des paroles en lair. Autant les paroles rassurantes
de mon pre sonnaient avec cette faiblesse toute humaine qui tait le propre dun
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aveu dimpuissance qui voulait dfier le monde mais qui ne faisait quimplorer un
espoir vague de voir le fil incontrlable des vnements prendre un cours
favorable, autant les mots paisibles de ma mre taient une vraie promesse
reposant sur la capacit dinfluer sur la ralit avec suffisamment dimpact pour
plier les vnements ce que lon dsirait. Je nentendis pas le mdecin sortir, et
linconnu se tenait toujours en retrait. Mon pre ntait plus quune ombre ple
ct de ma mre, et pourtant il tait physiquement un colosse, tandis que ma mre
navait disposition quun corps presque frle en comparaison.
- Clarys est l, me dit ma mre, est-ce que tu veux la voir ?
Ctait donc son nom, la jeune fille ! Un petit clat de rire rsonna au-dessus
de ma tte. Je me tortillai. Elle avait toujours t l, au chevet de mon lit,
quelques dizaines de centimtres derrire mon oreiller. Depuis le dbut, mon
attention stait dirige au-del de mes pieds et sur les cts de mon lit, et je
navais pas lev la tte une seconde pour voir ce qui se trouvait au-dessus de mon
crne. Quand je vis son visage, cette lumire qui annihilait le monde menvahit
nouveau lesprit, et un enchantement inconnu me transporta dans un autre tatdtre. Le simple fait de la savoir l me remplissait de bonheur. Je la connaissais
peine, et je la connaissais depuis toujours. Javais rencontr en elle ce qui regardait
mais qui ntait pas lil, et ce qui touchait mais qui ntait pas la main. Elle vint
sasseoir plus prs, et nous nous regardmes longtemps sans rien nous dire. Les
adultes sortirent, sous la calme injonction de ma mre.
- Cest pour la retrouver quil a travers la rue sans regarder. Nous ferions
mieux de les laisser un moment.Jtais paniqu et heureux en mme temps. Le bonheur ne mtait pas
incomprhensible, jen comprenais parfaitement la source. Javais devant les yeux
une personne que je dsirais ardemment, parce que mon regard et tous mes sens, et
surtout quelque chose au fond de moi, me disaient que cette personne tait la
quintessence de la beaut et de la grce, et cette beaut et cette grce illuminaient
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ma vie jusque dans les recoins les plus secrets de mon esprit. La panique me
paraissait plus trange et difficile comprendre. Devant Clarys, tout mon tre
souvrait en un dsir inn de communion, mais ctait justement parce que tout
mon tre souvrait que je paniquais, car jtais sans dfense. Pour chapper la
panique, il aurait fallu quune partie de moi se garde de ragir et se tienne en retrait
afin de donner mon esprit le sentiment dune rserve de forces protectrices
susceptibles dintervenir tout moment, au besoin. Quand on se retrouvait sans
dfense, on se savait vulnrable la moindre variation du monde.
Clarys semblait aussi impressionne que moi. Dans ce silence fait de joie et
dangoisse, deux regards se cherchaient les yeux dans les yeux, et un cur tait sur
le point de se rompre jamais. Elle baissa les yeux, et cela me permit de baisser
les miens et de respirer un peu. Je voulus me redresser lentement dans mon lit,
mais mes attelles minterdisaient ce geste simple. En entendant mon rle fluet,
Clarys leva de nouveau les yeux sur moi, et un sourire sesquissa sur ses lvres
transparentes. Mon Dieu quelle tait belle, une princesse quhabitait une majest
intemporelle. Je savais quelle tait unique au monde, et ce ntait pas seulement ledessin dlicat des traits de son visage qui me racontait cela, ctait cette prsence
immatrielle qui regardait mais qui ne pouvait pas se rduire deux prunelles et
deux pupilles. Je pouvais la voir. La voir elle, rellement, et pas seulement son
apparence physique ou son schma gestuel. Je la savais intelligente, je la savais
gracieuse, je la savais capable dune grande dtermination, je la savais douce et
enthousiaste par nature Elle concentrait dans son me ces qualits lumineuses
qui me soulevaient dadmiration, qui me vibraient damour. Jprouvais pour elleun sentiment tellement fort que jen tais accabl.
- Moi aussi, dit-elle.
Je navais rien dit, mais jtais certain quelle savait trs bien ce qui se passait
dans mon cur. Ses paroles membrasrent de plaisir, car elle venait de me dire
quelle prouvait la mme chose que moi. Elle se pencha un peu et me prit la main.
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Un lger tremblement faisait frtiller ses doigts fins, et un nuage de larme flottait
dans ses yeux. Elle ferma les yeux un instant, les ouvrit ensuite pour dissiper
lcran motionnel qui lui brouillait la vue, puis dposa un baiser sur ma main. Le
geste avait t tendre et fort, et le contact de ses lvres sur ma peau brisa la
cohsion magntique qui reliait mes cellules les unes aux autres. Comment tant de
douceur pouvait-il gnrer une telle tempte intrieure ?
- Merci, dis-je.
- Si je tembrassais sur la joue, tu risquerais de tvanouir, et je risquerais de
meffondrer moi aussi, rpondit-elle.
Elle avait totalement raison. Et lorsquelle se mit rire, un peu pour dissiper la
nervosit tremblante qui stait empare de sa voix, je compris pour quelle raison
mon pre mavait dit que ma mre tait son trsor inestimable. Clarys tait
devenue, en quelques instants, ou en quelques heures, la richesse la plus prcieuse
de ma vie. Pour moi elle tait mon trsor, et ctait inestimable. A part cette prise
de conscience, je ne savais pas ce que nous tions lun pour lautre. Etait-elle une
amie ? Mon amie ? Ma petite-amie ? On venait peine de rentrer lun dans la viede lautre, et les maigres mots que nous nous tions changs jusqu prsent ne
disaient rien de toute la profondeur qui nous unissait.
- Clarys est-ce que tu veux bien tre ma copine ?
- Oui.
Que lunivers tait beau ! Que le monde tait magnifique. Un simple mot, et
toute ma vie prenait une dimension absolue. Avant de la rencontrer, je ne mtais
jamais rendu compte quelle mavait manqu. Jignorais que javais t seul aumonde jusqu cet instant. A prsent, elle tait dans ma vie, et je faisais partie de
son existence, et cela justifiait pleinement ma prsence au monde. Elle me parla un
peu delle, et elle me dvoila surtout la manire dont elle avait vcu notre
rencontre dans le taxi. En me voyant rentrer dans le taxi, elle stait demande si
jtais un roi, quelque chose comme un prince perdu dans un monde qui ntait
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quun ple reflet de sa demeure originelle. Quelque chose en moi, et qui ntait pas
mon visage ou ma stature svelte, avait remu son cur et transform sa journe en
un t de soleil ivre. Elle stait toujours imagin que ce genre de sentiment ne
pouvait natre que dune longue et riche relation au cours de laquelle toute la clart
de lautre se dvoilerait plus lentendement quaux yeux. Sa surprise avait t
grande lorsquelle mavait vu autrement que par le filtre de ses seuls yeux.
- En te voyant, jai su que je voulais faire partie de ta vie, faire partie de toi.
Les mots taient sortis de sa bouche, mais ctait les miens. Une entente secrte,
une intelligence discrte un mystrieux clat entre nous liait fermement nos
deux sourires et rivait nos yeux sur une ralit qui ntait peut-tre pas de notre
ge. Quand son pre vint la rechercher, elle massura quelle ne tarderait pas me
rendre une seconde visite, et surtout elle avait hte que nous puissions passer du
temps ensemble, jouer toutes sortes de jeux, et discuter de toutes sortes de
sujets. Avant de partir, elle dfit le collier de perles qui pendait son cou, et me le
noua au poignet. Jaimais cette faon quelle avait de me faire comprendre que
nous tions lis ds prsent. Je lui offris un baiser dans le vent pour la remercierde son geste, puis sa prsence physique sloigna, mais sa vie ne se dtacha pas de
la mienne lorsquelle franchit la porte sous le bras de son pre. Ma mre entra
presque aussitt, et de la voir me rconforta de labsence de Clarys. Elle
minforma que mon pre tait parti, car il avait beaucoup de travail aujourdhui.
Quand elle prit place ct de moi, et quand son regard senfona nouveau
dans mes yeux, je revis cette luminosit spciale qui racontait lhistoire dune
femme solaire qui se cachait soigneusement derrire lapparence dun tre humainordinaire. Quelle erreur avais-je faite en pensant que Clarys tait mon trsor
inestimable. Le trsor inestimable tait une chose mystrieuse qui avait donn
ma mre la joie sans ombre qui se lisait dans son regard, et cette trange force qui
me fixait maintenant travers ses yeux. Mme si Clarys memportait de passion
insoutenable, il me suffisait de regarder ma mre et de sentir limmensit paisible
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de sa prsence au monde pour comprendre quaucune passion amoureuse ntait en
mesure de faire de moi cet tre solaire qutait cette femme assise devant moi.
- Maman
- Je sais. Tu as eu le coup de foudre pour Clarys, et elle ressent la mme chose
pour toi. Lamour dsir est fort entre vous.
- Lamour dsir ?
- Oui. Cest le genre damour qui se trouve la base de la relation dite
amoureuse entre deux personnes. Tu laimes, nest-ce pas ?
Oui, je laimais, et je ne pouvais pas expliquer comment ce sentiment si fort
avait fait pour se dployer de manire aussi rapide. Je navais pas besoin de
rpondre ma mre, elle savait trs bien ce que je ressentais. Elle avait nomm
cela par lexpression lamour dsir . Mais jaimais aussi ma mre, et je me
rendais compte que ce que je ressentais pour Clarys tait dune nature diffrente.
- Maman je taime aussi, mais cest pas la mme chose quavec Clarys.
- Je sais.
- Comment on appelle lamour que jai pour toi ?- Il sagit de lamour affection, cest en effet trs diffrent de lamour dsir.
Je fermai les yeux, pour mieux saisir la diffrence. La prsence de ma mre
memplissait de paix, et une joie sereine coulait dans mes veines en jaillissant
dune source inconnue. La seule vocation de la pense de Clarys me faisait bondir
le cur et me chavirait vers des mondes tranges. Mais le contact de la main de ma
mre me rappela dautres ralits. Ctait ma premire excursion la recherche
de monsieur D, avec les indices donns par mon pre et javais trouv Clarys.Elle ntait pas monsieur D, et il aurait t tonnant quelle sache mindiquer
comment trouver le trsor inestimable. Elle ntait pas le trsor inestimable, et je
navais aucune ide de ce que pouvait bien tre cette chose qui rendait son
possesseur heureux comme un soleil immortel. De quoi pouvait-il bien sagir ? Ce
ntait pas de largent, et comme ce ntait pas de largent, cela ne pouvait pas tre
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de lor, des diamants, des bijoux ou dautres choses dont la valeur tait estime en
fonction de largent. Ce ntait pas le fait pour un homme de trouver la femme
pour laquelle il prouverait un amour dsir qui le rendrait presque fou
- Maman, sil te plat, jai failli mourir en allant la recherche de monsieur D.
- Quest-ce que tu dsires, mon chri ?
- Je voudrais que tu men dises un peu plus sur le trsor inestimable. Jai bien
compris que tu navais pas le droit de me dire o je pouvais trouver monsieur D, et
jai bien compris que tu navais galement pas le droit de me montrer ton trsor
inestimable. Mais jaimerais quand mme avoir une petite ide, un peu moins
vague, de ce quest le trsor inestimable.
Elle parut se recueillir un instant, comme pour rflchir. Mais son geste discret
avait une telle intensit de concentration que je me crus dans une glise sacre
vieille de plusieurs milliers dannes. Je ressentis un profond respect, et des
images fugaces me traversrent lesprit. Ma mre navait pas de bureau personnel
la maison comme mon pre, mais elle avait nanmoins une pice rserve son
usage exclusif, et personne ntait autoris rentrer dans cette pice sans sapermission spciale. Curieusement, alors que je me montrais trs dsobissant
dans beaucoup dinterdictions, je navais jamais song braver cette interdiction
particulire, et je devais avouer que jprouvais mme une certaine apprhension
la seule ide de dcouvrir ce qui se cachait dans cette pice trange. Ma mre
senfermait dans ce local chaque soir pendant au moins une heure, parfois
plusieurs heures. Les flashs qui venaient de zbrer mon cerveau me rappelaient
fortement cette pice secrte, mme si je nen avais jamais entrebill la porte.- Quest-ce que tu voudrais savoir ?
Mon accident mouvrait des portes et me donnait le droit den savoir plus. Je
devais en profiter, et viter de poser des questions inutiles. Je me calai dans mon lit
du mieux que je pouvais, puis mon cerveau se mit carburer afin de trouver les
bonnes questions. Je mtais attendu ce quelle me dise quelque chose du genre :
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le trsor inestimable cest ceci, ou cela . Mais sa rplique voulait certainement
dire que je ne devais pas esprer une rponse sans quivoque, au contraire je
devais aller chercher la rponse aprs un barrage peut-tre infranchissable de
questions. Et je navais certainement pas le loisir de poser un nombre illimit de
questions. Si je navais pas de chance aujourdhui, la discussion pourrait bien se
clore au bout de deux ou trois questions sans mapporter dinformations nouvelles
sur le trsor inestimable.
- Je voudrais savoir Est-ce que le trsor inestimable est un objet ?
- Disons que cest quelque chose de concret, mais a ne ressemble aucun objet
de ta connaissance. Si tu veux quelques images pour taider comprendre, je te
dirais que cest en quelque sorte comme un diamant enfonc dans une gangue de
pierre. Dieu cest--dire monsieur D, aurait donc cr plusieurs diamants, un
pour chaque habitant pass, prsent et futur de cette plante. Pour trouver son
diamant personnel, chacun doit sadresser monsieur D, et monsieur D lui
indiquera comment faire pour trouver le diamant et pour le dgager de sa gangue
de pierre. Chacun ne pourrait entrer en possession que de son diamant personnel,et jamais du diamant dun autre. Mais une fois quon a trouv son diamant
personnel, on ne peut plus jamais le perdre, et il procure son possesseur la joie
inconditionnelle, mais aussi la force spirituelle.
- Donc le trsor inestimable est un diamant ?
- Non, jai pris une image, pour que tu comprennes bien quil sagit de quelque
chose de concret. Mais sil fallait essayer de dcrire le trsor inestimable, la
meilleure image serait de dire quil sagirait dune sorte duf pondu par le soleil.Mais cela brille dune lumire qui nest pas de ce monde. Je ne ten dirais pas plus,
mais je toffre un cadeau. Nen parle personne.
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Chapitre 6.
Elle avait pos les mains sur moi, et quelque chose dincomprhensible stait
produit. Une trange torpeur mavait comprim les yeux, et un sommeil lourd
navait pas mis longtemps mengloutir. En quelques secondes seulement, le fil de
veille qui me reliait mon environnement stait rompu pour se reconstituer
plusieurs heures plus tard. Ma mre ntait plus l, et dans le vide de ma chambre
sourdait un dbut dobscurit. La nuit sappropriait le monde, comme chaque jour
cette heure-l. Un peu de nourriture mattendait sur la petite table de chevet, et
mon premier mouvement minforma que mon corps ntait plus aussi bris qu
ma premire prise de conscience aprs laccident. Ma mre mavait fait quelque
chose, et je navais pas besoin de savoir ce que ctait pour me rendre compte que
jallais beaucoup mieux.
La nuit se droula paisiblement, et le lendemain le mdecin se montra presque
dsempar. Il dcouvrit, en mexaminant, que quelque chose dinattendu stait
produit, moins quil ne se soit tromp lors de son premier diagnostic. Les radiosconfirmrent ses nouvelles impressions, et mon pre me parut trs excit, sa
manire, lorsquil se pointa au chevet de mon lit, car le mdecin lavait prvenu
ds quil avait eu sous les yeux les rsultats des radios. Mon pre et le mdecin
discutrent pendant quelques minutes, et je pouvais tout entendre puisque la
conversation se droulait sous mes yeux. Selon le mdecin, je serai compltement
sur pied dans deux ou trois jours, aussi frais que sil ne mtait jamais rien arriv.
Ctait une bonne nouvelle, mais lhomme de sant se montrait boulevers car magurison ntait pas esprer avant plusieurs mois. Stait-il tromp dans sa
premire valuation ? Il aurait pourtant jur que javais les os briss Mon pre
semblait encore plus retourn que le mdecin, et cest une voix craintive qui
senquit de mon tat de sant.
- Fiston, sais-tu pourquoi tu guris aussi vite ?
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- Pour pouvoir me remettre aussi tt que possible la recherche de lhomme qui
se prend pour Dieu.
Je ne pouvais pas trouver meilleure occasion pour remettre cette histoire sur le
tapis. La sombre expression du regard de mon pre mapprit quil voyait dun trs
mauvais il mon intrt pour cette histoire. Pour lui, mon accident ne se serait
jamais produit si je ne mtais pas mis en tte de rechercher un mythomane qui
croyait tre Dieu, et bien entendu ctait cause de ma mre si tout cela stait
produit. Mais ma gurison rapide donnait toute cette affaire une tournure quelque
peu mystrieuse, comme si la ralit avait un peu adouci ses propres rgles pour
me permettre de trouver mon chemin jusqu la personne que je recherchais. Le
mdecin simmobilisa et prta une oreille attentive lorsquil entendit ma rplique.
Mon pre cherchait ses mots, et il sembla finalement trouver quelque chose me
rpondre. Son embarras empourprait son visage dj rouge son ordinaire, et ses
yeux presque oranges sefforaient de mintimider. Son autorit naturelle ne
mavait jamais paru plus objective que maintenant.
- Tu devrais oublier cette histoire, seul un fou peut se prendre pour Dieu, et unfou ne peut rien tapprendre de bon.
Un sourire un peu moqueur et un peu incrdule se dessina sur les lvres du
mdecin. Chaque impulsion sonore scande par la voix ferme de mon pre lui
apprenait ce qui se passait. Et un jeune garon qui cherchait rencontrer un fou se
prenant pour Dieu, cela devait tre pour lui un vnement insolite de nature
gayer sa journe, et peut-tre mme sa semaine. Sa tte remua, et je reconnus ce
mouvement de la nuque qui soulignait un mlange dhilarit et dintrt.- Ces enfants ! dit mon pre dun faux air las en se confiant au mdecin qui
devenait subitement un ami de longue date.
- Papa, il y a dans cette ville un homme qui dit tre Dieu, et je dois trouver cet
homme. Sil te plat, papa.
- Je tai dj dit que je ne connais personne dans cette ville qui se prend pour
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Dieu. Et vous ?
Mon pre stait tourn vers le mdecin pour recueillir la confirmation
invitable. Mais lhomme en blouse blanche frona un sourcil et se gratta le dbut
de calvitie quil me fit dcouvrir en penchant un peu trop la tte en avant, comme
si une marre de souvenirs stait ouverte ses pieds. Lintrospection du mdecin
nerva un peu mon pre, mais il se garda de le faire sentir. Lorsque lhomme au
stthoscope revint son environnement immdiat, un mur de gravit stait pos
sur son visage, et sa voix granulait comme une cascade sourde.
- Cest que Je ne suis pas tout fait sr que ces histoires soient dignes
dintrt, mais
Mon pre lui coupa la parole avec une brusquerie qui se voulait persuasive.
- Vous tes bien daccord quil ny a personne dans cette ville qui dit tre Dieu,
nest-ce pas ?
- Dans cette ville, probablement
- Et mme si ailleurs des gens se disent tre Dieu, ajouta mon pre qui ne
voulait pas que le mdecin dvoile la suite de son propos, ces gens ne sauraienttre autre chose que des fous. Dieu nexiste pas, cest un fait, et se prendre pour
Dieu relve dun problme de drglement psychologique. Nest-ce pas ?
La force desprit de mon pre, cette structure mentale dune extraordinaire
solidit qui dployait une dtermination absolue, transparaissait aisment dans son
regard, dans sa voix et dans la mesure de ses gestes. Le roc quil tait au-dedans de
sa tte tait une nergie implacable et impeccable qui sincarnait jusque dans sa
manire de shabiller, et quelque chose dans le feu de ses yeux et le timbre de savoix extriorisait une autorit que lon respectait demble, que lon pouvait
craindre loccasion. Peut-tre ne le faisait-il pas consciemment, mais mon pre
pouvait parfois solidifier son autorit jusqu la rendre invitable pour son
interlocuteur. Le mdecin stait transform en quelques fractions de secondes en
une victime incrdule de lautorit de mon pre, et le tremblement que je captai
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dans son regard me fit penser un agneau quun lion avait surpris dans la
pnombre de la jungle urbaine. Il baissa la tte, et je reconnus ce geste de
soumission que javais dj aperu chez nombre damis de mon pre chaque fois
quune ombre de conflit avait plan dans leurs rapports.
- Vous avez srement raison, concda le mdecin.
Mon pre avait un esprit fort, mais il ntait pas agressif dans le sens primaire et
gnralement veule de ce terme. Ce qui imposait le respect dans sa personne,
ctait cette impression vidente quon avait, en le voyant, quil sagissait dune
personne extrmement solide dont la dtermination froide tait certainement
capable de renverser le monde sans tremper un seul instant dans ltang ordinaire
des faiblesses motionnelles du commun des mortels. Le mdecin ne stait
srement pas senti cras, mais il avait prouv, comme beaucoup avant lui,
lirrsistible dsir de se ranger du ct de mon pre, car la proximit subjective
avec un homme de cette force prsent