NATATION L'objet de cet article est de proposer aux élèves un ensemble de techniques dites « intermédiaires » ou « scolaires » en crawl, susceptibles de jalonner les différentes étapes dans la formation du nageur à l'école tout en répondant aux exigences des programmes.
VIVRE DES
COORDINATIONS DIFFÉRENTES POUR NAGER PLUS VITE ET PLUS LONGTEMPS EN CRAWL
PAR F. POTDEVIN, P. PELAYO
Le thème des coordinations reste pour l'enseignant d'EPS un des objets les plus complexes à appréhender. En natation, elles sont souvent définies par rapport aux relations temporelles et spatiales entre les trains supérieurs et inférieurs pour les nages simultanées (brasse, papillon) et/ou entre les deux bras qui organisent les nages alternées (crawl, dos). En crawl par exemple, on parle souvent de rattrapé, de superposition ou d'opposition, sans savoir précisément si ces techniques sont efficaces ou adaptées au niveau de pratique de l'élève. Les coordinations sont souvent considérées comme peu transformables dans le cadre des séances d'EPS. Pour R. Catteau, elles ne s'enseignent pas et sont peu sensibles
aux consignes verbales des enseignants. Depuis peu, les recherches menées à un haut niveau d'expertise en natation [1] ont quantifié les relations entre les actions des différents segments propulsifs par l'utilisation d'indices de coordination dans chaque nage. Nous disposons aujourd'hui de données relatives à l'évolution des coordinations en fonction des distances de course [2], des vitesses [1] et de la fréquence de nage [3], de la respiration [4], du sexe [5], du niveau d'expertise [3, 6] ou encore de la fatigue [7]. Les techniques « intermédiaires » que nous avons retenues correspondent à trois étapes tenant compte du volume horaire en EPS.
1ÈRE ÉTAPE : NAGER EN OPPOSITION SUR DE COURTES DISTANCES Les documents d'accompagnement pour les classes de 6e différencient les nages dites « d'évolution » pour « nager loin et longtemps » en limitant le coût énergétique, des nages de « propulsion » pour nager « vite sur de courtes distances ». À ce niveau de pratique, si la première compétence nécessite de maîtriser des techniques de nage économiques comme la brasse ou le dos brassé, le crawl représente la modalité de nage la plus adaptée pour nager vite sur de courtes distances (encadré 1). Dans une finalité de performance sur des distances de 10 à 25 m, il s'agit d'organiser, dans une pre
mière étape, une propulsion alternative avec des retours aériens, tout en maintenant un corps horizontal et aligné sur un mode respiratoire en apnée. La résolution des problèmes respiratoires pour maintenir un équilibre horizontal du corps et limiter les résistances de forme à l'avancement, se pose spécifiquement pour réaliser des parcours longs en crawl. Comment être efficace sur des distances de 10 à 25 m en 10 heures de pratique ? Une technique de crawl bras tendus en opposition peut être retenue lors d'un premier cycle (encadré 1, lère étape). La coordination en opposition Cette technique se définit comme une action propulsive continue : un
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1. Longueur et profondeur des appuis pour une trajectoire bras fléchi (rouge) comparé à des bras tendus et rigides (vert).
bras débute sa traction au moment où l'autre débute le retour aérien. Nager bras tendus permet dans un premier temps de maintenir une grande quantité de surfaces propulsives et une longueur importante du trajet moteur en empêchant les élèves de fléchir spontanément le bras face aux résistances propulsives importantes. Pour apprendre ce nouveau geste, l'élève ne doit contrôler qu'une seule articulation-clé (l'épaule), les autres (coude, poi
gnet) étant verrouillées (encadré 2, lère
étape).
Appliquer des principes d'efficacité propulsive Vivre cette coordination en milieu scolaire, sur des distances de nage non perturbées par des nécessitées respiratoires, permet rapidement aux élèves d'appliquer les principes suivants. • Continuité des actions par une nage alternée et limitation des « trous moteurs ».
1. La référence aux experts Technique incontestée depuis maintenant plus d'un siècle dans les épreuves de nage libre, le crawl représente à haut niveau le moyen le plus efficace pour nager le plus vite quelles que soient les distances. Parce qu'il représente la modalité la moins contraignante réglementairement, il correspond en effet au meilleur compromis pour améliorer la propulsion et diminuer les résistances à l'avancement. Depuis 1902, le record du monde de Richard Cavill sur 100 yards (91,44 m) puis sur 100 m, n'a été battu qu'en adoptant cette technique. Les épreuves de longues distances (comme le 25 km) ou la traversée de la manche (Gertrude Ederlé en 1923) se nagent également de bout en bout en crawl.
Si les techniques des experts représentent l'application concrète des principes biomécaniques pour nager vite en surface, ceux-ci apparaissent inaccessibles pour les élèves dans les conditions horaires de l'EPS. Pourtant on peut en retenir les logiques et proposer aux élèves des techniques « intermédiaires » aux 3 étapes du cursus.
Coordination en opposition (1e étape) Ce mode est utilisé sur des distances de sprint court (25 et 50 m) par des nageurs de niveau régional ou sur des distances de sprint long (100 m) par des nageurs de très haut niveau [1,5]. Dans le modèle de la « roue à aube » (crawl en opposition bras tendus), l'absence de prise d'appui permet aux
élèves d'adopter un type de coordination semblable à celui du haut niveau. Rattrapé bras tendu (2e étape) Les experts garçons et filles de niveau national maintiennent des modes de coordination en rattrapé sur des distances de 100 à 3000 m [5]. Par exemple, des nageurs de niveau national réalisant environ 8 min 43 au 800 m ont en moyenne un temps mort propulsif égal à 8.5 % de la durée totale du cycle (soit environ 0,15 s pour une fréquence moyenne de 34,6 cycles.min-1). Toutefois, ces valeurs de fréquence correspondent à celles que les élèves scolaires maintiennent sur des distances de 50 à 100 m [12]. Sur les plus longues distances (de 200 à 400 m), les fréquences adoptées à l'école sont en moyenne de 30 cycles.min-1. Des nageurs de niveau national à qui l'on demande de nager le plus vite possible en respectant cette valeur de fréquence adoptent un temps mort propulsif d'environ 15 % (soit 0,3 s) [3]. Il semble alors important de se fixer comme objectif de développer ce temps de glisse.
Adapter la coordination (3e étape) Plus la vitesse et la fréquence de nage sont élevées, plus les coordinations du haut niveau limitent le temps de glisse pour passer d'un rattrapé important à une opposition voire à une superposition [1,5]. À des valeurs de fréquence inférieures ou égales à 45 cycles.min-1, les nageurs de haut niveau favorisent davantage le rattrapé en prolongeant les phases de glisse [3].
2. Justifications théoriques Coordination en opposition (1e
étape) Selon N.-A. Bernstein [8], apprendre une nouvelle habileté revient à maîtriser les différents degrés de liberté afin de créer le mouvement efficace. Moins il y a de degré de liberté, plus il est facile d'apprendre un nouveau geste. Rattrapé bras tendu (2e étape) • Au regard des données neurophysiologiques, J . Paillard a montré que l'acquisition d'un nouveau geste passe prioritairement d'un contrôle des articulations proximales (ici, l'épaule) à un contrôle des articulations distales (coude) [14]. • D'un point de vue écologique, proposer cette technique dans un deuxième temps se justifie par ce qu'elle comporte un degré de liberté supplémentaire à contrôler (le coude en plus de l'épaule). • Selon K.-L. Newell [15, 16], une première étape dans l'acquisition d'une nouvelle coordination est une période de déstabilisation du comportement initial où le sujet recherche de nouvelles relations entre les différents compo
sants à coordonner. Aussi, tous les exercices réalisés un bras à la fois perturbent fortement les relations temporelles ancrées dans le répertoire moteur de l'élève. • Plus la vitesse et la fréquence de nage sont élevées, plus la coordination tend vers une opposition des phases propulsives et moins le rattrapé bras tendus a de chance d'apparaître [17]. Contraindre l'élève à nager lentement, par des aménagements, favorise l'émergence de cette nouvelle coordination. Cette procédure a déjà été suggérée par Bernstein : « Le plus judicieux et correct des entraînements devrait être organisé (...) de manière à créer les conditions optimales pour une absorption et une mémorisation de toutes les (bonnes) sensations » [18]. Adapter la coordination (3e étape) P. Pelayo et F. Wille [12] ont montré que l'augmentation de la fréquence et de l'amplitude était nécessaire pour accélérer jusqu'à la vitesse maximale aérobie mais qu'au-delà l'augmentation de la fréquence au détriment de l'amplitude permettait d'atteindre des vitesses supérieures.
• Longueur du trajet des appuis grâce à des bras tendus et fréquence de nage élevée (photo 1). • Réduction des résistances à l'avancement (retour aérien, tonicité et maintien de l'équilibre horizontal). Ces principes pourront être réinvestis et complétés plus tard sur des distances de plus en plus longues nécessitant parallèlement la résolution des problèmes respiratoires. Que faut il apprendre pour acquérir une première technique de crawl en opposition ? Nager vite sur de courtes distances suppose la construction d'un nouvel espace moteur et la mise en place d'un équilibre horizontal tonique non perturbé par des actions motrices de bras à fréquence élevée. De nombreux ouvrages [9, 10, 11]
proposent des situations d'apprentissage sur ces thèmes. Développer une tonicité axiale du corps Elle est dépendante de la fixité de la tête et de l'alignement pieds-bassin-épaules lors des poussées. Exercices de coulées ventrales, dorsales, costales, par poussée contre le mur ou par tiré de partenaire dans toutes les directions (haut, bas, avant, arrière), sous plusieurs configurations corporelles (les 2 bras devant, 1 devant 1 derrière, les 2 bras dans le prolongement du corps). Consignes : se durcir, se grandir, rentrer la tête sous les bras.
Structurer spatialement son espace moteur Les actions de bras se déroulent dans un espace non contrôlé par la vue.
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Situations de repérage combinant sensations kinesthésiques et tactiles • Jeu du parachutiste : reproduire des figures imposées (photo 2). • Venir toucher avec les mains et les bras tendus les points les plus en avant, en arrière, profonds, dans les p lans ho r i zon ta l et sagittal. Consignes : fe rmer les yeux , mémoriser les sensations d'étire-ment en associant des informations tactiles et proprioceptives.
Combiner des actions propulsives des bras sans déstructurer l'équilibre horizontal. • Aller le plus loin possible en apnée, en faisant le moins de bruit possible. • Aller le plus loin possible en crawl en x coups de bras sans arrêter les mouvements de bras. • Sprints en crawl sur de courtes distances. Consignes : ne jamais plier les bras et maintenir leur rigidité tout au long de l'exercice.
Évaluation Sprint sur des distances au choix de 10 à 15 m. Départ dans l'eau, apnée obligatoire dans un premier temps.
2ème ÉTAPE : NAGER EN RATTRAPÉ SUR DE LONGUES DISTANCES
Un des objectifs majeurs des prog rammes du cycle central est l 'amélioration de la capacité à nager longtemps. Le crawl apparaît incontournable pour poser le p rob lème resp i ra to i re et permettre le maintien de l'horizontalité mise en place lors d'un premier cycle. Paral lèlement à la résolution de ce problème, l'enjeu est de proposer une technique résultant du meilleur compromis entre économie et efficacité propuls ive pour des ép reuves longues.
Comment être efficace sur des distances de 200 à 400 mètres en 20 heures de pratique ? A ce niveau, deux techniques successives de crawl rattrapé peuvent être envisagées. La première correspond à un crawl rythmé avec un arrêt momen tané des mains en avant du corps , une accélération continue des bras tendus d'avant en arrière et un re tour aér ien ba l i s t ique sous forme relâchée. On peut ensuite rechercher un trajet en légère forme sinusoïdale pour en augmenter la longueur et optimiser l'orientation des surfaces propul-
2. Jouer au » parachutiste ».
sives des appuis, ainsi qu'une dissociat ion avant-bras /bras afin d'améliorer leur quantité.
Le rattrapé bras tendus Cette coordination est définie par un temps mort propulsif, la traction d'un bras débutant après la sortie de l'eau de l'autre main. Il ne se limite pas au simple exercice éducatif consistant à démarrer la traction d'un bras lorsque la main de l'autre bras a terminé son retour aérien et rentre dans l'eau ( temps mort propulsif égal au temps du retour aérien). Il existe en effet autant de coordinations en rattrapé que de temps morts propulsifs possibles [1]. Les données recueillies chez les experts sur 800 m [5] peuvent être comparées avec des élèves s'engageant sur des distances de 400 m (encadré 1, 2 e étape). L'acquisition d'une technique craw-lée en ra t t r apé pourra i t donc appara î t re c o m m e per t inen te pour nager sur des durées d'exerc ices i den t i ques (entre 6 et 10 min).
Comment réduire les résistances de vague ? Nager en rattrapé en optimisant les phases de glisse en fonction de la distance de course résulte du compromis entre une continuité propulsive (temps de glisse court) et une diminution des résistances à l'avancement en jouant sur les résistances de vague. La résolution des problèmes respiratoires permet de limiter la surface de maître couple durant toute la distance nagée. Ce problème résolu, la diminution des résistances à
l'avancement n'est possible que par la réduction des résistances de vague. La résistance de vague est égale au rapport entre la vitesse et la racine carrée du produit de l'accélération gravitationnelle par la longueur du nageur (R vague = v/√(gL), [13]. La mise en place d'une phase d'appui légèrement prolongée, en allongeant le corps par un engagement de l'épaule et du bras vers le fond et l 'avant, peut créer un effet bulbe (principe utilisé en navigation lorsque la coque du bateau est composée d 'une extension à l 'avant) qui permet une diminution de ce type de résistance. Si la coordination en rattrapé présente des inconvénients par la discontinuité des actions de propulsion, elle représente une solution pertinente pour diminuer les résistances. Le passage vers une coordination en rattrapé avec dissociation de l'avant-bras du bras se justifie au regard de différentes données sc ien t i f iques n e u r o p h y s i o l o giques et écologiques (encadré 2, 2 e étape).
Que faut il apprendre pour acquérir une première technique de crawl en rattrapé ?
Déstructurer la coordination en opposition • Nager avec un bras, l'autre reste immobile placé dans le prolongement du corps. Consignes : le bras « mort » ne peut pas bouger, nager lentement, utiliser le pull-buoy. Placer un temps de glisse entre les actions propulsives de chaque bras.
• Éducatif rattrapé : démarrer la traction d'un bras lorsque la main de l ' au t r e bras a t e rminé son retour aérien et touche la main placée devant (repère tactile). Consignes : bras tendus, nager lentement , d ' abord avec pull-buoy. • Nage hybride : bras en crawl et ciseaux de brasse. Consignes : un coup de bras par ciseau de brasse, les deux mains se touchent entre chaque coup de bras dans le pro longement du corps.
Diminuer le temps de glisse Alterner nage à un bras et nage à deux bras en « surfant » sur le bras immobile devant. Consignes : nager lentement , diminuer le nombre de coups de bras par longueur, expirer de plus en plus fort lorsque le bras repart vers l'arrière.
Évaluation 200 à 400 m en crawl sans limite de temps. Prise d'amplitude à 4 moments non annoncés au cours de la course.
Nager lentement Selon les concepts des théories dynamiques, il existe des coordinations plus ou moins stables en fonction des conditions de déroulement de la tâche [17]. La coordination proposée est adaptée pour des al lures lentes (encadré 2, 2 e étape). Aussi, des dispositifs contraignant l'élève à nager lentement l'aideront au départ de son apprentissage pour transformer les re la t ions tempore l les entre les deux bras et favoriser
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Découvrir le roulis.
l'émergence de la nouvelle coordination visée. Exemple : ne pas avoir le droit de dépasser un élève réalisant devant soi un parcours de récupération en brasse, suivre l'allure lente d'un observateur se déplaçant au bord du basin. L'aide matérielle du pull-buoy nous semble pertinente au début de l'apprentissage pour maintenir l 'équilibre horizontal à des vitesses lentes où le phénomène de portance est réduit.
Découvrir le roulis (dessin ci-dessus) Les épaules doivent s'enfoncer et osciller autour de l'axe longitudinal. D'un point de vue spatial, la création d'une phase de glisse nécessite l'allongement du corps vers l'avant au moment de l'entrée de la main dans l'eau mais aussi un roulis des épaules. Il s'agit de coordonner une tonicité axiale et des contractions motrices périphériques par un jeu de dissociation tête-ceinture sca-pulaire tout en maintenant un équilibre horizontal. • Nager dans le petit bain, toucher le fond du bassin par enfoncement d'une épaule et une sortie de l'épaule opposée. Plus la profondeur augmente, plus le roulis des épaules doit être important pour réussir à toucher le fond du bassin. • Diminuer le nombre de coups de bras sur 25 m en un temps donné, avec un bras le long du corps puis en crawl.
Consignes • Surfer sur le bras devant qui s'enfonce et s'allonge (roulis),
fixer la tête (nager au-dessus de la ligne de fond de bassin pour y fixer son regard). • Un travail parallèle de battements associés à des inspirations latérales bras le long du corps, est nécessaire pour compenser les nouveaux déséquilibres du train supérieur par la stabilisation du bassin.
3ème ÉTAPE : ADAPTER SA COORDINATION
S'engager avec lucidité, c'est adopter la meilleure coordination par rapport à un ensemble de données correspondant aux conditions de l 'épreuve comme la durée et la distance de course mais aussi sa vitesse ou ses capa
cités physiques du moment. Les compétences visées au lycée prennent en compte ce paramètre de gestion dans la proposition d'épreuves crawlées, soit en combinant des épreuves de nature énergétiquement différentes (exemples : un 400 m et un 50 m nage libre [9] ou un 125 m 4 nages suivis d'un 25 m sprint [19]), soit en incluant les épreuves crawlées dans des épreuve multinages. Aussi, le problème posé à l 'élève est d'adopter une coordination énergétiquement compatible avec son projet initial et son projet immédiat (fatigue en début ou fin de parcours crawlé, volonté d'accélérer sur la fin de l'épreuve, tenta
tive de doublement en situation de compétition). Gérer sa coordination, c'est donc savoir en changer ! Le lycéen physiquement éduqué en natation devrait être capable de s'engager dans une épreuve avec la coordination la plus efficace pour aller vite, la plus économique pour durer longtemps ou la plus pertinente pour doubler un partenaire.
Comment être efficace dans des épreuves combinées, du sprint court aux épreuves longues, après 40 heures de pratique ? La littérature de vulgarisation présente souvent une seule technique de crawl. Pourtant, les récentes études scientifiques
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montrent qu'un même nageur n'utilise pas le même crawl selon les distances, voire les moments de la course. Le nageur lycéen devrait être capable d'utiliser deux types de coordinations (rattrapé et opposition voire superposition), les maintenir sur la totalité d'un parcours (de 15 à 400 m) ou les changer en fonction de ses intentions (accélérer, ralentir, s'épuiser, se préserver). Se fixer comme objet d'enseignement l'adaptabilité de la coordination ne relève pas seulement de la réussite de l'élève à court terme (épreuves du baccalauréat ou évaluation de cycle). Dans sa pratique future, l'élève aura besoin de mobiliser l'ensemble de ces contenus techniques : - pour nager très vite sur de courtes distances (prendre une vague pour body-surfer, disputer une balle lors d'un match de water-polo) ; - pour nager longtemps (s'éloigner du bord en milieu naturel, entretenir sa santé lors des séances publiques de piscines) ; - ou pour nager lentement au moindre coût (récupérer après un effort, se relaxer). La coordination en superposition Elle est répertoriée uniquement chez les nageurs de très haut niveau sur des distances de 50 et 100 m [1, 6]. Toutefois, nous avons montré qu'il était possible de faire nager momentanément
des nageurs non experts (1 min 15 au 100 m nage libre) en superposition lorsqu'ils étaient contraints d'adopter une fréquence de 50 cycles.min-1 [3]. Même si la forme technique du trajet moteur diffère des experts, faire vivre une coordination en superposition chez de bons nageurs scolaires peut s'envisager sur des distances de 10 à 15 m.
Que faut-il apprendre pour être capable de choisir et modifier sa technique de crawl ? Pouvoir choisir sous-entend avoir expérimenté plusieurs modes de coordinations sur des distances différentes. Le paramètre permettant de contrôler au mieux sa coordination fait encore débat. Si la vitesse de nage est importante, nous avons retenu la fréquence de nage (cycles de bras par minute) comme paramètre de contrôle principal. Mettre en place un type de coordination reviendrait alors à adopter une valeur de fréquence de nage adaptée à ses ressources pour la maintenir tout le long de l'épreuve. Toutefois, les paramètres d'amplitude influencent également la coordination entre les bras [3] (encadré 1, 3e étape). Des contraintes cognitives liées au prolongement de la phase d'appui apparaissent possibles à des valeurs faibles de fréquence. Adopter la meilleure coordination en fonction des distances, c'est apprendre à jouer avec les paramètres de fréquence et d'al
longement à l'entrée dans l'eau en fonction du temps d'effort. De même, les paramètres à contrôler pour modifier sa coordination en cours d'épreuve sont complexes car peu de recherches ont été réalisées sur les accélérations en natation. Apprendre à accélérer, à passer d'un rattrapé vers une opposition de phases, c'est apprendre à réguler une hausse de fréquence en limitant la chute d'amplitude pour nager plus vite [12] (encadré 2, 3e étape).
Passer d'un mode rattrapé à un mode proche de l'opposition et vice versa • Suivre un entraîneur qui marche au bord du bassin en variant sa vitesse. • Jeu du suiveur : 2 élèves, l'un derrière l'autre, disputent une course, arbitrée par un 3e élève qui marche lentement le long du bord. Le 1er nageur ne peut dépasser l'arbitre sauf si son suiveur l'a lui-même dépassé. Consignes : profiter des allures lentes pour s'allonger et récupérer.
Élaborer des stratégies de coordination en fonction des distances de course Mémorisation de tempo sur des distances très différentes nagées à allure régulière (12,5 m, 100 m, 400 m). Combiner ces allures lors d'une épreuve en continu (75 m : 1er 50 m allure 100 m ; 37,50 m allure 400 ; 12,50 m allure 12,50).
Consigne : mémoriser un rythme de coup de bras. Évaluation Triathlon : 15 m-50 m-200 m chronométrés. Mesure de l'indice de nage ( VxA) ou de l'indicateur de Verger (t+n) qui doivent être approximativement identiques pour les 3 épreuves.
Les techniques scolaires ou inter-médiaires, adaptées aux ressources du moment de l'élève, ne limitent en rien l'acquisition ultérieure de techniques plus complexes. Elles doivent être intégrées dans l'action elle-même pour nager vite (sprint court de 10 à 15 m), long (distances supérieures à 200 m) ou long et vite (sprint long de 50 à 100 m). Dans ce cadre, l'enseignant peut alors s'intéresser aux coordinations intersegmentaires adaptées à la tâche et à leur mise en place chez l'élève.
François Potdevin Professeur agrégé d'EPS.
Patrick Pelayo Professeur des universités,
Laboratoire Éducation Intervention,
Faculté des sciences du sport et de l'éducation physique,
Lille 2.
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