drôme de dames
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Drôme de dames : 18 protraits de Drômoises, 18 parcours de femmesTRANSCRIPT
Sylvia Teste Quand on est une fille, il faut se dépasser plus qu’un garçon,
il faut prouver qu’on est capable Roxanne Gaucherand Je pense qu’on est tous au fond un peu sexistes Josette Fournié Il faut qu’il y ait un partage des tâches entre l’homme et la femme Edith Cerf Une femme n’est pas une variété d’hommes Annie Mazuray Il faut que les femmes s’engagent Denise Deronzier A mon
époque, on arrêtait les études quand on se mariait Viviane Margerie Tout ce que
les femmes ont obtenu, elles ont bien souvent
dû l’imposer Paulette Barret Pour moi, c’est
aussi un plaisir d’aider Josiane Berruyer
Ce n’est pas parce que les hommes ne seront
plus dominants que les femmes le deviendront
Lydia Zali J’ai un métier assez prestigieux, mais si j’y suis arrivée, tout le monde peut y arriver Alexandra Isvarine J’avais
une 205 qui avait au moins 15 ans, j’y ai mis
l’essentiel (…) et je suis partie vers l’inconnu
Meriem Fradj Ce qui m’afflige, c’est qu’on doute encore des compétences des femmes qui doivent en faire dix fois
plus Françoise Bourdon Le féminisme ne doit pas être un prétexte pour créer une
nouvelle inégalité Marie-Noëlle Babel Il faut oser rester femme, avec nos différences de
femme Marie Roblès Nous préférions nous jeter dans le ravin plutôt que d’être pris, parce que
nous savions que dans ce cas nous serions fusillés Claudine Mukezangango Dans la réalité,
une femme a souvent trois journées de travail : avant de partir le matin elle doit
s’occuper des enfants, puis partir au travail et le soir rentrer et s’occuper de la vie de famille.
Dames Drôme “de
”
Ouvrage réalisé dans le cadre d’un emploi civique accompagné par le Département de la Drôme
Rédaction : Nora Cherrati - Photos : Nora Cherrati - Lucie BarrièreImpression : Département de la Drôme - Mai 2014
M’engager en service civique n’a pas été un choix simple, qui allait de soi. Dire que beaucoup
d’opportunités s’offraient à moi, fraîchement diplômée d’un master d’édition et de rédaction
professionnelle serait trahir la vérité. Mais cette mission n’a pas été un choix par défaut, dicté par le
hasard. Au contraire, le projet présentait pour moi beaucoup d’intérêt. Il me permettait de m’investir
dans une mission d’intérêt public, de m’intéresser à une problématique, l’égalité des sexes, qui
demeure actuelle à laquelle je n’avais jamais vraiment pris le temps de réfléchir, tout en mettant
en œuvre des compétences de mon domaine : interroger, recueillir des propos, synthétiser, écrire
et participer à l’édition de ce livret.
Le projet était ambitieux. Il s’agissait d’abord de partir à la rencontre de femmes vivant dans la Drôme,
les interroger, écouter leur histoire, apprendre de leur parcours et dresser leur portrait en vue d’une
exposition photographique et de l’édition d’un livret.
Nous étions au début deux jeunes femmes engagées dans ce projet. Lucie Barrière a décidé à
mi-chemin de ne pas poursuivre cet engagement. Une décision qui lui appartient. Cela n’occulte en
rien le travail qu’elle a effectué durant des mois et, sans lequel le projet n’aurait pas pu voir le jour.
Tout n’a pas été simple. Il a d’abord fallu contacter et gagner la confiance des femmes qui avaient
été choisies. Certaines étaient sceptiques, d’autres n’ont pas été convaincues et n’ont pas souhaité
participer (heureusement, elles se comptent sur les doigts de la main). Mais la grande majorité a
accepté et les portraits qui figurent dans ce livret témoignent de ces rencontres qui ont pu se faire
et toutes, dans de bonnes conditions : partout nous avons été bien accueillies, chaque femme s’est
livrée avec bienveillance et beaucoup de sympathie et pour cela, je tiens à les remercier toutes.
Rencontrer toutes ces femmes m’a principalement rappelé qu’il y a derrière les statistiques et les
lois générales, des parcours particuliers et qu’être une femme, reconnue professionnellement et
accomplie reste encore une difficulté à surmonter. Dans ces portraits, j’ai essayé de retranscrire avec
fidélité ce qui nous a été confié, j’espère avoir réussi et fait en sorte que ces portraits soient aussi
instructifs pour les lecteurs qu’ils l’ont été pour moi.
Nora Cherrati
L’égalité hommes-femmes reste à conquérir, d’où le choix d’associer le Département de la
Drôme à la démarche nationale « Le 8 mars, c’est toute l’année » afin de placer cet objectif
au centre des préoccupations de la société.
Aussi deux jeunes femmes en service civique ont été recrutées pour relater des parcours
de femmes, drômoises. Vigneronne, apicultrice, retraitée, officier de gendarmerie, coach,
agricultrice, réalisatrice, sage-femme, présidente d’association, ancienne résistante ou
simple militante, ces « Drôme de dames » luttent contre la maladie, l’intolérance, les
inégalités… et incarnent toutes un engagement collectif, parfois du simple fait d’être
femmes dans un milieu d’hommes.
Ce livret vous donne l’occasion de découvrir leurs parcours, dont certains sont faits de
ruptures, de rebondissements, de réorientations. Tous révèlent une détermination et
une direction, qui parfois trouve son sens a posteriori, formidable message d’espoir pour
toutes les femmes qui doutent encore de leurs capacités.
Ces 18 portraits constituent une exposition itinérante qui circulera dans les collèges et
les médiathèques du Département. Elle sera l’occasion, tout au long de l’année scolaire
2014-2015, d’échanges, de rencontres, de manifestations, autour du droit des femmes
et plus largement autour de l’engagement citoyen.
A un an de l’élection d’une Assemblée départementale totalement paritaire, cette
présentation met en exergue la formidable évolution de la condition féminine au cours
des 50 dernières années et constitue une invitation, pour toutes les femmes, à cultiver
leur différence.
DIDIER GUILLAUME ANNE-MARIE RÈME-PICPrésident du Conseil général Vice-présidente, chargée de la cultureSénateur de la Drôme
oute sa vie, Annie Mazuray a été une femme militante
parce qu’elle est et a toujours été selon ses mots
« profondément heurtée par les injustices ». Et cela a
commencé sur les bancs de la fac : « Je voulais faire de
l’ethnographie, mais on m’a répondu que je ne pouvais pas,
parce que j’étais une fille et que je ne pouvais pas partir
comme ça, seule dans la nature. » Parisienne d’origine, c’est
à la Sorbonne qu’Annie étudie l’histoire et la géographie et
devient agrégée à 24 ans. Pendant deux ans, elle enseigne
à Verdun, « un pays très froid et humide » qu’elle quitte
sans regrets pour Grenoble, au sein des Alpes, là où elle a
toujours souhaité vivre puisqu’elle est skieuse et alpiniste.
C’est après son mariage qu’elle s’installe à Valence qu’elle
ne quittera plus. Parce qu’elle n’est pas « du genre à se
tourner les pouces » Annie a multiplié les engagements et les
activités associatives. A Grenoble, elle est déjà militante du
planning familial. Tout ce qui touche aux droits de l’homme
la concerne. Elle est tour à tour et parfois parallèlement,
présidente de la section départementale de la Ligue des
Droits de l’Homme à Valence, occupe plusieurs fonction
au sein d’associations féministes, et promeut la culture et
l’art qui la passionne. C’est tout aussi naturellement qu’elle
devient adjointe au maire de Valence en 1977 en charge de
la culture, durant trois mandats, puis vice-présidente du
Conseil général de la Drôme, toujours chargée de la culture :
« C’était une époque passionnante. On a créé, par exemple, tout
un réseau de bibliothèques dans le département : la première
médiathèque a été celle de Die, ensuite il y a eu Nyons, puis
Saint-Vallier et Crest. »
La femme politique, une espèce rare
Annie Mazuray s’estime chanceuse d’avoir eu des parents
féministes, un mari qui l’était aussi, très engagé également
et avec lequel, les tâches à la maison étaient partagées. Mais
quand elle s’engage en politique, elle pénètre dans un milieu
où la mixité est quasiment inexistante et où les préjugés
sont très nombreux. Car pendant longtemps, on a considéré
qu’une femme ne devait pas faire de la politique : « Quand
on regardait des photos de la Chambres des députés depuis la
Annie MazurayC’est bien volontiers qu’Annie Mazuray,
ancienne conseillère générale de la Drôme
a accepté de participer à notre projet,
elle qui s’est très tôt engagée en faveur des droits
des femmes. Et c’est aussi de bonne grâce
qu’elle nous retrace son parcours. (T
(4
3e République, note l’ancienne Conseillère générale, on ne
voyait que des hommes, et qui faisait les lois ? Les hommes ».
A son époque, la femme politique est une espèce rare dont
les hommes mais aussi beaucoup de femmes ont du mal à
accepter l’existence. Ainsi, lors de sa première campagne
pour le Conseil général en 1979, alors qu’elle demande aux
femmes qu’elle rencontre sur le marché si elles trouvent
normal qu’une femme s’engage en politique, les réponses
diffèrent. Tandis que les femmes de classe moyenne y sont
plutôt favorables, celles de classes plus modestes y sont
plus hostiles : « Certaines m’injuriaient, se souvient Annie.
Elles me disaient ‘vous feriez mieux de vous occuper de votre
maison et de vos gosses !’ » Elle ajoute : « Aujourd’hui encore
on essaie de nous culpabiliser et je me suis sentie longtemps
coupable. Jusqu’à ce que je voie les résultats sur ma fille et mon
fils qui sont devenus aussi militants, sans qu’on leur ait imposé
quoi que ce soit. »
Égalité et mixité
Des anecdotes de ce type et dont elle plaisante aujourd’hui,
Annie en a énormément : « Quand Rodolphe Pesce, le futur
maire de Valence a présenté son équipe, en 1977, il ajoutait
pour chaque femme, le nom et le métier du mari, comme si
nous n’avions pas de métier propre, comme si nous n’existions
pas, et il l’a fait tout naturellement, il ne se rendait pas compte
que nous voulions exister en tant que femme. Mais, quand nous
sommes descendus de l’estrade il s’est fait ‘harponner’ et il n’a
pas recommencé pour le 2nd mandat ! » Malgré ce faux pas, la
liste de Rodolphe Pesce sur laquelle Annie Mazuray figure
présente plus de 30% de femmes, un record à l’époque qui
lui vaut d’être citée en exemple au niveau national. Autre
anecdote, lors d’un évènement important autour de la
Résistance à Vassieux, Annie, pourtant conseillère générale
mais ayant oublié son invitation, se voit refuser l’entrée par
un responsable de gendarmerie sceptique devant
la jeune femme : « J’ai pu entrer grâce à un couple
qui m’a reconnue, mais ça a été long et difficile. » Plus
tard, lors du repas, assise à la droite du président du
conseil général, le fameux gendarme s’assoit en face
d’elle. « Il est devenu rouge ! Je n’ai rien dit mais j’ai rigolé. »
D’abord contre, Annie estime qu’une loi sur la parité est
nécessaire : « Je me suis aperçue, explique-t-elle, que si
on ne mettait pas un quota, l’inégalité pouvait durer
indéfiniment ». Elle ajoute : « L’idéal c’est qu’un jour on puisse
la supprimer et qu’on puisse dire que telle femme n’est pas
compétente sans être taxé de machisme ». Dans certains
pays du nord, notamment au Danemark et aux Pays-Bas la
mixité est beaucoup plus commune. C’est donc en priorité
la mentalité des gens qu’il faut changer pour l’ancienne
conseillère générale si l’on veut faire avancer les choses,
tout en faisant appliquer la loi afin que les salaires soient
plus équitables. Dans la fonction publique, le problème
reste la hiérarchie toujours très masculine : « Plus on monte,
constate Annie, plus ce sont des hommes. » Face à cela, les
femmes doivent s’engager « Il faut qu’au niveau national,
elles aient plus d’influence, qu’elles prennent plus de
responsabilités. » Et surtout insiste Annie, il ne faut rien
considérer comme acquis : « La situation des femmes est
fragile, c’est vite fait de détruire une loi pour laquelle on s’est
battues, comme celle du droit à l’avortement. »
“ Il faut que les femmes
s’engagent ”
5)
uand il s’agit de parler des femmes, l’écrivain
s’enthousiasme et répond consciencieusement à
chaque question. C’est que le sujet est central dans
ses romans, au travers desquels, dit-elle, elle ne cesse de
« faire vivre son féminisme. » Ainsi, les livres de Françoise
Bourdon sont pleins d’héroïnes remarquables, des person-
nages féminins forts et combatifs qui ne se laissent jamais
décourager. « Je suis très attachée aux parcours des femmes et
à leurs combats » explique-t-elle. Voilà une prise de position
que Françoise Bourdon n’a aucun problème à revendiquer.
« Le féminisme est en moi » affirme-t-elle et l’étiquette de
« féministe » parfois dépréciée ne la gêne pas le moins du
monde : « On me taxe de féministe, j’assume totalement. » Avec
une réserve toutefois : « Seulement dans le sens où je défends
les femmes. En revanche je ne le suis pas dans le sens de
certains excès » et elle cite l’exemple de ces femmes militantes
des années 60/70 à la limite de la négation de l’homme.
« Asservir l’homme, ça non ! » dit-elle avec force. « Car je suis
très égalitariste et farouchement pour la tolérance, le féminisme
ne doit pas être un prétexte pour créer une nouvelle inégalité. »
L’Histoire, qui la passionne, lui montre que les femmes
ont longtemps souffert et souffrent encore de l’injustice.
« La situation des femmes a toujours été difficile » constate
l’auteur de la Combes aux Oliviers et Françoise Bourdon va
même jusqu’à affirmer qu’ « on paye encore pour Joséphine de
Beauharnais » dépensière et frivole. « Napoléon, en établissant
le code civil a fait de la femme une éternelle mineure. On en sent
encore le poids en 2013. Rappelons que la femme n’a obtenu le
droit d’avoir un compte en banque qu’en 1965. On a encore à
faire beaucoup de progrès tant au niveau des mentalités que
des représentations ».
Un féminisme assumé
En ce sens, l’écrivain affirme être pour une politique de
quotas, par défaut : « Ça devient nécessaire, vu la situation
d’injustice de certaines femmes et leur sous-représentation
dans certains domaines. » Enfin, elle se dit particulièrement
attachée à la Journée de la Femme, qui permet « au moins
une fois dans l’année » de parler de la femme. « Ça reste une
Françoise BourdonNée dans les Ardennes et juriste de formation,
Françoise Bourdon s’est peu à peu imposée comme
une figure incontournable de ce qu’on appelle
le roman « de terroir » : ses livres sont teintés
pour la plupart des couleurs de sa région d’adoption,
la Drôme provençale. ((6
Q
journée symbolique » tempère-t-elle, « mais on a besoin de
s’attacher à certains symboles. »
L’écrivain des origines
Née dans les Ardennes Françoise Bourdon est aujourd’hui
associée à la Drôme, un paradoxe. A Nyons où elle vit
depuis 2001, elle a d’abord trouvé un air qui apaise ses
problèmes de santé. « Ici je respire mieux » se réjouit-elle. Bien
qu’elle reste très attachée à ses racines, elle a découvert dans
la Drôme une terre gorgée d’histoire(s) souvent dramatique(s).
« Je m’attache beaucoup aux exilés, aux personnes qui ont dû
fuir et ici on s’est battus pour la liberté. » Dans ses livres, elle
s’efforce de raconter ces histoires et de rendre hommage
aux ancêtres et aux métiers disparus. « Nous sommes à une
époque où beaucoup d’entreprises ferment, il y a des économies
sinistrées » déplore-t-elle, et c’est l’une des raisons pour
lesquelles elle veut faire connaître ces savoir-faire, ces
compétences, avant que tout ça ne sombre dans l’oubli. « J’ai
voulu remonter le fil et connaître les circonstances d’origine. »
L’origine, il en est encore question quand elle évoque sa
famille et ses racines auxquelles elle reste très attachée
malgré leur caractère incertain « C’est difficile pour moi de
faire des recherches généalogiques, parce que je viens d’une
région d’invasion. Il y a un trou dans les registres en 1870 et
1914 par exemple. » La guerre est un thème qui revient
souvent sous sa plume. Notamment celle de 14-18 qui a été
un vrai bouleversement pour les femmes. « Ça a permis aux
femmes de prendre beaucoup plus de liberté, elles devaient
tout prendre en charge parce que les hommes étaient au front.
Les cheveux et les robes se sont raccourcis. La femme a dû
s’atteler aux charrues, faire marcher les exploitations… »
Parmi ses modèles littéraires, Françoise Bourdon cite la
comtesse de Ségur « qui savait raconter des histoires » et
d’autres écrivains femmes (elle n’aime pas le terme écrivaine :
« On a les mêmes droits donc les mêmes titres »
clame-t-elle) : Daphné Du Maurier, les sœurs Brontë
ou Françoise Sagan ; toutes des femmes de lettres
d’époques relativement récentes et pour cause « les
femmes écrivains, plus on recule dans le temps, moins
il y en a. » Comment expliquer cela ? Simplement en
constatant que les femmes qui ont pu écrire étaient
les quelques femmes privilégiées et éduquées. « J’aime
beaucoup George Sand, continue-t-elle, on ne peut imaginer
le scandale que c’était au début du 19e siècle de s’habiller
en homme, de fumer le cigare et de prendre un pseudonyme
masculin. » Et quand on lui demande quelles femmes pour-
raient prétendre à entrer au Panthéon, le nom de George
Sand revient, en compagnie de Louise Michel ou Germaine
Tillion. Mais en attendant, que la femme soit complètement
reconnue pour ce qu’elle est, « il ne faut pas lâcher prise »
pour Françoise Bourdon qui craint que la jeune génération
ne se mette à penser que tout est acquis en matière de
droits des femmes.
“ On paye encore pour
Joséphine de Beauharnais ”
7)
usqu’au études supérieures, le parcours de Claudine
est plutôt classique : elle obtient un bac littéraire puis
un BTS tourisme. Le tourisme est pourtant un domaine
qui ne l’intéresse pas. Mais à 18 ans, son souhait est de
voyager beaucoup et « utile ». Pour concilier cette envie et ses
études, elle intègre l’institut Bioforce Développement à Lyon
qui forme dans le domaine de la solidarité internationale,
une formation qui lui permet de partir en mission 21 mois
à l’étranger. « Ce que je souhaitais, c’était travailler dans
l’interculturel, rencontrer des gens, explique-t-elle. J’ai toujours
eu cet intérêt pour les gens, tout simplement. » A 25 ans, elle
choisit le Rwanda où elle œuvre pour l’ONG « Accueil sans
frontières » qui collecte des fonds pour la construction de
centres d’accueil pour orphelins. La jeune femme tombe
immédiatement sous le charme de ce continent : « L’Afrique,
soit on accroche tout de suite, soit on ne supporte pas ». C’est
aussi au Rwanda qu’elle rencontre son mari. De retour en
France, elle travaille à Lyon pour Handicap International.
Mais le couple souhaite repartir. C’est presque par hasard
qu’elle s’engage dans sa seconde mission en Volontariat
des Nations Unies (VNU), un poste sur le programme d’aide
aux réfugiés du Libéria, un pays en pleine guerre, en Côté
d’Ivoire, en Guinée et en Sierra Léone.
Second départ en Afrique
On lui propose un contrat de deux ans. « J’ai hésité, parce que
c’était quand même rude là-bas. » Elle finit tout de même
par s’engager en Côte d’Ivoire en pensant n’y rester qu’un
an. Elle quittera le pays 7 ans plus tard. Quand son premier
fils naît à Abidjan en 1994, elle arrête de travailler, une
situation difficile pour elle : « Ce n’est pas simple de rester sans
rien faire, pendant un an et demi, surtout en brousse ! » Elle
trouve alors une nouvelle mission dans une ONG américaine,
« International Rescue Comittee », toujours dans le cadre
du programme des réfugiés du Libéria, mais axée sur la
prévention des MST, du Sida et la mise en place de micros
projets pour les femmes qui doivent se débrouiller seules
pendant que les hommes font la guerre. Là, elle est face à
des croyances tenaces : « En Côte d’Ivoire, un pays ouvert et
Claudine MukezangangoClaudine a passé une grande partie de sa vie en Afrique
où elle s’est engagée dans des missions humanitaires.
Un parcours au service des autres qu’elle poursuit
en France en s’impliquant dans la Plateforme d’insertion
par l’humanitaire et la coopération à Romans, dont elle est
la co-directrice. ((8
J
développé, on croit encore parfois qu’on attrape le Sida parce
qu’on nous a jeté un sort. »
En Afrique, Claudine n’a pas souffert d’être une femme. « Je
pense que c’est parce que j’étais étrangère, une Française. » Elle
ajoute : « Les relations entre hommes et femmes au Rwanda ou
en Côte d’Ivoire ne sont pas aussi terribles que dans d’autre
pays. » Cependant, elle estime qu’il faut se rendre compte
de la chance que cela représente de naître femme en France.
« C’est plus simple de naître femme ici, que de naître femme au
Rwanda, en Côte d’Ivoire ou ailleurs » insiste Claudine. En
Afrique, elle a vu des villages entiers où les femmes sont
excisées, une pratique courante. En ce sens, pour Claudine, il
n’y a pas vraiment d’égalité : « Quand j’entends dire qu’on naît
tous égaux, ce n’est pas vrai. Dans l’absolu peut-être, mais ça
dépend vraiment de l’endroit où l’on vit. » De même, elle estime
qu’il ne faut pas parler d’égalité des sexes : « Il y a l’homme et
la femme et on n’a pas à rivaliser sur certaines choses Nous
sommes différents. » Dans l’humanitaire Claudine travaille
surtout avec des hommes et même dans ce milieu, il y a des
enjeux de pouvoir, mais paradoxalement, nous dit Claudine
« beaucoup entre nanas. » Côté famille, « ce sont les femmes
qui gèrent en grande majorité » nous dit-elle « Dans la réalité,
une femme a souvent trois journées de travail : avant de partir
le matin elle doit s’occuper des enfants, puis partir au travail, et
le soir rentrer et s’occuper de la vie de famille. » Que ce soit en
Afrique ou en France, c’est souvent le même schéma qui est
reproduit. Mais Claudine estime qu’elle a eu de la chance :
« C’est un privilège d’être une maman en Afrique. Il y a des
nounous qui prennent quasiment le rôle de mère, si on le
souhaite, elles peuvent habiter à la maison. Même si parfois
c’est trop, concède Claudine, la nounou prend une place trop
importante. »
C’est en 1998 que Claudine, son mari et son fils rentrent
définitivement en France. Le retour est pour le moins délicat :
« C’est le risque quand on est expatrié de devoir se réadapter à
la vie dans son propre pays. » Elle et son mari n’ont
pas droit au chômage, car leurs années de travail
dans des ONG ne sont pas comptabilisées. Finan-
cièrement, la situation est difficile pour la famille. A
ce moment-là, la Plateforme Humanitaire est en pleine
restructuration, quasiment en chômage technique.
Une reconnaissance professionnelle
Le directeur a besoin d’une personne pour coordonner
des ateliers qui se chargent d’envoyer des kits alimentaires
au Kosovo. « C’était un truc assez fou, se souvient Claudine, je
rentrais de 7 ans d’Afrique, la lutte contre l’exclusion, l’insertion,
je n’en avais pas vraiment entendu parler. » L’ancien directeur
de la Plateforme, dépose ensuite un dossier pour monter
une pré-qualification aux métiers de l’humanitaire et lui
demande si elle veut s’impliquer davantage, ce qu’elle fait
« Nous sommes les seuls aujourd’hui au niveau national à
proposer cette pré qualification qui est une mise à niveau en
amont d’une école humanitaire. » Aujourd’hui, Claudine est
co-directrice de la Plateforme. A l’origine elles étaient trois à
la tête de l’association, l’une d’elle s’est retirée. « Les gens
nous ont souvent demandé comment ça se passait, parce que
trois femmes, c’est interrogateur. » Mais ça fonctionne. Ainsi,
ce qui manque aujourd’hui à la femme selon Claudine,
c’est une vraie reconnaissance professionnelle, dans une
société qui doit « imposer » la parité pour inclure les
femmes à part entière.
“ L’égalité… ça dépend
vraiment de l’endroit
où l’on vit ”9)
e suis issue de l’immigration allemande des années trente
puis j’ai été formée à l’école de la République et j’y tiens
beaucoup ». C’est ainsi qu’Edith Cerf commence à se
présenter quand on l’interroge sur son parcours. Quand on
lui demande naïvement son origine, elle répond non sans
humour : « Vous devez être au courant que les juifs étaient mal
perçus en Allemagne dans les années trente. » Dans sa biblio-
thèque où sur les étagères sont alignés plusieurs milliers
de livres, certains en allemand nous rappellent qu’elle a
longtemps enseigné la langue de Goethe, « une demi-
carrière » de professeur qu’elle a accompli tout en devenant
à plein-temps secrétaire de son mari médecin cardiologue.
C’est encore ensemble qu’ils s’engagent à la Licra, dans un
combat qui fait sens pour cette femme que la question des
discriminations et du racisme a accompagnée sa vie durant,
elle qu’enfant on trouvait « trop brune » et « trop typée ».
« On m’a souvent demandé si j’étais Indienne ou si je venais
d’Afrique du Nord. Ce n’est pas toujours malveillant, mais chez
certains ça éveille systématiquement le soupçon ». A l’inverse,
son mari, jouit d’impressions plus favorables. « On prend
toujours mon mari pour un Anglais » plaisante-t-elle. Alors,
elle se souvient de leur voyage en Bavière lors duquel, le
couple avait été regardé d’une manière suspicieuse « l’air
de dire, ‘ Comment un homme aussi convenable peut-il être
accompagné d’une personne comme ça ? ’ »
Accepter la différence
Des anecdotes, la touchant de près ou non, donnant corps à
ce racisme ordinaire, Edith en a à foison. Comme celle de
cette femme noire, la seule dans ce village près de Romans,
que les enfants fuyaient quand ils la croisaient dans la rue,
ayant trop entendu parler de cette « négresse » à qui leurs
parents les menaçaient d’être livrés s’ils n’étaient pas sages ;
ou encore, ces réfugiés Espagnols Républicains à Manthes
qu’on disait sales parce qu’ils étaient pauvres et parlaient
mal le français. « Dans les villages, où il y a rarement des
groupes qui dérangent, tous ces sentiments existent de façon
très enracinée. On se méfie des gens qui n’ont pas les mêmes
habitudes. » Ainsi pour elle, le racisme résulte en partie de
Edith Cerf Edith Cerf n’est pas militante dans l’âme,
encore moins « une féministe hargneuse »,
mais il y a des choses contre lesquelles
elle s’est résolue à lutter ; le racisme en particulier
et le refus de la différence en général. ((10
«J
profondément marquée » nous dit Edith « Une
femme est confrontée au problème d’exister à la fois
comme femme, comme personne, dans sa famille
autant que dans la société. Le fait de choisir d’avoir une
vie familiale et des enfants implique de renoncer à
d’autres parcours. » Ou alors d’adopter un mode de vie
qui peut se solder par du surmenage.
Un petit coin de paradis
Edith Cerf n’est pourtant pas une féministe hargneuse. « Je
n’ai jamais accepté de jeter mon soutien-gorge sur un tas de
fumier ! » dit-elle en riant. Elle doute d’ailleurs qu’un groupe
comme les Femen fasse vraiment avancer la cause des
femmes, tout en jugeant scandaleux que certaines d’entre
elles soient emprisonnées. Et tout en revendiquant le fait
d’être une femme et en refusant de se voir marginalisée
pour cette raison, Edith a conscience que les femmes sont
en Europe bien mieux loties qu’ailleurs. « Etre féministe ici,
c’est autre chose qu’en Arabie Saoudite, où les femmes sont
arrêtées parce qu’elles conduisent ou qu’en Inde où certaines
femmes sont des esclaves. » Alors, certes, il faut aller dans le
sens de l’acceptation des femmes, mais également savourer
les progrès dont on bénéficie déjà ici : « On ne se rend pas
assez compte que les pays d’Europe occidentale sont des
petits coins de paradis dans le monde, on a la sécurité
physique, même si beaucoup de gens sont en difficulté. »
“ Ne pas voter,
c’est criminel ”
l’angoisse que l’autre, si différent de soi, puisse offrir un
modèle viable et qui pousse à s’interroger soi-même. « Le
racisme, c’est le refus de la différence. La moindre différence fait
peur. Mais beaucoup de gens oublient qu’ils peuvent être
l’étranger des autres. »
En s’engageant à la Licra, Edith Cerf découvre une association
très dynamique avec beaucoup de jeunes. Avec son mari, elle
assiste aux réunions et donne quelques conférences. Même
si elle a aujourd’hui pris du recul par rapport à cet engage-
ment, elle n’a pas cessé de s’indigner. Les insultes faites à la
Ministre Christine Taubira n’ont d’ailleurs pas manqué de la
faire réagir. « Si le 30 novembre il y a une marche contre le
racisme, j’irai, car je trouve absolument ignoble qu’on diffuse
ce qui a été diffusé sur Madame Taubira. Que des enfants de
12 ans injurient une femme qui de plus est digne, respectable,
intelligente, c’est ignoble et intolérable. »
Alors, comment améliorer l’acceptation de l’autre, homme
ou femme, et de toutes ses différences ? Par l’éducation
évidemment. Et cela doit commencer très tôt. « Je pense que
quand on se développe, on créé un équilibre entre ce qu’on a
appris dans le milieu familial et ce que l’école nous a enseigné »
explique l’ancien professeur d’allemand. Or son expérience
n’a pas toujours révélé un système éducatif irréprochable.
« Je trouvais que les jeunes n’étaient pas assez informés, plus
grave encore, ils ne votaient pas. Et ne pas voter, c’est criminel.
C’est accepter que les institutions se détériorent » regrette-t-elle.
Lorsqu’il s’agit d’évoquer la condition des femmes, Edith Cerf,
déplore que leur reconnaissance semble devoir passer par le
gommage de leurs spécificités. « Une femme n’est pas une
variété d’homme ! » insiste-elle. Une femme est susceptible
d’avoir des enfants, une chose qui n’est pas assez valorisée
pour cette mère de deux enfants, qui s’étonne qu’une
femme employée pour garder les enfants des autres
effectue un travail tandis qu’une femme qui s’occupe des
siens soit considérée comme inactive. « Ça m’a toujours
11)
osette s’estime chanceuse d’être née dans cette famille
de petits paysans du sud-ouest, dans laquelle les études
sont encouragées et où sont prônées des valeurs
féministes. « Je ne peux pas me plaindre, confie Josette, j’ai
été protégée d’une certaine forme d’éducation sexiste. » Alors
qu’à l’époque de son adolescence, beaucoup de parents
rechignent à laisser sortir leurs filles de peur qu’elle ne
tombent enceintes avant le mariage, le père de Josette lui
laisse plus de liberté : « Pour lui, c’était normal que les filles
puissent sortir comme les garçons. A l’époque ce n’était pas
toujours le cas. » De son père, elle hérite encore du goût pour
les responsabilités et l’engagement. A 15 ans elle milite
déjà dans un mouvement de jeunes ruraux qui s’occupe de
problèmes mondiaux telle que l’écologie, puis à 16 ans
Josette devient responsable départementale. « Je ne savais
même pas comment parler dans un micro, se souvient-elle,
mais c’est comme ça qu’on apprend ! »
Dans l’école d’ingénieurs qu’elle intègre pour 5 ans, les
femmes ne sont que 15 sur 400. Sa réussite dans les études la
conduit haut et elle obtient rapidement un stage d’un an à la
commission des communautés européennes. Le chemin au
bout duquel l’attend un poste important est tout tracé, elle
choisit pourtant de ne pas l’emprunter. Elle s’en explique :
« J’avais des compétences pour cette carrière, mais ce n’était
pas mon univers. Parce que pendant que je travaillais à la CCE,
je travaillais dans des bidonvilles à Bruxelles. Je fréquentais
donc les plus riches et les plus pauvres en même temps et je
ne me voyais pas vivre dans cet univers feutré avec des gens
qui évoluent dans le luxe et l’ignorance de ce qu’il se passe
autour d’eux. »
Une battante
Elle quitte sans regrets le monde des cadres internationaux
pour revenir vers la paysannerie. Un choix qu’elle explique
simplement : « Mon éthique n’était pas conciliable avec ma
pratique salariale. J’ai donc décidé d’être paysanne pour avoir
du pouvoir sur le monde, et pour ça il fallait que je démarre
au bas de l’échelle, car là seulement je pourrais dire ce que
je voudrais librement. » Mais pour sa famille, cette décision
Josette FourniéJosette est une femme qui sait ce qu’elle veut.
Ancienne maire d’Eygalayes, un petit village
dans le sud de la Drôme, fait partie des quelques
femmes qui ont accédé à la fonction municipale
dans le département. ((12
J
est difficilement compréhensible : « c’était la déchéance
d’avoir un diplôme d’ingénieur et de revenir à la campagne.
Pour mes parents, ça a été un choc parce que pour eux j’étais
vouée à devenir une bourgeoise et vivre dans les hautes sphères
du pouvoir. »
De retour dans le monde paysan, Josette fait ce qu’elle aime,
prendre des responsabilités « Quand on a cette formation,
justifie-t-elle, on ne fait pas que traire les vaches, on se retrouve
dans des associations, on met ses compétences au service de la
société civile. » En devenant plus tard maire d’Eygalayes, elle
accède à une fonction dans laquelle les femmes sont peu
représentées « Je suis allée au congrès des maires, nous dit-elle
à ce propos j’ai halluciné, il n’y avait presque que des hommes ! »
Dans son conseil municipal en revanche, il y a longtemps
que la parité est respectée. Elle ajoute néanmoins qu’il faut
avoir une certaine autorité pour s’imposer quand on est une
femme : « Il faut être ‘plus’. » Mais Josette sûre de ses compé-
tences n’a aucun mal à se faire respecter : « Là-dessus, nous
dit-elle, les gens n’ont rien à me reprocher. »
Une militante féministe
Josette est une féministe militante. Étudiante, elle a manifesté
lors du premier procès pour viol à Toulouse devant le tribunal.
« Des hommes nous traitaient de salopes, ils disaient que si la
jeune fille avait été violée c’était parce que sa jupe était trop
courte. » Dans le milieu paysan, elle a aussi des choses à re-
dire : « Les femmes font 20 % de travail en plus de leur métier et
malheureusement, ce travail-là n’est pas valorisé » estime-t-elle.
« Quand on commence une vie de couple on ne se rend pas
compte que peu à peu on ne lit plus, on se couche deux heures
plus tard, c’est très insidieux. » Josette qui se définit comme
« une femme libre, avec de la culture et du talent » se rend
compte aujourd’hui de la difficulté de ne pas céder à une
certaine répartition arbitraire des tâches. « On nous a habituées
à ne pas dire non, à ne pas nous écouter. Pourquoi j’ai
accepté pendant 30 ans que mon ex-mari ne nettoie
jamais la salle de bain ? On travaillait pourtant autant
tous les deux » se demande-t-elle encore. Son autre
revendication est la féminisation des termes, car pour
elle, la domination du masculin dans la langue n’est pas
anodine : « On a toujours parlé au masculin, la place de la
femme a tout simplement été occultée. Moi, j’ai eu un mal
fou à ce qu’on m’appelle madame la maire. Un jour un
homme a demandé monsieur le maire, j’ai répondu qu’il n’y
en avait pas. Il a répété sa question deux fois, parce qu’il ne
voulait pas admettre que le maire était une femme. »
Le conflit entre maternité et embauche est une question
qui préoccupe aussi Josette. « Une fois, à une commission
d’embauche, j’ai été scandalisée, il était question qu’on dégage
les femmes pour ne prendre que des hommes à cause du risque
de maternité. » Celles qui souffrent, nous dit Josette, ce sont
les femmes seules « Je vois des femmes qui sont clouées
financièrement. J’ai une amie qui n’obtient rien de ses ex-
compagnons. » Mais Josette constate dans le même temps
que les pères commencent à apprendre à s’occuper des
enfants, parce qu’ils se retrouvent de plus en plus seuls. Et
c’est une nécessité : « Imaginez un homme qui ne s’occupe
pas du tout du bébé, si au bout de 3 ans le couple se sépare, le
père ne saura pas comment prendre en charge son enfant. »
Ainsi, selon Josette, la vie quotidienne est bien le principal
combat à mener aussi bien pour les femmes que pour les
hommes : « Il me semble qu’ils doivent se bouger, mais vite
fait, sinon ils resteront d’éternels ados. »
“ Il faut qu’il y ait un partage
des tâches entre l’homme
et la femme ”13)
est à la FOL (Fédération des œuvres laïques), que
Josiane Berruyer initie son engagement citoyen.
L’association, dont elle a été secrétaire générale se
charge de mettre en place diverses activités pour les enfants
et les jeunes dans les domaines de la culture, des loisirs et
du sport « J’étais engagée dans un mouvement d’éducation
populaire, d’éducation à la citoyenneté qui me convenait tout à
fait. » C’est à l’occasion d’un événement autour de la journée
du 8 mars organisé par un collectif d’associations (dont le
CIDFF) et auquel elle est invitée à participer, que son combat
contre les discriminations faites aux femmes s’est concrète-
ment amorcé. Elle accepte pendant 5 ans de coordonner ce
projet supervisé par la mission départementale aux droits
des femmes et à l’égalité qui consiste à mettre en place des
ateliers d’écriture pour les femmes, d’éditer et de faire lire
leurs textes par des comédiens ou les femmes elles-mêmes.
Puis en 2005, la directrice du CIDFF lui propose d’entrer dans
le conseil d’administration de l’association, elle en devient la
co-présidente en 2007, puis la présidente jusqu’à ce jour.
L’engagement de Josiane pour les droits des femmes remonte
à l’enfance et à l’adolescence et présider le CIDFF a été une
chance pour elle : « Ça m’a permis de réaliser un engagement
qui me tient encore plus à cœur que l’engagement pour la
citoyenneté. » Ayant grandi dans un milieu rural très tradi-
tionnel et entourée de femmes à forte personnalité, Josiane
se rend compte rapidement que quelque chose cloche :
« J’ai très tôt pris conscience des inégalités qui existaient entre
les hommes et les femmes, même si elles n’étaient pas dites,
ni même pensées. » Au collège, quand on lui demande la
profession de sa mère, elle répond « sans profession », bien
que celle-ci travaille énormément dans l’exploitation agricole
familiale. « C’est quelque chose qui m’était très difficile », se
souvient Josiane, « Je le vivais comme quelque chose de très
injuste pour elle, une non reconnaissance. J’ai pris conscience
que beaucoup de femmes n’avaient aucun statut. » A la fac
en 1968, beaucoup de conversations tournent autour de la
contraception et de l’avortement. « La situation était infiniment
plus difficile qu’aujourd’hui, même si tout n’est toujours pas réglé.
Car l’avortement était illégal, ça pouvait être la prison voire un
risque de mort. » Mais il y a eu Lucien Neuwirth, initiateur de
Josiane BerruyerL’engagement citoyen de Josiane a pris tout au long
de sa vie des formes multiples, autrefois secrétaire
générale de la Fédération des Œuvres Laïques
(FOL), elle est aujourd’hui présidente du Centre
d’Informations sur les Droits des Femmes
et des Familles (CIDFF).(C’
(14
la loi sur la contraception « Et pour cela, nous devons lui être
très reconnaissantes. »
Difficulté de prendre la parole
Dans sa vie de femme, les difficultés ont été moins nom-
breuses. Le milieu de l’enseignement où elle a exercé est
plutôt féminin, même si la hiérarchie reste masculine. Mais le
problème est ailleurs : « M’étant tout de suite engagée dans
la vie associative, j’ai bien vu ce que c’était de concilier travail
et vie de famille, jongler avec les deux ». De plus, à la FOL, elle
acquiert des responsabilités qui lui font prendre conscience
de la difficulté pour une femme d’imposer son autorité…
surtout auprès des femmes. « C’est un poids culturel qui se fait
ressentir. Ensuite dans les instances régionales et nationales, je
me suis retrouvée dans des milieux essentiellement masculins
et j’ai vu à quel point c’était difficile d’avoir la parole. On lève le
doigt, mais on parle après les autres. »
Au CIDFF, les salariés reçoivent des femmes en quête de tous
types d’informations sur leurs droits, pour se former, pour
trouver un travail ou se loger. « On ne reçoit pas forcement des
femmes qui sont dans une situation dramatique, mais parfois
on peut déceler des détresses. » Pour cela, il y a le bureau d’aide
aux victimes spécialisé. Elles y trouvent une écoute spécifique,
un accompagnement, ou une orientation si elles ont besoin
de soins ou d’entreprendre des démarches. On estime qu’une
femme sur 10 est victime de violences, quelque soit le milieu
social dont elle est issue. Et c’est dans le milieu familial que
les femmes sont le plus en danger. Pour lutter contre cette
violence, « Il est important selon la présidente du CIDFF que
juridiquement, on ne laisse rien passer. Il faut que les hommes
sachent que quand une femme porte plainte, il y aura une suite »
insiste-t-elle. Il y a également un gros travail de sensibilisation
à faire. « Il y a des hommes qui sont surpris d’apprendre qu’ils
n’ont pas le droit d’exercer des violences sur leur femme ».
De même, « quand les jeunes filles harcelées me
répondent ‘si on se plaint, ce sera encore pire’ ça me
fait énormément mal. »
Une société mixte riche de tous les individus qui la composent
Pour Josiane, il ne s’agit pas non plus d’écraser l’homme
« On pense toujours en termes de domination. Ce n’est pas
parce que les hommes ne seront plus dominants que les
femmes le deviendront. » Elle, souhaite seulement que la
société actuelle dans laquelle « une partie de la population
n’est pas traitée comme l’autre » devienne égalitaire. C’est à
contre-cœur qu’elle s’est résolue à approuver une politique
de quotas : « J’ai longtemps été contre, explique-t-elle, mais
sans eux le France serait encore dans les derniers rangs au
niveau européen, car notre situation n’était pas enviable. » Les
hommes, loin d’être mis de côté, ont eux aussi un grand rôle
à jouer. « Il faut dire aux hommes que l’égalité, c’est un combat
des femmes et des hommes et que les hommes ont aussi tout
à y gagner. » Selon elle, dans une telle société, les hommes
seraient moins obligés de répondre à des modèles virils
parfois pesants. « Je crois, affirme Josiane, qu’une société
mixte sera encore plus riche grâce à la potentialité de tous les
individus qui la composent. »
“Il y a des hommes
qui sont surpris d’apprendre
qu’ils n’ont pas le droit
d’exercer des violences
sur leur femme ”
15)
ongtemps, Laurence Cottet a évolué dans un milieu
professionnel masculin qu’elle considère comme trop
souvent machiste. Dans ce cadre nous dit-elle « en tant
que femme, je parlais deux fois moins, et je travaillais deux
fois plus... ». La trentaine à peine dépassée, elle gravit les
échelons en quelques années pour se retrouver à plusieurs
postes de hautes responsabilités. Son ascension est rapide,
autant que le déploiement de son mal-être qui la fait
sombrer insidieusement dans l’alcool. « J’ai eu l’impression à
tort, confie l’ancienne Secrétaire générale, que si je ne buvais
pas, j’étais exclue. » Il ne lui faut qu’une année pour devenir
complètement dépendante à l’alcool. Une addiction qu’elle
garde pour elle, jusqu’à ce que le pire arrive en janvier 2009,
lors de la cérémonie des vœux de son entreprise. 650 hauts
cadres sont présents, 35 seulement sont des femmes. A ce
moment-là, elle décide de s’entretenir avec le Directeur
Général pour l’interpeller sur le peu de place qu’occupent
les femmes dans ce Groupe. Mais ce midi-là, elle boit
plus qu’il ne faut et s’effondre ivre devant ses collègues.
Elle sera licenciée quelques jours plus tard. Une rencontre
décisive la décide enfin à se soigner. Elle est depuis 5 années
« alcoolique abstinente. »
La femme est une ivrogne, l’homme a une bonne descente
Laurence Cottet s’intéresse depuis particulièrement à l’alcoo-
lisme chez la femme. Et selon elle il existe des différences
entre les sexes. « C’est d’abord une question d’image » a-t-elle
observé, « la femme est une ivrogne, tandis que l’homme a une
bonne descente. » Cela explique pourquoi selon Laurence,
une femme tarde plus souvent à se faire soigner. Elle a non
seulement tendance à en avoir davantage honte, mais aussi
à se sentir plus coupable et à vouloir cacher son addiction.
Laurence a fait le choix de « casser l’anonymat pour briser
un tabou. » dit-elle. Dans son roman « Le Livre à écrire », elle
raconte comment une série de drames personnels et son mal-
être l’ont entraînée dans l’alcool et la consommation d’autres
drogues, et comment elle s’en est sortie « C’était nécessaire
pour moi d’écrire ce livre ; c’est un livre thérapeutique... »
Laurence CottetAncienne Secrétaire générale, Directeur des risques
d’un grand groupe de BTP d’Ile-de-France,
Laurence Cottet s’est aujourd’hui reconvertie
en coach en alcoologie et relations humaines,
après avoir été elle-même confrontée à ce problème.(L
(16
Celle qui a également été avocate, veut aujourd’hui aider les
personnes alcooliques et proposera dans quelques mois du
coaching, grâce à une méthode (La méthode H3D) qu’elle a
elle-même expérimentée. Elle réaffirme que « Les femmes ont
dû mal à se faire soigner, tant elles ont honte. » De plus, pour
maîtriser sa consommation d’alcool, il faut pour être aidé,
en avoir réellement le désir, un pas qui reste très difficile à
franchir. Très active, dans la lutte contre l’alcoolisme, Laurence
Cottet se bat depuis quelques mois pour l’instauration d’une
journée sans alcool. « Pour qu’au moins une fois par an, chacun
s’interroge sur sa consommation d’alcool. » Pour cela, elle a
lancé en ligne une pétition le 1er octobre dernier, et qui a déjà
récolté 16 000 signatures à ce jour.
Construire l’égalité
Concernant les injustices subies par les femmes au quotidien,
Laurence pense que dans beaucoup de domaines ces dernières
ont des choses à rattraper. « C’est la femme qui doit faire ce
chemin et construire elle-même une égalité par ses actions et
ses compétences. Elle doit le mériter. » Pour autant, Laurence
Cottet ne veut pas être qualifiée de féministe et précise
aimer travailler avec les hommes : « Je n’aime pas ce terme,
parce qu’il est injuste, homme et femme sont complémentaires. »
D’ailleurs, Laurence confesse n’être pas pour « une parité
parfaite, théorique. » En effet, selon elle : « la femme doit
mériter d’être l’égale de l’homme, et c’est en travaillant et
s’exprimant qu’elle y arrivera. »
Il n’empêche que pour Laurence, la femme doit jongler avec
plusieurs rôles et qu’il est parfois dur de tous les endosser :
« La femme doit assumer son corps, son esprit, sa vie personnelle
et professionnelle, ses enfants… ». Certains milieux profession-
nels se féminisent, note quand même l’ancienne avocate,
mais il n’en reste pas moins que certains métiers sont toujours
éprouvants et que les déplacements professionnels, loin du
domicile, peuvent être une vraie difficulté pour
certaines femmes, encore nombreuses, « qui ont
une deuxième journée de travail qui les attend à la
maison ». Laurence, elle, n’a pas réussi à résister à la
pression, celle d’être toujours performante, toujours
plus productive et surtout celle de se battre pour ne
pas être considérée comme inférieure à l’homme. « Le
fait de boire seule est aussi une sorte de catharsis contre les
angoisses » confesse-t-elle. « La vie est parfois compliquée et
la femme qui vit seule, peut être tentée par ce « pansement »
simple et à portée de main, qu’est l’alcool. Un vrai signe
d’alerte est celui d’ouvrir une bouteille pour soi, toute seule... »
Aujourd’hui, Laurence Cottet fourmille de projets. Après un
premier livre remarqué, elle a publié un second ouvrage qui
propose une méthode personnelle pour vaincre l’addiction
à l’alcool, sorti en janvier 2014. Après une rapide ascension,
puis une tout aussi rapide descente aux enfers, l’ex-avocate
est désormais plus apaisée et tient à porter un message
d’espoir : « On peut tout perdre quand on est devenu drogué à
l’alcool. Mais avec de la modestie et une certaine honnêteté
avec soi-même, on peut aller vers son Désir, en se faisant
soigner. » Désormais, elle vit à Crest dans la Drôme, loin des
soirées mondaines et pailletées de la capitale. « La Drôme,
c’est l’endroit où je peux me recueillir, c’est comme une thérapie
naturelle. » Et Laurence conclut en souriant « Elle est belle,
la vie ! même sans alcool… »
“ Elle est belle la vie ! ”
17)
e déclic, Marie-Noëlle, l’a eu au cours de sa première
grossesse. A ce moment-là, elle subit un profond
bouleversement dans son esprit et dans son corps, un
« choc » qui « ne va pas de soi » et auquel elle n’a pas été
préparée. Les cours de préparation à l’accouchement
qu’elle suit l’ennuient et ne la satisfont pas. « Mon premier
accouchement a été une baffe psychologique ! » se souvient
la sage-femme. C’est après son deuxième accouchement
qu’elle décide de s’orienter vers le métier de sage-femme
pour aider les femmes à mieux vivre leur accouchement.
Elle intègre alors une école puis trouve, en assistant à une
conférence de Bernard This sur l’haptonomie à Strasbourg,
une voie sur laquelle elle peut s’engager.
Pas d’égalité mais une complémentarité
L’haptonomie est la science de l’affectivité selon les mots
du médecin pédiatre Catherine Dolto. Marie-Noëlle nous
explique la méthode : « On apprend aux parents à percevoir
la présence de l’enfant, afin qu’ils puissent être tous les trois
présents ensemble, que l’enfant trouve sa place dans le giron
de la mère, que ce soit pour lui un lieu bon à vivre. » Et cela
passe par le toucher : « le contact haptonomique permet
une adaptation des tissus du corps à la tendresse. Grâce à ce
contact pendant la grossesse, le corps de la mère trouve plus
facilement ce ‘modus vivendi’ avec le bébé. » Le père a un
grand rôle à jouer tout le long de cet apprentissage : « c’est
lui qui par sa façon d’être là, par ses gestes, donne envie à
sa femme de lui faire rencontrer leur bébé. C’est ainsi qu’il
exerce sa compétence de père et qu’il se sent reconnu père
par le bébé. » L’homme a pourtant l’habitude d’être mis de
côté dans les questions qui touchent les femmes de plus
près, à tort pour Marie-Noëlle, et même quand il s’agit
de féminisme. Pour elle, l’homme et la femme sont très
complémentaires au point qu’elle affirme ne pas vouloir
que « la femme soit l’égale de l’homme. » Elle ajoute que
« Les différences entre l’homme et la femme sont trop
fondamentales. Il n’y a pas d’égalité, ça ne se joue pas sur ce
terrain là ; on est complémentaires. » En somme, l’homme et
la femme, c’est un peu « le yin et le yang. »
Marie-NoëlleMarie-Noëlle, fait partie de ces quelques sages-femmes
qui se sont orienté(e)s vers l’haptonomie. Théorisée
par Frans Veldman, cette pratique facilité la relaxation
et la compréhension par le toucher. Selon elle,
la maternité, qui est au centre de son métier,
est l’affaire de la femme et de l’homme. (L
(18
Cependant, cette différence physique ne doit pas instaurer
une inégalité de traitement tant au niveau social que
professionnel. Et de nombreux problèmes demeurent note
Marie-Noëlle : les violences conjugales, la difficulté pour les
femmes d’accéder à certains postes, l’inégalité des salaires
etc. « Mon mari m’a juré que ce n’était pas le cas dans son
entreprise », plaisante-elle à ce propos. « L’égalité existe, mais
il faut aller la chercher. Et en ce sens, il y a des choses qui
progressent. » Coïncidence ou pas, le métier de sage-femme,
centré sur la femme, peine à être reconnu. Et longtemps les
tarifs des consultations sont restés largement inférieurs à celle
d’une consultation chez un médecin généraliste « Comme si
ce n’était pas une vraie médecine » se moque Marie-Noëlle
Dorénavant les études de médecin généraliste comportent un
stage obligatoire dans une unité de gynécologie-obstétrique,
ce qui n’a pas toujours été le cas. « Maintenant on est plus
reconnu, même si ce n’est pas gagné . »
La question de la maternité est également un sujet qui
apparaît souvent problématique dans le cadre du travail.
Marie-Noëlle regrette qu’il n’y ait pas de lois sociales qui
protègent les femmes enceintes. « Même pas enceinte, ajoute-
t-elle, une femme reste potentiellement dangereuse pour un
employeur. » Dans cette recherche d’égalité, Marie-Noëlle
remarque que beaucoup de femmes cherchent à réduire
leur rôle de mère : ne pas allaiter, vite reprendre le travail…
C’est un choix légitime selon la sage-femme. Mais des lieux
sont aussi là pour aider les jeunes mères, comme l’Association
Relais Naissance, qui accueille parents et enfants avec la
compétence d’accompagner les femmes qui allaitent.
La journée de la femme, Marie-Noëlle y est favorable.
« C’est symbolique et c’est nécessaire malheureusement. »
Mais l’intitulé la dérange : « La femme avec un grand F, ça
n’existe pas, il y a DES femmes. » En ce sens, elle regrette que
la femme enceinte soit trop souvent perçue comme une
sainte qu’il faut « cocooner. » « Dans notre société, la grossesse
est toujours un émerveillement, c’est le monde des
bisounours. Ça devient commercial, il faut acheter
tout l’équipement qui va avec, c’est du marketing. »
Mais dans les faits, c’est dur pour les femmes et pour
les hommes : « Il arrive que certains prennent peur et
s’enfuient à l’annonce de la grossesse. En même temps, la
femme devient mère, une idole avec laquelle on ne peut
plus faire l’amour. »
Oser rester femme
On constate que l’âge de la première grossesse recule de
plus en plus. En cause évidemment, la volonté des femmes
de d’abord s’installer professionnellement. « C’est plus im-
portant d’avoir une carrière déjà confirmée, assise, sinon, on
prend plus de risques. » Marie-Noëlle, elle a fait le choix de se
marier très tôt, à 21 ans, et de d’abord privilégier sa vie de
famille, sans pour autant sacrifier sa carrière professionnelle.
« Chaque femme doit pouvoir mener sa vie et prendre ses
propres décisions. Qu’une femme soit pilote de ligne ou pompier,
elle reste une femme jusqu’à preuve du contraire. » Ce qu’elle
regrette cependant, c’est qu’il y ait ce qu’elle décrit comme
une uniformisation des sexes. « On tend vers quelque chose
d’identique que je trouve dommage. On est différents, il faut
oser rester femmes avec nos différences de femme. »
“ La femme, c’est emmerdant
parce que ça tombe
enceinte ”19)
arce qu’elle s’est investie dans des chantiers d’insertion
de jeunes et des mouvements d’éducation populaire,
Meriem Fradj a pu constater sur le terrain quels étaient
les problèmes de formation et d’éducation qui constituent
encore des obstacles à l’épanouissement des jeunes et notam-
ment des jeunes filles. « Ce que j’ai perçu, explique-t-elle, c’est
qu’il y a un poids culturel inhérent qui fait que quand tu es
une nana, tu ne fais pas de maçonnerie par exemple. » Sur ces
chantiers, elle raconte comment elle s’est amusée à « hous-
piller les conventions » selon ses propres mots, à pousser
les jeunes à sortir de certaines schémas traditionnels. « Les
femmes laissent la place de manière automatique sur les
travaux techniques. » a-t-elle encore constaté. Pour Meriem,
il faut pousser les jeunes à se défaire de représentations
bien ancrées dans leur esprit, sans pour autant aller vers une
uniformisation des genres : « Je pense que la différence est à
cultiver, et que la parité peut s’exercer dans la reconnaissance des
différences ». Elle dit noter « des progrès dans l’appréhension
de la personnalité féminine et de la personnalité masculine »
qui se font petit à petit, même si parfois certaines choses
l’étonnent encore. Ainsi : « j’ai halluciné, le jour où j’ai revu
pour les fêtes de Noël, les couloirs de jouets, rose et bleu. Ça
avait totalement disparu, mais c’est réapparu, s’exclame-t-elle.
Mais là je vous parle de détails. »
Une entreprise rurale en ville
Meriem dit avoir une admiration pour « Les femmes qui ont
pris des risques par rapport à leur supposée condition. » Elle,
s’est inscrite en droit à la Sorbonne, mais n’y mettra jamais
les pieds. Elle quitte la capitale pour s’installer en Ardèche et
y trouver, dit-elle « des alternatives », « un autre rapport au
travail ». Elle intègre là, l’association le MAT chantier de jeunes
qui se donne pour objectif de développer une activité en
milieu rural sur les axes de l’éducation et de l’environnement.
Il s’agit explique Meriem de « créer une activité agricole sur
place, repenser la pédagogie de l’école, miser sur la confiance
placée dans les jeunes plutôt que la compétitivité. » Une partie
de l’équipe du Mat Ardèche crée en parallèle une entreprise
en SCOP (Sociétés coopératives et participatives) qui va
Meriem Fradj Quand elle quitte la capitale d’où elle est originaire,
Meriem Fradj entend s’investir dans un projet
professionnel qui propose un autre rapport au travail.
Depuis elle s’est engagée dans le développement
de la SCOP ARDELAINE et cultive des jardins
dans des quartiers populaires de Valence.(P
(20
restructurer la filière laine en Ardèche. Cela se passe dans les
années 1980. « Avec « Ardelaine » (le nom de l’entreprise) on
a inventé le métier, de la tonte des brebis, jusqu’à la création des
produits explique-t-elle. Moi je me suis spécialisée dans la
maille. » Ensuite l’opportunité de s’installer dans un quartier
populaire de Valence s’est présentée : « On n’avait aucun a
priori, au contraire, on trouvait intéressant d’avoir un pied en
ville, même si on était une entreprise rurale, pour ne pas être
déconnectés des trois quarts des gens qui y vivent. Nous avons
alors créé l’association le MAT Drôme qui favorise la création
de réseaux entre les personnes. »
Un manque de solidarité
Quand on l’interroge sur la situation des femmes dans son
quartier ou ailleurs, elle pointe du doigt le manque d’esprit
solidaire. « Il y a des solidarités qui ne sont pas encore assez mises
en valeur et en place, notamment pour pas mal de dames qui
sont seules. » Il y en a qui s’en sortent très bien, nuance Meriem,
« Moi je parle de celles, de plus en plus nombreuses, dans les
quartiers par exemple, qui sont seules à élever des enfants, qui
sont en difficulté financière et qui n’ont pas forcément de projet
de vie pour s’en sortir. » Toute la question est dès lors de savoir
comme créer des ponts de solidarité. « C’est grave pour demain,
parce qu’il y a beaucoup d’enfants qui en souffrent », déplore
Meriem qui en profite pour fustiger le manque de confiance
accordée aux femmes dans le milieu social et professionnel.
« Ce qui m’afflige, c’est qu’on doute encore des compétences
des femmes qui doivent en faire dix fois plus. C’est en tout cas,
ce que j’ai observé au cours de réunions professionnelles, asso-
ciatives ou politiques. » En ce sens, les journées thématiques
comme celle consacrée à la femme, sont « des coups de
projecteur nécessaires, même si ce sont parfois des outils de
communication. »
Depuis 25 ans, le MAT crée des activités sociales autour du
jardin. « On s’est dit, explique Meriem, que les l’ap-
propriation de l’espace pouvait passer par les jardins,
et que ça pouvait ainsi redonner une utilité au terri-
toire, le rendre fertile. Et on s’est amusés. » L’un des buts
du projet baptisé « Jardins dans la cité » pour lequel
Meriem a obtenu en 2010 le 2e prix Terre de Femme de
la Fondation Yves Rocher, est d’améliorer l’image de ces
quartiers souvent perçus de manière négative. « Le plus
grave, ajoute Meriem, c’est que les personnes qui y habitent
ont intégré cette image négative et finissent par cultiver
leur échec. » Il a fallu quatre ans pour monter le premier
projet, les jardins de l’« Oasis Rigaud » finalisé en 2003. Et
le pari à l’origine audacieux a été gagné : « Ça a créé une
dynamique et les habitants sont redevenus acteurs de leur
secteur. Comme ça marche, ajoute Meriem, on a réussi à être
crédibles. » Depuis l’association a été récompensé plusieurs
fois pour son action, notamment le Grand prix 2012 du
concours « s’engager pour les quartiers » avec la Fondation
FACE et l’ANRU. En reconstruisant leur espace, les habitants
jardiniers participent à la revalorisation de leur quartier.
“ Ce qui m’afflige,
c’est qu’on doute encore
des compétences des femmes
qui doivent en faire
dix fois plus ”
21)
nfant déjà, le souhait de Paulette était de devenir
infirmière. Et de fait, elle a passé une grande partie de sa
vie à prendre soin des autres. Après avoir été auxiliaire
puéricultrice et aide-maternelle, Paulette devient infirmière
libérale pendant 17 ans, puis exerce 9 années dans un centre
de convalescence. Mais le parcours professionnel de Paulette
ne rend pas compte de la richesse de ses activités. Car en
dehors de son métier, elle s’engage et continue aujourd’hui
de s’engager dans diverses associations, et ce, dans un premier
temps grâce à l’influence de son mari très sportif et lui-même
très investi : « Mon mari, explique Paulette, a toujours fait partie
d’associations et pour moi, c’était aussi un plaisir d’aider. » Avec
son mari, Paulette s’investit à l’UGAP, l’association de sports
de Bourg de Péage pendant 30 ans. On fait ensuite appelle à
elle afin qu’elle s’investisse à la mairie. Elle se présente et est
élue adjointe au maire, une fonction qu’elle occupe pendant
12 ans et 6 ans conseillère municipale. Toujours désireuse
de se mettre au service des personnes souffrantes, Paulette
devient par ailleurs membre du conseil d’administration, puis
vice-présidente des « Minimes », une association qui s’occupe
des personnes âgées. « Notre objectif dans cette association
est de rendre la vie des pensionnaires souvent très âgés plus
confortable. » Enfin, elle s’engage pendant environ 8 ans dans
la Ligue contre le Cancer où elle accompagne les personnes
en fin de vie.
Au service des autres
Malgré cette expérience auprès des personnes malades,
Paulette connaît peu la mucoviscidose, cette maladie géné-
tique qui affecte les voies respiratoires et le système digestif,
quand elle apprend avec son mari en 1997 que leur petit-fils
en est atteint. Leur réflexe à tous les deux est de livrer bataille
à la maladie. « On s’est engagés tout de suite, raconte Paulette,
car on a estimé que c’était notre rôle de grands-parents. » De
1997 à 2000, le couple s’investit dans la Virade de l’espoir
de Font d’Urle, cette journée de mobilisation contre la muco-
viscidose qui a lieu partout en France. Puis à partir de 2000,
ils deviennent organisateurs de la Virade De Mours-Saint-
Euzèbe, un gros travail qui nécessite du temps et de l’argent
Paulette Barret Infirmière de formation, Paulette a passé sa vie
à soigner les autres. Engagée dans la Ligue
contre le Cancer, elle lutte depuis 1997 contre
la mucoviscidose dont est atteint son petit-fils.(E
(22
et qui consiste principalement à mettre en place des ani-
mations, trouver des partenaires, et surtout tout faire pour
attirer le maximum de gens le jour de la Virade. Pas moins de
50 bénévoles sont mobilisés, ce souvent des amis, et des amis
d’amis, peu de parents de malades. La marche organisée
pour cette évènement peut réunir jusqu’à 400 personnes.
En tout, cette journée attire près de mille visiteurs chaque
année dans le petit village de Mours, une bonne chose pour
Paulette qui estime que les Virades de l’Espoir permettent de
mieux faire connaître cette maladie et contribuent à réunir
des fonds pour faire avancer la recherche. Pourtant, malgré le
succès de la journée, Paulette pense qu’on ne parle pas assez
de cette maladie qui serait sans doute encore plus méconnue
s’il n’y avait eu la médiatisation du cas Grégory Lemarchal,
vainqueur de la Star Académie décédé des suites de la muco-
viscidose à 23 ans.
La recherche avance Sa force, Paulette, qui s’est battue contre les maladies toute
sa vie, la puise dans l’espoir que l’on guérisse enfin de la
mucoviscidose. Et surtout, elle s’inspire des nombreux en-
fants malades qu’elle a côtoyés tout au long de ces années.
« Les enfants ont une force énorme. Il faut savoir que leur
traitement est très lourd. La majorité a quotidiennement des
séances de kinésithérapie avec le médecin, des perfusions
d’antibiotiques et d’aérosols. » Des enfants qui ont très tôt
conscience de la gravité de leur maladie, puisqu’ils doivent
être pris en charge très tôt. « Ils ont beaucoup de courage,
je les admire ces gamins », insiste Paulette. Quand il s’agit de
son petit-fils, Tom, Paulette décrit un garçon enthousiaste et
plein de vie : « On a un enfant qui va bien, il a 17 ans, il fait du
sport, il ne fait ‘que’ de la kinésithérapie. Pour lui, le jour de la
Virade est une fête à laquelle il participe et il aide beaucoup. »
Aujourd’hui, Paulette et son mari continuent de s’informer sur
les avancées de la recherche sur la mucoviscidose.
« On a l’explication des chercheurs et ça progresse.
Un chercheur nous a même dit qu’on avançait à grands
pas. » Déjà, l’espérance de vie des jeunes malades
a beaucoup augmenté depuis une décennie et les
enfants peuvent aujourd’hui avoir des enfants et les voir
grandir. Le dépistage de la maladie est aussi beaucoup
plus efficace. « C’est une maladie qu’on découvrait quand ça
arrivait. Alors que maintenant, le test obligatoire se fait à
la naissance depuis 2002. » En attendant, Paulette est très
optimiste : « Je pense qu’en dix ans, on ne guérira peut-être
pas la maladie, mais au niveau des médicaments, on progresse.
La recherche avance et il faut garder l’espoir et combattre. »
“ Ils ont beaucoup de courage,
je les admire ces gamins ”
23)
lexandra ne mâche pas ses mots et retrace son parcours
avec beaucoup de franchise. Elle nous raconte qu’enfant
déjà elle se passionnait pour la recherche… et le grec
classique. « J’ai toujours collectionné les cailloux. J’allais herbo-
riser dans les monts du Lyonnais. J’étais du genre à faire des
crises parce que je voulais un nénuphar au Parc de la Tête d’or et
qu’il en était évidemment hors de question » se souvient-elle.
Elle s’inscrit en fac de biologie par vocation et passe sa thèse
pour devenir chercheur. Mais ce milieu la déçoit. Elle complète
sa formation en obtenant le MBA du CESMA à l’EM Lyon. Son
diplôme en poche, elle alterne les emplois dans l’industrie
pharmaceutique et les périodes de chômage. « Parce que
quand on est une femme, explique Alexandra, c’est plus difficile
que quand on est un homme » Elle construit sa carrière grâce
à un travail acharné : « J’ai été basée à Marseille, à Montpellier,
à Paris. Je rentrais à Lyon seulement le week-end retrouver ma
famille. J’avais de hautes responsabilités, je dormais souvent le
week-end pour récupérer. Ça nous a coûté beaucoup » dit-elle
en évoquant son couple. De son expérience dans la branche
pharmaceutique d’un grand groupe américain, elle garde
un souvenir amer : « C’est un monde particulier, très formateur,
même si on est clairement là pour faire du profit, sans prise en
compte de l’humain. » Cet emploi, Alexandra le conserve deux
ans jusqu’aux débuts de la suppression totale de la branche
pharmacie « Je me suis retrouvée sans boulot, surdimension-
née ou trop chère d’après les cabinets de recrutement. » Alors
qu’elle cherche activement un emploi, c’est déjà le leitmotiv
sur la nécessité de se construire un réseau. « Diplômée, ayant
travaillé dur, dotée d’une solide expérience professionnelle et
pourtant sans emploi, je ne comprenais pas le principe du
réseau ni comment il aurait pu me procurer un poste ».
Un parcours atypique
Durant cette période, Alexandra dit avoir beaucoup réfléchi et
remis ses choix en question « J’ai travaillé pour des entreprises
avec lesquelles je n’étais pas toujours en accord. » explique-t-
elle. Elle vit très mal ces dernières années de chômage. Elle
commence à sortir de cette période difficile lorsqu’elle décide
de s’installer en Crète, le rêve de sa vie : « J’avais une 205 qui
Alexandra IsvarineAlexandra est une personne étonnante et
son parcours l’est tout autant. Après avoir exercé
les métiers de chercheur, de top manager
dans l’industrie pharmaceutique elle est aujourd’hui
apicultrice et a reçu à la fin de l’année 2013
le prix de la Créatrice force femme pour son projet. ((24
A
avait au moins 15 ans, j’y ai mis l’essentiel. J’ai roulé mon futon
dans une bâche, la voiture traînait par terre. Je suis partie vers
l’inconnu, ma première étape a été Athènes. » Son aventure
dans l’apiculture nait en Crète où elle rencontre un apiculteur
grec avec lequel elle partage sa vie. Elle devient elle-même
apicultrice après avoir fait ses preuves dans un milieu qu’elle
décrit comme très machiste : « Un jour, suite à une rupture des
ligaments du genou de mon compagnon, j’ai dû prendre en
charge le cheptel toute seule. » En reculant le camion, elle ren-
verse une ruche. « Je n’étais pas habillée j’ai eu quarante cinq
piqûres sur le visage. J’ai tout de même terminé mon travail
sur le rucher. C’est ainsi que j’ai gagné le respect des apiculteurs
crétois. Quand j’ai obtenu mes premières récoltes de gelée
royale mon compagnon m’a avoué qu’il n’aurait jamais pensé
cela soit possible ».
Quand elle revient en France, en septembre 2011, Alexandra
repart à zéro. Tout ce qu’elle possède tient sur quatre
palettes. Le 1er mars de l’année suivante, elle crée déjà sa
structure agricole. « Je voulais faire de la gelée royale et rien
d’autre » affirme-t-elle. Le réseau qui n’avait pas de sens pour
elle dans le passé, se constitue cette fois naturellement :
« Parce que j’avais des choses précises à demander, je savais
où je voulais aller. » Son parcours professionnel prend tout
son sens, de la biologie au business, l’apiculture lui permet
d’innover en valorisant ses compétences. « J’ai développé
mon activité pour ne pas vendre ma gelée comme les autres,
j’ai fait une étude de marché pour sortir des sentiers battus et
c’est pour ça que j’ai eu le prix de la Créatrice Force femme. »
En produisant et en vendant de la gelée royale, Alexandra
sait qu’elle vend un produit de qualité, ce dont elle est
fière : « Ma gelée s’appelle ‘Goutte de soleil’, j’ai l’habitude de
dire que c’est comme si on mangeait du soleil. C’est un coup
de tonnerre dans la bouche » dit-elle l’œil qui brille. Aussitôt
elle tient à nous rappeler la gelée royale consommée en
France est importée à 98 % de Chine, où elle est faite dans
des conditions incompatibles avec un produit
de qualité.
Prix de la Créatrice Force femme
Aujourd’hui, Alexandra est reconnaissante du soutien
dont elle a bénéficié depuis le début de sa réorientation.
Deux de ses amis, l’ont financée sans limite et sans condi-
tion depuis deux ans. Des apiculteurs amis l’ont épaulée
dans l’apprentissage du métier, lui ont prêté du matériel.
L’association Force Femme, qui soutient les femmes de
plus de quarante cinq ans pour leur retour à l’emploi, lui
a permis de formaliser son projet dans une ambiance
bienveillante. Elle a obtenu l’aide du dispositif ELI(1), le label
innovation du Bio-cluster Organics in Rhône-Alpes et enfin
le prix de la Créatrice Force Femme 2013 qu’elle considère
comme une récompense de sa prise de risque. « Cette année
a tout de même été difficile » confesse Alexandra, mais elle
peut encore compter à Loriol, « son berceau familial », sur
l’aide de nombreuses personnes. « Et puis ce n’est pas très
loin de Lyon où se trouve maman. »
(1) E.L.I. : aide aux entreprises localement innovantes, financée à 50 % par le Conseil régional Rhône-Alpes et à 50 % par le dispositif européen FEADER.
“ Ma gelée Royale c’est un coup
de tonnerre dans la bouche ”
25)
ydia est une jeune femme qui n’a jamais manqué
d’ambition. « Déjà au collège, je voulais travailler dans un
consulat, une ambassade » se souvient-elle amusée. Attirée
par le droit et férue de polars et d’enquêtes, elle s’imagine
déjà dans la magistrature, Procureur de la République. « Je
voulais être du côté de la Justice » clame-t-elle. Une ambition
précoce qui étonne à un âge où on pense rarement à ce qui
nous attend après le bac. « Souvent j’agis, explique la jeune
femme, pour prouver que même si je suis basanée, j’ai ma place.
Mais aussi parce que j’en ai les capacités. » Après une licence
de droit à la Faculté de Valence puis à Aix en Provence, elle se
dirige naturellement vers un Master 2 Carrière de la Justice,
une année dont elle conserve un bon souvenir : « On était
entraînés à faire des plaidoiries, c’était sympa. »
La suite de son parcours est moins linéaire. Elle s’inscrit en
année de prépa IEP pour entrer dans la magistrature et
décide de passer les concours de commissaire de police, de
lieutenant de police et de magistrat : « Ça n’a pas fonctionné
et ça a été de bonnes claques ! » En 2e année de prépa aux
concours, elle trouve un travail d’assistante de justice auprès
de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, un métier qui ne lui
convient pas. Elle décide alors de se concentrer sur les métiers
de la sécurité, attirée par la perspective « de se lever le matin
sans savoir ce qui va arriver dans la journée » et présente son
dossier en classe prépa intégrée sur critères sociaux. « Ce qui
m’intéressait, c’était le concours de lieutenant de police. J’ai
également passé le concours des douanes, lieutenant de police
et officier de gendarmerie, le plus difficile parce qu’il fallait un
bac +5. Je l’ai eu et je me suis arrêtée là. » Elle enchaîne ensuite
deux années de scolarité, dont une militaire, à l’Ecole des
officiers de Melun : « Ça a été dur » confesse Lydia, « On rampe
dans la boue. On prend conscience de nos limites et les cadres
nous aident à les dépasser. »
1983 : première femme gendarme
C’est en 1983 que pour la première fois une femme a pu
devenir gendarme. 30 ans plus tard, une femme est nom-
mée Général. « Aujourd’hui, explique Lydia, il n’y a aucune
difficulté pour une femme à intégrer la gendarmerie. » C’est
Lydia ZaliLydia Zali a grandi à Curnier, un petit village
près de Nyons où elle effectue ses études secondaires.
Aujourd’hui, seule femme commandant de communauté
de brigades de sa compagnie, elle est lieutenant
de gendarmerie à Vouvray près de Tours.((26
L
aussi l’avantage du recrutement universitaire dont la moitié
des promus sont des femmes. « La gendarmerie ne m’a pas
cantonnée à mon image de femme et a su tenir compte de mes
qualités. Je faisais partie des trois meilleurs universitaires, les
trois premières de notre recrutement étaient des femmes. On a
pu choisir en premier nos postes. » A son arrivée, son sexe ne
pose pas de problème, le fait qu’elle soit une universitaire,
peut-être un peu plus. « Je découvrais mon nouveau métier,
j’ignorais beaucoup de choses, tout ce qui est administratif,
ressources humaines… j’ai beaucoup appris sur le tas. Surtout
en RH, où j’ai le plus progressé » Lydia, est la seule femme
commandant de brigades de sa compagnie et s’amuse
des « allez, les gars, entrez » qui fusent avant les réunions
d’officiers. « J’y ai été habituée dès l’école. De toute façon, il n’y
a pas de femme chez les gendarmes, mais des militaires comme
les autres. Ça ne m’a jamais choquée. »
Ne pas avoir honte de poser des questions
Après deux années à l’école, il a été temps d’occuper ses
fonctions et Lydia n’a eu aucun mal à imposer son autorité
« Ce qui est bien, c’est que le grade est important. Quand on est
lieutenant, on est lieutenant. Aucun de mes militaires ne me
manque de respect. Le fait que je sois grande m’a aussi aidée »
Pour autant, nul besoin d’être masculine pour imposer son
autorité. Au sein de la Compagnie d’Ambroise dans le 37 où
elle a pris son commandement en août 2013 et où elle dirige
30 personnes dont 10 femmes, Lydia découvre. un métier
qu’elle s’était encore imaginé différemment. « Je me voyais
avoir le temps de prendre un dossier de recevoir les personnes,
d’enquêter, mais ce n’est pas du tout ça ! » La jeune femme qui
sait qu’elle apprend, n’a pas peur de poser des questions
« de but en blanc. » au risque de faire sourire. « Je n’ai pas
honte de poser une question à un de mes subordonnés, parce
qu’il sait des choses que je ne sais pas. » Enfin, son métier,
comme elle s’y attendait, ne lui laisse que très peu
de temps pour elle. « On ne dort que d’une oreille et
on ne voit pas passer les journées. »
Si Lydia en est là, c’est grâce à sa grande détermina-
tion. « Il faut se blinder, se dire qu’on est autant capable
qu’une autre, confie-t-elle, je sais ce que je vaux. » Face
aux regards des autres elle estime qu’il faut être plus in-
telligent. A l’école primaire, la cruauté de certains enfants
lui forge son caractère. Cependant, Lydia n’est pas une
victime et elle saisit les opportunités qui s’offrent à elle. « Je
ne suis pas contre la discrimination positive, j’en ai bénéficié
par le biais de la Classe préparatoire intégrée. Mais je sais que
si je suis ici ce n’est pas seulement grâce à cela. L’anonymat
des écrits du concours permet de se rassurer de ce côté là. » Et
malgré sa réussite, Lydia relativise son parcours : « J’ai un
métier assez prestigieux, si j’y suis arrivée, tout le monde peut y
arriver. Je n’ai pas de prédispositions particulières, je viens d’un
milieu plutôt modeste au fin fond de ma campagne. »
A la fin de son premier commandement qui doit durer
4 années, Lydia envisage de devenir mère. « En dernière
année, en général, les gens pensent à leur prochaine affec-
tation. » De ce point de vue-là, Lydia admet qu’il est plus
simple d’être un homme. « Une femme qui a un enfant
impacte beaucoup plus la vie d’une brigade qu’un homme
qui va devenir papa. » Parfois, elle reçoit des femmes mili-
taires qui lui confient leur souhait d’enfanter : « Moi, je
les encourage. »
“ Il n’y a pas de femme
chez les gendarmes,
mais des militaires
comme les autres ”27)
lors du coup, c’est quand la journée de la Femme, je ne
suis pas au courant ? » nous demande d’emblée Sylvia
tout sourire. Celle qui gère le domaine qui porte son
nom, « le Mas Sylvia » se sent peu concernée par une telle
journée, d’ailleurs elle estime qu’elle n’a pas vraiment matière
à se plaindre. « Dans mon cas, je n’en vois pas l’utilité. Je pense
que c’est peut-être plus pour compatir avec des femmes qui ont
un quotidien difficile, pour les femmes battues. Pas pour les
femmes qui font des professions d’hommes. » Ce n’est pourtant
pas facile d’évoluer dans un milieu majoritairement masculin
quand on est une jeune femme chef d’entreprise viticole. Et
à voir Sylvia, toute fluette, on peine à l’imaginer mener seule
son exploitation. Elle l’admet : « Le milieu viticole est très phy-
sique, c’est pour ça qu’on dit que c’est réservé aux hommes.
A la fin de la journée, on dort bien ! » Mais c’est en toute
connaissance de cause, et très tôt, que Sylvia s’est engagée
dans cette voie, sans regret. Pour se former, elle passe un
bac scientifique option territoire environnement en lycée
agricole, puis obtient un diplôme d’œnologue, poursuit en
master commerce spécialisé dans le vin où elle apprend la
technique, la production et le commerce du vin, et enfin,
part deux années de suite en Australie pendant 5 mois pour
revenir en septembre en France, ce qui lui permet d’effectuer
deux vendanges par an. Peut-être Sylvia n’aurait-elle pas eu
la possibilité ni même l’idée de créer un domaine sans l’in-
fluence et l’exemple de son père, viticulteur. Quand elle s’est
installée elle a pu compter sur son aide ainsi que sur celle de
son oncle maternel qui lui a permis d’occuper une partie de
ses vignes. « Si je n’avais pas eu de père viticulteur, je me serais
sans doute orientée vers le conseil en vin » confesse Sylvia : « Je
l’ai déjà fait pendant deux mois, tu te balades dans les caves, tu
dis bonjour, tu fais goûter les vins, ce n’est pas physique. Le soir
tu n’es pas sale et tu n’as pas les mains sèches coupées par les
tuyaux. C’est enrichissant, mais pas toute une vie. »
Une passion et des préjugés
En Australie, Sylvia n’a pas vu de domaine de femme.
En France, elle déplore que le vin soit trop souvent une
passion d’hommes où les femmes sont assignées à des
Sylvia TesteSylvia est une jeune chef d’entreprise qui gère
« le Mas Sylvia » un domaine qu’elle a créé en 2010
avec l’aide de son père lui-même viticulteur. Pour elle,
être une femme dans un milieu d’hommes n’a jamais
été un problème majeur, mais elle confesse devoir
composer avec certains préjugés persistants.((28
« A
tâches spécifiques, moins physiques, comme la vente ou la
communication. « Les gens sont souvent intrigués, ils ont du
respect, mais le fait que je sois une femme, les surprend parfois,
nous dit Sylvia. J’ai même entendu : ‘t’es une femme, mais en plus
ton vin est bon !’ » Les remarques de ce genre sont banales :
« Il y a un truc qui ne me parle pas du tout, c’est le vin de femme.
C’est agaçant, quand on s’installe, on est déjà casée dans une
catégorie. Ça ne veut rien dire, je le vois au quotidien : il y a des
femmes qui aiment les vins très tanniques et puissants et des
hommes qui aiment les vins légers. » Ces préjugés, Sylvia sait
qu’elle peut les surmonter en faisant ses preuves. En BTS,
pendant la recherche de stage, elle se rappelle qu’on spécifiait
le sexe de l’employé que la structure accueillante souhaitait.
« On te met à l’épreuve, on ne te ménage pas. Quand je suis
arrivée dans ma structure du Beaujolais, le maître de stage m’a
dit : ‘J’avais demandé un mec, mais vu que je suis sympa on m’a
encore refilé une nana !’ » Parfois encore, sur les salons de vente,
les acheteurs pensent qu’ils n’ont à faire qu’à la vendeuse :
« Pendant une animation en supermarché, les gens se disent
que je suis la commerciale de la cave, s’amuse Sylvia. Si tu n’a
pas une allure de paysanne, les gens pensent que ce n’est pas toi
qui fais le vin. Alors qu’un homme est crédible dès le début. » La
crédibilité insiste Sylvia, c’est ce qui compte avant tout.
« Quand on est une fille, il faut se dépasser plus qu’un garçon, il
faut prouver qu’on est capable. »
Le supposé charme féminin
Pour autant, elle ne pense pas qu’être un homme lui aurait
facilité la tâche, et qu’il y a même des inconvénients à en être
un. « Il y a un conflit intergénérationnel sur les exploitations.
Les vignerons se confrontent à leur père ou à leur grand-père
qui ont toujours leur manière de faire. » Sa féminité est aussi
un atout marketing ; elle la met en valeur, sans en abuser,
pour vendre son produit. Ainsi tous ses noms de cuvées sont
des noms de femmes, du blanc au rouge : « Cela
permet d’avoir une gamme cohérente avec un fil
conducteur. Puis je veux que le fait que ce soit un vin
produit par une femme se voie. » Sylvia récuse pourtant
ce côté charmeur qu’on attribue à la femme surtout
dans ce milieu d’hommes où certains peuvent avoir des
idées derrière la tête. « J’entends parfois de sales blagues,
des trucs très lourds. Au bout d’un moment, tu es obligée de
rigoler, c’est nul, mais c’est comme ça. »
Au fond, Sylvia nous confie que son métier lui demande
de faire beaucoup de sacrifices, principalement celui de
devoir mettre de côté sa vie personnelle. « C’est un choix, mon
métier est une passion. Sans ça, on ne le fait pas. » La maternité
est aussi une question qui la préoccupe. « C’est biologique,
la femme porte l’enfant neuf mois et durant tout ce temps-là,
elle ne peut pas goûter ses vins. Ça n’a l’air de rien mais c’est
un problème quand on est vigneronne et œnologue. » Pour
elle, c’est une question d’organisation, il faut cibler le bon
moment. Elle avoue y penser de plus en plus surtout depuis
que son domaine commence à gagner en indépendance
financière « La prochaine dizaine d’années sera décisive. Entre
30 et 40 ans, soit je le fais, soit j’ai raté le coche. C’est l’horloge
biologique, une pression féminine. »
“ Si tu n’a pas une allure
de paysanne, les gens
pensent que ce n’est pas toi
qui fais le vin ”
29)
enise se souvient que quand elle s’est mariée, c’était
son mari qui avait le carnet de chèques. Elle, a longtemps
été privée du droit de posséder un compte en banque.
« Quand la loi est passée, j’en ai immédiatement ouvert un » se
souvient-elle encore. C’était en 1965. Aujourd’hui âgée de
88 ans, Denise a pu constater que la situation de la femme
s’est nettement améliorée au cours du 20 siècle. « Je suis de la
génération des féministes après-guerre, beaucoup de mouve-
ment sont nés à ce moment-là. » Pour elle, c’est réellement,
le contrôle des naissances qui a changé le sort des femmes :
« Il y a un avant et un après » souligne-t-elle. Denise s’est mariée
tôt et a d’abord sacrifié une carrière professionnelle pour sa
vie de famille avant d’exercer le métier d’institutrice « J’ai fait
deux ans de médecine et je me suis mariée comme une imbécile.
A mon époque on arrêtait les études quand on se mariait, puis
j’ai eu des enfants. »
Le jazz a occupé et continue d’occuper une grande place
dans la vie de cette femme aujourd’hui retraitée. « Pendant
la guerre, le jazz a été un symbole de liberté pour beaucoup de
musicien français, comme Django Reinhardt. Puis après la
guerre il y a eu beaucoup de manifestations consacrés à ce
genre musical. En 1948, j’ai assisté au premier festival de Jazz à
Nice. J’étais passionnée de Jazz, c’est ce que j’aime. » Denise se
met à pratiquer le violoncelle et se forme en allant aux
concerts. Plus tard elle s’engage au sein de Crest Jazz Vocal
presque par hasard. Elle se rend d’abord en spectatrice à une
manifestation de musique consacrée au Jazz, à la Folk et à la
chanson, lancée par la Maison des Jeunes de Crest. Deux ans
plus tard, alors que cette manifestation est menacée de dis-
paraître une association créée pour maintenir l’événement
la contacte. Elle décide de s’impliquer et devient rapidement
la présidente de ce qui est devenu Crest Jazz Vocal. « C’était
beaucoup boulot qui consistait surtout à trouver des sous ! » Si
elle a accepté ce rôle, ce n’est pas par goût du pouvoir, mais
parce qu’elle avait « l’impression de pouvoir faire quelque
chose. » Là, elle découvre, un milieu « où on est libre, pas
sexiste et où il y a très peu de préjugés. »
Peu à peu, le festival s’est construit une vraie notoriété, et
a pu attirer des musiciens prestigieux. Denise se souvient
notamment de deux rencontres extraordinaires : Ray Charles
Denise DeronzierDenise Deronzier a été pendant 30 ans
la présidente du Crest Jazz Vocal, le prestigieux
festival consacré au jazz au cœur de la Drôme.
Aujourd’hui retraitée de l’enseignement,
elle raconte son parcours.((30
D
et Nina Simone. « Ray Charles est la plus grande vedette qu’on
ait eue » se rappelle Denise. Quant à Nina Simone, elle en
garde un souvenir plus contrasté mais amusé. « Nina Simone
était une emmerdeuse, c’était une Diva. Elle exigeait qu’on loue
une voiture neuve et parfaite pour la ramener de l’aéroport.
A peine sortie de l’aéroport, la voiture est tombée en panne.
Elle est entrée dans une colère noire. » Denise raconte aussi
comment la chanteuse américaine plaçait un réveil sur son
piano pour contrôler son temps de scène : « Elle jouait
60 minutes, pas une de plus. » Aujourd’hui, attirer des musi-
ciens de ce calibre apparaît impossible. « Les célébrités coûtent
cher, et le prix à payer pour des musiciens qui commencent à
peine à être reconnus devient exorbitant » regrette-t-elle. Une
évolution qu’elle explique par la crise du disque. Selon elle
« les artistes compensent avec les cachets des concerts. » la
baisse des ventes de disques. Tandis que le public, lui, est
évidemment davantage sensible aux têtes d’affiche. « Ce
qu’on essaie de faire, c’est de ramener chaque soir un artiste
inconnu, émergeant, et un groupe plus connu pour donner
de la visibilité au premier. » Le festival attire en moyenne
10 000 personnes pendant les 6 jours de concerts, de stages
et de concours de jazz vocal, de quoi effectivement mettre
en avant des artistes peu connus.
Parité impossible
Bien que le milieu associatif et culturel autour du festival
soit plus paritaire, les musiciens de Jazz eux sont souvent
des hommes « parfois macho » selon Denise. Il y a très
peu de femmes et ce sont surtout des pianistes. « Elles ont
peut-être moins de souffle » se demande Denise, puis se
reprenant « si ma fille m’entendait, elle me tuerait ! ». Sa fille,
nous dit-elle, est beaucoup plus féministe qu’elle et ne
laisserait sans doute pas passer une telle remarque. « Il n’y
a pas de raisons que les femmes jouent moins bien. De toute
façon, c’est impossible de faire la parité ». Malgré
tout, le prestigieux festival Jazz à Vienne a eu l’idée
de proposer des soirées à dominante féminine, fait
remarquer Denise.
Rester soi-même
Aujourd’hui, Denise a pris plus de recul par rapport au
festival, et il a fallu forcer les choses. « J’ai travaillé au
moins 30 ans pour ce festival et c’est beaucoup de charges.
Alors on n’est pas pressé de vous remplacer ! ». Elle continue
néanmoins à se tenir au courant des nouveautés et à
conseiller des groupes pour la programmation. Ayant
conservé beaucoup de contacts dans le milieu avec des
musiciens et des techniciens, elle se charge aussi, quand
elle en a l’occasion de faire des liens. Parfois encore elle s’offre
le plaisir d’assister à des concerts de jazz. Mais au-delà de
cette passion à laquelle elle a consacré beaucoup de son
temps, Denise continue de s’impliquer dans son village
comme elle l’a toujours fait (elle est notamment présidente
des amis du Temple de Eurre) et de s’intéresser aux débats
sociétaux qui ne manquent pas de la faire réagir, comme le
mariage entre personnes de même sexe ou les réformes
de l’Education nationale. Quant aux jeunes filles, elle les
encourage à « rester elles-mêmes. »
“ J’ai fait deux ans de médecine
et je me suis mariée
comme une imbécile ”31)
oxanne ne sait pas exactement quand lui est venue
l’envie de faire des films, mais plus jeune, elle dit avoir
beaucoup admiré Tim Burton, son « réalisateur fétiche à
l’époque ». Aujourd’hui, elle apprécie davantage le travail
d’un réalisateur comme Chris Marker « qui parvient à faire
des choses politiques avec finesse et sans côté moralisateur. »
Jusqu’au bac, Roxanne effectue sa scolarité à Montélimar
où elle passe une jeunesse qu’elle décrit comme « hyper
agréable » et part étudier à Chabrillan, puis à Villefontaine où
elle effectue un BTS audiovisuel en image. Enfin, elle s’inscrit
aux Beaux-Arts de Lyon pour « compléter sa formation avec
des connaissances artistiques ». Mais l’expérience est brève
car décevante : « Je n’ai pas trop aimé, je suis partie assez tôt,
puis j’ai présenté une école de cinéma, l’INSAS en Belgique, et
j’ai été acceptée. » Actuellement, en 3e année, la montilienne
essaie de multiplier les projets en dehors des travaux de
l’école. En 2e année, elle avait déjà réalisé un court-métrage
« Perruche », une histoire d’amour, tourné avec des copains
et sans argent : « C’était un tout premier qui était forcément
maladroit » précise-t-elle. Dans ses films, Roxanne essaie
de traiter des choses dont elle se sent proche, sans excès
d’ambition : « Je ne me sens pas encore les épaules de traiter un
sujet complexe » confie-t-elle. La représentation de la femme
au cinéma et l’homosexualité féminine sont des thèmes qui
reviennent souvent. Non pas en tant que sujets, « mais comme
quelque chose qui traverse un film » explique Roxanne « parce
que ça m’a manqué quand j’étais plus jeune ». Il lui arrive
d’ailleurs souvent d’éprouver de la « frustration devant les
modèles féminins proposés. »
Un cinéma personnel
De manière générale, Roxanne est attachée à la question des
minorités, du féminisme et à la théorie « queer ». Elles estime
aussi que le cinéma est un milieu assez inégalitaire, centré
sur les hommes et où les femmes sont cantonnées à des
rôles de séductrices, comme a tenté de le démontrer le test
de Bechdel-Wallace : « Cette étude comptabilise, entre autre,
le nombre de personnages féminins dans un film dont le but
n’est pas de séduire un homme. Ça englobe une proportion
Roxanne GaucherandDepuis trois années Roxanne étudie le cinéma
et les techniques de réalisation à l’INSAS de Bruxelles.
Mais c’est à Montélimar qu’elle a grandi, une ville
à laquelle elle rend hommage dans le court-métrage
qu’elle réalise, « Adhémar ».((32
R
très faible du cinéma. » Mais cela, observe Roxanne, tend
nettement à s’améliorer et « il y a eu une prise de conscience. »
Elle ajoute : « En France, il y a pas mal de jeunes réalisatrices
qui marchent et en école je constate que les réalisatrices sont
prises au sérieux autant que les réalisateurs. » En tout cas,
Roxanne est convaincue que le cinéma a vraiment une
grande influence sur la manière dont on perçoit les deux
sexes et dans cette perspective, elle a apprécié le personnage
que joue Sandra Bulock dans le blockbuster « Gravity » sorti
en 2013 : « C’est un gros film mais l’héroïne, Sandra Bulock, est
un personnage féminin intéressant. Elle n’est pas macho. On a
tendance à croire que pour faire un personnage féminin fort,
il faut qu’il soit masculin. C’est faux. » Malgré tout, Roxanne
avoue qu’elle a elle-même parfois certains mauvais réflexes :
« Il y a certains rôles, tu vas les donner à une fille, et tu te
demandes : ‘Pourquoi une fille ?’ Je pense qu’on est tous au
fond un peu sexistes. »
Adhémar : hommage à Montélimar
Il y a deux ans, Roxanne a entrepris un projet de film sur
Montélimar où elle a grandi, « Adhémar. » A l’origine de ce film,
il y a la désir de rendre hommage à sa ville mais également
le constat nostalgique que tout finit par se disloquer : « Ici, on
était un groupe d’amis et chacun est parti dans sa direction. »
Roxanne dit aussi vouloir montrer ce qu’il y a de particulier à
grandir dans une petite ville de province quand la majorité
des films de jeunes évoque Paris. « Quand on parle de notre
expérience de jeunesse à des gens qui ont grandi dans des
grandes villes, ça n’a rien à voir. Ils ne savent pas par exemple
la galère que c’est de rejoindre la ville quand on n’a pas de
voiture. » Mais ce sont aussi des avantages : « Ici, on se forge
plus sa propre culture, alors que dans les grandes villes, on suit
un peu plus les bonnes tendances au moment où il faut. » Ses
courts-métrages, Roxanne les réalise avec peu de moyens.
« C’est du cinéma artisanal, et personne n’est payé.
Mes amis étaient tous contents et emballés. Tout
le monde met la main à la pâte, pour s’occuper des
costumes, de la musique, de la régie. » Pour financer
« Adhémar », elle a ouvert un compte sur Ulule, un site
de financement participatif, et a obtenu des aides finan-
cières de quelques entreprises. Les journaux locaux lui
ont aussi permis d’obtenir un peu de visibilité et d’obtenir
des levées d’argent.
En attendant, il reste à Roxanne deux années de master à
effectuer à l’INSAS et comme tout étudiant en art, quelque
soit la discipline, l’avenir est un peu incertain. « En réalisation,
il n’y pas vraiment de harnais de sécurité. Personne ne t’attend
à la sortie et il y a surtout tout plein de gens qui veulent faire
des films. Puis, on a besoin de matériel technique et tout coûte
cher. On ne peut pas s’entraîner à faire un film, comme on fait
un croquis. Il faut faire le film. » Bien que cette perspective
l’effraie un peu, Roxanne a déjà réfléchi à la suite : « J’ai
décidé que j’allais me pencher vers la production, enchaîner les
stages dès l’année prochaine. » En parallèle, elle continue
d’élaborer son projet de film, un court-métrage qu’elle a
commencé à tourner en janvier : « Puis, je commence à écrire
en même temps un long-métrage qui sera une extension de ce
film, pour avoir un peu d’avance d’ici la fin de mes études et
pouvoir démarcher des boîtes de production et de gens qui
peuvent aider. »
“ Je pense qu’on est tous
au fond un peu sexistes ”
33)
a vie a voulu que je tombe constamment dans des
milieux plutôt masculins » nous dit Viviane Margerie,
présidente de Bioconvergence, l’association qui
regroupe les artisans transformateurs et distributeurs du
bio dans la région Rhône-Alpes. Au sortir de ses études
supérieures, et après quelques voyages à l’étranger, Viviane
trouve un premier emploi dans une entreprise de transports
routiers internationaux où on ne compte sur 200 employés
qu’une seule femme, elle ! « Les chauffeurs n’étaient pas parti-
culièrement tendres. J’ai tout de même apprécié parce que
c’était un défi. » Le mariage avec un homme de la terre change
son orientation professionnelle. « Le domaine agricole n’est
pas particulièrement féminin non plus, mais il y a des valeurs
qui sont les miennes, comme le travail. » Elle retrouve égale-
ment dans ce milieu deux thèmes qui lui tiennent à cœur :
l’environnement et le contact humain, et c’est par logique
qu’elle s’engage en faveur de l’agriculture bio. Elle crée une
première structure, un regroupement de producteurs bio de
la région, puis crée une deuxième société, au sein de l’exploi-
tation agricole, la ferme Bio Margerie à un moment où ce
type d’agriculture n’intéresse pas encore beaucoup de gens.
Enfin, elle contribue à fonder Biocoop, un réseau national de
magasins bio.
Une passion pour l’environnement
L’environnement et sa préservation occupent une grande
place dans le parcours professionnel de Viviane. « La passion
de l’environnement est innée chez moi. Se battre pour avoir une
planète plus saine, c’est une bonne raison de vivre, je trouve. »
A l’origine de son choix et celui de son mari de pratiquer
une agriculture biologique il y a la volonté de « respecter les
consommateurs. » Elle s’explique : « Ça me paraissait logique
de ne pas empoisonner les gens, car je leur vendais directement
les fruits. » Avec la création de l’association BioConvergence,
Viviane réunit plusieurs acteurs de développement agricole
et écologique. Cette association conseille les entreprises
qui fabrique ou veulent fabriquer des produits bio : « On
s’occupe de petites et moyennes entreprises, transformateurs et
distributeurs, on les conseille sur la marche à suivre, on les guide
Viviane MargerieViviane s’est retrouvée un peu par hasard
dans le monde de l’agriculture. Aujourd’hui elle s’est
complètement investie dans l’agriculture bio
dont elle défend les intérêts en tant que présidente
de l’association Bioconvergence((34
« M
dans leur développement, on défend leur métier. » L’association
est aussi un vrai interlocuteur pour la Région au niveau
politique. Ce qui tombe bien, car Viviane a des choses à dire.
Pour elle, les financements européens, bien que des efforts
aient été faits, devraient être beaucoup plus important pour
l’agriculture bio « C’est difficile de faire bouger les choses au
niveau de l’Europe » déplore Viviane.
Ils sont toujours devant pour les photos
Viviane n’a eu aucun mal à s’affirmer dans des milieux
masculins. Cette force, elle la tient en partie de la famille dans
laquelle elle a grandi. « Ma mère qui était très revendicative
m’a inculquée la plupart de ses idées. Puis j’avais deux frères
et l’habitude de me battre pour m’imposer. » Si elle se définit
elle-même comme féministe, c’est surtout d’un point de vue
social, notamment dans sa volonté d’être indépendante
financièrement. « Je ne suis pas militante, je fais partie des
gens qui démontrent que la femme a une grande place dans la
société. » De plus, Viviane estime que la place réservée aux
hommes est trop dominatrice en politique notamment : « Ils
sont toujours là quand il s’agit de se mettre en avant, pour les
photos, dans les journaux. » Selon elle, il y a encore beaucoup
de combats à mener pour accéder à un respect mutuel entre
les deux sexes. En ce sens, l’image que l’on donne de la femme
est fondamentale et elle est déplorable : « Actuellement, dans
la communication, dans la publicité, il n’y a que des femmes
dénudées, prises pour des objets, c’est très insidieux dans la
durée et à force de matraquage » regrette Viviane. De même
une femme qui a (suivant l’expression de ces messieurs)
« un physique », aura moins de difficultés à s’imposer. « On
continue de nous prendre pour des pots de fleurs ! »
Le sujet de la maternité est un sujet qui revient souvent
dans le cadre du travail. Viviane pense que malgré toutes
les commodités et réformes sociales c’est souvent un frein
pour toutes les femmes et particulièrement
pour celles qui sont chefs d’entreprise ; Viviane a
elle-même dû faire le choix de ne prendre qu’une
semaine après avoir accouché. Parfois les employeurs
craignent d’embaucher des femmes qui sont suscep-
tibles de procréer : « La loi, c’est une chose, mais il y a
surtout ce que l’on subit et les non-dits » note Viviane. Face
à ces obstacles, la présidente de Bioconvergence dit son
admiration pour les femmes qui accèdent à de hautes
responsabilités : « Il faut avoir la niaque pour pouvoir s’im-
poser. Tout ce que les femmes ont obtenu, elles l’ont souvent
imposé. » Dans son association, il y a des femmes au Conseil
d’administration et de manière générale, elle en emploie
assez facilement car, les femmes restent évidemment plus
intéressées par l’alimentation.
Si la situation des femmes en France peut être acceptable
malgré tout, c’est loin d’être le cas partout : « Dans le monde,
la condition de la femme est inacceptable, c’est une catastrophe.
On recule à grand pas » s’inquiète Viviane. Mais il reste des
militantes qui défendent leurs idées à n’importe quel prix :
« Les femmes sont beaucoup plus courageuses », affirme
Viviane et pour elle c’est justement une des raisons pour
lesquelles les hommes utilisent la religion pour les rabaisser.
« Ils ont peur tout simplement de « La femme » car dans nos
sociétés modernes elle est beaucoup plus présente dans
tous les domaines. » C’est aussi pour cela qu’elle souhaite
mettre en garde les femmes : « Faites attention à l’image
de la femme, n’acceptez pas tout. Et attention également
aux mots prononcés ! »
“ On continue
de nous prendre pour
des pots de fleurs ! ”35)
n 1943, Marie est aide-soignante à l’hôpital de Romans
où elle travaille en tant qu’interne depuis 6 ans avec son
mari, brancardier. Ils s’étaient mariés juste avant la guerre,
en 1938. « Je suis entrée en Résistance en 1943 à l’hôpital de
Romans, où exerçait le docteur Fernand Ganimède qui était
chirurgien. C’est moi qui faisais les pansements aux maquisards,
le docteur m’envoyait là où il y avait des blessés, et je faisais ça en
dehors de mes heures de travail. » En état d’alerte permanent,
le couple est sollicité, comme tout le personnel soignant,
de jour comme de nuit et « si on avait besoin de nous, se
emémore Marie, on venait nous réveiller. »
Le 9 juin 1944, le maquis monte un hôpital militaire à Saint-
Martin-en-Vercors dans une colonie de vacances. Plusieurs
femmes sont engagées dans la Résistance, comme Odette
Malossane, une jeune infirmière qui vient tout juste d’arriver.
« En tout il y avait deux docteurs et six autres infirmières »
précise Marie. Dans la nuit du 21 au 22 juillet, sous la menace
des Allemands qui arrivent à Saint-Martin, l’hôpital doit se
replier vers le sud et se dirige d’abord vers Die : « Un médecin
de Valence devait nous attendre là pour nous diriger d’un autre
côté avec les blessés, mais lorsque nous y sommes arrivés, les
Allemands étaient là » se souvient Marie. Le docteur Ganimède
prend alors la décision de cacher tout le monde dans la grotte
de la Luire dans le massif du Vercors. « Les sentiers étaient
petits et caillouteux, c’était très difficile de monter les blessés.
Seul le personnel strictement nécessaire devait y rester, les
autres et les blessés qui pouvaient se suffire à eux-mêmes sont
allés dans les bois autour de la grotte. » Marie se souvient
encore que dans la grotte, les gouttes de pluie qui filtraient
à travers les parois sonnaient comme des bruits de pas.
La fuite par les bois
Parmi les aide-soignantes, Marie est la seule femme mariée.
C’est la raison pour laquelle le docteur Ganimède estime
qu’elle ne doit pas se séparer de son mari qui fait partie du
personnel désigné pour aller se cacher à l’extérieur de la
grotte, dans les bois. « C’est pour ça, que nous n’avons pas
été pris » explique Marie. Dans les bois, le terrain pentu est
glissant à cause de la pluie ; les maquisards doivent donc
Marie RoblèsRésistante et centenaire en 2013,
Marie Roblès est la dernière survivante
des évènements tragiques qui se sont déroulés
dans la grotte de la Luire en 1944. ((36
E
se cramponner aux arbres et enrouler leurs jambes autour
des troncs penchés. Pour boire, ils ouvrent la bouche. Enfin,
les rondes incessantes des Allemandes les obligent à ne
parler qu’à voix basse. « Un mouchard nous surveillait d’en
haut et en bas, on voyait les Allemands circuler. » Dans la forêt
une équipe de l’hôpital de Saint-Jean-en Royans se trouve là
aussi. Avec cet autre groupe, Marie et les autres résistants
redescendent par la forêt de Lente : « Nous marchions la nuit
et le jour nous étions camouflés dans les bois. » Par dessus tout,
et quel qu’en soit le prix, il n’est pas question de se faire
prendre : « Nous préférions nous jeter dans le ravin plutôt que
d’être pris, parce que nous savions que dans ce cas nous serions
battus et fusillés. »
La nuit dans la grotte de la Luire
Ainsi, Marie et son mari se trouvent dans les bois quand le
27 juillet, les Allemands montent finalement vers la grotte de
la Luire. Ces derniers se manifestent par des tirs de grenades
et des coups de feu en l’air ; il s’agit vraisemblablement de
SS et ils se livrent à un véritable massacre, sans la moindre
pitié : « Nous avions quatre blessés allemands qui étaient nos
prisonniers. Il ont dit aux SS qu’ils avaient été très bien soignés
par les Français et qu’il s’agissait bien d’un hôpital, mais ils n’en
ont pas tenu compte. » La plupart des blessés sont tués sur
leur lit de fortune lors de cette attaque : « Quand on est partis
de Saint-Martin, on avait 87 blessés et quand la grotte de la
Luire a été évacuée, il n’en restait plus que 25. Ils ont tous été
fusillés. » Les blessés sont emmenés par les Allemands au col
du Rousset et, dès le lendemain, ces derniers leur font creuser
leur propre tombe avant de les exécuter : « Et ceux qui ne
pouvaient pas marcher ont été descendu sur le terre plain, ils
les ont jetés au bas de la grotte après les avoir fusillés. » Le
28 juillet, les Allemands emmènent les infirmières et les
médecins à Grenoble. Certains sont fusillés à leur tour, d’autres,
comme le docteur Ganimède, trouvent le moyen
de s’échapper, et d’autres enfin sont déportés,
comme Odette, morte à Ravensbrück en 1945.
Ayant échappée au massacre, Marie repart avec son
époux à Romans. Le couple arrive dans la commune
le 11 août. Le 22 août 1944, Romans est délivré une
première fois. « Le 24 on a enterré nos morts, ceux qui ont
péri pendant la première prise de Romans. » Le même jour,
tous les deux suivent le docteur Ganimède qui entreprend
de monter un nouvel hôpital non loin de Valence. Nouvelle
alerte : les Allemands arrivent de leur côté : « On a repris les
bois pendant un jour et une nuit, mais ils ne sont pas venus. »
Le 11 septembre 1944, Marie « arrête ». Son mari toujours
dans le bataillon de sécurité à Valence est démobilisé le
30 août 1945 et depuis la fin de la guerre, celle qui est
aujourd’hui centenaire reste hantée par ces évènements
dont elle est la dernière rescapée : « La grotte de la Luire,
je l’aurais toujours dans la tête. C’est une chose que jusqu’à la
fin, je ne peux pas oublier » confie-t-elle. Il lui est arrivé d’y
retourner depuis, mais à chaque fois nous dit-elle la main
sur la poitrine, « le cœur serré». Aujourd’hui, il est de plus en
plus difficile à Marie, toujours très lucide, de se rendre à toutes
les commémorations : « Je participais à toutes les cérémonies,
mais maintenant je ne peux plus rester tellement droite. »
Mais pour ses 100 ans, elle s’est tout de même déplacée à
la mairie de Romans où elle a été reçue par le maire : « J’ai
reçu beaucoup de fleurs, j’ai été très gâtée. »
“Jusqu’à la fin,
je ne peux pas
oublier ”37)
n 2007, quand elle est embauchée par son père,
Clémentine se dit qu’elle est là pour dépanner, le
temps de la saison. A l’époque, la toute jeune femme
est fraîchement diplômée d’un BTS agricole en production
animalière et d’une licence en tourisme, deux formations
qu’elle a entreprises dans l’idée de développer l’agrotourisme,
créer des chambres d’hôtes et aussi un peu assurer ses
arrières. Son projet nous dit-elle était « à la base recentré sur
l’élevage. » Il faut dire que c’est un domaine qu’elle connaît
bien et dont elle a appris les rouages en observant son père,
chef d’une exploitation agricole. Aujourd’hui pourtant, par
manque de temps, Clémentine a laissé tomber la production
animalière pour se consacrer entièrement à l’actuel domaine
viticole de son père racheté en 1999. « C’est un job que je ne
connaissais pas, confie-t-elle. Quand le domaine a été racheté,
ça ne m’intéressait pas, maintenant je ne veux pas faire autre
chose. » Clémentine avoue aussi que l’élevage aurait sans
doute été beaucoup trop difficile à assumer pour une femme
comme elle. « C’est très contraignant, c’est tous les jours. Il
faudrait avoir son compagnon là-dedans. C’est difficile d’avoir
une vie de famille ou de partir en vacances ». Au contraire,
dans le domaine viticole elle dit avoir un confort de travail et
une vie sociale.
Ma cave, mon bébé
Dans l’exploitation, ils sont trois : son père, le cousin de
son père et elle, qui est la seule salariée. Mais tacitement,
c’est bien elle qui tient les rennes de l’affaire. D’ailleurs elle
n’a qu’une hâte, c’est de pouvoir rapidement reprendre la
gérance du domaine. « J’espère mettre mon père à la retraite ! »
dit-elle avec un mélange de bienveillance pour le chef et de
détermination. Son père qui l’aide dans le domaine viticole
est de toute façon davantage investi dans l’exploitation
agricole. « Je me suis débrouillée toute seule, je m’y suis investie,
j’aimerais qu’il me laisse le projet. » Après sept ans de travail
dans le domaine, elle estime avoir en effet toutes les capacités
pour gérer l’entreprise en autonomie, sans l’aide de son père.
Cette cave, c’est son « bébé » : « J’ai su y insuffler un regard
nouveau », ajoute-elle.
Clémentine BompardC’est dans le domaine viticole, « Le Dôme d’Elyssas »
situé dans les Granges-Gontardes près de Montélimar
que Clémentine nous accueille. Seule salariée de l’exploitation
de son père, cette jeune femme entreprenante et ambitieuse
attend la retraite de son père pour reprendre
complètement la gérance du domaine. ((38
E
Clémentine n’a jamais souffert d’être une femme dans un
milieu plein de « bonhommes » (le terme revient inlassable-
ment dans sa bouche) et cela, elle le doit en grande partie
à son fort caractère. « Les mentalités évoluent et les femmes
sont de mieux en mieux perçues. Oui, c’est en train de changer »
nous dit-elle convaincue que ce n’est qu’une question
d’adaptation. Pourtant, elle reconnaît que la femme souffre
d’un vrai handicap : celui de devoir porter un enfant pendant
9 mois, « un problème de base » selon ses propres mots que
les hommes ne « connaissent évidemment pas ». Elle ajoute
que la maternité est la principale barrière d’un point de vue
pratique à l’émancipation professionnelle de la femme. Pour
autant, elle compte bien fonder sa propre famille et quand le
jour viendra, elle assure qu’elle mettra les choses au clair
dans son entourage professionnel et qu’elle se donnera pour
priorité de bien s’occuper de sa progéniture.
Clémentine a peu de relations féminines et ça ne lui manque
pas : « On n’a pas les mêmes centres d’intérêt », précise-t-elle.
D’ailleurs, elle a pris l’habitude depuis ses études de ne
fréquenter presque que des milieux d’hommes. Parmi ses
multiples occupations, elle également est pompier volontaire,
la seule fille de son équipe et cela ne lui pose pas de problèmes.
« Il n’y a pas de sexe chez les pompiers. Il n’existe pas de féminin
à ce nom de métier, on est tous au même niveau. » Elle apprécie
l’esprit de solidarité de ce milieu ; les autres pompiers l’aident
et la soutiennent, et les garçons se montrent plus attentifs
avec elle, même si elle affirme n’avoir pas besoin de traitement
spécial. En ce sens pour Clémentine la journée de la femme
est un concept pour le moins abstrait, mais dont elle garde
un souvenir amusant : « En BTS agricole, j’étais la seule nénette,
pour la journée de la femme, on me faisait à manger, des pâtes
infectes ! » Malgré tout, elle sait que tout n’est pas toujours
tout rose : « La femme doit prouver deux fois plus de choses
pour être appréciée comme un bonhomme » concède-t-elle « Il
faut avoir du caractère, surtout si on est une femme ». Clémentine
a déjà subi des réflexions de la part de collègues
masculins : « T’es qu’une gonzesse, t’y arriveras pas »,
sans compter les jeunes agriculteurs célibataires qui
se montrent un peu trop entreprenants avec elle.
Mais peu à peu, elle a su s’imposer et se faire respecter.
La part féminine du métier
Toujours désireuse de s’investir franchement dans tout ce
qu’elle entreprend, Clémentine est depuis 2009, secrétaire
générale au syndicat des Jeunes Agriculteurs de la Drôme.
« Ils sont venus me chercher » explique la jeune femme, qui
occupe ainsi une fonction déjà occupée par son père dans
sa jeunesse. « Je suis la seule fille du Conseil d’administration.
Je représente un peu la part féminine du métier », plaisante-elle.
Aujourd’hui elle aspire au poste de présidente de l’association
mais avoue que s’engager plus profondément dans le syndicat
des Jeunes Agriculteurs n’est pas son projet : à long terme,
son rêve reste de fonder une famille et d’avoir les moyens et
le temps de le faire.
“ T’est qu’une gonzesse
t’y arriveras pas ”
39)
Sylvia Teste Quand on est une fille, il faut se dépasser plus qu’un garçon, il faut prouver
qu’on est capable Roxanne Gaucherand Je pense qu’on est tous au fond un peu
sexistes Josette Fournié Il faut qu’il y ait un partage des tâches entre l’homme et la
femme Edith Cerf Une femme n’est pas une variété d’hommes Annie Mazuray Il
faut que les femmes s’engagent Denise Deronzier A mon époque, on arrêtait les
études quand on se mariait Viviane Margerie Tout ce que les femmes ont obtenu,
elles ont bien souvent dû l’imposer Meriem Fradj Ce qui m’afflige, c’est qu’on doute
encore des compétences des femmes qui doivent en faire dix fois plus Paulette Barret
Pour moi, c’est aussi un plaisir d’aider Françoise Bourdon Le féminisme ne doit pas
être un prétexte pour créer une nouvelle inégalité Josiane Berruyer Ce n’est pas
parce que les hommes ne seront plus dominants que les femmes le deviendront Lydia Zali J’ai un métier assez prestigieux, mais si j’y suis arrivée, tout le monde peut y arriver
Alexandra Isvarine J’avais une 205 qui avait au moins 15 ans, j’y ai mis l’essentiel (…)
et je suis partie vers l’inconnu Marie-Noëlle Babel Il faut oser rester femme, avec nos
différences de femme Marie Roblès Nous préférions nous jeter dans le ravin plutôt
que d’être pris, parce que nous savions que dans ce cas nous serions fusillés Claudine Mukezangango Dans la réalité, une femme a souvent trois journées de travail : avant
de partir le matin elle doit s’occuper des enfants, puis partir au travail et le soir rentrer et
s’occuper de la vie de famille.