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ÉCRIRE L’HISTOIRE Cours du 23.10.2013 Cours du 30.10.2013

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ÉCRIRE L’HISTOIRE

Cours du 23.10.2013

Cours du 30.10.2013

RAPPEL DU PLAN DU COURS

Nous abordons dans le cours 3 PHÉNOMÈNES LITTÉRAIRES CARACTÉRISTIQUES des années 1980-2010 :

1)S’écrire (= les « écritures de soi ») ;

2)Écrire l’histoire ;

3)Écrire le monde.

INTRODUCTION

• Les genres évoqués dans la première partie du cours - l’autobiographie, les fictions biographiques, les récits de filiation – ont un lien évident avec l’Histoire, ils nous invitent à revisiter l’Histoire.

• L’Histoire avait quasiment déserté la scène littéraire jusqu’au milieu des années 1970.

******

• MAIS à partir de 1973/75, parution d’œuvres qui tentent de raconter l’Histoire et qui semblent aussi répondre aux attentes du public (succès public).

• Alors que la fin du siècle (marqué par 2 grandes guerres) approche, ces œuvres vont essayer de comprendre ce qui s’est passé … et vont interroger l’Histoire du XXème siècle, marquée par la fin de l’idéologie du progrès.

******

• À la même époque succès populaire du roman historique (ex. Françoise Chandernagor, L’Allée du Roi, 1981, mémoires imaginaires de Madame de Maintenon, seconde épouse de Louis XIV).

• Ce succès populaire du roman historique encore aujourd’hui …

1. Thème populaire : l’Egypte des Pharaons …

2. Textes très « traditionnels » : forme linéaire, intrigue historique traitée sur le mode romanesque

3. Textes non caractéristiques de notre époque (littérature « éternelle ») : ils prennent l’Histoire pour thème MAIS ils ne s’inscrivent pas dans cette Histoire.

******

• Nous allons nous intéresser ici aux œuvres qui ESSAIENT DE COMPRENDRE L’HISTOIRE DU XXème SIÈCLE (et non pas à celles qui racontent de manière romanesque une Histoire plus ancienne) ;

• Dans ces œuvres :

- pas de récits linéaires ;

- pas de chronologie « positive » ;

- on a plutôt une reconstruction hésitante d’expériences fragmentées ;

- Questions sous-jacentes « Comment en est-on arrivé là ? » / « L’homme a-t-il encore un avenir ? »

Nous ne pourrons pas aborder les multiples évènements historiques qui ont généré des œuvres particulières : on ne s’intéressera ici qu’à la Première Guerre Mondiale (= 1GM) et à la Deuxième Guerre Mondiale (=2GM).

D’où les 2 chapitres de cette partie du cours :

A. La littérature contemporaine et la Grande Guerre (= 1GM) ;

B. La littérature contemporaine et la Deuxième Guerre Mondiale.

LA LITTÉRATURE CONTEMPORAINE ET LA GRANDE GUERRE (=1GM)

A. LA LITTÉRATURE CONTEMPORAINE ET LA GRANDE GUERRE

• À partir des années 75/80, les œuvres qui interrogent l’Histoire commencent par se tourner vers la 1GM ;

• Notons aussi, qu’encore aujourd’hui, la 1GM est encore la période historique à laquelle la littérature contemporaine fait le plus référence, probablement parce qu’elle y cherche l’origine historique d’un siècle de ténèbres et de désillusions.

A. 1. LES ŒUVRES • Nous avons retenu ici quelques œuvres marquantes

ainsi que des œuvres que nous avons déjà évoquées, car nous ne voulons vous noyer sous les références.

1. PREMIÈRE APPROCHE par le roman policier !

- La Der des Ders, Didier Daeninckx, 1984 : enquête sur un colonel français et dénonciation d’un massacre perpétué par l’Armée française en 1917 sur un bataillon de soldats russes, alors que ceux-ci avaient décidé de ne plus se battre, vu ce qui se passait dans leur pays.

Révélation des événements obscurs cachés sous cette guerre + des erreurs de l’état-major.

2. INTÉRÊT POUR 1GM CONTINUE ET S’AMPLIFIE DANS LES ANNÉES 1980-1990

- Les champs d’honneur, Jean Rouaud, 1990, prix Goncourt.

- L’Acacia, Claude Simon, 1989.

- Un long dimanche de fiançailles, Sébastien Japrisot, 1991 : comme dans la scène inaugurale de l’Acacia - une veuve cherche sur les champs de bataille le corps de son mari mort-, Mathilde cherche son petit ami disparu, refusant de croire à sa mort.

Le livre sera adapté au cinéma par Jean-Pierre Jeunet en 2004.

- Ce Pas et le suivant, Pierre Bergounioux, 1985 : 1ère apparition de la Grande Guerre dans son œuvre … on retrouvera l’ombre de cette guerre dans La maison rose (1987) et Le bois du chapitre (1996).

- Douze lettres d’amour au soldat inconnu, Olivier Barbarant, 1993.

- Le livre des nuits, Sylvie Germain, 1985 : chronique familiale où la 1GM occupe une place importante.

- Dans la bande-dessinée aussi cf. Tardi : C’était la guerre des tranchées (1993) et Varlot soldat (1999).

3. PRÉSENCE DE CETTE GUERRE ENCORE AU XXIème SIÈCLE

- Derrière la colline, Xavier Hanotte (belge), 2000.

- Cris, Laurent Gaudé, 2001.

- Recueil : Paroles de poilus, lettres et carnets du front 1914-1918, en 1998, est un best-seller !

Tous les livres cités n’ont pas la même force (certains n’utilisent la guerre que comme prétexte dramatique) MAIS ils s’intéressent tous à cette période pour en saisir les complexités et en voir les traces sur le présent.

A. 2. POURQUOI UN TEL RETOUR DU RÉCIT DE GUERRE ?

1. LE SILENCE DES ANNÉES 1940-1950-1960-1970

- Les « Trente Glorieuses » (45-73) : effort pour effacer les années noires ramenées par la 2GM, période de reconstruction qui s’accommode mal d’un regard en arrière, pays à reconstruire, prospérité économique à conquérir, espoir …

- En littérature : règne des « avant-gardes » aux préoccupations principalement formelles, on se soucie peu de l’Histoire.

2. RAISONS DU RETOUR DES RÉCITS DE GUERRE À PARTIR DES ANNÉES 1970/1980

a) En littérature, abandon du formalisme structural : la littérature se ré-historicise.

b) Époque des désillusions idéologiques besoin de revenir aux origines de ces désillusions. Or, l’horreur de la 2GM vient de la 1GM (= industrialisation de la guerre / internationalisation de la guerre). Réflexion qui aurait pu se faire dès 1945 MAIS réflexion « gelée » par la glaciation idéologique de la Guerre Froide.

Beaucoup de ces récits de guerre sont publiés après 1989 (Chute du Mur de Berlin).

c) Décalage générationnel : la majorité des auteurs précédemment cités sont nés après 1945, ils n’ont donc vécu aucune des 2 guerres, et ils écrivent alors que les derniers « poilus » sont en train de mourir :

… or, en 1945, il y avait d’autres souffrances, la transmission de l’expérience de 14-18 s’est donc peu faite ;

… il s’agit maintenant d’écouter, quand c’est encore possible, les témoignages des derniers survivants de cette guerre.

Rouaud : « Nous n’avons jamais vraiment écouté ces vieillards de 20 ans dont le témoignage nous aiderait à remonter le chemin de l’horreur » on retrouve encore une fois LA QUESTION DE L’HÉRITAGE…

… On retrouve aussi la QUESTION DE LA FILIATION : c’est comme s’il s’agissait de renouer un fil brisé, de rétablir une transmission qui n’a pas eu lieu, d’interroger la mémoire : souvent, ces récits de guerre sont le fait de jeunes écrivains (Rouaud, Hannotte, Gaudé, Daeninckx) et parfois même leur premier livre publié.

A. 3. LE RÉCIT DE GUERRE CONTEMPORAIN

1. L’énigme

- Parce qu’il n’y a pas eu de transmission, il y a donc un manque : les récits se construisent donc souvent sur le mode de l’énigme.

- Rares sont les récits qui offrent une narration chronologiquement détaillée, on procède par fragments, par périodes.

2. L’importance des « monuments aux morts »

- Le Monument, Claude Duneton, 2003 : s’ouvre sur une scène datée du 11 novembre 1964 (célébrant l’Armistice de la 1GM), quand le père de l’auteur s’insurge contre la célébration factice de l’ « héroïsme » et du « don de soi » …

- C’est aussi le monument aux morts qui intrigue Barbarant dans Douze lettres d’amour au soldat inconnu ;

- C’est encore l’esthétisation de la guerre dans ces stèles que dénonce le(s) narrateur(s) de Cris, de Laurent Gaudé…

- Dans Le bois du chapitre de Bergounioux, c’est encore un monument au mort qui pousse le narrateur à se lancer dans l’enquête :

« Une heure vient où nous avons à regarder en arrière, à y mettre de l’ordre, sous peine de ne plus pouvoir aller de l’avant […] C’est pour cela que j’ai pris, un jour, la route rectiligne qui mène aux lieux réels dont les noms, l’image énigmatique […] hantait l’univers passager, révocable, qui nous est, pour commencer, alloué »

3. Des récits qui interrogent la guerre

- On le voit dans la démarche de Bergounioux, ces récits ne sont pas vraiment des « récits de guerre » mais DES RÉCITS QUI INTERROGENT LA GUERRE et cherchent à comprendre ce qui s’est réellement passé.

4. L’enquête

- On cherche à savoir ce qui s’est passé : il y a donc enquête, assemblage de détails individuels, reconstitution des attitudes et des actions des uns et des autres (soldats dans les tranchées, état-major) POSITION INTERROGATIVE.

MAIS ENQUÊTE DIFFICILE (voir Simon, L’Acacia):

- témoignages, récits de seconde main ;

- images (des livres scolaires notamment), vieux journaux (L’illustration), manuels techniques …

5. Le soupçon

- S’il on enquête, c’est aussi que l’on se méfie des grands discours sur la 1GM.

- Déjà Céline (Voyage au bout de la nuit, 1943) et Barbusse (Le Feu, 1916) démentaient la « mythologie épique » de la Grande Guerre en montrant la réalité des tranchées …

- Même soupçon chez les auteurs contemporains : on se méfie du discours officiel, particulièrement celui des livres d’Histoire et encore plus de celui des manuels destinés à l’école …

- On se méfie des monuments aux morts, avec leur liste de morts « tombés au champ d’honneur » …

- Les auteurs préfèrent s’appuyer sur des lettres, des photographies, des objets qui ont été restitués aux veuves …

- Ces documents vont aider à mettre à jour certaines vérités longtemps cachées par les institutions politiques et militaires : par exemple, la répression du « défaitisme » dans l’armée française et les exactions qu’elle entraina ou encore certains massacres (celui du bataillon russe, chez Daeninckx).

6. Restituer la parole

- Les documents sont utiles, certes, mais nous aident-ils vraiment à nous représenter ce qua été la réalité de la guerre ?

- Les documents figent la réalité, ils l’éloignent de nous, ils la déréalisent … « Parce que tout est devenu histoire, elle n’est plus possible de croire en elle » (Jean Baudrillard dans des entretiens, Le Paradoxe indifférent, 1997)

- L’Histoire est une donnée « extérieure » : produit d’une réflexion sur les documents, elle n’est pas vécue. Parce qu’elle est objective, elle est séparée du sujet.

… Les chiffres du nombre de morts dans les tranchées disent-ils toute l’horreur de la guerre ?

- Malgré le soupçon, les auteurs vont donc « faire confiance » : à la mémoire individuelle et au récit individuel (même s’il est incomplet, insuffisant) ET souvent le narrateur de leur livre va raconter son histoire (voir le texte extrait des Champs d’honneur de Rouaud qui dit l’horreur à la première personne).

- Contre l’Histoire objective, totalisante, les auteurs s’intéressent donc aux faits psychologiques :

« L’Histoire d’ordinaire s’écrit de la sorte au style indéfini, quand il ne faudrait que des noms propres et le vôtre en premier lieu » dit Barbarant au soldat inconnu.

- Finalement, on peut dire que ces livres essaient de redonner la parole à ceux qui ne l’ont pas eue, ou d’en restituer le souvenir : en ce sens, ils sont bien loin de l’individualisme si contemporain et aussi en pleine relation avec le passé (contre la « tabula rasa » des avant-gardes) !

- La littérature donne toujours à voir, à éprouver, une expérience étrangère : prononcer le nom d’ « hypérite » (=gaz moutarde), en donner la composition, décrire médicalement les ravages qu’elle provoque sur le corps humain ne DIT RIEN DE LA SOUFFRANCE RÉELLE.

- La seule vérité de l’hypérite est la rencontre physique qu’on peut en faire et que le texte de Rouaud (extrait des Champs d’honneur) essaie de restituer.

CONCLUSION

Contre l’histoire globale … le récit « local », individuel ;

Œuvres qui ne restituent pas seulement l’Histoire en elle-même mais qui tentent aussi de rétablir le lien avec ceux qui l’ont vécue.

B. LA LITTÉRATURE CONTEMPORAINE ET LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE

B. LA LITTÉRATURE CONTEMPORAINE ET LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE

• Les questions que la littérature contemporaine se pose sur l’Histoire ne peuvent pas éviter le sujet de la 2GM et des tragédies dont elle fut marquée.

1. Les grandes œuvres littéraires sur cette période datent de l’immédiate après-guerre :

- Sartre, Les Chemins de la liberté, 1945

- Camus, La Peste, 1947

- René char, Feuillets d’Hypnos, 1946 (poésie)

- Etc.

2. Il faut ajouter ici les livres qui se confrontent à l’écriture de la déportation et de la « solution finale » :

- Robert Antelme (mari de Duras, déporté à Dachau et Buchenwald), L’espèce humaine, 1947 ;

- David Rousset, L’univers concentrationnaire, 1946 ;

- Jorge Semprun, Le grand voyage, 1963 ;

- Elie Wiesel (écrivain américain issu d'une famille juive hongroise

et de langues française, hébraïque, yiddish et anglaise), La Nuit, 1958 ;

- Primo Levi (italien), Si c’est un homme, 1947 ;

- Etc.

3. Mais après ces livres de la première heure, la 2GM a quasiment disparu de la littérature …

• Deux exceptions …

- l’œuvre de Claude Simon

- l’œuvre de Patrick Modiano

…. qui, dans des perspectives et des écritures très différentes, évoquent la guerre à partir de 1960 (Claude Simon, La route des Flandres) et de 1968 (Modiano, La Place de l’étoile).

4. Dans les années 1960/70, très peu de livres abordent ce thème.

• Mentionnons :

- Julien Gracq, Le Balcon en forêt, 1958

- George Perec, W ou le souvenir d’enfance, 1975

- Michel Tournier, Le Roi des Aulnes, 1970.

5. Pourquoi une telle absence ?

• L’esthétique formaliste détournait la littérature de l’histoire.

• La 2GM a déjà fait l’objet de nombreux récits : il n’y a donc pas eu de silence (comme pour la 1GM) que l’écriture aurait dû combattre.

• La période de reconstruction après-guerre contre le souvenir d’une guerre qui a profondément divisé la France / les discours politiques ET historiques visaient à la réconciliation de « tous les français ».

• Enfin, la conscience nationale a été encore divisée en 2 :

- par les idéologies contraires (capitalisme et communisme) de la Guerre Froide,

- par ce qu’on appelait (avec une pudeur coupable) les « évènements d’Algérie ».

B. 1. LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE DANS LA LITTÉRATURE CONTEMPORAINE

DEUX ENSEMBLES D’ŒUVRES

• Depuis les années 80, parution massive d’œuvres en lien avec la 2GM, dans lesquelles on distingue 2 ensembles :

1. Une littérature de mémoire, profondément marquée par la « Shoah » (que nous n’aborderons pas dans le cadre trop limité de ce cours) ;

2. Une autre littérature qui essaie de mettre à jour les obscurités des « années noires », qui continuent à jeter leur ombre sur le présent.

RESSEMBLANCE ET DIFFÉRENCES AVEC L’ÉCRITURE DE LA 1GM

• Ce 2ème ensemble entretient des relations de ressemblances et de différences avec les écritures de la Grande Guerre évoquées dans le dernier cours.

• RESSEMBLANCE : Même scrupule de vérité.

• DIFFÉRENCES :

1. La question générationnelle : s’il ne reste plus de combattants de 1914-1918, ce n’est pas le cas de la 2GM, qu’une génération a vécue et notamment celle des NOUVEAUX ROMANCIERS (Duras, Robbe-Grillet, Simon, etc.) … c.-à-d. les écrivains les plus méfiants envers le roman du réel historique !

2. Le projet des œuvres : pour beaucoup d’écrivains, la 2GM est une conséquence tragique de la 1GM …

Conséquence d’une paix mal organisée ;

Conséquence de discours idéologiques qui, au lieu de pousser chaque peuple à faire son « autocritique », les ont poussés à exacerber leur revendications, leur « bon droit », la frustration nationale ;

3. D’où :

- Les écrivains qui évoquent la 2GM vont essayer de séparer l’idéologie meurtrière et les origines nationales …

Bergounioux « J’ai dit les Allemands. Et lui, aussitôt : non, les fascistes. Et moi, c’était des. Et lui : ça aurait pu être n’importe qui.» (La maison rose)

- Ces auteurs vont aussi essayer de :

o réexaminer la question de la Résistance française (il y a eu beaucoup de résistants certes, mais parmi eux se trouvaient des dénonciateurs et de collaborateurs avec les Nazis) ;

o d’interroger la période de l’Occupation, ces petites « lâchetés » quotidiennes ;

o donner une autre image de quelques soldats allemands (cf. Quint).

B. 2. LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE CHEZ CLAUDE SIMON, MARGUERITE

DURAS et ALAIN ROBBE-GRILLET

• Comment la « vieille génération » de la littérature contemporaine, la génération « formaliste », est-elle venue à écrire la guerre ?

• Comme pour le geste autobiographique, l’intérêt que portent ces auteurs à la 2GM peut surprendre : les Nouveaux Romanciers sont réputés être CONTRE « L’ILLUSION RÉALISTE » !

• En fait, on verra que, comme pour l’autobiographie, quand il parle de la guerre, aucun de ses auteurs ne renie ses préoccupations profondes, ni ne renonce à la forme de son écriture.

1. CLAUDE SIMON

• Guerre évoquée dans La Route des Flandres (1960) et L’Acacia (1989) + évocations moins directes dans le reste de l’œuvre aussi fréquente réécriture de la guerre … expérience indépassable.

• Cela montre aussi que porter son attention majoritairement au texte n’est pas une façon de refuser le réel historique mais parfois (pour les bons écrivains) d’interroger encore davantage le texte !

LA PORTÉE CRITIQUE DES TEXTES DE SIMON

• Critique de l’Histoire : dans L’Acacia, le parallèle du destin du père en 1914-1918 et celui du fils en 1939-1945 donne le sentiment d’une Histoire cyclique et non pas linéaire.

• Critique de la société : la mobilisation des jeunes conscrits, leur transports au front, leur transformation en soldats n’est qu’une manifestation de rituels sociaux sacrificiels qui culminent pendant la guerre.

• Critique de la résistance à la fiction : pour beaucoup, une fiction ne peut pas dire la guerre. Pour Simon, au contraire, seule la fiction peut atteindre la « vérité » de l’évènement historique.

2. MARGUERITE DURAS

L’ÉCRITURE DÉCOULE DE L’HISTOIRE

• Marguerite Duras dédie Écrire « à la mémoire de W.J.Cliffe mort à vint ans, à Vauville, en mai 1944, à une heure restée indéterminée ».

• Dédicace capitale : car elle dit que l’écriture découle de l’Histoire (elle n’en s’abstrait pas) :

« S’il n’y avait pas des choses comme ça, l’écriture n’aurait pas lieu. Mais même si l’écriture, elle est là, prête à hurler, à pleurer, on ne l’écrit pas. Ce sont des émotions de cet ordre, très subtiles, très profondes, très essentielles et complètement imprévisibles qui peuvent couver des vies entières dans le corps. C’est ça l’écriture. C’est le train de l’écrit qui passe par votre corps. Le traverse. » (Écrire, 1993)

LA DOULEUR (1985)

• Sous forme de journal, raconte l’attente du retour de son mari Robert Antelme, déporté dans les camps et son retour + beaucoup d’autres évocations de la guerre.

MONSIEUR X DIT ICI PIERRE RABIER (1985)

• « Une histoire vraie jusque dans les détails » que Duras mit longtemps à écrire, notamment par respect pour la femme et l’enfant de cet ancien de la Gestapo.

• Relation extrêmement bizarre entre Duras résistante et Rabier le fonctionnaire nazi qui savait qui elle était mais était fascinée par elle : Duras essayait d’obtenir de lui des informations sur les prisonniers déportés.

AUTRES RÉCITS :

• Albert des Capitales : séance de tortures d’un « donneur » de Juifs ;

• Ter le Milicien : arrestation d’un milicien (dont la narratrice admire l’amour de la vie…)

Duras y explore les aspects troubles des pulsions humaines, pulsion de violence d’un côté et parfois de désir pour un ennemi de l’autre côté …

« Thérèse, c’est moi. Celle qui torture le donneur, c’est moi. De même que celle qui a envie de faire l’amour avec Ter le milicien, c’est moi. Je vous donne celle qui torture avec le reste des textes. » Apprenez à lire : ce sont des textes sacrés »

L’EXIGENCE DE LA LITTÉRATURE

• La réticence de Duras à raconter l’histoire de Rabier vient aussi d’un autre fait : « ça ne s’agrandissait jamais, ça n’allait jamais vers le large de la littérature » (avant-propos à Monsieur X…)

Ecrire, ce n’est donc pas rapporter des faits (même tragiques), ça ne suffit pas ! Ecrire, c’est, à partir de ces faits et par le travail même de l’écriture, se porter au-delà, élargir sa pensée.

La littérature a une capacité d’ouverture et de réflexion qui va bien au-delà du « réalisme » historique.

3. ALAIN ROBBE-GRILLET

• Dans la trilogie autobiographique Romanesques [Le Miroir qui revient (1985), Angélique ou l'enchantement (1988), Les derniers jours de Corinthe (1994)], il évoque ses souvenirs de la guerre en France.

• Il évoque surtout les effets de la guerre dans son milieu familial d’extrême-droite, antisémite et anti-anglais par « tradition » :

« La défaite de 40 fut certes celle de la liberté, mais chez nous on disait plutôt [la défaite] de la légèreté, du laisser-aller, de l’incurie […] bref, de la Troisième République. L’écroulement du Troisième Reich fut au contraire celui d’une certaine idée de l’ordre, qui avait pu nous paraitre grandiose, la faillite dans le sang et la folie d’une ordonnance rigoureuse devenue totalitaire »

• Rôle de cette nostalgie familiale de l’ordre dans l’œuvre de Robbe-Grillet, fondée sur la rigueur formelle et le sadomasochisme ??

• Robbe-Grillet suit l’évolution culturelle de son milieu familial et politique :

- témoignage sur « l’antisémitisme assez ordinaire » et le négationnisme des parents ;

- témoignage sur l’Occupation (beaucoup moins « violente » chez R.B. que chez d’autres auteurs ..) : « Les soldats allemands étaient polis, jeunes, souriants : ils donnaient l’impression de sérieux, de bonne volonté, presque de gentillesse, comme s’ils voulaient s’excuser d’être entrés ainsi, sans y être invités, sur notre paisible territoire. Ils respiraient la discipline et la netteté »

B. 3. LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE CHEZ PATRICK MODIANO

• Avant la vague des récits sur la 2Gm dans les années 80/90, Modiano a été quasiment le seul à se soucier de l’Occupation et quasiment toute son œuvre est située dans les bouillards de cette période, entre individualisme, survie et marché noir.

• PREMIER CYCLE DE SON ŒUVRE commence avec La Place de l’Etoile (1968), puis La Ronde de nuit (1969) et se clôt sur Les boulevards de ceinture (1972) : il explore le climat de « désarroi et d’inquiétude » de l’époque, climat qui affecte même ses œuvres ne traitant pas directement de l’Occupation.

• Les boulevards de ceinture (1972) : pas de renvois explicites à l’Occupation mais les allusions à Bardèche, Brasillach ou d’autres personnalités sont claires.

• Livret de famille (1977) : le narrateur est persuadé d’avoir vécu pendant la période de l’Occupation car il se souvient de détails qui ne se trouvent pas dans les livres d’histoire.

• Remise de peine (1988) : évoque les lois antisémites du régime de Vichy.

• Lacombe Lucien (film réalisé avec Louis Malle en 1974) propose de voir la collaboration de l’intérieur mais scandale … l’époque n’était peut-être pas encore prête pour accepter ce miroir.

THÈMES PRINCIPAUX DE L’ŒUVRE DE MODIANO

• L’Occupation !

• La disparition, les êtres disparus … devenus fantômes

• L’oubli, l’amnésie (qui frappent de nombreux narrateurs ou personnages Rue des boutiques obscures, La petite bijou)

• L’enquête …

DORA BRUDER (1997)

• Réécriture de Voyage de noces (1990)

• Enquête pour retrouver une jeune fille :

« On cherche une jeune fille, Dora Bruder, 15 ans, 1,55m, visage ovale, yeux gris-marron, manteau sport gris, […]. Adresser toutes indications à M. et Me Bruder, 41 boulevard Ornano, Paris »

• Mais enquête qui commence 45 ans après parce que le narrateur se souvient avoir habité dans le quartier des Bruder au milieu des années 1960 …

« D’hier à aujourd’hui. Avec le recul des années, les perspectives de brouillent pour moi, les hivers se mêlent l’un à l’autre. Celui de 1965, celui de 1942. »

Œuvre symbolique du regain d’intérêt que va susciter la 2GM à partir de 1997 …

B. 4. LA « VAGUE » DE 1997

• Modiano, né à la libération, fait partie de la « jeune génération » qui aborde la question de la 2GM.

• Dans les années 1989-1991 : récits et romans de la Grande Guerre.

• A partir des années 1997 et les suivantes : on commence à aborder aussi la 2GM : beaucoup de publications, si bien qu’on peut parler de la « vague de 1997 ».

POURQUOI CETTE « VAGUE » ?

- Procès de Maurice Papon (préfet du régime de Vichy, collaborateur, responsable important des déportations en France) de 1997-1998 ;

- Procès de Klaus Barbie (1985) … qui est aussi celui de l’Allemagne ;

- Arrestation et assassinat de René Bousquet (responsable de la police du régime de Vichy, organisateur de la rafle du Vél’ d'Hiv’)en 1993 ;

- Procès de Paul Touvier (1993)

Un passé moins glorieux que celui de la France résistante est enfin porté sur la scène publique.

PARUTION DE PLUSIEURS ŒUVRES SUR LA 2GM

• La compagnie des spectres, Lydie Salvayre, 1997

• Notre-dame-des-Ombres, François Thibaut, 1997

• J’apprends l’allemand, Denis Lachaud, 1998

• La cliente, Pierre Assouline, 1998

• 1941, Marc Lambron, 1997 …

CARACTÉRISTIQUES DE CES RÉCITS

• Comme pour les récits sur la 1GM, importance des traces à partir desquelles on reconstitue l’histoire (une plaque commémorative, un monument, un numéro tatoué sur le bras d’une femme, objets, etc.)

• Récits sous forme d’enquête, basé sur un ensemble de documents (archives, liste des bombardés, de déportés, lettres de dénonciation de Juifs, etc.)

• On cherche parfois à désenfouir le secret : comme dans 1945 de Michel Chaillou (2004) : récit où l’auteur fait part de son enfance dans une famille hantée par la faute de la mère : arrêtée pour être tombée amoureuse de l’ennemi (un Allemand), certes tendre, mais surtout ennemi.

• On cherche parfois à réhabiliter des Allemands parmi les Allemands (si la France n’est ni héroïque, ni coupable, mais plus floue … pourquoi pas l’Allemagne ?)

comme dans Effroyables jardins de Michel Quint (2000) : un jeune garçon apprend de son oncle le passé de résistant de son père et la compassion que leur témoigna un soldat allemand. Entre la fable, le conte philosophique, le récit vrai … ce texte prône la nuance …

… même s’il ne faut pas oublier cette vérité énoncée par Duras dans La Douleur : « Rabier ne savait pas à quel point les Allemands faisaient peur aux populations des pays occupés. Les Allemands faisaient peur comme les Huns, les loups, les criminels, mais surtout les psychotiques du crime. Je n’ai jamais trouvé comment le dire, comment raconter à ceux qui n’ont pas vécu cette période-là, la sorte de peur que c’était. »

• On cherche parfois à exorciser les spectres du passé : un des romans les plus poignants sur cette période est La compagnie des spectres de Lydie Salvayre (1997) : un huissier vient faire l’état des lieux avant saisie dans l’appartement où vivent une fille et sa mère, la mère l’agresse « C’est Darnand qui t’envoie ? », pour elle, le temps s’est arrêté au moment où son frère pendant la guerre a été tué par des miliciens. La jeune fille doit expliquer :

• On notera pour finir le peu d’évocation de la catastrophe d’Hiroshima …

- Certes, Duras l’a évoquée dès 1960, dans le scénario du film réalisé par Alain Resnais : Hiroshima mon amour …

- Mais depuis cela, un lourd silence semble s’être abattu, en Occident, sur cette action militaire … la France et les autres pays occidentaux étaient sans doute du mauvais côté de la culpabilité ….

CONCLUSION

• On espère avoir souligné ici que l’Histoire n’est pas uniquement le souci d’une certaine littérature « intellectuelle » mais qu’il s’agit d’un souci largement partagé, dont notre époque est habité.

• Cela ne touche pas que la littérature, mais aussi la peinture, la photographie, le cinéma …

• Pour la littérature relative à la 2GM, on note un phénomène notoire : ce sont les grandes œuvres (souvent exigeantes et complexes) qui les premières posent les questions décisives (Simon, Duras, Modiano) ; une littérature plus accessible joue ensuite un rôle de diffusion.