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l’échelle dans la lune Sept belles dégaines de l’Ouest « comédie rurale » amans gaussel Personnages Gisèle Potier, ancienne en forme, Suzanne Holsburg, conseillère municipale petite enfance, Lilas Patabloue, secrétaire de mairie, Judith Holsburg, fille de Suzanne, en formation professionnelle, Anaïs Dubois, puéricultrice enceinte, Audrey Kerido, infirmière du collège, 1

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l’échelle dans la lune

Sept belles dégaines de l’Ouest« comédie rurale »

amans gaussel

Personnages 

Gisèle Potier, ancienne en forme,Suzanne Holsburg, conseillère municipale petite enfance,Lilas Patabloue, secrétaire de mairie,Judith Holsburg, fille de Suzanne, en formation professionnelle,Anaïs Dubois, puéricultrice enceinte,Audrey Kerido, infirmière du collège, Dominique Le Floc, laborantine du collège,Adèle Guégaux, chanteuse de variété.

L’acte I se déroule dans le secrétariat de la mairie, pendant la matinée.L’acte II a lieu à la salle des fêtes, au cours d’une soirée.Les quelques fragments d’acte III prendront places dans les cours, les celliers, les chambres, les cuisines des protagonistes, et de nouveau devant la mairie, à différents moments qui ont suivis.Gisèle est tout du long dans son espace à elle. Elle sait tout.

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Acte I(Sur la scène.)

1. Aube. Gisèle sort de chez elle, met un bonnet, brosse son tablier, renifle l’air, regarde le ciel, rentre chez elle.

2. Petit matin. Entre Suzanne, chargée d’une pile de dossier qu’elle fait tomber avec fracas au beau milieu du secrétariat. Un instant interdite.

Suzanne :Aaaaaaah.

Gisèle (passe la tête dehors) :Qu’est-ce c’est c’fracas dans la mairie à c’t’heure ?

Suzanne :La poisse. C’est la poisse. La Grande Poisse.

Gisèle :‘Vaut mieux pas démarrer trop vite à matin quand on est pas ‘core ben réveillé –

Suzanne :Sur moi que ça tombe. Pourquoi ? Toujours tout par terre. La fatigue ? c’est la fatigue ? C’est ça la fatigue ?

Gisèle :C’est seulement quand on est bien réveillé, là, on peut commencer. C’est comme ça. Y en a, ils ont besoin de trois bols de café. ‘Faut pas forcer sa nature. C’est tout.

Suzanne :Je veux me reposer.

Elle s’allonge par terre.

Gisèle :« Fatigue à matin, soirée chagrin. »

3.Entre Lilas.

Lilas : Ah ! déjà là, Suzanne ? Vous êtes tombée du lit ? euh……Ca va ?…Ca va pas ?…

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(à part :) Dans cette situation qu’est-ce que je fais ? A. J’appelle les pompiers. B. Le samu. C. Ma mère, pour qu’elle me dise si c’est 15 ou 18. D. J’essaie de me rappeler l’initiation premier secours de la Croix Rouge.…Suzanne ! Vous m’entendez Suzanne ?

Suzanne (faiblement) :Oui ?

Lilas :Attendez Suzanne ça va aller. Je vais vous ramasser… vous aider à tout ramasser… à vous relever… Est-ce que vous permettez que je vienne vous aider ?Vous pouvez me dire ce qui vous est arrivé ? Vous arrivez à parler ?

Suzanne :Rien. C’est rien. J’ai glissé. Mais c’est pas grave.

Lilas :Ah bon. Mais vous êtes là depuis longtemps ?

Suzanne :Non… Non… Je ne sais pas.

Lilas :C’est vrai que c’est glissant ici. C’est glissant. Il faut faire attention, sinon on glisse.Mais bon quand même vous n’allez pas rester là.

Suzanne :Non… Non… Je ne vais pas rester là. Allez, au travail !

Lilas :Je vais vous aider à ramasser…

Suzanne :Non non merci ça va aller, ne vous dérangez pas, je vais les remettre moi-même au fur et à mesure dans les pochettes, comme ça.

Lilas :Bon, comme vous voulez, Suzanne… Mais quand même si vous préférez on peut poser tout ça là dans le coin et vous allez vous reposer un peu si vous êtes fatiguée…

Suzanne :J’ai l’air fatiguée ?

Lilas :Non ?

Suzanne :Non, je ne me sens pas fatiguée. D’ailleurs, il y a du travail. D’ailleurs, je me suis très bien reposée là tout à l’heure.

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Lilas :Ah oui. C’est bien ça. Bon. Je vais aller faire un peu de café alors.(à part :) Elle n’a pas l’air bien tout de même. J’espère qu’elle n’est pas malade, ou au moins, que ça n’est pas contagieux.

4.Suzanne range ses papiers en faisant plein de petits tas.Gisèle sort un tabouret et un seau devant chez elle et s’installe pour éplucher des patates. Passe Judith.

Judith :Salut Gisèle !

Gisèle :Salut la coiffeuse ! Alors, ça décoiffe ?

Judith :Oh, vous savez, on ose pas trop, on fait sagement…

Gisèle :Ben oui, faut pas froisser la clientèle… p’têt’ qu’avec les vieux crins comme moi ? Tu recherches ta mère ?

Judith :Oui, elle est là ?

Gisèle :J’crois ben que j’l’ai entendue y entrer à matin, oui. Très tôt même. Puis j’ai entendu crier un peu, je sais pas…

Judith :Ah oui ça doit être elle. Merci Gisèle !

Judith entre dans la mairie.

Gisèle :Allez !L’est gentille cette petite-là. Elle est bien comme tout, elle ne s’fait pas des idées, non, elle est bien. Polie et tout, la tête sur les épaules, pas comme certains, l’apprend un vrai métier déjà. L’est gentille. Vous verrez.

5.Entre Judith.

Judith :Oh là ! c’est l’invasion des archives pirates ici ou quoi ? tu expérimentes un nouveau genre de classement horizontal par terre ?

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Suzanne :Ju ?

Judith :Forcément, tu fermes jamais les rabats de tes pochettes alors à chaque fois quand ça tombe…

Suzanne :Tu n’es pas en cours ?

Judith :Mais là tu as fait fort on dirait un festival toutes les pochettes d’un coup superjackpot ?

Suzanne :On peut savoir ce que tu fais là ?

Judith :C’est papa il s’est trompé de trousseau il a emporté le mien avec la clef de ma motobécane. Alors Joël m’a déposé ici.

Suzanne :C’est pas vrai mais quel idiot mais quel empoté de gros égoïste, il ne peut pas faire attention à ce qu’il met dans ses sales pattes d’ours stupide mal dégrossi corniaud tas de fumier –

Judith :Eh doucement attends c’est mon père quand même…

Suzanne :Tu aurais pu prendre le vélo.

Judith :En vélo t’es folle ou quoi c’est hyper loin et puis si après il se met à pleuvoir.

Suzanne :Ne me traite pas de folle je t’en prie et je ne vois pas la différence entre le vélo et la mobylette.

Judith :Ben la mobylette y a un moteur quand même.

Suzanne :Je parlais de la pluie. Mais bon peu importe. Tiens. Tu prends ma voiture. Je me débrouillerai.

Judith :Ca c’est juste les clefs einh.

Suzanne :Haha. La voiture est dans la cour.

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Judith :Tu sais c’est pas si grave si je loupe une journée de toutes façons on n’apprend pas grand-chose à l’école par rapport au salon…

Suzanne :Judith. Ca fait trois formations que tu commences…

Judith :C’est pas parce que j’y arrive pas c’est parce que ça me plait pas. Sauf que là ça me plait mais c’est pas très grave si je loupe une journée.

Suzanne :On ne discute pas. Il faut se mettre au travail. On y va.

Judith :Bon bon. La prochaine fois que j’ai une bonne excuse plutôt que de venir te voir j’irai me balader… Bonne journée maman…

Suzanne : Bonne journée, Ju !

Judith : M’appelle pas Ju maman ça m’horripile je t’ai déjà dit tous mes poils se dressent.

Suzanne : Excuse-moi ma chérie…

Judith : Maman quand tu m’appelles pas Ju tu m’appelles ma chérie exactement comme quand j’étais une gamine tu t’en rends compte ?

Suzanne : Tu m’appelles bien maman exactement comme quand tu étais une gamine toi non ?

Judith : Ca a rien à voir. En plus tu dis mon prénom que quand c’est pour me faire la morale… Tiens puisque j’ai la bagnole je pourrais proposer à Renaud d’aller faire un tour à la mer…

Elle sort.

Suzanne :Ju ! C’est pas vrai. Bon où j’en étais moi. « Colères et cris, l’épuisement des mamans » ça c’est là. « Dépasser la fessée » ça va avec c’est bien… Dossier pédagogique dossier pédagogique… « La place du père », important ça – contacts à prendre données chiffrées les visuels possibles mmh…

Gisèle :Ca doit pas êt’ marrant tout l’temps d’êt’ tout l’temps dans tous les papiers et tout. ‘N’est pas assez dehors dans l’travail-là. S’encroûte. Sent pas bon à force des fois.

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6.Lilas revient.

Lilas :Vous ne voulez pas prendre un café ?

Suzanne :Un café ? Ah si. Très bonne idée. C’est une très bonne idée un café.

Elle sort.

Lilas : Vous permettez que je mette vos papiers sur le bureau ? Parce que ça fait désordre quand même, si quelqu’un vient…

Suzanne (hors-scène) :Non non ! j’arrive tout de suite, je vais m’en occuper, ne vous dérangez pas.

Lilas :Ce qui me dérange en fait c’est que tous ces papiers restent là comme ça.

7.Entre Anaïs.

Anaïs :Bonjour.

Lilas :Bonjour. Ne faites pas attention au désordre. Faites le tour.

Anaïs :Par la droite ou par la gauche ?

Lilas :Qu’est-ce qui vous plait le mieux ? Côté toilettes et cadastre ou côté bureau de monsieur le maire…

Anaïs :Je crois que ça m’est égal. Je ne connais pas encore le maire.

Lilas :C’est un homme charmant.

Anaïs :Je n’en doute pas mais j’espère que ce n’est pas sa seule qualité parce que ça ne sert pas à grand-chose pour administrer une commune.

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Lilas :Je disais ça juste pour parler…

Anaïs :Bien sûr mais vous savez, ce qu’on dit comme ça juste pour parler ou bien en matière de plaisanterie, ça trahit souvent des vérités très profondes. Des vérités qui concernent celui qui parle ou ce dont il parle, selon les cas.

Lilas :Ah bon ?

Anaïs :Oui par exemple tenez, quand vous dites : « monsieur le maire est un homme charmant », selon l’intonation et la situation, je peux entendre : « monsieur le maire court les jupes », ou « c’est un politique habile qui sait s’attirer la sympathie des électrices » ou bien « j’aimerais coucher avec monsieur le maire » ou même « depuis que j’ai eu cette histoire avec monsieur le maire, il me donne des boutons, alors je l’évite et je n’en dis que les formules les plus conventionnelles. »

Lilas :Ah vous avez drôlement d’imagination vous… pour quelqu’un que je ne connais même pas… je trouve que c’est un peu… un peu…

Anaïs :Il y a beaucoup de gens que vous ne connaissez pas et qui ont quand même de l’esprit… Mais ne vous en faites pas, je dis tout ça juste pour parler.

Lilas :Ah oui ? Ben moi je ne parle plus de rien, avec toutes les histoires que vous entendez.

Anaïs :Je suis sûre que vous aussi vous entendez beaucoup d’histoires ici. D’ailleurs c’est ça qui rend la vie intéressante.

Lilas :Ah oui c’est vrai qu’on ne s’ennuie pas souvent ici.

Anaïs :Tout ça ne me dit toujours pas de quel côté je vais passer.

Lilas :Qu’est-ce qui vous amène au fait ?

Anaïs :Je viens déposer une demande d’agrément.

Lilas :Une demande d’agrément ?

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Anaïs :Oui.

Lilas :Qu’est-ce à dire ?

Anaïs :C’est vous qui gérez les demandes d’agrément ?

Lilas :Eh bien je ne me le rappelle pas là dans l’immédiat…

Anaïs :Il vaudrait mieux que j’en discute avec la personne autorisée, l’adjointe au maire déléguée à la petite enfance par exemple, Mme Holsburg – je crois que c’est elle dont il s’agit puisqu’il s’agit de la petite enfance en l’occurrence.

Lilas :Oui oui oui alors c’est sûrement c’est probable c’est même certainement ça c’est elle pour les agréments et tout ça dans la petite enfance oui – ça tombe bien remarquez parce qu’elle est là justement elle est juste allée prendre un… dans la pièce à côté là…

Anaïs :Oh je ne suis pas pressée je vais attendre là en me tenant informée des affichages réglementaires et cætera.

Lilas :Très bien d’accord, dans ce cas moi je vais aller dans le bureau, et puis la prévenir, et cætera moi aussi, et puis je reviens.

8.Lilas sort. Anaïs consulte les affichages.

Gisèle :La jeune là, qui vient de rentrer dans la mairie – eh ben l’est très gentille einh, l’est bien comme tout. Quand elle s’est installée en face, là, elle m’est v’nue causer tout d’suite, tout d’suite tout d’suite dès qu’elle est arrivée. Parce qu’elle s’est installée à côté et elle m’a dit comme ça bonjour qu’elle venait causer aux voisins pour faire connaissance. Très gentille. Polie et tout. Mais quand même, dites pas que j’vous l’ai dit, mais quand même, l’est bizarre. L’a que’que chose de bizarre. L’est pas tout à fait nette. Non. L’est pas nette. Y a que’que chose, je sais pas c’que c’est, mais l’est pas nette. Vous verrez.

9.Entre Audrey. Temps bref, regards. Elle échange un vague salut avec Anaïs. Temps assez bref, puis rentre Dominique.

Dominique :T’es là aussi.

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Audrey :Ben oui. Toi aussi t’es là aussi.

Dominique :On dirait bien.

Audrey :Tu me suis à la trace.

Dominique :Tu veux dire que tu m’espionnes pour savoir où je vais et y être avant moi plutôt.

Audrey :Ah ma pauvre fille, tu colles au fesses comme un chewing-gum déjà mâché quand on s’assoit dessus voilà la vérité.

Dominique :Surveilles tes fesses ma pauvre fille si tu t’assoies n’importe où ; tu cherches l’embrouille comme la mouche le miel voilà la vérité.

Audrey :Ma parole mais tu continues à essayer de m’adresser la parole tu es un vrai cancrelat on ne peut pas se débarrasser de toi.

Dominique :Un cancrelat tu plaisantes c’est bénin pour parler de toi je penserais plutôt à la gale purulente ou même carrément la syphilis, ma parole, l’anthrax malin !

Audrey :Heureusement je sais comment ça se soigne il faut prendre un bon bain bien acide ça tue la bête.

Dominique :Quelques jours d’antibiotiques et on est débarrassé.

Audrey :Mais avec toi ça ne suffit pas il faut aussi désinfecter tous ses vêtements, ceux de la famille et de la belle-famille et encore tous les lieux où on est passé depuis trois mois pour bien supprimer tous les bacilles résistants.

Dominique :Pareil pour toi, on n’en a jamais fini avec les surinfections : on t’élimine dans le bas-ventre, tu reviens dans les trous de nez, ou dans le foie, toute pleine de bile…

Audrey :Ah tu sens mauvais, tu sens mauvais, ne t’approche pas de moi.

Dominique :Attends mais il y a quelqu’un. Il y a quelqu’un dans la pièce. Quelle honte !

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Anaïs :Non non non ne vous dérangez pas pour moi, continuez, c’est un tel plaisir de voir des gens qui arrivent vraiment à se parler, comme ça…

Audrey :C’est parce qu’on travaille ensemble.

Dominique :Tu savais qu’elle était là et tu me l’as pas dit ? Quelle honte !

Anaïs :Vous travaillez ? Où ça ?

Dominique :Dans un dispensaire. On est infirmières. Tiens ça rime.

Audrey :N’importe quoi on travaille au collège. Elle est seulement laborantine.

Dominique : Elle va raconter toute notre vie. C’est la honte.

Anaïs :Ne vous inquiétez pas je n’en parlerai à personne.

Audrey :Oh vous pouvez tout le monde ici sait qu’on se déteste, pas vrai Dominique ?

Dominique :Ne dis pas mon prénom, ne dis pas mon prénom, ne dis pas mon nom ! la honte, la honte !

Anaïs :Vous en faites un peu beaucoup quand même…

Audrey :Et si je le dis ?

Dominique :Ne le dis pas !

Audrey :Qu’est-ce que tu me donnes si je ne le dis pas ?

Dominique :Si tu le dis je te saute au visage je le laboure avec mes ongles je mords ton nez très fort et je chante Dalida le plus fort possible dans ton oreille.

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10.Entre Lilas.

Lilas :Tiens ! Audrey Kerido et Dominique Le Floc ! Qu’est-ce que vous faites là ?

Anaïs :Elles se présentent !

Dominique :C’est pas vrai !

Lilas :Quoi qu’est-ce que j’ai dit ?

Audrey :Rien de grave.

Lilas :Vous n’avez pas entendu encore je ne sais quoi au moins ? Parce qu’elle elle entend des voix qui lui racontent des histoires sur celui qui parle ou ce dont il parle ou je ne sais quoi…

Anaïs :Non, non. Rien de spécial, vous pouvez disposer, merci.

Lilas :(à part :) C’est animé la mairie ce matin. Entre la crise de l’autre et la dame-là, c’était déjà quelque chose, mais alors avec les deux folles en plus… (à Anaïs :) Madame euh…

Anaïs :Dubois.

Lilas :Oui, et bien Mme Holsburg ne va pas tarder je pense elle arrive elle fait un petit… dans la pièce à côté là…(à part :) Un petit somme ! Elle s’est carrément endormie devant son café ! Elle fait n’importe quoi, Suzanne, elle travaille beaucoup trop, avec son truc de conférence.(à Anaïs :) Elle arrive, donc, ne vous inquiétez pas.

Anaïs :Je ne m’inquiète pas, ne vous inquiétez pas.

Lilas :Bon et vous qu’est-ce que vous vouliez ?

Audrey et Dominique (ensemble) :Je venais… j’étais venu pour regarder… si tu veux bien me laisser parler… je vous disais que je venais regarder… mais tais-toi à la fin !

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Lilas :Encore votre histoire de chemin !

Audrey et Dominique (ensemble) :Ben oui.

Lilas :Figurez-vous que ces deux-là, non seulement elles travaillent ensemble mais en plus elles sont voisines et elles se disputent un bout de terrain tous les deux jours elles viennent voir le cadastre…

Audrey et Dominique (ensemble) :C’est plus compliqué que ça parce que j’ai déposé une demande… Mais tu vas arrêter de répéter tout ce que je dis !

Lilas :A vrai dire je ne sais pas ce qu’elles feraient l’une sans l’autre. Elles s’embêteraient. Vous qui aimez les histoires, il y a du travail pour vous.

Audrey et Dominique (ensemble) :N’importe quoi.

Anaïs :Je vois ça.

Lilas :Je vais peut-être vous laisser papoter toutes les trois. Mais je vais peut-être quand même ranger un peu les papiers de…

Audrey :Ah oui pardon…

Dominique :Ah oui j’ai un peu marché dessus…

11.Entre Suzanne.

Suzanne :Mes papiers !

Anaïs :On en parlait justement.

Audrey et Dominique (ensemble) :Excusez-nous…

Suzanne :C’est pas vrai !

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Lilas :Mais je vous avais dit aussi qu’on aurait pu les ranger là…

Anaïs :Mme Holsburg ?

Suzanne :Oui.

Anaïs :Je viens pour déposer une demande d’agrément.

Suzanne :Vous tombez mal. Moi aussi remarquez ça m’arrive…

Anaïs :Je vous demande pardon ?

Suzanne :Suivez-moi dans le bureau.

Audrey et Dominique (ensemble) :Bon et nous Lilas s’il te plaît.

Lilas :Oui. Vous. Venez toutes les deux. On va discuter un peu sérieusement.

Toutes sortent.

12.

Passe Adèle.

Adèle :Madame bonjour !

Gisèle :Bonjour madame…

Adèle :Est-ce bien ici qu’on peut trouver la mairie du bourg ?

Gisèle :Si elle a pas bougé depuis tout à l’heure, c’est bien là, oui. Là où il y a le drapeau et où il y a marqué mairie, comme d’habitude.

Adèle :Eh oui ! Suis-je bête ! Evidemment. Vraiment stupide !

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Gisèle :Non non ‘faut pas dire ça. Ca arrive à tout l’monde einh.

Adèle :Ah oui, mais à moi, cela arrive particulièrement souvent… Ca doit être parce que je suis exceptionnellement stupide, vous ne croyez pas ? Une vraie bête, quoi.

Gisèle :Ah ben je sais pas je sais pas.

Adèle :Merci infiniment en tout cas, ma bonne dame.

Gisèle :C’est rien, allez !Y a des gens qui sont drôles quand même.

13.Toutes reviennent.

Suzanne :Donc ce ne sera pas un problème, c’est entendu.

Anaïs :Merci, et de mon côté je serai ravie de participer…

Suzanne :Oui oui oui, il faut absolument que nous prenions le temps d’en parler…

Anaïs :J’ai tout mon temps.

Lilas :Voilà. Vous avez vu ? Une moitié chacune. C’est simple. Il y a de la place pour passer à deux quand même.

Audrey :C’est pas ça le problème.

Dominique :Tu n’as rien compris.

Lilas :De toutes façons vous nous cassez les pieds. Débrouillez-vous. La mairie ne peut rien pour vous.

Audrey :Ah oui ?

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Dominique :C’est comme ça ?

Suzanne :Mais qu’est-ce qui se passe enfin ?

Audrey et Dominique (ensemble) :Eh bien ça ne se passera pas comme ça. On va faire un procès.

Anaïs :Au moins comme ça vous êtes d’accord.

14. Entre Adèle.

Adèle :Hop là ! Bonjour tout le monde ! Ah ! il y a du monde ici, il fait chaud, on se lève tôt à Boulivy ! Ca fait plaisir à voir !

Audrey :Qui c’est celle-là ?

Adèle :Celle-là ? C’est la sorcière, c’est la folle, la bacchante, la joueuse de flûte ! Le vent se lève ! peut-être même une tempête ! Adèle Guégaux débarque à Boulivy ! Tenez-vous bien, tenez bien vos enfants, tenez bien vos maris, ça va être la fête… Une soirée comme vous n’en avez pas rêvé depuis longtemps !

Lilas :Bravo ! bravo !

Adèle :Merci, merci, ce n’est rien – charmant ici ! très chaleureux…

Lilas :(à part :) Adèle Guégaux ! c’est le bouquet !

Dominique :Qu’est-ce que tu dis ?

Lilas :Tu ne connais pas Adèle ? Elle est impayable !

Adèle :Impayable, n’exagérons rien. Justement je viens emprunter la salle des fêtes pour un gala exceptionnel.

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Lilas :Vous alors ! Normalement ça s’emprunte pas, ça se loue…

Adèle :Pas pour Adèle Guégaux voyons…

Audrey :Et pourquoi pour Audrey Kerido oui et pas pour Adèle Guégaux par exemple ?

Adèle :Vous savez chanter Audrey Kerido ?

Audrey :Dans ma douche et après ?

Adèle :Entraînez-vous un peu on fera des duos ma chérie.

Suzanne :La salle des fêtes mais pour quand de toutes façons ?

Adèle :Samedi prochain par exemple.

Suzanne :Ah non justement samedi c’est pas possible c’est ma conférence.

Dominique :Vous faites des conférences ?

Suzanne :Non pas moi mais sur la petite enfance c’est prévu depuis longtemps vous n’avez pas vu les affiches ?

Dominique :Ah si je me demandais si c’était une blague… une conférence… mais ça m’intéresse, einh, le sujet m’intéresse.

Adèle :Mais moi aussi ça m’intéresse. J’adore les enfants. J’ai beaucoup de chansons à propos des enfants. Je veux bien participer, je ferai même une prestation spéciale. Tarif spécial.

Anaïs :Excusez-moi mais je crois que c’est sérieux tout de même, ce n’est pas un gala. Il sera question de pédagogie.

Adèle :Pédagogie pourquoi vous vous y connaissez vous ? Il n’a pas l’air encore né, le vôtre…

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Anaïs :Oui mais c’est mon métier.

Adèle :Laissez-moi rire !

Suzanne :Mademoiselle Dubois a peut-être raison madame Guégaux, il s’agit plutôt de permettre une sorte de dialogue constructif sur le rapport des parents aux enfants d’ailleurs il n’y a pas tellement de budget…

Adèle :Laissez donc ces mesquineries, on trouve toujours un peu d’argent… Allons à l’essentiel ! Mes chansons parlent de l’essentiel. L’amour des mamans. La joie des enfants. Ce qui est beau, c’est ça qui compte. Vous ne croyez pas que vous risquez de passer à côté de l’essentiel, avec vos dialogues constructifs, madame ?

Anaïs :Voilà qui ne manque pas d’air…

Lilas :(à part :) N’importe comment le dialogue vraiment constructif c’est celui qu’on a avec son gamin.

Suzanne :Je ne sais pas… J’ai le sentiment que vous simplifiez un peu les choses…

15.Entre Judith.

Judith :Maman…

Suzanne :Ju !?

Judith :J’ai eu un souci, maman. J’ai eu un accident.

Suzanne :Tu n’as rien ma chérie ?

Judith :Non non ça va. Mais avec ta voiture je suis rentré dans le car. Le car du ramassage scolaire.

Audrey et Dominique (ensemble) :Non !

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Suzanne : Mon dieu les enfants !

Adèle :Les enfants à cette heure-ci ils sont à l’école non ?

Judith :Mais par contre le car et ta voiture ils sont un peu cassés.

Audrey et Dominique (ensemble) :Oh là là là là là là !

Suzanne :Bon sang Judith !

Adèle :Calmez-vous ! Que tout le monde se calme !

Judith :Je suis désolée maman.

Suzanne :Judith ma chérie tu n’as rien. C’est l’essentiel.

Lilas :C’est vrai que c’est ça l’essentiel.

Audrey et Dominique (ensemble) :Oui c’est sûrement vrai. C’est sûrement l’essentiel.

Suzanne embrasse Judith. Toutes se regardent et les embrassent. Rideau.

Gisèle :A la mairie c’jour là je sais pas c’qui s’passait, ça y entrait, ça y entrait, tout l’monde restait d’dans. A la fin c’tait vers l’école par là-bas qu’j’ai entendu comme un grand boum. C’est la p’tite qu’avait eu un accident ! Elle a pas de chance. Une petite qu’est bien comme ça… elle est passée d’vant moi toute pâle qu’elle était blanche, livide. Et ben elle est rentrée d’dans aussi, pis a r’sortait pas non plus. A la fin j’ai dis moi qu’est-ce qui s’passe donc là d’dans d’pis c’matin ? Comme j’n’y t’nais plus j’ai dis ben donc j’y vais voir moi aussi. J’y suis allée et là d’dans dis donc elles étaient au moins sept, elles étaient toutes là à s’consoler comme ça et à s’embrasser et à s’tenir par la main. Y en avait même une qui chantait des chansons. A ben j’ai dit dame là j’ai bien fait d’venir aussi moi oui. J’ai bien fait d’venir voir ça.

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Acte II(Dans tout l’espace.)

1.Judith et Lilas devant le rideau fermé. Judith tente de l’ouvrir

Lilas :Alors ?

Judith :Je sais pas on dirait que c’est coincé.

Lilas :Mais t’es sûre que tu tires sur le bon côté ?

Judith :Attends tu me prends vraiment pour une cruche j’ai essayé les deux qu’est-ce que tu crois. C’est coincé je te dis.

Lilas :Bon t’énerve pas. C’est pas grave. Je le signalerai.

Judith :Ah c’est bien comme ça ce sera réparé pour la conférence de l’an prochain.

Lilas :Ne t’énerve pas Judith, enfin ! On dirait ta mère !

Judith :Où elle est passée celle-là d’ailleurs ?

Lilas :Je crois qu’elle est au téléphone.

Judith :Ah ! Fichu truc. Bon. Ca m’énerve. T’as raison. Ca m’énerve. Je laisse tomber.

Lilas :De toutes façons je ne sais pas si c’est vraiment la peine de l’ouvrir. Y a personne.

Judith :Ouais ? T’as raison. Personne personne. C’est incroyable quand même. Ca va lui faire un choc.

Lilas :A ta maman ?

Judith :Ben ouais. Avec tout le mal qu’elle s’est donné. A qui tu dis qu’elle téléphone ?

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Lilas :L’intervenant là. Emmanuel machin. Il est pas là. C’est bizarre. Ca en plus.

Judith :D’un côté du coup, c’est pas plus mal remarque.

Lilas :Mais c’est vrai que pour Suzanne ça fait beaucoup aussi.

Judith :Ah là c’est sûr elle doit être… Là elle est…

2.Passe Suzanne en tempête, Anaïs derrière elle.

Suzanne :Il dit qu’il est coincé au bord de la 4 voie. En panne. Je dois lui appeler une dépanneuse. Et son assurance. En plus il pleut, le malheureux.

Anaïs :On pourrait peut-être commencer sans lui ? J’ai préparé une intervention…

Elles sortent.

Judith :S’il a un téléphone il pourrait bien s’en tirer tout seul comme un grand. Et l’autre là, avec ses interventions.

Lilas :Elles ne se rendent pas compte qu’il n’y a personne ? Il est passé huit heures. Il faudrait peut-être lui dire que ce n’est pas la peine de s’énerver.

Judith :Je ne sais pas si ça la calmerait. D’ailleurs tu n’arriveras même pas à lui dire quelque chose.

Lilas :Quel gâchis quand même.

Judith :Ouais.

Lilas :A cause de quoi tu crois ?

Judith :La couleur des affiches ?Non mais une conférence, tout le monde s’en tape. V’la le thème qu’elle a pris aussi « psychopédago relationnelle machin » elle aurait pu prendre un truc plus simple qui accroche

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du style « Tu la vois celle-là ? » ou « Rock’n raclée baby »… On est tous pareils, on a envie de rigoler, pas qu’on nous fasse la leçon…

Lilas :C’est vrai… en même temps, ta mère aussi a raison, c’est toujours bien de se poser des questions à propos de ses enfants, tout ça…

Judith :Ouais, moi aussi je crois qu’elle a raison de se poser des questions.

3.Entre Adèle.

Adèle :Et voilà Adèle Guégaux ! Fin prête pour le gala ! Trompettes ! Un gala exceptionnel en votre compagnie ce soir bonsoir à tous !

Lilas :Adèle, vous êtes venue !

Judith :Tout à fait exceptionnel en effet ! avec vous on sera trois !

Adèle :La première partie a lieu au stade ? Alors tout le monde débarque après… les tirs au but ?

Judith :Ben tiens. Psychopédagotiraubut ! Les gamins dans les cages et je shoote… Penalty !

Lilas :Je crains fort que vous ne soyiez venue pour rien Adèle. Il n’y a personne.

Adèle :Allons allons vous plaisantez ? Non ? Tiens. C’est vrai qu’il n’y a personne. Beaucoup de chaises pourtant. Bah.

Judith :Je croyais qu’il n’y avait pas de budget pour vous.

Adèle :J’étais venue quand même parce que c’était tellement gai notre petit meeting l’autre jour. Et aussi par sympathie pour votre maman qui se démène comme un beau diable.

Judith :Oui d’ailleurs elle est presque toute cramée. Bientôt plus de fuel…

Adèle :Et aussi pour sentir un peu l’ambiance puisque je dois venir faire un gala exceptionnel ici le mois prochain.

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Judith :Dites voir ils ne sont pas si exceptionnels que ça vos galas si vous en faites tout le temps.

Adèle :Voilà une demoiselle qui a de la répartie ! c’est bien ! Oh mais quelle tristesse… j’étais si enthousiaste moi l’autre jour…

Judith :Si vous vous en rappelez moi j’ai quand même eu un accident le jour-là.

Adèle :Je me le rappelle très bien, mais ça vous avait rapproché de votre mère justement je crois…

4.Audrey et Dominique (ensemble) :Non, tu n’entres pas. C’est moi. Toi tu restes là dehors. C’est moi qui y vais. Tu ressors je te dis. Mais tu vas sortir à la fin. Je te colle une beigne !

Adèle :Entrez donc toutes les deux ! On ne manque pas de place. Vous n’aurez qu’à vous mettre une à chaque bout.

Audrey et Dominique (ensemble) :D’accord. Toi tu vas là-bas. Là-bas. Plus loin. Va plus loin de moi.

Judith :Heureusement qu’elles sont là pour mettre de l’ambiance !

Adèle :Pour tout gâcher, oui !

Judith :Vous quand on vous vole la vedette…

Audrey :Mais je ne vois qu’elle !

Dominique :Forcément entre nous il n’y a personne !

Lilas :Dites, Adèle, vous ne voudriez pas nous chanter encore une petite chanson ?

Adèle :Vous allez même la chanter avec moi, Lilas !

Dominique :Dites… Vous ne voulez pas vous mettre quelque part entre nous deux ?

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Audrey :Tiens c’est vrai qu’il n’y a personne. Comment ça se fait qu’il n’y a personne ?

Judith :On vous attendait ! vous n’avez qu’à monter sur scène pour nous faire un petit show ! Spécialement pour nous ce soir… Le Floc et Kerido ! Et en première partie, la chanson d’Adèle, youpi !

Adèle :Vous, vous devriez essayer de passer à la télévision ma petite demoiselle… vous êtes assez caustique pour ça. A la télévision aussi, ils détestent tout le monde.

Judith :Je vous ai blessée ? Excusez-moi je ne croyais pas... Vous faites toujours tout un numéro…

Adèle :Laissez, laissez, ça n’est rien.

Audrey et Dominique (ensemble) :Et pourquoi il n’y a personne alors ?

5.Entre Suzanne en fontaine, suivie d’Anaïs.

Suzanne :Il n’y a personne !

Judith :Aïe aïe aïe ça y est elle s’en est aperçu !

Anaïs :Ne vous mettez pas dans un état pareil Suzanne voyons…

Suzanne :Personne personne personne personne !

Lilas :Mais si Suzanne regardez ! nous sommes tout de même quelques unes !

Adèle :Nous sommes sept exactement.

Lilas :Sept ! c’est un bon chiffre, sept ! ça porte bonheur !

Suzanne :Sept ! sept ! sept !

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Judith :Maman ! allez c’est pas grave. Souviens-toi, l’essentiel ! Je suis là !

Suzanne :Sept, Ju ! nous sommes sept ! sept ! sept !

Judith :Ouais, je sais compter, maman… sept !

Anaïs :Allons Suzanne reprenez-vous voyons…

Lilas :Oui Suzanne, allons allons…

Adèle :Et… elle fait ça souvent à la maison ?

Judith :Non, d’habitude non, ou alors sauf si vraiment elle s’embête, et puis elle mange bien et tout… Mais là elle est fatiguée c’est la fin de la journée c’est les nerfs qui lâchent.

Audrey et Dominique (ensemble) :On peut savoir ce qui se passe à la fin ?

Suzanne :Emmanuel Schmidt est tombé en panne au bord de la nationale, une voiture s’est arrêtée et dedans il y avait une grande fille blonde pulpeuse qui l’a trouvé mignon et qui l’a emmené chez elle ; elle n’habite pas à Boulivy et d’ailleurs il s’en fout de Boulivy il s’en fout de son intervention tout ce qui compte pour lui à cette heure c’est les gros seins de cette blondasse je pensais que c’était un pédagogue sérieux mais en fait comme la plupart des hommes il est guidé surtout par son petit machin et il s’en fout bien au fond des enfants que ça peut faire et voilà.

Silence.

Anaïs :Oui… enfin on ne sait pas exactement il n’a sûrement pas dit tout ça du tout mais bon en tout cas il ne viendra pas ce soir ça c’est sûr. Mais après tout ce n’est pas si grave d’ailleurs comme on n’est pas très nombreux de mon côté j’avais préparé une petite…

Adèle :Pas très nombreuses !

AnaïsPardon ?

Lilas :Je crois qu’Adèle vous fait remarquer en passant que nous ne sommes que des femmes. Donc on peut pas être nombreux de toutes façons.

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Judith :Ah ouais ! c’est pour ça !

Anaïs :Oui, et donc en tout cas de mon côté j’ai préparé une petite intervention…

Audrey et Dominique (ensemble) :Alors c’est pas du tout ce qui était prévu ?

Anaïs :Ah si moi c’est ce que j’avais prévu…

Audrey :C’est à propos de quoi alors ?

Dominique :C’est long ?

Anaïs :Ben pas trop mais vous allez voir de toutes façons je peux vous la lire…

Dominique :C’est à propos de quoi alors ?

Audrey :C’est long ?

Anaïs :C’est à propos de notre sujet de ce soir, la psychopédagogie relationnelle enfants-parents et la gestion des crises…

Dominique :C’est théorique ?

Audrey :Il y a des exemples concrets ?

Anaïs :Vous allez voir laissez-moi parler !

Audrey :Est-ce qu’il y a des exemples ?

Dominique :C’est par rapport aux enfants de quel âge ?

Audrey :C’est pas trop théorique ?

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Dominique :C’est pas trop long ?

Audrey :Nous ce qui nous intéresse c’est par rapport à des enfants de l’âge du collège quoi.

Dominique :Mais avec des exemples concrets surtout.

Audrey :Parce que c’est ça qui nous intéresse.

Dominique :Oui.

Judith :Tu vois maman, il y a un vrai public.

Suzanne :Oui, ma chérie. C’est formidable.

Anaïs :De l’âge du collège…

Dominique :Ben oui c’est ça qui nous intéresse.

Audrey :Enfin si c’est pas trop long…

Dominique :Et pas trop théorique…

Audrey :Et puis si il y a des exemples concrets.

Dominique :Avec des vrais exemples de situations concrètes.

Audrey :Des exemples quoi.

Dominique :Du concret.

Adèle :Eh bien, allez-y, allez-y. Lisez-nous donc cette intervention.

Anaïs :Non. Non, non. Finalement je… je crois que ce n’est pas la peine.

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Dominique :Ah si !

Audrey :Mais si si si, allez-y !

Audrey et Dominique (ensemble) :Ca nous intéresse !

Anaïs s’assoit..

Lilas :Mais qu’est-ce qui se passe encore ?

Adèle :Ca ne va pas ?

Anaïs :Ca va. Ca va. Je crois que j’ai eu un petit malaise. Mais ça va.

Adèle :Il faut vous ménager. Dans votre état.

Judith :C’est le métier qui rentre !

Adèle :Il n’y a pas quelque chose à grignoter ? Faute de conférence, on pourrait passer directement aux rafraîchissements.

Lilas :Ah mais oui ! C’est une bonne idée ! Il y a tout ce qu’il faut ! C’est par là derrière… Dominique Le Floc ! Tu viens m’aider ?

Dominique :Et pourquoi Dominique Le Floc et pas Audrey Kerido par exemple ?

Lilas :Vous n’avez qu’à venir toutes les deux, puisque vous êtes inséparables.

Elles se regardent.

Audrey et Dominique (ensemble) :D’accord.

Elles sortent toutes les trois.

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6.

Adèle :Ca va mieux ?

Anaïs :Oui, oui merci. Ça va un peu mieux.

Adèle :Prenez le temps de souffler

Anaïs :Oui, merci.

Adèle :Vous en êtes à combien ?

Anaïs :Cinq mois.

Adèle :Ah… il naîtra à Noël alors.

Anaïs :Par là, oui.

Adèle :Capricorne ou sagittaire. C’est un garçon je parie.

Anaïs :Oui. Vous dites ça à cause de la forme du ventre ?

Adèle :Non, je dis ça comme ça. Moi j’en ai porté quatre.

Anaïs :Ca fait pas mal…

Adèle :Comme vous dites oui. Vous allez voir, c’est encore beaucoup plus fatigant après, mais au moins ça se passe en famille.

Anaïs :Oui…

Adèle :Allez venez, on va aller voir si il y a du jus d’orange pour vous et pour moi… quelque chose d’autre…

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Anaïs :D’accord allez.

Elles sortent.

7.

Judith :Ca va maman ?

Suzanne :Ca va, Judith. Merci.

Judith :C’est pas si mal ta petite soirée.

Suzanne :Oui… C’est pas exactement ce que j’avais prévu, mais c’est pas si mal.

Judith :On est sept.

Suzanne :Oui. C’est pas mal, sept.

Judith :On pourrait fonder une association ou un truc dans le genre. Sept à l’ouest dans le vent… Les sept super glamour lady de Boulivy… Les sept belles dégaines de l’ouest.

Suzanne :Pourquoi faire ?

Judith :Je sais pas on pourrait aller à la mer par exemple.

Suzanne :Une petite virée à la mer ! d’accord ! mais sans les enfants einh !

Judith :Ben et moi ?

Suzanne :Toi tu n’es plus une enfant.

Judith :Tu nous imagines demain sur la plage ? Peinardes… le dernier petit soleil de septembre… juste ce qu’il faut de vent…

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Suzanne :Je te parie qu’il y aurait encore un moutard pour nous envoyer du sable avec son ballon…

Elles sourient.

Lilas (passant la tête, ou hors scène) :Eh les Holsburg, mère et fille ! Vous venez ? Il y a Adèle qui va nous apprendre une nouvelle chanson.

Suzanne :On vient, on vient !

Elles sortent.

8.Gisèle passe la tête à travers le rideau fermé.

Gisèle :Les sept là, les sept de l’autre fois qu’étaient dans la mairie le jour où la petite a eu son accident, et qui chantaient et qui se tombaient toutes dans les bras les unes les autres comme ça que c’était déjà ben drôle… eh ben, c’est pas tout ! non ! parce qu’elles se sont revues après ! toutes les sept encore, les mêmes. Et on les a revues ensemble toutes les sept, qu’elles avaient l’air d’êtres toutes ensemble comme des copines quoi, qu’elles étaient toujours plus ou moins toutes les sept comme ça souvent ensemble, si bien que ça s’est su. Alors à la fin, quand un jour, parce qu’elles avaient emprunté le minibus de la mairie, quand elles sont toutes parties en voyage ensemble, tout le monde était là, tout Boulivy était dans la rue à agiter son mouchoir, ben… comme pour leur dire bonne route quoi, au revoir ! bon voyage !

Passe Lilas en paréo. Gisèle la suit des yeux. Lilas déplie un transat à l’avant-scène et s’installe. Gisèle sort. Le rideau s’ouvre : elles sept sur la plage. Musique. Rideau.

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Acte III(Autour du public.)

Entre Anaïs, avec sa fille dans les bras – ou peut-être un couffin.

Anaïs :Chut… Dors, bébé, dors, ma petite fille… C’est Ninon… Elle est née le soir du 24 décembre. C’était la pleine lune. A la maternité il y avait une sage-femme toute seule et trois accouchements en même temps – alors j’étais presque toute seule… Toute seule… parce que le papa lui, il m’a quittée au troisième mois… il paraît que ça arrive assez souvent… les hommes qui prennent peur…

Entre Lilas.

Lilas :… des fois aussi c’est après la naissance du deuxième il paraît… mais là ça ne peut plus être qu’ils ont peur ils sont déjà bien au courant… c’est bizarre les hommes… Faire un enfant juste avant de partir…

Entre Adèle.

Adèle :Peut-être que ça va mal depuis un moment et c’est comme quelque chose qui dit « on va se séparer mais avant cela il faut mettre une petite tête au monde, pour bien prouver qu’on y était »… c’est comme une force obscure, une loi naturelle…

Anaïs :J’avais pas l’impression que nous étions obscurs moi. J’avais l’impression que nous étions très pleins de lumière… nous étions tout ensoleillés… nous marchions côte à côte sur le chemin de cailloux plein de soleil… nous étions deux et puis bientôt nous allions être plus nombreux… et puis là je n’ai pas compris… fin du film… les lumières s’éteignent… la salle se rallume… plus de soleil… parti, le soleil… pourtant je n’ai pas rêvé, j’avais bien un morceau de l’histoire dans le ventre… la voilà, maintenant, l’histoire… petite fille… revoilà du soleil dans ses yeux… on va rester tous les deux…

Lilas :Pas seulement tous les deux… peut-être pas…

Adèle : Il faudra bien qu’elle ait aussi quelques papas la petite Manon… et ne compte pas sur nous pour ça !

Entrent Suzanne et Judith.

Suzanne :Mais la plupart du temps hélas les pères restent là. Ils restent là, avec leurs journaux et leur place à table, leurs plaisanteries fines et leur air un peu supérieur pour dire que ce n’est quand même pas si compliqué que ça de faire à manger et de s’occuper des petits… d’ailleurs regarde comme ça se passe bien quand je joue un peu avec eux, moi, tu vois ? un peu ! un peu ! Un peu que je vois ! Un peu que je connais ! depuis le temps…

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Lilas :Ah vous exagérez Suzanne. Moi mon homme je suis bien content qu’il soit à la maison. Enfin quand il y est, parce que lui c’est plutôt qu’il part un peu tous les jours… mais bon, jusque là il revient… tôt ou tard… vous n’imaginez pas l’énergie, l’énergie que je déploie et toutes les inventions que j’ai pour qu’il revienne à chaque fois… ça ! j’ai beaucoup plus de travail avec lui qu’avec son fils !

Adèle :Moi je comprends ce que vous dites, Suzanne. J’ai eu deux maris… deux et demi même enfin bon – je suis bien contente de m’en être débarrassée. Les enfants, ça leur a fait un peu bizarre au début, et puis finalement ils s’y font très vite – de toutes façons, comme ça ou comme ça, ils auront ce qu’il faut de complexes et tutti quanti alors pensons à nous – les hommes c’est formidable, mais pas dans les maisons, voilà le vrai – sauf pour bricoler un peu bien sûr, mais pas tout le temps en tout cas. Quand on veut. Quand je veux, là, d’accord. Sinon… sinon… Qu’est-ce qu’on est bien toute seule ! pas dérangée ! personne qui ronfle, qui tire la couverture… qui me dit ce que je dois faire…

Anaïs :Qu’est-ce que tu en dis de tout ça toi, einh ? Papa ? Pas papa ?

Judith :Et voilà une petite qui à débarqué ! une petite fille ! encore que des filles ! toujours que des filles ! Quand même, vous avez beau dire… Où sont les hommes ?

Suzanne :C’est vrai que tu n’es pas encore déçue toi, à ton âge…

Adèle et Lilas (ensemble) :Mais nous non plus !

Lilas :Faut pas exagérer…

Adèle :De temps en temps ils sont bien aussi…

Suzanne :C’est vrai que des fois on les aime aussi…

Judith :Et ben moi à Noël, j’en ai rencontré un. Un petit homme… Il est gentil comme un agneau. Il est si doux… il me parle à l’oreille comme ça, si doucement, c’est à peine si j’entends ce qu’il dit… mais c’est tellement gentil, je vous assure, sa voix, sa voix est tellement chaude et douce et bonne, qu’il n’y a plus rien d’autre, vous savez… alors on glisse comme ça doucement, on avance tout feutrés comme des flocons qui tombent dans la nuit, on plonge tous les deux… je ne sais pas où on va aller… mais un type comme ça, je l’aime, il ne me laissera jamais tomber comme ça…

Silence…

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Anaïs :Ca s’est passé tout à fait comme ça mon soir de Noël… je ne suis pas restée seule bien longtemps… j’ai téléphoné à mes nouvelles copines… et elles sont toutes venues… Adèle a débarqué presque tout de suite, j’ai du insister pour qu’elle ne me chante pas trop de chansons… Les deux sœurs ennemies aussi, elles m’ont aidé – avec Audrey qui est infirmière et tout ça… Suzanne et Judith sont venues le lendemain avec tout un tas de bonnes choses à manger… J’étais émue… émue…

Suzanne :Oui, on s’est toutes drôlement rapprochées depuis l’été dernier.

Judith :Même que moi, j’ai pacifié presque complètement mes rapports avec ma mère, c’est dire. J’ai grandi quoi. Bon j’ai encore aussi des copines plus de mon âge.

Suzanne :Ben nous aussi rassure-toi.

Lilas :Mais le plus incroyable, depuis l’été dernier, c’est quand même encore ce qui est arrivé à Audrey Kerido et Dominique Le Floc…

Le rideau s’entrouvre. Audrey et Dominique se tiennent par la main.

Audrey et Dominique (ensemble) : On s’est pacsées.

Lilas :Elles se disputent toujours aussi souvent, mais au moins, elles ne viennent plus m’embêter avec le cadastre…

Audrey : Et on a plein d’autres projets…

Dominique :Pour nous sept quoi…

Audrey :Ben oui, pour les belles dégaines…

Dominique :Bien sûr il y a la chorale…

Audrey :Et puis on prépare d’autres voyages…

Dominique :C’est bien, mais c’est pas assez…

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Audrey :Non… On voudrait aussi accueillir un chapiteau permanent…

Dominique :Pour les enfants en difficultés ou même sans difficultés…

Audrey :Et aussi monter un festival…

Dominique :Et puis construire une grande tour…

Audrey :… et un amphithéâtre…

Dominique :… des grands banquets hebdomadaires…

Audrey :… une maison d’édition féministe…

Dominique :… peut-être un genre de grand parc d’attraction mais pédagogique…

Audrey :… et bien sûr des zoos, des cinémas, des bases nautiques, des campings, des concerts de rock…

Dominique :… et une petite crèche parentale !

Adèle :Eh ben…

Judith :Ca !

Lilas :Eh oui... décidément, on ne va pas s’embêter à Boulivy…

A la suite d’Adèle, toutes entonnent une chanson.Rideau.

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Ma mère me disait Ma mère me disaitSi mes cheveux sont blondsEt sur mon frontTu vois marqué le tempsTu m'as donné ces rides mon enfant

Ma mère me disaitMes yeux se font plus grisA chaque nuit où je n'ai pas dormiJ'ai tant veillé quand vous étiez petits

La, la, la...

Ma mère me disaitTu crois cueillir la fleur d'éternitéMais dans ta main elle meurtEt tant de choses sont mortes dans mon cœur

Ma mère me disaitTe restera l'amourIl faut donner sans attendre en retourTout ton amour tu l'apprendras un jour

J'ai vu ce matin en m'éveillantMon premier cheveu blanc

La, la, la...

Maman la plus belle du monde Maman tu es la plus belle du mondeAucune autre à la ronde n'est plus jolieTu as pour moi, avoue que c'est étrangeLe visage d'un ange du paradis

Dans tous mes voyagesJ'ai vu des paysagesMais rien ne vaut l'imageDe tes beaux cheveux blancs

Tu es, Maman, la plus belle du mondeEt lorsque tout s'effondre autour de moiMaman, toi tu es là !

{ Pour toi c'est vrai je suis malgré mon âgeLa petite enfant sage des jours heureux }

J'avais fait des rêvesOù l'on m'aimait sans trêveMais les rêves s'achèventEt toi seule m'est restée

Maman tu est la plus belle du mondeEt ma joie est profonde quand tu es làMaman, Maman

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La femme du ventMaman, le vent me fait la courLe vent me trousse et m'éparpilleLe vent me souffle des discoursPardi c'est ennuyeux ma filleÇa l'est bien plus encor MamanCar le grand vent est mon amant

{Refrain:}Fille folle amante du ventBoucle ton corsetBaisse bien la têteMéfie-toi qui aime le ventEngendre la tempêteEngendre la tempête.

Maman le vent partout me suitLe vent me presse et me bousculeIl pousse mes volets la nuitPardi tu seras ridiculeDe quoi ma fille a-t-on bien l'airEn accouchant d'un courant d'air

{Refrain}

Maman le vent m'aime si fortQue je dois ouvrir les fenêtresIl ne veut plus coucher dehorsEt je crois qu'un enfant va naîtreFille je m'en irai avantD'être la grand-mère du vent

{Refrain}

Maman mon fils est né ce soirJ'en suis restée toute meurtrieN'ai pas eu le temps de le voirIl m'a laissé à ma folieEt le voici parti MamanAux trousses de son père le vent

Mes amours ne sont que du ventEst-ce aussi le vent que j'ai dans la têtePuisque tu me fuis mon enfantJe suivrai la tempêteJe suivrai la tempête.

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