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Tous droits
de traduction,
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réservés pour tous les pays, y compris l'U.R.S.S.
© Éditions Gallimard, 1971.
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à Siegfried Foëlzpour scellerune rencontre inoubliable
(Dresde, avril 1969),et
à l'abbé Marcel Belay
dont la compréhensionn'a d'égal que la
charité,
leur ami,
Gabriel Marcel.
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PRÉFACE
Dans un article sur Gabriel Marcel intitulé Un exemple,
Etienne Gilson a écrit ces lignes « En philosophie comme
ailleurs, seul l'authentique dure et c'est pourquoi, comme
Montaigne, comme Pascal, comme Maine de Biran, GabrielMarcel est assuré d'avoir toujours des lecteurs. En sonœuvre, l'homme parle directement à l'homme elle aura
toujours des lecteurs parce qu'il ne cessera jamais de sefaire de nouveaux amis. »
C'est aussi la raison pour laquelle il est pratiquementimpossible d'isoler un de ses livres ou certaines pages d'un
de ses livres, pas plus d'ailleurs qu'il ne serait licite deséparer le philosophe du dramaturge ou du musicien. Il y a
là un tout organique qu'on ne saurait dissocier. Telle est
sans doute la caractéristique des pensées fortes et destinéesà durer.
Ceci ne signifie pas que chaque lecteur interprète cettepensée exactement de la même manière, ni non plus qu'il
privilégie le même aspect de cette pensée, si unifiée qu'ellesoit.
Pour ma part, j'ai été avant tout sensible, et le suisencore, au fait que Gabriel Marcel est un penseur enmarche, unphilosophe itinérant. Ce n'est sûrement pas par un
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de ces hasards qui fournissent les meilleurs titres qu'un de ses
livres s'appelle Homo viator. A une époque où fleurissent les
dogmatismes de toutes couleurs (le nihilisme n'étant que l'und'entre eux), il est rafraîchissant de reprendre contact avecune œuvre qui jaillit comme une eau vive.
Le plus surprenant est que cette pensée si vivante, qui se
construit en quelque sorte sous nos yeux est en même tempstout à fait détachée des considérations de mode ou simple-ment d'actualité. Cet apparent paradoxe explique, je crois,la force de frappe qu'elle conserve à travers les années.
Une autre raison de la jeunesse, de la vitalité de l'œuvre,
et qui me touche particulièrement parce qu'elle rejoint monthème fondamental, tient, je crois, à cette intuition que
c'est dans la vie privée que se reflète l'infini.L'accent mis par Gabriel Marcel sur la relation per-
sonnelle, sur l'intersubjectivité a certainement contribué à
dissoudre les nuées de ce qu'on pourrait appeler le faux
universel. Il y a, bien sûr, beaucoup de travail à faire danscette voie. Tous ceux qui s'y emploient et s'y emploierontsont les débiteurs de celui qui, remettant sans cesse enquestion sa propre pensée pour serrer toujours de plus prèsle mystère de la personne, a écrit ces lignes « Il appartient
au drame comme à la musique de réaliser par-delà la
connaissance discursive proprement dite une conscience
supérieure en laquelle notre être se trouve introduit dansson intégrité, et qui transcende les énonciations abstraitesdont l'intelligence pure est obligée de se contenter. »
Ceux qui s'inquiètent à bon droit du divorce contempo-rain entre le rationnel et le vital méditeront, je pense,avec profit sur cette observation d'un philosophe qui est enmême temps un artiste et, mieux encore, un poète.
Jacques de Bourbon Busset.
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AVANT-PROPOS
J'ai dicté ce matin les dernières lignes de cet ouvrage,et voici que je me sens tenu d'écrire, sans tarder, un
avant-propos destiné, sans doute, avant tout à ceux demes proches parents et amis qui ne sont pas mentionnés
dans ce livre. Qu'ils n'aillent surtout pas tirer de cesilence quelque conclusion que ce soit, quant auxsentiments que je leur porte. Il en est beaucoup pour
lesquels je nourris une grande affection, parfois mêmeune réelle tendresse.
Mais la vérité est que je n'ai pas voulu écrire mes
Mémoires. D'ailleurs, je n'en aurais pas été capable.Les précieuses qualités du mémorialiste me font, hélas,
radicalement défaut! J'aurais piteusement échoué si
j'avais, par exemple, tenté de tracer le portrait de ceuxque j'ai le mieux connus et le plus aimés.
Si quelque chose d'eux a passé dans mon œuvre,
c'est de la façon la plus indirecte et la moins discernable
à travers mes personnages.
Le titre même de cet écrit en précise le caractèrec'est mon cheminement, ou si l'on veut ma vocation
dont j'ai voulu, dans la mesure du possible, éclairerle sens. Si j'ai cru devoir procéder à cette tentative,
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c'est avant tout à cause du caractère apparemment
hybride de mon œuvre. L'expérience me montre assez
la peine qu'ont les commentateurs à s'y reconnaître.J'ai, d'autre part, entendu réagir contre une tendance
trop fréquemment constatée à détemporaliser cette
œuvre, c'est-à-dire à la couper de son contexte « événe-
mentiel ». Ce contexte, il m'a paru indispensable de lerétablir, sans d'ailleurs pour cela, bien entendu, renoncer
à mettre l'accent sur cet appel du transcendant qu'il
me semble bien avoir perçu dès l'enfance, à traversun deuil prématuré, mais aussi par la grâce prévenante
de la musique.
Tel quel, avec ces piétinements, ces redites, cesomissions souvent involontaires, et certaines promesses
oubliées en cours de route, ce livre est de toute évidence
imparfait et ne pouvait sans doute pas ne pas l'être, carma vue très déficiente m'a mis dans la pénible néces-sité de le dicter tout entier.
Je voudrais du moins qu'on sente qu'il est tourné
vers l'autre, vers le frère inconnu auquel je me confieavec mes incertitudes, mes larmes, mais aussi avec cette
espérance invincible, cet élan de tout mon être, versquelle lumière, vers quel éveil!
10 février 1971.
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Un homme, parvenu à la phase terminale de son
existence terrestre, tente de penser sa vie; et celasignifie d'abord qu'il prend ses distances par rapport
à elle; sans ce recul, comment pourrait-il la penser?
Mais, en même temps, il s'interroge sur cet acte, et
cela veut dire qu'il se demande comment celui-ci est
possible. Est-il vraiment en mesure de se dégagersuffisamment de cette vie qui est la sienne pour laconsidérer, voire pour la juger? Ne se sent-il pas porté
à craindre d'être ici prisonnier d'une fiction, puisque
après tout, cet acte même de distanciation fait en quelquemanière partie de sa vie?
Ces questions, je me les suis posées explicitement, il
y a quelque vingt ans, dans les leçons d'Aberdeen,qui ont paru sous le titre Le Mystère de l'être. Maisil m'apparaît clairement que cette interrogation sedéveloppait à partir de mon expérience, et non pas àproprement parler à son sujet.
Ceci est d'ailleurs d'autant plus compréhensible qu'àcette époque je n'avais pas conscience d'être encore
entré dans ce que j'ai appelé la phase terminale de mapropre existence. Aujourd'hui, il en va autrement.
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Je note d'ailleurs que cette question du rapport
d'un être à sa vie, avait surgi pour moi, beaucoup plus
tôt, dans le registre dramatique. C'est en effet celleque posait Geneviève Forgue à Christiane Chesnay,l'héroïne du Monde cassé, au quatrième acte de cette
pièce.En vertu de l'autorité dont elle se sent comme investie
mystérieusement par son frère Dom Maurice qui vientde mourir dans une abbaye bénédictine, Geneviève
pose à Christiane la question suivante «
Est-ce quevous ne sentez pas que toute une part de vous-même,la plus précieuse, la seule précieuse. votre âme.a-t-elle habité votre vie? » Et Christiane de répondre« Non, pas elle. Sa caricature. Une fausse charité quine m'a dicté que des mensonges. »
Ainsi, comme si souvent dans mon œuvre, sous lapression d'une situation dramatique et par le truchementde personnages avec lesquels certes je ne me confondaispas, mais qui étaient comme irrigués par une sèveémanant du plus profond de moi-même, je me posaiscette question qui ne devait s'articuler philosophique-ment que beaucoup plus tard un être se confond-ilavec sa vie, et s'il ne lui est pas identique, quelles sontles relations qui les unissent? Aujourd'hui, à cette
heure que je puis dire vespérale, c'est à ma vie que jem'adresse pour l'interroger, et sans voir encore claire-ment quelle réponse elle pourra m'apporter. Je m'engagedonc dans ce livre comme dans une aventure dont l'issue
me paraît incertaine.Ma vie et je constate d'emblée que le sens même
de ces mots n'est pas clair.
Réfléchissant à partir de ces deux mots ma vie, je bute aussitôt sur une antinomie.
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Il y a un sens où il est vrai de dire que toute viepeut se raconter. Et il y en a un autre plus profondoù il convient d'affirmer au
contraire qu'une vie
ne se
raconte pas.
Comment rendre compte de cette contradiction?
Certainement en reconnaissant l'ambiguïté du terme
de vie. Dans le premier sens, je me réfère à une chrono-
logie je suis né en tel lieu, à telle date, issu de telsparents; j'ai fait mes études dans tel lycée, puis danstelle faculté, etc. Donner ces précisions à un enquêteurou en réponse à un questionnaire, c'est parler de moicomme de quelqu'un, comme d'une unité parmi d'autres.
Il est à peine besoin de dire ou de rappeler, que dansle monde qui est aujourd'hui le nôtre, cet aspect devientprédominant. On nous assure que chacun de nous,dans un délai prévisible, aura son substitut sous lesespèces d'une fiche ou d'une carte perforée.
Mais il n'est pas moins clair qu'une protestationincoercible monte du fond de moi-même contre cette
substitution, ou plus exactement contre cette équivalenceprétendue. Sans pouvoir peut-être justifier immédiate-
ment cette dénégation, je nie que ma vie puisse êtremise sur fiches; et c'est bien là ce que je déclare quand j'affirme qu'une vie ne se raconte pas. Qu'est-ce à dire
en effet, sinon qu'il y a dans la vie vécue quelque chosequi ne se laisse pas réduire à des mentions mises à lasuite les unes des autres.
Sans doute conviendrait-il d'ailleurs de remarquerici que le fait de raconter ne se réduit pas à un simpleexposé chronologique. On pourrait dire que racontern'est pas simplement relater. Autrement, on ne s'expli-
querait pas que certains êtres possèdent une faculténarrative dont d'autres sont rigoureusement dépour-
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vus. Raconter sa vie, ce n'est donc pas simplement
relater une série de circonstances qui se sont succédé
historiquementMais personnellement, quand j'ai eu à rédiger, il ya quelque temps, une autobiographie pour le volume
qui devait m'être consacré aux U.S.A. dans la collection« Living Philosophers », je me suis heurté à une difficultédont il me semble bien que je n'ai pas réellement
triomphé il s'agissait bien de donner aux lecteurs
un ensemble de repères chronologiques, mais je sentaisaussi que ceci était insuffisant, et qu'il aurait fallu êtrecapable de devenir en quelque manière le romancierde moi-même, sans bien entendu qu'il fût questionde me livrer à une fabulation quelconque. Les motsgoethéens Wahrheit und Dichtung, vérité et poésiedoivent s'appliquer à toute autobiographie digne de
ce nom. Mais c'est justement cet élément poétique que
je me suis trouvé assez incapable d'introduire dans cetravail dont le seul mérite est d'être honnête.
Je ne saurais d'ailleurs avoir la prétention de comblerici cette lacune. Je suis au contraire tenu de reconnaître
que cette sorte de roman vrai, je ne suis nullementcapable de l'écrire. Je constate en revanche que ceuxqui plus tard voudront s'attacher à ce que je fus, auront
à trouver maintes indications dans mon œuvre drama-tique et à exercer sur certains de mes personnagesune sorte d'analyse radioscopique qui, je pense, leur
permettra de discerner par-delà tout ce qui est del'ordre consignable, quelque chose de ce que fut ma vie,peut-être faudrait-il ajouter à la jointure de mon être.
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Il conviendra d'ailleurs, dans une semblable étude,
de procéder avec une extrême prudence. Je prendrai
ici un exemple qui me semble particulièrement signi-ficatif. Le Daniel Meyrieux du Cœur des autres. C'est
un auteur dramatique pourrai-je dire en toute vérité
que c'est moi-même en tant que dramaturge? Il serait,
je pense, tout à fait inexact de le prétendre. Ce qui
est vrai, c'est que dans cette pièce, j'ai tenté de fixerles traits de l'homme que je risquerais de devenir si ma
création dramatique se développait dans une certaine
direction. Et plus essentiellement encore, j'ai entendu
marquer avec la plus grande intensité possible ce que
du même coup risqueraient de devenir mes relations
avec ma femme. Je pense que celle-ci s'est, dans une
certaine mesure, reconnue dans le personnage deRose Meyrieux, qu'elle a retrouvé dans cette figure quim'est restée particulièrement chère, cette alliance d'une
certaine pudeur, d'une certaine délicatesse et d'uneremarquable acuité du regard qui était en elle. Dans
cette pièce, ce moi possible, je ne l'ai certes pas ménagé,bien au contraire. On sera généralement d'accord,
je pense, pour estimer que je l'ai accablé en le rendant
proprement odieux, en particulier dans ses rapports
avec Jean, son fils naturel que Rose va pousser à accueil-
lir sous leur toit,après la mort de sa mère.Il conviendra peut-être d'ajouter ceci dont je suis
moins sûr lorsque j'écrivis à Sens Le Cœur des autres, je pensais peut-être plus ou moins confusément que
ma femme et moi, nous serions un jour amenés àadopter un enfant. Mais ici, il ne suffirait pas de parler
de transposition, la transformation était radicale, puisque
je n'avais pas d'enfant naturel, qu'il pût être questionun jour pour nous de recueillir.
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Le Coeur des autres, qui fut représenté en 1921 authéâtre Montmartre et qui n'a jamais été repris, est
sans doute parmi mes pièces une de celles qui ont étéle moins étudiées. Je crois pourtant qu'elle est, sinonune des meilleures, tout au moins une des plus signi-ficatives pour celui qui s'efforce de découvrir le point
d'enracinement de la création dramatique dans la vievécue. Elle fait partie de l'ensemble de pièces que
j'écrivis pendant les trois ans que nous passâmes àSens où l'enseignement me laissait de grands loisirs,
puisque ma classe de philosophie au lycée ne comptaitqu'un tout petit nombre d'élèves. Faut-il rappeler àcette occasion que Robert Brasillach était alors mon
élève, non pas en philosophie, mais en quatrième et
en troisième, dans ces assez absurdes classes de morale
(une heure par semaine) qui devaient, si je ne me trompe,
être supprimées quelques années plus tard.
Nous avons connu là, ma femme et moi, pendantces années, une des périodes heureuses de notre vie.
Au lendemain de ma nomination, ma tante, dans
son zèle infatigable, était venue chercher pour nous un
logement à Sens, pendant que nous étions encore àLugano, dans ce Tessin auquel j'ai toujours voué une
véritable prédilection. Elle avait découvert pour nous
un appartement très clair et formant hôtel, qui donnaitd'un côté sur la promenade ombreuse qui entoure laville, et de l'autre, sur une cour jardin. La propriétaire
était une vieille folle que j'ai « replacée » dans mon
Divertissement posthume celle-là même qui interdisait
aux locataires de s'essuyer les pieds sur le paillasson,parce qu'il était là pour l'ornement. Je repense avecun émoi nostalgique aux nombreuses heures de lecture
et de musique que nous vécûmes là. L'avenir n'éveillait
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pas en nous d'inquiétude particulière. Il faudrait être
capable d'exprimer par des mots ce que Schumann a
traduit en musique, de façon immortelle, pour rendrece bonheur d'intimité qui, là, fut le nôtre. Les nuagesqui devaient si vite s'amonceler à l'horizon politique,n'étaient pas encore clairement discernables. Certes, lapensée des ruines laissées par la guerre ne me quittaitpas. Je demeurais meurtri par le souvenir des angoissesvécues et des deuils ineffaçables comme en témoignent
Le Regard neuf, Le Mort de demain, et La Chapelleardente, mais c'était comme si du fait même de mon
mariage, j'avais « pris la mer ».
Ces mots peuvent surprendre ils traduisent
cependant une expérience essentielle et à laquelledevront se référer ceux qui se pencheront sur lesœuvres que je composai à cette époque. Je veux dire
par là qu'en ces années 1919-1922, j'eus le sentiment
libérateur de pouvoir me donner sans aucune arrière-
pensée métaphysique ou idéologique aux personnagesqui s'imposaient à moi. Et en les évoquant ici, je meheurte trop évidemment à la question si mystérieusede savoir quel type de rapport lie véritablement l'auteur
dramatique à ses personnages. C'est celle, ai-je besoin
de le rappeler, que presque à la même époque, Piran-
dello devait traiter avec un éclat extraordinaire dans Six
Personnages en quête d'auteur. J'admire autant quequiconque cette œuvre éblouissante. Mais je n'oserais
dire qu'elle traduise de façon parfaitement fidèle l'expé-rience que j'ai pu faire moi-même de la création drama-
tique. Je pense, à la vérité, qu'il y a là un mystère dont
la brillante dialectique pirandellienne ne peut pas
rendre pleinement compte. Je devais d'ailleurs m'expli-quer sur ce point, quelques années plus tard, dans un
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bref article intitulé « Tragique et personnalité », que
publia La Nouvelle Revuefrançaise en 1925.
Je pense en ce moment au personnage de MauriceJordan, dans Le Regard neuf ce père passionné qui
pendant la guerre a tremblé pour son fils combattant
au front, comme une femme pour son mari ou son
amant. Sommes-nous assez loin ici des images stéréoty-pées et trop souvent dégradées qu'à la suite de Sartre,
on tend aujourd'hui d'accrocher au mot père. Il est
évident, qu'à l'origine de ce personnage, il y a l'expé-rience de l'angoisse qui avait été la mienne au servicede la Croix-Rouge que je dirigeais pendant la guerre,au cours des visites que me rendaient jour après jour
des familles désespérées d'être sans nouvelles des leurs,
et mendiant auprès de moi quelque indication rassu-
rante. Au cœur du personnage de Maurice Jordan, il y
a donc, me semble-t-il, comme l'imagination affectivede ce que j'aurais pu être si j'avais eu un fils. Il me
semble que c'est cette imagination affective qui anime
l'ouvrage d'une sorte de palpitation que je ressensencore lorsqu'il m'arrive de relire cette pièce. Mais ilfaut ajouter aussitôt que de cet « élément » le mot
est d'ailleurs impropre il serait tout à fait impossiblede déduire la pièce qui ne lui est en aucune façon réduc-
tible. Je serais tout à fait incapable de dire commentm'est venue l'idée du triste ménage Jordan du pré-
cepteur famélique qui a naguère épousé par intérêtune femme riche et vulgaire, sans d'ailleurs se rendre
compte de ce que celle-ci deviendrait, sans vraiment sedouter qu'il s'enchaînait à une future harpie, et sansprévoir aucunement bien entendu l'attachement pas-
sionné qu'il vouerait à son fils et le conflit conjugal dontcelui-ci deviendrait en quelque façon la victime ou
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