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l’actualité chimique - novembre 2009 - n° 335 2 Enseignement et formation JIREC 2008 Les nanoparticules d’or Un sujet pour les travaux d’initiative personnelle encadrés (TIPE) Katia Fajerwerg, Julien Lalande et Sabrina Zhu Résumé Cet article décrit les objectifs recherchés dans les travaux d’initiative personnelle encadrés (TIPE) à travers l’exemple de la synthèse et de l’étude de nanoparticules d’or obtenues par réduction de solutions d’un sel d’or(III) dans diverses conditions expérimentales. Il ne s’agit pas de proposer à un étudiant, possédant des connaissances de 2 e année de licence, d’acquérir de nouvelles connaissances, mais de faire une véritable expérience de recherche en laboratoire, encadré par un enseignant-chercheur. Les étudiants peuvent alors aborder la réalité scientifique autrement que par un cours magistral, une séance de travail dirigé ou de travail pratique puisqu’ils se trouvent directement confrontés à un problème de recherche à résoudre. Mots-clés Enseignement, JIREC 2008, travaux d’initiative personnels encadrés (TIPE), synthèse, nanoparticules d’or, colloïdes. Abstract Gold nanoparticles and the interactions between “classes préparatoires” and an academic research laboratory: a topic for student personal work followed by an adviser (“travaux d’initiative personnelle encadrés”, TIPE) This article describes the purposes of the “travaux d’initiative personnelle encadrés” (TIPE) through the example of the synthesis and characterization of gold nanoparticles obtained by reduction of Au(III) salt solutions in various experimental conditions. For a second year Licence (B.Sc.) student, the main point of the project is not to acquire new knowledge but to experience actual research laboratory activities over 50 hours of self-managed work, only being guided when required by an university assistant-professor. The students can therefore approach science in a different way as compared to the more traditional teaching methods (lectures, tutorials and practical courses) because they become the leading actor in a research problem they have to solve mostly by themselves. Keywords Teaching, JIREC 2008, TIPE, gold nanoparticles, colloids, synthesis. es nanotechnologies* et nanosciences* reçoivent aujourd’hui toute l’attention d’un grand nombre de cher- cheurs. Elles couvrent en effet des domaines extrêmement variés tels que la science des matériaux, les cosmétiques, l’art, la microélectronique, la médecine, la chimie, etc. Elles élaborent de nouveaux matériaux, les nanomatériaux, dont une dimension au moins est de l’ordre du nanomètre, pour obtenir de nouvelles propriétés (optiques, catalytiques, mécaniques, magnétiques, thermiques, etc.). Ainsi, les nanosciences exploitent-elles des phénomènes nouveaux qui n’apparaissent qu’à l’échelle du nanomètre [1] (1) . Les colloïdes d’or Les colloïdes* doivent leur nom à Thomas Graham (1805- 69), chimiste britannique qui comprit qu’il s’agissait d’un nouvel état de la matière correspondant à une structure de taille caractéristique comprise entre 10 -9 et 10 -6 m [2-3]. Ce terme peut également recouvrir une diversité de dispersions selon la nature des phases en présence [4-6] (tableau I). Une histoire ancienne mais toujours d’actualité Les premiers colloïdes préparés furent certainement les dispersions de pigments utilisés dans les peintures. Ainsi le premier pigment de synthèse, le bleu égyptien (sur silicate double de calcium et de cuivre, utilisé il y a plus de 45 siècles), devait-il être broyé pour pouvoir ensuite recouvrir le substrat sur lequel il était appliqué. Un autre exemple célèbre lié à la présence de colloïdes d’or (mais aussi d’argent) concerne l’art romain (IV e siècle après J.-C.) avec la coupe en verre de Lycurgus (figure 1) qui apparaît verte lorsqu’elle est éclairée de l’extérieur (lumière réfléchie), et rouge lorsqu’elle est illuminée de l’intérieur (lumière transmise) [7]. Plus tard, le « pourpre de Cassius » (1685), synthétisé à partir d’un sel d’or, fut très longtemps utilisé comme pigment lors de la fabrication de pièces d’émaux et de porcelaine. Il est toujours d’actualité, comme en attestent certaines pièces de porcelaine de la Manufacture nationale de céramiques de Sèvres [8]. L Tableau I - Classification des dispersions (d’après [4]). Milieu dispersant Phase dispersée Solide Liquide Gaz Solide Suspension* : solide Suspension Aérosol* : fumée Liquide Gel* Émulsion* Aérosol Gaz Mousse Solide* Mousse

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l’actualité chimique - novembre 2009 - n° 3352

Enseignement et formation JIREC2008

Les nanoparticules d’orUn sujet pour les travaux d’initiative personnelle encadrés (TIPE)Katia Fajerwerg, Julien Lalande et Sabrina Zhu

Résumé Cet article décrit les objectifs recherchés dans les travaux d’initiative personnelle encadrés (TIPE) à traversl’exemple de la synthèse et de l’étude de nanoparticules d’or obtenues par réduction de solutions d’un seld’or(III) dans diverses conditions expérimentales. Il ne s’agit pas de proposer à un étudiant, possédant desconnaissances de 2e année de licence, d’acquérir de nouvelles connaissances, mais de faire une véritableexpérience de recherche en laboratoire, encadré par un enseignant-chercheur. Les étudiants peuvent alorsaborder la réalité scientifique autrement que par un cours magistral, une séance de travail dirigé ou de travailpratique puisqu’ils se trouvent directement confrontés à un problème de recherche à résoudre.

Mots-clés Enseignement, JIREC 2008, travaux d’initiative personnels encadrés (TIPE), synthèse,nanoparticules d’or, colloïdes.

Abstract Gold nanoparticles and the interactions between “classes préparatoires” and an academic researchlaboratory: a topic for student personal work followed by an adviser (“travaux d’initiative personnelleencadrés”, TIPE)This article describes the purposes of the “travaux d’initiative personnelle encadrés” (TIPE) through theexample of the synthesis and characterization of gold nanoparticles obtained by reduction of Au(III) saltsolutions in various experimental conditions. For a second year Licence (B.Sc.) student, the main point of theproject is not to acquire new knowledge but to experience actual research laboratory activities over 50 hoursof self-managed work, only being guided when required by an university assistant-professor. The studentscan therefore approach science in a different way as compared to the more traditional teaching methods(lectures, tutorials and practical courses) because they become the leading actor in a research problem theyhave to solve mostly by themselves.

Keywords Teaching, JIREC 2008, TIPE, gold nanoparticles, colloids, synthesis.

es nanotechnologies* et nanosciences* reçoiventaujourd’hui toute l’attention d’un grand nombre de cher-

cheurs. Elles couvrent en effet des domaines extrêmementvariés tels que la science des matériaux, les cosmétiques,l’art, la microélectronique, la médecine, la chimie, etc. Ellesélaborent de nouveaux matériaux, les nanomatériaux, dontune dimension au moins est de l’ordre du nanomètre, pourobtenir de nouvelles propriétés (optiques, catalytiques,mécaniques, magnétiques, thermiques, etc.). Ainsi, lesnanosciences exploitent-elles des phénomènes nouveauxqui n’apparaissent qu’à l’échelle du nanomètre [1](1).

Les colloïdes d’or

Les colloïdes* doivent leur nom à Thomas Graham (1805-69), chimiste britannique qui comprit qu’il s’agissait d’unnouvel état de la matière correspondant à une structure detaille caractéristique comprise entre 10-9 et 10-6 m [2-3]. Ceterme peut également recouvrir une diversité de dispersionsselon la nature des phases en présence [4-6] (tableau I).

Une histoire ancienne mais toujours d’actualité

Les premiers colloïdes préparés furent certainement lesdispersions de pigments utilisés dans les peintures. Ainsi le

premier pigment de synthèse, le bleu égyptien (sur silicatedouble de calcium et de cuivre, utilisé il y a plus de45 siècles), devait-il être broyé pour pouvoir ensuite recouvrirle substrat sur lequel il était appliqué. Un autre exemplecélèbre lié à la présence de colloïdes d’or (mais aussid’argent) concerne l’art romain (IVe siècle après J.-C.) avecla coupe en verre de Lycurgus (figure 1) qui apparaît vertelorsqu’elle est éclairée de l’extérieur (lumière réfléchie), etrouge lorsqu’elle est illuminée de l’intérieur (lumièretransmise) [7]. Plus tard, le « pourpre de Cassius » (1685),synthétisé à partir d’un sel d’or, fut très longtemps utilisécomme pigment lors de la fabrication de pièces d’émaux etde porcelaine. Il est toujours d’actualité, comme en attestentcertaines pièces de porcelaine de la Manufacture nationalede céramiques de Sèvres [8].

L Tableau I - Classification des dispersions (d’après [4]).

Milieu dispersant

Phase dispersée

Solide Liquide Gaz

SolideSuspension* :

solideSuspension

Aérosol* :fumée

Liquide Gel* Émulsion* Aérosol

GazMousseSolide*

Mousse

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3l’actualité chimique - novembre 2009 - n° 335

Enseignement et formation

C’est en 1857 queMichael Faraday exposases travaux sur l’interac-tion de la lumière et lesparticules d’or colloïdalrouge rubis (figure 2) lorsd’une conférence à laRoyal Society à Londres[9]. Cette synthèse utilisaitun sel d’or (NaAuCl4) etune solution réductrice àbase de phosphore dis-sous dans du disulfure decarbone. Faraday, pre-mier à mentionner l’exis-tence de ce qui seraconnu sous le vocablede nanoparticules métal-liques, peut ainsi depar son observation être

considéré comme l’initiateur des nanosciences. Il observaque la couleur semblait dépendre de la taille des particulesmais ne put mettre en évidence cette hypothèse en raison deslimitations technologiques de l’époque. Il convient de souli-gner que Richard Adolf Zsigmondy reçut le prix Nobel en 1925pour son explication de la nature hétérogène des solutionscolloïdales et des méthodes utilisées pour les caractériser. Cen’est que cent ans après les travaux de Faraday que JohnTurkevich caractérisa, à l’aide d’un microscope, la taille descolloïdes d’or (6 ± 2 nm) obtenus par la méthode de Faraday[2, 10]. De plus, Turkevich développa en 1951 une autre voiede synthèse qui utilise un sel précurseur d’or (HAuCl4) et unesolution de citrate de sodium (Na3C6H5O7). Ce dernier joueà la fois le rôle de réducteur et d’agent stabilisant, évitant ainsil’agrégation* des particules. Cette synthèse continue actuel-lement à susciter la curiosité de nombreux chercheurs et faittrès souvent l’objet de travaux de recherche fondamentaleet appliquée.

Travail d’initiative personnelle encadré (TIPE)

Depuis 1995 et la réforme des classes préparatoires, lestravaux d’initiative personnelle encadrés (TIPE) concernenttous les étudiants de classes préparatoires aux grandesécoles (CPGE). Leur objet est de traiter d’un problème réel etactuel en utilisant la physique, la chimie, les mathématiques,l’informatique ou les sciences industrielles dans les filièresautres que BCPST (biologie, chimie, physique et sciences dela Terre) et les sciences de la vie et de la Terre en filièreBCPST. Cette activité permet de mener une démarche derecherche scientifique dans un laboratoire universitaire.C’est dans ce contexte qu’une élève de seconde année declasses préparatoires PC du Lycée Chaptal, Sabrina Zhu,a choisi d’étudier la synthèse de nanoparticules d’or (AuNPs)en solution colloïdale, en collaboration avec le Laboratoire deréactivité de surface, spécialisé en catalyse hétérogène,de façon à illustrer le thème des TIPE, arrêté par le Ministèrede l’Éducation nationale pour le concours 2007(2),« variabilité, limite, stabilité ».

Figure 1 - La Coupe de Lycurgus (a) en lumière réfléchie, (b) enlumière transmise.© The Trustees of the British Museum.

Glossaire

Les termes suivis d’un astérisque* dans le texte sont définisci-dessous.

Aérosol : solides ou liquides dans des gaz (fumée, nuage,brouillard).Agglomérats : agrégats de particules.Agrégation : assemblage de plusieurs éléments de base,également connu sous le terme de coalescence. Elle correspond àla formation irréversible d’agglomérats .Colloïde : substance sous forme de liquide ou de gel qui contienten suspension des particules suffisamment petites pour que lemélange soit homogène. Il ne diffuse pas à travers les membraneshémiperméables et dans un fluide, il forme une dispersionhomogène de particules dont les dimensions vont de 2 à 200 nm.Les colles et les gels sont des colloïdes et forment dessuspensions dites colloïdales, intermédiaires entre lessuspensions (particules de taille supérieure à 0,2 µm) et lessolutions vraies (particules de taille inférieure à 2 nm).Émulsion : liquides dans des liquides (ex. : huile/eau).Floculation : formation d’agglomérats visibles à l’œil quisédimentent rapidement.Gel : réseau de molécules géantes ou micelles (ex. : beurre, opales).

Mousses solides : gaz dans des solides (ex. : polyuréthane,mousses métalliques).Nanosciences : la définition n’est pas normative. Lesnanosciences sont un ensemble de disciplines qui concernentl’étude des phénomènes observés dans des systèmes ou desobjets de taille très réduite, mesurant quelques nanomètres(milliardième de mètre) dans au moins une dimension del’espace et dont les propriétés particulières découlent de cettetaille.Nanotechnologies : domaines d’applications des nanosciences,tels que les puces électroniques, les futurs ordinateursquantiques… Les nanotechnologies nécessitent un ensemble detechniques permettant de fabriquer, d’observer et de mesurer dessystèmes ou des objets d’échelle nanométrique.Plasmon de surface : onde électromagnétique de surface seproduisant à l’interface entre un métal (ici l’or) et un milieudiélectrique, liée à une oscillation collective des électrons, et sepropageant parallèlement à cette interface.Suspension : dispersion de particules solides dans un liquide(peinture par ex.).Tensioactif : molécule qui possède à la fois une partie hydrophile(polaire) et une partie hydrophobe (apolaire).

Figure 2 - Solution colloïdale de Faraday(Royal Institution of Great Britain,Londres).

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4 l’actualité chimique - novembre 2009 - n° 335

Enseignement et formation

Objectifs de formation des TIPE

Les objectifs des TIPE en CPGE ont été définis par destextes réglementaires publiés au Journal Officiel (JO) et auBulletin officiel de l’Éducation nationale (BOEN) [11-13]. L’étu-diant a un travail personnel à effectuer qui le met en situationde responsabilité. Cette activité constitue un entraînementaux démarches scientifiques ou technologiques. Les TIPEdoivent faire appel à l’intelligence de situations concrètes carla réalité du métier d’ingénieur est autant de résoudre desproblèmes que de les identifier et les poser clairement.

L’objectif est de permettre à l’étudiant de développer uneouverture d’esprit, un esprit critique, de l’initiative personnelle,des capacités d’exigence, d’approfondissement et derigueur. Il faut qu’il soit capable de décloisonner les différentesdisciplines étudiées et de rapprocher plusieurs logiques. Illui faut encore développer une aptitude à l’imaginationexpérimentale ainsi qu’une aptitude à collecter l’information,l’analyser, la communiquer...

Cette activité a pour but de valoriser la curiositéintellectuelle et le travail en profondeur plutôt que la rapidité,évaluée par ailleurs dans le cadre du contrôle de l’acquisitiondes connaissances disciplinaires.

L’objet des TIPE n’est donc pas l’acquisition deconnaissances disciplinaires supplémentaires qui s’effectuepar ailleurs dans le cadre du programme d’enseignement.Grâce à la mise en œuvre d’une nouvelle méthode de travailet à une diversification des sujets d’étude, les TIPEcontribuent à valoriser des profils scientifiques variés.

Afin de parvenir à ces objectifs et de se préparer auxépreuves des concours, les étudiants, encadrés par lesenseignants-chercheurs, développeront des activités et desdémarches diverses : mise en évidence et formulation d’unproblème, observation et analyse d’un phénomène ou d’unsystème industriel, recherche et exploitation d’unedocumentation, préparation et réalisation de dossiers etd’exposés, développement d’arguments au cours d’unentretien scientifique, examen et discussion des solutions etdes justifications des choix effectués…

Dès le 2e trimestre de la 1ère année de CPGE, l’étudiantest initié à la méthodologie du TIPE : recherche documentaire,préparation et présentation d’exposés, réalisation etprésentation d’un dossier scientifique. Au cours de la2de année, il choisit un sujet d’étude, en accord avec sonprofesseur, dans le cadre d’un thème défini nationalement etpublié au BOEN.

L’étudiant doit chercher à apporter un peu de « valeurajoutée », selon les termes du jury, à des données et desinformations existantes, par une expérimentation, unemodélisation, une investigation numérique, etc. Dans lafilière PC notamment, une forte coloration expérimentale estrecommandée. C’est pourquoi un contact étroit avec unlaboratoire de recherche ou un centre industriel estfortement apprécié.

Évaluation aux concours d’entrée aux grandes écoles

Le TIPE est évalué sous forme d’une épreuve orale quipeut prendre différentes formes selon les concours. Au« tétraconcours » qui regroupe les principaux concoursd’entrée aux grandes écoles de recrutement d’ingénieurs(3),l’épreuve orale se compose de deux parties à poids égal :une évaluation (par un jury composé de deux examinateursscientifiques – un physicien et un chimiste en filière PC – du

travail de l’année (partie C, traitée ici à titre d’exemple) oùl’étudiant présente pendant dix minutes un exposé de sonprojet personnel, suivi de dix minutes de dialogue avec le juryet une présentation d’un dossier scientifique (partie Dcomme Dossier) [12].

Les colloïdes d’or et le TIPE

Nous souhaitons montrer ici comment les colloïdes d’orpeuvent illustrer les trois volets de l’intitulé du thème de TIPE« variabilité, limite, stabilité ».

VariabilitéIl existe quatre définitions dans le Littré ; la plus générale

étant « disposition habituelle à varier ». Outre cette définition,celles liées aux domaines de l’algèbre « indétermination ;passage possible d’une quantité par différents états degrandeur » et de la biologie « propriété de présenter desvariétés ; variabilité des espèces » paraissent intéressantes àconsidérer dans le cadre de cette étude. De plus, comptetenu de ce qui vient d’être mentionné et des travauxantérieurs de Faraday et Turkevich notamment, il semblejudicieux de considérer également les « changements decouleur en fonction de la taille » pour illustrer la variabilité.

LimiteLes colloïdes sont caractérisés par leur aire spécifique

(étendue de la surface rapportée à un gramme de matériau)qui varie comme l’inverse de la taille de la dispersion.Lorsque la taille des colloïdes atteint l’échelle nanométrique,la proportion d’atomes de surface augmente, ce qui confèreau matériau divisé des propriétés physico-chimiquesdifférentes de celles du matériau massif. Les particules d’unedispersion sont naturellement soumises à la gravité et si ellessont plus denses que le milieu dispersant, elles devraientdonc sédimenter. On définit alors une vitesse desédimentation de particules (cf. voir annexe I(4)). Lesparticules sont également soumises, par les mouvementsbrowniens, à des chocs incessants de la part des moléculesdu milieu dispersant. Afin de « matérialiser » la contributionrelative de chacun de ces deux phénomènes, on introduit lanotion de taille limite colloïdale (Rcol), au dessous de laquelleles particules sont browniennes et la vitesse desédimentation peut être négligée. Par conséquent, l’échellecolloïdale est bornée par cette limite (Rcol) d’une part et,d’autre part, limitée aux dimensions nanométriquescaractéristiques d’une petite molécule. Cette limite a pourconséquence immédiate la difficulté à caractériser cessystèmes colloïdaux en raison des limitations de détectiondes appareils de mesure.

StabilitéLa stabilité des dispersions est abordée de manière

détaillée dans différents ouvrages [13-15]. De manièregénérale, lorsque les particules colloïdales (supposéessphériques) se déplacent, elles peuvent s’attirer en raisondes interactions de Van der Waals, elles-mêmes causées parles fluctuations de densité électronique des atomes. Ens’approchant, les deux sphères peuvent former desagglomérats* de plus en plus gros, conduisant à lafloculation* des colloïdes. Ceci peut être évité lorsque lesparticules sont maintenues à distance (qualitativement) :elles ne peuvent plus pénétrer dans la zone où lesinteractions de Van der Waals deviennent plus importantesque l’agitation thermique (kBT où kB est la constante de

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5l’actualité chimique - novembre 2009 - n° 335

Enseignement et formation

Boltzmann et T la température thermodynamique). Aussi,afin d’améliorer la stabilité des colloïdes, trois voiesprincipales sont envisagées [16] ; on peut :- créer une atmosphère ionique à la surface des particulespour renforcer la répulsion électrostatique par adsorptiond’ions ; - superposer un effet de répulsion stérique à l’aide demolécules à longue chaîne retenues à la surface desparticules ;- combiner les effets stériques et électroniques grâce à despolymères ioniques ou à des agents tensioactifs .

Réalisation du TIPE

Démarche

Le travail effectué se situe selon trois axes principaux :• La découverte d’un sujet nouveau constitue unepremière confrontation avec la recherche. L’élève a choisi cesujet d’abord par goût personnel, puis à l’issue de diversesdiscussions avec son enseignant de classes préparatoires etl’enseignant-chercheur de l’université.• La familiarisation avec une bibliographie commence parla culture générale et la vulgarisation scientifique. Lesprincipales ressources documentaires sont constituées derevues comme La Recherche, Pour la Science, L’ActualitéChimique, le Bup, le Journal of Chemical Education. Ensuite,la recherche bibliographique très spécialisée est réalisée àl’aide du logiciel SciFinder® qui est une banque de donnéesdes Chemical Abstracts. Cette étape bibliographique estindispensable avant de commencer la partie expérimentaleproprement dite. En effet, l’élève apprend à extraire lesinformations qui lui sont utiles et nécessaires à la réalisationde son projet ; il propose alors des idées de manipulationsqu’il souhaite réaliser et qui sont validées par lesenseignants.• La partie expérimentale peut être réalisée aussi bien ausein de l’établissement de l’élève que du laboratoire univer-sitaire d’accueil. Elle permet d’illustrer les différentes notionsde chimie déjà abordées au cours du cursus de classes pré-paratoires et de les appliquer au laboratoire (tableau II). Outreles savoir-faire listés dans ce tableau, on peut y ajouter larédaction d’un protocole expérimental à partir d’articles

bibliographiques préalablement sélectionnés,suivie de sa mise en œuvre. Les principauxsavoir-être, qui ont davantage trait auxaspects expérimentaux (tableau II), constituentune étape importante pour un déroulementoptimal d’expériences. De plus, l’élève doit êtrecapable d’établir des liens entre les différentesdisciplines (physique, mathématiques, chimie,sciences industrielles pour l’ingénieur (SII),éventuellement biologie et informatique) qui luisont dispensées pendant les deux années defaçon à éviter tout cloisonnement ; cettedémarche fait partie des objectifs fondamen-taux des TIPE.

Les enseignants sensibilisent l’élève à ladémarche scientifique qui repose principale-ment sur l’étude d’un seul paramètre à la fois,les observations, la description des phéno-mènes, les résultats, leur exploitation et qui estaccompagnée d’une discussion faisant biensouvent appel à des hypothèses.

Partie expérimentale

Synthèse et caractérisationIl existe à ce jour plu-

sieurs méthodes chimiques(voie directe, utilisationde ligands, de polymères,de germes préalablementformés…) ou physiques(photochimie, sonochimie,radiolyse, thermolyse…)pour obtenir des nanoparti-cules d’or. L’élève a choiside réaliser une synthèse decolloïdes d’or à partirde celle proposée parTurkevich et coll. [17].Le montage est décritsur la figure 3 et lesdétails du protocole expéri-mental sont consignésdans l’annexe II(4). Cettesynthèse repose sur laréaction de l’acide tétra-chloroaurique (noté HAu) avec une solution de citrate desodium (noté red) en milieu aqueux. Lorsque le citrate est enexcès, cette réaction peut s’écrire selon l’équation (1). Ce der-nier joue le rôle à la fois de réducteur et d’agent stabilisant.Ce mélange est porté à reflux sous forte agitation. Dans ceTIPE, l’influence de trois paramètres tels que le rapportmolaire n(Red)/n(HAu), l’évolution de la couleur au cours dutemps et la nature du réducteur ont été envisagés. Cepen-dant, seule l’influence du rapport molaire n(Red)/n(HAu) surl’évolution de la couleur est présentée ici.

Les colloïdes d’or ainsi obtenus se caractérisent avanttout par la taille moyenne des particules qui les constituent

(1)

Tableau II - Principales notions de chimie inorganique traitées dans les programmes declasses préparatoires et quelques aspects expérimentaux.

No

tio

ns

Théoriques Expérimentales

Générales

Couples redox Choix et utilisation de la verrerie

Couples acido-basiquesRéalisation d’un montage

expérimental

Structure de la matière Mesure de quantités de matière

Spectroscopies

Chimiedes solutions

Spéciation d’espèces Préparation de solutions mère

Équilibres ensolution aqueuse

Acido-basiques Préparation de solutions fille

Complexation Savoir être

Précipitation Consignes de sécurité

DiagrammesE-pH

Tracé et utilisation Fiches des réactifs

CinétiqueVitesse de réaction –

détermination d’ordre, mécanismes réactionnels

Récupération et tri des déchets

Figure 3 - Montage expérimental pour lasynthèse des colloïdes d’or.

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6 l’actualité chimique - novembre 2009 - n° 335

Enseignement et formation

ainsi que par leur distribution. Lorsque cette taille devientproche du nanomètre, la microscopie électronique àtransmission s’avère une technique de choix. Laspectrophotométrie UV-visible peut également être mise enœuvre car les colloïdes absorbent dans le visible et l’allure duspectre d’absorption peut être corrélée à la taille moyenne età la forme des particules dans le cas de l’or ou de l’argent.Les physiciens qualifient ce phénomène de résonanceplasmon de surface*. Son étude approfondie fait appel à desappareils spécifiques et des théories physiques complexesliées à la diffraction d’une onde électromagnétique par unesphère isolée placée dans un milieu absorbant ; la plusconnue est celle de l’allemand G. Mie (1908) [18] qui nedépend pas fortement de la taille de la particule (oumolécule) par rapport à la longueur d’onde contrairement àla limite de diffusion de Rayleigh [19].

Résultats et discussionLa synthèse des nanoparticules d’or selon la méthode

décrite en annexe II(4) a été réalisée pour des rapportsmolaires n(Red)/n(HAu) égaux à ½, 1 et 2. Les couleurs dessolutions ainsi obtenues vont du bleu au rouge en passantpar un violet-bleu respectivement pour n(Red)/n(HAu) = ½,2 et 1 (figure 4). La couleur de ces solutions n’évolue pas àl’œil nu pendant des temps égaux à t = 3 min et 30 min(résultats non présentés).

Compte tenu du taux d’occupation du microscopeélectronique à transmission (MET) à l’université, il n’a pas étépossible de réaliser ce type de caractérisation. À titreillustratif, la figure 5 montre une photo MET de nanoparticulesd’or obtenues par une synthèse similaire à la nôtre. Les

auteurs ont déterminé une taille moyenne de 13,7 nm à partirde l’analyse de ce cliché (histogramme) [16], ce qui permetde postuler l’hypothèse de la présence de particulessphériques dans les solutions obtenues dans notre cas. Parailleurs, certains auteurs ont proposé l’échelle suivante dansle cas de particules sphériques [20-21] :

Si l’on admet par ailleurs que la solution colloïdale estconstituée de particules sphériques toutes semblables ethomogènes, il est alors possible de corréler la taille desnanoparticules d’or en fonction de la couleur observée et desurcroît de la longueur d’onde absorbée. Ainsi, nouspouvons établir une classification de la taille desnanoparticules d’or en fonction du rapport molaire n(Red)/n(HAu) :

L’analyse de ces résultats montre que lorsque le rapportmolaire n(Red)/n(HAu) augmente, λabs. et la taille moyennedes particules diminuent. Ces résultats confirment le doublerôle du citrate comme agent réducteur de HAu et stabilisantdes nanoparticules d’or. En effet, des composés ioniquesprésents dans la solution comme le citrate et le dicarboxylate(cf. équation (1)) sont susceptibles de s’adsorber à la surfacedes particules en les stabilisant plus ou moins de façonélectrostatique. La théorie de cette approche théorique a étédéveloppée par Derjaguin et Landau et par Verwey etOverbeek (théorie DLVO) [16]. Une remarque importante liéeà la chimie des solutions concerne la réaction des ionshydrogène, libérés au cours de la réduction de HAuCl4 avecune des bases présentes dans le milieu (citrate en excès oudicarboxylate formé). L’établissement des réactionsprépondérantes alors mises en jeu (redox et/ou acido-basique) dépend du rapport molaire n(Red)/n(HAu) etconstitue une application des aspects thermodynamiquesde la chimie des solutions pour l’étudiant. À ces notionss’ajoute celle de la cinétique d’agrégation des particules [4],notion relativement complexe et qui n’a pas été abordée.

La caractérisation de ces solutions colloïdales parspectrométrie UV-visible n’a pas conduit à des résultatsexploitables en raison d’une forte diffusion de la lumière parles particules. Cependant, la bande d’absorption « plasmon »de surface de nanoparticules d’or sphériques estgénéralement observée aux alentours de 520 nm [21-24]lorsque leur taille est de quelques dizaines de nanomètres.Ces résultats laisseraient supposer une hétérogénéité dessolutions tant d’un point de vue de la forme que de la tailledes colloïdes dont certains pourraient former des agrégats.

Conclusion

Au cours de cette étude, Sabrina Zhu s’est parfaitementapproprié le sujet. Les échanges avec son professeur etl’intervenant universitaire, ainsi que les échanges tripartitesont été très enrichissants et ont permis aux trois participantsde rentrer chacun dans des mondes qu’ils connaissaientplus ou moins bien, voire pas du tout.

Figure 4 - Influence du rapport molaire n(Red)/n(HAu) sur la couleur de lasolution.

Figure 5 - Cliché de microscopie électronique à transmission denanoparticules d’or synthétisées par la méthode de Turkevich(d’après [16]).

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7l’actualité chimique - novembre 2009 - n° 335

Enseignement et formation

Il nous semble que les objectifs assignés à l’épreuve deTIPE ont été atteints malgré un emploi du temps relativementchargé de Sabrina. De ce fait, il n’a pas été possibled’approfondir les caractérisations des nanoparticules d’or parspectrométrie UV-visible. Par ailleurs, d’autres paramètrestels que l’évolution de la couleur des solutions à l’abri de lalumière et à la lumière, le pH, le temps de réaction et la forceionique auraient pu être envisagés.

Des phénomènes complexes mais intéressants ont étémis en évidence, dans un champ moderne d’investigation.De la documentation scientifique a été recherchée puisexploitée. Au cours de nombreux entretiens, des idéesscientifiques ont été échangées. Un protocole a été discuté,mis au point, expérimenté. Des difficultés expérimentales ontété constatées et partiellement résolues. Un dossierscientifique a été monté et présenté. Et, cerise sur le gâteau,Sabrina a réussi sa présentation orale au concours !

Enfin, la mise au point de protocoles pour les activitésexpérimentales de TIPE, nécessairement simplifiés, à partirde publications issues de la recherche fondamentale, permetd’imaginer des applications à de nouvelles manipulations enséances de TP tant en licence à l’université qu’en classespréparatoires.

Remerciements

Katia Fajerwerg remercie les équipes de formation univer-sitaires (EFU) de licence et de master de l’Université Pierre etMarie Curie (Paris 6) pour le financement des JIREC 2008. Lesauteurs ont particulièrement apprécié l’enthousiasme et lamotivation de Sabrina Zhu, élève au Lycée Chaptal, Paris 13e.

Notes et références

(1) Le lecteur est informé que cet article traite uniquement de l’aspect TIPE.L’approche pédagogique pour amener des étudiants à s’intéresser à lathématique de l’or et qui s’étend du minerai aux nanoparticules estdisponible sur le site www.univ-valenciennes.fr/congres/JIREC2008.

(2) Arrêté du 5 février 2007.(3) Concours commun Mines Ponts, concours commun Centrale Sup’Elec,

concours communs Écoles polytechniques, banque filière PT, concoursclients).

(4) Nous avons choisi de présenter certains documents en annexe, surwww.lactualitechimique.org, page liée à la présentation de l’article (fichierpdf téléchargeable gratuitement).

[1] Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de laRecherche, À la découverte du nanomonde, 2e éd., 2005, p. 3.

[2] Edwards P.P., Thomas J.M., Gold in a metallic divided state – fromFaraday to present-day nanoscience, Angew. Chem. Int. Ed., 2007, 46,p. 5480.

[3] Michael Faraday and the Royal Institution: the Genius of Man and Place,IoP Publishing, Bristol, UK, 1991 (publié maintenant par Taylor andFrancis) ; voir aussi Thomas J.M., Proc. Am. Philos. Soc., 2006, 150,p. 523 ; Graham T.H., Philos. Trans. R. Soc. London, 1861, 151, p. 183.

[4] Di Meglio J.-M., Colloïdes et nanosciences, Techniques de l’Ingénieur,2007, NM 3 200.

[5] Ptak M., Solutions colloïdales et gelées, BUP, 1957, 437, p. 160.[6] Boutaric A., Les colloïdes et l’état colloïdal, Librairie Félix Alcan, 1931.[7] Freestone I., Meeks N., Sax M., Higgit C., The Lycurgus Cup – A Roman

Nanotechnology, Gold Bull., 2007, 40(4), p. 270.

[8] Dargaud O., Stievano L., Faurel X., A new procedure for the productionof red purples at the Manufacture nationale de céramiques de Sèvres,Gold Bull., 2007, 40(4), p. 83.

[9] Thompson D., Michael Faraday’s recognition of ruby gold: the birth ofmodern nanotechnology, Gold Bull., 2007, 40(4), p. 267.

[10] Turkevich J., Colloidal Gold, Parts I and II, Gold Bull., 1985, 18(86),p. 125.

[11] www.journal-officiel.gouv.fr/bases-de-donnees-jo.html, objectifs etorganisation pédagogiques des TIPE : arrêté du 11.03.98, JO du19.03.1998 et du 19.09.1999 ; www.education.gouv.fr/pid230/textes-officiels.html, BOEN n° 14 du 02.04.1998 et arrêté du 02.09.1999.

[12] www.scei-concours.fr/cadre_tipe.htm, règlement de l’épreuve, noticecomplémentaire, rapp.

[13] Cabane B., Formulation des dispersions. Formulation, Techniques del’Ingénieur, 2003, J 2 185.

[14] Cabane B., Hénon S., Liquides : solutions, dispersion, émulsions, gels,Belin, Collection Échelles, 2003.

[15] Roux D., Les colloïdes, Encyclopédie Universalis, 2006.[16] Amiens C., Chaudret B. Synthèse de sols d’argent et d’or, BUP, 2001,

831, p. 301.[17] Turkevich J., Stevenson P.C., Hillier J., J.C.S. Discuss. Faraday Soc.,

1951, 11, p. 55.[18] Terrien C., Approche théorique de la coloration du verre rubis à l’or,

Le Bup, 2008, 902, p. 317.[19] http://fr.wikipedia.org/wiki/Diffusion_Rayleigh.[20] Daniel M.-C., Astruc D., Chem Rev., 2004, 104, p. 293 et références

citées.[21] Eustis S., El-Sayed M.A., Chem. Soc. Rev., 2006, 35, p. 209 et

références citées.[22] Sakura T., Nagasaki Y., Colloid Polym. Sci., 2007, 285, p. 1407.[23] Kreibig U., Fragstein V., Z. Phys., 1996, 224, p. 307.[24] Keating C.D., Musick M.D., Keefe M.H., Natan M.J., J. Chem. Ed., 2007,

76, p. 949 (www.chem.wisc.edu).

Katia Fajerwergest maître de conférences à l’Université Paul Sabatier*.Julien Lalandeest professeur de classes préparatoires au Lycée Chaptal**.Sabrina Zhuancienne étudiante au Lycée Chaptal2, en 2e année declasses préparatoires PC, elle est actuellement élève à l’Écoledes ingénieurs de la Ville de Paris.

* Laboratoire de chimie de coordination, UPR 8241, UniversitéPaul Sabatier, Toulouse 3, 205 route de Narbonne, 31077Toulouse Cedex 04. Courriel : [email protected](ancienne adresse : Laboratoire de réactivité de surface, UMR7609, Université P. et M. Curie, Paris 6, 4 place Jussieu, 75252Paris Cedex 05).

** Lycée Chaptal, 45 boulevard des Batignolles, 75008 Paris.Courriel : [email protected]

K. Fajerwerg S. ZhuJ. Lalande