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Enseigner en classes

hétérogènes

Jean-Michel Zakhartchouk

Direction éditoriale : Sophie Courault

Édition : Sylvie Lejour

Coordination éditoriale : Maud Taïeb

Relecture – correction : Carole Fossati/Maud Taïeb

Composition : Maryse Claisse

© ESF éditeur, 2014 Division d’Intescia

52, rue Camille-Desmoulins 92448 Issy-les-Moulineaux Cedex

www.esf-editeur.fr

ISBN : 978-2-7101-2940-0 ISSN : 1158-4580

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2e et 3e a, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction inté-grale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou ses ayants droit, ou ayants cause, est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

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Sommaire

Avant-proposDe la classe homogène à la classe hétérogène : du primat de l’enseignement au primat de l’apprentissage . . . . . . . . . . . 5

Un défi stimulant Comment gérer l’hétérogénéi té ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

1. L’hétérogénéité peut être une chance !La richesse des classes hétérogènes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

L’hétérogénéité, qu’est-ce que c’est au juste ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

Pistes d’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

Des enseignants différents, des élèves différents . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

Inventaire de différences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

2. Savoir où on va et où on veut faire aller !Avant de tracer des chemins, bien cerner le but . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

Ce qu’on enseigne et ce qui doit être appris par tous . . . . . . . . . . . . . . . 37

Des connaissances aux compétences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

Une référence : le socle commun . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47

3. Face à la diversité, varier la pédagogieIl n’y a pas une seule approche ou une seule méthode . . . . . . . . . . . . . . 53

Des approches différentes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53

Des moyens d’introduire de la variété . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71

4. Tenir compte de besoins différentsLa réalité des classes impose une pédagogie différenciée . . . . . . . . . . . . 79

Pas tous en même temps, sur la même chose… . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79

Des niveaux de difficulté différents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89

Un autre pôle de différenciation : les supports . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96

5. Choisir les bons temposOn n’avance pas tous au même rythme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99

Varier : temps longs/temps courts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99

Chacun son rythme… jusqu’à un certain point ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105

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6. Organiser la classe autrementPlusieurs agencements sont possibles 115

La constitution de la classe 115

Un vaste champ des possibles 121

Travail par cycles, classes multi-âge 124

7. Évaluer les progrès de chacunDes capacités à faire émerger, des acquis à valoriser 131

Bien poser le problème, définir des niveaux d’exigence 131

Tenir compte de l’hétérogénéité 141

8. La classe qui intègre et inclut tout le mondeCe n’est sûrement pas facile, mais quel beau défi ! 147

Des écueils à surmonter 147

Dans la classe ordinaire, comment faire ? 151

Le cas des enfants intellectuellement précoces 154

9. Être un passeur culturelEmprunter des chemins de traverse 161

Se frotter à la culture, grâce aux ruses pédagogiques 161

Des projets collectifs où chacun est partie prenante 168

10. Accompagner dans et hors de la classeAvec les plus fragiles, les aider... à se passer d’aide 177

Accompagner au sein de la classe 177

Un suivi personnalisé 184

11. Faire avec l’hétérogénéité, ça s’apprendL’indispensable formation des enseignants 191

Quelques grands objectifs d’une formation à plus de variété pédagogique 192

Des moyens pour rendre les formations efficaces 193

Un exemple de dispositif de formation : la « démarche créative » 196

Les défis de demain 200

Conclusion Pas de recette miracle, bien sûr ! 205

Quelques ouvrages 213

Les Cahiers pédagogiques et la gestion de l’hétérogénéité 215

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Avant-propos

De la classe homogène à la classe hétérogène : du primat de l’enseignement

au primat de l’apprentissage

Dans le grand récit national sur l’École, Jules Ferry appa-raît comme « le père fondateur ». Ce qualificatif est, bien évi-demment, mérité s’agissant de la laïcité et de l’universalité de l’« instruction publique ». Pour autant, la « forme scolaire », dominante aujourd’hui et qui structure nos institutions autant qu’elle façonne nos représentations collectives, a, de toute évidence, été stabilisée bien avant : d’une part, au moment de la création du lycée par Napoléon – qui reste l’« institution reine » de l’Éducation nationale et modélise largement le col-lège –, et, surtout, dans les années 1815-1845, au moment de la Restauration et de la Monarchie de Juillet

Rappelons, en effet, qu’au début du xixe siècle, il existait trois « modes pédagogiques » : le « mode individuel », le « mode mutuel » et le « mode simultané ». Le « mode individuel » était le plus fréquent : dans des classes aux effectifs aléatoires (l’ab-sentéisme était très important), le maître faisait venir auprès de lui, successivement, chaque élève pour lui donner une leçon et lui prescrire un exercice. Le « mode mutuel » était structuré autour de l’utilisation de « moniteurs » qui, au sein d’une orga-nisation minutieuse et réglée « à la baguette », enseignaient à des élèves moins avancés, dans des classes hétérogènes ; chaque matin, le maître formait les moniteurs et leur donnait les consignes nécessaires pour effectuer au mieux leurs tâches

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Avant-propos

de la journée. Enfin, il existait le « mode simultané », inspiré de Jean-Baptiste de La Salle et de son manuel de 1719 sur La conduite des écoles chrétiennes ; il s’agissait là de regrouper les élèves en niveaux les plus homogènes possibles (trois, au moins, pour l’école primaire) et d’organiser l’enseignement de manière à ce que tous les élèves d’une même classe fassent tous la même chose en même temps sous l’autorité du maître.

C’est Guizot, ministre de l’Instruction publique en 1833, qui, après avoir été tenté, un temps, par le « modèle mutuel » – de toute évidence plus économique – va imposer le « modèle simultané ». Il sera soutenu par les conservateurs et par l’Église catholique : les uns et les autres craignaient, en effet, que le « mode mutuel » ne laisse les élèves échapper à l’autorité du maître, à sa parole et à son regard, à son nécessaire contrôle sur les esprits. Guizot – qui veut faire de l’éducation une « affaire d’État » – pense l’institution scolaire sur le modèle pyramidal et hiérarchique qui, du cabinet du ministre à la moindre activité de l’élève, permet de construire l’unité nationale. C’est dans cet esprit qu’il crée le Manuel général, ancêtre de notre Bulletin officiel, et développe les Écoles normales. C’est ainsi qu’il pro-meut une politique scolaire fondée sur le paradigme de la classe homogène1.

Mais ce qui était historiquement compréhensible s’est pro-gressivement enkysté au point de devenir, chez beaucoup, une « essence éternelle et immuable » : la classe homogène est ainsi devenue quasiment consubstantielle à l’institution scolaire et l’on n’imagine pas facilement qu’on puisse enseigner aujourd’hui autrement qu’avec des élèves de même niveau qui exécutent de

1. Sur la querelle des méthodes et la construction du modèle de la classe homogène comme modèle hégémonique de l’école, je m’inspire des travaux récents de Sylvie Jouan à l’université Lumière-Lyon 2 et qui doivent faire l’objet d’une publication prochaine : Histoire et persistance du paradigme de la classe homogène.

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Avant-propos

concert les mêmes tâches dont la principale – et de très loin ! – reste d’écouter le professeur !

Pourtant, on voit bien que ce modèle ne fonctionne guère, tant il génère de dysfonctionnements : ennui et perte de temps des uns, retard des autres, redoublements inutiles, ignorance puis exclusion de toute différence, mise en place d’un proces-sus implacable de distillation fractionnée, création de classes- ghettos qu’on finit toujours par remplir avec « le dernier wagon » sans voir qu’une fois celui-ci décroché, il y a encore un « dernier wagon » qui le sera bientôt ! Bref, en faisant de la classe homogène le « collectif idéal » de l’institution scolaire, on privilégie la logique de l’enseignement à celle des apprentis-sages : on fournit aux maîtres des auditoires acceptables quand l’enjeu, aujourd’hui, est de donner aux élèves de véritables « entraîneurs » pour leurs apprentissages et leur émancipation

Autant dire que l’ouvrage que nous présente ici Jean-Michel Zakhartchouk constitue un outil de réflexion et un ensemble de pistes d’action particulièrement utiles. En s’appuyant sur les travaux des Cahiers pédagogiques, il nous offre des pers-pectives pour agir au quotidien et construire ensemble une nouvelle École, enfin centrée sur les apprentissages et la for-mation citoyenne de nos élèves. Une École où les différences ne soient pas des occasions de discriminations, mais un moyen pour construire de vraies solidarités Ce livre, parce qu’il défend un nouveau paradigme organisationnel de notre institution scolaire, parce qu’il montre qu’il est possible, aujourd’hui, de le mettre en œuvre, constitue ainsi un élément essentiel de la si nécessaire « refondation » de l’École.

Philippe Meirieu

Ont participé à cet ouvrage :

Sylvie Abdelgaber, Maya Akkari, Isabelle Andriot, Sylvia Arlettaz, Jean-Pierre Astolfi, Jacques Bert, Clotilde Boyer, Florence Castincaud, Éveline Charmeux, Annie Chiffoleau, Françoise Clerc, Sylvain Connac, Carole Coquin, Catherine David, Florian Degrain, Bruno della Chiesa, Jean-Louis Denizot, Cécile Duffez, Rémi Duvert, Daniel Fauth, Monique Ferrerons, Jean-Pierre Garel, Vincent Guédé, Régis Guyon, Rémi Guyot, Claude Hablet, Anne Hiribarren, Stéphane Hoeben, Catherine Hollard, Philippe Ibars, Nicolas Lacoste, Florence Lalanne, François Le Menahèze, Christelle Lengraad, Marie-Hélène Lerouge, Élodie Maurel, Yannick Mével, Dominique Natanson, Halina Przesmycki, Henri Reymond, Caroline Rousseau, Anne-Marie Sanchez, Francine Saucler, Bruno Suchaut.

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Comment gérer l’hétérogénéi té ?

Un défi stimulant

Existe-t-il vraiment une classe homogène ? N’est-on pas plutôt

dans une fiction : des élèves qui se ressembleraient tellement qu’on pourrait finalement leur enseigner d’une seule voix les mêmes choses en même temps au même rythme ? Certes, il existe des classes plus hétérogènes que d’autres, bien entendu, mais les différences de niveau et d’acquisition ne sont qu’une manière parmi d’autres de distinguer les élèves les uns des autres.

En fait, quand les enseignants se plaignent de l’hétérogénéité, c’est surtout parce qu’il y a trop d’élèves en difficulté, davan-tage d’homogénéité « par le haut » ne les dérangerait pas. C’est plutôt le poids de ces élèves qu’il faut accompagner, à qui il faut faire accepter les règles du fonctionnement scolaire habituel, qui pose problème.

☛☛ Les différentes facettes de l’enseignement en classes hétérogènes

Donc, nous sommes là au cœur d’une question essentielle pour notre école française qui ne va pas très bien et qui a du mal à faire progresser au moins le quart le plus faible de l’ensemble des élèves. De plus, elle n’arrive plus guère à élargir un cercle des élites de plus en plus restreint et peu mixte socialement. La solution rêvée par certains serait de mettre fin à l’hétérogé-néité (toute relative d’ailleurs) qui existe aujourd’hui au profit de classes de niveau, de sélection accrue et de séparation pré-coce « du bon grain et de l’ivraie ». En croyant, ou faisant croire,

Un défi stimulant

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que cela profiterait aussi aux plus faibles qui auraient alors un parcours adapté, bénéficierait d’un rythme plus lent, etc. Or, cette formule ne marche pas pour ces derniers, comme nous le montrent plusieurs études, nous le verrons. La ségrégation est à la fois inacceptable dans un pays comme la France d’aujourd’hui et en fin de compte inefficace.

Mais les classes hétérogènes ne peuvent être fécondes que si les enseignants qui les ont à charge ont développé les compé-tences nécessaires pour gérer cette fameuse hétérogénéité, qui est tout simplement la résistance de la réalité à la construction d’élèves « idéaux », ceux des programmes scolaires et de bien des manuels.

Or, les Cahiers pédagogiques proposent depuis de nom-breuses années des outils, des comptes rendus d’expériences « qui marchent », des réflexions sur les bonnes méthodes à uti-liser… On en trouve notamment dans les dossiers phares sur la « différenciation pédagogique » parus dans les années 1980 qui restent très actuels, mais depuis longtemps épuisés. D’autres écrits, en particulier autour de l’accompagnement des élèves, dont les plus fragiles, se trouvent en ligne et tout cela forme un ensemble impressionnant pour qui veut s’en servir dans sa pratique.

Aussi nous a-t-il paru pertinent de les regrouper dans cette publication en y ajoutant de nombreux inédits. Nous nous situons dans la perspective du socle commun et de la refonda-tion de l’école, en tirant parti de notre expérience de formateur et de nos réseaux d’enseignants novateurs. Sont également pris en compte des questionnements plus récents sur l’intérêt d’un accompagnement plus personnalisé qu’il faut parvenir à conci-lier avec l’indispensable dimension collective.

Un défi stimulant

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Ce livre présente donc les facettes diverses et nombreuses de cet enseignement en classes hétérogènes, dans une construction cohérente et raisonnée.

D’abord, nous analyserons les différents aspects des… diffé-rences, en ne nous limitant pas à ce qui paraît le plus saillant : la diversité des acquis scolaires.

Nous établirons ensuite les raisons qui nous font plaider pour l’hétérogénéité dans l’organisation des classes, même si celle-ci est forcément tempérée par la sociologie, par la géographie, surtout dans le secondaire, même si des aménagements restent possibles, voire souhaitables si on ne reste pas prisonnier du dogme du fonctionnement unique en « classes ».

Nous poursuivrons avec l’affirmation de la nécessité de pour-suivre des objectifs communs et resserrés si on veut pouvoir pour y parvenir employer des stratégies différentes et des modes de fonctionnement différents selon les élèves que l’on a.

Nous examinerons alors, à l’aide de nombreux exemples de pratiques, les deux façons de gérer en classe l’hétérogénéité : – la diversification ou différenciation successive : élargir notre palette d’outils, de méthodes, de dispositifs pour que tout le monde s’y retrouve ;

– la différenciation simultanée, ou comment ne pas faire faire la même chose au même moment, au même rythme, avec les mêmes méthodes et les mêmes manières d’évaluer.

Certains élèves ont sans doute besoin d’une aide complémen-taire. Dans certains cas, elle peut se gérer dans la classe elle-même (le plus possible est souhaitable), mais elle peut conduire à des moments temporaires d’accompagnement en petits groupes.

Trois situations particulières interpellent notre école, obligent à la différenciation et nous fournissent aussi des pistes pour des situations plus ordinaires en fin de compte :

Un défi stimulant

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– le cas des élèves intellectuellement précoces, dès lors qu’on les intègre à des classes ordinaires et qu’on veut éviter des échecs paradoxaux ;

– le cas des élèves présentant un handicap. Il s’agit là de construire une école inclusive et la présence de ces élèves oblige à plus d’imagination, plus de créativité, outre le fait qu’elle conduit à s’interroger sur la mise en œuvre de valeurs de solidarité et d’entraide dans la classe ;

– le cas d’élèves issus d’ailleurs dans des classes d’accueil, sou-vent très hétérogènes, ou lorsqu’ils s’intègrent peu à peu à des classes ordinaires.

Nous poursuivrons par un aspect important de la prise en compte de l’hétérogénéité : comment bâtir, avec les élèves tels qu’ils sont, différents donc, des parcours culturels communs et particuliers. Dans un précédent ouvrage chez le même éditeur (épuisé), je développais l’image de l’enseignant « passeur cultu-rel ». En donnant ici des exemples de ce que peuvent être les passerelles tendues entre les différentes formes culturelles, on peut aider à l’accession à cette culture commune qui est égale-ment au cœur du socle commun.

Reste à former les enseignants à tout ce travail et nous faisons là aussi quelques propositions, puisqu’il s’agit en fait d’ouvrir la boîte à idées, de se constituer collectivement des outils, en ne visant pas un maximalisme qui serait un alibi d’un conserva-tisme (tout ou rien).

Mais en final, nous rappellerons qu’adopter ainsi le point de vue de la réussite pour tous et du parcours commun le plus loin possible est aussi une prise de position politique, qui s’oppose à l’idéologie de l’égalité des chances qui peut conduire à la sépara-tion entre les élèves méritants et les autres. Le choix de l’hété-rogénéité, c’est aussi celui d’une société qui n’accepte pas les inégalités excessives et, selon la belle expression du sociologue Camille Peugny, les fatalités du « destin au berceau ».

Un défi stimulant

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☛☛ Trois classes, trois modèles…Marc Durand est professeur principal de la cinquième 1 du

collège Marquise de Sévigné dans cette bourgade huppée de la région parisienne. Ses élèves ont pris une option européenne et sont ainsi dans la meilleure classe de l’établissement. Dans ce contexte, oui, on peut vraiment travailler de façon intéressante, mais, voyez-vous, on n’est jamais assez exigeant ! Quelques élèves visiblement n’ont pas assez révisé leur leçon d’histoire et n’ont répondu correctement qu’à quatre questions sur huit, et ils ont été notés sévèrement, car il faut viser l’excellence et ne pas admettre de relâchement, n’est-ce pas ?

En fait, pour Marc Durand, si ces élèves en sont là, c’est parce qu’ils font les efforts nécessaires et que les parents suivent. Certes, ils sont d’un milieu social favorisé, mais pas tous. Deux élèves viennent d’une école d’un milieu plus contrasté et, méri-tants, ont pu accéder à cette classe un peu spéciale qui peut accueillir des enfants hors secteur par dérogation. Comme les autres enseignants de la classe, il s’occupe surtout d’instruire, à un rythme soutenu, grâce à des cours bien construits, rigou-reux et qui se déroulent dans le silence, même si les choses ne sont plus tout à fait comme il y a dix ans. Mais non, ce ne sont pas des cours magistraux, car les élèves ont aussi la parole, ils participent, peuvent donner leur avis. Mais franchement, pour-quoi faire des travaux de groupes ou de la pédagogie sophis-tiquée ? De bons cours, bien classiques, faits par d’excellents professeurs, il n’y a rien de tel !

Fatiah Benraïm a été nommée à 25 ans en Seine-Saint-Denis dans un des collèges les plus difficiles du département. Elle hérite, comme professeure principale, d’une classe de quatrième, espagnol seconde langue, qui se trouve regrouper des élé-ments vraiment difficiles et qui a un niveau déplorable. Elle se demande comment ont été constituées les classes. N’a-t-on pas

Un défi stimulant

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regroupé là les élèves à problèmes ? Ne s’est-on pas débrouillé pour laisser la classe à la nouvelle venue ?

Fatiah fait ce qu’elle peut, elle ne manque pas d’astuces pour s’en tirer le mieux possible. Mais ce soir, elle est un peu décou-ragée. Elle a dû renvoyer deux élèves de cours et les résultats du contrôle de mathématiques ont été vraiment, vraiment désastreux. Et elle ne trouve aucune tête de classe pour stimu-ler un groupe qui alterne passivité et moments de dissipation et d’agitation réduisant considérablement le temps consacré à faire vraiment des mathématiques. Fatiah aimerait au moins un peu d’hétérogénéité, quelques locomotives, quelques exemples d’autres comportements qui pourraient tirer la classe vers le haut. Ce soir, elle a envie de quitter le métier…

Marielle Dubois a plaisir à retrouver sa sixième, plus dyna-mique aujourd’hui que lundi dernier où le cours ne s’était pas très bien passé. Mais aujourd’hui, le travail de groupes organisé autour de contes s’est superbement déroulé. En première par-tie de cours, les plus forts ont bien aidé leurs camarades qu’ils « tutoraient » à écrire le début de leur conte, avant de se retrou-ver à continuer tout seuls. Marielle apprécie d’avoir ainsi deux heures de suite qui permettent une continuité et une variété de dispositifs répondant aux envies différentes d’élèves différents. En fin d’heure, elle a fait appel à des volontaires pour des expo-sés sur des contes lus et a eu la satisfaction d’en avoir quatre (en attendant d’autres plus tard, car tout le monde va y passer !). Les élèves savent que sur les contes, ils seront évalués selon des échelles de compétences. La surprise de début d’année de ne pas avoir de notes s’est bien estompée. Peu à peu, ils prennent conscience que c’est mieux d’évaluer ainsi leurs progrès.

Marielle travaille en équipe dans cette classe où se côtoient des élèves bien différents et le travail sur les contes s’inscrit dans un projet interdisciplinaire avec les arts plastiques et l’éducation

Un défi stimulant

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physique (mais oui ! Ils travaillent aussi sur la voix et le corps pour une petite mise en scène théâtrale de ces contes), un pro-jet passionnant, mais exigeant pour les élèves. Alors on oublie un peu les moments où ça se passe mal, où rien ne se déroule comme prévu et où on a la tentation de revenir sur des pra-tiques beaucoup plus traditionnelles, même si on ne croit pas beaucoup à leur efficacité. La seconde partie du stage à venir, « gérer l’hétérogénéité », permettra de faire le point sur ce qui a été expérimenté. Pas de solution miracle, mais des outils bien intéressants à adapter à la sauce de chacun…

Trois classes, trois « modèles » de ce que peut être aujourd’hui l’enseignement dans notre pays, surtout dans le secondaire : une « bonne classe » dans un établissement choisi, où on ne pratique guère l’innovation pédagogique, parce que, au moins en apparence, « tout roule » ; une classe « faible » à la dérive, où l’innovation pédagogique souhaitée se heurte aux contraintes liées à un mauvais climat scolaire ; une classe hétérogène enfin, qui fonctionne surtout par l’énergie des enseignants qui uti-lisent les potentialités des élèves plutôt que de se centrer sur « le cours ».

Comment ne pas voir bien sûr dans notre tableau notre pré-férence ? Les classes hétérogènes sont souhaitables, sur un plan civique comme sur le plan de l’encouragement à l’innovation pédagogique.

L’objet de ce livre est de transformer cette pétition de prin-cipe, ce pari de l’hétérogénéité en quelque chose de viable, de positif, en source d’espérance pour notre système éducatif contaminé par l’élitisme.

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1. L’hétérogénéité peut être une chance !

Une classe est constituée d’individus tous différents :

banalité que de dire cela. Mais le fantasme existe toujours d’une homogénéité d’enfants et de jeunes ayant laissé au vestiaire leurs préjugés, leurs habitudes, leur être social, leur genre pour devenir vraiment des « élèves » à part entière, indistincts, permettant ainsi au maître, le temps de la classe, d’être « indifférent aux différences ». Il est indispensable de poser un regard sur ces différences, afin d’introduire la nécessité de les prendre en compte quand on enseigne dans une classe hétérogène.

L’hétérogénéité, qu’est-ce que c’est au juste ?

André de Peretti, un des pères de la pédagogie dite « diffé-renciée », a souvent dénoncé la persistance d’un « mythe iden-titaire » dans une école française qui craint le « débraillé » du monde et rêve d’élèves tels qu’ils devraient être et non tels qu’ils sont.

Bruno Suchaut, responsable de l’Institut de recherches IREDU à Dijon, montre comment l’histoire de cette notion vient perturber le cours idéal (ou idéel) des choses pour nous

homogénéité d’enfants et de jeunes ayant laissé au

La richesse des classes hétérogènes

1. L’hétérogénéité peut être une chance !

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ramener à la « vraie vie » qui n’est pas forcément source de dif-ficultés, mais aussi une richesse.

« Le terme d’hétérogénéité a fait, selon lui, son apparition de manière progressive dans le langage courant des enseignants à la suite de l’évolution du système éducatif français. Cette évo-lution s’est traduite sur le terrain par des changements dans la composition du public d’élèves accueilli dans les établisse-ments et la plus grande diversité des élèves est principalement le fait de deux mécanismes. Le premier tient au phénomène de massification du système qui a permis à l’ensemble d’une classe d’âge d’accéder à des parcours scolaires de plus en plus longs. Le second tient à la suppression de certains paliers d’orientation, de filières (et d’une partie des structures d’enseignement spécialisé), mais aussi à une diminution sensible des redoublements.

À cela s’ajoute une évolution sociale, économique et culturelle de la société qui a provoqué des changements dans le rapport des individus à l’école. Une population d’élèves se conforme moins à la norme scolaire traditionnelle. Pour toutes ces raisons, de la maternelle à l’université, le public d’élèves s’est diversifié, tout en donnant lieu à une plus grande difficulté dans l’exercice du métier d’enseignant. Cette hétérogénéité, si souvent mise en avant dans le discours des acteurs, recouvre en fait plusieurs dimensions au niveau des élèves : niveau d’acquisition, capacités cognitives, comportement scolaire, milieu social… La question est alors de savoir si cette hétérogénéité du public d’élèves rend les contextes d’apprentissage moins efficaces. »

☛☛ L’hétérogénéité ne nuit pas à la réussite du plus grand nombre

Pour alimenter la réflexion sur le sujet, Bruno Suchaut rap-pelle quelques résultats majeurs de la recherche en éducation sur cette question.