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Le journal de l'IRD Éditorial n° 44 - avril/mai/juin 2008 3,81 bimestriel l’université de Toulouse comblent ce manque. Ils démontrent pour la pre- mière fois que l’activité humaine est la principale responsable de l’établisse- ment des espèces de poissons exotiques dans les écosystèmes fluviaux. Pour cela, les scientifiques ont analysé des données de présence de près de 10 000 poissons d’eau douce dans 1 055 bassins hydro- graphiques, couvrant à la fois 80 % des terres immergées et 80 % des espèces répertoriées sur la planète. Ils ont identi- fié sept zones particulièrement tou- chées, dans lesquelles les espèces exo- tiques représentent plus du quart des poissons d’eau douce recensés ; la côte Pacifique d’Amérique du Nord et Centrale, la Patagonie, le sud et l’ouest de l’Europe, l’Afrique du Sud et Madagascar, l’Asie centrale, le sud de l’Australie et la Nouvelle-Zélande. T ruite ici, lapin là bas, fleur ailleurs, l’homme s’est em- ployé, depuis qu’il se déplace, à introduire des espèces animales ou végétales dans des lieux où elles n’exis- taient pas. Le phénomène qui répondait à des besoins plus ou moins essentiels, menace les équilibres ; à telle enseigne que la Convention sur la biodiversité de 2002 désignait les introductions d’es- pèces comme deuxième cause de régression de la diversité biologique, juste derrière la destruction des milieux naturels. Mais jusqu’à présent, aucun travail scientifique n’avait permis de mesurer l’implication anthropique à l’échelle de la planète pour un groupe d’espèces donné. Les travaux que vient de publier une équipe de recherche internationale réunissant notamment des chercheurs de l’IRD, du CNRS et de L a crise alimentaire actuelle est l’expression d’un désajustement tendanciel, mondial et régional, entre l’offre et la demande, comme en témoignent la hausse de 60 % en un an de l’indice des prix alimentaires de la FAO et l’explosion des prix des céréales ou des produits laitiers. Les prix actuels présentent un caractère en partie spéculatif, sans doute alimenté par des liquidités orphelines de l’immobilier. Mais ils reflètent aussi des tendances lourdes : pression démographique et urbanisation galopante ; croissance des émergents et explosion de la demande des classes moyennes, hausse des coûts liée au choc pétrolier, concurrence des biocarburants, aléas climatiques – la production céréalière australienne s’est par exemple effondrée après six années consécutives de sécheresse – , et à plus long terme, impact encore incertain du réchauffement sur la production agricole, dont la revue Science donne un aperçu dans sa livraison de février. À court terme, ce désajustement accroît la misère des plus pauvres, notamment dans les villes. Tous les pays ne sont pas identiquement touchés, mais l’aggravation de la pauvreté et les risques humains et sociaux appellent évidemment des mesures d’urgence : aide alimentaire et transferts sociaux ciblés. À long terme, la hausse des prix peut être une chance pour la production agricole africaine, à condition que les producteurs en bénéficient et que les infrastructures permettent l’accès au marché. La recherche et le développement devront tenir une place majeure dans l’adaptation des semences et méthodes de production aux défis du réchauffement climatique, qu’il s’agisse de l’évolution des températures, du stress hydrique, de l’évolution des maladies et des parasites. Dans tous ces domaines, les pays développés ont une responsabilité majeure de financement et d’accompagnement. * Membre du conseil d’administration de l’IRD Le retour de la faim Une récente étude, menée à l’échelle mondiale sur plus de 1 000 fleuves et 10 000 espèces de poissons, a analysé la répartition et les facteurs de contrôle des espèces introduites. L’implantation desdites espèces, potentiellement lourde de conséquences pour les écosystèmes, affecte principalement les fleuves du Nord. Mais les fleuves du Sud, à la biodiversité bien plus riche, sont les prochains menacés. Entretien avec Maureen O’Neil Le Sud est porteur d’innovation Quelle est votre conception du développement des pays du Sud ? La création du Centre de recherches pour le développement international (CRDI) en 1970 reposait sur la ferme conviction que les chercheurs et les inno- vateurs des pays du Sud se devaient de prendre l’initiative de produire des connaissances et de les appliquer au bénéfice de leurs populations. La posi- tion du Canada était la suivante : oui, la recherche constituerait un formidable levier du développement, mais ce serait les pays du Sud qui l’actionne- raient ! En d’autres mots, le Canada, par l’entremise du CRDI, allait épauler le Sud dans sa recherche de solutions en lui apportant un soutien technique et financier. J’ai la certitude que cette façon d’envisager le dévelop- pement est indispensable à l’émancipa- tion des sociétés et à l’émergence de la démocratie. Pouvez-vous nous parler des enjeux qui interpellent le CRDI ? Le CRDI est guidé par les principes du développement durable et équitable, de la lutte contre la pauvreté et de la pro- motion des droits de la personne. Dans cette optique, il considère que la recherche, le savoir et l’innovation au Sud sont les éléments déterminants du développement social, économique et démocratique. C’est pourquoi le renfor- cement des capacités de même que l’ap- pui à l’innovation et à l’essor de la démo- cratie sous-tendent son action. Et pour faire face à ces enjeux, comment agit-il ? Le rôle prépondérant des équipes de recherche des pays du Sud comme arti- sanes du savoir et de l’innovation est au cœur de notre conception du dévelop- pement. Elles doivent être les maîtres d’œuvre de leurs entreprises. Mais pour que ces dernières maîtrisent les outils et méthodes de la recherche, atteignent les Dans ce numéro L’Institut de recherche pour le développement (IRD) et le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) ont conclu un accord de collaboration renforcée. Entretien avec Maureen O’Neil, présidente du CRDI. résultats escomptés et innovent, il faut maintenir le cap sur le renforcement de leurs capacités. Il s’agit de l’un des aspects les plus importants de notre contribution au développement interna- tional : nous investissons dans l’amélio- ration des compétences de nos parte- naires du Sud afin qu’ils puissent mener, gérer et diffuser leurs travaux axés sur la quête de solutions concrètes. La majorité des initiatives que nous finançons pour- suivent ce but, directement ou indirecte- ment. Jean-François Girard et Maureen O’Neil. ©IRD/DR Recherches Onchocercose : préserver les acquis d’une lutte exemplaire. P. 7 Paléoclimatologie : sur les traces des glaciers andins. P. 8-9 Kenya : entre crise territoriale et identitaire. P. 10 Tribune Quelle place pour l’anthropo- logie de l’enfance dans le développement. P. 16 par Pierre Jacquet* Chef économiste à l’Agence française de développement © IRD/A. Laraque Les chercheurs se sont employés à comparer plusieurs hypothèses pour expliquer l’importance de l’invasion de poissons non-natifs dans ces régions. Une faible diversité biologique préexis- tante ouvrait-elle un boulevard aux poissons exotiques ? Ou au contraire, une forte diversité témoignait-elle d’un écosystème très accueillant, qui était aussi favorable aux espèces exotiques que natives ? En fait, il s’est avéré que les conditions environnementales n’in- fluaient guère. La troisième hypothèse envisagée, relative à l’importance de la pression anthropique, était la bonne. Ainsi, ce sont les facteurs humains, et en particulier l’intensité des activités économiques, mesurée par le produit intérieur brut, qui déterminent le nombre d’espèces exotiques d’un bassin hydrographique. Or, si les fleuves du Sud sont encore largement préservés, le bassin de l’Amazone ne compte que 1 % de poissons exo- tiques, le développement attendu de ces régions devrait s’accompagner d’un appauvrissement de leur formi- dable biodiversité. Contact Thierry Oberdorff [email protected] Espèces invasives Une menace pour les fleuves du monde L’Orénoque au Vénézuela. suite en page 15 © AFD

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Le journal de l'IRD

É d i t o r i a l

n° 44 - avril/mai/juin 20083,81 €

bimestriel

l’université de Toulouse comblent cemanque. Ils démontrent pour la pre-mière fois que l’activité humaine est laprincipale responsable de l’établisse-ment des espèces de poissons exotiquesdans les écosystèmes fluviaux. Pour cela,les scientifiques ont analysé des donnéesde présence de près de 10000 poissonsd’eau douce dans 1055 bassins hydro-graphiques, couvrant à la fois 80% desterres immergées et 80% des espècesrépertoriées sur la planète. Ils ont identi-fié sept zones particulièrement tou-chées, dans lesquelles les espèces exo-tiques représentent plus du quart despoissons d’eau douce recensés ; la côtePacifique d’Amérique du Nord etCentrale, la Patagonie, le sud et l’ouestde l’Europe, l’Afrique du Sud etMadagascar, l’Asie centrale, le sud del’Australie et la Nouvelle-Zélande.

T ruite ici, lapin là bas, fleurailleurs, l’homme s’est em-ployé, depuis qu’il se déplace,

à introduire des espèces animales ouvégétales dans des lieux où elles n’exis-taient pas. Le phénomène qui répondaità des besoins plus ou moins essentiels,menace les équilibres ; à telle enseigneque la Convention sur la biodiversité de2002 désignait les introductions d’es-pèces comme deuxième cause derégression de la diversité biologique,juste derrière la destruction des milieuxnaturels. Mais jusqu’à présent, aucuntravail scientifique n’avait permis demesurer l’implication anthropique àl’échelle de la planète pour un grouped’espèces donné. Les travaux que vientde publier une équipe de rechercheinternationale réunissant notammentdes chercheurs de l’IRD, du CNRS et de

L a crise alimentaire actuelle estl’expression d’un désajustement

tendanciel, mondial et régional,entre l’offre et la demande, commeen témoignent la hausse de 60%en un an de l’indice des prixalimentaires de la FAOet l’explosion des prix des céréalesou des produits laitiers. Les prixactuels présentent un caractère en partie spéculatif, sans doutealimenté par des liquiditésorphelines de l’immobilier. Mais ils reflètent aussi destendances lourdes : pressiondémographique et urbanisationgalopante ; croissance desémergents et explosion de lademande des classes moyennes,hausse des coûts liée au chocpétrolier, concurrence desbiocarburants, aléas climatiques –la production céréalièreaustralienne s’est par exempleeffondrée après six annéesconsécutives de sécheresse – , et à plus long terme, impact encoreincertain du réchauffement sur laproduction agricole, dont la revueScience donne un aperçu dans salivraison de février.

À court terme, ce désajustementaccroît la misère des plus pauvres,notamment dans les villes. Tous les pays ne sont pasidentiquement touchés, maisl’aggravation de la pauvreté et les risques humains et sociauxappellent évidemment des mesuresd’urgence : aide alimentaire ettransferts sociaux ciblés.

À long terme, la hausse des prixpeut être une chance pour laproduction agricole africaine, à condition que les producteurs en bénéficient et que lesinfrastructures permettent l’accèsau marché. La recherche et ledéveloppement devront tenir uneplace majeure dans l’adaptation des semences et méthodes deproduction aux défis duréchauffement climatique, qu’ils’agisse de l’évolution destempératures, du stress hydrique,de l’évolution des maladies et desparasites.

Dans tous ces domaines, les paysdéveloppés ont une responsabilitémajeure de financement etd’accompagnement. ●

* Membre du conseil d’administrationde l’IRD

Le retour de la faim

Une récente étude, menée à l’échelle mondiale sur plus de1000 fleuves et 10000 espèces de poissons, a analysé larépartition et les facteurs de contrôle des espèces introduites.L’implantation desdites espèces, potentiellement lourde deconséquences pour les écosystèmes, affecte principalementles fleuves du Nord. Mais les fleuves du Sud, à la biodiversitébien plus riche, sont les prochains menacés.

E n t r e t i e n a v e c M a u r e e n O ’ N e i l

Le Sud est porteur d’innovation

Quelle est votre conception dudéveloppement des pays du Sud ?La création du Centre de recherchespour le développement international(CRDI) en 1970 reposait sur la fermeconviction que les chercheurs et les inno-vateurs des pays du Sud se devaient deprendre l’initiative de produire desconnaissances et de les appliquer aubénéfice de leurs populations. La posi-tion du Canada était la suivante : oui, la

recherche constitueraitun formidable levierdu développement,mais ce serait les paysdu Sud qui l’actionne-raient ! En d’autres

mots, le Canada, par l’entremise du CRDI,allait épauler le Sud dans sa recherche desolutions en lui apportant un soutientechnique et financier. J’ai la certitudeque cette façon d’envisager le dévelop-pement est indispensable à l’émancipa-tion des sociétés et à l’émergence de ladémocratie.

Pouvez-vous nous parler desenjeux qui interpellent le CRDI ?Le CRDI est guidé par les principes dudéveloppement durable et équitable, dela lutte contre la pauvreté et de la pro-

motion des droits de la personne. Danscette optique, il considère que larecherche, le savoir et l’innovation auSud sont les éléments déterminants dudéveloppement social, économique etdémocratique. C’est pourquoi le renfor-cement des capacités de même que l’ap-pui à l’innovation et à l’essor de la démo-cratie sous-tendent son action.

Et pour faire face à ces enjeux,comment agit-il ?Le rôle prépondérant des équipes derecherche des pays du Sud comme arti-sanes du savoir et de l’innovation est aucœur de notre conception du dévelop-pement. Elles doivent être les maîtresd’œuvre de leurs entreprises. Mais pourque ces dernières maîtrisent les outils etméthodes de la recherche, atteignent les

Dans ce numéro

L’Institut de recherche pour le développement(IRD) et le Centre de recherches pour ledéveloppement international (CRDI)

ont conclu un accord de collaborationrenforcée. Entretien avec Maureen O’Neil,présidente du CRDI.

résultats escomptés et innovent, il fautmaintenir le cap sur le renforcement deleurs capacités. Il s’agit de l’un desaspects les plus importants de notrecontribution au développement interna-tional : nous investissons dans l’amélio-ration des compétences de nos parte-naires du Sud afin qu’ils puissent mener,gérer et diffuser leurs travaux axés sur laquête de solutions concrètes. La majoritédes initiatives que nous finançons pour-suivent ce but, directement ou indirecte-ment.

Jean-François Girard et Maureen O’Neil.

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Recherches◗ Onchocercose : préserver

les acquis d’une lutte exemplaire. P. 7

◗ Paléoclimatologie : sur lestraces des glaciers andins.

P. 8-9

◗ Kenya : entre crise territorialeet identitaire. P. 10

TribuneQuelle place pour l’anthropo-logie de l’enfance dans le développement. P. 16

par Pierre Jacquet*

Chef économiste à l’Agence

française de développement

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Les chercheurs se sont employés àcomparer plusieurs hypothèses pourexpliquer l’importance de l’invasion depoissons non-natifs dans ces régions.Une faible diversité biologique préexis-tante ouvrait-elle un boulevard auxpoissons exotiques? Ou au contraire,une forte diversité témoignait-elle d’unécosystème très accueillant, qui étaitaussi favorable aux espèces exotiquesque natives ? En fait, il s’est avéré queles conditions environnementales n’in-fluaient guère. La troisième hypothèseenvisagée, relative à l’importance de lapression anthropique, était la bonne.Ainsi, ce sont les facteurs humains, et

en particulier l’intensité des activitéséconomiques, mesurée par le produitintérieur brut, qui déterminent lenombre d’espèces exotiques d’un bassin hydrographique. Or, si lesfleuves du Sud sont encore largementpréservés, le bassin de l’Amazone necompte que 1 % de poissons exo-tiques, le développement attendu deces régions devrait s’accompagnerd’un appauvrissement de leur formi-dable biodiversité. ●

ContactThierry [email protected]

E s p è c e s i n v a s i v e s

Une menace pour les fleuves du monde

L’Orénoque au Vénézuela.

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Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 44 - avril/mai/juin 2008

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Mais il faudrait former beaucoup plus descientifiques, de spécialistes et de ges-tionnaires compétents au Sud. Lescarences sur le plan des capacités derecherche et d’innovation y sontimmenses. Selon l’OCDE, en 2005, lespays industrialisés ont consacré de 2,5 à4 % de leur produit intérieur brut (PIB) àla recherche-développement (R-D), et lespays du Sud, moins de 0,5 %. En ne sesouciant pas de ces lacunes, les pays duNord commettent une grave erreur. Cequi se passe au Sud les concerne au pre-mier chef. Qu’on pense seulement à lagrippe aviaire et aux changements clima-tiques !

Une tâche colossale, non ?Le CRDI ne peut y arriver seul, car sesmoyens sont modestes. Il mise entreautres sur les partenariats pour mobiliserdes ressources aux fins de l’innovation etdu renforcement des capacités. Ainsi,l’apport de trois organismes subvention-naires canadiens permet au CRDI de for-mer une relève en créant cinq chaires derecherche au sein d’universités de paysdu Sud, chaires consacrées à l’étude desdéfis en matière de développement. Le Programme de partenariat Teasdale-Corti de recherche en santé mondiale,financé par le CRDI et d’autres orga-nismes canadiens, vient d’octroyer plusde 20 millions CAD à quatorze équipesjumelant des chercheurs en santé duCanada avec des homologues de paysen développement. Le Department forInternational Development du Royaume-Uni et le CRDI ont investi 65 millions CAD

afin de renforcer la recherche sur l’adap-tation des collectivités africaines auxrépercussions des changements clima-tiques. La société Microsoft s’est asso-ciée au CRDI pour aider les entreprises delogiciels établies dans les petites villesde l’Inde à concevoir des applicationsadaptées aux besoins du milieu rural.Nous venons de lancer, avec laFondation William et Flora Hewlett,l’initiative Think Tank pour renforcer lescapacités d’un groupe d’organismesindépendants de pays en dévelop-pement, organismes dont les travaux inspireront l’élaboration de politiquespubliques.

Vous dites que vous mettez l’accentsur l’innovation. Quels sont lesrésultats de votre action ?Le renforcement des capacités est la cléde voûte de l’innovation. Nous en vou-lons pour preuve les nombreux résultatsobtenus par les équipes locales que nousavons appuyées au fil des ans. En voiciquelques exemples : des systèmessimples de traitement des eaux grisespour permettre l’irrigation de cultures enJordanie, des moustiquaires imprégnées

d’insecticides fabriquées par desAfricains pour lutter contre le paludisme,un système intégré de gestion de l’envi-ronnement pour prévenir et réduire lesrisques liés aux catastrophes naturellesdans les villes d’Amérique latine. Toutefois, les collectivités du Sud peu-vent profiter de ces innovations seule-ment si les recherches s’inscrivent dansune dynamique qui inclut tout le monde.Le CRDI insiste sur l’indispensable interac-tion de tous les acteurs de la recherche– y compris les bénéficiaires – et des arti-sans des politiques. Ainsi, nous pouvonsfaire «bouger les choses ». Il faut que lesrésultats obtenus se fondent sur desdonnées probantes, sur les réalités duterrain, pour s’incarner dans des pra-tiques et des technologies, pour influen-cer l’élaboration de politiques et de loisqui améliorent de façon tangible lesconditions de vie des populations. EnBolivie, nous avons financé des travauxauxquels ont pris part des collectivitéslocales et qui ont mené à l’adoption, en2004, d’une loi sur l’irrigation mettantfin à des décennies de conflits sur larépartition de ressources en eau. D’ailleurs, ce résultat illustre comment larecherche peut jouer en faveur du déve-loppement démocratique. Elle est pro-pice à la libre investigation, au débat et àla circulation de l’information. Elle élargitla gamme de solutions concrètes, fon-dées sur des données probantes, à laportée des pays du Sud. Elle peut aiderles gouvernements à rendre leurs institu-tions publiques transparentes et vigou-reuses. Le CRDI est fier d’avoir soutenu les tra-vaux ayant mené à ces résultats.Cependant, le Centre est d’avis qu’il fautporter attention à l’ensemble des fac-teurs – aux systèmes – qui favorisent l’innovation au service du développe-ment. S’il est essentiel de promouvoirl’acquisition et l’application des connais-sances au Sud, il est indispensable decomprendre le cadre dans lequel s’inscritle savoir qui fait naître l’innovation: l’apprentissage et l’organisation de l’apprentissage, les meilleurs jumelagesd’organisations et d’intervenants, lesperspectives de ces derniers sur le déve-loppement, la façon dont on intègre laS-T à la société tout entière. Des partena-riats axés sur cette meilleure compréhen-sion permettraient aux divers organismesd’aide d’investir plus efficacement dansl’innovation.

Quels sont les pays dans lesquelsvous intervenez et selon quellesmodalités ?Le CRDI intervient dans 100 pays del’Afrique et du Moyen-Orient, de l’Asieet de l’Amérique latine et des Caraïbes.Toutefois, notre approche est théma-

Planète IR

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Le CRDI, un organisme axé sur le financement de la recherche appliquée au Sud, et par le Sud

Le Centre de recherches pour le développement international (CRDI), unesociété d’État créée par le Parlement du Canada en 1970, est l’un des chefs defile à l’échelle mondiale de la production et de l’application de nouvellesconnaissances pour relever les défis du développement international. Depuisprès de 40 ans, le CRDI collabore étroitement avec les chercheurs des pays endéveloppement et les appuie dans leur quête de moyens de créer des sociétésen meilleure santé, plus équitables et plus prospères.

Les 21 membres de son Conseil des gouverneurs, soit 11 citoyens canadiens et10 provenant d’autres pays, y compris de pays du Sud, veillent à l’orientationstratégique du Centre. Ils sont tous d’éminents chercheurs ou dirigeants dessecteurs public et privé. La composition internationale du Conseil aide à faireen sorte que les programmes et activités du CRDI répondent de façon efficaceaux besoins des pays en développement.

La présidente du CRDI, Mme Maureen O’Neil, dirige les activités de l’organismeavec l’appui du Comité de la haute direction. Afin de remplir son mandat, leCentre compte sur un effectif de près de 450 chercheurs, scientifiques, gestion-naires, analystes et membres du personnel administratif qui travaillent au siègeà Ottawa, et à partir de ses bureaux régionaux situés au Caire, à Dakar, àMontevideo, à Nairobi, à New Delhi et à Singapour.Les employés du CRDI viennent de plus 60 pays.

tique plutôt que géographique, parceque les problèmes de développementauxquels nous nous attaquons transcen-dent les frontières. Nous mettons l’ac-cent sur l’environnement et la gestiondes ressources naturelles, les technolo-gies de l’information et de la communi-cation au service du développement,l’innovation, la politique et la science, etla politique sociale et économique. Nousfinançons des projets de recherche etdes activités connexes qui correspondentà ces thèmes et qui sont conçus et pro-posés par des établissements de pays endéveloppement. Le soutien que nousaccordons a pour point de départ unproblème de développement et non unediscipline universitaire. Les chercheurs etles innovateurs que nous aidons tra-vaillent dans des universités, dans lafonction publique, dans des ONG ouencore dans le secteur privé. Outre lesiège du CRDI, à Ottawa, six bureauxrégionaux veillent à ce que le Centretienne compte des perspectives régio-nales.

Vous avez rencontré récemment ladirection de l’IRD. D’après vous,quelles sont les similitudes d’actionet les coopérations possibles avecnotre établissement ?Je pense que le CRDI et l’IRD sont animéspar une même conviction de l’impor-tance du rôle de la recherche et de l’in-novation au service du développement.Nos deux organismes s’attaquent à desenjeux communs et votre approche,comme la nôtre, est pluridisciplinaire. Ilfaut dire aussi que nos routes se sont

croisées à quelques reprises, au fil de nosprojets. Nous avons collaboré étroite-ment avec un chercheur de l’IRD, leregretté Marc Roulet, associé aux tra-vaux portant sur le mercure enAmazonie, et à d’autres recherches quenous avons financées en Équateur. Unautre de vos experts, Robert d’Ercole,nous aide à renforcer la démarche scien-tifique d’un projet concernant, entreautres, la vulnérabilité aux désastresnaturels dans les bidonvilles de Lima. Nosreprésentants à Dakar discutent actuelle-

QUELQUES DONNÉES SUR LE CRDI

Domaines de programme du CRDI �Environnement et gestion des ressources naturelles

�Technologies de l’information et de la communication au service du développement

�Innovation, politique et science

�Politique sociale et économique

Budget 2006-2007 135,3 millions dollars canadiens (crédits parlementaires)

Partenariats (2006-2007) 27 millions dollars canadiens

Nombre de bailleurs de fonds partenaires depuis 1979 170

Nombre d’établissements de pays en développement financés à l’heure actuelle (au 31 mars 2007) 714

Nombre total d’activités de recherche en cours (au 31 mars 2007) 940

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E n t r e t i e n a v e c M a u r e e n O ’ N e i l

Le Sud est porteur d’innovation

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En Afrique, la recherche appuyée par le CRDI vise à mettre les technologies de l’information et de la communication au service du développement.

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Le CRDI estime que l’égalité des femmes et des filles est essentielle pour que les efforts de développement portent leurs fruits. Ici le district de Thana, État du Maharashtra (Inde).

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WEB www.crdi.ca

À propos de

ment avec ceux de l’IRD pour trouver desmoyens de favoriser la coopération entreles deux organismes et une meilleurecomplémentarité en Afrique de l’Ouest.C’est dans cet esprit que le CRDI et l’IRD

viennent de signer une entente visant àétablir de possibles collaborations danstoutes les régions en développement.Nous sommes persuadés que ce rappro-chement pourra donner lieu à des pro-jets et activités de recherche qui renfor-ceront les capacités des équipes derecherche du Sud. ●

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Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 44 - avril/mai/juin 2008

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l’innovation dans le domaine des bio-technologies.Quinze ans après, les hypothèses d’alorsdivergent grandement de la réalité destransactions. Il était simpliste d’imaginerles différents acteurs de ces marchés,industriels, communautés locales etÉtats du Sud, opérer sur un pied d’éga-lité. La multiplication d’exemples média-tisés de « biopiraterie », qui ont vu desbrevets être abusivement déposés parl’industrie sur des plantes alimentairesou des produits de la pharmacopée tra-ditionnelle, en attestent.

Une manne surestiméePlus que l’accès aux ressources géné-tiques, l’enjeu pour l’industrie pharma-ceutique concerne davantage aujour-d’hui le contrôle des droits de propriétéprotégeant la synthèse de nouvelles

L’idée de réguler par le marchél’exploitation des substancesnaturelles dominait largement

lorsqu’en 1992 quelques 168 pays enadoptèrent le principe à Rio. Lesaccords commerciaux, entre industriedu vivant, alors en plein développe-ment, et communautés détentrices depatrimoines biologiques exploitables,apparaissait comme la meilleure voiepour préserver la biodiversité et leursintérêts mutuels. Nombre de pays duSud pensaient qu’ils détenaient là, à lafois le moyen de voir reconnaître lessavoirs locaux sur leurs ressourcesnaturelles et la possibilité de mettre unfrein à la « biopiraterie ». En outre,cette convention sur la diversité biolo-gique représentait une opportunité dedéveloppement grâce aux transferts detechnologie permettant de participer à

L’étendue et la faible accessibi-lité des régions forestièresguyanaises rendent les

connaissances de base sur cette zoneamazonienne encore très partielles. Leprogramme Carefor (Caractériser l’éco-système forestier guyanais pour mieuxle gérer) visait à combler en partie ceslacunes. En 2006 et 2007, une équipede l’Unité botanique et bioinforma-tique de l’architecture des plantes(Amap)2, a effectué plusieurs missionsde trois à quatre semaines dans dessites isolés et peu connus du sud de laGuyane. Dans l’impossibilité d’atterrirfaute de clairière, l’hélicoptère déposaitavec tout leur matériel les deux cher-cheurs et les trois techniciens sur uninselberg – relief rocheux en grandepartie dénudé – et les y reprenait auretour.Sur quatre sites explorés, l’équipe aprocédé à un relevé botanique quanti-tatif des arbres dont le diamètre dutronc à hauteur de poitrine dépassait10 cm, avec collecte d’échantillonspour identification à l’Herbier deGuyane. Les surfaces inventoriées surchaque site consistaient en trois par-

celles d’un hectare, localisées au GPS etdistantes de 0,5 à 1 km. Les arbres yont été étiquetés, positionnés, mesuréset identifiés. En outre, deux sondages etdiagnostics pédologiques par parcelleont été pratiqués. Ces différents relevéspermettent d’analyser la structure de laforêt – via la densité en tiges et la distri-bution par taille de diamètre –, la spéci-ficité de sa diversité ainsi que lacomposition floristique.Les quatre sites, plus deux précédem-ment documentés, sont sur une lignenord-sud de 300 km qui correspond à ungradient climatique, le sud étant moinspluvieux que le nord (2 000 mm/ancontre 4 000 mm/an). Cette zone ayantle même socle granitique, ce paramètregéologique n’est pas une variable àsurveiller. Ces inventaires sont en cours de traite-ment mais des résultats préliminairessont désormais accessibles. Ils confir-ment l’hypothèse d’un fort contrasteentre le nord et le sud en termes decomposition floristique et de diversité –distribution du nombre d’individus parespèce, ce qui fait apparaître celles quisont dominantes. Les familles domi-nantes dans le nord (Lecythidaceae,Caesalpiniaceae, Chrysobalanaceae)sont rares au Sud, où elles sont rempla-cées par les Burseraceae et lesMimosaceae, plus adaptées à la relativesécheresse du climat. En outre, tandisque les forêts du massif des Tumuc-Humac, à l’extrême sud, sont trèsriches en espèces, celles de la vaste

pénéplaine du centre-sudont une diversité faible pourla Guyane, de l’ordre de 100 espèces par hectarecontre 170 en moyenne aunord. ●

1. Le programme Carefor, financépar le 12e contrat de projets État-région en Guyane (2001-2006) et par leFonds National pour la Science, s’estachevé en octobre 2007 avec une der-nière mission dans le massif desEmerillons. 2. Amap : UMR CNRS/ Cirad/ Inra/ IRD/Université Montpellier 2.

ContactsJean-François Molino, IRD

[email protected] Sabatier, IRD

[email protected]

[email protected] - 213, rue La Fayette -F - 75480 Paris cedex 10Tél. : 33 (0)1 48 03 77 77Fax : 33 (0)1 48 03 08 29

http://www.ird.fr

Directeur de la publicationMichel LaurentDirectrice de la rédactionMarie-Noëlle FavierRédacteur en chefManuel Carrard([email protected])avec Olivier DargougeComité éditorialJacques Charmes, Bernard Dreyfus,Nathalie Dusuzeau, Yves Duval, J.-F. Girard,Günther Hahne, Daniel Lefort, Rémy Louat, Christian Marion, Jacques Merle, Georges de Noni, Stéphane Raud, Pierre SolerRédacteursFabienne Beurel-Doumenge([email protected])Olivier Blot ([email protected])Ont participé à ce numéroOuidir BenabderrahmanCorrespondants Jacqueline Thomas (Dakar) Mina Vilayleck (Nouméa)Photos IRD – Indigo BaseDaina RechnerDanièle CavannaPhotogravure, ImpressionIME, 3, rue de l’Industrie, 25112 Baume-les-DamesTél. : 03 81 84 11 78ISSN : 1297-2258Commission paritaire : 0909B05335Dépôt légal : mai 2008Journal réalisé sur papier recyclé.

Le journal de l'IRD

La Convention sur la diversité biologique, adoptée lors du Sommet de la Terre à Rio en 1992, tablait sur les marchés pour protéger la biodiversité et garantir l’équité des échanges entre utilisateurs et détenteurs de cette nouvelle ressource. Une équipe de scientifiques1, sous l’impulsion de chercheurs de l’IRD, analyse le bilan mitigé de ces quinze premières années de pratique.

molécules. La demande de ce secteurporte au moins autant sur des micro-organismes issus des sols et des grandsfonds marins, voire sur les produits dela chimie et des nanobiotechnologies,que sur les « plantes inconnues » desforêts tropicales. Le recours aux savoirslocaux, et plus encore la possibilitépour les populations qui les détiennentd’en tirer parti, semblent avoir été trèslargement surestimés. De plus, du côté de l’offre, la valorisa-tion des ressources naturelles et dessavoirs collectifs s’avère difficile à orga-niser sous un aspect commercial. Lespopulations gèrent en effet des rela-tions humaines avec leur environne-ment, et non des ressources géné-tiques assimilées à des marchandises.Elles ne disposent pas non plus descapacités de négociation avec l’indus-trie. Si le commerce équitable, leslabels ou les indications d’origine géo-graphique permettent de protéger dessavoir-faire locaux, ils ne sont pas

adaptés à la préservation de la biodi-versité. Paradoxalement, le contrôle de l’accèsaux ressources génétiques prôné par laConvention, ignorant la réalité com-plexe des marchés, entrave aujourd’huil’établissement de contrats de « par-tage juste et équitable des avantagestirés de l’exploitation des ressourcesgénétiques ». ●

1. Armelle Caron (Agro ParisTech), PierreGrenand (IRD), Delphine Marie-Vivien(CIRAD), Christian Moretti (IRD), VanessaNuzzo (MEDAD), Michel Trommetter (INRA),Marie-Anne Vautrin (ministère de l’Agricultureet de la Pêche), Franck-Dominique Vivien (uni-versité de Reims-Champagne-Ardennes).

ContactsCatherine Aubertin [email protected]érie Boisvert [email protected] Pinton [email protected]

Les résultats préliminairesdu programme Carefor1

montrent des différencesentre le nord et le sud decette région amazonienne,notamment au niveau de la composition floristique.

Un gène clé dessymbioses végétalesCertains végétaux ont la capacité de sedévelopper sur des sols très pauvres enéléments minéraux. Cette faculté résul-tant d’une symbiose au niveau de leursracines avec des bactéries fixatricesd’azote (Rhizobium ou Frankia) et deschampignons mycorhiziens, améliorefortement leur nutrition azotée et phos-phatée. Une équipe de l’IRD1, en collabo-ration avec un laboratoire de l’universitéde Munich, s’attache depuis plusieursannées à décrypter les mécanismes dereconnaissance à l’origine des associa-tions entre végétaux, bactéries et cham-pignons ; Ils ont ainsi découvert qu’undes éléments génétiques des plantesappelés SymRK (pour Symbiosis receptorkinase), nécessaire aux légumineuses(pois, trèfles lurzene...) s’associant avecla bactérie Rhizobium et les champi-gnons mycorhiziens, est égalementindispensable à l’établissemenent de lasymbiose entre l’arbre tropical Casua-rina, plus connu sous le nom de filao, etla bactérie fixatrice d’azote Frankia. Lacompréhension de ces mécanismes estessentielle pour la mise au point de stra-tégies qui permettront un jour de trans-férer ces capacités symbiotiques à desplantes qui en sont dépourvues (blé,maïs, riz, etc.) et de fournir ainsi unealternative à l’apport massif d’engraischimiques aux cultures. ●

1. Unité mixte de recherche « Diversité etadaptation des plantes cultivées »

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La forêt guyanaisese livre peu à peu

B i o d i v e r s i t é

L’illusion d’unmarché régulé

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Plantation de Casuarina (filao) en Inde. Les filao sont utilisés pour la fixation des dunes,

la révégétalisation des sols dégradés, etc.

Un inselberg dans les MontsTumuc-Humac(Guyane)

Carte de la Guyane indiquant les sites desmissions Amap 2006-2007 sur substrat

granitique ainsi que le gradient de pluviométrie.

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Marché aux plantes médicinales le long de la rivière Gama, Bélèm au Brésil.

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Page 4: Espèces invasives Une menace pour les fleuves du monde fileLe journal de l'IRD Éditorial n° 44 - avril/mai/juin 2008 3,81 € bimestriel l’université de Toulouse comblent ce

Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 44 - avril/mai/juin 2008

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C hassés par les violences, prèsde 600 000 habitants de laCôte d’Ivoire originaires du

Burkina Faso, dont de nombreuxenfants, ont pris le chemin du retour en2002-2003. Les conditions de la scolari-sation des nouveaux venus sont, encoreà ce jour, loin d’être réunies. Leur besoinéducatif, leur niveau scolaire, les capaci-tés du système d’enseignement burki-nabé à les intégrer, l’accueil réservé parles enseignants et les élèves méritaientun état des lieux. Celui-ci montre quel’afflux de réfugiés a au plan national unimpact assez faible sur l’enseignement

primaire, secondaire et supérieur. Enrevanche, il apparaît très fort dans cer-taines régions du pays. Ainsi, sur 1 mil-lion d’élèves inscrits à l’école primaireen 2005-2006, seuls 20 000 venaientde Côte d’Ivoire, la plupart dans desécoles du sud-ouest du pays. Et là, s’ilsont constitué pour les écoles de broussepeu fréquentées l’assurance d’un effec-tif convenable, ils sont venus aucontraire amplifier la surcharge déjàinquiétante des écoles urbaines. Celasuscite, encore aujourd’hui, une réti-cence parfois vive du corps enseignant àles accueillir, sans moyens supplémen-

La crise qui déchire la Côte d’Ivoire depuis septembre 2002impacte le système éducatif burkinabé. Ce pays voisin n’a pas toujours pris la mesure des enjeux et des défisinduits par la présence de cette arrivée massive de rapatriés.

taires. Six années après le déclenche-ment du conflit ivoirien, il n’existe tou-jours pas de statistiques fiables etexhaustives permettant de connaître leniveau de scolarisation des enfants etdes jeunes rapatriés au Burkina Faso. Sile système éducatif burkinabé réagitaussi mal à l’intégration scolaire desjeunes victimes du conflit ivoirien, c’estqu’il est déjà fragile et saturé. C’estaussi une question de volonté politique. Au-delà des mesures d’urgence adop-tées en 2002-2003, aucun plan nationalconcerté n’a pris en charge la formationdes enseignants ou l’accompagnementd’élèves en situation de détresse psy-chologique et familiale. Ainsi, de fortesinterrogations naissent de ce que leschercheurs, auteurs de ces enquêtes,qualifient de « processus d’invisibilisa-tion des populations déplacées ». Àforce d’être ignorée, la nature positiveou négative de l’impact du conflit ivoi-rien sur les taux régionaux de scolarisa-tion risque de ne jamais être connue.Sans cet indicateur, les politiques d’édu-cation continueront à se développer surla base de projections démographiquesfausses, avec pour cibles des popu-lations aux profils généraux et nonspécifiques.

« diaspos » contre « tengas » :tension à l’université Ces migrations forcées posent d’autresquestions sur l’éducation et la sociétéburkinabé. La possibilité de conflitsentre populations déplacées et popula-tions autochtones est un risque nonnégligeable. Déjà à l’université, leterme de « diaspos », qui désignait

depuis longtemps les étudiants venusde Côte d’Ivoire, a pris une connota-tion franchement péjorative. En ripostede quoi, les étudiants qui n’ont jamaisquitté le pays se voient à leur tour dési-gnés sous les termes dépréciatifs de« tengas » (terriens) ou de « tché-tchènes ». Ces tensions, qualifiées de« conflictogènes » par des chercheurset des universitaires burkinabés, sou-lèvent le problème de la constructiondu lien social entre des populations auxprofils différents et contraintes à coha-biter. Elles posent aussi la question durôle que l’éducation doit jouer dans laprévention des conflits, et celle, en par-ticulier, de la refonte des contenusd’enseignement suite au conflit ivoi-rien. Plus globalement, l’évaluationnuancée de l’impact du conflit ivoiriensur l’éducation au Burkina Faso conduità interroger le regard que cette sociétéporte sur elle-même, sur son histoiremigratoire et sur ses jeunes. Les jeunes« diaspos » lancent de nouveaux défisà la société burkinabé : ceux de leurintégration éducative et sociale. ●

UR « Savoirs et développement ».

ContactsÉric Lanoue [email protected] Pilon [email protected] Yaro : [email protected]

En savoir plusAprès l’Urgence. Les conséquenceséducatives du conflit ivoirien au BurkinaFaso, film-documentaire, 52 mn, DVD,coproduction IRD (DIC, service audio-visuel) et Manivelle Productions

La question de la santé indienneau BrésilLes nombreux peuples indigènes du Brésil présentent un état de santé moins bon que la moyenne du pays.

L’amélioration des conditionsde santé constitue, après larégularisation foncière de

leurs territoires, la principale revendica-tion des peuples indigènes au Brésil. Lasanté ne peut, toutefois, être réduite àla simple absence de maladie. Elle est leproduit de facteurs socioculturels etéconomiques tels que, par exemple,l’intégrité du territoire traditionnel, lapréservation de l’environnement et dessystèmes médicaux traditionnels (de laculture comme un tout) et l’autodéter-mination politique. Elle n’est donc passeulement le résultat de l’assistancesanitaire.Au nombre de 227 et pour unepopulation totale estimée à quelque600 000 personnes (soit 0,4 % de lapopulation brésilienne), les peuplesindigènes au Brésil présentent unegrande diversité. Elle s’exprime sur leplan linguistique, social et culturel, lemode de subsistance et d’adaptation àl’environnement, la densité démogra-phique et la répartition spatiale, ledegré de mobilité, mais également

selon l’ancienneté et l’histoire ducontact avec les Blancs, y compris ausein d’un même territoire. En outre,l’environnement dans lequel ils viventprésente une grande variabilité entermes de ressources génétiques et demicroorganismes. Des caractéristiquesqui influent sur l’état de santé des dif-férents groupes ainsi que sur leurréceptivité aux actions et projets desanté et qui interdisent, en ce sens,toute tentative de généralisation. L’état de santé des populationsindiennes au Brésil est pire que celui dela population brésilienne. Et pourcause, les taux de mortalité sont quatrefois supérieurs à la moyenne brési-lienne. Un nombre important de décèsest non enregistré ou l’est pour des rai-sons inconnues avec une mortalité éle-vée dans la tranche d’âge de 1 à 5 ans.De plus, il a été observé une prédomi-nance d’infections respiratoires aiguëset de maladies infectieuses techni-quement contrôlables (tuberculose,paludisme, rougeole, grippe…), uneincidence élevée d’anémie et de sous-

nutrition et une incidence moindre demaladies de nature chronique-dégéné-rative (obésité, hypertension artérielle,maladies cardio-vasculaires, diabète,etc.). Des disparités dans l’état de santéselon les groupes ont aussi été rele-vées. Par exemple, le profil épidémiolo-gique de groupes en contact récentavec la société nationale diffère decelui de groupes dont les contacts sontplus anciens et ont conduit à des chan-gements importants dans leur culture,leur mode de vie ou dans leur environ-nement. Ainsi, il y a une prédominancedes maladies infectieuses dans les pre-miers et une superposition des mala-dies dégénératives (diabète, hyperten-sion artérielle, obésité, cancer,maladies cardio-vasculaires) aux mala-dies infectieuses chez les seconds. Desdifférences significatives sont aussinotées entre les différents groupesd’une même région, voire à l’intérieurd’un même groupe. ●

ContactDominique [email protected]

La Bibliografia crítica da saúdeindígena no Brasil1 (1844-2006)Cette bibliographie rassemble desdonnées sur plus de 160 ans derecherches en biologie humaine eten santé effectuées parmi les popu-lations indiennes au Brésil. Elletémoigne de leur diversité et hautdegré de complexité. Elle contribue,de ce fait, à une meilleure connais-sance des différentes réalités – his-torique, socioculturelle, épidémiolo-gique, etc. – des peuples indigènesau Brésil et, en ce sens, à unemeilleure adéquation et adaptationdes politiques publiques de santéaux contextes locaux. ●

1. Éditions IRD/Abya Yala, Équateur.

B u r k i n a F a s o

L’impact du conflit ivoirien sur le système éducatif burkinabé

Actu

alités

Thons tropicaux en danger ?

L’utilisation massive dedispositifs de concentrationde poisson (DCP), utilisés par les thoniers industrielsdepuis une vingtained’années, peut mettre en péril les populations de thons tropicaux.

En laissant dériver des radeaux en mer,les pêcheurs mettent à profit le com-portement agrégatif de certainesespèces de thons, qui ont pour habi-tude de se regrouper sous des objetsflottants.

Grâce à ces dispositifs de concentra-tion de poissons, les thoniers senneursn’ont plus qu’à retrouver le radeauéquipé d’un émetteur pour s’assurerd’une pêche abondante. Les prisesliées à cette technique, employéedepuis le début des années 1990,représentent le tiers des captures dethon. Elles atteignent même 72 % desprises de listao (bonite rayée), une destrois espèces de thons tropicaux, avecl’albacore et le patudo, à être captu-rées sous DCP.

Les industriels japonais de la transfor-mation des produits de la mer (thonséché) préfèrent, depuis longtemps, lesthons capturés sous des objets flot-tants car ils ont une chair moins grasseque ceux capturés en bancs libres. Deschercheurs de l’IRD, spécialistes des tho-nidés, ont voulu savoir si la pêche sousobjets flottants dérivants pouvaitconstituer un piège écologique pourles espèces de thons tropicaux.

Ce concept de biologie des popula-tions décrit des situations dans les-quelles la population d’une espècechute à la suite d’une modificationsoudaine de son environnement, leplus souvent liée à une activitéhumaine.

Les scientifiques ont donc collectédivers indicateurs biologiques (péri-mètres thoraciques, taux de croissance,contenus stomacaux) et écologique(angle et distance de migration) sur desalbacores et des listaos capturés sousdes objets flottants dérivant dans lesocéans Atlantique et Indien. Ils les ontcomparés aux données recueillies surdes individus de ces deux espèces cap-turés en bancs libres. Il s’est avéré que74 % des listaos capturés sous DCP

dérivants avaient l’estomac vide contre13 % seulement pour ceux pêchés enbancs libres. Des écarts du même ordre(49 % contre 7 %) ont été observéspour l’albacore. Ces résultats établis-sent que les thons regroupés sous DCP

dérivant se nourrissent moins bien queceux qui vivent en bancs libres. Commeà taille égale les premiers sont plusmaigres que les seconds, cela confir-merait un déficit dans l’accumulationde leurs réserves énergétiques lié à unemoindre alimentation.

Utilisant des données de marquage, lesscientifiques ont ensuite comparé lesmigrations des populations de thonstropicaux accompagnant des DCP àcelles des populations non associées. Ilsont constaté que les angles de migra-tion et la distance journalière parcou-rue étaient affectés de manière signifi-cative par la présence d’objets flottantsartificiels. Cela semble indiquer qu’unefois piégés sous les DCP, les thons sontentraînés en dehors de leurs zones devie habituelle. ●

ContactDaniel [email protected]

Indien Maku préparant la poudre verte cérémonielle d’Ipadu.

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Tentes Unicef, mises à disposition des réfugiés et transformées en sallesde classe, dans la région de Bobo-Dioulasso au Burkina Faso.

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