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·.- . . . .LABORATOIRE DE SOCIOLOGIE
D'ANTHROPOLOGIE ET D'ETUDES AFRICAINES
ILASANEA
NUMERO 015
VOLUME 1
Directeur de publication
Albert TINGBE-AZALOU Chef de la Filière Sociologie-Anthropologie,
Ecole Doctorale Pluridisciplinaire
Rédacteur en Chef
IMOROU Abou-Bakari Maitre de Conférences des Universités (CAMES)
Comité Scientifique
Pr. Michel BOKO (Bénin), Pr. Prospère I. LALEYE (Sénégal), Pr. Albert TINGBE-AZALOU MC (Bénin), Pr. Francis AKINDES (Côte
d'Ivoire), Pr. Maxime Da CRUZ (Bénin), Pr. Thomas BIERSCHENK (Allemagne), Pr Yendoukoa Lalle LARE, MC (Togo), Pr. Albert
NOUHOUAYI (Bénin), Gautier BIAOU, MC (Bénin), Pr. Mamoudou IGUE (Bénin), DANIQUE TAMASSE Roger, MC (Togo), MONGBO Rock
(Bénin), Pr. Issiaka KONE (Côte d'Ivoire), Pr. Séri DEDY, Pr. Elisabeth FOURN (BENIN), Alkassoum MAIGA (BURKINA FASO) et Pr. Lolouvou
Foly HÉTCHÉLI (TOGO) , HOUNGNIHIN Rock
Comité de Lecture
Pr Toussaint TCHITCHI (Bénin), Pr. Sylvain ANIGNIKIN Bénin), Pr. Paulin T. HOUSSOUNOU (Bénin), Pr. Albert TINGBE AZALOU, MC (Bénin),
Pr Roch Gnahoui DAVID (Sénégal), IGUE Babatundé Charlemagne (Bénin), MIDIOHOUAN Guy Ossito (Bénin), MEDEGAN Ambroise (Bénin)
Recueil, a2encement et mise en forme des textes
TOGBE Codjo Timothée & SOSSOU Tokandé Romuald
1
DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
UAC, DECEMBRE 2018
DEZAN NUMERO 015, VOLUME 1, 2018
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DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
Toute correspondance est adressée au :
Comité de Rédaction de la revue DEZAN
01 BP 526 Cotonou, République du Bénin
Toute reproduction sous quelle forme que ce soit est interdite et de ce fait
passible des peines prévues par la loi 84-003 du 15 mars 1984 relative à la
production du droit d’auteur en République du Bénin.
ISSN 1840-717-X DU 4ème trimestre
Dépôt Légal N°6378 du 4ème trimestre
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DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
Ce numéro a été réalisé grâce à l’engagement, aux conseils et
observations d’enseignants et chercheurs du Département de
Sociologie-Anthropologie et d’autres entités de la Faculté des
Lettres, Arts et Sciences Humaines de l’Université d’Abomey Calavi.
Nous tenons à témoigner de notre reconnaissance aux Professeurs
Michel BOKO, Guy Ossito MIDIOHOUAN, Ambroise
MEDEGAN, Bertin YEHOUENOU et Maxime da CRUZ.
Dr. TOGBE Codjo Timothée a assuré le recueil, l’agencement et la
mise en forme des textes. Le tout, sous la supervision du Rédacteur en
Chef Dr. Abou-Bakari IMOROU.
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DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
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DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
Sommaire
LES DEFIS SOCIO-ECONOMIQUES DE L’EMPLOI VERT EN AFRIQUE :
UNE ALTERNATIVE POUR LES JEUNES AU BENIN …………………………
ABDOU Mohamed & AHO Edouard
7
LIBERALISATION DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET FACTEURS DE
CONTRE-PERFORMANCE DES ETABLISSEMENTS PRIVES
D’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR AU BENIN …………………………………..
Affo Fabien
25
FACTEURS EXPLICATIFS DE LA SATISFACTION DES CONSOMMATEURS
DE PLANTES MEDICINALES VENDUES DANS LES MARCHES DE
YOPOUGON SELMER: CAS DU MARCHE DE SELMER ……………………….
AINYAKOU Taiba Germaine, KOUADIO Koffi Herman & DIABATE Songui
39
LA CONDITION D’EXERCICE DU SUFFRAGE UNIVERSEL AU TOGO DE
2005 A 2015…………………………………………………………………………
SOHOU ALEZA
53
VERS UNE REDÉFINITION DE L’OBJET DE LA SOCIOLOGIE : QU’EN EST-
IL DU CHANGEMENT SOCIAL ? ………………………………………………..
Amévor AMOUZOU-GLIKPA
75
L’EVALUATION DES APPRENTISSAGES MEDIÉE PAR LES TIC : QUELLES
INTENTIONS D’ADOPTION CHEZ LES ENSEIGNANTS UNIVERSITAIRES
AU BENIN ? ………………………………………………………………………..
ATTENOUKON Serge Armel ; BOKO Gabriel Coovi & TINGBE-AZALOU
Albert
95
LES FACTEURS SOCIOCULTURELS DE LA FAIBLE MOBILISATION DES
POPULATIONS DANS LES CENTRES D’ENROLEMENT DE LA CMU EN
COTE D’IVOIRE : LE CAS DE LA VILLE DE BOUAKE ……………………… COULIBALY Brahima ; COULIBALY Amara & KOUAKOU Yao Edmond
Patrice
125
VILLE INTELLIGENTE A L’ENCRE DE L’EMERGENCE EN COTE
D’IVOIRE: NOUVELLE MODE INSTITUTIONNELLE OU (RE)
CONSTRUCTION PARADIGMATIQUE …………………………………………..
Kabran Aristide DJANE
143
POUR UNE ANALYSE CRITIQUE DE LA PENSEE DE MONTESQUIEU SUR
LE COMMERCE …………………………………………………………………….
FOFANA Chifolo Daniel
159
DIASPORA ET AMELIORATION DES CONDITIONS DE VIE DES FAMILLES
RURALES DANS LA REGION CENTRALE AU TOGO ……………………….… Magnédina MALAMA, Kokou Mawulikplimi GBEMOU & Kokouda AKAKPO
177
INFIDELITE EXTRACONJUGALE ET MAITRISE COMMUNAUTAIRE DE LA
FECONDITE. DROIT DE LA MERE ET MATRIARCAT RESIDUEL EN
SYNERGIE INTERACTIVE AU SUD-BENIN ? …………………………………...
Gilles Expédit GOHY
195
6
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EXPERIENCE DE LA MISE EN ŒUVRE DU CONTINUUM DE
L’EDUCATION DE BASE FORMELLE DANS LE SYSTEME SCOLAIRE AU
BURKINA FASO ……………………………………………………………………
Aimé Désiré HEMA ; Bowendsom Claudine Valérie OUEDRAOGO/
ROUAMBA & Tionyélé FAYAMA
217
TYPOLOGIE DES SUBSTANCES APHRODISIAQUES TRADITIONNELLES
EN COTE D’IVOIRE ET MOTIVATIONS PSYCHOSOCIOLOGIQUES DE
LEUR CONSOMMATION …………………………………………………………
Gbété Jean Martin IRIGO,
251
PRATIQUES DE LA PEDAGOGIE DIFFERENCIEE AU SECONDAIRE AU
BENIN : POUR QUELLES DIFFERENCIATION PEDAGOGIQUE ET
COMPETENCES DE L’ENSEIGNANT ? ………………………………………….
Raphael R. Kelani
269
DETERMINANTS SOCIO-ECONOMIQUES DES DEPENSES DE
SCOLARISATION DANS LES MENAGES AGRICOLES RURAUX DE NIKKI
ET DE N’DALI …………………………….………………………………………..
Esther OGOUNIYI ADIMI, Abdul-Razak KOTCHONI, Jacob A. YABI
291
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EXPERIENCE DE LA MISE EN ŒUVRE DU CONTINUUM DE
L’EDUCATION DE BASE FORMELLE DANS LE SYSTEME
SCOLAIRE AU BURKINA FASO
Aimé Désiré HEMA
Doctorant en Sociologie
Université Ouaga 1 Pr Joseph Ki-Zerbo
Ingénieur de Recherche à la Fondation FJH61, [email protected]
Bowendsom Claudine Valérie OUEDRAOGO/ROUAMBA,
Maître de conférences, Département de Sociologie,
Université Ouaga 1 Pr Joseph Ki-Zerbo, [email protected]
Tionyélé FAYAMA Doctorant en Sociologie
Université Ouaga 1 Pr Joseph Ki-Zerbo
Ingénieur de Recherche à l’INERA/CNRST62, [email protected]
Résumé
Au lendemain de l’indépendance du Burkina Faso, de nombreux programmes
éducatifs n’ont pas conduit à des résultats probants. Cette situation s’explique
sans doute par une définition inadaptée des politiques publiques nationales de
l’éducation. Les approches jusque-là déployées n’ont pas pu satisfaire les
attentes suscitées.
Dès lors, ne sied-il pas de rechercher de nouvelles démarches ? C’est dans
cette optique que le continuum qui se veut une réforme quantitative et
qualitative a été mis en œuvre en 2013. Le présent travail met en relief
l’expérience de l’application du continuum dans le système éducatif. Tout en
battant en brèche les politiques antérieures, il situe la place du continuum dans
l’ensemble de l’institution éducative et montre le lien entre l’environnement
social et les rapports à l’école.
Mots clés : politique éducative (réforme), continuum, environnement social,
système éducatif, Burkina Faso.
61 Fondation Femba Joseph HEMA pour la formation technique et professionnalisantes à
Banfora (Comoé) 62 Institut de l’Environnement et de Recherches Agricoles/Centre National de la Recherche
Scientifique et Technologique
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Title: CONTINUUM EXPERIMENT APPLYING OF PRIMARY
FORMAL EDUCATION IN BURKINA FASO’S SCHOOL SYSTEM
Abstract :
In Burkina Faso’s independency days, several educative programs were not
efficient. This failure is mainly caused by the national public education
politics inability. Approaches that are done aren’t laudable so far. To
overcome this hindrance, isn’t it worthy to find others ways out?
By these circumstances that the Continuum, claimed to be quantitative as well
as qualitative was withheld in 2013 in Burkina Faso. This work points out
Continuum applying’s experiment in educative politics.
Upbraiding former politics, it shows how worth the Continuum is, in
Education in general and points out social environment’s feedback towards
the system and its results.
Key words: Educative politics (reform), Continuum, Social environment,
Educative system, Burkina Faso.
Introduction
L’Afrique, à l’instar des autres continents de la planète rencontre d’énormes
difficultés dans la quasi-totalité de ses secteurs de développement à savoir
l’économie, l’éducation, la politique, la santé, etc. Mais, celui de l’éducation
attire le plus l’attention des uns et des autres. Cela s’explique surtout par
l’importance qui paraît être accordée à l’éducation par les décideurs nationaux
et internationaux. Au regard de la place que l’Education occupe dans la
société, elle a toujours été au centre des préoccupations humaines. Ainsi, la
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, en son article 26, la consacre
comme un droit fondamental pour l’homme. Face à ces exigences
internationales, le Burkina Faso n’a pas dérogé à la règle. C’est pourquoi il a
placé l’Education au cœur des priorités nationales63. De même J. KI-ZERBO
(1990, p. 15) a soutenu aussi que : « l’éducation est le logiciel de l’ordinateur
central qui programme l’avenir des sociétés ». Nonobstant cette prégnance, le
système éducatif, connaît d’innombrables difficultés inhérentes à l’atteinte du
taux de la scolarisation primaire universelle.
63 Art 3 de la loi n°013-2007/AN portant loi d’orientation de l’éducation
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Toutefois, il convient de situer tout cela dans la dynamique de l’acteur et de
la stratégie. Ce lien entre l’acteur et la stratégie du développement de
l’éducation est fortement tributaire de l’histoire de notre pays. De fait, le
rapport entre les acteurs de l’éducation et l’institution scolaire joue intimement
au procès sur la promotion du système éducatif en général.
Au-delà de ce constat, le Burkina Faso s’est engagé dans le continuum de
l’éducation de base formelle. Afin d’encadrer juridiquement cette initiative
politique, il a adopté consécutivement des textes majeurs notamment le plan
décennal de développement de l’éducation de base (PDDEB) en 2000, le
programme de développement stratégique de l’éducation de base (PDSEB) et
le programme sectoriel de l’éducation et de la formation (PSEF) en 2012. Cela
a engendré des retombées significatives sur la massification, et sur une
réduction partielle des disparités d’une part, entre filles et garçons et, d’autre
part, entre milieu urbain et rural au niveau de l’Education de base, selon
l’évaluation de la décennie du PDDEB (2000-2009). Ces innovations ont
consacré le continuum avec l’harmonisation des trois ordres distincts de
l’enseignement de base. C’est ce qui a singulièrement retenu notre attention.
Pour notre part, le continuum éducatif est une opportunité pour l’enfant, de
demeurer dans son environnement social, de prolonger sa scolarité de 6 à 16
ans. Ce qui lui confère, un certain équilibre.
Les objectifs poursuivis par la présente réflexion sont :
- montrer les limites des politiques éducatives antérieures ;
- identifier les forces, les faiblesses, les opportunités et les menaces du
continuum caractérisant les tendances majeures des représentations
des différents acteurs ;
- proposer des actions à entreprendre, en vue d’ajuster la mise en œuvre
de la réforme entreprise.
En aboutissant à ces objectifs, ce travail permettra de passer au crible les
différents obstacles à l’offre éducative qui empêchent le développement du
système éducatif. Et dans la foulée, l’on aura apporté un début de solution à
l’échec de l’application du continuum de l’éducation de base formelle au
Burkina Faso qui, a manqué certaines dispositions préalables.
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METHODOLOGIE
L’étude s’intéresse à plusieurs Provinces du Burkina Faso à savoir la
Bougouriba (Diébougou), la Comoé (Banfora), le Houet (Bobo-Dioulasso), le
Kadiogo (Ouagadougou), et le Poni (Gaoua). Les milieux urbain et rural ont
été pris en compte dans l’ensemble de ces sites. Le travail de terrain a consisté
à réaliser une série d’observations et d’entretiens. Pour la collecte des
données, les techniques utilisées sont :
- une recherche bibliographique concernant les archives sur
l’éducation de ces diverses localités étudiées ;
- une enquête par entretien ayant pour cible les différents acteurs
locaux de l’éducation et les responsables relais du ministère de
tutelle ;
- une approche auprès de personnes ressources (questionnaire) a
permis de déterminer des acteurs et groupes pertinents, les
représentations qu’ils se font de l’école et les valeurs attendues
du système éducatif (le lien entre l’acteur et la stratégie) ;
- l’observation participante (directe).
Du reste, elle relève davantage des expériences personnelles de
l’enquêteur du domaine éducatif afin d’étayer les perceptions (opinions)
relatives à certaines théories.
RESULTATS ET DISCUSSION
1. De la remise en cause des politiques éducatives antérieures
L’histoire des réformes et des politiques éducatives du Burkina Faso montre
bien les nombreux balbutiements relatifs aux conjonctures internationales et
nationales et surtout à la volonté politique des gouvernants, et aux objectifs
poursuivis par les acteurs du moment.
Deux époques charnières ont ponctué l’histoire de l’école au Burkina Faso à
savoir celle coloniale et celle postcoloniale. Ce regard rétrospectif de
l’éducation de base permettra de mettre à nu l’essence vacillante des réformes
et de pouvoir comprendre ce qui a caractérisé leur contexte.
1.1. Avant les indépendances : Une Ecole orientée vers la formation
d’élites aux fins de colonisation
L’histoire de l’institution scolaire est intimement liée à l’histoire coloniale du
pays. En effet, l’école en tant que institution formelle fut à la fois l’œuvre des
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missionnaires catholiques et des militaires. Depuis l’occupation de Bobo en
1898, les premières écoles dites indigènes furent pilotées par des militaires
français dans l’attente du personnel enseignant (Bobo, Boromo,
Ouagadougou)64. Après la création de la première école en 1900 à Koupéla
par le clergé, une autre fut créée à Ouagadougou à la demande de
l’administration coloniale en 1902. Ces écoles avaient pour rôle de faciliter la
communication avec les populations locales et de recruter des collaborateurs
indigènes auprès des fils du Chef (R. COMPAORE, 1995).
Outre les missions évangélisatrices et civilisatrices, l’école coloniale fut un
véritable moyen de domination et d’exploitation des colonies par la métropole.
En témoignent les propos de l’ancien Ministre des Colonies Albert
SARRAUT sur le rôle de l’école coloniale en ces termes :
« Eduquer les indigènes est assurément notre devoir… Mais ce devoir
fondamental coïncide en outre avec nos intérêts économiques, administratifs,
militaires et politiques ». (F. SANOU, 1987, p. 7).
Le premier établissement préscolaire fut créé en 1958 à Bobo-Dioulasso au
profit des enfants des militaires français.
Après la seconde guerre mondiale, l’orientation de l’école coloniale va
connaître une légère modification comme le souligne la conférence de
Brazzaville en 1944 :
« Le programme d’éducation des populations indigènes
doit toucher la majorité, doit leur apprendre à mener une
vie meilleure ; en même temps, la sélection sûre et rapide
d’une élite doit être effectuée… Le programme doit être
assuré en français, l’usage des dialectes locaux sera
totalement interdit tant dans les écoles privées que
publiques » SCANLON, 1964 cité par B. SAVADOGO
(2013, p.11).
C’est là le début de la campagne d’acculturation qui va révéler la fonction
aliénante de l’éducation à travers l’école coloniale.
64 L’école de Boromo (Siège d’un détachement militaire) ; « «l’école de cercle » de
Ouagadougou ; à Bobo se trouvait une école régimentaire dirigée par des sous-officiers qui
dispensent les cours aux 22 élèves de la première promotion à travers un interprète
(COMPAORE, 1995) cité par (BAUX, 2007) ; la scolarité a normalement une durée de trois
(03) ans et vise à former les « indigènes » pour mettre en place un début d’administration.
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Pour ce faire, cette nouvelle orientation amène la France a créé un Fonds
d’Investissement pour le Développement Economique et Social (FIDES). Sur
une prévision de 20 milliards de francs pour toute l’Afrique Occidentale
Française (AOF), la métropole arrive à mobiliser 11,3 milliards dont 1,4
milliard pour le territoire de la Haute-Volta (actuel Burkina Faso). L’objectif
visé était de booster le taux de scolarisation qui était de 1,8% en 1947. La
formation d’une nouvelle génération de scolarisés est l’un des buts recherchés
par cette période car trois (03) Plans Quadriennaux furent établis dont le
dernier avait pour ambition de porter le taux de scolarisation de 7,47 % en
1958 à 10% en 1962 à la fin du plan.
Les Plans Quadriennaux avaient une composante « éducation de base » pour
les couches analphabètes ; il s’agissait de l’éducation non formelle qui
s’apparentait à cette forme d’éducation de base qui était assurée par des
instituteurs organisés en groupes mobiles, et équipés de véhicules, d’appareils
audio-visuels, de matériels pour camper, et ce, dans l’optique de parcourir tout
le territoire.
Les établissements secondaires à cette période sont inexistants à l’exception
des séminaires catholiques de Pabré créés en 1925, de Koumi en 1935 et celui
de Nasso en 1946 pour la formation du personnel clérical. Ce volet de
l’éducation coloniale met à nu la fonction ‟civilisatrice et confessionnelle’’ de
l’école. Ainsi, le taux de scolarisation passe de 1,8 % en 1947 à 3,67 % en
1952 et à 6,49 % en 1956 pour les enfants de 6 à 11 ans ; ce qui confirme un
peu les prévisions du plan. De 1948 à 1960, les effectifs sont passés de 9760
élèves à 51490 et le taux de scolarisation de 3 % à 7 % (B. SAVADOGO,
2013, p. 12).
Il convient alors de noter avec force que l’école à cette période servait de
tremplin à la métropole pour former une élite locale capable de soutenir la
petite économie des colonies en construction, tout en sauvegardant leurs
intérêts.
1.2. Après les indépendances : période marquée par une pléthore de
réformes aux résultats peu concluants
Si la période coloniale a vu la naissance de l’institution scolaire, sa
« maturation » survient après les indépendances. Le système éducatif,
désormais entre les mains de l’Etat indépendant, s’est construit sans rupture
avec les bases du passé. En Haute-Volta, au moment de l’indépendance, le
système éducatif scolaire comme le souligne S. BAUX, S (2007, p.191) :
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DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
est encore tout entier à construire tant la scolarisation, au
sortir de la colonisation, est à peine esquissée et le nombre
des infrastructures laissées par les autorités coloniales
faibles. Cependant, les efforts politiques, en la matière, des
gouvernements successifs à la tête de l’Etat sont très
irréguliers et inégaux.
Toutefois, il est donc opportun de mentionner les moments phares qui ont
marqué l’évolution de l’éducation après l’époque postcoloniale.
1.2.1. D’Addis-Abeba à Jomtien (1961 à 1990)
Les réformes et politiques éducatives après les indépendances au Burkina Faso
restent tributaires des grands débats et sommets internationaux sur
l’éducation. En 1961, les jeunes Etats indépendants se sont réunis à Addis-
Abeba à travers leurs ministres en charge de l’éducation pour fixer l’échéance
de la Scolarisation Primaire Universelle à l’horizon 1980.
Au Burkina Faso, les régimes qui se sont succédés ont tenté de relever les défis
de l’Education. On assiste tantôt à la création des écoles rurales en 196165 pour
faire face à l’élitisme de l’institution scolaire qui restait éloigner des
communautés rurales. L’école rurale prône l’introduction des langues locales
afin d’associer les 90% de la population exclue du système classique (B.
SAVADOGO, 2013, p. 13).
Suite aux conclusions d’une évaluation conjointe entre 1972 et 1973 qui
montrent l’échec de l’éducation rurale sous sa forme « scolarisation », celle-
ci fut abandonnée au profit de la Formation des Jeunes Agriculteurs (FJA) en
1974 ; les Centres de Formation des Jeunes Agriculteurs (CFJA) remplacent
les Centres d’Education Rurale (CER) et les Groupements Post-Scolaires
(GPS) deviennent des GJA (Groupement des Jeunes Agriculteurs) et leur
gestion confiée au Ministère en charge du Développement rural propose une
synthèse entre l’éducation rurale et l’enseignement primaire parue sous le
titre : « Etude d’une formule synthèse de l’enseignement de premier degré et
65 Le décret n°237/PRES/EN du 14 juin 1961 crée les Centres d’éducation rurale (CER)
implantés dans les villages qui n’avaient pas d’école classique, ils offrent aux jeunes de 12 à 15
ans une formation de 3 ans en tenant compte du calendrier agricole, et un programme flexible
(de mai à mars) ; les filles avaient un programme différent de celui des garçons. Les élèves des
CER ne redoublent pas et n’obtiennent aucun diplôme à la fin. Les enseignants ont un certificat
d’éducation primaire (CEP) et sont recyclés dans les centres de formation des maîtres
d’éducation rurale (CFMER). Les élèves du CER bénéficient de l’encadrement des organismes
régionaux de développement (ORD) sur le terrain et des groupements postscolaires (GPS) sont
créés pour faciliter leur intégration (B. SAVADOGO, 2013).
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DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
de l’éducation rurale sous la forme d’un enseignement fondamental » ; un
enseignement fondamental de quatre ans ou cycle d’alphabétisation est créé,
et serait simultanément assuré par les écoles primaires régulières (Cours
Préparatoire 1ère année au Cours Elémentaire 2ème année) et les centres
d’éducation rurale de la première à la troisième année66. L’éducation rurale
continue ses mutations ; les Centres de Promotion Rurale (CPR) vont
remplacer les CFJA sur proposition de la Banque Mondiale en 1979. Si les
CPR existent de nos jours, ils fonctionnent difficilement eu égard au coût par
apprenant très élevé (B. SAVADOGO, 2013, p. 14). Les objectifs escomptés
restèrent en deçà des attentes, les CFJA formèrent ainsi officiellement leurs
portes en 1991.
La synthèse entre l’éducation rurale et l’école classique s’est avérée difficile,
tant la seconde est considérée par les populations comme le seul moyen
d’ascension sociale, tandis que la première est vue comme un enseignement
au rabais.
1.2.2. La réforme de 1979
La réforme de 1979, inspirée du rapport du dossier initial en 1976, donne une
autre orientation à l’éducation : «La société de développement communautaire
visée par le gouvernement ambitionne de former un nouveau type de citoyen
doté du sens de la justice et débarrassé de tout complexe, farouche défenseur
de nos valeurs culturelles qu’il apprendra à connaître et à aimer ». Le procès
de l’école ainsi dressé montre son caractère aliénant67, car il y a une absence
de liaison entre l’enseignement et la production, et surtout le cap est mis sur
son côté élitiste. La démocratisation était le souci des promoteurs de cette
réforme :
La réforme sera globale. Il n’y aura pas deux écoles, une
pour les pauvres, l’autre pour les riches ; l’une pour les
citadins, l’autre pour les paysans. Les pères et les mères
d’aujourd’hui qui décident de la réforme décident pour
leurs enfants et non pour ceux du voisin.
66 Les écoliers étaient orientés à l’issue de ce cycle fondamental, soit vers les centres
d’éducation rurale renforcés, soit vers un cours moyen classique ; au cycle respectif de deux
ans de cycle fondamental, les CER étaient ouverts aux élèves sortis de l’éducation rurale ainsi
que ceux du CE2. 67 L’école véhicule des valeurs étrangères d’où l’introduction des langues nationales comme
alternative.
225
DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
L’organisation du nouveau système comprend quatre cycles dont le premier
est préscolaire de 3 ans, le second est un enseignement de base de 8 ans, le
troisième est un enseignement des métiers qui dure 4 ans et le quatre cycle est
un cycle de spécialisation et de recherche.
Cette réforme, nonobstant son appréciation par les évaluations faites par
l’Institut National de l’Education (INE), connaîtra aussi des critiques de la part
des syndicats et des parents d’élèves qui retirèrent leurs enfants de ces écoles
au fur et à mesure jusqu’à leur suspension par l’avènement de la Révolution
Démocratique et Populaire (RDP) en 1983.
1.2.3. La Réforme des années 1980
Sous l’impulsion du Conseil National de la Révolution (CNR), un type
nouveau de citoyen, à travers une école nouvelle, est recherché ; ce qui amène
la suspension de la réforme de 1979. Un nouveau diagnostic de l’école est
posé et les critiques sont similaires à celles faites à la réforme précédente.
L’école est jugée néocoloniale : « pro-impérialiste, acculturante, aliénante et
oppressive pour les classes opprimées et exploitées ». Dans la quête d’une
« école révolutionnaire »68 comme instrument de transmission de l’idéologie
révolutionnaire, les concepteurs adaptent les programmes aux exigences du
développement socio-économique du pays. L’école est donc gratuite et
obligatoire à partir de trois ans.
Un homme nouveau libéré «d’une culture étrangère réactionnaire », mais
aussi débarrassé des « valeurs décadentes de la culture traditionnelle, encore
vivaces dans les milieux ruraux ». Ainsi, la nouvelle structuration du système
prévoit un cycle préscolaire, un cycle de métiers à trois niveaux et un cycle de
recherche et d’innovation. Le passage du niveau fondamental au niveau
polytechnique est automatique : celui du niveau polytechnique au niveau de
spécialisation, puis celui de l’innovation et de la recherche seraient
subordonnés chacun à une étape de production de deux ans. Donc pas
d’exclusion au niveau du cycle fondamental et polytechnique, et la
suppression des diplômes envisagée à travers la délivrance de simples
attestations.
Entreprise onéreuse, cette réforme ne verra jamais le jour et sera remplacée
par celle proposée par la Banque Mondiale, se focalisant sur le primaire qui,
selon les promoteurs a une rentabilité supérieure et incomparable. L’objectif
68 L’appellation du plan quinquennal du Ministère de l’Education Nationale sous la Révolution
226
DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
étant de porter le taux de scolarisation à 30% d’ici 1990 et 60% en 2000. Bilan
mitigé, cette réforme place l’enseignement primaire parmi les premières
priorités des politiques qui suivront (B. SAVADOGO, 2013, p. 20).
Malgré l’échec de la réforme révolutionnaire, le régime a su promouvoir
seulement l’enseignement primaire et l’alphabétisation.
1.2.4. De Jomtien à Dakar (1990 à 2000)
Au lendemain de la Conférence mondiale sur l’Education Pour Tous tenue à
Jomtien (1990), Koudougou abrite un séminaire national en 1993 pour
redéfinir le concept de l’Education de base qui préoccupait plus la Banque
Mondiale. Des Etats Généraux de l’Education sont tenus en 1994 sous le
thème : « Un consensus national pour une éducation efficiente ». Cette
rencontre a permis de faire un diagnostic profond du système éducatif ; on
note un progrès du Taux Brut de Scolarisation du primaire (TBS) qui passe de
16% en 1983 à 31,8% en 1994 (B. SAVADOGO, 2013, p. 22).
Cependant, la demande reste forte et le système semble essoufflé comme
souligne le rapport que : «le système éducatif soit malade relève de
l’évidence ; l’éducation au Burkina Faso montre des signes d’essoufflement ».
De nouveaux objectifs sont fixés à l’éducation de base par les EGE tels que
60% de TBS en 2000 et 100% en 2010.
Les années 1990 et 2000 correspondaient à une période d’expansion scolaire
à travers les injections de JOMTIEN (1990) et par la suite de DAKAR (2000).
L’éducation nationale se soumet aux politiques éducatives mondiales, qui
acculent les Etats à rendre accessible l’éducation de base, à réduire
l’alphabétisme des adultes et des adolescents, et à accroître la qualité et
l’efficacité. La forme de Dakar renchérit en exhortant les pays à faire des
efforts au niveau de l’éducation des filles et des « minorités ethniques » ; alors
que la déclaration du Jomtien ne mentionne pas la gratuité, Dakar souligne
que tous les enfants devraient pouvoir suivre jusqu’au bout « une éducation
de bonne qualité, gratuite et obligatoire ». La vision de l’éducation est élargie,
et est d’ailleurs intégrée la possibilité d’étendre l’éducation de base au
secondaire, et ce, selon les capacités de chaque pays.
Dans ce contexte, ce sont les organisations internationales et interétatiques qui
prescrivent l’agenda et la (les) philosophie (s) de l’école.
Dans le recherche de solutions face aux défis d’universalisation de
l’environnement de base, et faire face aux difficultés infrastructurelles et aux
227
DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
manques de personnel enseignant et de soutien, certaines innovations ont été
promues durant cette décennie. On peut citer les Classes à Double Flux
(CDF)69 et les Classes Multigrades (CMG)70 ; les Ecoles Satellites (ES)71, les
Centres d’Education de Base Non Formelle (CEBNF)72, les Centres
Permanents d’Alphabétisation et de Formation (CPAF)73, et les Ecoles
Communautaires (EOM)74.
C’est ainsi que les EGE ont donné lieu à l’adoption le 19 mai 1996, de la loi
013/96/ADP portant loi d’Orientation de l’Education par l’Assemblée des
Députés du Peuple (ADP). Relue en 2007, elle fait partie des référentiels
d’élaboration du Plan Décennal de Développement de l’Education de Base
(PDDEB) et celui du Programme d’Enseignement Post-Primaire (PEPP1 et
2). Là encore, des insuffisances ont été constatées par rapport à l’offre
éducative qui manquait toutefois d’une bonne planification en adéquation
avec la poussée démographique.
1.2.5. De Dakar à nos jours
Le forum de Dakar (2000) a réaffirmé la priorité de l’éducation et l’urgence
d’atteindre l’Education Pour Tous en 2015. Cette période est marquée au BF
par l’adoption du PDDEB (2000-2009) par décret le 20 juillet 1999, il s’agit
« d’accélérer le développement quantitatif de l’éducation de base et de réduire
les inégalités ; d’améliorer la pertinente et l’efficacité de l’éducation de base,
et de développer la cohérence et l’intégration entre les différents niveaux et
formules de l’éducation de base ; de promouvoir l’alphabétisation ainsi que
de nouvelles formules d’éducation de base ; de porter le taux de scolarisation
à 70% à l’an 2009. Ce plan s’inscrit en droite ligne dans les objectifs du forum
de Dakar et deux Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) que
sont la Scolarisation Primaire Universelle (SPU) et l’autonomisation des
femmes.
69 Initié depuis 1993, la classe reçoit alternativement deux groupes d’élèves de même niveau 70 La classe reçoit alternativement des groupes d’élèves de deux ou plusieurs niveaux 71 Initiée en 1995, premier maillon de l’école primaire constitué de 3 classes (CP1, CP2, CE1)
dans les villages qui n’ont pas d’école primaire, l’objectif étant de rapprocher l’école de
l’habitation de l’élève 72 Initiée en 1995, ils accueillent les jeunes déscolarisés ou non scolarisés âgés de 9 à 15 ans
pour leur donner des rudiments théoriques et une formation professionnelle pendant 4 ans 73 Initiée en 1991, constitue un cadre de formation, d’éducation continue et d’appui à
l’autopromotion par le biais de l’alphabétisation 74 Initiée en 1994 par Save Children USA, l’Etat et les Communautés de base pour relever le
taux de scolarisation des filles et adapter les programmes aux réalités locales
228
DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
Cette période est aussi marquée par l’augmentation de l’offre éducative à
travers les initiatives privées ; le déséquilibre entre le primaire et les autres
niveaux sera encore accentuée, ce qui va amener les décideurs à engager
précipitamment la réforme de 2007.
Cette gratuité de l’enseignement de base public, l’obligation scolaire de 6 à 16
ans, la vision holistique de l’ensemble du système éducatif, sont entre autres
les caractéristiques de cette réforme.
A la suite du PDDEB, il y a eu l’adoption du PDSEB et du PSEF (Programme
Sectoriel de l’Education et de la Formation) s’inscrivent dans l’esprit de la
réforme de 2007 et consacre le continuum de l’éducation de base formelle. Le
PDSEB prévoit de porter le taux d’achèvement du primaire à 75% en 2015 et
à 100% en 2021. Le taux de transition du primaire au post-primaire devrait
être porté à 95% en 2021 contre 62% en 2011 ; le préscolaire qui est un
‟paria’’ du système scolaire devrait participer à l’amélioration de la qualité de
l’éducation en passant de 3% en 2011 à 25% en 2021.
L’atteinte de ces objectifs nécessite un certain nombre de préalables à savoir
la mise en place d’une politique de réduction des disparités à travers la carte
scolaire ; l’amélioration de la qualité de l’éducation par le truchement d’un
référentiel de qualité ; la déconcentration et la décentralisation de la gestion
du système éducatif et la bonne gouvernance ; la promotion de du
développement de l’alphabétisation et de l’éducation non formelle ; et
l’établissement d’un continuum entre le préscolaire et le primaire, et entre le
primaire et le post-primaire pour réaliser une éducation de base obligatoire de
10 ans à partir de 6 ans d’âge.
Donc le PSEF inclut le PDSEB avec les autres niveaux d’éducation et de
formation dans « une vision intégrée et systémique de manière à éviter les
goulots d’étranglements observés actuellement entre les niveaux » (B.
SAVADOGO, 2013, p. 31).
L’histoire des réformes et des politiques éducatives au BF est parsemée
d’échecs et de bilans mitigés ; une fois de plus, le Burkina n’est pas au rendez-
vous des objectifs de l’EPT et des OMD de 2015 en témoignent les nouvelles
échéances prévues par les nouveaux référentiels et plans.
La nécessité d’une approche globale du système éducatif souhaitée par la
réforme de 2007, et qui établit le continuum de l’éducation de base, est
apparue plus que jamais indispensable. Il paraît alors opportun d’en asseoir le
fondement.
229
DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
2. De repenser le fondement de l’éducation de base formelle
Le continuum de l’éducation de base formelle est une émanation des
engagements internationaux et nationaux pris par le Burkina dans le domaine
éducatif. Parmi ces référentiels, il y a la Conférence mondiale sur l’Education
Pour Tous (EPT) en 1990, tenue à Jomtien, le Forum mondiale sur l’éducation
à Dakar en 2000, les Etats Généraux de l’Education (EGE) en 1994, les assises
nationales de l’éducation en 2002, et l’Appel de Kigali en 2007. Lors de ces
rendez-vous vous, les maux qui minent à la fois le système éducatif africain
en général et burkinabè en particulier, ont été recensés et analysés, et des
solutions ont été proposées.
Ce Cadre d’Action de Dakar reprend non seulement certaines priorités de
Jomtien, mais aussi insiste sur certains aspects tels que l’éducation des filles
qui devient un impératif comme celle des « minorités ethniques ». Ce cadre
indique aussi que les enfants devraient suivre jusqu’au bout « les apprenants
de la petite enfance et tout au long de la vie ».
L’intégration de l’enseignement secondaire de base est mise en valeur de
manière prudente et circonscrite et ce, selon les capacités de chaque pays. Si
à Jomtien, les préoccupations étaient focalisées sur l’offre en termes d’accès
et d’équité, Dakar évoque la prise en compte des demandes sociales
d’éducation comme facteur essentiel pour adapter les politiques et atteindre
l’universalisation de l’éducation.
Outre ces deux rencontres internationales, l’Appel de Kigali fut important
dans l’adoption de cette réforme. En effet, l’enseignement primaire au BF
bénéficiait plus de financement et d’aide que les autres niveaux ; d’où
l’absence d’une approche globale du système éducatif. L’Appel de Kigali qui
s’est tenu du 25 au 28 septembre 2007 au Rwanda, propose d’étendre
l’éducation de base (celle du primaire) à une durée de 9-10 ans incluant le
premier cycle du secondaire ; et d’envisager un cycle ininterrompu d’étude de
9-10 ans en phase avec l’évolution et les exigences des sociétés africaines pour
aboutir au développement d’un cadre de programmes holistiques, intégrés et
inclusifs, basés sur la compétence qui correspondent aux besoins des enfants
et de la jeunesse en Afrique.
230
DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
Le programme de l’Education de Base en Afrique (BEAP)75 est conçu par
l’UNESCO pour appliquer les exigences de Kigali.
Au niveau national, les EGE de l’éducation en 1994 et les Assises Nationales
sur l’Education en 2002 ont décryptés les maux qui minent notre système
éducatif à savoir sa faible efficacité interne (i), sa sélectivité (ii), son taux de
redoublement et d’abandon élevé (iii), son faible taux de transition entre le
primaire et le secondaire (iv), la faible qualité de ses apprentissages et de ses
enseignements (v), la disparité entre les régions et le genre (vi), une qualité et
une pertinence douteuses (vii).
Selon le Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) en
2006, il ressort que la population burkinabè est estimée à 16 millions en 2011
et continue de croître à un rythme annuel de 3,1% en 2021, date de fin de la
mise en œuvre du PSEF et rendez-vous important de l’évaluation des progrès
accomplis en éducation de base, la population aura dépassée 22 millions et, en
2011 comme en 2021 les moins de 15 ans et 25 ans représentent les deux tiers
de la population totale.76
Donc l’universalisation de l’éducation de base doit non seulement garantir
l’accès au primaire mais aussi la poursuite au secondaire eu égard à cette
projection de l’INSD.
2.1. Situation actuelle de l’éducation de base formelle
Le continuum éducatif a engendré une nouvelle organisation du système
éducatif. L’éducation de base englobe désormais à la fois le préscolaire, le
primaire et le post-primaire.
2.1.1. Le préscolaire
Constitué d’un cycle d’une durée de trois (3) ans, et maillon longtemps
marginalisé, le préscolaire est composé d’une petite, d’une moyenne et d’une
grande section.il existe deux (02) types de préscolaire : le préscolaire formel
renferme les Centre d’Eveil et d’Education Préscolaire (CEEP) et le
préscolaire non formelle comporte des garderies saisonnières, des Espaces
75 BEAP, Répondre aux exigences en matière d’accès de qualité et d’équité.
BREDA/UNESCO-BIE/GTZ,
http://www.ibe.unesco.org/fileadmin/user_upload/Publications/Thematic_studies/BEAP_poli
cy_paper_09_fr PDF consulté le 03/06/2018 76 Projection démographique de 2007 à 2021. Institut National de la Statistique et de la
Démographie (INSD). Août 2009
231
DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
d’Entraide Communautaire pour Enfance (EECE, Bissongo77) ; les Espaces
d’Eveil Educatif (3E)78 et les structures assimilées. Ces structures étaient
gérées par le Ministère de l’Action Sociale et de la Solidarité Nationale
(MASSN) avant d’être transférée au MENA. Ces structures ont pour but de
bien-être global de l’enfant et d’assurer sa préparation pour l’école primaire
en favorisant son développement socio-affectif, psychomoteur, ses aptitudes
linguistiques et ses compétences intellectuelles de base.
Depuis la création du premier établissement préscolaire à Bobo-Dioulasso en
1958 pour les enfants des militaires français, il est demeuré un fait urbain car
le centre à lui seul regorge 45,40% des structures préscolaires du pays,
excluant ainsi les enfants des militaires ruraux.
Maillon peu développé du sous-secteur de l’éducation de base, il a connu une
légère évolution, par l’apport des structures privées, ces dix dernières années
en termes d’accès, mais toutefois l’offre reste toujours très faible.
Le nombre de structures préscolaires est de 1054 pour une population
préscolarisable estimée à 1.863.718 enfants ; seulement 74.394 enfants ont pu
être préscolarisés en 2014/2015 soit un taux de préscolarisation de 4%.79
La qualité et l’offre sont toujours restées au préscolaire, et le personnel
qualifié est insuffisant au niveau du public et quasi inexistant au privé du fait
de la faible capacité de l’école de formation de mettre à disposition un
personnel qualifié et en nombre suffisant.80
2.1.2. Du primaire au post-primaire
Le déroulement du PDDEB a permis d’améliorer le développement de
l’enseignement primaire en changeant toutefois certains indicateurs. La
capacité d’accueil à ce niveau a connu une évolution significative entre 2000
et 2013. Durant cette fourchette de temps, on est passé de 17456 Salles de
Classes (SDC) dont 2285 SDC pour le privé à 50444 SDC dont 9764 pour le
privé, soit une augmentation de 32988 SDC. En ce qui concerne le personnel
enseignant, on est passé de 17295 dont 2203 pour le privé à 50583 dont 9760
pour le privé. Au cours de la même période, cet effort a permis de faire passer
le Taux Brut d’Admission (TBA) de 38,6% à 97% ; le taux Brut de
77 Initié par le MASSN avec l’aide du fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) 78 Initié par l’ONG SOLIDAR Suisse en 2001 79 Annuaire statistique de l’éducation préscolaire 2014/2015 du MENA 80 Institut National de Formation en Travail Social dispose d’une filière d’éducation de jeunes
enfants dont la capacité d’accueil ne dépasse pas 80 MEJE et EJE (PDSEB 2012-2021 : 11)
232
DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
Scolarisation (TBS) de 42,7% à 83% ; le Taux Net de Scolarisation (TNS) de
34,3% à 64,4%. L’effectif des élèves au même moment est passé de 901291 à
2594024.81
Contrairement au primaire qui a bénéficié de soutien de l’Etat et des
Partenaires Techniques et Financiers (PTF), le post-primaire a été assez
longtemps délaissé donc est longuement resté la maille faible du système
éducatif burkinabè. C’est ainsi qu’en 2013, le nombre des SDC et des
enseignants est évalué respectivement à 11748 dont 5102 pour le privé et
12507 dont 2629 pour le privé.82
De ce constat, le développement déséquilibré en faveur du primaire a créé sans
nul doute un goulot d’étranglement lors du passage du CM2 à la 6ème. Ce
problème est observable à travers le Taux de Transition entre le primaire et le
post-primaire. Ce tableau indique la pressante demande d’éducation au post-
primaire et la faible capacité du système éducatif d’absorber la tranche d’âges
d’enfants comprise entre 12 et 16 ans.
Tableau : Evolution du taux de transition entre le CM2 et la 6ème de 2005 à
2013
Année 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
Taux de
transition en
%
45,3 46,1 53,1 49,5 54,2 52,7 51,4 51,8 53,7
Source : Extrait des données statistiques MENA/MESS
Au post-primaire, le TBS (40,2%), le TBA (41,7%) et TNS (22,9%)83
demeurent très faibles comparativement à la population scolarisable à ce
niveau ; et cela nonobstant l’apport de plus en plus important du concours
d’entrée en 6ème. Ainsi, l’accès au post-primaire devient très difficile tandis
que le primaire enregistre un accroissement vertigineux. L’efficacité interne
et externe est plus faible au post-primaire, en témoignent les données de 2013-
2014 : le Taux de Redoublement est en moyenne de 7,75% au primaire et de
26,5% au post-primaire ; le Taux d’Achèvement (TA) est de 59,5% au
primaire et de 24,3% au post-primaire. En sus de ces difficultés, un faible
rendement et une baisse de niveau sont constatés, et les programmes centrés
81 Annuaire Statistique 2000-2001 et 2013-2014 du MENA 82 Annuaire Statistique 2013-2014 du MESS. 83 Annuaire statistique du MESS 2013-2014
233
DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
sur la théorie ne favorisent pas l’acquisition des compétences techniques et
professionnelles au profit des apprenants.
Subséquemment, après plus de 50 ans et de réforme « ratées », le système
éducatif burkinabè peine toujours à se conformer aux exigences
internationales, à savoir, une éducation de base de qualité, gratuite et
obligatoire sans distinction.
Aussi, le déroulement actuel du continuum pose-t-il de nouveaux problèmes
qu’il convient de les comprendre.
2.2. La nouvelle problématique causée par le continuum
Le décret n°2013-542/PRES/PM/MENA/MESS/MASSN/MEF du 05 juillet
2013, portant transfert du préscolaire et du post-primaire au MENA et l’Arrêté
interministériel n°2013-065/MENA/MESS/MASSN du 25 juillet 2013
portant création, attributions et composition d’un comité interministériel de
suivi du transfert du préscolaire et du post-primaire au MENA, sont des
référentiels juridiques qui confirment cette volonté de l’Etat de mettre en
œuvre une des exigences de la loi 013-2007/AN du 30 juillet 2007 portant loi
d’orientation de l’éducation, qui, à son article 4, mentionne l’obligation
scolaire de six (06) à seize (16).
Cette réforme de l’éducation de base formelle a entraîné nécessairement une
reconfiguration du système éducatif et a eu des implications certaines. Selon
les étapes de l’application de la réforme, nous avons une étape de transfert (I),
une étape de réforme des curricula84, une étape de la formation initiale et
continue du personnel (II), et une étape de l’évaluation des apprentissages et
des certifications (III). Selon le Décret de transfert, le transfert est régi par les
règles de progressivité mais l’ensemble des opérations devraient être achevées
le 16 septembre 201685. Aussi, dans le processus de la décentralisation,
certaines compétences telles le préscolaire, le primaire et l’alphabétisation ont
été transférées aux communes. Parmi les provinces étudiées, dans certaines
d’elles figurent des communes prioritaires86 du MENA ; de même les
stratégies de scolarisation de ces populations laissent sentir « une lente
acceptation du fait scolaire ».
84 Cadre d’orientation du curriculum adopté en conseil de ministre le 14 mars 2015 85 Art 3 du décret de transfert 86 Annuaire statique du MENA 2013/2014 ; les communes prioritaires ont les plus faibles taux
de scolarisation et de participation
234
DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
Dans ce contexte du déroulement du continuum, quel est l’état des lieux sur
les sites retenus ? Quels sont les obstacles et insuffisances qui freinent
l’application du continuum éducatif ? Les différents acteurs concernés
s’impliquent-ils dans la gestion de l’éducation ? Les structures partenaires de
l’éducation au niveau collaborent-ils réellement ? Eu égard aux défis que pose
cette réforme, des solutions locales ne sont-elles pas à encourager ?
Certains acteurs demandent purement et simplement la suspension de la
réforme au regard des difficultés infrastructurelles, matérielles, financières
auxquelles sa mise en œuvre est confrontée. Doit-on se focaliser uniquement
sur ces problèmes ? Y a-t-il eu une communication suffisante autour des
tenants et des aboutissants de cette politique éducative ? Les acteurs à la base
ont-ils les mêmes représentations du continuum ?
2.3. Les représentations des différents acteurs du continuum
Des données collectées sur le terrain, se dégagent quelques tendances
majeures sur lesquelles nous souhaitons porter un regard critique.
2.3.1. Consensus ou les causes d’accompagnement du continuum par des
acteurs
Lorsque nous examinons les résultats de nos enquêtes, les motivations
d’accompagnement du continuum par des acteurs, semblent variées,
imbriquées et s’interprètent ; toutefois, elles relèvent de facteurs divers,
notamment économiques, socio-culturels et humains. La cause première de
l’accompagnement du continuum par des acteurs, est socio-économique et est
à rechercher dans la pauvreté des ménages tant en milieu rural qu’urbain. En
effet, la modestie des revenus des familles, les pousse à adhérer aux différentes
politiques qui leur sont proposées par l’Etat. Cela vise à augmenter à terme,
leurs chances et éventuellement accroître les ressources et ainsi espérer,
améliorer leurs conditions de vie. Ainsi un parent d’élève de Gaoua (Poni)
nous a confié que : « L’école est devenue de nos jours incontournable car plus
rien ne peut et ne se fait sans aller à l’école. Elle permet ne serait-ce que le
développement personnel du scolarisé. » A ce sujet, la théorie du capital
humain montre que l’Education contribue aussi bien à la croissance
économique qu’à l’augmentation du revenu des éduqués (Denison, 1962 ;
Schultz 1964 ; cités par S.J. Tapsoba, 2000). Le capital humain désigne le
stock de connaissances, qualifications, compétences et autres qualités
valorisables économiquement et incorporés aux individus. Alors,
l’investissement en Education, pour sa démocratisation aux différents niveaux
235
DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
et types d’enseignements, et plus particulièrement au primaire et au post-
primaire, devrait contribuer à l’essor économique et à une meilleure
répartition des revenus. Cette vision de l’Education et de son rôle, prolonge la
scolarité obligatoire dans la politique du continuum.
Cette approche rejoint les résultats de nos enquêtes et illustre bien que les
ménages n’avaient aucun autre choix à faire. Ce qui a un lien direct avec
l’insuffisance de leurs revenus. Cette obligation d’accompagnement du
continuum par des acteurs, traduite par la pauvreté, est le déterminant du
consensus sur la réforme. Dans ce contexte, la survie économique des familles
dans les campagnes et les villes, par le truchement de l’éducation semblent
être le déterminant important et explicatif de la perception du continuum.
C’est dans ce cadre, qu’il apparait indispensable de découvrir l’influence de
l’éducation sur l’homme à travers les diverses représentations. Quant à la
représentation sociale, elle se réfère à quelque chose, en ce sens qu’elle
s’associe à un objet. Elle est donc « un ensemble d’informations, de croyances,
d’opinions et d’attitudes, à propos d’un objet donné » J-C. Abric (1994, p.19).
Elle peut être également définie comme étant « une forme de connaissance
socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la
constitution d’une réalité commune à un ensemble social » D. Jodelet (1989,
p.3). Dans notre cas, le continuum de l’éducation, est l’objet autour duquel
diverses représentations sociales sont faites. Chacune d’elles constitue une
forme de connaissance et une opinion sur la politique.
Notons que les représentations sociales relèvent de la pensée sociale opposée
traditionnellement à une pensée logico-scientifique qui caractérise par des
raisonnements de type hypothético-déductif87. Aussi, toute connaissance
résultant d’une représentation sociale, ne saurait être objective. C’est dans
cette lancée que W. Doise (1990, p.127) affirme que les représentations
sociales sont « des principes générateurs de prise de position, qui sont liés à
des insertions spécifiques dans un ensemble de rapports sociaux »
Pour Moscovici88, une représentation sociale comporte trois dimensions qui
sont l’attitude, l’information et le champ de représentation. L’attitude exprime
un positionnement positif ou négatif par rapport à l’objet de la représentation
et l’information se rapporte à la somme et à l’organisation des connaissances
87http://www.psychologiesociale.eu/wp-content/uploads/2010/01/lo-monaco-lheureux-
2007.pdf consulté le 30 12 2016 à 23h50 88http://www.psychologie–sociale.com consulté le 31/12/2016 à 22h50
236
DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
qui peuvent être nombreuses, variées, précises ou stéréotypées. Le champ de
représentation quant à lui, désigne l’ensemble des informations organisées et
structurées, relatives à un objet et qui sont à la fois cognitives et affectives.
Les représentations sociales permettent aux individus d’avoir des croyances
communes sur l’objet, nécessaires à leur compréhension et guident les actions
(S. Moscovici, 1976) 89. A ces deux fonctions, J-C. Abric (1994, p.15-17)90
ajoute trois autres : la fonction « savoir » car les représentations sociales
permettent de comprendre et d’expliquer la réalité ; la fonction « identitaire »
parce qu’elle définit l’identité du groupe et sauvegarde sa spécificité. Elles ont
enfin une fonction « justificative » car elles justifient les prises de position et
les comportements.
Aussi, la deuxième cause de l’adhésion des acteurs au continuum éducatif, est
socioculturelle et humaine. Il faut alors aller chercher dans la capacité des
hommes, à accepter l’évolution et le progrès sous toutes les formes. Ainsi, les
acteurs pourraient admettre que rien n’est fait au hasard, tout fait se produit
dans une logique donnée. Cet état des choses fait appel aux valeurs des êtres
sociaux, liées à leur dimension socioculturelle et humaine. C’est en cela que
le déterminisme social de G. Gurvitch (1963, p.95) serait à même d’appliquer
cette opinion en soutenant en ces termes : « l’essence de la société se trouve
dans le processus de déstructuration et de restructuration, c’est-à-dire non
pas dans les structures au sens usuel du terme, mais dans leur perpétuelle
mise en question »
Au terme de la discussion, nous pouvons déduire que la mise en œuvre du
continuum dépend de l’intervention de nombreux acteurs de divers horizons.
Ceux-ci doivent agir en vue d’obtenir le résultat reposant sur l’organisation et
le contrôle de la réforme. Ce caractère essentiel de la politique éducative reste
difficile à appréhender, au regard de la multiplicité des intervenants et des
dimensions économiques, socioculturelles et humaines. D’où la confirmation
que la nature du continuum est pluridimensionnelle, ce qui rend complexe la
méthode de son application.
2.3.2. Les raisons de refus de la réforme éducative par des acteurs
Cette perception a conduit à une opposition de certains acteurs à son exécution
et les pousse à la stigmatisation. La politique du continuum n’a pas reçu en
aval, suffisamment de communication pour permettre à certains acteurs d’en
89http://www.psychologie.eu consulté le 31/12/2016 à 23h42 90http://www.psychologie.eu consulté le 31/12/2016 à 23h54
237
DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
comprendre les tenants et les aboutissants. Cette réforme éducative propose
certes quelques opportunités intéressantes telles la forte implication des
COGES, APE, AME, et des autorités communales dans les actions
éducatives ; l’appropriation de la décentralisation par les acteurs locaux, la
mise en place d’une coordination dynamique de l’ensemble des activités
menées par les acteurs au niveau local (provincial), etc. Mais force est de
constater un manque de synergie d’action entre ces acteurs à la base qui
n’arrivent pas à bien collaborer en témoignent les propos de cet inspecteur
d’une CEB de Banfora(Comoé) :
L’association des parents d’élèves ne s’implique pas
véritablement dans la gestion de l’école. Elle crée au contraire
un conflit entre les parents du fait de la mauvaise gestion des
fonds dont elle dispose. La mise en place des COGES a créé un
problème entre les dirigeants des APE et ceux des COGES car
les APE pensent que les COGES sont venus pour les
remplacer (Entretien réalisé en 2016)
La plupart des acteurs du continuum, qui manifestent cette réticence vis-à-vis
de la réforme éducative, estiment n’avoir pas été associés convenablement au
processus depuis ses débuts. Ce manque de communication suffisante en
amont, explique en partie, les difficultés de perception des uns et des autres
autour de la réforme entreprise.
Ainsi, nos résultats de terrain sont corroborés par E. Durkheim (1970, p. 152),
pour qui, le fait social contient en lui une dimension contraignante. Il affirme
que cette dimension contraignante n’implique absolument pas que cette
contrainte s’oppose à la croyance et à l’action individuelle. Pour lui, la
dimension contraignante du fait social, n’apparaît clairement que lorsque la
croyance et les comportements individuels s’écartent de la croyance ou de la
pratique collective que constitue le fait social. Alors, nous constatons de même
que, pour la mise en œuvre du continuum qui est une réforme importante dans
notre pays, il est normal de ne pas apporter cette caution aveugle, surtout
lorsque le doute ou l’inconnu subsiste.
Certains enquêtés ont adopté des attitudes de suffisance vis-à-vis de cette
politique du continuum. Pour nous, leur démarcation par rapport à
l’application de la réforme, prouve bien que ces acteurs croient pouvoir se
prendre eux-mêmes en charge autrement.
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DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
A partir de notre recherche de terrain, cette posture est remise en question par
E. Durkheim (1992, p. 17). Cependant, il faut retenir que Durkheim est très
sceptique face à l’idée nietzschéenne, selon laquelle, un individu peut trouver
« en lui-même » les valeurs selon lesquelles il souhaite vivre. Cela suppose
une déconnexion complète des valeurs personnelles et des valeurs sociales,
qui reste très improbable, voire contradictoire, dans une optique
durkheimienne.
En somme, les auteurs qui ont envoyé la contrainte sociale, ont manifesté leur
droit de comprendre, en exigeant toute l’information sur la réforme en cours.
Une des raisons de refus de la politique éducative par des acteurs, réside dans
le fait qu’ils n’avaient pas perçu les forces du continuum qui se résumaient
entre autres, à la gratuité de la scolarité, à l’accès obligatoire de l’Ecole à tous
les enfants scolarisables et à la prolongation de la durée du cursus, à 16 ans.
Cette vision sur le continuum les a poussés à rentrer en conflit avec les
initiateurs de la politique et leurs adeptes. Ceux-ci trouvaient que la gratuité
de l’Ecole n’était pas fondée, dans la mesure où ils payaient des cotisations au
niveau des APE et des COGES en fonction du nombre d’enfants inscrits.
Le lien entre le refus de la réforme et la théorie de L. Coser (1956, p.20-21),
peut se retrouver dans le fait que le conflit est inévitable dans nos sociétés. Il
est indispensable pour avancer face à tout fait social. C’est une position
défendue par L. Coser (1956) qui soutient qu’il faut reconnaître et explorer le
conflit comme un facteur majeur du développement social. Pour lui, il est le
plus important élément de l’action sociale. Il le prend comme une lutte sociale
sur les valeurs et les prétentions à un certain statut, le pouvoir et les ressources
et les objectifs contradictoires. Aussi, a-t-il fait valoir R.G. Dahrendorf (1983,
p. 92) que toute organisation complexe est source de conflit. Selon cette
théorie, les personnes atteintes de la puissance, capables d’utiliser divers
moyens parmi lesquels figure la principale contrainte pour atteindre leurs
avantages sur les personnes qui ont moins le pouvoir.
En effet, la cohabitation en communauté a toujours fait l’objet de conflits
d’intérêts humains. Ce qui donne à sa nature, un caractère indispensable. Il
suffit d’écouter les mobiles des acteurs du continuum qui sont allés en conflit
avec les autres, afin d’en tirer des enseignements qui serviraient par la suite à
la mise en œuvre efficace de la réforme éducative.
Enfin, une raison rencontrée lors des enquêtes, amène des acteurs au refus
d’accompagner le continuum. Cette catégorie, tout en marquant une
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opposition à la politique éducative, se prête à une stigmatisation de la réforme.
Avec l’évolution de l’éveil de conscience des citoyens autour de toutes les
stratégies politiques proposées par le gouvernement en vue du développement
en général, les faiblesses et les menaces sont décriées par bon nombre
d’acteurs du continuum. Entre autres faiblesses, il y a l’insuffisance
d’infrastructures, de matériels didactiques, de moyens financiers et matériels
et surtout de l’insuffisance de ressources humaines à différents niveaux. En
plus de cela, les menaces majeures sont essentiellement la lourdeur
administrative dans la gestion du continuum par une chaîne d’acteurs du
Ministère à travers ses structures centrales et déconcentrées ; aussi le
continuum est toujours financé par les PTF étrangers avec une très faible
contribution financière propre à l’Etat burkinabé ou aux privés nationaux.
Ces tares semblent suffisamment importantes pour empêcher la réforme
d’atteindre les objectifs qu’il s’est assignés au départ. Ce qui revient le plus
comme un facteur déterminant dans l’échec de la réforme éducative, est
qu’elle est tributaire de la disponibilité financière voire de la volonté politique
d’agents extérieurs au Burkina. Ceux-là qui refusent d’adhérer au continuum,
croient fermement que les conditions ne sont pas du tout réunies pour une
application efficace de la réforme éducative en cours dans notre pays.
Leur motivation profonde reste bien entendu la grande dépendance de la
politique du continuum aux bailleurs de fonds étrangers. Pour rejoindre E.
Goffman (1963, p.149) qui défendait l’alignement sur le groupe et l’identité
pour soi, en ces termes : « d’un point de vue sociologique, le problème central
pour ces groupes est celui de leur place dans la structure sociale ». C’est dire
que la stigmatisation est utilisée en tant que moyen pour se faire prendre en
compte à travers les opinions véhiculées vis-à-vis d’une situation politique qui
met en évidence, une exécution défaillante d’une réforme éducative qui
engage la vie de la nation.
Cette posture de refus d’accompagnement du continuum, est aussi critiquée
par G. Tarde (1901, p. 158) qui estime que les intérêts humains divergents,
sont souvent source d’opposition comme facteur de revendiquer des avantages
particuliers où l’opposant croit avoir été lésé. Dans notre cas présent,
l’opposition est utilisée comme un outil de lutte contre l’action sociale
collective, menée par l’Etat.
En définitive, que ce soit la stigmatisation ou que ce soit l’opposition, les
partisans du refus d’adhésion au continuum emploient tout ce dont ils
disposent pour atteindre leur objectif qui est surtout un rôle d’interpellation
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sur l’amélioration souhaitée de la meilleure mise en œuvre de la réforme en
cours dans notre pays. Ce rôle de veille de certains acteurs, empêche le
pouvoir central de persister dans l’erreur et permet aussi de corriger le tir à
temps au moment où les élèves qui ont commencé le continuum, ont dépassé
la classe de troisième. De l’enquête de terrain, il est souvent revenu des
acteurs, que l’état des lieux de l’application du continuum n’est pas reluisant.
Ce qui pousse certains enquêtés à souhaiter simplement le retrait de la
réforme. D’autres, par contre, pensent qu’il faut oser aller vers une évaluation
à mi-parcours d’un organisme indépendant afin de découvrir de façon
exhaustive les réalités éducatives. Ce type de précaution vise à dresser les
acquis à consolider et les difficultés qui ont émaillées le processus tout au long
de son déroulement.
Au terme de notre discussion, nous constatons que la mise en œuvre du
continuum a effectivement eu des forces, des faiblesses, des opportunités et
des menaces.
2.3.3. Une troisième tendance majeure regroupe des acteurs ‘‘sans
réponse’’
De nos enquêtes, une infime proportion d’acteurs, n’a pas fourni de réponses
à certaines questions tant dans le questionnaire que dans l’entretien. Ces
questions portaient sur la pertinence de la réforme éducative, l’implication de
tous à sa mise en œuvre et les éventuelles suggestions pour améliorer sa
réalisation. C’est une attitude qui met en relief la domination sociale. Nos
résultats sont corroborés par l’entendement de M. Weber (1985, p. 285) :
Nous entendons par ‘‘domination’’ […] la chance, pour
des ordres spécifiques (ou pour tous les autres), de trouver
obéissance de la part d’un groupe déterminé d’individus.
En ce sens, la domination (‘‘l’autorité’’) peut reposer, dans
un cas particulier, sur les motifs les plus divers de docilité :
de la morne habitude aux pures considérations rationnelles
en finalité. Tout véritable rapport de domination comporte
un minimum de volonté d’obéir, par conséquent un intérêt,
extérieur ou intérieur, à obéir.
De ce fait, certains enquêtés ont choisi de ne pas répondre à des questions
posées, parce que c’est leur perception des choses et aussi c’est une façon
habile pour eux d’attendre des retombées de la politique éducative engagée
par l’Etat, au profit de l’ensemble de la population burkinabè. Alors ce silence
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est tout de même une forme d’expression pour eux. « Que je parle ou pas, cela
ne change rien à ce que l’Etat a décidé de faire. C’est sage de la fermer et de
subir comme la grande majorité de la population qui n’a pas le choix que de
s’en résigner » a soutenu un instituteur de Diébougou (Bougouriba).
[Entretien réalisé en 2016]
A travers les réactions enregistrées lors de la phase de terrain, nous avons
constaté que les acteurs adoptaient par défaut cette posture de ne pas
s’exprimer et laissaient surtout entrevoir un sentiment pénible d’être
inférieurs. Face à des questions posées, sans donner de suite à nos
préoccupations, ils se mettaient à faire des gestes de la tête, comme si c’était
une occasion pour eux de refouler tout ce qu’ils ressentaient de l’intérieur et
qu’ils n’avaient pas la capacité d’extérioriser. Le comportement met en
évidence un certain complexe d’infériorité.
Autrement dit, c’est une attitude qui peut aussi être la manifestation d’une
incapacité, une incompréhension totale de ce qui leur a été demandé (émanant
sans doute, de ce manque de sensibilisation et de concertation à la base avant
le lancement de la réforme).
Pour une question si importante qu’est le continuum, qui en principe, est
supposé intéresser tout citoyen burkinabè sans distinction aucune, mérite
logiquement une réaction de chacun.
Pour rejoindre le point de vue de E. Morin (1971 ) qui estime que dans un
dialogue social plus abouti, il convient de trouver d’autres voies et moyens
pour amener une telle catégorie d’individus à s’exprimer, afin de ne pas les
abandonner dans l’exclusion sociale.
Les difficultés rencontrées lors de l’enquête ne nous ont pas permis de
recueillir les opinions de tous les membres de la communauté étudiée,
empêchant de ce fait toute proposition, de mesures idoines, à même de prendre
en compte toute la diversité de la population concernée par l’étude.
C’est le lieu de mettre en évidence l’inefficacité des procédés classiques de
collecte d’informations ou l’insuffisance des stratégies habituelles
d’approche, utilisées auprès des acteurs du continuum.
Ces limites de nos outils usuels d’enquête n’ont pas donné l’opportunité de
pouvoir expliquer le bien-fondé, les tenants et les aboutissants d’une réforme
aussi grandiose, relative à l’éducation nationale, à tous les citoyens ciblés.
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DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
Au final, le constat est que toutes les catégories des enquêtés, autour d’une
question d’actualité si capitale qu’est le continuum éducatif, n’ont pas pu être
ordinairement associées aux échanges, ce qui est affligeant pour nous en
qualité d’enquêteur, de n’avoir pas réussi à fédérer toutes les composantes au
profit de diverses sensibilités sur l’application de la réforme.
En réalité, lorsqu’une personne se trouve contrainte de vivre dans une position
de complexe d’infériorité, il faut continuer à voir néanmoins en elle, un acteur
de développement capable d’apporter sa pierre à l’édifice commun qui est le
Burkina.
Toutefois, il convient au plan local (provincial) de développer des stratégies
visant à mobiliser tous les acteurs sans exclusive, à la construction nationale.
Nous avons aussi constaté des ‘‘sans réponse’’ qui ont manifesté un sentiment
de frustration face à certains aspects du continuum. C’est un sentiment de
« spoliation » des enquêtés, sevrés de l’espérance d’une satisfaction ou d’une
attente.
Il s’agit notamment des objectifs assignés au continuum, des sources de
financement pour accompagner la réforme éducative et de l’implication réelle
et forte de tous les acteurs à tous les niveaux et surtout de la nécessité d’une
coordination en tant que cadre formel de concertation entre eux, au plan local
(provincial).
Pour emprunter l’expression de S.A. Stouffer (1949, p. 62) qui retenait que
l’incertitude et l’inconnu, par rapport à la réalisation d’un projet de société,
peuvent conduire des acteurs à manifester, dès le départ, une telle position. Le
processus de communication a été défaillant, soit en ne permettant pas à tous
les concernés d’être au même degré d’information, soit l’objectif du projet a
caché un certain nombre d’aspects pour diverses motivations. Pour cela, il faut
connaître les intérêts de chacun qui sont souvent divergents de ceux du groupe
considéré. Lorsque ces conditions nécessaires et suffisantes ne sont pas
convenablement remplies dans le temps et dans l’espace, il va de soi que le
sentiment de frustration grandisse sans cesse tout au long du déroulement du
projet qui, ici est le continuum.
Si l’entretien et le questionnement n’étaient pas adaptés pour atteindre toutes
les sensibilités, il a fallu recourir alors, à d’autres procédés plus dynamiques
qui amènent les plus sceptiques à comprendre davantage les intentions visées
par la réforme éducative.
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DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
Certaines techniques de collecte de données, telles que le « focus group » et
la « triangulation » ont été expérimentées afin de mieux impliquer ceux qui ne
voulaient pas parler. Aussi, avec un peu plus de temps et de moyens financiers,
ces nouvelles approches nous ont permis d’associer certains acteurs clés qui
pouvaient œuvrer à ce que tous les enquêtés aient la meilleure compréhension
sur cette politique éducative qui entretient autant de controverses.
Aussi, pour S. A. Stouffer (1949, p.71), c’est le lieu et en même temps le cadre
des paradigmes individualistes, la dimension sociale des déterminants du
comportement et des attitudes (groupes primaires, niveaux d’aspiration,
frustration relative, normes collectives) s’impose avec autant de netteté.
Ainsi, nous montrons que les acteurs du continuum peuvent améliorer sa mise
en œuvre, en réalisant les actions de financement du recrutement des
enseignants, des infrastructures et de matériels divers et, par une bonne
communication et le management participatif.
3. D’ajuster certaines actions pour mieux réussir le continuum
Après cinq ans d’exécution du continuum, certains ajustements et
réadaptations sont possibles pour un meilleur déroulement de la réforme. Pour
ce faire, les acteurs directs devraient s’en approprier convenablement.
3.1. Au Directeur Provincial, aux autorités municipales, aux CCEB,
aux Directeurs et chefs d’établissement
- Une meilleure appropriation du concept du continuum par les
premiers responsables au plan local, serait un bon tremplin pour motiver
les autres collaborateurs et acteurs du système éducatif, à accompagner
consciencieusement la mise en œuvre de la réforme.
- L’élaboration et l’adoption d’un bon plan de communication, assorti
de stratégies adaptées à la communication et à l’information sur le
continuum, pourrait servir de point d’ancrage de la réforme, car le concept
demeure toujours flou dans l’esprit de certains acteurs clés du système
éducatif. Cela permettra de la booster dans la communauté éducative.
- L’implication de tous les acteurs et leur collaboration au niveau
déconcentré et décentralisé restent une nécessité locale (provinciale). A
cet effet, le cadre formel de concertation entre différents protagonistes
locaux, à savoir, la DPENA, la CEB et la Mairie pourrait développer son
socle sur l’opérationnalisation du Conseil Régional de l’Education, afin
de résoudre localement les problèmes de l’éducation.
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DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
- L’intervention de l’autorité locale serait de mettre le cap sur un
problème sociologique non moins important qui est la lecture diversifiée
de la question de genre par la quasi-totalité de la société burkinabè,
provoquant une déperdition scolaire féminine qui fausse les statistiques
du taux d’achèvement chez les filles à l’Ecole. La sensibilisation à long
terme pourrait être une clé.
3.2. Aux enseignants, aux parents d’élèves et aux élèves
Le manque de vocation chez les enseignants, transforme la profession en une
corvée, qui absorbe le grand flux des jeunes au chômage, d’où l’absence de
conscience professionnelle aggravée par son cortège de malheurs dans le
système éducatif. Un appel leur est lancé à ce sujet.
La démission des parents d’élèves dans le suivi et le contrôle des enfants en
ville comme en campagne, sous divers prétextes, est un souci. Entre autres,
les enfants sont une main d’œuvre pour la famille et sont donc impliqués dans
toutes les activités des parents, même pendant l’année scolaire (les travaux
champêtres, l’orpaillage, etc.). Là aussi, la sensibilisation reste un moyen
redoutable.
Le désintérêt des enfants pour l’Ecole qui a montré ses limites évidentes par
des programmes inadaptés et inadéquats ne garantissant aucune forme de
réussite dans la vie active. De plus en plus, l’Ecole ne représente plus la
solution. Il convient alors de la réinventer pour attirer davantage de scolaires.
L’inconvénient majeur de cette déscolarisation juvénile se trouve être le
mauvais usage de la propension des technologies de l’information et de la
communication. Encore ici, un travail de fond est à poursuivre sur cette frange
significative de la population burkinabè qui est toutefois attachée aux fléaux
que sont le chômage, l’alcool, la drogue, la prostitution, etc.
3.3. Aux décideurs politiques
- La pratique d’un management participatif passe par la relecture des
textes sur le fonctionnement des APE et des COGES (Conseil de Gestion)
pour une bonne gestion des maigres ressources, une bonne gouvernance
et surtout pour une participation citoyenne à la question éducative. Aussi,
l’idée des COGES (Comité de Gestion de l’Ecole) pourrait s’élargir au
post-primaire et au secondaire et ainsi susciter l’opérationnalisation des
coordinations communales des COGES.
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- La redéfinition des rôles et des fonctions dans le nouveau MENA,
devant désormais regrouper le préscolaire, le primaire, le post-primaire et
le secondaire. Ce qui requiert une définition préalable d’un plan de
carrière transparent et harmonisé et de même de déterminer des profils
spécifiques pour la gestion judicieuse des établissements, voire des
Directions Régionales et Provinciales, afin de régler les problèmes de
leadership entre les acteurs.
- L’augmentation substantielle du budget alloué au MENA pourrait
faciliter la mise en œuvre de la réforme à travers la construction
d’infrastructures, l’intégration de l’approche des CIEB, l’accélération
dans l’utilisation des nouveaux curricula et la transformation des ENEP
en INAFEEB.
- Pour ce faire, l’Etat burkinabè devrait privilégier l’implication forte
du privé, comme promoteur, accompagnant l’expansion de tous les sous-
secteurs de l’Education, tout en développant l’enseignement technique et
professionnel. A cette volonté politique, les conditions de recrutement des
enseignants, de façon générale, devraient être revues au minimum au
baccalauréat plus deux ou trois ans de formation professionnelle. Cette
revalorisation de la fonction d’enseignant pourrait être soutenue par de la
motivation financière conséquente qui soit attrayante pour les jeunes.
- Une évaluation à mi-parcours du continuum serait pertinente pour
effectuer les réglages indispensables.
3.4. Aux partenaires techniques et financiers
Les PTF ne devraient pas financer l’Education au Burkina Faso, tout en
imposant leur volonté politique aux autorités burkinabè, au détriment des
intérêts réels des populations et surtout par la méconnaissance des réalités
socio-économiques et des diversités socio-culturelles des régions du pays.
Les PTF pourraient écouter davantage les besoins, les attentes et les
aspirations de la grande majorité des Burkinabè sur la question éducative. La
tendance transparente de l’aide financière, devrait progressivement conduire
à se séparer de l’assistance extérieure car l’Education demeure un domaine
primordial de souveraineté nationale.
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DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
CONCLUSION
Le continuum constitue une grande réforme en cours au Burkina Faso, depuis
plus de cinq ans (2013-2014). Cette vision de l’Education pour tous, a conduit
l’Etat burkinabè à se mettre en conformité, en adoptant la loi n°013-2007-/AN
du 30 juillet 2007 portant loi d’orientation de l’éducation, rendant
l’enseignement de base obligatoire et gratuit pour les enfants de 6 à 16 ans.
C’est là l’avènement du continuum éducatif. Et depuis lors, de nombreuses
controverses sont entretenues à ce sujet. Alors, nous avons choisi de porter
notre réflexion sur ce thème : « Expérience de la mise en œuvre du
continuum de l’éducation de base formelle dans le système éducatif au
Burkina Faso » ; l’objectif principal recherché, est d’analyser le déroulement
du continuum dans ce pays.
En effet, l’analyse des données recueillies, nous a permis d’aboutir aux
conclusions que le continuum souffre en priorité, d’une organisation
structurelle inadaptée, dans la quasi-totalité des sites étudiés. De fait, sa nature
fait désormais intervenir plusieurs acteurs de divers horizons, ce qui ne rend
pas aisé l’approche de son exécution.
De cette faiblesse centrale, découlent certaines conséquences néfastes à
l’application de la réforme. Entre autres, le déficit de communication existe
entre les intervenants de différents niveaux et le défaut de management
participatif ; de même, le manque de coordination des activités entre les
acteurs au niveau local ( provincial ) et l’absence totale d’un cadre formel de
concertation entre tous les ordres d’enseignements et d’autres acteurs à la
réforme éducative. A cela s’ajoute le manque de vocation chez de nombreux
enseignants ; et, le désintérêt des élèves pour l’Ecole, exacerbé par l’absence
de suivi et de contrôle des parents d’élèves.
Toutefois, le continuum a contribué à l’augmentation de l’offre éducative et
des ressources humaines, ce qui a amélioré le taux d’absorption et de
fréquentation.
Ce principal acquis a entraîné des avantages importants : l’Ecole est devenue
gratuite et obligatoire pour tous les enfants scolarisables de 6 ans ; les charges
des parents ont été réduites ; et l’idée des CIEB commence à prendre forme.
Les résultats obtenus de notre étude ont effectivement montré que le
continuum a considérablement changé la configuration du système éducatif en
général et celle de certaines Provinces en particulier. L’état des lieux prouve
que la physionomie de l’Ecole s’est sensiblement améliorée en termes
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DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
d’infrastructures et autres équipements et matériels didactiques et de même en
ressources humaines.
Aussi, bien que le projet ait reçu un accueil mitigé, la grande majorité des
enquêtés apprécient favorablement la poursuite de la réforme, en prenant en
compte les réajustements et les réadaptions qui sont essentiellement d’ordre
socio-économique, à savoir l’appropriation de la décentralisation, la formation
continue des acteurs et surtout le financement des infrastructures, la poursuite
du recrutement des enseignants de tous les ordres et la sensibilisation à tous
les niveaux.
Les enquêtés affirment avoir constaté de nombreuses retombées de l’Ecole sur
leur vie quotidienne. Quand bien même il est difficile de mesurer à juste valeur
les fruits issus des résultats obtenus à la suite des activités éducatives de la
réforme, elle demeure une réalité. Le continuum a néanmoins ravivé l’espoir
chez les ménages, surtout à travers son apport appréciable chez les apprenants,
si évident et reconnu par les témoignages recueillis lors de l’enquête.
Ainsi, non seulement le continuum présente des opportunités à saisir, mais
représente aussi une alternative de socialisation, d’insertion et de
responsabilisation des apprenants dans le processus de développement de leur
localité, et, partant, du Burkina Faso tout entier.
Au regard des résultats de terrain et de l’importance du rôle joué par le système
éducatif, il serait intéressant que le continuum se poursuive. Pour ce faire,
nous faisons les recommandations suivantes à l’endroit des autorités de l’Etat,
afin de réussir une meilleure mise en œuvre de la réforme éducative :
- faire un audit du continuum en tenant compte des spécificités de
chaque Région aux fins d’améliorer les pratiques en cours ;
- revoir la formule actuelle qui est sans nul doute, une massification au
détriment de la qualité ; ce qui limite sensiblement la fréquentation de
l’Ecole jusqu’à la classe de troisième seulement, chose qui constitue
une entrave à la formation d’une élite intellectuelle, capable de
contribuer activement et significativement au développement en
général du pays.
La réflexion devrait se poursuivre sur la problématique de la contribution
efficace et efficiente du continuum dans le système éducatif.
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DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
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- UNESCO. Déclaration mondiale sur l’éducation pour tous. Jomtien,
1990.
- UNESCO. Forum mondial sur l’éducation pour tous et cadre d’action,
Dakar, 2000.
- WEBER Marx, 1985, L’Etat moderne et la sociologie de l’Etat, Paris,
PUF.
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DEZAN, NUMERO 015, Volume 1, Décembre 2018
NOTE A L’INTENTION DES CONTRIBUTEURS
DEZAN est la revue scientifique du Département de Sociologie-
Anthropologie de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines de
l’Université d’Abomey-Calavi au Bénin. De sa dénomination «dézan »
signifiant «rameau» en langue béninoise « fֿכngbé », elle est
représentative de la symbolique du changement social en culture
africaine. De ce fait, la Revue DEZAN se donne pour vocation
première de contribuer à une configuration décloisonnée des sciences
de l’homme et de la société, pour une synergie transversale et
holistique génératrice d’une interdisciplinarité plus fertile à un
développement convergent où l’endogène et l’exogène sont en parfaite
cohésion. Elle paraît au rythme de deux numéros par an. Les articles
y sont rédigés en français, anglais, allemand, ou en langues nationales
africaines.
Le comité de lecture est habilité à accepter pour publication ou
non les articles soumis. Chaque article est résumé en une page au plus
assorti de cinq mots clés du travail. Le manuscrit de 20 pages au plus
est soumis en exemplaire original, recto seulement, saisi à l’intérieur
d’un cadre de frappe 21 x 29,7; police Times New Roman, point 12,
interligne 1,5. Il est accompagné d’un CD-RW ou d’une clé USB
comprenant les données. Chaque auteur est appelé à donner son
adresse électronique et son institution d’attache. Les cartes et les
croquis sont scannés et notées de façon consécutive.
L’usage de l’Alphabet Phonétique International pour transcrire
les termes en langues nationales est vivement conseillé. Les références
bibliographiques dans le texte sont faites selon l’approche Van Couver
ou Harvard dans une parfaite harmonie selon le choix de l’auteur.
Chaque auteur apporte une participation de 30.000F.
ISSN 1840-717-X DU 4ème trimestre Dépôt Légal N ° 6378 du 4ème trimestre
Impression : Centre des Publications Universitaires (Université d'Abomey-Calavi) Tél.: (00229) 95 91 5 7 61
République du Bénin