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LES ECHOS WEEK-END 83 22 SEPTEMBRE 2017 ET MOI… SPRECHEN SIE DEUTSCH ? Par Jessica Berthereau Illustrations : Barbara Dziadosz

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LES ECHOS WEEK-END – 83

22 SEPTEMBRE 2017

ET MOI…

SPRECHEN SIEDEUTSCH ?Par Jessica BerthereauIllustrations: Barbara Dziadosz

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La suppression – finalement remise en cause –des classes bilangues a failli porter un coup fatal

à l’enseignement de l’allemand en France.Jugée parfois peu attractive et élitiste, la langue

de Goethe a pourtant de nombreux atoutsà faire valoir, notamment sur lemarché du travail.

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l’extension de ce dispositif à la rentrée 2004,la proportion de collégiens et de lycéensétudiant l’allemand s’est enfin stabilisée, à 15%.C’est pourquoi la perspective de la suppressionde ces classes lors de la réforme du collègede 2015 a suscité un tel tollé parmi lesprofesseurs d’allemand et même des tensionsdiplomatiques entre la France et l’Allemagne.

LES DÉGATS DE LA RÉFORME«On avait bien remonté la pente, l’imagede l’allemand s’était beaucoupmodernisée grâceà des méthodes pédagogiques plus vivantes.La claque a été d’autant plus dure, se souvientavec amertume Aurélia Sarrasin, professeurd’allemand. Plus de dix ans de travail ont été misen péril au prétexte qu’on était élitiste, passéisteet inutile.» Finalement, la réforme s’assouplitet autorise le maintien de classes bilangueslà où elles offrent une «continuité», c’est-à-direlà où les élèves ont eu une initiation en primaire.Malgré cela, les dégâts sont notables: à la rentrée2016, un tiers des classes bilangues sontsupprimées, avec de très grandes disparitésrégionales – elles ont quasiment disparu danscertaines académies –, et le nombre d’élèvesétudiant l’allemand en 6e chute de 26%.La langue de Goethe se serait bien passé

de ce coup dur, elle qui souffre toujours d’être«peu attractive», comme le regrette ThérèseClerc, présidente nationale de l’Associationpour le développement de l’enseignementde l’allemand en France (ADEAF). Pourtant,souligne-t-elle, «il y a beaucoup d’argumentsrationnels pour apprendre l’allemand», aupremier rang desquels l’accès à des expériencesde mobilité. En effet, donnez la paroleà n’importe quel élève germaniste, il évoquerasans tarder les échanges scolaires. «L’allemandm’a permis de voyager», témoigne Cécile Fèvre,actuellement étudiante en médecine à Reims.«L’Allemagne est le premier pays étranger

«Alors, qu’est-ce que vous avez compris?»interroge Lena Tröger, animatricedu programmeMobiklasse, après s’êtreprésentée en allemand devant une petitevingtaine d’élèves de CM2 de l’école JeanSarrailh de Saint-Gratien, dans le Val d’Oise.«Vous êtes née en Écosse !» lui répond un élève.Rires dans la salle. «Non, à Bayern», corrigeun autre. «Oui. Et c’est quoi Bayern?» demandeLena. «Bayern… Munich… C’est un clubde football ! » s’exclame avec enthousiasmeun élève. «Oui, mais encore?» répliquel’animatrice. «C’est une région», tente un autre.«Voilà ! Bayern ist eine Region. L’Allemagnecompte seize régions et la plus grande estla Bavière. München en est la ville principale, c’estpour ça que le club de football s’appelle BayernMünchen», explique gentiment Lena.Cette jeune femme est l’une des onze

animateurs et animatrices du programmeMobiklasse pour l’année 2016-17, répartisdans autant d’académies françaises et chargésde promouvoir leur langue dans les écoles.En ce jour de juin, elle a une heure pour offriraux élèves un aperçu ludique de la langueet de la culture allemandes. Profitantde l’irruption du Bayern dans la conversation,elle leur enseigne comment on dit footballdans sa langue maternelle (Fußball, de Fuß,le pied et Ball, la balle). Et de là, quelle est cetteétrange lettre nommée eszett. Originaired’Erlangen, elle évoque Adidas et Puma,rappelant que ces marques fondées parles frères Dassler sont allemandes. Les enfantscomprennent vite la logique de constructionde la langue de Goethe. Quand Lena leurdemande comment on dit «France», l’un répond«Franceland». «Bien réfléchi, salue l’animatrice,mais non, c’est Frankreich !»«L’objectif de Mobiklasse est de présenter

la langue allemande sous un jour original,ludique et attractif, et de donner aux élèves envie

d’apprendre les nomsavec leur articlecar c’est importantau moment d’appliquerles déclinaisons.

02.Tous les nomscommuns prennentune majuscule.Oui, oui, tous.

5 CARACTÉRISTIQUESDE LA LANGUEDE GOETHE

PARLER ALLEMAND

03.Pour déchiffrerles mots composés,il faut partirde la fin. Devinezdonc ce que veutdire Tiefseetauchen !Indices :tauchen = plonger,die See = la mer,tief = profond.

04.Le verbe esthabituellement placéen deuxième positionmais dans certains cas,il est renvoyé à la fin dela phrase. Ainsi, « jepense que tu es gentil »se dira « je pense que tugentil es» (ich denke,dass du nett bist).

05.L’allemanda emprunté quelquesverbes au français,notamment sousl’influencedes Huguenots venusse réfugierà Berlin aprèsla révocationde l’Édit de Nantes

en 1685. À l’infinitif,ils se terminenttous par -ieren :servieren, analysieren,charakterisieren,debattieren…Nul besoinde traduction,n’est-ce pas ?

01.En plus du féminin(die) et du masculin(der), l’allemandcompte un troisièmegenre : le neutre(das). Il est conseillé

de l’apprendre», indique Béatrice Angrand,secrétaire générale de l’Office franco-allemandpour la jeunesse. L’OFAJ a repris il y a deux ansla coordination de ce programme, qui existedepuis 2001, touche en moyenne 52000 élèvespar an et dispose de plusieurs financeurs, dontle Goethe-Institut. «C’est un outil fantastique,juge Stefan Brunner, directeur adjoint de celuide Paris, l’un des huit instituts Goethe établisen France. Il combat efficacement l’idéeque “l’allemand c’est moche et c’est difficile”en présentant aux jeunes une image plaisantede cette langue.» Objectif rempli pour Lenace jour-là : à la rentrée, la plupart de ses élèvesont rejoint la classe bilangue du collège JeanZay de Saint-Gratien, afin d’étudier l’anglaiset l’allemand dès la 6e.C’est grâce aux classes bilangues

que l’allemand a freiné son déclin, qui semblaitinexorable à la fin du siècle dernier. La languede notre plus grand voisin ne parvenait plusà résister ni à la concurrence de l’anglais en LV1,ni à celle de l’espagnol en LV2. «Proposerles deux langues en même temps a vraimentpermis de relancer la machine», considèrerétrospectivement Béatrice Angrand. Depuis

LE PROGRAMME MOBIKLASSE,QUI PROPOSE UNE INITIATIONEN PRIMAIRE, VEUT MONTRER

AUX JEUNES FRANÇAISQUE LA LANGUE ALLEMANDEN’EST NI MOCHE NI DIFFICILE.

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que j’ai découvert. Les échanges m’ont permis dem’ouvrir à ce qui se passait en dehors de laFrance», se souvient-elle.Pour ceux qui ont l’esprit aventurier, deux

programmes demobilité individuelle offrentla possibilité de partir trois mois (BrigitteSauzay) ou six mois (Voltaire) chez un(e)correspondant(e) allemand(e) avant de leou la recevoir pour une durée équivalente. «C’estune belle aventure», résumeMatthieu, 16 ans,rencontré cet été chez son correspondant Henk,à Neuenhagen, une commune proche de Berlin.Dans le cadre de sa scolarité Abibac – pendantlaquelle les cours de littérature et d’histoire-géographie sont dispensés en allemand et quimène à la délivrance conjointe du baccalauréatet de son équivalent allemand, l’Abitur – il devaitfaire un long séjour de l’autre côté du Rhin.Les différences culturelles surprennentau premier abord, mais sont vite intégrées.«En Allemagne, on mange plus tôt et le repasest un peu bâclé par rapport à la France», a ainsiremarquéMatthieu. Quitter sa famille et sesamis pendant six mois ne l’a pas trop inquiété.«C’est un saut dans l’inconnumais les résultatssont bénéfiques», assure-t-il. Notammentsur le plan linguistique: «On progressepar paliers : beaucoup au début, puis ça stagneavant de reprendre.»Les échanges avec l’Allemagne ne sont pas

uniquement réservés aux filières généralesni aux germanistes. Depuis 1980, le Secrétariatfranco-allemand (SFA) finance ainsides échanges de trois à quatre semaines– incluant un stage en entreprise de deuxou trois semaines – organisés par les lycéesprofessionnels et technologiques et les centresde formation d’apprentis. Aux non-germanistes(la majorité), le SFA offre plusieurs solutionspour apprendre la langue en amontde l’échange. «Les retours des participantssont extrêmement positifs. On observe chezla plupart d’entre eux une ouverture d’espritet un gain d’intérêt pour la mobilitéinternationale, rapporte Frédérik Stiefenhofer,délégué allemand du SFA. Avec les compétencestechniques et linguistiques acquises,les participants améliorent aussi leurs chancessur le marché du travail. »C’est là l’autre argument brandi par

les promoteurs de la langue de Goethe : celle-cireprésente un plus sur le marché de l’emploi.

l’équivalent de l’Abibac dans l’enseignementprofessionnel, répondant ainsi aux besoinsdes entreprises. «Il y a beaucoup d’emploistransfrontaliers mais aussi des entreprises situéessur notre territoire qui demandent aux jeunesqu’elles recrutent de parler allemand», expliquela rectrice. Les régions frontalières ne sonttoutefois pas les seules concernées et l’allemandest la deuxième langue la plus demandée surle marché du travail en France, après l’anglais.Quelques données suffisent à comprendrepourquoi. «L’Allemagne est le premier clientet le premier fournisseur, mais aussi le premierinvestisseur direct et créateur d’emplois en France,où elle compte plus de 3000 filiales. Il n’existe pasen Europe deux économies de niveau comparableaussi étroitement liées», souligne PatriciaOster-Stierle, présidente de l’Université franco-allemande (UFA). Ce réseau d’établissementsd’enseignement supérieur français et allemands,qui fête ses 20 ans cette année, propose183 cursus intégrés binationaux et trinationaux.

UN TREMPLIN PROFESSIONNELEn sortent des diplômés «particulièrementouverts sur le monde», «habitués à travaillerdans un environnement biculturel»et qui «s’intègrent aisément sur le marchéinternational du travail», dépeint PatriciaOster-Stierle. Murielle Brayard est l’une d’entreeux. «L’allemand a été un vrai tremplin,en me permettant d’accéder à deux très bonnesécoles en France et en Allemagne, estime la jeunefemme de 23 ans, qui a suivi le double diplômefranco-allemand du programme CESEM,à NEOMA (Reims) et à l’ESB (Reutlingen).Je sais que c’est un plus pour les recruteurs,surtout dans mon domaine, la logistique.»Elle envisage de faire un VIE (volontariatinternational en entreprise) en Allemagneet note que la concurrence est moindreque pour les VIE dans des pays anglophonesou hispanophones.Au-delà de ces arguments rationnels,

la présidente de l’ADEAF Thérèse Clerc aimeraitque l’allemand soit plus souvent un «choixdu cœur». Ce fut le cas pour MarionMontagnon, à qui les nombreux voyagesréalisés en Allemagne et en Autriche avecses parents avait donné l’envie d’apprendrecette langue dès la 6e. Pour cette étudiantede 18 ans engagée dans un cursus franco-

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Apprendre en ligne ou en pianotant sur sonsmartphone, pourquoi pas ? En France, l’allemandest la cinquième langue la plus étudiéesur la plate-forme gratuite Duolingo derrièrel’anglais, l’espagnol, l’italien et… le français(à partir de l’anglais). Parmi les principauxacteurs de ce marché, on trouve aussi Babbel(tarifs dégressifs à partir de 9,95 euros par mois),qui comptabilise 1,5 million d’abonnés actifsdans le monde. Tous deux mettent l’accent surl’acquisition de compétences de communication,via un parcours ludique découpé en petitesunités chez Duolingo, des leçons par thèmespratiques chez Babbel (« téléphoner », « lettresd’amour » , « Oktoberfest »…). La clé du succès,c’est d’être régulier, par exemple une vingtainede minutes par jour. « C’est intuitif, très ludique,avec beaucoup d’exercices et c’est moinscontraignant qu’un apprentissage classique »,juge Bérengère, une utilisatrice de 33 ans.« C’est juste un peu léger au niveau grammaire »,regrette-t-elle.

L’ALLEMAND AU BOUT DES DOIGTS

À tel point que cela façonne son nouveau statut,constate Béatrice Angrand: «Le statutde l’allemand comme langue réservée aux très bonsélèves a disparu et on arrive progressivement à celuid’une langue qui fait la différence, qui est un plusdans la vie professionnelle.»Anaïs Piquet, qui vientde terminer son BTS en commerce internationalen sait quelque chose: l’allemand lui a déjà permisde décrocher un job d’été auprès d’un grandinstitut d’études demarché en Suisse. «C’estvraiment un atout sur le CV, dit la jeune femme.«J’en ai bavé avec cette langue, mais je sais qu’ilne faut pas que je décroche car je vois toutes lesopportunités qu’elle offre sur le marché du travail.»C’est particulièrement le cas dans les zones

frontalières, par exemple en Alsace,où « l’allemand est à la fois la langue régionale,la langue du voisin et la langue d’accès à l’emploi»,énumère Sophie Béjean, rectrice de l’académiede Strasbourg. Cette académie, qui compte le plusgrand nombre d’élèves germanistes en France,expérimente depuis trois ans l’Azubi-Bacpro, S

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Plus d’infos sur www.lesechos.fr/we

allemand d’ingénieur, la langue de Goetheest toujours synonyme de «vacances»et de «passion». Ce fut aussi un coup de cœurpour Émilie Rosier, actuellement étudianteen sciences politiques à l’IEP d’Aix-en-Provenceet à l’université de Fribourg. «J’aime beaucoupcette langue, je la trouve très belle, confie la jeunefemme de 22 ans, ravie de pouvoir lire la poésieallemande en version originale. L’apprentissaged’une langue ne se résume pas à l’étudede la grammaire et du vocabulaire mais permetde faire le pont vers la culture de l’autre.»Prendre ce pont culturel, c’est incarner

dans la société civile le fameux couple franco-allemand, moteur historique de la constructioneuropéenne. C’est d’ailleurs la réconciliationentre les deux pays, entamée après 1945et scellée à travers des engagements bilatérauxpris lors du traité de l’Élysée en 1963, quiest à l’origine de cet impressionnant réseaude structures binationales (l’OFAJ, le SFA,l’UFA…mais aussi Arte). De ce fait, « l’allemand

n’est pas simplement une discipline scolaire. C’estune matière politique. Tout ce qui toucheà l’enseignement de cette langue est un signalpolitique envoyé aux Allemands», relève ThérèseClerc. Voilà pourquoi le «rétablissement»des classes bilangues – en réalité la suppressionde l’exigence de continuité – décidé parle nouveau gouvernement a été si bien perçuoutre-Rhin. «C’est un signal important pourla langue allemande en France, qui incitenaturellement l’Allemagne à renforcer elle aussison implication pour l’apprentissagedu français», apprécie l’ambassadeur allemanden France, Nikolaus Meyer-Landrut. Etde conclure : «Allemands et Français ont besoinde se connaître et surtout de connaître la réalitédu pays partenaire d’aujourd’hui. Avec chaquenouvel apprenant de la langue de l’autre,on fait un pas vers une véritable compréhensionentre la France et l’Allemagne.»

ApprendreLe Goethe-Institut compte huit centres en France,dont six proposent des cours : à Paris (17, avenue

d’Iéna), à Lyon (18, rue François Dauphin), àBordeaux (35, cours de Verdun), à Toulouse (4 bis,rue Clémence Isaure), à Lille (98, rue des Stations)et à Nancy (39, rue de la Ravinelle). www.goethe.de

VoyagerL’Office franco-allemand pour

la jeunesse propose des voyages d’échangeset autres programmes ciblés. www.ofaj.org

Se perfectionnerL’université franco-allemande présente sur

son site tous les cursus proposés par son réseaude 186 établissements d’enseignement supérieur.

www.dfh-ufa.org.

POUR EN SAVOIR PLUS

PARLER ALLEMAND