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1 ETUDE D’UNE ŒUVRE LONGUE Réflexions pour construire une séquence fondée sur un parcours dans une œuvre longue TARTUFFE OU L’IMPOSTEUR de MOLIERE Premier cadrage J’ai déjà abordé l’objet d’étude « Des goûts et des couleurs, discutons-en », dans une première séquence courte à partir d’un groupement de documents. Celle-ci développait une réflexion centrée surtout sur l’interrogation « Comment faire partager ses goûts dans une démarche de dialogue et de respect ». Je souhaite désormais amener les élèves à s’interroger sur la variation des goûts d’une génération à l’autre et à saisir comment la réception d’une œuvre peut changer selon le contexte et la connaissance de l’œuvre. Les deux interrogations du programme vont donc se croiser dans cette séquence : « les goûts varient d’une génération à l’autre. Ceux d’aujourd’hui sont-ils meilleurs que ceux des générations précédentes ? » et « la connaissance d’une œuvre et de sa réception aide-t-elle à former ses goûts et/ou à s’ouvrir à ceux des autres ? » Approfondissements Je souhaite amener les élèves à s’interroger sur leurs goûts et/ou dégoûts en leur montrant comment des œuvres, dites « classiques" 1 , n’ont peut-être pas toujours eu cette reconnaissance. Je souhaite également que les élèves remettent en question leurs représentations sur certaines œuvres classiques , perçues comme n’étant que scolaires et qu’en les étudiant, ils les envisagent autrement parce qu’ils y trouveront une voie/voix pour répondre à leurs préoccupations et un écho aux sujets qui leur sont proches. J’ai bien conscience que le contexte de réception est un élément central de cet objet d’étude et de son questionnement. Je réfléchis à ce contexte de réception : il s’agit de l’époque où l’œuvre a été créée mais aussi de l’époque où elle a été reconnue. Je sais que je trouverai des témoignages, des commentaires, des réactions permettant de travailler ce contexte de réception. Enfin le contexte scolaire est celui dans lequel les élèves reçoivent une œuvre. Ce cadre influence, d’une manière ou d’une autre, leur perception. C’est à partir de cette expérience scolaire de l’oeuvre que je pense avoir plus de chance de sensibiliser les élèves à cet objet d’étude : en m’appuyant sur leurs représentations, en sollicitant leurs ressentis et l’évolution de ce ressenti au cours de la séquence. En effet, il me semble important, pour respecter l’esprit de cet objet d’étude, de ne pas évoquer seulement les discussions des « autres » (critiques, contemporains d’une œuvre, personnalités littéraires etc.). Les goûts des élèves doivent être exprimés, entendus et pris en compte dans la démarche pédagogique. L’expression de leurs goûts, dans une démarche de dialogue et de respect, permet la discussion. Je me dis aussi que les goûts des professeurs déterminent en partie leurs choix pédagogiques (pourquoi étudier cette œuvre plutôt qu’une autre ?), je pense en faire part, à la classe et confronter mon choix à leur goût. Je réponds ainsi à une des finalités du programme : entrer dans l’échange oral, écouter, réagir, s’exprimer. Je choisis donc dans le programme les capacités suivantes : 1 Œuvres classiques : classique au sens de Furetière (1689)où ces œuvres sont reconnues comme appartenant au patrimoine -littéraire ou artistiques, dont le statut n’est plus remis en cause et qui sont pour cela étudiées à l’Ecole.

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ETUDE D’UNE ŒUVRE LONGUE

Réflexions pour construire une séquence fondée sur un parcours dans une œuvre longue

TARTUFFE OU L’IMPOSTEUR de MOLIERE

Premier cadrage

J’ai déjà abordé l’objet d’étude « Des goûts et des couleurs, discutons-en », dans une première

séquence courte à partir d’un groupement de documents. Celle-ci développait une réflexion centrée

surtout sur l’interrogation « Comment faire partager ses goûts dans une démarche de dialogue et

de respect ». Je souhaite désormais amener les élèves à s’interroger sur la variation des goûts

d’une génération à l’autre et à saisir comment la réception d’une œuvre peut changer selon le

contexte et la connaissance de l’œuvre. Les deux interrogations du programme vont donc se

croiser dans cette séquence : « les goûts varient d’une génération à l’autre. Ceux d’aujourd’hui

sont-ils meilleurs que ceux des générations précédentes ? » et « la connaissance d’une œuvre et

de sa réception aide-t-elle à former ses goûts et/ou à s’ouvrir à ceux des autres ? »

Approfondissements

Je souhaite amener les élèves à s’interroger sur leurs goûts et/ou dégoûts en leur montrant

comment des œuvres, dites « classiques"1, n’ont peut-être pas toujours eu cette reconnaissance. Je

souhaite également que les élèves remettent en question leurs représentations sur certaines

œuvres classiques, perçues comme n’étant que scolaires et qu’en les étudiant, ils les envisagent

autrement parce qu’ils y trouveront une voie/voix pour répondre à leurs préoccupations et un écho

aux sujets qui leur sont proches.

J’ai bien conscience que le contexte de réception est un élément central de cet objet d’étude et de

son questionnement. Je réfléchis à ce contexte de réception : il s’agit de l’époque où l’œuvre a été

créée mais aussi de l’époque où elle a été reconnue. Je sais que je trouverai des témoignages, des

commentaires, des réactions permettant de travailler ce contexte de réception. Enfin le contexte scolaire

est celui dans lequel les élèves reçoivent une œuvre. Ce cadre influence, d’une manière ou d’une

autre, leur perception. C’est à partir de cette expérience scolaire de l’oeuvre que je pense avoir plus

de chance de sensibiliser les élèves à cet objet d’étude : en m’appuyant sur leurs représentations,

en sollicitant leurs ressentis et l’évolution de ce ressenti au cours de la séquence. En effet, il me

semble important, pour respecter l’esprit de cet objet d’étude, de ne pas évoquer seulement les

discussions des « autres » (critiques, contemporains d’une œuvre, personnalités littéraires etc.).

Les goûts des élèves doivent être exprimés, entendus et pris en compte dans la démarche

pédagogique. L’expression de leurs goûts, dans une démarche de dialogue et de respect, permet la

discussion. Je me dis aussi que les goûts des professeurs déterminent en partie leurs choix

pédagogiques (pourquoi étudier cette œuvre plutôt qu’une autre ?), je pense en faire part, à la

classe et confronter mon choix à leur goût. Je réponds ainsi à une des finalités du programme :

entrer dans l’échange oral, écouter, réagir, s’exprimer. Je choisis donc dans le programme les

capacités suivantes :

1 Œuvres classiques : classique au sens de Furetière (1689)où ces œuvres sont reconnues comme appartenant au

patrimoine -littéraire ou artistiques, dont le statut n’est plus remis en cause et qui sont pour cela étudiées à l’Ecole.

2

- Exprimer à l’oral et à l’écrit une impression, un ressenti, une émotion.

- Situer une production dans son contexte, identifier les canons esthétiques qu’elle sert et

qu’elle dépasse.

L’étude d’une œuvre ou d’une production artistique en donne une meilleure connaissance. Les

objectifs visés dans le programme permettent d’acquérir une culture littéraire et artistique, mais

aussi de se servir des ces connaissances pour dépasser ses premières représentations,

développer ses centres d’intérêts et diversifier ses goûts. Je pense que l’analyse et l’interprétation

d’une œuvre permet de construire une appréciation esthétique plus élaborée et qui dépasse le seul

ressenti. C’est pourquoi, en conduisant une étude d’œuvre intégrale ou un parcours dans une

œuvre, les élèves auront de la matière pour justifier leur appréciation esthétique et intellectuelle.

Pour faciliter cette expression orale et écrite, je veillerai à poursuivre l’acquisition du lexique de la

l’adhésion et du refus, du plaisant et de l’ennuyeux.

La réflexion menée sur les réceptions d’une œuvre, personnelles ou collectives, nécessitera de

travailler la modélisation, par l’identification des termes mélioratifs ou péjoratifs et par l’incitation à

utiliser ces modalisateurs.

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Je sélectionne donc les différents éléments du programme qui organiseront ma séquence.

Capacités

Connaissances Attitudes

Analyser et interpréter une production artistique. Exprimer à l’oral et à l’écrit une impression, un ressenti, une émotion. Construire une appréciation esthétique à travers un échange d’opinions, en prenant en compte les goûts d’autrui. Situer une production artistique dans son contexte, identifier les canons qu’elle sert ou qu’elle dépasse.

Champ littéraire : Périodes : au choix, une période de rupture esthétique, en littérature et dans d’autres formes artistiques : - la Renaissance (poètes de la Pléiade) ; - le XVIIe siècle (théâtre classique) ; - Modernité et « Esprit Nouveau » (Apollinaire, Jacob, Cendrars …). Notions d’individualité et d’universalité, de canons et de modes, de réception. Champ linguistique : Lexique : beau/laid, utile/inutile, plaisant/ennuyeux. Lexique de la perception et de la sensibilité, de la plaisanterie et de l’humour, de l’adhésion et du refus. Déterminants. Substituts lexicaux et grammaticaux. Connecteurs d’énumération. Connecteurs qui introduisent l’analogie, la ressemblance. Modalisation : termes péjoratifs et mélioratifs. Histoire des arts :

Périodes historiques : XVIe, XVIIe siècles. Thématiques : « Arts, sociétés, cultures », « Arts, goûts, esthétiques ».

Être conscient de la subjectivité de ses goûts. Être curieux de différents langages artistiques.

Recherche de supports

Le cours de ma réflexion m’amène à chercher un auteur connu des élèves, jouissant d’une

légitimité institutionnelle et faisant autorité. Je cherche un auteur classique du XVIIe (qui est un

champ littéraire préconisé dans le programme) fréquemment étudié dans les établissements

scolaires. Je cherche aussi un auteur qui, à son époque, a suscité la polémique et dont la

reconnaissance fut source de tension. Corneille et Molière me viennent à l’esprit. Je choisis Molière

qui est mieux connu des élèves, la plupart ayant étudié une de ses pièces ou au moins plusieurs

extraits, au collège. Je préfère Molière à Corneille car le registre comique peut être l’objet de

discussions avec les élèves : l’humour, le comique est-il une question de génération ? Peut-on

encore rire aujourd’hui de ce qui amusait les générations précédentes ? J’ai à plusieurs reprises

constaté que les élèves ne perçoivent pas toujours ce qui est drôle dans certaines répliques ou

dans la peinture de certains caractères.

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Il me faut maintenant choisir une pièce de Molière. Je fais attention de ne pas répéter ce qui a déjà

pu être fait au collège. Il me semble que Dom Juan, Le Misanthrope, Tartuffe, L’école des femmes

ou Les femmes savantes font partie des pièces qui y sont le moins étudiées. J’écarte Le

Misanthrope. En effet le sujet de cette pièce me semble trop éloigné de l’univers et surtout de l’âge

d’élèves de seconde, je crains qu’ils manquent de maturité. L’école des femmes a l’avantage d’être

une pièce novatrice (parce qu’elle allie la farce et la grande comédie – 5 actes, en vers-) et a donné

lieu à des débats « Querelle de l’Ecole des femmes ». Cependant l’action est complexe et

nécessiterait une étude intégrale. Or je ne souhaite pas faire une séquence trop longue et je ne

veux pas perdre de vue la finalité de cet objet d’étude. Dom Juan me convainc, les ressources sont

nombreuses et variées mais son contexte de production et sa réception ne me permettent pas de

mener mon projet de séquence. Je choisis Tartuffe. Elle n’est pas très connue des élèves. Le sujet

risque de les rebuter un peu mais je m’appuierai justement sur ce ressenti. La pièce a été interdite

deux fois avant de connaître un grand succès ; j’utiliserai ce contexte difficile pour travailler sur la

réception. Les mises en scènes offrent des ressources iconographiques intéressantes qui pourront

être utilisées dans le parcours. Je pense aussi à la mise en scène d’Ariane Mnouchkine de 1995 qui

voulut actualiser Tartuffe et dénoncer l’intégrisme. Certaines critiques, du journal Libération

notamment me permettront de travailler le lexique du plaisant et de l’ennuyeux et la modélisation.

Je relis la pièce. Elle m’apparaît plus difficile que je le pensais. Elle est écrite en vers, en

alexandrins. Les références au culte et à la culture catholique sont nombreuses et nécessiteront

quelques recadrages.

Je cherche les ressources audiovisuelles, des images de mises en scène.

Présentation de la démarche – Organisation de la séquence

La première séance vise à faire émerger les représentations des élèves sur l’œuvre, à exprimer

leur ressenti et à formuler des hypothèses de lecture.

Après avoir inscrit au tableau le titre de la pièce et le nom de l’auteur, j’invite les élèves à noter, sur

leur cahier, leurs impressions, leurs connaissances du sujet de cette œuvre et de son auteur et

leurs questions. Le passage par un écrit personnel est important afin de placer chaque élève en

situation de réflexion. Pendant ce temps je trace au tableau trois colonnes correspondant aux

impressions, aux connaissances, aux questions. Les élèves interrogés devront aller inscrire une de

leurs réponses au tableau.

La mise en commun permet d’évaluer la position de chacun, d’entrevoir les points communs et les

différences entre les élèves et d’avoir une idée générale du positionnement de la classe quant à ce

qui va être entrepris dans cette séquence. Des premières hypothèses de lecture seront alors

formulées.

Dans un second temps, les élèves vont explorer le contenu de l’édition de Tartuffe qu’ils ont

acquise et chercher des informations sur l’auteur, l’époque, le genre et le sujet de la pièce. Je n’ai

pas imposé d’éditeur ou de collection, j’ai juste précisé qu’il fallait le texte intégral. Les pièces de

Molière sont aussi disponibles en ligne (sur des sites tels que « inlibroveritas », Tout Molière.net ou

Gallica). Je trouve intéressant qu’ils confrontent les éditions, qu’ils réfléchissent aux raisons et aux

conséquences de leur diversité. D’autre part, la pièce étant écrite en vers et ceux-ci étant

numérotés, je donne les références des extraits en citant le numéro des vers. Cette étape

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s’accompagne d’une prise de notes personnelles. Je les mets ainsi dans une situation d’écriture de

travail.

Suite à cette exploration, les élèves reprennent leurs premières impressions et hypothèses et les

complètent, les reformulent si besoin.

Cette première séance doit être suivie d’une période de vacances qui permet aux élèves de lire la

pièce. Je ne ferai pas de contrôle de lecture car, pour les élèves les plus en difficulté, la tâche est

presque insurmontable. Dans la plupart des éditions ou sur Internet on trouve des résumés assez

détaillés de chaque acte. Je leur demande de lire ces résumés afin de facilité leur lecture. Je

souhaite que les élèves connaissent tous les éléments de l’intrigue.

La deuxième séance pose les interrogations de l’objet d’étude.

Cette séance est à dominante orale.

Au préalable, les élèves doivent, au cours de leurs lectures, avoir noté leurs ressentis sur l’œuvre

lue, le sujet et les personnages de la pièce. En classe, les élèves en font part de manière

synthétique. Les notes sont rangées dans le portfolio.

Je présente, à mon tour, ce qui a motivé mes choix et nous explorons la notion d’auteur classique.

Ces échanges doivent conduire au questionnement de l’objet d’étude :

- Les goûts varient d’une génération à l’autre. Ceux d’aujourd’hui sont-ils meilleurs que ceux

des générations précédentes ?

- La connaissance d’une œuvre et de sa réception aide-t-elle à former ses goûts et/ou à

s’ouvrir à ceux des autres ?

Et à un faisceau de questions :

En quoi Tartuffe est une pièce du XVIIe siècle ? Peut-on encore apprécier Tartuffe aujourd’hui ?

Cette pièce peut-elle encore avoir un écho aujourd’hui ? En quoi l’étude de cette pièce peut-elle

changer un point de vue et un ressenti ?

Les séances 3, 4, 5 et 6 forment le parcours dans l’œuvre.

La séance 3 s’appuie sur la lecture plus approfondie de 2 extraits des scènes 1 et 2 de l’Acte I.

Le premier extrait (vers 145 à 167, Acte I, scène 1) est une tirade de Madame de Pernelle

s’adressant à ses petits enfants et à sa belle-fille. Elle loue le ciel d’avoir envoyé Tartuffe dans la

maison de son fils dont elle juge le mode de vie trop frivole.

Le second extrait (vers 179 à 210, Acte I scène 2) est une tirade de Dorine décrivant à Cléante le

comportement d’Orgon avec Tartuffe et jugeant la personnalité de ce dernier.

On identifie les reproches que Mme de Pernelle fait à sa bru et à ses enfants : oisiveté,

divertissement et médisance. J’interroge les élèves sur la légitimité de ces reproches (débat court)

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On cherche quel comportement pourrait s’y opposer (travail, rigueur, austérité et franchise) et

quelles valeurs sont finalement défendues par Mme de Pernelle (valeurs bourgeoises2)

Les élèves relèvent ce que Dorine reproches à Tartuffe, et les raisons de sa colère (l’éblouissement

d’Orgon).

J’amène les élèves à réfléchir aux statuts des émetteurs : la mère du maître de maison est plutôt

âgée et austère ; la servante, appartient à la domesticité, n’est pas éduquée mais a du bon sens.

On revient rapidement sur le rôle souvent dévolu au valet chez Molière.

Pour terminer je demande aux élèves de se mettre à la place des spectateurs découvrant cette

pièce : les spectateurs peuvent-ils, à ce moment de la pièce, se faire une opinion définitive sur

Tartuffe ? Pourquoi ? Cet exercice vise à décentrer les élèves de leur propre ressenti. Cette mise à

distance est attendue en terminale, c’est une façon de l’initier.

Dans ces deux extraits les personnages parlent de Tartuffe et en donnent des visions différentes.

Lui n’est toujours pas apparu sur scène. On souligne la place de ces extraits dans la pièce et on

rappelle le rôle de l’exposition. J’invite les élèves à s’interroger sur le choix d’écriture de Molière :

pourquoi l’auteur tarde-t-il tant à faire venir Tartuffe ? C’est une façon de tenir le spectateur en

haleine et de l’amener à se questionner sur ce personnage de Tartuffe.

La quatrième séance aborde le registre comique et son utilisation.

On étudie une tirade d’Orgon vantant les qualités de Tartuffe, vers 281 à 313.

Je fais repérer le comique de caractères et de situation en exploitant le champ lexical du religieux et

de l’excès.

Les élèves s’interrogent sur les intentions de Molière : qui cherche-t-il à ridiculiser, que veut-il

dénoncer ?

J’invite les élèves à réfléchir au moyen utilisé par Molière pour dénoncer une situation et l’effet

recherché. En effet le registre comique utilisé pour dénoncer l’hypocrisie de certains dévots et la

naïveté de certains hommes, renforce la critique. Il est alors nécessaire d’apporter quelques

précisions sur le contexte en expliquant la place de l’Eglise dans la société et auprès du roi.

Cette première partie de la séance se poursuit par un travail personnel (à la maison ou en classe

selon l’emploi du temps) à partir d’un extrait d’une lettre de Lamoignon à Molière, évoquant l’idée

que le théâtre ne doit pas traiter de la morale religieuse et un extrait de la Préface de Molière dans

laquelle il dit au contraire que « le devoir de la comédie est de corriger les hommes en les

divertissant ». Les élèves seront d’autre part, amenés à répondre, par écrit, à la question suivante :

le théâtre, le cinéma, la littérature peuvent-ils dénoncer efficacement un excès ? J’ai bien

conscience que ce sujet s’apparente à un sujet de terminale. Mais mes exigences sont limitées et

les termes du sujet sont ciblés.

Le Les sketches des Guignols de l’info, les spectacles d’humoristes, certains sont des ressources

possibles.

Le lexique du plaisant et de l’humour est sollicité.

2 On rappelle à cette occasion quelle place occupe les bourgeois dans la société d’ancien régime.

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La cinquième séance travaille l’argumentation et le levier de la langue comme moyen de mieux lire

et comprendre un texte.

Support : tirade de Cléante sur les faux dévots et les dévots de cœur, vers 352 à 407.

La tirade est longue et difficile. Je tiens à ce que les élèves la travaillent parce qu’elle vient nuancer

l’idée fausse mais qui aurait pu se former depuis le début de la pièce : Molière contre la religion.

Dans cette tirade Cléante démontre l’engeance que sont les faux-dévots et le mal qu’ils font à la

religion et au sacré, que ce dernier place au dessus de tout.

Dans cette pièce comme dans la plupart des pièces classiques (en vers) la langue est complexe et

représente une barrière qui freine voire empêche d’accéder au sens. C’est par l’étude de la langue

et du lexique que je décide de travailler la tirade. J’opte donc pour une démarche allant de la langue

au sens. Je cherche aussi à éviter que les élèves se découragent et se lassent du texte.

Je prends soin de recopier la tirade sur l’ordinateur. Je joue sur la typographie (gras, italique,

souligné, encadré, surligné) pour mettre en valeur les champs lexicaux, les procédés d’écriture, tel

ou tel paragraphe ou vers.

Je demande aux élèves de ne pas lire la tirade mais de s’attacher aux mots du texte mis en relief.

On avance ainsi peu à peu dans la compréhension des mots et de l’organisation du texte. Je

compte sur cet exercice pour renforcer, dans l’esprit des élèves, l’idée que la langue est un levier

fondamental pour comprendre un texte, en saisir sa cohérence et ses subtilités.

La lecture intégrale de la tirade se fait en fin de séance. Un exercice d’écriture (synthèse) vérifie la

compréhension du discours de Cléante.

La sixième séance termine le portrait de Tartuffe.

Il s’agit, à partir d’un groupement (d’extraits assez courts de la pièce et de photos de mises en

scène) de mettre à jour la véritable personnalité de Tartuffe.

Dans la troisième séance, les élèves ont réfléchi à l’idée que le spectateur pouvait se faire de

Tartuffe. A la fin de la pièce le portrait est complet et Tartuffe est découvert.

Pourquoi s’appuyer sur des extraits ? En effet, les élèves sont sensés avoir lu la pièce dans son

intégralité. Mais pour éviter de laisser en route certains élèves, ceux qui ne l’auraient pas lue et

ceux qui pourraient être bloqués par le niveau de langue, je propose des extraits très ciblés et des

photos qui permettront à tous les élèves de travailler.

La septième séance aborde les choix de mise en scène de Tartuffe.

Comment mettre en scène Tartuffe ? Avec quelle intention ?

Un exercice à la maison permet de réactualiser, modestement, les différents éléments qui entrent

dans la mise en scène d’un texte : le décor, les accessoires, les costumes, les maquillages, les

lumières, les sons.

Un moment (pas plus de 15 minutes) est pris en début d’heure pour rendre compte de ce travail et

clarifier ce qu’on entend par mise en scène.

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Les élèves se regroupent ensuite par 3 ou 4. Je leur demande d’imaginer une mise en scène de

Tartuffe. Après un temps d’échange de trente minutes environ, chaque groupe doit faire part à la

classe de ses choix (sans entrer dans le détail) en les justifiant (pas plus de 5 minutes par groupe).

Enfin je fais lire aux élèves deux extraits d’articles (positif et négatif) sur la mise en scène d’Ariane

Mnouchkine. On commente les choix de l’artiste (sont-ils provocateurs, pertinents, exagérés etc.).

On observe comment les points de vue des journalistes se traduisent dans le choix du vocabulaire,

des types de phrases (on travaille la modalisation du discours).

Au cours de cette séance, les élèves entrent dans l’échange oral de trois façons : libre et

respectueux au sein du groupe, plus organisé et en interaction avec la classe en grand groupe.

Cette part importante accordée à l’oral est au cœur de l’objet d’étude et répond à une des finalités

du programme.

La huitième et dernière séance sollicite le point de vue des élèves.

Le parcours dans l’œuvre est terminé. Il s’agit maintenant de voir comment ont évolué le ressenti et

le point de vue des élèves sur la pièce par rapport aux premières séances. Les élèves répondent à

ces questions : Tartuffe, un personnage détestable ou ridicule ? Tartuffe, une pièce ennuyeuse,

scandaleuse, plaisante, moderne ? C’est un paragraphe rédigé que les élèves sont amenés à

produire personnellement.

Pour nourrir la réflexion des élèves, je leur propose une compilation de quelques commentaires sur

Tartuffe à travers les époques. Ce document ne dépasse pas une page et les extraits sont assez

courts et doivent être pris en compte pour formuler leur réponse qui sera donc personnelle mais

aussi décentrée.

Remarques :

La première question sur le personnage de Tartuffe réactive la notion de personnage et de héros vu

dans la séquence «Parcours de personnages ».

La seconde question fait écho à la question posée en début de séquence sur les attentes et les

ressentis des élèves. Si les ressentis n’ont pas changé, au moins devront-ils s’appuyer sur des

arguments plus étoffés.

Evaluation

L’évaluation est un devoir maison qui vise à vérifier la compréhension de la pièce et à rédiger une

argumentation.

Le support pour les compétences de lecture est un extrait de la pièce : Acte III, scène 2, vers 853 à

878.

Les signes de dévotion (le langage, les accessoires)

L’ambiguïté du personnage (ému par l’annonce d’une entrevue avec Elmire)

Le personnage de Dorine (provocatrice et directe)

Le comique de situation et de mots

La compétence d’écriture est la suivante :

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Le lycée propose des places pour aller voir Tartuffe au théâtre de votre ville. Vous collaborez au

journal du lycée et dans un article vous exprimez votre point de vue afin de convaincre les élèves

de se rendre à cette représentation ou au contraire de les en dissuader.

Choisissez un point de vue à défendre et rédigez cet article en prenant soin d’être persuasif dans

votre discours (interpellation du lecteur, répétitions, anaphore, ponctuation et types de

phrases).Soyez convaincant dans vos idées, expliquez-les en utilisant des éléments tirés de l’étude

de la pièce (thème, écriture, personnages, registre). Utilisez le vocabulaire adapté à l’idée que vous

défendez (valorisant ou dévalorisant).

Votre texte fera une vingtaine de lignes. Soignez la présentation.

Quel bilan de la séquence ?

Je vérifie que j’ai bien mis en œuvre les finalités du programme.

Entrer dans l’échange oral : écouter, réagir, s’exprimer

A plusieurs reprises les élèves sont invités à exprimer à l’oral leurs idées, leurs ressentis. Ils doivent

se montrer à l’écoute de leur camarade afin de rendre compte d’un échange. Enfin ils participent à

un débat sur le choix de mise en scène d’un artiste.

Entrer dans l’échange écrit : lire, analyser, écrire

Les supports de lecture sont variés (une pièce, des résumés, des commentaires, des articles) et les

modalités de lecture aussi (lecture analytique, consultation, lecture cursive). Les prises de notes

sont des écrits de travail consignés dans le portfolio. Les élèves argumentent leur point de vue dans

des écrits rédigés.

Devenir un lecteur compétent et critique

Les lectures sont mises en regard de l’objet d’étude et de son questionnement. Le travail sur la

langue permet de dépasser les difficultés du texte et d’en construire plus efficacement le sens.

Les ressentis et les points de vue de départ sont repris en fin de séquence afin de voir s’ils ont

évolué et comment.

Situer une production dans son contexte, identifier les canons esthétiques qu’elle sert et qu’elle

dépasse.

Les élèves ont bien appréhendé le contexte de production de Tartuffe et ont réfléchi à l’actualité de

la pièce.

Le point de vue personnel est sollicité mais aussi dépassé. Les élèves doivent prendre en compte

les différents regards qui ont été portés sur cette pièce.

Quand cela est possible, il est toujours préférable de travailler le texte de théâtre et sa mise en

scène avec la perspective d’assister à sa représentation. Il est aussi envisageable de mettre en

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place un partenariat avec une troupe de théâtre (de proximité) qui pourrait accompagner la réflexion

sur les choix de mise en scène.

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Synopsis de la séquence

Séquence réalisée avec une classe de seconde Restauration Cuisine et Service

Séquence longue

Parcours dans une œuvre longue

Question : que peut apporter, aujourd’hui, la lecture de Tartuffe ?

Séance 1

Support : Le paratexte de l’édition de Tartuffe. Capacités : Exprimer à l’oral une impression, un ressenti. Situer une production artistique et son auteur. Modalités : Prise de notes personnelles. Echanges oraux. Lecture personnelle. Points abordés : hypothèses de lecture et horizons d’attente. 1 heure

Séance 2

Support : l’œuvre intégrale. Capacités : Exprimer à l’oral une impression, un ressenti. Modalités : Echanges collectifs.

Points abordés : énoncer les questionnements de l’objet d’étude.

1 heure

Séance 3

Support : vers 145 à 167 de l’Acte I, scène 1 et vers 179 à 210 de l’Acte I, scène 2. Capacités : Analyser et interpréter une production artistique. Modalités : lecture orale et questions. Travail personnel et mise en commun. Points abordés : 2 points de vue opposés de personnages de la pièce sur le personnage de Tartuffe. 1 heure (1h30)

Séance 4

Support : vers 281 à 313, Acte I, scène 5. Extrait de la lettre de Lamoignon à Molière et extrait de la préface de Tartuffe par Molière (1669). Capacités : Analyser et interpréter une production artistique. Situer une production artistique dans son contexte. Modalités : lecture et questions. Mise en commun et synthèse. Points abordés : les champs lexicaux du religieux et de l’excès. Les intentions de Molière. Le comique de caractère et le comique de situation. Les arguments contre la pièce. 2 heures

Séance 5

Support : vers 352 à 407 de l’Acte I, scène 5. Capacités : Analyser et interpréter une production artistique. Situer une production artistique. Modalités : identifier et analyser des faits de langue (lexique, types de phrase, les connecteurs, les formes de phrases) pour construire du sens. Lire la tirade à l’oral après la lecture analytique.

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Points abordés : la dénonciation de l’hypocrisie, de la cupidité et de la cruauté de Tartuffe, des faux dévots. L’éloge des dévots de cœur. Les idées défendues par Molière sur la religion et sur Dieu. L’organisation d’une argumentation. 2 heures

Séance 6

Support : différents extraits de la pièce et photos de mise en scène (Acte III, scène 3 vers 933 à 944 et vers 961 à 970 ; une gravure de Tartuffe embrassant la main d’Elmire ; Acte IV, scène 5 vers 1503 à 1528 ; Acte V, scène 4 vers 1741 à 1754.) Capacités : Analyser et interpréter une production artistique. Modalités : lecture et prélèvement d’informations (à partir de questions). Mise en commun et synthèse. Points abordés : les différents aspects de la personnalité de tartuffe. Les intentions de Tartuffe. Le comique de situation. Les éléments dramatiques de la pièce.

Séance 7

Support : 2 articles (critiques) sur la mise en scène d’Ariane Mnouchkine. Libération 10 juillet 1995, René SOLIS et Le Soir (journal belge) du 11 juillet 1995 Jean-Marie WYNANTS . Capacités : Construire une appréciation esthétique à travers un échange d’opinions en prenant compte des goûts d’autrui. Situer une production artistique dans son contexte, identifier les canons qu’elle sert et qu’elle dépasse. Modalités : travail de groupe. Echanges et rédaction d’un texte synthétique. Présentation à l’oral de ses choix et justification. Echanges et débat en grand groupe. Points abordés : l’actualité de Tartuffe. Les grandes questions que soulève ce texte.

Séance 8

Support : différents points de vue sur l’œuvre (Préface de Tartuffe par Molière 1669, Ordonnance de Péréfixe archevêque de Paris, 1667, Commentaire de Voltaire en 1739, Un extrait de Racine et Shakespeare de Stendhal, 1823-1825, note de mise en scène de Brigitte Jacques-Wajeman, 2009.) Capacité : Construire une appréciation esthétique à travers un échange d’opinions, en prenant en compte les goûts d’autrui. Situer une production artistique dans son contexte, identifier les canons qu’elle sert ou qu’elle dépasse. Modalités : travail personnel. Rédaction d’un paragraphe organisé dans lequel on confronte son ressenti et son point de vue à d’autres. Points abordés : les diverses appréciations de la pièce. Poursuivre sa réflexion.

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Quelques supports utilisés dans la séquence

Extraits de Notes de mise en scène, de Brigitte Jacques-Wajeman.

« Tartuffe est l’histoire d’une famille autrefois heureuse, l’histoire du combat de cette famille contre

la terreur qu’on veut exercer sur elle. N’était Madame de Pernelle, la terrible grand-mère, la famille

d’Orgon serait une famille moderne et progressiste. Elle ressemble à une famille d’aujourd’hui, une

famille recomposée.

La mise en scène de Tartuffe se déploiera autour d’une grande table ; cette table est au cœur de la

maison, au cœur de la pièce ; elle va y jouer un rôle déterminant puisque c’est caché dessous

qu’Orgon écoute, à son corps défendant, la déclaration de Tartuffe à Elmire, et découvre enfin son

imposture. Table de repas avant tout, table de réunion autour de laquelle les membres de la famille

viennent s’installer régulièrement, elle sera aussi l’occasion d’étrange et troublante liturgie […]

Depuis la mémorable représentation de Roger Planchon, on a découvert la profonde ambivalence

du rôle et on n’hésite plus à choisir un jeune acteur pour le jouer. Mais c’est Jouvet, fatigué des

représentations caricaturales de son temps, qui le premier, dans ses cours au Conservatoire, a

songé à un Tartuffe jeune : « le jour où on rejouera Tartuffe, il faudra trouver un garçon charmant,

inquiétant et très intelligent, et qu’on sente, pendant la scène d’Elmire et de tartuffe, ce qu’elle a de

scandaleux […] Vitez a emboîté le pas. Et de nombreux autres. Les bénéfices que la mise en scène

retire d’un jeune Tartuffe sont exceptionnels : Damis et tartuffe sont interchangeables. Orgon

substitue Tartuffe à son fils légitime. D’où la rage et le désespoir décuplés de Damis. De même la

jalousie de Valère, lorsque Mariane ne sait comment refuser Tartuffe qu’Orgon veut lui offrir à sa

place. Enfin l’extrême séduction des scènes entre Elmire et le jeune et dangereux imposteur »

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Séance 8 : jugements d’hier et d’aujourd’hui

Document 1 : Molière, préface de tartuffe, 1669.

« Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j’ai cru que, dans

l’emploi où je me trouve, je n’avais rien mieux à faire que d’attaquer par des peintures ridicules les

vices de mon siècle ; et, comme l’hypocrisie, sans doute, en est un des plus en usage, des plus

incommodes et des plus dangereux, j’avais eu sire, la pensée que je ne rendrais pas un petit

service à tous les honnêtes gens de votre royaume, si je faisais une comédie qui décriât les

hypocrites […] »

Piété : très fort respect du religieux.

Document 2 : Ordonnance de Péréfixe, archevêque de Paris, 11 août 1667

« Une comédie très dangereuse et qui est d’autant plus capable de nuire à la religion que, sous

prétexte de condamner l’hypocrisie ou la fausse dévotion, elle donne lieu d’en accuser

indifféremment tous ceux qui font profession de la plus solide piété et les expose par ce moyen aux

railleries et aux calomnies continuelles des libertins »

Raillerie : moquerie

Calomnies : fausses accusations

Document 3 : Voltaire, 1739, philosophe.

« Aujourd’hui, bien des gens regardent comme une leçon de morale cette même pièce qu’on

trouvait autrefois si scandaleuse. On peut hardiment avancer que les discours de Cléante, dans

lesquels la vertu vraie et éclairée est opposée à la dévotion imbécile d’Orgon, son, à quelques

expressions près, le plus fort et le plus élégant sermon* que nous ayons en notre langue. »

Sermon : discours prononcé par un prêtre pour instruire les fidèles.

Document 4 : Stendhal, in éditions posthumes de Racine et Shakespeare, 1823-1825.

« Il n’y a rien de comique à voir Orgon maudire et chasser son fils qui vient d’accuser Tartuffe d’un

crime évident ; et cela parce que Tartuffe répond avec des phrases volées au catéchisme et qui ne

prouvent rien. L’œil perçoit tout à coup une des profondeurs du cœur humain, mais une profondeur

plus curieuse que riante […] Nous sommes trop attentifs, et j’oserais dire trop passionnés pour

rire. »

Document 5 : Notes de mise en scène, Brigitte Jacques-Wajeman, 2009.

« Molière est un auteur moderne et progressiste ; il défend passionnément les libertés individuelles :

à travers ses pièces, il défend sans relâche les droits des femmes et des jeunes gens contre la

tyrannie* conjuguée des pères, des maris, de l’Eglise. La lutte contre les dictats* de la religion, qui

dominaient dans l’éducation ordinaire, et souvent présente dans son œuvre et particulièrement

dans Tartuffe. Tout son théâtre respire le triomphe de la jeunesse et du plaisir sur la respectabilité

et les convenances. J’emprunte cette analyse à Paul Bénichou que j’approuve entièrement. »

Tyrannie : pouvoir abusif d’un tyran.

Dictat : règle, loi très rigides et exercé sans justice.

Convenance : respectant les règles de la morale.

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