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1 Question 2 : Enjeux et recompositions géopolitiques du monde Etude obligatoire - Les chemins de la puissance : les États-Unis et le monde depuis les « 14 points » du président Wilson Cette étude prolonge le travail mené en classe de Première, en approfondissant les notions abordées lors de l’approche sur les grands « trends » historiques. Ce thème se veut une ouverture à la géopolitique et à l’histoire de la puissance dominante du XXe siècle : les États-Unis d’Amérique. Première puissance économique depuis la fin du XIXe siècle, les États-Unis ont cherché à s’affirmer peu à peu en tant que leader sur le plan international. Tournés initialement vers l’Amérique latine ou vers l’océan Pacifique, ils ont élargi leur rayonnement à l’échelle mondiale, tout en entretenant des relations ambiguës avec l’Europe, à laquelle les unissent pourtant de forts liens historiques et économiques. L’intérêt de cette étude est aussi d’amener à s’interroger sur les choix opérés par ce pays et, en toute fin, sur sa réorientation actuelle en direction du Pacifique face à la Chine qui est en train de devenir la nouvelle obsession américaine en ce début du XXIe siècle. La conquête de l’Ouest et le regard vers le Pacifique initié au cours du XIXe siècle sont redevenus la préoccupation principale du pays en ces années 2010. La question se mêle également de manière extrêmement étroite à la géographie, notamment par son regard lié à la mondialisation, selon une approche de « géohistoire de la mondialisation ». La mondialisation des conflits tout autant que de l’économie, par le biais des firmes multinationales (FMN), caractérise la période étudiée. Fruit des échanges planétaire, la révolution des hautes technologies a contribué à faire perdre à l’Occident durant les décennies des années 1970-1980 sa primauté acquise avec les deux premières révolutions industrielles au profit, en grande partie, de l’Asie orientale. Extrait du discours du 8 janvier 1918 reprenant les quatorze points : 1. « Des traités de paix ouverts, auxquels on a librement abouti, après lesquels il n'y aura plus aucune espèces d'alliances internationales privées, mais une diplomatie franche et transparente » 2. « Une absolue liberté de navigation sur les mers, en dehors des eaux territoriales, en temps de paix, aussi bien qu'en temps de guerre, sauf si les mers doivent être en partie ou totalement fermées afin de permettre l'application d'alliances internationales. » 3. « Le retrait, autant que possible, de toutes les barrières économiques, et l'établissement d'une égalité des conditions de commerce parmi toutes les nations désirant la paix et s'associant pour la maintenir. » 4. « Des garanties adéquates à donner et à prendre afin que les armements nationaux soient réduits au plus petit point possible compatible avec la sécurité intérieure. » 5. « Un ajustement libre, ouvert, absolument impartial de tous les territoires coloniaux, se basant sur le principe qu'en déterminant toutes les questions au sujet de la souveraineté, les intérêts des populations concernées soient autant prises en compte que les revendications équitables du gouvernement dont le titre est à déterminer. »

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Question 2 : Enjeux et recompositions géopolitiques du monde

Etude obligatoire - Les chemins de la puissance : les États-Unis et le monde

depuis les « 14 points » du président Wilson

Cette étude prolonge le travail mené en classe de Première, en approfondissant les notions abordées lors de l’approche sur les grands « trends » historiques. Ce thème se veut une ouverture à la géopolitique et à l’histoire de la puissance dominante du XXe siècle : les États-Unis d’Amérique. Première puissance économique depuis la fin du XIXe siècle, les États-Unis ont cherché à s’affirmer peu à peu en tant que leader sur le plan international. Tournés initialement vers l’Amérique latine ou vers l’océan Pacifique, ils ont élargi leur rayonnement à l’échelle mondiale, tout en entretenant des relations ambiguës avec l’Europe, à laquelle les unissent pourtant de forts liens historiques et économiques. L’intérêt de cette étude est aussi d’amener à s’interroger sur les choix opérés par ce pays et, en toute fin, sur sa réorientation actuelle en direction du Pacifique face à la Chine qui est en train de devenir la nouvelle obsession américaine en ce début du XXIe siècle. La conquête de l’Ouest et le regard vers le Pacifique initié au cours du XIXe siècle sont redevenus la préoccupation principale du pays en ces années 2010. La question se mêle également de manière extrêmement étroite à la géographie, notamment par son regard lié à la mondialisation, selon une approche de « géohistoire de la mondialisation ». La mondialisation des conflits tout autant que de l’économie, par le biais des firmes multinationales (FMN), caractérise la période étudiée. Fruit des échanges planétaire, la révolution des hautes technologies a contribué à faire perdre à l’Occident durant les décennies des années 1970-1980 sa primauté acquise avec les deux premières révolutions industrielles au profit, en grande partie, de l’Asie orientale.

Extrait du discours du 8 janvier 1918 reprenant les quatorze points :

1. « Des traités de paix ouverts, auxquels on a librement abouti, après lesquels il n'y aura plus

aucune espèces d'alliances internationales privées, mais une diplomatie franche et

transparente »

2. « Une absolue liberté de navigation sur les mers, en dehors des eaux territoriales, en temps

de paix, aussi bien qu'en temps de guerre, sauf si les mers doivent être en partie ou

totalement fermées afin de permettre l'application d'alliances internationales. »

3. « Le retrait, autant que possible, de toutes les barrières économiques, et l'établissement d'une

égalité des conditions de commerce parmi toutes les nations désirant la paix et s'associant

pour la maintenir. »

4. « Des garanties adéquates à donner et à prendre afin que les armements nationaux soient

réduits au plus petit point possible compatible avec la sécurité intérieure. »

5. « Un ajustement libre, ouvert, absolument impartial de tous les territoires coloniaux, se

basant sur le principe qu'en déterminant toutes les questions au sujet de la souveraineté, les

intérêts des populations concernées soient autant prises en compte que les revendications

équitables du gouvernement dont le titre est à déterminer. »

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6. « L'évacuation de tout le territoire russe et règlement de toutes questions concernant la

Russie de sorte à assurer la meilleure et plus libre coopération des autres nations du monde

en vue de donner à la Russie toute latitude sans entrave ni obstacle, de décider, en pleine

indépendance, de son propre développement politique et de son organisation nationale; pour

lui assurer un sincère et bienveillant accueil dans la Société des Nations libres, avec des

institutions de son propre choix, et même plus qu'un accueil, l'aide de toute sorte dont elle

pourra avoir besoin et qu'elle pourra souhaiter. Le traitement qui sera accordé à la Russie par

ses nations sœurs dans les mois à venir sera la pierre de touche de leur bonne volonté, de

leur compréhension des besoins de la Russie, abstraction faite de leurs propres intérêts,

enfin, de leur sympathie intelligente et généreuse. »

7. « La Belgique, et le monde entier agréera, doit être évacuée et restaurée, sans aucune

tentative de limiter sa souveraineté dont elle jouit communément aux autres nations libres.

Nul autre acte ne servira comme celui-ci à rétablir la confiance parmi les nations dans les

lois qu'elles ont établi et déterminé elles-mêmes pour le gouvernement de leurs relations

avec les autres. Sans cet acte curateur, l'entière structure et la validité de la loi internationale

est à jamais amputée. »

8. « Tous les territoires français devraient être libérés, les portions envahies rendues, et les torts

causés à la France par la Prusse en 1871, concernant l'Alsace-Lorraine, qui a perturbé la paix

mondiale pendant près de 50 ans, devraient être corrigés, de telle sorte que la paix soit de

nouveau établie dans l'intérêt de tous. »

9. « Un réajustement des frontières d'Italie devrait être effectué le long de lignes nationales

clairement reconnaissables. »

10. « Aux peuples d'Autriche-Hongrie, dont nous désirons voir sauvegarder et assurer la place

parmi les nations, devra être accordée au plus tôt la possibilité d'un développement

autonome. »

11. « La Roumanie, la Serbie et le Monténégro devraient être évacués ; les territoires occupés

devraient être restitués ; à la Serbie devrait être assuré un accès à la mer libre et sûr; les

relations des états Balkans entre eux devraient être déterminés par une entente amicale le

long de lignes historiquement établies d'allégeance et de nationalité; des garanties

internationales quant à l'indépendance politique et économique, et l'intégrité territoriale des

États des Balkans devrait également être introduites. »

12. « Aux régions turques de l'Empire ottoman actuel devraient être assurées la souveraineté et

la sécurité ; mais aux autres nations qui sont maintenant sous la domination turque on

devrait garantir une sécurité absolue de vie et la pleine possibilité de se développer d'une

façon autonome ; quant aux Dardanelles, elles devraient rester ouvertes en permanence, afin

de permettre le libre passage aux vaisseaux et au commerce de toutes les nations, sous

garantie internationale. »

13. « Un État polonais indépendant devrait être créé, qui inclurait les territoires habités par des

populations indiscutablement polonaises, auxquelles on devrait assurer un libre accès à la

mer, et dont l'indépendance politique et économique ainsi que l'intégrité territoriale

devraient être garanties par un accord international. »

14. « Une association générale des nations doit être constituée sous des alliances spécifiques

ayant pour objet d'offrir des garanties mutuelles d'indépendance politique et d'intégrité

territoriale aux petits comme aux grands États. »

I/- Les États-Unis, entre isolationnisme et ouverture au monde (1918-1941)

A. Les États-Unis et la Grande Guerre : un engagement tardif

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• Comme toute nation, les États-Unis ont aspiré à la puissance. Le XIXe siècle est tourné vers la maîtrise de son espace intérieur et son affirmation vis-à-vis de ses deux voisins. Le biais d’affirmation se fait surtout via l’industrialisation. Première puissance industrielle depuis le tournant du XXe siècle, les États-Unis d’Amérique adaptent prioritairement leur politique extérieure vers la préservation primordiale du libéralisme. • C’est en grande partie, mais pas uniquement, à cause de ce dernier principe que leur engagement dans le premier conflit mondial a été tardif, mais également parce que : – le centre d’attention du pays se focalise sur le continent américain, dans la droite

ligne des doctrines Monroe (1823) et Roosevelt (1910) ; – l’extension du pays se fait

essentiellement en direction de l’ouest et, plus précisément, du Pacifique : les colonies

européennes et le Japon y sont « sous surveillance ». La place des îles Hawaii, de Guam et

de Midway donne de la force à ce positionnement ;

– l’Europe est le berceau de la majeure partie des habitants des États-Unis en

1917-1918. Si les Anglo-Saxons y sont prédominants, les communautés germaniques

sont nombreuses et non sans influence, notamment dans le Nord-Est. Il n’y a donc pas

unanimité à soutenir une intervention du côté de la Triple Entente pendant longtemps.

• Pour Wilson, la neutralité économique et l’impartialité sont les points cardinaux

de la politique extérieure du pays à partir de l’éclatement du conflit européen en

1914. Toutefois, le blocus économique imposé par le Royaume-Uni à la Triple Alliance

voit les exportations américaines en direction de l’Allemagne chuter de 169 millions à 1

million de dollars tandis que celles allant en direction de l’Entente passent de 825

millions à 3,2 milliards. De même, jusqu’en avril 1917, l’Allemagne ne peut emprunter

que 27 millions de dollars auprès des banques américaines autorisées par le

gouvernement fédéral quand l’Entente lève plus de 2 milliards.

• On peut distinguer plusieurs raisons qui ont conduit le pays à entrer dans la

guerre : le torpillage de navires comme le Lusitania en 1915 et, surtout, à partir de janvier

1917, l’empêchement de circuler dans la zone de guerre par l’Allemagne,

l’encouragement allemand à ce que le Mexique déclare la guerre aux États-Unis (voir

télégramme Zimmermann, doc. 1, p. 61)… qui sont vus comme des atteintes

intolérables et qui conduisent à la déclaration de guerre par le Congrès le 6 avril.

• Ces motifs seront réexaminés en 1934 par une commission (Nye) qui souligne la forte

influence des banquiers et des industriels sur le gouvernement en 1917, soucieux de

ne pas perdre leurs créances contractées par la Triple Entente.

• Le président Wilson préfère des motifs plus nobles, évoquant la défense de la

démocratie et de la liberté face à la barbarie, et l’instauration de nouvelles relations

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internationales fondée sur le bannissement de la diplomatie secrète et le droit des

peuples à disposer d’eux-mêmes.

• En 1917, l’engagement rencontre un enthousiasme certain auprès des populations. Les

engagements de volontaires, urbains pour la plupart, sont nombreux (2 millions à la

fin de l’année 1918) et comptent même des noirs, dont la 93e division qui est

directement intégrée au sein des troupes françaises. C’est au cri de « La Fayette nous voilà »

que débarquent les premières troupes sous le commandant du général Pershing.

• Cependant, si le gouvernement américain s’engage sans réserve à fournir des armes et

des capitaux, il refuse d’emblée de placer ses troupes sous un contrôle allié total. Les

troupes américaines s’illustrent dans les secteurs de Reims, Soissons et Meuse-Argonne,

et participent à la victoire.

• L’exercice de sa puissance prend donc pour la première fois la forme d’arsenal des

démocraties, mais sans sujétion militaire.

• L’autre enjeu est cette volonté de Wilson d’internationaliser, via les 14 points, le droit

des peuples à disposer d’eux-mêmes (voir doc. 2, p. 61). C’est là un point essentiel pour

lui. Intérêt bien perçu par Ludendorff qui voit là le biais pour la préservation du Reich

lorsque la fin du conflit approche. Mais cette conviction se heurte à l’intransigeance de la

France et du Royaume-Uni qui s’impose aux Américains. Les 14 points sont acceptés,

mais de façon limitative pour le peuple allemand. Les découpages et retraits

territoriaux ne sont pas négociés, mais imposés, d’où le sentiment d’humiliation perçu

envers ce diktat.

B. Le rejet de la politique d’ouverture de Wilson

• Cette manifestation de la puissance américaine sur la scène internationale est un succès.

Les USA confortent leur place de leader économique et de créancier, (en 1919 :45 %

des réserves d’or mondiales et 35 % des investissements mondiaux en 1929).

• Des limites internes apparaissent cependant rapidement. Les démocrates perdent le

contrôle du Sénat dès 1918, puis la présidence en 1920. Le parti républicain, qui domine

la politique tout au long des années 1920, prône le retour à l’isolationnisme

traditionnel.

• La population est largement traumatisée par la guerre et pas forcément prête à voir

son pays assumer les conséquences de son leadership économique dans le domaine des

relations internationales. C’est le temps d’« America first » (voir manuel, doc. 3, p. 61),

c’est-à-dire de la fierté nationaliste, relayé par la diffusion nouvelle de la culture

américaine du Japon à l’Europe via le jazz ou le cinéma.

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• Les États-Unis usent de leur suprématie économique et financière au service de la

promotion unilatérale de leurs intérêts, ce qui les conduit à signer des traités de paix

séparés avec les puissances centrales ou à soutenir le pacte Briand-Kellog de 1928

par lequel une quinzaine d’États renoncent solennellement à la guerre comme « instrument

de politique nationale dans leurs relations mutuelles ».

• La grande orientation militaire est, dans les années 1920, d’assurer le désarmement

tout en assurant un équilibre favorable. Ainsi, dans le Pacifique, ceci se concrétise par

le traité de Washington de 1922 qui vise à établir la parité avec le Royaume-Uni et une

supériorité sur les Japonais. Cette orientation diplomatique n’interdit pas toutefois le

recours à la force comme au Nicaragua en 1926-1933.

• Les États-Unis inscrivent leur puissance dans une perspective d’abord économique

et financière. L’isolationnisme de la population empêche toutefois de disposer d’un

budget militaire adapté. Le refus de crédits aux États dont la politique leur déplaît est le

credo du gouvernement américain. La France et le Royaume-Uni doivent consolider leurs

dettes de guerre et revoir le règlement des réparations allemandes (plan Dawes du 16

août 1924 et plan Young du 7 juin 1929). Ce qui assure l’influence du gouvernement

américain durant l’ensemble des années 1920.

C. Comment sortir de l’isolationnisme ?

• Ce qui est bon pour les États-Unis est bon pour le monde. Seulement l’inverse se

révèle tout aussi exact : la crise de 1929 introduit un choc dans les relations

transatlantiques.

• Face à la crise, les banquiers (courant après le remboursement de leurs prêts) et le

gouvernement américains font en effet pression sur les anciens alliés afin qu’ils

abandonnent leurs créances sur l’Allemagne (juin 1932) tout en refusant la

réciprocité à ses mêmes pays. Les Français, les Britanniques et leurs alliés cessent leurs

remboursements. Dès lors, les États-Unis optent pour une attitude de profonde défiance

et de prise de distance face à la situation européenne pour l’ensemble des années 1930.

• Le protectionnisme, bras économique du nationalisme, mis en place à partir de juin

1930, entraîne des réactions en chaîne contre cette situation. La diplomatie des

républicains (années 1920) s’effondre, ainsi que la politique des traités. C’est à ce

moment que le Japon voit dans l’expansion militaire la réponse à ses difficultés et se

lance dans la conquête du Nord de la Chine à partir de 1931, conquête à laquelle le

gouvernement Hoover ne répond que par une condamnation morale…

• En 1933, aucun changement n’est introduit avec l’avènement de Roosevelt. À l’instar

des républicains, il est persuadé que la puissance de la démocratie américaine va de pair

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avec sa bonne santé économique. Mais pour lui, les causes de la crise sont, avant tout,

nationales. Il se focalise donc essentiellement sur la situation intérieure dans les

premières années de son gouvernement. La posture du Congrès va clairement dans ce

même sens et adopte le 31 août 1935 la première loi sur la neutralité, interdisant pour

une durée de six mois la livraison d’armes à tous pays en situation de belligérance

(agresseur comme agressé). Roosevelt obtient un premier aménagement le 1er mai 1937 :

l’adoption de la clause Cash & Carry autorisant finalement les clients à venir

chercher eux-mêmes les marchandises en les payant comptant tout en assurant le

transport. Mais la puissance américaine continue à exercer sa neutralité, alors que les

agressions des régimes fascistes s’accroissent.

• La chute de la France produit un effet décisif sur l’opinion américaine qui se

détourne de l’isolationnisme. Roosevelt n’attend pas. Il transgresse les lois de neutralité

en août 1940 en signant un accord (Destroyers for bases) transférant cinquante destroyers au

Royaume-Uni contre des bases dans les Caraïbes. Puis, il obtient pour la première fois

du Congrès la mise en place d’une conscription en temps de paix et 17 milliards de

dollars pour le réarmement du pays.

• « Nous devons devenir l’arsenal de la démocratie » : c’est par ces mots que, le 17 décembre

1940, Roosevelt officialise le soutien des États-Unis envers ses pays amis. Pour se faire, il

fait adopter une aide économique et matérielle quasi gratuite dont bénéficie prioritaire le

Royaume-Uni, puis la Chine et l’URSS, sous le nom de « loi prêt-bail » en 1941, réglant

par conséquent définitivement la question des dettes de guerre impayées de la Première

Guerre mondiale. Le Congrès autorise le président à aider tout gouvernement dont il

peut juger la défense « vitale pour les États-Unis ». 50 milliards de dollars lui sont consacrés.

• Cette période est essentielle pour comprendre l’histoire du pays et la voie suivie dans

l’affirmation/la construction de son statut de grande puissance.

II/- Les États-Unis à la tête d’un monde nouveau (1941-1947)

A. Le Victory Program et ses réussites (voir carte clé 1, p. 58)

• Peu à peu, au cours des années 1940-1941, les Américains prennent conscience que

l’évolution des relations internationales les met devant l’alternative suivante : soit une

intervention militaire, soit l’abdication de leur rang et la domination du monde par les

États militarisés ou/et totalitaires.

• Suite au renversement de l’opinion en faveur de la participation au conflit en cours

en Europe, Roosevelt, réélu, peut avoir une position plus offensive. Les vaisseaux de

guerre sont autorisés à tirer dans la zone de défense américaine, puis les navires de

commerce peuvent s’armer. L’orientation est ici clairement anti-nazie.

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• Toutefois, la situation se dégrade plus rapidement du côté de l’Asie orientale.

Profitant de la faiblesse de la Chine et de la France, le Japon s’étend en direction de

l’Indochine. La réaction consiste, dès l’automne 1939, à dénoncer l’accord commercial

liant Japon aux États-Unis. (Or il dépend d’eux pour 90 % de ses besoins en ferraille, 91

% de sa consommation de cuivre et 60 % de son alimentation en pétrole…). Chaque

nouvelle provocation du Japon amène une escalade dans les sanctions américaines …

En octobre 1941, le parti de la guerre arrive au pouvoir à Tokyo et décide de lancer

l’attaque surprise sur la flotte américaine du Pacifique le 7 décembre 1941.

• Le 8 décembre 1941, les États-Unis déclarent la guerre au Japon et doivent faire

face, trois jours plus tard, à la déclaration de guerre de l’Allemagne et de l’Italie.

• Le 10 décembre 1941, Roosevelt déclare : « Nous devons faire face à la grande tâche qui est

devant nous en abandonnant immédiatement et pour toujours l’illusion que nous pourrions à nouveau

nous isoler du reste de l’humanité ». Les États- Unis renoncent officiellement à

l’isolationnisme pour le concept plus large de « sécurité nationale ».

• Dès la fin de l’année 1941, les commandes militaires du gouvernement

représentent 2 milliards de dollars par mois et 15 % de la production industrielle

ce qui permet d’effacer rapidement les stigmates de la crise de 1929 : 8,5 millions de

chômeurs en juin 1940, 4 millions en décembre 1941 et 0,7 million en 1944. C’est là la

conséquence de la mise en œuvre du Victory Program lancé le 6 janvier 1942 et qui

prévoit des objectifs chiffrés de production.

Les États-Unis fournissent ainsi 35 % des armements utilisés contre les nazis et 86 % de

ceux qui permettent la victoire dans l’Asie Pacifique.

• Si en cinq ans le gouvernement fédéral dépense deux fois plus d’argent que dans

les 150 années précédentes, la guerre assure aux États-Unis une supériorité

économique, financière et technologique. Le projet Manhattan portant sur la mise au

point de la bombe atomique confirme sa supériorité militaire (voir doc. 6, p. 63).

• Non seulement le pays est « l’arsenal des démocraties », mais ses troupes et ses stratèges

ont été des atouts essentiels dans la victoire face aux agresseurs nazis et nippons. Sur les

16 millions d’engagés, les pertes sont modérées avec seulement 300 000 morts.

• Sur le plan intérieur, le soutien unanime des Américains légitime l’action présidentielle.

Et surtout, en prenant soin d’associer les républicains au gouvernement et à la

préparation de la paix, Roosevelt évite l’écueil qui avait frappé Wilson en 1919.

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B. Construire l’après-guerre

• Le second conflit mondial offre donc aux dirigeants américains l’opportunité de

modeler le monde futur, en y diffusant leurs valeurs, dont le libéralisme et le respect de

l’intégrité territoriale.

• « Le commerce sans entrave va de pair avec la paix ; les tarifs élevés, la concurrence déloyale vont de

pair avec la guerre » ainsi pense le secrétaire d’État Cordell Hull, pour lequel c’est la crise de

1929 qui a généré les réflexes protectionnistes et nationalistes permettant à des régimes

totalitaires de prendre le pouvoir. D’où la conversion américaine à un

interventionnisme étatique modéré en promouvant la création d’agences financières

internationales lors des accords de Bretton Woods, le 22 juillet 1944, pour assurer la

prospérité d’après-guerre (voir doc.7, p. 63) : la BIRD (future Banque mondiale) dont

la mission est d’assurer la restauration des économies dévastées par le conflit, le Fonds

monétaire international qui doit veiller au maintien d’un système de parités fixes mais

ajustables, et le GATT pour assurer la libre circulation commerciale. À cela s’ajoute le

fait que le dollar devienne la seule monnaie étalon avec l’or et de réserve au monde.

• Les États-Unis associent puissance économique et militaire avec cette intervention

dans la Seconde Guerre mondiale. Le pays possède alors les 2/3 des stocks d’or, les 3/4

des capitaux de la planète, la 1/2 de la puissance industrielle (voir p. 68-69).

• Sur le plan des relations internationales, le président Roosevelt opte dès 1941 pour

reprendre la vision néo-wilsonienne avec un constat simple : l’impuissance de la SDN a

contribué à fragiliser le monde autant que la mise à distance des affaires internationales

promue par les républicains dans les années 1920.

D’où, des rencontres, conférences au sommet, pour rappeler les principes

fondamentaux de tolérance et de respect devant régir les relations internationales de

l’après-guerre. Ainsi, entre le 9 et le 12 août 1941, Churchill et Roosevelt se rencontrent

au large de Terre-Neuve, dans le cadre de la Conférence de l’Atlantique, afin de

promouvoir la paix et la garantie des frontières face au nazisme (voir doc. 4, p. 61).

• Les premiers principes des relations d’après-guerre sont validés par l’URSS entre le 28

novembre et le 1er décembre 1943, lors de la Conférence de Téhéran entre Roosevelt,

Churchill et Staline. Lors de cette première rencontre directe des trois Grands, Staline y

affirme les prétentions soviétiques sur l’Europe de l’Est, particulièrement sur la Pologne

et les Balkans, ainsi que sur l’Asie Pacifique. Un accord sur un projet d’Organisation

des nations unies (ONU) est trouvé avec la prévision de la mise en place d’un Comité

exécutif placé sous la surveillance des « quatre agents de police » selon Roosevelt (États-

Unis, Royaume-Uni, URSS, Chine).

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C. L’ONU, instrument du pouvoir américain ?

• C’est lors de la conférence de Dumberton Oaks à Washington (7 octobre 1944) que

les grands principes fondateurs de l’ONU sont posés par les trois puissances auxquelles

se joint la Chine. Quatre organes principaux y sont validés : une assemblée générale, un

conseil de sécurité, un conseil économique et social et une cour de justice.

• Vu l’avancée des forces militaires, à la conférence de Yalta (février 1945), est décidée

la mise en place d’une conférence de lancement de la future ONU à San Francisco pour

avril… Parmi les avancées de ce projet, sont instaurés un budget propre, la mise à

disposition du conseil de sécurité de forces armées pour empêcher tout nouveau conflit

et le droit de veto des cinq membres permanents au conseil de sécurité. Est également

actée la reprise des agences de la SDN. 51 États s’engagent à maintenir ensemble la paix

dans le monde, comme il est inscrit dans son préambule (« Nous, peuples des Nations unies,

résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre »), mais également à résoudre les

problèmes internationaux d’ordre économique, social et humanitaire.

• L’ONU est la création des vainqueurs, héritière directe des « 14 points de Wilson » et

de la Société des nations (voir doc. 8, p. 63).

• En ce sens, plus encore que son aînée, l’ONU est fille de l’Amérique. Si ses

concepteurs américains en ont recopié le modèle architectural (le Conseil restreint,

devenu Conseil de sécurité, composé d’États membres permanents et de non-

permanents tournants, une Assemblée générale donnant une façade de légitimité), ils

voulaient, derrière le président Roosevelt, y ajouter les moyens politiques et militaires qui

avaient manqué à l’organisation de Genève pour faire appliquer ses décisions.

• L’efficacité de cette nouvelle organisation internationale repose ainsi sur trois

éléments majeurs : l’instauration d’une démocratie internationale (Assemblé générale),

la gestion de la force par une concertation des puissants (Conseil de sécurité), la création

d’une armée onusienne (art.43 de la Charte des nations Unies, « les États membres s’engagent à

mettre à la disposition du Conseil de sécurité, […] les forces armées, […], nécessaires au maintien de la

paix et de la sécurité internationale »), et un élément non officiel, le rôle des États- Unis en

tant que chef d’orchestre.

• Une fois la Charte officialisée, la 1ère Assemblée générale se tient le 10 janvier 1946

à Londres, mais elle vient s’installer définitivement à New York en 1952 dans un

bâtiment sur la rivière Hudson. L’ONU a été inspirée par les Américains, Wilson puis

Roosevelt, le second amena les États-Unis à abandonner définitivement l’isolationnisme

au profit du rôle de gendarmes du monde. À partir de ce moment, la puissance

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financière, la puissance économique et la puissance militaire ont contribué à

asseoir l’influence mondiale du pays, devenant une grande puissance diplomatique.

• Roosevelt rêve de se positionner entre les Anglais focalisés sur leur empire et les

communistes d’URSS. Les tensions de l’après-guerre sont déjà inscrites dès 1944.

III/-Les États-Unis et le temps de la guerre froide (1947-1991)

A. Une lutte assumée contre le communisme (carte clé 2, p. 59)

• Dans ses derniers instants, le président Roosevelt (qui décède le 12 avril 1945) est convaincu que l’avenir de la paix va dépendre moins des institutions internationales créées pour la préserver que de la capacité des États-Unis et de l’URSS à maintenir leur entente une fois la guerre achevée. Le duopole de puissance mis en place devait devenir l’ultime garant de la paix. • Mais l’URSS, qui trouve rang de grande puissance, n’est pas prête à abandonner la domination et l’influence que la guerre lui fait acquérir. Staline hésitait à entrer dans le jeu initié à la conférence de Téhéran où il se sent isolé. Finalement, il voit là le moyen de faire valider son glacis de sûreté en Europe orientale et centrale. Par cette domination, l’URSS compte s’assurer des indemnités de guerre, des denrées et des matières premières essentielles pour la reconstruction de son économie dévastée. • Là réside un premier point de divergence avec les États- Unis et il ne cesse de se creuser tout au long de l’année 1945. L’arrivée d’Harry Truman à la présidence entraîne peu à peu une remise en cause des liens qui avaient uni les deux puissances face à l’Axe. À cela, il faut ajouter l’aveuglement que le sentiment de toute-puissance exerce sur chacun des deux Grands. • Ce qui les amène à se positionner c’est la situation européenne. Dès 1943, les alliés avaient décidé que l’Allemagne serait dénazifiée et que, pour cela, une occupation et une administration prendraient la direction de cet espace géographique. Le pays étant démantelé en 1945 à Yalta, les alliés conviennent de s’organiser en quatre zones d’occupation (Churchill ayant fait acter une zone française prise sur les Occidentaux car l’influence soviétique commence sérieusement à l’inquiéter). • Car dès le 10 juin 1945, le maréchal Joukov autorise dans la zone soviétique l’établissement de cinq partis politiques : communiste, socialiste, chrétien, libéral et libéral de droite. En même temps, les Soviétiques mettent en place une administration d’occupation, la SMAD, comprenant 30 000 personnes, qui a toute autorité sur les administrations allemandes, des échelons centraux à locaux. C’est une prise de contrôle totale qui est investie par les communistes allemands. • Puis dès le 15 juillet 1945, tous les partis politiques sont réunis dans un bloc anti-fasciste, ce qui va permettre au KPD, pourtant très minoritaire dans l’opinion de la zone

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soviétique, avec l’aide de la SMAD (Administration militaire soviétique de l’Allemagne) et par un effet de levier, d’en prendre la tête et de marginaliser les autres partis. Il s’agit là du lancement de la « stratégie du salami » souvent décrite. • Les pays occidentaux, eux, par contre, tardent à mettre en place leur réorganisation. Lorsqu’ils viennent s’installer à Berlin, ils s’interrogent tout d’abord sur le devenir de cette entité allemande. Pour eux, la fin de la centralisation passe par le rétablissement des Länder et de la pluralité démocratique. C’est finalement la question des indemnités dues par l’Allemagne (20 milliards de dollars) qui finit par conduire à la rupture. • Il faut signaler le rôle majeur de Churchill dans l’évolution de l’opinion américaine vis-à-vis des soviétiques (dès mai 45 il emploie le terme de « rideau de fer » qu’il reprend en mai 46 à Fulton) • Pour des États-Unis tournés vers un repli de leurs troupes basées en Europe sous deux ans, l’attitude de l’URSS conforte le courant dans l’entourage de Truman qui souhaite une politique de puissance plus offensive. Dès le 9 février 1946, Staline fait savoir que l’opposition avec le capitalisme est irrémédiable, car source d’insécurité pour l’URSS, cela renforce les tensions apparues dès la conférence de Potsdam en juillet 1945. Le président Truman annonce peu après, en 1947, la nouvelle politique américaine : la politique du containment ou de l’endiguement du communisme. Il s’agit d’empêcher toute nouvelle progression du communisme (et non pas de reconquérir les territoires passés sous contrôle de l’URSS qui équivaudrait à une stratégie défensive). C’est là un changement important dans la politique américaine : les États-Unis renoncent à leur isolationnisme et mettent en place une sphère d’influence. Pour la première fois en temps de paix, ils s’engagent hors du continent américain (voir doc. 9, p. 65).

B. De multiples outils pour renforcer la puissance américaine

• Si la guerre froide apparaît aujourd’hui comme le fruit de deux idéologies antagonistes (l’union a disparu lorsque la raison de la coalition a été éliminée), elle a surtout pour objectif principal l’affirmation de leur puissance(« impérialisme »). Les empires coloniaux étant en 1945 le dernier témoin de puissance passée… • L’installation d’armées extérieures à l’Europe sur son sol signifie bien son abaissement et a contrario l’affirmation de la puissance américaine sur sa partie occidentale. Les États- Unis sont alors les seuls à pouvoir empêcher l’irrésistible pression soviétique. D’où cette figure de sauveur du monde libre qu’ils y construisent. Les ressorts de leur puissance n’ont pas échappé aux Soviétiques. L’installation de troupes de ces derniers à proximité de zones vitales pour l’économie libérale (au Moyen-Orient, en Europe, en Asie orientale), ajouté à la vitalité des partis communistes en Occident, conforte alors les États-Unis dans leur volonté de contenir l’influence communiste de par le monde (voir p. 70-71).

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• Le virage anti-communiste pris par Truman se fait en deux années : 1947-1949. Il prend la forme de la construction d’un système impérial autour des démocraties occidentales. Avec le plan Marshall (voir p. 68-69) qui en découle, ils visent à concrétiser les promesses faites de substitution aux Anglais en Grèce et en Turquie, de soutien financier, à relancer l’Allemagne et le Japon… le tout au nom de la défense du libéralisme (OECE). C’est par les soutiens octroyés à leurs alliés en Europe occidentale, qu’ils réussissent alors à poser les bases d’une alliance tout à la fois idéologique, économique et finalement militaire. L’OTAN, créée en 1949, incarne le « pont » entre l’Amérique, la Turquie et l’Europe qualifiée de « libre ». • À ce premier lien, les États-Unis en ajoutent d’autres visant à encercler le camp socialiste en cours de construction. Le terme de « pactomania » est alors utilisé : l’OTASE et le Pacte de Badgad viennent prolonger le dispositif en bordant à l’Est et au Sud l’URSS. La perte de l’allié chinois en 1949 renforce le sentiment américain qu’il faut bloquer l’extension du socialisme sur le plan mondial. • Si les camps se structurent dès les années 1950, ils essayent de s’étendre aux ex-colonies devenues indépendantes. Le monde se divise. Les confrontations sont nombreuses, mais toujours retenues, pour éviter de déclencher un nouveau conflit mondial. Berlin, la Corée, Cuba et le Vietnam voient les Américains défendre violemment leur camp. Les Américains qui ne peuvent rien faire contre l’URSS au sein de son espace d’influence répondent par l’endiguement et la protection de leurs propres zones. Ils y mettent les moyens de la première puissance mondiale (voir manuel, doc. 11, p. 65). Le monde rêvé par Roosevelt s’est fracassé sur la bipolarité.

C. Des doutes avant la victoire finale

• La mutation entreprise par les États-Unis vers l’affirmation d’une puissance dans tous les domaines se parachève avec le National Security Act de 1947. Ce dernier crée la CIA, le conseil de sécurité nationale pour coordonner les relations avec l’étranger et une structure qui devient le département de la Défense en 1949. Dès 1948, un recensement de tous les hommes âgés de 18 à 26 ans est ordonné et un ordre de priorité est défini pour les appels de 21 mois sous les drapeaux. La structuration de l’« empire américain » se termine ici par la pérennisation de la puissance militaire avec 1,5 million d’hommes (toujours 1,4 million en 2010). • Pour servir cette logique, le développement d’un complexe militaro-industriel puissant a été fortement encouragé depuis 1945 (voir doc. 10, p. 65), il a été protégé (il n’est pas ouvert aux étrangers dans les secteurs stratégiques). • La compétition avec l’URSS engendre la mise en place d’une course aux armements. Les années 1949- 1950 sont alors cruciales. La « perte » de la Chine, l’explosion nucléaire soviétique et la guerre de Corée montrent que l’assurance de la puissance ne pourra se faire à coûts modérés. Le développement des armes nucléaires et conventionnelles repart alors, de même que la constitution d’un vaste arsenal destiné également à aider les alliés

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comme en Corée ou en Indochine. La multiplication des têtes nucléaires devient une priorité. La doctrine Dulles de représailles massives lancée durant la présidence d’Eisenhower conclut cette orientation. Les forces classiques connaissent également un gonflement significatif pour atteindre entre 2,5 et 3,6 millions de soldats, afin de pouvoir donner « une réponse symétrique » à toute provocation soviétique. Elle est toutefois corrigée sous la présidence Kennedy avec la mise en place de la « riposte graduée » du secrétaire d’État McNamara. • Le complexe militaro-industriel se développe au fur et à mesure des conflits et des nouveaux secteurs mis en œuvre, dans l’aérospatial par exemple (NASA, Boeing…). Il dispose de crédits colossaux, qui équivalent, en 2012 aux dix premiers budgets militaires cumulés après les États-Unis, soit 50 % des dépenses militaires mondiales. • Malgré les doutes comme la désastreuse année 1979 (perte des alliés nicaraguayen et iranien, invasion soviétique de l’Afghanistan…), ou les échecs, comme dans la péninsule indochinoise, en Iran ou au Nicaragua, le bloc américain reste solide jusqu’en 1991. Des bases et des flottes militaires le quadrillent efficacement, du Japon à l’Europe en passant par le Moyen-Orient ainsi que ses périphéries. La panoplie des outils pour contrôler le monde s’étend peu à peu et prend de nouvelles formes grâce à des inventions comme Internet, le programme IDS ou le réseau Echelon, destiné à intercepter les communications de l’adversaire. La stratégie de puissance s’accompagne également du contrôle de l’information et de la diffusion, par exemple, des dessins animés de W. Disney ou du mode de consommation qui popularisent l’approche culturelle américaine. • Ces orientations politiques, initiées par le président Harry Truman, ont été soutenues par les deux grands partis politiques dominant le Congrès. Les successeurs de Truman les ont approfondies. La puissance financière soutient à partir de 1947 la puissance militaire et diplomatique des États-Unis. IV/- Les États-Unis face à leurs défis contemporains (1991-2011)

A. Dix années d’Hyperpuissance (carte clé 3, p. 59)

• La disparition de l’ennemi soviétique le 25 décembre 1991 consacre la seule puissance américaine, l’« hyperpuissance » pour suivre la formule d’Hubert Védrine. Francis Fukuyama écrit en 1992, dans son livre La Fin de l’Histoire et le Dernier Homme, que la version libérale de la démocratie a triomphé, le combat des idéologies étant terminé. • Les dix années qui s’ouvrent amènent les États-Unis à exercer leur leadership sur tous les continents sans rencontrer grande contradiction. Guerre économique, guerre diplomatique, guerre d’influence ont conduit les États-Unis au centre du monde. • Les guerres militaires s’enclenchent, se gagnent, ou se terminent grâce aux États-Unis, que ce soit au Koweït ou en ex-Yougoslavie. L’ONU ne peut agir qu’avec leur soutien. L’échec en Somalie (92-93) est vite oublié, au profit des accords d’Oslo (sept. 93 :

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Clinton, Rabin, Arafat : autogouvernement de Gaza et Cisjordanie) et de la Rencontre de Washington qui s’en suit. Après les accords de Camp David, signés sous les auspices d’un autre président démocrate, l’investissement du président Clinton, dans l’inextricable conflit israélo-arabe, permet de faire des progrès notables : l’OLP reconnaît l’existence d’Israël et amende sa charte fondatrice qui prévoyait la destruction de cette dernière. • Durant cette période, les États-Unis gèrent à plein leur victoire sur le monde soviétique : ainsi le marché des armes est dominé par leurs groupes qui fournissent 85 % des innovations du secteur sur le plan mondial. Cette offensive généralisée dans le domaine économique est servie par le premier réseau diplomatique mondial et l’armée la plus performante. Cette dernière, à la différence des pays européens, ne voit ni ses effectifs, ni son budget, réduit significativement. Bien au contraire. • De même, la doctrine militaire n’est-elle pas corrigée après 1991 et continue de reposer sur la logique qui consiste à pouvoir supporter deux conflits en même temps, jusqu’en 2012. Il reste que les opérations extérieures amènent des évolutions, avec un intérêt plus grand pour le continent africain et surtout pour la Chine, dès la présidence Clinton. • Ainsi, peu après la disparition du péril rouge, l’imperium américain voit poindre de nouvelles menaces à l’horizon (asiatique, islamiste, et la prolifération nucléaire dans le sous-continent indien et en Corée du Nord). Elles atteignent leur paroxysme avec une série d’attentats commis contre les intérêts du pays : en 1993, premier attentat au World Trade Center, en 1998, attentats contre les ambassades en Tanzanie et au Kenya (300 morts dont 12 Américains), et en 2000, attentat contre le USS Cole à Aden.

D. Le 11 septembre 2001 et ses conséquences

• Lorsque les quatre attentats du 11 septembre 2001 surviennent, frappant New York et Washington, le choc touche les Américains en plein cœur (doc. 12, p. 67). Pour la première fois depuis 1941, leur territoire est agressé et le coup provient non d’un pays, mais d’un groupe de terroristes. En prenant pour cible le quartier de Wall Street, temple de la finance mondiale, c’est un symbole de puissance du pays qui est visé. • Jusqu’à présent, jamais les États-Unis n’avaient été touchés sur leur sol avec une telle ampleur, créant un nouveau sentiment de vulnérabilité parmi la population. Le site du World Trade Center, bientôt baptisé Ground zero (« Point zéro » comme le point centrale de la 1ère bombe A en 1945) symbole d’une nouvelle ère. • L’attaque qui affecte le Pentagone, siège du ministère de la Défense, touche là aussi un autre symbole. Si l’on ajoute le vol qui se crashe avant de toucher un autre monument washingtonien (Capitole, présidence ?), nous pouvons voir que les États-Unis sont affectés dans 3 piliers de leur puissance : la finance, la défense et le système politique.

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• En ce temps de profond traumatisme, le président G. W. Bush (élu en 2000) comprend que le pays aspire à retrouver son unité en idéalisant le passé, en célébrant la foi religieuse et en restaurant esprit pionnier et idéalisme. • La réaction prend une double forme : le renforcement de la sécurité intérieure et deux offensives extérieures (opérations « Liberté immuable » (Afghanistan oct. 2001) et « Liberté de l’Irak »). • Sur le plan intérieur, dans la foulée du 11 septembre, le Patriot Act (2001-2004) voulu par l’administration Bush, est adopté par le Congrès américain le 26 octobre 2001 à une majorité écrasante. Il vise, selon son intitulé, à « unir et renforcer l’Amérique en fournissant des outils appropriés pour déceler et contrer le terrorisme » en élargissant les pouvoirs du FBI et autres agences de maintien de l’ordre. Il crée le statut de combattant illégal, qui permet au gouvernement des États-Unis de détenir sans limite et sans inculpation toute personne soupçonnée de projet terroriste. L’ancienne Anti-terrorism Act est renforcée alors que les enquêtes montrent que c’est la mauvaise coordination des services, qui peut en partie expliquer le 11 septembre. • En 2004, le président américain souhaite faire adopter un projet de Patriot Act 2 avec des propositions d’amendement visant à autoriser l’arrestation, la déportation et la mise à l’isolement de suspects, à supprimer l’autorisation préalable d’un juge pour procéder à des perquisitions, à des écoutes téléphoniques ou à contrôler les communications sur Internet. Les « néoconservateurs » tentent d’imposer le concept de « mobilisation patriotique permanente ». • Bush se heurte de plus en plus à une opinion publique hostile. Une fronde à toutes les échelles se développe face à cette dérive jugée par certains liberticide. Des citoyens américains déposent des plaintes contre les abus commis au nom du Patriot Act. Certains États (Alaska, Hawaï) ou villes (Philadelphie, Cleveland) se sont officiellement prononcés contre l’application de la loi sur leur territoire. • Réagir vite pour montrer sa puissance est le réflexe immédiat de la présidence Bush (voir p. 70-71). Les terroristes du réseau islamiste Al-Qaïda sont basés principalement en Afghanistan, pays sous la coupe des Talibans. L’attaque de ce « sanctuaire » déclaré du terrorisme a lieu dès décembre, la victoire est rapide. Les talibans se replient et mettent en œuvre une guérilla qui, en 2011, contribue à maintenir une forte instabilité dans l’ensemble du pays. • Cette lutte franchit une nouvelle étape avec la doctrine de guerre préventive (2002), selon laquelle les États-Unis se donnent le droit d’intervenir partout dans le monde au nom de leur sécurité. Une liste d’États-voyous à surveiller est établie (Iran, Irak, Corée du Nord…). Cette politique est mise en œuvre en Irak qui est soupçonnée alors de détenir des armes de destruction massive. L’intervention en mars 2003 se fait sans l’aval de l’ONU (arrestation de Saddam Hussein à la mi-décembre 2003).

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• Les États-Unis défendent désormais unilatéralement leurs intérêts, sans se soucier de l’approbation de la communauté internationale (Bush : « ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous »). Leur objectif est d’assurer leur sécurité et leurs intérêts vitaux. • Le monde a basculé définitivement dans l’après-guerre froide, avec des dangers plus diffus, échappant au cadre traditionnel des États, et rentrant pour certains dans une logique de guerre de civilisations (Samuel Huntington, le choc des civilisations).

D. Les nouveaux défis : du hard power au soft power ?

• Dix ans plus tard, force est de constater que ce retour à l’unilatéralisme a entraîné le pays dans une débauche d’énergie et d’argent pour un résultat modeste : l’Irak est libérée du parti Baas et de Saddam Hussein, mais le pays est instable, attentats et de exode de ses éléments les plus dynamiques et des chrétiens, corruption. • Quant à l’Afghanistan, il ressemble fort à un bourbier : le pouvoir d’Hamid Karzaï est corrompu et peu respecté en dehors de Kaboul. Les États- Unis et leurs alliés cherchent à en sortir d’ici à 2014, après avoir stabilisé la situation. La négociation avec les ennemis d’hier, les talibans, sonne comme un aveu d’échec. • L’exercice de la puissance entraine l’impopularité croissante des Américains. Pour bien des musulmans, la stratégie des États-Unis : maintenir une situation conflictuelle sur quelques zones du globe, afin de justifier un budget militaire élevé : après le péril rouge, le péril vert ? L’arrivée au pouvoir du démocrate Barak Obama s’est accompagnée d’une offensive de charme en direction des populations musulmanes avec le discours du Caire le 4 juin 2009 (p. 70-71), mais pas de modification dans la stratégie sur le terrain. • Le pays prend conscience que le temps de la pleine puissance est passé : histori-quement, elle avait pour cœur son économie, force est de constater que la faiblesse résulte aujourd’hui de la crise économique (p. 68-69). Les déficits colossaux accumulés en font aujourd’hui le pays le plus endetté au monde, (fragilité par rapport à ses débiteurs, le Japon et la Chine). • Le président Obama en prend acte lorsqu’en janvier 2012, il décide de réorienter la stratégie de défense en direction du Pacifique, premier lieu d’échange commercial au monde (doc. 13, p. 67). La page européenne est-elle en train de se conclure ? • La maîtrise de l’espace, tout comme celle des moyens de communication, sont devenus les outils essentiels pour assurer la puissance, le soft power est un moyen supplémentaire de maintenir la suprématie américaine sur le monde (doc. 14, p. 67). Mais là aussi, les États-Unis découvrent qu’ils n’ont plus les capacités d’assurer aujourd’hui un leadership incontesté.