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Zacharie

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Philippe Bernard

ZacharieRécit historique

S E P T E N T R I O N

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Nous remercions le Conseil des Arts du Canada ainsi que la SODEC pour l’aideaccordée à notre programme d’édition.

Nous reconnaissons avoir reçu l’aide financière du gouvernement du Canada parl’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’éditionpour nos activités d’édition.

Illustration de la couverture : Philip John Bainbrigge, View of Sorel, 1839,ANC C-2649.

Révision : Solange Deschênes

Maquette de la couverture et mise en pages : Folio infographie

© Les Éditions du Septentrion Diffusion Dimedia1300, avenue Maguire 539, boul. LebeauSillery (Québec) Saint-Laurent (Québec)G1T 1Z3 H4N 1S2

Diffusion en Europe : Dépôt légal – 2e trimestre 1998Diffusion de l’édition québécoise Bibliothèque nationale du QuébecLibrairie du Québec ISBN 2-89448-101-230, rue Gay-Lussac75005 ParisFrance

Si vous désirez être tenu au courant des publicationsdes ÉDITIONS DU SEPTENTRION

vous pouvez nous écrire au1300, avenue Maguire, Sillery (Québec) G1T 1Z3

ou par télécopieur (418) 527-4978

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Avant-propos

CE LIVRE se voulait au départ la biographie d’un modesteinstituteur de village du Québec au XIXe siècle. L’un des

membres de cette petite bourgeoisie rurale qui regroupaitartisans, boutiquiers, marchands, maîtres d’école et auber-gistes. Relativement à l’aise par rapport aux cultivateurset aux journaliers, proches des notables sans en être, à l’in-fluence réduite mais réelle, ces travailleurs assuraient desfonctions essentielles à leur communauté. Trop souvent,malheureusement, les historiens les ignorent.

Il en fut autrement. Zacharie s’est révélé un personnageinsoupçonné et captivant. Son comportement volontaire,bien qu’erratique à l’occasion, son tempérament parfoistéméraire, parfois résigné, caractérisent un être déroutant etimprévisible, mais séduisant. Sa vie mouvementée a étémarquée par des espoirs déçus, des obstacles surmontés, unelongue quête d’un bonheur sans cesse fuyant.

En qualifiant cet ouvrage de récit historique, j’ai vouluindiquer qu’il relate des faits réels, vérifiés et situés dans letemps et l’espace, tout en laissant place à des suppositionspour combler des lacunes, à des mises en situation pourillustrer les événements. En revanche, le lecteur ne trouverani dialogues fictifs ni personnages inventés ; j’ai volontaire-ment écarté la forme romanesque, bien que le sujet s’y fûtbien prêté.

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Zacharie8

Toute documentation sur la vie d’une personne, si richesoit-elle, demeure fragmentaire et incomplète ; en parti-culier, celle de nature juridique déçoit par son laconisme.Pour comprendre, il faut lire entre les lignes, retenir deshypothèses, imaginer les choses, effectuer des recoupements,procéder à des associations. Le lecteur, la lectrice, jugera dela pertinence des interprétations.

Certains événements ont laissé des traces, mais leur fra-gilité ne permet pas de conclure avec certitude ; leur pré-sentation formule des explications probables, bien qu’aucundocument à l’appui ne puisse les confirmer. À quelquesreprises, l’absence totale d’information a conduit à l’élabo-ration de scénarios incertains mais plausibles. Là encore, lelecteur jugera.

La vie de Zacharie, comme celle de tout être humain,s’est déroulée à une époque et dans un milieu qui, directe-ment ou indirectement, l’ont influencé. Ses liens familiaux,son réseau social, les structures de la société, les conditionséconomiques, les événements politiques constituent autantde dimensions particulières qui expliquent son comporte-ment et son cheminement. D’où mon souci, au risque derompre la continuité du récit, de situer le récit dans soncontexte historique, de présenter à grands traits les person-nages rencontrés et de signaler les liens qui les unissent, dedécrire les lieux où se déroule l’action, d’ajouter desconsidérations sur la vie quotidienne.

Tous les extraits cités respectent fidèlement les docu-ments originaux ; je n’ai pas voulu les encombrer par lesnombreux « sic » qu’auraient exigé les défaillances orthogra-phiques et syntaxiques de leurs auteurs ou le style et levocabulaire propres à l’époque. Pour alléger la présentation,les références ont été regroupées en annexe, suivies de laliste des sources documentaires. Les notes infrapaginales ontété réservées à des remarques d’intérêt immédiat pour le

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Avant-propos 9

lecteur ; le dollar de 1858, année où il est devenu la monnaieofficielle du Canada, a été retenu pour calculer les équi-valences des diverses devises utilisées à cette époque.

Ce livre n’aurait jamais vu le jour sans la collaborationinestimable d’Annie Barrat, maire de Laheycourt et membredu Cercle généalogique lorrain. Passionnée par le mystèrequi entourait Zacharie, c’est elle qui, de fausses pistes endécouvertes, a levé le voile sur ses secrets. Inlassablement,avec acharnement et ténacité, intuition, compétence etrigueur, elle a fouillé les archives de Bar-le-Duc (Moselle), deTroyes (Aube) et de Nancy (Meurthe-et-Moselle) ; elle arecueilli une riche documentation sur Zacharie, sa famille etles gens qu’il a cotoyés. Elle mérite ma reconnaissance infinie.

Je remercie aussi son mari Daniel Petit et leurs deuxenfants qui m’ont témoigné leur amitié en m’accueillantchaleureusement dans leur maison de Laheycourt.

Grâce à l’amabilité de monsieur et madame PhilippeMilarakis et de madame Claudine Singler, j’ai pu visiter lesmaisons de Laheycourt où Zacharie a passé sa jeunesse et savieillesse et prendre « in situ » des notes en vue de leurdescription. La visite de Clairvaux a été facilitée et agrémen-tée par monsieur Guy Balse.

De nombreuses personnes m’ont apporté leur expertisedans mes recherches. Je désire signaler la collaborationéclairée et professionnelle du personnel des Archives natio-nales du Québec, de la Bibliothèque nationale du Québecet du Palais de justice de Montréal. Les responsables desarchives des diocèses de Montréal, de Saint-Jean–Longueuilet de Saint-Hyacinthe, de ceux du séminaire de Saint-Hyacinthe et des paroisses de Sainte-Anne-de-Varennes et deSaint-Athanase-de-Bleury m’ont permis de ramasser un maté-riel important.

Madame Nicole Poulin, présidente de la Société d’his-toire du Richelieu, m’a apporté une aide précieuse pour la

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recherche sur Christieville. Madame Nicole Martin-Verenkam’a aimablement ouvert ses dossiers personnels sur L’Acadieet a ainsi suppléé le regrettable refus du conseil de lafabrique de Sainte-Marguerite-de-Blairfindie de me donneraccès aux archives paroissiales.

J’exprime ma gratitude à mes proches, parents et amis,qui m’ont accompagné tout au long de ma démarche et ontenduré mes monologues. Entre autres, Célyne Fortin etRené Bonenfant, à de nombreuses reprises, ont écouté mesréflexions interrogatives, prodigué leurs conseils et encou-ragements. Alexandre Stefanescu a bien voulu prendre con-naissance de la première version du manuscrit et me trans-mettre ses critiques et suggestions très pertinentes.

PHILIPPE BERNARD

Outremont, 15 décembre 1997

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CHAPITRE 1

Montréal

16 décembre 1879

VERS NEUF HEURES, ce mardi matin, comme tous les autresmatins, l’animation envahit la rue Notre-Dame. Sur

l’une des principales artères commerciales de Montréal,calèches, cabriolets et carrioles roulent vers le Palais dejustice et l’hôtel de ville ou en direction de la place d’Armesoù se regroupent les principales banques du pays. Les tram-ways tirés par des chevaux glissent sur les rails et s’arrêtent auxcroisements pour laisser descendre et monter les passagers.

Devant les magasins, boutiques, études de notaire etcabinets d’avocat, situés de part et d’autre de la voiepublique, les piétons se pressent sur les trottoirs en bois.

Quelques-uns s’engouffrent sous le monumental porchede la maison mère des sœurs de la Congrégation de Notre-Dame. Laissant à leur gauche le pensionnat des novices, ilsatteignent la cour intérieure aménagée sur deux niveaux : unjardin où déambulent les religieuses pour prier et méditer,un terrain de gravier où les écolières se délassent, calme-ment et sans cri, sous la surveillance de leur institutrice. Denombreux bâtiments ceinturent l’ensemble : logement desreligieuses, logement des serviteurs, salles de travail, parloirs,

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réfectoires, cuisine, salles de classe, dortoirs, auxquels s’ajou-tent les dépendances : écurie, étable, remise à bois et char-bon, entrepôt de fruits et légumes, glacière haute de deuxétages. Le complexe communautaire occupe la quasi-totalitédu terrain borné par les rues Notre-Dame au nord et Saint-Paul au sud, et les rues Saint-Jean-Baptiste à l’est et Saint-Sulpice, De Brésoles et Saint-Dizier à l’ouest.

Sans s’attarder, les visiteurs pénètrent dans l’église con-ventuelle Notre-Dame-de-Pitié. L’édifice de pierre, construitsur l’emplacement de l’ancienne chapelle, a été inauguré le31 juillet 1860 par l’évêque de Montréal, monseigneurIgnace Bourget1.

À l’intérieur, sous les lustres de cristal éclairés au gaz, ilsempruntent l’allée centrale qui divise la nef et s’installentdevant l’autel dédié à Notre-Dame-des-Sept-Douleurs ; deuxallées latérales conduisent aux autels de saint Joseph et desainte Anne.

Les fidèles prennent place sur les premiers bancs séparésdu chœur par la balustrade où le prêtre leur distribuera lacommunion. Ils sont venus assister à une messe funèbrechantée pour le repos de l’âme d’Adolphe-Pierre Bernard,décédé et inhumé en France le mois précédent.

À l’avant, se tiennent la veuve du défunt, AnathalieMonjeau, et ses deux benjamines, Mélina et Iphigénie. Del’autre côté de l’allée, le fils aîné, Adolphe-Hector, notaire àVarennes, son épouse Agnès Mathieu et leurs deux plusvieux, Mathieu, huit ans, et Hector, sept ans ; les autresenfants ont été laissés à la maison sous la garde de leurgouvernante.

S’alignent au deuxième rang les fils cadets d’Anathalie :Émile, Alfred et Lucien, ce dernier accompagné de son

1. L’église sera démolie en 1912 pour permettre le prolongement dela rue Saint-Laurent, de la rue Notre-Dame jusqu’au port.

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épouse Angélina Roy ; associés depuis 1872, les trois frèresont fermé pour la matinée leur commerce de détail du 268de la rue Notre-Dame, dont l’enseigne annonce : « Fancy andStaple Dry Goods Importers ». Sur un autre banc, Stanislas etCharles, magasiniers chez « Bernard et frères », ainsi qu’Eu-clide, chapelier, dont la boutique est située au rez-de-chaussée de la demeure familiale, rue Saint-Dominique.

Seul Alcine est absent ; parti pour les États-Unis en 1873,nul ne sait comment le joindre.

La parenté occupe les rangées suivantes. Venus deVarennes, Hilaire et Limoges Monjeau, les frères d’Anatha-lie ; leur cousine Aurélie Monjeau et son époux, le notaireAzarie Archambault ; une sœur d’Agnès Mathieu, Aurélie, etson mari, Adolphe Cadieux, marchand général du village.

De Montréal, d’autres membres de la famille Mathieu :Rachel, veuve de Jean-Baptiste Décary ; Arthur, médecin, etson épouse Alexina Lanthier ; Euclide et Alexandre-François,aussi commerçants de la rue Notre-Dame.

Enfin, derrière, des amis, des voisins, des clients.Pendant que les religieuses entonnent requiem, dires iræ

et libera me pour le repos de l’âme d’Adolphe-Pierre, Ana-thalie songe aux trente-huit ans de vie commune avec cethomme dont elle a partagé joies et deuils, espoirs et décep-tions, secrets et confidences. Trente-huit années marquéesde douze naissances, entrecoupées de nombreux déména-gements, vécues dans plusieurs localités. Trente-huit annéesoù son mari, tour à tour instituteur, marchand et aubergiste,s’épuisait à gagner sa vie pour nourrir, habiller et loger safamille. Trente-huit années jusqu’au jour, cinq ans déjà ! oùil lui a annoncé son départ pour la France, lui a dit un aurevoir qu’elle savait être un adieu.

Les garçons se rappellent un père, parfois déterminé,parfois résigné, qui manifestait mal ses sentiments et parta-geait peu ses préoccupations. Les aînés n’ont pas oublié,

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c’était hier, les leçons et les exercices de lecture et d’écritureque leur père leur donnait, mêlés à la quarantaine d’écoliersqu’il enseignait. Les cadets, eux, durant leur enfance, dès leretour de l’école, se pourchassaient entre les comptoirs dumagasin ou les tables de l’auberge, ramenés à l’ordre,fermement mais sans violence, par leur père qui appelait safemme à son secours. Tous, ils lui adressent une reconnais-sance posthume pour leur avoir imposé, même durant lesannées où l’argent ne rentrait guère, une instruction avan-cée, jusqu’à l’âge de dix-sept ans. Chacun, sans doute, à safaçon et selon son tempérament, regrette de n’avoir suétablir des contacts plus chaleureux, des relations plusintimes, des échanges plus profonds avec leur père.

Les filles, encore adolescentes à son départ, se souvien-nent d’un père tendre et affectueux, bien que taciturne.Laquelle, blottie entre ses bras, lui a demandé, un jour, l’ori-gine de cette mystérieuse cicatrice au poignet gauche ? « Jeme suis blessé quand j’étais petit » lui a-t-il probablementrépondu laconiquement, avant de changer de sujet. Peut-être se reprochent-elles de n’avoir pas exprimé leur amouraussi souvent qu’elles auraient dû. Ce père, dont les yeuxbleus révélaient parfois une insondable tristesse, pourquoiles a-t-il abandonnées ?

L’office religieux terminé, la famille Bernard et leursproches parents repassent le porche du couvent, emprun-tent la côte Saint-Lambert, traversent la rue Craig et poursui-vent sur la rue Saint-Laurent jusqu’à la rue Lagauchetière ;de là, ils gagnent le 79 de la rue Saint-Dominique oùhabitent Anathalie et la majorité de ses enfants. Ils partagentun repas préparé à l’avance et servi au premier étage parMélina et Iphigénie.

Sur un guéridon repose l’édition du 15 décembre 1879de La Minerve ; ses lecteurs ont pu prendre connaissance dela notice suivante.

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Mémorial Nécrologique

C’est avec une vive douleur que nous apprenons la mort deM. Adolphe Pierre Bernard, Écuyer, père de MM. Bernard,bien connus à Montréal.

Le bon vieillard a succombé le 26 novembre dernier, àl’âge de 71 ans et 21 jours, à Laheycourt, France, chez sonneveu, et il a été inhumé dans cette paroisse, avec toutes lescérémonies de notre Mère, la sainte Eglise.

M. A. P. Bernard naquit à Metz, en Lorraine, le 5 no-vembre 1808, d’une famille occupant un rang distingué dansla société ; son père fut colonel de génie sous Napoléon Ier. Ilreçut une brillante éducation dans un des principaux lycéesde Paris. Au sortir de l’Établissement, il se livra à l’étude dudroit. Plus tard pour affaires politiques dans les troubles deLyon, en 1834, il quitta la France, laissant ses bons parents etune belle fortune, pour venir en Amérique. Les épreuves nelui firent pas défaut. Le bâtiment sur lequel il s’était embar-qué ayant fait naufrage, il se réfugia avec deux passagers surune frêle embarcation, où il passa deux jours et deux nuits àla merci des flots ; enfin ils furent recueillis par un navire àdestination de Québec. Sauvé par une protection toutespéciale de Dieu, il ne parlait de son naufrage qu’avec lessentiments de la plus vive reconnaissance. « La Providenceseule, disait-il, avait pu lui venir en aide dans sa détresse. »

M. A. P. Bernard se fixa au Canada, où par sa conduitemorale, la fermeté et la loyale franchise de son caractère, ilsût gagner l’estime et l’amitié de ceux avec qui il entretenaitdes relations. Toujours dévoué, il se livrait avec ardeur à l’ins-truction de la jeunesse, car, disait-il souvent : « L’éducation estle plus beau trésor qu’on puisse posséder, et il ne faut riennégliger pour l’acquérir. »

La tâche étant devenue trop ardue pour sa santé, il futobligé de discontinuer son noble labeur pour se livrer aucommerce. La maladie vient encore l’arrêter dans sa nouvelleentreprise, et il fut condamné à un repos complet.

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Plusieurs années après, M. A. P. Bernard se trouvant assezrétabli manifesta un désir ardent de revoir encore une foisson pays natal où l’appelait des affaires de famille qu’il étaiturgent de régler.

Après bien des sollicitations et des prières, il s’embarquaenfin pour la France, sa patrie bien-aimée, le 29 août 1874,coïncidence remarquable, à la même époque où 40 ansauparavant il avait failli périr. Mais, grâce à Dieu, cette fois, latraversée fut des plus heureuses.

M. Bernard avait quitté le Canada avec la certitude d’yrevenir bientôt. Retardé par ses affaires et confiant dans unprochain succès, il n’a cessé de supplier sa famille de lelaisser conduire à bonne fin ce qu’il avait si généreusemententrepris dans l’intérêt de ses enfants, et donnant danschacune de ses lettres l’assurance qu’il se rendrait bientôtaux vœux de son épouse et de ses chers enfants.

Mais la mort, qui n’attend pas, est venue le surprendre aumilieu de ses plus douces espérances, et Dieu, sans doute,avait décidé qu’il terminerait ses jours dans le beau pays quil’avait vu naître et grandir.

M. A. P. Bernard laisse pour le pleurer son épouse et dixenfants inconsolables qui se rappelleront toujours les qualitésde leur bien-aimé père, et qui n’oublieront jamais la bonté etle dévouement dont il leur a donné tant de preuves dans lecours de sa vie.

Indépendamment de son style emphatique et quelquepeu ampoulé propre à l’époque et au genre, l’anonymerédacteur n’a pu composer son article qu’à partir des ren-seignements fournis par la veuve d’Adolphe-Pierre Bernardou l’un de ses enfants. Plusieurs sont imaginaires.

Adolphe-Pierre n’est pas né à Metz (Moselle), nid’ailleurs à Bar-le-Duc (Meuse) comme l’indique le recense-ment de Varennes en 1851, ni à Chartres (Eure-et-Loir) s’ilfallait se fier à un article paru à Montréal dans le Journal del’instruction publique en septembre 1857.

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Son père n’avait pas été officier dans l’armée impérialeet ne s’appelait pas Pierre Hector Bernard, quoi qu’en aitdéclaré Adolphe-Pierre lors de son mariage avec AnathalieMonjeau, en 1840 à Varennes ; s’il a affirmé être le filsd’Anne Élisabeth Porson, demeurant à Bar-le-Duc, en réalitésa mère portait un tout autre nom.

Qui donc était Adolphe-Pierre Bernard ?La réponse se trouve dans un acte de décès conservé aux

archives départementales de la Meuse, à Bar-le-Duc :

L’an mil huit cent soixante-dix-neuf, le vingt-sept Novembre àhuit heures du matin, pardevant nous Aspéry Pérard maire etofficier de l’état civil de la commune de Laheycourt, arron-dissement de Bar-le-Duc, département de la Meuse, sont com-parus : Adolphe-Philippe-Joseph Bernard, âgé de cinquante-quatre ans, cultivateur et Jules-Philogène-Gabriel Bernard,âgé de vingt-six ans, cordonnier, tous deux domiciliés àLaheycourt, le premier neveu et le second petit neveu dudéfunt ci-après désigné, lesquels nous ont déclaré qu’hier àneuf heures du soir, Louis-Zacharie Chadrin, âgé de soixante-douze ans, rentier, né et domicilié à Laheycourt, fils desdéfunts Nicolas-François Chadrin et Élisabeth Boury, décédésen cette commune, époux de Marie-Anathalie Monjeau, domi-ciliée à Ste-Anne de Varennes, (Canada), est décédé en la com-mune de Laheycourt au domicile du premier déclarant.

Sur cette déclaration, nous susqualifié, nous sommestransporté au lieu indiqué, et nous avons vu et reconnu lecadavre du prénommé Louis-Zacharie Chadrin, et nous étantensuite rendu en la maison commune, nous avons aussitôtécrit le présent acte sur les deux registres à ce destinés et queles déclarants ont signé avec nous après lecture à eux par nousfaite et collation.

Lorsque Louis Zacharie Chadrin, pour des raisons qu’ilnous appartiendra de découvrir, a changé son identité civile,il n’a pas cherché loin pour se forger nom et prénoms.Sa sœur, Thérèse-Angélique Chadrin était mariée à Joseph

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Bernard, fils de Pierre André Bernard et d’AntoinetteÉlisabeth Porson. Pour éviter de gênants trous de mémoire,il a décidé que son père fictif serait Pierre Hector Bernardet sa mère tout aussi fictive Anne Élisabeth Porson ; quant àlui, il portera les prénoms d’Adolphe, celui de son neveu, etPierre pour faire bonne preuve de sa prétendue filiation.

Tout indique que ses enfants ignoraient cette doubleidentité. Quant à Anathalie Monjeau, sûrement dans lesecret, elle ne l’a jamais révélé. S’il y a eu « erreur sur lapersonne » lors de son mariage, aucun verdict de nullité n’aété rendu par un tribunal et, en 1879, le délai de prescrip-tion de trente ans est révolu. Et le secret aura été gardépendant plus d’un siècle.

Louis Zacharie Chadrin, Adolphe-Pierre Bernard, qu’im-porte. Après une enfance et une jeunesse vécues en France,un homme a été contraint de quitter ses proches et son pays.Émigré en terre d’Amérique, il a fondé une famille dont lesdescendants habitent toujours le Québec, puis est retournédans son village natal pour y mourir. Voici son histoire.

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CHAPITRE 2

Laheycourt

1807-1825

Village au fond de la valléeComme égaré, presqu’ignoré

Voici qu’en la nuit étoiléeUn nouveau né nous est donné.

J. VILLARD

LOUIS ZACHARIE CHADRIN « il se nomme » et peut-être est-il « joufflu, tendre et rosé ». Le village, c’est Laheycourt,

dans l’ancien Barrois, aux confins de la Champagne et de laLorraine. La vallée, celle de la Chée qui coule d’est en ouestpour s’unir à l’Ornain et grossir la Marne.

Le 5 novembre 1807, un nouveau né donc, le sixième etdernier de l’une des familles Chadrin du village. Son acte denaissance se lit ainsi.

Le six novembre Dix huit cent sept

Devant nous maire officier de l’État Civil de la commune delaheycourt canton de vaubecourt département de la meuse

Est comparue marie villers sage femme demeurant au dit lieulaquelle nous a déclaré que le jour d’hier à cinq heures du soir

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est né un enfant du sexe masculin en la maison de son pèrerue du dessous qu’elle nous présente et auquel elle a déclarédonner les prénoms de louis zacharie lequel enfant est né demarie élisabeth Boury épouse de nicolas françois Chadrinémouleur du même lieu ; les dittes présentation et déclarationfaites en présence des sieurs françois Chadrin propriétaire agéde soixante huit ans et Jean Commenil émouleur agé decinquante et un ans demeurans à laheycourt ont les témoinssigné avec nous le présent acte de naissance après qu’il leur ena été fait lecture la déclarante a dit ne savoir écrire

F. Chadrin Jean Commenil C. Henriot, maire

La signature du grand-père Chadrin nous signale l’ab-sence du père, retenu au loin par son travail.

Ce même 6 novembre, Louis Zacharie est baptisé dans lavieille église du village. Pour le porter sur les fonts bap-tismaux, ont été requis son oncle Louis Rulot, époux deMarguerite Françoise Chadrin, et sa tante Anne ClotildeBrabant, épouse de Jean Éloy Boury. À la sortie, selon lacoutume, parrain et marraine lancent des dragées auxenfants assemblés pour la circonstance sur le parvis en terrebattue.

Une dizaine de jours plus tard, sa mère quitte la maisonpour la première fois depuis ses couches ; elle se rend àl’église rendre grâces à Dieu, recevoir la bénédiction du curéet assister à la messe des relevailles.

Zacharie a été précédé le 24 octobre 1791 par Margue-rite, le premier enfant d’Élisabeth Boury et Nicolas FrançoisChadrin. Le second, Nicolas, naît le 10 septembre 1793 maismeurt neuf mois plus tard, le 8 Floréal de l’an II1. Untroisième enfant, François, voit le jour le 13 Vendémiairede l’an IV2. Puis se présentent les jumelles le 21 Brumaire de

1. Le 27 avril 17942. Le 5 octobre 1795

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Table des matières

Avant-propos 7

CHAPITRE 1Montréal, 16 décembre 1879 11

CHAPITRE 2Laheycourt - 1807-1825 19

CHAPITRE 3Bar-le-Duc - 1825-1831 41

CHAPITRE 4Clairvaux - 1831-1834 71

CHAPITRE 5Varennes - 1834-1841 91

CHAPITRE 6Christieville - 1841-1843 115

CHAPITRE 7L’Acadie - 1843-1851 133

CHAPITRE 8Varennes - 1851-1865 153

CHAPITRE 9Montréal - 1865-1874 175

CHAPITRE 10Laheycourt - 1874-1879 197

Épilogue 215

Tableaux généalogiques 226

Abréviations 229

Références 231

Sources documentaires 241

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COMPOSÉ EN NEW BASKERVILLE CORPS 11,5SELON UNE MAQUETTE DE JOSÉE LALANCETTE

CET OUVRAGE A ÉTÉ ACHEVÉ D’IMPRIMER

EN AVRIL 1998SUR LES PRESSES DE AGMV

À CAP-SAINT-IGNACE

POUR LE COMPTE DE DENIS VAUGEOIS

ÉDITEUR À L’ENSEIGNE DU SEPTENTRION

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