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LE SABLE

.ET L'ÉCUME

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GEORGE ACHARD

i

LE SABLEET L'ÉCUME

roman

&r

GALLIMARD

7e édition

Extrait de la publication

Il a été tiré de cet ouvrage quatre exemplaires horscommerce sur Alfax Navarre ,-réservés à l'auteur.Ces exemplaires -sont marquis de A à D.

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptationréservés pour tous pays, y compris la Russie.

Copyright by Librairie Gallimard, 1Q46.

A GEORGES

Ces paroles, nous pouvons les lire,nous autres les armes à la main étant

en quelque sorte les compagnons de ce Des-tin qu'elles invoquent.

G. T.

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PREMIÈRE PARTIE

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ELLE est si petite et la rue est si noire. Si noire,si longue, bordée de maisons énormes et

entourée de remparts. Elle est une toute petitefille perdue, qui avance dans la rue menaçante. Surles remparts se profile une silhouette gigantesque.Un homme enveloppé d'une cape sombre. Il sedétache du rempart, il descend, il vient, marchant

d'un pas d'automate. On ne voit pas son visage. Ilest l'Inconnu, le danger qu'il est impossible de fuir,qu'il est impossible d'arrêter. Dans la nuit sansétoiles, dans la ville étrangère, Véronique se metà courir droit devant elle et, derrière son dos, elle

entend les pas de l'homme, son souffle pressé, ilapproche toujours, elle ne pourra lui échapper.

.iSoudain, il fait grand jour et grand soleil. Lapetite fille, je sais que c'est moi, Véronique, jemarche dans la campagne, hors de la ville noire et

de ses remparts. A mes côtés, avance un grandgarçon qui me. tient la main, il porte un largemanteau et fume une pipe.

Véronique ne craint plus la nuit et l'inconnuparceque son compagnon silencieux lui tient la main.

Mais voici qu'il lâche Véronique, qu'il s'en vad'un pas lent. Véronique veut l'appeler, mais elle

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LE SABLE ET L'ÉCUME

ne peut pas ouvrir les lèvres. Le grand garçons'éloigne, il monte maintenant une pente et Véro-nique aperçoit l'homme des remparts, l'homme dela nuit, qui guette à nouveau. Véronique ne peutni faire un pas, ni proférer un son. L'homme desremparts approche du grand garçon.

Celui-ci a atteint le sommet de la pente, il se

dresse, il va se retourner vers Véronique. A cemoment, l'homme des remparts lève le bras et le

grand garçon tombe.

Alors Véronique se met à crier, à crier, à crier.Véronique, mon amour, mon enfant chérie,

ne pleure plus, c'est fini, c'était un cauchemar, tuvas venir dans le lit de maman, ne pleure plus, mapâquerette.

Le lit des parents c'est chaud, c'est bon après lerêve affreux qui réveille de terreur c'est doux lecorps de maman. On peut poser un petit visagemoite de larmes contre le sein de maman. Près

du grand lit, la lampe, voilée de rose, brille comme

une étoile. Tout ce qui est rassurant, connu,aimé, s'est retrouvé dans le lit des parents les

yeux noirs de papa qui sourit, le lapin dont la

fourrure rugueuse sent la poussière, la main cares-

sante de maman. Tous les trésors de Véronique.Le cauchemar s'éloigne, Véronique renifle, elleest sauvée. Voici maintenant les canards dorés

promis par papa. Ils avancent en file, sur unerivière étincelante de soleil.

Trois respirations régulières s'échappent dugrand lit.

LE SABLE ET L'ÉCUME

Je suis une si petite fille que tout étonne encore.

Je ne sais rien du vaste monde qui entoure mamaison.

Il y a trois ans, Malina est entrée par cette porte,serrant dans ses bras'un petit paquet blanc.Malina, grande et mince, se balançant un peu surde hauts talons. Kali, en son honneur, avait

rempli tous les vases de bouquets de fleurs. Parla fenêtre ouverte entrait le soleil d'automne.

L'atelier sentait le plâtre, la peinture à l'huile etles fleurs de Kali.

Aujourd'hui, c'est l'hiver, le petit poêle ronfleassis sur un haut escabeau, Kali dessine en cli-

gnant des yeux. Véronique par terre joue avec sapoupée.

J'ai trois ans, je m'appelle Véronique, je suisheureuse. La vie pour moi est remplie d'aven-tures. Je sors dans la rue avec maman. La rue est

bruyante, les autos passent à des allures vertigi-neuses et, dans toutes les directions, des gens pres-

sés courent en se bousculant. Une forêt de gens. Jeserre la main de maman pour me rassurer, parce

que je pourrais la perdre, et alors toutes ces mai-sons immenses s'écrouleraient sur moi. Jamais je ne

pourrais sortir toute seule dans ces rues, comme le

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LE SABLE ET- L'ÉCUME

fait papa, je mourrais de peur. Jamais je ne seraigrande comme les autres, jamais je n'échapperaiaux jambes, toutes ces jambes diverses qui m'en-tourent dans la rue celles qui sont maigres etvêtues de pantalons gris, celles qui sont gainées desoie brillante, et ces grosses jambes laides, et cesjambes éclaboussées de boue. Les millions de

jambes hostiles qui me poussent et disparaissent.Par une porte ouverte est sorti le chien, le grandchien roux qui remue la queue. Mon ami le chien.

Bonjour, chien, je t'aime j'aime tous leschiens et tous les chats, je donnerais pour t'avoirtout ce que je possède de plus précieux, même monlapin, même ma poupée Suzanne, même le coquil-lage rose que papa m'a offert.

Je comprends ton langage, je connais tesgoûts, je n'ai pas peur de toi, mon ami chien.

C'est agréable de vivre, c'est amusant. On mange,

on joue toute la journée, on dort dans un petit lit

entouré de rideaux blancs, et puis on travaille.Chacun travaille dans la vie. Papa fait des sculp-tures, il est très occupé, c'est lui qui fait tous lestableaux et toutes les sculptures qui se trouventdans les Musées et dans les rues, mais il dit que saplus belle sculpture c'est moi, je suis une statuesur laquelle il a un jour soufflé et je me suis miseà marcher.

Maman fait beaucoup de choses, elle se promènedans les rues et parle avec des gens, elle me lave,elle me donne à manger, elle m'empêche de tou-cher au feu et de jouer avec les couteaux, elle pose

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LE SABLE ET L'ÉCUME

pour papa, elle écrit des lettres, elle fait du thé

pour les amis. Moi, je travaille lorsque les amissont là, on m'appelle et je viens les amuser, c'estle rôle des enfants. Onjoue de la musique et jedanse, les amis sont contents. Les amis me posentdes questions, je réponds, ils rient, ils m'aiment.

Tous les amis m'aiment et je les aime tous. Cesont les amis des parents, des grandes personnes.Ils sont tout à fait différents de nous mon lapin,le chien roux et moi, parce qu'ils sont d'un mondedifférent.

Nous, nous sommes les enfants qui jamais neseront des grandes personnes eux, ils n'ont biensûr jamais été petits.

La vie est pleine de bonheurs. Papa est unbonheur. Monter sur ses genoux est un bonheur, em-brasser maman, l'écouter raconter l'histoire sans fin

du petit homme qui habitait dans un champignon,dessiner des maisons, jouer avec les chiens et leschats du voisinage sont des bonheurs, et savoir« pourquoi », c'est aussi un très grand bonheurpourquoi la nuit il y a des «étoiles, pourquoi le pla-fond est accroché à la lampe, pourquoi les genscouchés sont plus grands que les gens debouts,pourquoi, pourquoi. Papa répond à toutes lesquestions, papa sait tout, papa peut tout. Il y apourtant des choses que je ne comprends pas, etmême papa ne peut arriver à répondre de façonque je comprenne, ainsi que deux et deux font

quatre, je ne peux pas le comprendre maman a

essayé de me l'expliquer, et tous les amis, il n'y

LE SABLE ET L'ÉCUME

a rien à faire, je ne comprends pas. Je ne comprendspas non plus qu'il y avait un temps où tout existait,et qu'en ce temps-là papa et maman n'existaientpas, et puis il y a encore une histoire que mamanraconte, mais que je ne crois pas, c'est pour mefaire rire, lorsqu'elle dit: « Quand j'étais petite. »Évidemment, les parents ne pouvaient pas être« petits », c'est bon pour moi, mais eux sont desparents, ils ne pouvaient pas être des enfants 1

Véronique joue avec sa poupée et se parle àelle-même, elle a trois ans, elle est heureuse.

J'étais très bête lorsque j'étais petiteMaintenant je sais tellement de choses, je

sais compter, et je sais les noms de beaucoup devilles, et les noms des peintres, et beaucoup d'his-

toires vraies. Surtout je ne suis plus une petitefille ordinaire, je suis une petite princesse. Papam'a fait cadeau d'une île, je suis princesse d'uneîle. Pendant que les grandes personnes discutentsur des sujets sans intérêt, moi je vis dans mon île,d'une vie merveilleuse dont je suis le maître. C'est

moi qui l'ai créée et qui la change suivant mes désirs.Tantôt je suis un naufragé mourant de faim,

tantôt le capitaine d'un vaisseau, tantôt un pri-sonnier enfermé dans une tour.

LE SABLE ET L'ÉCUME

Sur mon île poussent des œillets sauvages;lorsque je m'étends sur le sable tiède et que jepose mon visage sous les œillets, j'ai l'impressiond'être un nain égaré dans une forêt immense. Jeregarde en l'air, je vois les fragiles tiges des fleurset, entre les tiges, j'aperçois les énormes pentes desmontagnes qui encadrent le torrent. Le torrenttourbillonne autour de mon île et me raconte ses

histoires à lui. Je suis heureuse.

Dans la montagne, en dehors de l'île, les amis deVéronique sont les chèvres, la vieille paysanneédentée qui les garde, et les petits ânes maigresqui broutent des chardons sur le bord du chemin.Le soir, dans le chalet, assis autour de la table

massive, les parents discutent avec les amis.

Véronique balance les pieds, écoute des mots

étranges qui sonnent, qui sont beaux et mystérieux« philosophie, décadence, individualisme». de longsmots que l'on peut se répéter dans son lit avant dedormir, parce qu'ils évoquent des images, parce qu'ilsont le charme de l'inconnu. Le soir, après avoir

embrassé à la ronde toutes les joues des grandes per-

sonnes, Véronique se laisse border par maman, dansle lit aux draps froids. Maman sort, la chambre est

toute noire. La fenêtre est grande ouverte, les étoiles

entrent une à une, puis une brise légère et nocturne

saute dans la pièce en chantonnant, mais derrière la

fenêtre un arbre l'appelle de toutes ses branchesfrémissantes, alors elle effleure Véronique et s'en

va. Véronique n'oublie jamais sa prière du soir, ça

serait un grand péché «Mon Dieu, je t'aime, je suis2

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LE SABLE ET L'ÉCUME

très heureuse, fais que papa et maman soient tou-jours avec moi et que tous les petits enfantspauvres aient de quoi manger. Mon Dieu, faisque nous ne revenions pas en ville, que les vacancesdurent toujours, fais que je n'aille jamais en classeet que je ne sois pas forcée de jouer avec d'autresenfants, fais que papa m'achète un chien. MonDieu, fais.»

Mais Dieu n'entend jamais la fin des prières dusoir de Véronique.

Le premier Noël de Véronique.La porte s'ouvre sur le miracle de l'arbre.

L'arbre illuminé, pleurant des cheveux d'ange,l'arbre aussi petit que Véronique. Kali pousse uneVéronique figée, pétrifiée d'admiration, frémis-

sante de bonheur. Les bougies rouges et vertes sereflètent dans les yeux levés de Véronique.

Autour de la crèche, volent des anges et le petitJésus de cire est si rose qu'on a envie de le manger.La sainte Vierge porte un long manteau bleu etsaint Joseph est très vieux. Malina, tout autour,

a rangé un véritable troupeau de moutons. Il y ena de toutes les tailles et certains sont même plusgrands que les bergers. Au pied de l'arbre, lesparentsont amoncelé les cadeaux et le préféré de Véronique

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