extremisme rapport fr

Upload: joseph-vissarionovitch-staline

Post on 08-Jul-2015

132 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Rapport sur lextrmisme(donnant suite au postulat 02.3059 du 14 mars 2002 du groupe dmocrate-chrtien)du 25 aot 2004

Messieurs les Prsidents, Mesdames et Messieurs, Donnant suite au postulat du 14 mars 2002 du groupe dmocrate-chrtien intitul "Rapport sur lextrmisme. Actualisation", nous vous soumettons le prsent rapport pour information. Nous vous prions dagrer, Messieurs les Prsidents, Mesdames et Messieurs, lassurance de notre haute considration. 25 aot 2004 Au nom du Conseil fdral suisse: Le prsident de la Confdration, Joseph Deiss La chancelire de la Confdration, Annemarie Huber-Hotz

20032496

1

CondensDans un postulat dpos au printemps 2002, le Parti dmocrate-chrtien (PDC) a demand au Conseil fdral de rdiger un rapport dcrivant le phnomne de lextrmisme de manire dtaille et faisant tat de ses rpercussions sur la scurit de la Suisse. Le prsent rapport comprend donc diffrents aspects: il livre une apprciation de la situation et des informations sur lensemble des activits et des desseins des groupes extrmistes, il dtermine le potentiel de menace inhrent aux groupes extrmistes violents et leurs activits et, enfin, il prsente la stratgie dvelopp par le Conseil fdral en vue de dtecter les menaces de manire prcoce et ainsi de les prvenir. Les activits extrmistes renferment un certain potentiel de violence et sont susceptibles de menacer la scurit intrieure dun pays. Cest pourquoi il convient de dtecter ces activits potentiellement violentes temps et de les prvenir. Lextrme droite se compose de nombreux petits groupes, pour la plupart non structurs, dont les membres entretiennent des relations lches. Ces groupes changent souvent de composition et de nom. Au sein de lextrme droite suisse, les idologies divergent et il nexiste pas de base commune. Le nombre dextrmistes de droite en Suisse est aujourdhui estim un millier. Lextrme gauche comprend un grand nombre de groupes dont la plupart sont connects entre eux. Certains nomarxistes et lninistes sengagent dans la mouvance anarchiste, qui compte environ 2000 militants. Les suiveurs du Bloc noir et ses sympathisants, au nombre de plusieurs centaines lors de manifestations ponctuelles, ne sont pas compts dans ces chiffres. Le conflit, qui tend se durcir entre les deux camps politiques, est surtout radicalis par les extrmistes de gauche. Il en rsulte que le mouvement dextrme gauche, au caractre urbain marqu, a su simposer face aux extrmistes de droite dans les grandes villes telles que Zurich et Ble. Les groupes extrmistes trangers exploitent la marge de manoeuvre assez importante qui leur est offerte par les droits fondamentaux. Cela dit, les collectes et les actions de propagande ont en gnral peu de rpercussions sur la scurit intrieure. Aprs les actions violentes de protestation des groupes extrmistes kurdes de Turquie dans les annes 90, la situation sest dans lensemble calme, et ce, bien que divers groupes soient en mesure dagir avec excs. Des actions de protestation et de solidarit demeurent possibles. Comme dans dautres pays europens, les groupes islamistes incarnent la manifestation la plus saillante de lextrmisme religieux. Ils tendent gagner en influence en sappuyant sur la communaut musulmane vivant en Suisse, surtout sur les personnes frquentant les centres islamiques et les mosques. Plusieurs institutions humanitaires sont actives en Suisse, rassemblant des fonds auprs de leurs compatriotes et au sein de la population. Il nexiste pas de preuve que ces institutions financent directement le terrorisme. Des membres de ces organisations extrmistes utilisent galement notre pays comme zone de transit ou comme lieu de sjour. Pour

2

lheure, les groupes islamistes actifs en Suisse nont pas dvelopp dactivits terroristes au sens propre. Dautres tendances extrmistes se font sentir lors de manifestations sportives. Certains activistes appartenant des groupes extrmistes violents tentent dobtenir une autorisation de sjour en demandant lasile. Les membres de tels groupes, quils sjournent lgalement ou illgalement sur notre territoire, agissent la plupart du temps couvert. Linfluence des mdias tant sur la gense que sur la perception de lextrmisme est considrable. Ce que les activistes semblent rechercher avant tout, cest leffet mdiatique. Les groupes extrmistes ont galement su reconnatre rapidement les avantages des nouvelles technologies de linformation pour les besoins de la propagande. Internet constitue pour eux un instrument multiples facettes, par le biais duquel des donnes peuvent tre transmises rapidement dans le monde entier. Ainsi, presque tous les groupes extrmistes violents connus disposent dun site Web. A lheure actuelle, aucun groupe extrmiste ne compromet gravement la scurit intrieure de la Suisse. Les activits motives par des ides dextrme droite reprsentent une menace, ponctuelle ou locale, considrable la tranquillit, la scurit et lordre publics. La Suisse continue dattirer les concerts de skinheads et dautres manifestations de ce type. Lextrme gauche reprsente actuellement une menace srieuse. Sagissant des extrmistes trangers et des extrmistes religieux, la situation peut tre dcrite comme calme, mais tendue. Le potentiel de mobilisation des groupes extrmistes trangers demeure lev et tout changement de la situation politique dans leur pays dorigine peut entraner une augmentation de la menace lencontre de la Suisse. Le Conseil fdral a dores et dj pris une srie de mesures prventives et rpressives, ce afin de prvenir les activits illgales des organisations extrmistes en Suisse et de les combattre. Parmi ces mesures, on compte le durcissement de la lgislation sur les armes, le contrle de la mise en uvre de la norme pnale contre le racisme, la surveillance dInternet et, ultime mesure, linterdiction dorganisations. Cependant, la lgislation suisse fournit peu de marge de manuvre pour enrayer la propagande et les activits de collecte de fonds. Il sagit donc de contrer des phnomnes comme le racisme, la propagande incitant la violence et la violence elle-mme en crant de nouvelles bases lgales. Les rglementations proposes visent renforcer larsenal juridique (droit pnal et administratif) et la prvention (LMSI I). Suite aux attaques terroristes du 11 septembre 2001, la question de la prvention du terrorisme et de la lutte contre ce phnomne a gagn en importance, mais aussi en urgence. Le Conseil fdral a de ce fait ordonn, au cours de lt 2002, le rexamen des bases lgales fondant les activits de protection prventive de lEtat et ladoption de mesures appropries (LMSI II).

3

Les bases lgales portant sur la politique dasile et les mesures de droit des trangers permettent de tenir loignes de notre territoire les personnes pouvant reprsenter une menace pour la scurit intrieure ou extrieure de la Suisse. Elles nont aucun effet lorsque la personne sjourne dj en Suisse et que lexcution du renvoi nest pas possible, qu'elle est illicite et qu'elle ne peut tre raisonnablement exige. Enfin, chercheurs et autorits de la Confdration et des cantons sentendent dire que, depuis quelques annes, la violence juvnile augmente dans notre socit et quelle doit tre prise au srieux. On dispose de connaissances tendues et gnralement fondes des causes de ces phnomnes de violence et de la faon dont ils se manifestent. Celles-ci sont toutefois encore lobjet de discussions entre scientifiques.

4

Table des matiresCondens 1 Introduction 1.1 Contexte et mandat 1.2 Priode considre et recherche dinformations 1.3 La notion dextrmisme 1.4 Causes de lextrmisme 2 Apprciation de la situation et analyse de la menace 2.1 Extrmisme de droite 2.1.1 Rappel chronologique 2.1.2 Protagonistes 2.1.3 Situation actuelle et degr de la menace 2.2 Extrmisme de gauche 2.2.1 Rappel chronologique 2.2.2 Protagonistes 2.2.3 Situation actuelle et degr de la menace 2.3 Extrmisme religieux 2.3.1 Rappel chronologique 2.3.2 Protagonistes 2.3.3 Situation actuelle et degr de la menace 2.3.4 Extrmisme motiv par dautres religions 2.4 Extrmisme politique dorigine trangre 2.4.1 Extrmistes dethnie albanaise 2.4.2 Groupements extrmistes kurdes et turcs 2.4.3 Extrmisme politique originaire du Proche-Orient et du MoyenOrient 51 2.4.4 Groupe extrmiste tamoul 2.5 Bilan 3 Stratgie du Conseil fdral concernant la dtection prcoce et la prvention 3.1 Mesures de prvention et de rpression prises par la Confdration depuis 1992 55 3.1.1 Politique de scurit: instruments pour la dtection prcoce 3.1.2 Droit relatif aux armes 3.1.3 Lutte contre lextrmisme de droite et le racisme 3.1.4 Interdiction dorganisations 3.1.5 Interdiction de la propagande et de la collecte de fonds 3.1.6 Mesures prises contre le hooliganisme 3.1.7 Extrmisme dans larme et mesures prises par celle-ci 3.2 Projets lgislatifs visant amliorer la prvention 3.2.1 Loi fdrale instituant des mesures contre le racisme, le hooliganisme et la propagande incitant la violence (LMSI I) 3.2.2 LMSI II 3.3 Politique dasile et mesures relatives au droit des trangers 2 7 7 8 9 11 13 13 13 18 25 26 26 29 34 35 35 37 41 44 46 47 48 53 54 55

55 56 56 60 60 61 61 63 63 64 66 5

3.4 Recherche et formation 3.4.1 Programmes nationaux de recherche 3.4.2 Campagnes de prvention des cantons 3.4.3 Campagnes de prvention de la Confdration Annexe

67 67 68 68 70

6

Rapport1 1.1 Introduction Contexte et mandat

Peu avant la fin de la guerre froide, plusieurs parlementaires ont dpos des interventions demandant au Conseil fdral de prsenter un rapport sur les agissements des extrmistes et sur les groupes violents prsents en Suisse1. En 1990, le Conseil fdral a dcid de prsenter au Parlement un rapport sur lextrmisme en Suisse, qui a t soumis aux chambres et publi le 16 mars 19922. Jusquen lan 2000, la Police fdrale a rgulirement fourni des informations sur ltat des connaissances relatives aux mouvements extrmistes. Depuis 2001, ces informations sont publies dans le rapport annuel de lOffice fdral de la police (fedpol) sur la scurit intrieure de la Suisse. Depuis les annes 90, la Suisse est concerne par lextrmisme plusieurs gards. Les activits de lextrme droite, qui ont atteint un pic en lan 2000, nont cess de se multiplier en Suisse comme en Europe. De mme, les infractions et les actes de violence commis par des extrmistes de droite ont connu une forte tendance la hausse. Cette situation a conduit le Conseil fdral prendre diverses mesures prventives et rexaminer les bases lgales correspondantes. Les annes 90 ont galement t marques par les activits des extrmistes de gauche. Depuis le dbut de cette dcennie, les groupes de lextrme gauche combattent le fascisme (mouvement antifasciste). Selon leur acception, ce combat est dirig contre lextrmisme de droite et le racisme, mais aussi contre limprialisme, le patriarcat, le capitalisme et lEtat lui-mme. Par le pass, les extrmistes de gauche employaient des moyens violents cet effet et le font parfois encore aujourdhui. La critique de la mondialisation, ne de la rvolte zapatiste mexicaine contre lAccord de libre-change nord-amricain (ALENA) et dont le retentissement est aujourdhui international, sest exprime pour la premire fois en Suisse en 1998, loccasion dune confrence de lOMC Genve. Depuis lors, les grands vnements, comme le rendez-vous annuel davosien du World Economic Forum (WEF) ou encore comme le Sommet du G8 qui sest tenu Evian en 2003, sont utiliss pour commettre des actions donnant parfois lieu des dbordements violents. A la fin des annes 90, le Conseil fdral a ragi rapidement face aux infractions commises en Suisse par des organisations dextrmistes trangers et dclenches par des situations de crise ltranger, en particulier en Europe du Sud-Est et en Turquie. Il a ainsi ordonn diffrentes mesures3. Depuis les annes 90, lextrmisme est

1

2 3

89.533 Postulat Grendelmeier, CN, Groupements dextrme droite 89.643 Postulat Reimann Maximilian, CN, Mouvements fauteurs de troubles 89.678 Postulat Steffen, CN, Organisations extrmistes en Suisse 92.033 Extrmisme en Suisse. Rapport du Conseil fdral sur lextrmisme en Suisse du 16 mars 1992. Cf. la prise de position du Conseil fdral concernant la motion Freund Jakob, Organisations trangres extrmistes en Suisse (CN 99.3519), la dclaration du Conseil fdral du 1er dcembre 1999: Le Conseil fdral propose de transformer la motion en postulat. et la dclaration du Conseil national du 22 dcembre 1999: La motion est transmise sous forme de postulat. 2004: proposition de classement de la motion.

7

devenu dans toute lEurope un sujet politique marquant et ce dans bien des domaines4. Les attentats du 11 septembre 2001 ont raviv la discussion autour de lextrmisme violent dorigine trangre et attis la peur des mouvements islamistes. Ces actes de violence ont en effet concentr lattention sur le terrorisme motivation religieuse. Le Conseil fdral a fait tat de sa position dans une analyse de la situation et des menaces lintention du Parlement5. Le 14 mars 2002, le groupe dmocrate-chrtien a dpos un postulat (02.3059) o elle demandait au Conseil fdral de rdiger, lintention du Parlement, un rapport complet ayant pour thme le phnomne de lextrmisme et ses consquences pour la scurit de la Suisse. Ce rapport devait dune part prsenter une valuation de la situation, incluant lensemble des activits et des tendances des mouvements extrmistes; dautre part, il devait valuer le potentiel des groupes extrmistes violents et de leurs activits. Enfin, il devait montrer comment le Conseil fdral entend dtecter les menaces et les prvenir. Cela devait permettre dviter que tous les trangers vivant en Suisse soient mis dans le mme sac et, le cas chant, jugs mauvais escient. Le Conseil fdral et le Conseil national ont accept le postulat respectivement le 8 mai et le 21 juin 2002.

1.2

Priode considre et recherche dinformations

Le prsent rapport du Conseil fdral permet au Parlement de se situer. Lapprciation de la situation dcrit les tendances de 1992 2003. Le rapport ne fait allusion aux vnements anciens que lorsque cest ncessaire la comprhension. Lanalyse de la menace fait galement tat des possibilits dvolution. La reprsentation de lextrmisme violent repose en grande partie sur des informations des organes de scurit de la Confdration et des cantons conformment aux4

5

Le 25 juillet 2003, un groupe de travail du Conseil de lEurope a prsent un rapport sur la menace que reprsentent les partis et les groupes extrmistes pour la dmocratie en Europe. Il parvient la conclusion que les 45 Etats membres du Conseil de lEurope sont concerns et quau cours des dernires annes, les partis et les mouvements extrmistes ont obtenu de bons rsultats lectoraux surtout en Europe occidentale. Il constate en outre que si les mouvements dextrme droite obtiennent de bons rsultats, ce sont surtout les partis et les groupes de lextrme gauche qui ont nouveau le vent en poupe. LAssemble parlementaire du Conseil de lEurope a adopt le rapport par rsolution du 29 septembre 2003 Strasbourg. LAssemble conseille aux gouvernements de contrer lextrmisme en prenant des mesures lgislatives visant limiter lexercice de certains droits fondamentaux tels que la libert dopinion, la libert de runion et la libert dassociation (Conseil de lEurope, Assemble parlementaire: Menace des partis et mouvements extrmistes pour la dmocratie en Europe. Doc. 9890, 25 juillet 2003). Fin janvier 2004, le Conseil de lEurope a publi le troisime rapport de la Commission europenne contre le racisme et lintolrance (CERI) concernant la Suisse. Ce rapport a t rdig par une dlgation de la CERI qui sest rendue en Suisse en mai 2003. Le rapport fait tat des progrs raliss en Suisse au cours des dernires annes. La CERI a t institue en 1993 suite une dcision prise en haut lieu par le Sommet des chefs dEtat et de gouvernement des pays membres du Conseil de lEurope. Elle se compose dun expert indpendant de chaque pays membre. Analyse de la situation et des menaces pour la Suisse la suite des attentats terroristes du 11 septembre 2001. Rapport du Conseil fdral lintention du Parlement. FF n 8, 4 mars 2003, 1674.

8

tches assignes dans la loi fdrale du 21 mars 1997 instituant des mesures visant au maintien de la sret intrieure (LMSI, RS 120). Depuis la parution du premier rapport sur lextrmisme en 1992, diffrents travaux et projets de recherche sociologiques ont port sur cette problmatique. Le prsent rapport quant lui nest pas une tude sociologique.

1.3

La notion dextrmisme

Lextrmisme dsigne les orientations politiques rejetant les valeurs de la dmocratie librale et de lEtat de droit. Le prsent rapport sappuie sur la dfinition utilise par le Conseil fdral dans sa publication de 1992. Lextrmisme, une forme de rejet de lordre libral dmocratique De faon gnrale, sont considrs comme extrmistes les mouvements et les partis, les ides, les opinions et les comportements rejetant lEtat constitutionnel et dmocratique, la sparation des pouvoirs, le systme multipartite et le droit lopposition. Pour les extrmistes, la notion dopposition politique a fait place la doctrine dualiste des bons et des mchants. En consquence, les extrmistes rfutent toutes les opinions et tous les intrts opposs et croient des objectifs de socit ou des droits bien prcis et selon eux incontestables. Les extrmistes eux-mmes ne se considrent pas en tant que tels. Il nest pas rare quils exploitent les ralisations de lordre dmocratique auquel ils sopposent, soit la libert dopinion, la libert de la presse, la libert de croyance, la libert de runion et la protection juridique. Cest lopposition aux valeurs fondamentales de la dmocratie et aux principes de lordre, et non le fait que les groupes extrmistes se trouvent en marge du monde politique, qui est dcisive. La marginalisation est invitable dans toute socit. Ces positions deviennent extrmistes ds que ces marginaux sexpriment au nom dune population plus importante, voire de toute la population et quils confrontent leurs exigences partisanes, seuls ou avec dautres, avec celles de la majorit, en ayant parfois recours la violence. En Suisse, la tradition politico-juridique ninclut pas, comme en Allemagne, le concept de lopposition la constitution. Contrairement dautres pays qui ont largement dvelopp les institutions de protection de la constitution, il ne suffit donc pas quun groupe organis sefforce dabolir la dmocratie, les droits de lhomme ou encore lEtat de droit pour que les organes de protection de lEtat puissent le mettre sous surveillance. Il faut de surcrot que le groupe en question, pour atteindre ses objectifs, fasse acte de violence, approuve son usage ou sen accommode. En droit pnal, la notion de violence est imprcise et discutable. Il existe nanmoins un point commun entre toutes les dfinitions: la violence est toujours dcrite comme une action physique dirige contre un tiers et impliquant lusage de la force corporelle. Le fait de savoir si la notion de violence doit tre tendue au-del de laction physique, par exemple la pression psychologique, est controvers. Dans la suite du prsent rapport, la notion de violence est dfinie comme lutilisation active de la contrainte physique (par laction du corps ou dun autre moyen) contre une personne ou un groupe de personnes en vue datteindre un objectif. La violence nenglobe donc pas les comportements passifs ni les circonstances structurelles. Sont consid9

rs comme ports la violence les extrmistes qui, de par leurs opinions politiques et leur faon de paratre en public, manifestent leur aptitude faire usage de la contrainte physique mais qui, pour des raisons stratgiques ou tactiques, ne font pas toujours preuve de militantisme, comme le font les extrmistes violents. Contrairement ce que les extrmistes pensent eux-mmes, la violence ne vise pas uniquement des choses. Extrmisme et radicalisme Il est important de diffrencier la notion dextrmisme de celles de radicalisme et de terrorisme. La notion de radicalisme est souvent utilise comme synonyme dextrmisme, ceci prs que la notion de radicalisme se rfre davantage aux moyens qui doivent permettre dimposer un objectif politique que la notion dextrmisme, qui dsigne la pense et lobjectif politiques eux-mmes. La notion de radicalisme dcrit donc la dtermination et la consquence des opinions politiques, et non les objectifs des acteurs. Elle nest pas non plus synonyme dantidmocratisme ou de propension la violence. La notion de radicalisme peut servir dcrire lintensit dune position politique, mais en dit moins quant son contenu6. Extrmisme et terrorisme Une autre notion troitement lie celle dextrmisme est celle de terrorisme. Certains chercheurs spcialiss dans le terrorisme le dfinissent comme laspect combattant de lextrmisme politique ou comme laspect de lextrmisme politique qui vise anantir lEtat constitutionnel et dmocratique grce au recours une violence importante7. La notion de terrorisme dsigne les tendances dont les objectifs ou les moyens sont antidmocratiques. Alors que leurs rflexions politiques nont pas su convaincre, les acteurs du terrorisme et cest l leur caractristique principale tentent dimposer leurs exigences en faisant usage dune grande violence visant effrayer et intimider des personnes qui ne sont pas impliques. Dcrit ainsi, le terrorisme peut tre considr comme la consquence ultime de lextrmisme politique. Mais linverse, il nenglobe pas toutes les formes de violence politique. Effet mdiatique Le terrorisme et lextrmisme ont une autre caractristique commune: ils dpendent de leffet mdiatique quils remportent et leurs acteurs cherchent attirer lattention des mdias. Pour ce faire, le recours la violence est un bon moyen. Cette qute de leffet mdiatique vaut tout aussi bien pour les hooligans, les skinheads et les activistes masqus du Bloc noir. Les mdias se trouvent ainsi confronts un dilemme, car informer lopinion publique en lui exposant les activits des extrmistes, les dbordements, les attaques, les atrocits, faire preuve de compassion et se montrer solidaires des victimes signifie galement permettre aux extrmistes datteindre leurs objectifs et de les renforcer.

6 7

Dans la suite du texte, ladjectif radical nest donc pas employ comme synonyme de ladjectif extrmiste. Gerd Langguth, in: Carmen Everts, Politischer Extremismus. Theorie und Analyse am Beispiel der Parteien REP und PDS, in: www.weissensee-verlag.de.

10

Il faut donc sattendre une multiplication des actions violentes dans le contexte dvnements mdiatiss. La prsence des mdias internationaux est particulirement propice aux apparitions riches en effets et aux manuvres de perturbation.

1.4

Causes de lextrmisme

Les causes de lextrmisme ne sexpliquent que de manire scientifique. Le prsent rapport ne constitue certes pas une tude sociologique, mais les rsultats de quelques tudes dterminantes y sont exposs. Pour les sciences sociales, dire que lextrmisme est antidmocratique ne suffit pas. Elles sinterrogent sur les liens entre socit, Etat constitutionnel et extrmisme. Lorsquil sagit dextrmisme dont les acteurs sont des trangers, les causes doivent tre recherches dans le pays dorigine. Les thories au sujet de lvolution de la socit et de la scularisation, mme si elles sont controverses et quelles ne sappuient plus aujourdhui sur des processus explicites, univoques et irrversibles, fournissent des pistes pour lobservation long terme. La modernisation, cause de lextrmisme? Lindividualisation est une caractristique de lvolution de la socit et de la scularisation. Les phnomnes caractre ambivalent de non-intgration, de rejet des traditions, de perte ou du moins de relativisation des valeurs, des normes et des manires dagir sont les consquences de lindividualisation. Paralllement ces volutions apparaissent galement au sein de la socit des changements dans le systme conomique (si tant est quon ne considre pas que les volutions de la socit dcoulent des volutions de lconomie). La totalit de ces processus crent une libert daction pour les individus, mais galement de nouvelles contraintes. Il est possible dobserver ces processus au niveau individuel; toutefois, dans le contexte de lextrmisme, lintrt se porte surtout sur les perdants de la modernisation. A cet gard, on peut nommer soit les consquences de lvolution de la socit (la peur de la concurrence dans le secteur conomique ou de la perte de statut au sein de la socit , lisolement et lexclusion, la droute, le sentiment dimpuissance, lennui, labsence de perspectives, la frustration), soit les stratgies plus ou moins efficaces qui permettent de se reconstruire une identit propre dans ces circonstances. Parmi les grands perdants de lvolution de la socit, on trouverait les extrmistes, ce qui se vrifie parfois empiriquement, mais pas toujours. Les bouleversements individuels permettent de comprendre certaines ractions des extrmistes. Les extrmistes de droite compensent la perte didentit individuelle et collective grce leurs reprsentations de ce que sont la race, le peuple et la nation et excluent systmatiquement tous ceux qui ne rpondent pas ces critres, en ayant recours la violence. A lautre extrmit lventail politique, la compensation a lieu sur fond de romantisme social et dutopie, avec des consquences semblables en termes dintolrance et de violence. La rflexion essentielle est la suivante: lextrmisme se situe au cur de la socit. Certaines interprtations dcrivent lextrmisme de droite comme lextrmisme du

11

centre; elles attribuent ce qui est appel la personnalit autoritaire une prdisposition et une rceptivit aux ides dveloppes par ce courant8. Les traits de caractre de certaines personnes ou les manifestations de linjustice sociale peuvent galement servir dexplication dans le cadre de thories, non pas sociologiques ou relevant de la thorie de la socit, mais portant sur le processus politique. La notion de populisme, qui est galement utilise en politique, dsigne par exemple des stratgies attisant des peurs inconscientes ou rejetant la faute des injustices sociales sur les reprsentants de certaines ethnies, en vue de dfendre des intrts propres. Il en existe des exemples dans tous les camps politiques. Lanalyse discursive, un niveau plus exigeant sur le plan thorique, produit une argumentation semblable, sans recours linstrumentalisation. La scularisation, cause de lextrmisme? La scularisation dsigne soit la perte dinfluence de la religion au sein de la socit, soit le transfert des convictions religieuses de la sphre sociale ou politique dans le domaine des opinions individuelles, cest--dire dans la sphre prive. La libert de religion et de culte, garantie par lEtat, scelle ce processus, do des difficults par rapport aux personnes qui, de par leurs convictions, nacceptent pas cette volution. Ces personnes sont les protagonistes de lextrmisme religieux. Les consquences de la scularisation sont les mmes que celles de lvolution de la socit, cette diffrence prs et elle est de taille que le fondamentalisme religieux peut tre dcrit soit comme la rponse du traditionalisme religieux la scularisation soit comme un regain de fondamentalisme et, partant, comme une politisation de la religion dans des conditions sculaires. De tous les fondamentalismes religieux, lislamisme est sans doute celui qui fait le plus parler de lui en ce dbut de 21e sicle. Lislamisme est une thologie politique fonde sur lislam. Il trouve sa source spirituelle dans la pense de Mohamed Ibn Abd al-Wahhab et dautres rformateurs musulmans du 18e sicle qui, par leurs prches, ont voulu rtablir la puret originelle des dogmes et du culte islamiques. Ils ont idalis la socit musulmane en se fondant sur lexemple des enseignements et de la vie du prophte. Ces personnalits, quon appelle les Salafi et qui prnent le retour aux origines, sont les pres spirituels entre-temps dcds de nombre des mouvements fondamentalistes actuels. Lislamisme a pris son essor au dbut du 20e sicle sous limpulsion des ides fondamentalistes dAl-Mawdoudi au Pakistan et de lapparition en 1928 des Frres musulmans en Egypte. A premire vue, lislamisme peut sembler utopique: les Frres musulmans voulaient revenir lorganisation de la socit musulmane fonde sur la Charia, une organisation telle quelle aurait t applique du vivant du prophte Mohammed Mdine. Les ides des Frres musulmans se sont rpandues principalement au Maghreb, au Machrek et en Asie centrale, mais aussi dans le reste du monde. Les Etats en tant quacteurs de lextrmisme En thorie, des acteurs tatiques peuvent eux aussi tre extrmistes, mais le prsent rapport ne dveloppe pas cet aspect. Les Etats fondamentalistes islamiques font de8

Uwe Backes, Eckhard Jesse, Extremismus der Mitte? Kritik an einem modischen Schlagwort, in: idem (d.), Jahrbuch Extremismus und Demokratie 7, Baden-Baden 1995, pp. 1326.

12

leur interprtation de lislam une thologie politique caractre universel et absolutiste et soumettent toute action de lEtat des lois spcifiques, en loccurrence islamiques. Cette conception du monde, qui tend vers lextrmisme, est dfendue par tous les moyens par ces Etats, y compris le recours aux services de renseignements. Exigeant que lislam ne subisse aucune mutation, ils rejettent lordre juridique et social du monde occidental. Outre leurs tches classiques despionnage (militaire, politique et conomique), les services de renseignements et de scurit de ces pays qutent souvent des informations auprs des migrs et contribuent la planification et lexcution dactes relevant du terrorisme dEtat, qui visent liminer les rengats et les mcrants.

2 2.1

Apprciation de la situation et analyse de la menace Extrmisme de droite

Lextrme droite rassemble divers courants situs tout droite de la palette politique. Le no-fascisme, le no-nazisme, etc. ayant des ides et des organisations en commun, ces termes sont souvent utiliss comme synonymes. Les caractristiques intrinsques de lextrmisme de droite permettent de le dcrire plus prcisment: xnophobie exacerbe couple au nationalisme et un racisme et un antismitisme agressifs. Les acteurs de lextrmisme de droite croient en un Etat autoritaire tout puissant construit de manire hirarchique et comprenant une seule ethnie. Les extrmistes de droite entretiennent une mfiance profonde lgard des principes dmocratiques et acceptent volontiers la violence.

2.1.1

Rappel chronologique

En Suisse, lextrme droite est apparue sous sa forme actuelle dans les annes 90. A lpoque, elle tait compose dune multitude de petits groupes dorigines diverses et lest encore aujourdhui. On y distingue trois branches. Dveloppement des trois branches principales de lextrme droite La branche la plus ancienne est ladite Ancienne Droite, qui se compose danciens fascistes, de ngationnistes (ou rvisionnistes), de racistes, etc. dont les racines remontent la premire moiti du 20e sicle. La deuxime branche, plus rcente, est celle des skinheads; ils constituent lorigine de lextrme droite actuelle. Le mouvement skinhead est n dans les annes 60 en Grande-Bretagne sous la forme dun mouvement de jeunes apolitiques qui recourent la musique comme moyen de communication. Leurs ides racistes et xnophobes taient vhicules par la musique travers toute lEurope et jusquaux Etats-Unis et constitue, aujourdhui encore, un relais important. Depuis les annes 70, les groupes politiques dextrme droite oeuvrent afin de rallier les skinheads, lorigine apolitiques, leurs ides. En Suisse, o les skinheads sont, depuis le dbut, plus politiss que leurs homologues dautres pays europens, ce processus de rcupration est rcurrent; il ne sest pas achev une fois pour toutes. Dans les milieux fort disparates de lextrme droite, il y a toujours eu des vellits de fusion. Ainsi, en 1983, la Coordination nationale, dirige par le clbre ngationniste Gaston-Armand Amaudruz, a tent de runir les anciens fascistes, les nga13

tionnistes, les racistes et les skinheads, en jetant des ponts entre les gnrations dextrmistes. Or, le mouvement, trs intellectuel, nest jamais parvenu gagner les jeunes activistes aux ides de la branche ancienne. Au dbut des annes 90, les thoriciens de ladite Ancienne Droite ont t considrs comme une menace latente en raison de leur influence prsume sur les jeunes extrmistes violents. A partir de 1988, des groupes militants de la Nouvelle Droite rpondant par exemple aux noms de Rechtsradikale Mutschellenfront (RMF), de Front patriotique (FP) ou encore de Parti national-rvolutionnaire suisse (PNR) sont apparus. Les dirigeants de la Nouvelle Droite ont essay de reformer le mouvement et de gagner les skinheads leurs ides, ce quils sont parvenus faire avec une partie dentre eux. A partir du milieu des annes 90, ces groupes ont perdu de leur influence. Le mouvement skinhead et les ngationnistes de lAncienne Droite sont quant eux demeurs bien prsents et actifs. Ils constituent aujourdhui les deux branches les plus oprantes du milieu de lextrme droite. Multiplication des incidents motivs par des ides dextrme droite Au dbut des annes 90, les activits et les actes de violence relevant de faon prouve ou prsume de lextrmisme de droite se sont multiplis. Pour autant, aucun mouvement politique dextrme droite dimportance ne sest form.Extrmisme de droite en Suisse: incidents et nombre de membres160 1200

140 1000 120

membres

incidents100

800

80

600

60 400 40 200 20

0 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003

0

Incidents dclars l'Office fdral de la police (graffiti non compris)

Nombre total d'incidents Nombre total de membres (estim)

Au sein de lextrme droite, les skinheads ont le potentiel de violence le plus lev. Leurs attaques verbales et leurs actes de violence sont dirigs contre des trangers, mais aussi contre des sympathisants de la gauche et des groupes marginaux. Les skinheads ont rgulirement commis des attaques contre des infrastructures dasile. Un pic a t enregistr entre 1990 et 1992. Alors qu compter de fin 1991, le nombre de requrants dasile a baiss en Suisse, la frquence des dlits a elle aussi considrablement diminu compter de 1993. Outre les actes de violence contre des infrastructures dasile, des voies de fait sur des requrants dasile ont t enregis14

tres. A partir de 1993, la plupart des attaques verbales des extrmistes de droite ont t diriges contre des personnes. Les ennemis des skinheads demeurent les mmes: trangers, gauchistes, groupes marginaux. Depuis 2002, les confrontations entre groupes de lextrme gauche et groupes de lextrme droite sont devenues plus dures. A compter de 1995, les activits des skinheads violents ont augment, tout comme le nombre de rassemblements et dadhsions des groupes nouvellement fonds. La croissance des mouvements de skinheads et lessor de leurs activits se sont poursuivis et un nouveau pic dattaques contre des centres pour requrants dasile a t enregistr en 1999, de mme quun nombre considrable dattaques contre des ressortissants trangers. Les chiffres sont redescendus en lan 2000. En 2001 et 2002, aucune attaque contre les infrastructures de lasile na t enregistre, tendance qui sest nouveau inverse en 2003. Il y a constamment eu des confrontations entre extrmistes de droite et trangers.Actes de violence contre les infrastructures de l'asile

80 70 60 50 40 30 20 1027 42 9 10 11 77

10 4 1 0 0 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 3 3

6

6

Concerts de skinheads et propagande Le milieu musical des skinheads a attir un public nombreux la fin du 20e sicle et contribu ainsi la diffusion des ides de lextrme droite. Depuis 1998, il y a plus frquemment de grands concerts, malgr un recul temporaire d aux interventions de la police. Ainsi, en 2001 et au cours des annes qui ont suivi, plusieurs grands concerts comptant parfois 600 800 participants ont eu lieu dans diffrentes rgions de Suisse almanique. Une part considrable des spectateurs taient venus de ltranger et en particulier dAllemagne. Les concerts skinheads tout comme limportation de matriel de propagande ont contribu promouvoir les contacts transfrontaliers. En lan 2000 est apparue une nouvelle tendance consistant organiser des vnements dans des clubs privs. Dans plusieurs cantons, les groupes dextrme droite louaient des locaux privs pour leurs rencontres ou encore des salles de restaurant, dclarant aux propritaires et aux autorits quils comptaient organiser une fte prive, fte danniversaire ou fte sylvestre. En Suisse, la possession de musique dont les paroles relvent de lextrmisme de droite nest pas punissable. Seule la diffusion de musique raciste tombe sous le coup 15

de la disposition pnale en matire de discrimination raciale. Celle-ci concerne donc tant la vente de supports musicaux que les concerts des groupes de skinheads. Le contrle par la police de concerts organiss en priv sans quaucune publicit nait t faite savre donc problmatique. Nouvelles formes de lextrmisme de droite Le nombre dinfractions et dactes de violence a augment au cours de lt 2000, tous ntant pas imputables aux extrmistes de droite. En outre, il y a eu diffrents autres incidents, dont des actions de perturbation de skinheads pendant lallocution du prsident de la Confdration sur la prairie du Grtli. Celles-ci ont conduit le Conseil fdral et les autorits examiner la ncessit dune action politique. A lautomne 2000, le Conseil fdral a ainsi charg le Dpartement fdral de justice et police (DFJP) de constituer un groupe de travail national charg de rflchir aux moyens de lutter contre la violence dextrme droite sur le plan lgislatif, sur le plan de la recherche et sur le plan de la prvention9. Le 1er aot 2000 peut tre considr comme marquant les dbuts des skinheads sur la scne publique. Cest cette date quils ont pour la premire fois attir lattention des mdias, cherchant produire un effet politique. Cette volont sest galement manifeste dans laugmentation du nombre dincidents. Le cercle Avalon a ainsi fait parler de lui plusieurs reprises en lan 2000. De mme, diffrents groupes politiques se sont mls aux agissements des dirigeants du milieu des skinheads. Cela dit, la provocation publique sest estompe ds 2001, une attitude qui sexplique vraisemblablement par le souhait de certains groupes de stablir sur la scne politique, comme le Parti des Suisses Nationalistes (PSN), fond en septembre 2000. Pour ce faire, limage dun groupe agressif, compos de casseurs et de bagarreurs, ne convient pas. Depuis 2003, le PSN prend part des lections cantonales et fdrales tandis que des groupes dextrme droite comme la Nationale Ausserparlamentarische Opposition reprennent des thmes politiques dactualit leur compte (pornographie enfantine, guerre en Irak). Pour lheure, le PSN a remport un succs trs relatif et la Nationale Ausserparlamentarische Opposition nest pas du tout parvenue ses fins. Liens des extrmistes de droite suisses avec ltranger En lan 2000, il y a galement eu des tentatives venues dAllemagne visant veiller la fibre politique de skinheads et dextrmistes de droite suisses. Le Nationaldemokratische Partei Deutschlands (NPD) tait menac dinterdiction en Allemagne, raison pour laquelle il a notamment tent de fonder un parti en Suisse. En avril 2000, le Parti national suisse (PNS) a t choisi comme interlocuteur suisse du NPD. Dautres groupes de lextrme droite suisse tels que la Nationale Aufbauorganisation (NAO) et le PSN se sont proposs comme antennes du NPD en Suisse. En 2001, les efforts de la NAO en vue de runir diffrents groupes en une organisation fatire ont chou, du moins provisoirement. Le fait que la Cour constitutionnelle fdrale dAllemagne ait rcus linterdiction projete du NPD en 2002 a quelque peu calm les craintes en Suisse, bien quil existe toujours des contacts avec le NPD.

9

Cf. le rapport au Conseil fdral du groupe de travail interdpartemental Coordination et mise en uvre de mesures dans le domaine de lextrmisme de droite (octobre 2001) (http://www.fedpol.ch/d/archiv/berichte/weitere/massnahmenbericht_200110.pdf).

16

Une autre crainte sest fait jour en Suisse: celle de voir les interdictions prononces en lan 2000 en Allemagne contre lorganisation de skinheads Blood & Honour Allemagne et contre son association de jeunes White Youth se rpercuter sur la situation dans notre pays. Le dveloppement attendu de structures de substitution en Suisse ne sest pas produit. Propagande dextrme droite et norme de droit pnal en matire de discrimination raciale Les groupes dextrme droite ont rapidement repr les avantages des nouvelles technologies de linformation en matire de propagande. Internet constitue pour eux une plate-forme multi-usages grce laquelle les donnes peuvent tre diffuses rapidement dans le monde entier. Il na donc pas fallu beaucoup de temps pour que tous les groupes extrmistes violents connus disposent de leur site Internet. Il est possible dentrevoir des liens entre lessor de la propagande incitant la haine et la violence, la multiplication des rassemblements et laugmentation du nombre de dlits. Depuis 1997, la diffusion de matriel de propagande et de supports sonores caractre xnophobe ou no-nazi ou incitant la violence na cess de crotre. Cette volution pourrait avoir t favorise par labrogation dbut juillet 1998 de larrt du Conseil fdral du 29 dcembre 1948 visant la propagande subversive, raison pour laquelle le matriel de propagande incitant la violence extrmiste ou au racisme ne pouvait plus tre ni saisi ni confisqu titre prventif. Depuis 1998, ces contenus ont pass de la parution sur papier la parution virtuelle sur Internet, en grande partie suite aux premires condamnations en vertu de la nouvelle disposition pnale contre la discrimination raciale (art. 261bis CP). En 1998, quelque 700 sites au contenu raciste ont t trouvs sur Internet. Lanalyse des jugements prononcs en 2003 sur la base de lart. 261bis CP (condamnations, non-lieux et suspensions de la procdure) tous les chelons judiciaires de la Suisse donne une ide succincte de ltendue du problme. Au total, 33 jugements ont ainsi t prononcs en 2003, ce qui correspond la moyenne des annes prcdentes. Six jugements (18 %) se rapportaient des dclarations motives par des ides antismites, cinq autres (15 %) des contenus pouvant tre perus comme ngationnistes ou no-nazis, trois autres enfin portant sur la critique diffamatoire de lEtat dIsral et lantisionisme. Les dclarations caractre politique contre lEtat dIsral et contre le sionisme ne sont nanmoins pas punissables aux termes de lart. 261bis CP. 19 dcisions (58 %) concernaient dautres cas de discrimination raciale ou autre. Il est important de prciser que toutes les dclarations punissables lencontre de Juifs ne proviennent pas du milieu de lextrme droite: il peut arriver que lextrme gauche soit lorigine de telles dclarations. Depuis peu, dans ce domaine, les diffrences entre les deux ples de la palette politique sembrouillent, en Suisse comme dans le reste de lEurope. Ce phnomne, galement connu au sein de lislam, fait lobjet de discussions dans toute lEurope et fait appel la notion de nouvel antismitisme.

17

2.1.2

Protagonistes

Depuis le milieu des annes 90, lextrme droite a peu chang: elle se compose de nombreux petits groupes, souvent sans relles structures, la cohsion relative et dont la composition et le nom changent frquemment. Il arrive que certaines personnes appartiennent plusieurs groupes la fois. Il est donc difficile dvaluer la taille des groupes et le nombre total des membres de lextrme droite de manire prcise. Le nombre total dextrmistes de droite en Suisse slverait un millier de personnes, auxquelles sajouteraient 700 800 sympathisants. Ces derniers ne font pas partie du noyau dur, mais participent aux vnements organiss par les groupes dextrme droite et partagent leurs ides. Le noyau dur ne cesse de grossir dune anne lautre: de 600 700 membres en 1999, il est pass 800 ou 900 membres en lan 2000. Les extrmistes de droite recrutent lors de concerts et de ftes du milieu des skinheads, via Internet et parmi les hooligans. Lge moyen des extrmistes de droite se situe entre 16 et 22 ans.

18

Disparits rgionales Lextrme droite est fortement reprsente dans diffrents centres rgionaux. Ceuxci sont surtout situs en Suisse almanique: dans les cantons dArgovie, de Zurich, de Berne, de Ble-Campagne, de Soleure et de Lucerne, ainsi quen Suisse orientale, mais galement dans certains cantons de Suisse romande: Genve, Vaud et Valais10. En Suisse romande, il y a surtout de petits groupes et des individus trs actifs. Depuis 1996, les activits des skinheads nont cess de se multiplier dans cette partie de la Suisse. Dans les cantons de Neuchtel, de Genve, de Vaud et du Valais, le noyau10

Le milieu de lextrme droite en Suisse (daprs les indications des cantons)Canton Nombre de groupes / inventaire des groupes / nombre de membres Activits

AG

10 / SHS, B&H, PSN, Morgenstern, Avalon, NAO, Nationale Offensive (NO), Nationale Initiative Schweiz (NIS), Patrioten CH, National Korps / 429 plus un nombre inconnu, mais important de membres supplmentaires ZH 6 / NAO, Nationalkorps Limmattal, Nordisch Zrich, concerts de skinPatriotische Jugend Winterthur, Volkssturm Unterland, heads Wylandsturm / 300 BE 6 / NPS, Avalon, NO, Skinhead Aktion Bern, Orden der (ville et arischen Ritter (dissous) / 200 canton) GE 4 / Vrit et Justice, Jeunesse Nationaliste Suisse et Europenne, Nouvelle Droite, Supporters 88 (hooligans) / 132 SO / pas de structures, milieu la cohsion relative / 120 LU 2 / SHS, Morgenstern / 85 concerts de skinheads VD 3 / B&H Romandie, non-Hammers, Skaters / 100 BL 6 / PSN, B&H (inactif), Ombre Nero (inactif), Laufentaler Patrioten, Rechte Schweizer Jugend (RSJ) Oberbaselbiet (dissous), Warriors (nouveau) / 80 VS 3 / Vrit et Justice, B&H Romandie, Allobroges Klan, milieu la cohsion relative / 75 SZ 1 / SAKVP Schweizerischer Art und Kulturverein der Patrioten (SAKVP), milieu la cohsion relative / 64 BS 1 / PSN, milieu la cohsion relative / 60 TI 1 / Movimento Destra Svizzero Ticinese (MDST), hooligans, hooligans: liens milieu la cohsion relative / 45 avec le milieu de lextrme droite suisse allemand TG 2 / SHS, Patriotischer Ostflgel (POF) / 40 concerts de skinheads, envois SG 6 / Toggenburger Skinheads, St. Galler Skinheads, Skinheads Werdenberg, (Eschenbach-Front, Heimat-Front, Oi-Front dmantel) / 35 OW / pas de structures, milieu la cohsion relative / 20 FR 2 / Vrit et Justice, PSN (nouveau), milieu la cohsion relative / 20 (une grande partie ne vivent pas dans le canton) GR 2 / Rheinfront (presque dissous), Bndner Werwlfe / 20 NE / pas de structures, milieu la cohsion relative / 20 NW / pas de structures, milieu la cohsion relative / 5 AI // AR / pas de structures, quelques reprsentants / 2 UR // JU // SH // ZG / pas de structures, milieu la cohsion relative / 5 GL / pas de structures, milieu la cohsion relative / 5 10

19

dur des activistes comptait entre vingt et trente personnes. En Suisse romande, les positions extrmes ne sexpriment pas de la mme manire quen Suisse almanique, en raison de diffrences socioculturelles. Lextrme droite romande se concentre surtout sur des rseaux intellectuels (Nouvelle Droite et ngationnistes). On constate galement des liens avec des partis franais dextrme droite. Au Tessin, il ny a que peu dindividus appartenant lextrme droite, mais le milieu des hooligans entretient des liens avec ses homologues italiens et suisses almaniques. Dans ce qui suit, il sagira danalyser quelques organisations appartenant au milieu de lextrme droite. Il ne sagit pas dune liste exhaustive de toutes les organisations, mais de celles qui, lheure actuelle, sont les plus importantes et les plus actives et par consquent les plus significatives. Lanalyse commence par les protagonistes politiques de lextrme droite, tout dabord par lAncienne Droite, reprsente par les associations ngationnistes, viennent ensuite les groupes plus jeunes, qui ont eux aussi une motivation politique, puis les skinheads, symboles de la force numrique de lextrme droite. Enfin, lanalyse se conclut par les hooligans, en soi apolitiques, mais de plus en plus recruts ces derniers temps par les skinheads. Associations ngationnistes Les tentatives, caractre politique, de nier ou de relativiser les crimes de lre nazie sont runies sous les termes de ngationnisme ou de rvisionnisme. Depuis des annes, des ngationnistes du monde entier contestent, dans le cadre dune campagne cible de rvisionnisme, lradication de millions de Juifs europens ou tout du moins minimisent le nombre de victimes. Pour justifier leurs dires, ils se rfrent des publications, souvent commandes par leurs soins, telles que les rapports Leuchter et Rudolf, qui tentent de prouver, laide de mthodes soi-disant scientifiques, que lextermination de masse dans les camps de concentration tait techniquement impossible. Au cours des dernires annes, les ngationnistes suivants ont particulirement fait parler deux ltranger: Ernst Zndel, Otto-Ernst Remer, Thies Christophersen et David Irving11, tandis quen Suisse, Jrgen Graf, Philippe Brennenstuhl, Gaston-Armand Amaudruz et Bernhard Schaub ont t les plus remarqus. Ils attirent lattention sur leur propre personne, mais il existe galement deux groupes entiers de ngationnistes en Suisse: Vrit et Justice et Avalon. Vrit et Justice Cette association a t fonde en 1999 par le ngationniste blois Jrgen Graf et compte des membres dans les cantons de Fribourg et de Genve. Ceux-ci dveloppent leurs thses ngationnistes dans des livres et au cours de confrences. Vrit et Justice a t dissoute en mars 2002 par dcision judiciaire sur la base de lart. 78 du code civil (but de lassociation illicite ou contraire aux murs) et ses valeurs patrimoniales ont t confisques. Mais, malgr sa dissolution, lassociation demeure active et ses membres continuent de se runir. Vrit et Justice continue galement de publier un bulletin et dorganiser des rencontres nationales et internationales de ngationnistes. Le11

Ernst Zndel est un ressortissant allemand vivant au Canada; il a publi la GermaniaRundbrief. Otto-Ernst Remer (auteur du Deutschland-Report et prcdemment de la Remer-Depesche) et Thies Christophersen (dcd en 1997, auteur de Die Bauernschaft) sont deux anciens nazis agissant depuis lEurope. David Irving est un historien britannique.

20

site Internet continue lui aussi dtre exploit (tat: mars 2004). Des membres du groupe et notamment le fondateur de lassociation, Jrgen Graf, sont rgulirement accuss de violer la norme de droit pnal contre la disrimination raciale. Avalon Avalon est un cercle no-paganiste. Fond en 1990 dans le canton de Berne et implant galement dans le canton dArgovie, ce groupe recrute notamment ses cadres au sein de la Jeunesse Viking, aujourdhui dissoute. Dans le canton de Berne, le nombre de membres est estim une douzaine, tandis que dans le canton dArgovie, le nombre de membres est inconnu. Avalon dploie ses activits sur le plan culturel, en organisant des clbrations sylvestres mythiques et des sminaires dhistoire o est dfendue une idologie nationaliste teinte de traditions indo-germaniques et celtes. Avalon entretient des relations troites avec les skinheads, notamment avec la Nationale Offensive (NO) et avec le PSN, ainsi quavec des homologues trangers. Le cercle entretient galement des contacts avec Vrit et Justice. Contrairement aux skinheads, souvent trs jeunes, les membres de ce groupe ngationniste ont en moyenne la cinquantaine. Certains membres dAvalon ont enfreint la loi, principalement parce quils avaient viol la disposition pnale contre le racisme. Cela dit, le groupe nest pas considr comme violent. Groupes politiques dextrme droite Certains groupes qui taient importants il y a encore trois ans ont perdu de leur influence, par exemple la Nationale Initiative Schweiz (NIS) et le Parti national suisse (PNS). La dissolution quasi-totale du PNS montre que les groupes dpendent fortement de certains individus. Depuis que le leader du PNS a mis fin ses apparitions, les activits du groupe se sont rduites au strict minimum. Ces groupes subissent ainsi le mme destin que celui de la Nouvelle Droite des annes 90. Le Parti des suisses nationalistes (PSN) et la NAPO sont actuellement les groupes les plus actifs. Parti des Suisses Nationalistes (PSN) Le 1er septembre 2002, le PSN a ft ses deux ans dexistence. Ce parti avait t fond par des activistes du groupe de skinheads Blood & Honour dans le but dunifier le milieu de lextrme droite. Plusieurs membres du PSN taient, ou sont encore, des skinheads actifs. Le PSN compte de 100 130 membres, dont une soixantaine appartiennent la section cantonale de BleVille et Ble-Campagne. Il se finance avant tout grce aux cotisations de ses membres (180 francs par an). Le montant du soutien que lui accordent des donateurs anonymes nest pas connu. Le PSN cherche se profiler sur la scne politique suisse. Il tente de faire oublier ses origines lextrmisme de droite violent en renonant la violence, peut-tre par pure stratgie. Le PSN prend rgulirement position sur des questions politiques dactualit, par exemple en crivant des pamphlets contre ladhsion de la Suisse lOrganisation des Nations Unies, pour soutenir les manifestations des paysans ou contre lexposition sur la Wehrmacht. Il a en outre prvu de participer des lections cantonales et fdra21

les. Au mois de mars 2003, le parti a demand quon lui attribue un numro de liste lectorale pour les lections au Conseil dEtat du canton de BleCampagne. Finalement, il a dcid de ne pas sinscrire pour ces lections. Le candidat du PSN qui a particip aux lections pour le Conseil national dans le canton dArgovie a quant lui obtenu un succs trs relatif, en remportant prs de 3000 scrutins de liste. Un membre du PSN envisage de participer des lections communales dans le canton dArgovie en 2004. Le PSN veut entre autres renoncer la violence car limage dun groupe agressif, compos de casseurs et de bagarreurs, nest pas compatible avec sa volont de simposer sur la scne politique. Il est permis de sinterroger: le rejet de la violence ne constitue-t-il quune stratgie court terme ou fait-il partie du programme du parti long terme? Le programme du parti, son journal et ses autres publications transpirent toujours une rhtorique xnophobe, antidmocratique et extrmiste. Dans ses prises de position, le PSN dfend toujours des opinions et des valeurs qui sont clairement en contradiction avec les fondements de lEtat de droit, libral et dmocratique. Il entretient des contacts avec des groupes extrmistes suisses et trangers dont certains sont violents. Il a en outre des liens avec lassociation Vrit et Justice et avec les clbres ngationnistes Philippe Brennenstuhl et Gaston-Armand Amaudruz. Le ngationniste Bernhard Schaub a quant lui quitt officiellement les rangs du PSN. Outre ses objectifs habituels, le PSN vise galement la collaboration avec dautres partis dextrme droite, suisses ou trangers (notamment avec le NPD allemand). Par le pass, plusieurs membres du PSN ont contrevenu la loi, mais titre personnel et non dans le cadre du parti. Nationale Ausserparlamentarische Opposition (NAPO) La NAPO est ne de la runion de diffrents groupes dextrme droite. Elle est organise sous forme de cellules qui travaillent indpendamment les unes des autres et peuvent rester totalement anonymes. Toutes les cellules sont autonomes tant sur le plan humain que sur le plan du financement. Leur taille peut varier de trois douze personnes. Lorsquune cellule est trop grande, elle doit se scinder. Dbut 2003, la NAPO a fait parler delle en distribuant des tracts contre la pornographie enfantine dans le canton de Soleure, ainsi que lors de deux dfils, lun Egerkingen (SO) et lautre Zofingen (AG). Elle sest en outre runie fin juillet Mels (SG). Enfin, elle tait aux cts du PSN lors des clbrations du 1er aot sur la prairie du Grtli. Une partie importante des activistes prsents lors de ces vnements semblent provenir du PSN ou de son entourage. Bernhard Schaub, qui participe rgulirement des congrs ngationnistes nationaux et internationaux, entre autres rassemblements de ce type, a t le porte-parole du PSN. Il nest pas exclu que Schaub ait fond la NAPO (sur le modle du NPD, avec lequel il est trs li) dans le but dadjoindre au PSN une ramification destine mener des actions dans la rue afin de mobiliser de jeunes activistes dextrme droite.

22

Skinheads Les skinheads constituent la partie visible de lextrme droite suisse. Ils ont connu une forte affluence dadeptes en 1999/2000, principalement en Suisse almanique et le milieu a ainsi fortement rajeuni. Lge moyen des skinheads tourne autour de la vingtaine, nombre dentre eux tant encore mineurs. Les skinheads se dmarquent du reste de la socit par toute une srie de signes de reconnaissance. Leurs symboles sont chargs de signification mythologique et connus uniquement des initis. La tenue vestimentaire et la coiffure des skinheads sont particulirement frappantes. Elment central de limage des skinheads, leur musique possde son style propre, caractris par des rythmes rapides et agressifs. Elle constitue un lment de cohsion important au sein de cette mouvance et joue de ce fait un rle significatif dans la constitution et dans la consolidation du groupe. Elle est aussi un moyen daccder lidologie et la vision du monde des skinheads. Bien que la musique des skinheads ne revte pas ncessairement un caractre politique, les textes qui laccompagnent contiennent dans la majorit des cas des propos xnophobes et racistes et confirment ou suscitent lide que les trangers sont des ennemis. De lavis de certains experts, elle renforcerait la propension la violence. Au cours des dernires annes, le nombre de spectateurs prsents aux concerts de skinheads na cess daugmenter; ils taient parfois plus dun millier. Seule une partie du milieu des skinheads de Suisse est organise en groupes aux structures stables. A lheure actuelle, les groupes les plus actifs sont les suivants: Hammerskins suisses (Schweizerische Hammerskins; SHS) Composante majeure des skinheads suisses, les SHS constituent un genre dorganisation fatire manifestant des ambitions de direction de type litiste. Ns aux Etats-Unis, les Hammerskins ont implant leur premire antenne europenne Lucerne en 1990. Aujourdhui, les SHS sont essentiellement implants dans les cantons de Lucerne, dArgovie et de Thurgovie, o ils comptent plusieurs dizaines de membres actifs. Certains activistes expriments et plus gs sont membres dautres groupes locaux ou rgionaux de skinheads. Si le nombre de membres augmente fortement dans le canton dArgovie, cest plutt une stagnation qui se fait sentir dans le canton de Thurgovie, et mme un recul du nombre de membres dans le canton de Lucerne. Notons que, dans ce dernier canton, le nombre de sympathisants, quant lui, augmente. Les SHS organisent la grande majorit des manifestations skinheads. Dans le canton de Lucerne, les SHS ont des statuts. Leurs principales activits consistent organiser des manifestations de type concerts et ftes, et y prendre part, grer leur site Internet et diffuser des crits vhiculant des ides dextrme droite. Les SHS entretiennent des contacts avec dautres groupes dextrme droite, en Allemagne, en France, en Autriche, en Italie et dans la principaut de Liechtenstein. Des membres des SHS se sont trouvs en infraction avec la loi dans plusieurs cantons mais aucune infraction na pour lheure t commise au nom du groupe.

23

Blood & Honour Suisse (B&H) Lantenne suisse de B&H est ne fin 1998 dun mouvement international prnant des thses racistes et ultranationalistes. Des sections ont exist dans plusieurs cantons: Ble-Campagne, Argovie et Vaud. Le nombre total de membres en Suisse nest pas connu. Dans le canton de Vaud, le nombre de membres atteindrait une vingtaine de personnes, mais ce chiffre est en diminution. Par contre, il augmente fortement dans le canton dArgovie. Les chiffres exacts ne sont pas connus. B&H se peroit comme un groupe concurrent des SHS. Les membres de B&H frquentent surtout des concerts, en Suisse comme ltranger, et diffusent des crits, des supports de son et des supports dimages vhiculant des ides dextrme droite. Le groupe nest plus trs actif dans le canton de Ble-Campagne, mais il y est jug potentiellement violent, ce qui nest pas le cas dans les cantons de Vaud et dArgovie. A lheure actuelle, certaines sections montrent des signes de fatigue, voire semblent proches de la dissolution. Certaines se tournent mme vers le PSN, fond, comme nous lavons dit prcdemment, par des membres de B&H. Certains membres de B&H se sont mis hors-la-loi (tout comme certains membres des SHS), mais le groupe en tant que tel na pas commis dinfraction.

Morgenstern Fond en 1993 Sempach/LU, le groupe skinhead Morgenstern dispose dune section dans chacun des cantons de Lucerne et dArgovie. Le nombre de membres du groupe est inconnu mais on estime quil soriente la hausse dans le canton dArgovie et la baisse dans le canton de Lucerne, avec toutefois une augmentation du nombre de sympathisants dans ce canton. Les principales activits de Morgenstern consistent participer des manifestations de type concerts et ftes, grer leur site Internet et diffuser des crits vhiculant des ides dextrme droite. Le groupe Morgenstern entretient des contacts rguliers avec des homologues trangers et est en troite relation avec les SHS. Il est considr comme peu dangereux et peu violent.

Hooligans Daprs la dfinition de lOffice fdral des sports, les groupes de hooligans sont le plus souvent composs de jeunes hommes, qui dsirent commettre des actes de violence planifis lavance lors de manifestations publiques, notamment lors de manifestations sportives. Les dbordements ont lieu dans le cadre de matches de football ou de hockey sur glace et vont des provocations et des injures aux voies de fait, aux bagarres de masse et aux dommages la proprit. Qui participe ces dbordements? Des groupes qui partagent les mmes ides et qui utilisent le monde du sport pour se battre les uns contre les autres ou qui essaient dimpliquer les forces de lordre dans les conflits. Longtemps, la Suisse navait enregistr aucun dbordement grave lors de manifestations sportives. Mme la suite du drame du Heysel en 1985, les fdrations sportives suisses, Swiss Olympic et la Confdration nont pas jug que les questions relatives la scurit lintrieur et lextrieur des stades taient prioritaires; les dispositifs de scurit dploys dans ce domaine taient parfois rudimentaires. 24

La situation a chang avec le nouveau millnaire et les actes de violence se sont multiplis. Aujourdhui, nul ne saurait le nier, les manifestations sportives en Suisse et ailleurs en Europe sont frquemment le thtre de violences. Les dommages la proprit et les attaques contre des supporters non impliqus, contre le personnel charg de la scurit et contre la police sont de plus en plus nombreux. Les auteurs de ces violences nhsitent pas blesser grivement leurs victimes. Seuls les groupes dextrme droite tentent de rcuprer ces dbordements et de convertir les auteurs de ces actions, les hooligans, leurs ides. Le milieu des hooligans est de plus en plus teint dextrmisme de droite. Certains supporters de football ont en outre reconnu que les slogans dextrme droite leur donnaient un ct provocateur permettant dattirer lattention du public. Le rajeunissement actuel du milieu des skinheads sexplique par le recrutement et linstrumentalisation de hooligans.

2.1.3

Situation actuelle et degr de la menace

Depuis les annes 90, le milieu de lextrme droite a peu chang en Suisse, si ce nest que, depuis 2000, il cherche davantage se faire connatre du public en recherchant leffet mdiatique et quil ne cesse de grandir. Il est constitu dun grand nombre de petits groupes au degr de cohsion relatif, souvent sans structures ni motivation politique srieuse, rpartis essentiellement dans les campagnes. Il existe des groupes forms de longue date dont les membres font preuve dune certaine continuit. Il sagit notamment des SHS, du Morgenstern et du Patriotischer Ostflgel (PO). Cela mis part, il y a encore et toujours des groupes qui disparaissent, tandis que dautres voient le jour. Vieux moyens et nouveaux objectifs Il est frappant de constater quau sein de lextrme droite, les auteurs de violences sont de plus en plus jeunes et que, lorsquils sont pris de boisson, presque rien ne les arrte lorsquil sagit de causer des dommages matriels ou corporels ou de commettre des actes racistes. A la recrudescence des actes de violence motivs par des ides dextrme droite au dbut du 21e sicle soppose la tendance de certains groupes, comme le jeune PSN, se distancier de la violence pour trouver leur place sur la scne politique. Ils prvoient de participer des lections parlementaires, tant lchelon cantonal qu lchelon national. Le succs risque toutefois dtre moindre. Autre nouvelle tendance: les extrmistes de droite organisent des manifestations ou des rassemblements. Des groupes dextrme droite ont ainsi protest dbut 2003 contre la pdophilie, contre la mondialisation ou encore contre la guerre en Irak. Ce genre dvnements est pass plus ou moins inaperu et la participation est reste modre. Extrmisme de droite et hooliganisme: la scurit intrieure est-elle menace? Les activits des extrmistes de droite ne sont pour lheure pas de nature menacer de manire notable la scurit intrieure de la Suisse. Cependant, elles perturbent ponctuellement, et parfois considrablement, la tranquillit, lordre et la scurit publics. Les confrontations entre extrmistes de droite et de gauche continuent de poser problme. La Suisse demeure en outre un pays attractif pour les concerts de 25

skinheads et dautres manifestations du mme type. Ces manifestations sont aussi trs frquentes par des spectateurs venus des pays voisins. Les mesures prventives prises lencontre des milieux dextrme droite doivent donc tre maintenues. En Suisse, les hooligans ne constituent pas une menace srieuse pour la scurit intrieure, mais sont source de risques pour les joueurs, les spectateurs et les abords des stades. Pour les hooligans, cest lunion qui fait la force et les actes de violence individuels sont beaucoup plus rares. Ainsi, lidentification des supporters violents et leur enregistrement dans une banque de donnes centralise constitueraient un pas fondamental dans la lutte contre les dbordements qui ont lieu en marge dvnements sportifs et dans la prvention de tels excs. En Suisse, les bases lgales permettant de contrer le hooliganisme de manire efficace font toujours dfaut. Contrairement au Royaume-Uni, lAllemagne et aux Pays-Bas, la Suisse ne connat pas de dbordements importants autour des matches de son quipe nationale, que ce soit en Suisse ou ltranger. Les actions des hooligans suisses se concentrent sur les matches de clubs. La prsence en Suisse de groupes importants de ressortissants trangers augmente le risque de voir un dploiement extraordinaire de supporters dune certaine nationalit lors dun match. La coupe du monde de football 2006 en Allemagne et la coupe dEurope 2008 en Suisse et en Autriche reprsentent un certain risque, en particulier en considration de lafflux de hooligans trangers.

2.2

Extrmisme de gauche

La notion dextrmisme de gauche est gnrique: elle sapplique au communisme, au marxisme, au lninisme, des pans du socialisme et lanarchisme. Ces divers courants idologiques ont en partie les mmes racines, mais se diffrencient les uns des autres et se vouent depuis le dbut une inimiti profonde. Leur objectif demeure nanmoins le mme: dtruire le systme capitaliste. Le mouvement originel, lanarchisme, rfractaire toute autorit et tout type dorganisation, vise un retour au commencement, un retour une vie des hommes en harmonie. Aujourdhui, ces ides sont vhicules par le mouvement dit autonome. Ce concept idologique, loin dtre concret, nest pas exempt de contradictions. Le lien entre les autonomes, de mme quentre les autonomes et les autres extrmistes de gauche (notamment les nomarxistes et les lninistes), est assur par lantifascisme et par la critique de la mondialisation. Les autres courants de lextrme gauche, qui dfendent des ides proches du marxisme, sont parfois beaucoup plus sectaires que ne ltaient les anciens partis communistes.

2.2.1

Rappel chronologique

Leffondrement du bloc des pays de lEst et des dictatures communistes a eu des rpercussions indniables sur les courants dextrme gauche dEurope occidentale en termes dorganisation, mais aussi de programme. Au cours des dernires annes, lextrme gauche suisse a nanmoins trouv des thmes lui permettant de mobiliser les troupes, et notamment la jeunesse. Certains de ces thmes sont certes des credos de protestation de longue date: solidarit envers des terroristes dtenus 26

ltranger12, solidarit envers des organisations de libration telles que les zapatistes au Mexique ou des groupes extrmistes au Proche-Orient, critique du systme, lutte des classes, cration despaces autonomes. Toutefois, les thmes les plus mobilisateurs sont lantifascisme13, catalys par la monte de lextrme droite et la critique de la mondialisation. Lors de confrontations entre extrmistes de gauche et de droite, la provocation est plus souvent venue des extrmistes de gauche. Un large ventail dvnements nationaux et internationaux ont servi de prtexte et la fois de fondement aux thmes gnraux dvelopps par les extrmistes de gauche et leurs actions14. Rcupration du discours antimondialiste par les extrmistes de gauche La rcupration du discours antimondialiste par les extrmistes de gauche a permis ces derniers de sortir de leur isolement, douvrir leur champ daction et de sassurer des effectifs supplmentaires. Les premiers dbordements, qui ont dur plusieurs jours, ont eu lieu loccasion de lanniversaire de lOMC Genve en mai 1998. Les dommages occasionns se sont monts prs de cinq millions de francs. Les manifestations ont t organises par Peoples Global Action (PGA). Pour la premire fois en 1999, le Forum conomique mondial (World Economic Forum; WEF) de Davos a galement fait lobjet dactions de perturbation, avec la coupure de lapprovisionnement en courant. Aprs la dmonstration du potentiel de mobilisation faite lors de la confrence ministrielle de Seattle en novembre 1999, ponctue de graves dbordements, la critique de la mondialisation est devenue lun des thmes rcurrents des extrmistes de gauche et en particulier de la Reconstruction rvolutionnaire Suisse (Revolutionrer Aufbau Schweiz; RAS). La manifestation antiWEF de lan 2000, laquelle avaient appel la Coordination anti-OMC de Berne, la Reconstruction rvolutionnaire de Zurich (Revolutionrer Aufbau Zrich; RAZ) et dautres organisations a t considre comme un succs par les extrmistes de gauche. Les dommages causs ont avoisin les 100 000 francs. Ce succs a t confirm par le choix dun nouvel ordre de marche et a entran une implication croissante des milieux gravitant autour de la Reithalle de Berne. Lanne 2001 a t place sous le signe de la violence, tant sur le plan international (Sommet de lUnion europenne Gteborg en juin 2001, Sommet du G8 Gnes en juillet 2001) que sur le plan national (la manifestation anti-WEF de 2001 Zurich a entran des dgts hauteur de 700 000 francs). Le WEF 2002, qui avait pourtant12

13

14

P. ex. en faveur de membres de la Fraction Arme Rouge (RAF) dtenus en Allemagne, de membres dAction directe (AD) dtenus en France, de membres dEuskadi ta Askatasuna (ETA) dtenus en Espagne, de membres des Cellules Communistes Combattantes (CCC) dtenus en Belgique, etc. Dans lacception des extrmistes de gauche, lantifascisme ne constitue pas la lutte contre le seul extrmisme de droite ou contre le racisme. Pour eux, le terme de fascisme englobe la totalit de ce quils combattent, soit limprialisme, le patriarcat, le capitalisme, lEtat, etc. Ainsi, les actes de violence visaient lutter contre le sexisme et les comportements antidmocratiques, contre une politique trop svre visant les trangers, contre la reprise des essais darmes nuclaires de la France dans le Pacifique Sud, contre les dfils militaires, contre la politique de lUDC, contre les expositions organises par larme loccasion de foires, contre les fusions bancaires, contre la suppression demplois, contre ldification dune statue leffigie de limpratrice dAutriche Elisabeth, assassine par un anarchiste Genve en 1898, contre des actions humanitaires, contre les engagements des troupes amricaines (en particulier contre la guerre en Irak; dans ce contexte, lopposition tait couple un certain antiamricanisme), contre les profiteurs de guerre, contre lexploitation des animaux ou encore contre les priodes sombres de lHistoire.

27

lieu New York, a entran des actions de substitution en Suisse. Cette augmentation de la violence loccasion de grands vnements sexplique en partie par lafflux de nouveaux membres et de sympathisants gs de 16 25 ans dans un milieu jusque-l compos dextrmistes de gauche engags depuis les annes 70 ou 80. Ces nouveaux effectifs sont beaucoup moins politiss et agissent plus volontiers en fonction des vnements. On assiste un conflit de gnrations entre ces nouveaux membres et les membres dirigeants, gs en moyenne de 40 45 ans. Il manque en effet une gnration intermdiaire. La tendance la constitution de rseaux se poursuit, dans la mesure o elle offre de nouvelles possibilits en termes de mobilisation. Citons cet gard les alliances ad hoc en rapport avec les actions menes contre la mondialisation ltranger, des alliances pour lesquelles Internet joue un rle croissant. Ainsi, lAide Rouge, une organisation dentraide dextrme gauche des annes 70 qui, lissue de dbordements, fournit un soutien juridique immdiat aux membres dorganisations dextrme gauche et soccupe de ceux qui ont t dtenus en Suisse ou ltranger, a retrouv un nouveau souffle. La flexibilit, lorganisation et la rapidit de la mobilisation, mais aussi les ides extrmistes, le refus du dialogue et surtout une agressivit croissante sont les principales caractristiques dun milieu en plein boom, un milieu qui dpend de moins en moins dvnements organiss par des tiers et qui, de plus en plus, se met lui-mme en scne. Au cours de lt 2003, les attaques contre la police, organises depuis la Reithalle de Berne, ont pris une ampleur indite. Le WEF 2003 a lui aussi montr que la propension la violence augmentait. Malgr lattitude conciliante des autorits avant lvnement, cest le comit dorganisation, lAlliance dOlten, qui a lui-mme empch la tenue de la manifestation prvue. LAlliance dOlten, dirige par des membres de la RAZ, na jamais voulu se distancier clairement de la violence. Le WEF sest finalement conclu par de graves dbordements Berne (avec des dommages la proprit hauteur de 600 000 francs). De mme, lors du Sommet du G8 dEvian en mai/juin 2003, les dbordements qui ont eu lieu Lausanne et Genve ont provoqu des dommages de quelques 7,5 millions de francs. Casseurs apolitiques Pendant ces chauffoures, un nouveau phnomne, dj apparu lors de la manifestation sauvage qui a suivi les clbrations du 1er mai 2002 Zurich, sest fait sentir: un nombre croissant de sympathisants apolitiques et de curieux nappartenant pas lextrme gauche ont particip aux dbordements ou profit de ceux-ci pour commettre dautres infractions. En 2003, les pillages ont ainsi occasionn des dommages importants, Berne, mais aussi et surtout Genve et Lausanne. Au vu de cette volution, le modle institu en 2002 dialogue, dsescalade, intervention a donn des rsultats contradictoires. Cette stratgie a eu du succs auprs des participants aux manifestations contre la mondialisation qui, mme sils ne rejettent pas catgoriquement la violence, la peroivent dun il critique. Par contre, elle a chou auprs des reprsentants de lextrme gauche qui se refusent au dialogue et auprs des sympathisants apolitiques se livrant la criminalit de rue, quil est impossible de reconnatre en tant que tels lavance. Pendant le WEF 2004, la stratgie a chang. Le 24 janvier 2004, les militants antimondialisation ont stopp un train Landquart et des casseurs lont par la suite totalement dvast. La police a alors contrl lensemble des passagers, mettant davantage laccent sur le troisime lment du modle, soit lintervention. 28

Le WEF 2004 a apport une rupture dun autre point de vue galement: par rapport aux expriences faites en 2003 avec lAlliance dOlten malgr les appels de diffrents groupes de militants il ny a pas eu en 2004 deffort unifi en vue de lorganisation dun grand vnement anti-WEF ni dailleurs de manifestation centralise dune ampleur notable, si bien que lintrt des mdias sest trouv rduit. Il faut sattendre, lavenir, non pas ce que les comportements changent de manire fondamentale ou ce que le milieu militant saffaiblisse, mais plutt ce que les extrmistes de gauche, de plus en plus isols au sein du mouvement antimondialisation, se radicalisent davantage et oprent une rorientation stratgique. Cette apprciation a t confirme pour la premire fois le 21 fvrier 2004: un groupe baptis Kinder der Freiheit Kommando Landquart a commis des dgts dun montant total de plus de 100 000 francs dans onze filiales de banques suisses et internationales sises Berne et dans ses environs. Seuls des dbordements conscutifs des manifestations avaient jusque l entran des dommages aussi importants. Autre nouveaut: cette action vengeresse na pas eu lieu spontanment, comme cela avait toujours t le cas auparavant, mais avec beaucoup de retard et aprs une organisation trs minutieuse. Cibles des actions violentes Longtemps, la violence na t dirige que contre des btiments et des infrastructures symbolisant lEtat et lconomie, contre des reprsentations diplomatiques dautres Etats, contre des filiales dentreprises trangres, contre des institutions financires, contre des compagnies ariennes ou encore contre les installations dorganisations internationales impopulaires, comme lOMC15. Des attaques ont souvent eu lieu avant de grands vnements lis la mondialisation. Selon un tract distribu en janvier 1993 loccasion dune manifestation non autorise Zurich contre le capital et son Etat, le principe limitatif suivant sappliquait: Un acte de violence doit toujours permettre datteindre un objectif ou tre li lannonce dune action. Ce tract justifiait donc galement lusage de la violence physique contre les extrmistes de droite, linfluence croissante, et, surtout lors de manifestations, contre des policiers en tant que reprsentants de lEtat capitaliste. En 2003, les attaques contre des personnes ont t effectues laide de nouveaux moyens. Ainsi, le 25 janvier 2003, loccasion de la manifestation qui a eu lieu aprs le WEF Berne, un policier a t la cible dune fuse lumineuse, tandis que le 15 novembre 2003 Ble, trois policiers ont t brls par des jets dacide sulfurique. La mme substance a t retrouve sur des participants une manifestation anti-WEF Winterthour, le 10 janvier 2004.

2.2.2

Protagonistes

La constatation faite en dbut de rapport concernant lextrmisme de droite est valable galement pour les acteurs du bord politique oppos, car l aussi, le milieu est fragment, constitu de reprsentants didologies diverses et dun grand nombre de groupes. Ces groupes sont lis entre eux et certaines personnes appartiennent 15

Les moyens employs allaient des sachets de peinture aux charges incendiaires fabriques partir de matriel de feux dartifice, en passant par les bombes de peinture, les pierres, les cocktails Molotov, etc. Depuis 1995, lutilisation dengins pyrotechniques est le plus souvent imput la RAS.

29

plusieurs groupes la fois, comme cest le cas pour lextrme droite. Si lon considre toutefois les animosits dorigine historique entre les dfenseurs de lanarchisme et ceux du communisme, il y a une dose tonnante de coopration au sein de lextrme gauche. Ainsi, des nomarxistes ou des lninistes nhsitent pas sengager pour des causes anarchistes. Effectifs de lextrme gauche Les rglementations en vigueur dans le domaine du renseignement et dans le domaine policier ne permettent gure destimer le nombre dextrmistes de gauche en Suisse. Si lon ne considre que les chiffres se rapportant la RAS/RAZ, la Coordination anti-OMC et au Bloc noir et si lon y ajoute les quelque 300 squatteurs de la seule ville de Genve (appartenant au mouvement autonome-anarchiste et considrs comme des extrmistes), le total slve environ 2450 extrmistes de gauche. Il faut en outre compter environ 200 nomarxistes, squatteurs et autonomes/ anarchistes l'chelle de la Suisse. Si lon estime quenviron un quart de ces 2650 personnes appartiennent deux ou plusieurs groupes, en dfinitive, les effectifs du milieu sont estims environ 2000 personnes. Ces chiffres ne tiennent pas compte des centaines de sympathisants du Bloc noir, lesquels reprsentent un potentiel de violence considrable et font le jeu des extrmistes sans pour autant dfendre leur idologie. Les principaux groupes dextrme gauche sont prsents ci-dessous, de la Reconstruction rvolutionnaire au Bloc noir, en passant par le Comit contre lisolement carcral (CCIC) et la Coordination anti-OMC. RAS/RAZ (Reconstruction rvolutionnaire Suisse/Reconstruction rvolutionnaire de Zurich) La Reconstruction rvolutionnaire, dinfluence marxiste-lniniste, est de loin la principale organisation dextrme gauche de Suisse et galement la plus violente. Cest elle qui donne le ton dans le milieu de lextrme gauche. Les attaques quelle a commises jusqu prsent taient toutes diriges contre des btiments et des infrastructures symboliques; elle a notamment utilis des sachets de peinture et des pices dartifice transformes en charges explosives. Elle sexprime toutefois en faveur du terrorisme et manifeste une propension croissante la violence. Le groupe a fait ses dbuts en 1992 avec la cration dun organe vendant de la littrature rvolutionnaire, dnomm Aufbau-Vertrieb. Il a fait parler de lui pour la premire fois en fvrier 1993, loccasion dun procs contre sa fondatrice et dirigeante, Andrea Stauffacher. Le groupe sest constitu autour de la volont de combler le vide politique n dans le milieu de lextrme gauche suisse aprs leffondrement du bloc communiste. Les structures de la Reconstruction rvolutionnaire sont mal connues. Elle sinspirent de celles de la Fraction Arme Rouge allemande, dissoute en mars 1998 aprs 28 ans dexistence. La cinquantaine de chefs de file qui la dirigent taient dj actifs dans les annes 70 et 80, entretenant des liens troits avec les milieux terroristes. La RAS est indniablement domine par la RAZ, mais elle est galement reprsente Berne, sous le nom de RABe (Revolutionrer Aufbau Bern), et Ble, sous le nom de RABa (Revolutionrer Aufbau Basel). Lessentiel des membres proviennent dailleurs des agglomrations de Zurich, de Berne et de Ble. Cette prdominance de la RAZ, qui dure depuis dix ans, pourrait bientt cesser, car les activits de la Reconstruction rvolutionnaire ne cessent de gagner en importance, Berne, Ble et 30

Genve. Le groupe associe galement des villes de taille plus petite comme Lucerne, St-Gall, Soleure, Fribourg ou Zoug des actions de rsistance, et ce, dans le cadre dune stratgie de dcentralisation. La RAS compte environ 80 membres, qui ont en moyenne la quarantaine. La pyramide des ges est relativement dsquilibre, les membres de la RAZ tant bien plus gs que les membres des antennes bernoise et bloise. Les sympathisants de la RAS ont en moyenne vingt ans. La RAS compte plusieurs sous-groupes16. Ceux-ci choisissent librement les thmes quils entendent dvelopper. La palette des thmes abords par la RAS est dailleurs large: elle stend de la politique en matire de paix la question kurde, en passant par le conflit au Proche-Orient, la mondialisation, limprialisme, le patriarcat, les luttes ouvrires en Suisse comme ltranger, la politique en matire dasile, le soutien aux prisonniers politiques et la lutte antifasciste. Utilisant des slogans17, la RAS se bat pour une socit sans classes et dirige ses actions contre le capitalisme et ses structures, soit contre les banques, les groupes et les institutions de lEtat (police, justice, etc.). Aux fins de propagande, la RAS publie depuis 1996 un journal nomm Aufbau (quatre ditions par an). Elle dispose en outre dmetteurs radio (LoRa Zurich; Kanalratte Ble) et dun site Internet. Enfin, elle affiche un journal mural et distribue des tracts (Roter Motor). La RAS entretient notamment des contacts avec la Reitschule de Berne, avec le groupe REBELL (auparavant dnomm Phase 1; LU), avec le Subversiver Freundeskreis (auparavant appel Revolutionre Jugend; Zoug) et avec des groupes de lextrme gauche tessinoise. Certains de ses reprsentants, notamment dans le cadre de lAide Rouge, entretiennent des contacts nourris avec des groupes homologues trangers, surtout en Italie et en Allemagne18. Les activits internationales se limitent lchange dinformations et ladite Aide Rouge. La RAS participe diverses manifestations de groupes homologues turcs et kurdes sur notre territoire. Sa prsence est particulirement remarque lors des manifestations non autorises organises en marge des commmorations du 1er mai Zurich et loccasion dautres vnements marqus par la violence, o le Bloc noir entre en jeu, rpondant ses appels. Comit contre lisolement carcral (CCIC) Une socit sans classes: tel est galement lobjectif du CCIC, rebaptis ainsi en 1974 (auparavant: Komitee gegen Vernichtungshaft). En 1974 galement, le CCIC a t formellement rattach lAide Rouge. En 1981, le groupe sest nomm provisoirement Verein Rechtsauskunftsstelle Anwaltkollektiv, marquant ainsi sa rupture avec lAide Rouge. Le CCIC, reprsent dans sa quasi-totalit au sein de la RAS, a un caractre trs exclusif. Depuis 1990, ses effectifs comptent un nombre croissant de cadres et de16

17 18

Comit contre lisolement carcral (CCIC)), MarLen (groupe fministe), AG Antifa (agaf), Migrationskomitee (mk), AG Klassenkampf (agkkb), Arbeitsgruppe Klassenkampf Zrich (agkkz), Groupe de travail Aide rouge, Anti-Rep (rh-ar), JugendArbeitsgruppe (jag), Arbeitsgruppe Bern (agbe), Kulturredaktion (kur). Exemples: Mener le combat dans la rue; Pour une perspective rvolutionnaire; Le capitalisme na pas de problme, il est le problme. Italie: Nouvelles Brigades Rouges (renseignement pris des affaires Ghiringhelli 1999/2000, Baragiola-Lajacono 2000/01, Bortone 2002, des assassinats de MM. Biagi et DAntona 2003/en cours); Comitati di Appoggio alla Resistenza per il Comunismo (CARC). Espagne: ETA. Belgique: CCC. Grande-Bretagne: Grvistes des docks de Liverpool.

31

reprsentants de la classe moyenne voire dirigeante et dveloppent une structure de plus en plus litiste. Comme dautres groupes rvolutionnaires, le CCIC est confront au vieillissement de ses membres. Lge moyen est actuellement de 40 ans. Moins de 20 personnes sont actives au sein du noyau dur, mais le groupe peut mobiliser jusqu 200 personnes. Le CCIC fait partie dun rseau runissant de nombreuses organisations prnant des ides similaires en Suisse et ltranger et entretient de nombreux contacts avec les chefs de file de groupes extrmistes et terroristes denvergure internationale19. Coordination anti-OMC La Coordination anti-OMC, qui est base Berne et entretient des relations privilgies avec des groupes sis Ble, Genve, Lausanne, Lugano et Zurich, mane des milieux autonomes, fministes et zapatistes. Elle dit lutter pour la dignit humaine et pour la justice sociale et rejette catgoriquement le capitalisme, limprialisme, les discriminations de toutes sortes et la mondialisation. La Coordination anti-OMC compte des effectifs stables dune vingtaine de membres, gs denviron 30 ans et appartenant la classe moyenne, voire la classe moyenne suprieure. La rpartition par sexe est quilibre. Grce ses excellentes relations avec des groupes locaux dextrme gauche, la Coordination anti-OMC peut mobiliser quelque 200 personnes. Bien que le nombre de ses membres demeure stable, le groupe parvient mobiliser un nombre croissant de personnes. La Coordination anti-OMC na pas de structure hirarchique dfinie. Elle est troitement lie au milieu autonome gravitant autour de la Reithalle de Berne et aux groupes dextrme gauche locaux. Elle entretient galement des relations avec la RAS/RAZ. Le WEF 2002, qui sest tenu New York, la plonge dans une crise didentit; ses activits se concentrent depuis lors de plus en plus sur la politique de migration. Le groupe manifeste une propension la violence leve, qui sexprime par une forte augmentation des infractions commises au cours des trois dernires annes dans le contexte de grands vnements lis la mondialisation. Il nest pas exclu que le groupe se radicalise encore davantage. Bloc noir Le Bloc noir ce nom remonte la priode agite de 1968 nest pas une organisation, mais un ple daction htroclite qui se forme au gr des vnements et des manifestations. Aliment par diffrents groupuscules affichant des ides politiques qui relvent de lanarchisme et du mouvement autonome, dnu de toute structure, totalement imprvisible, le Bloc noir se regroupe lors de manifestations. Il fait preuve dune mobilit et dune flexibilit trs grandes. Habills de noir et cagouls, ses partisans se montrent ouverts la violence. Laspect guerrier de ses membres et leur prcision quasi-militaire lui permettent dobtenir leffet psychologique et mdiatique recherch. Depuis 2001, le groupe est connu dun public plus large. Il est notamment dirig par une petite cellule de reprsentants de la RAS/RAZ et de la C