f. latty du droit coutumier
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F. Latty, « Du droit coutumier aux premiÚres tentatives de codification », in Mathias FORTEAU / Jean-Marc THOUVENIN (dir.), Traité de droit international de la mer, CEDIN, Paris, Editions A. Pedone, 2017, pp. 35-54.
PREMIERE PARTIE. LES SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL DE LA MER
(âŠ)
Chapitre 1. Le droit international général de la mer
(âŠ)
SECTION 1.
DU DROIT COUTUMIER AUX PREMIERES TENTATIVES DE CODIFICATION
FRANCK LATTY Professeur Ă lâUniversitĂ© Paris Nanterre
Directeur du CEDIN La naissance et le dĂ©veloppement du droit international de la mer40 ont partie liĂ©e avec lâemprise progressive des hommes sur les espaces maritimes, dâabord Ă travers la navigation puis via lâexploitation croissante de leurs ressources ; ***36***ils sont, en dâautres termes, intimement liĂ©s au « ProgrĂšs », entendu selon les mots de Francis Bacon (1561-1626) comme « la dĂ©couverte des causes, et la connaissance de la nature intime des forces primordiales et des principes des choses, en vue dâĂ©tendre les limites de lâempire de lâhomme sur la nature entiĂšre et dâexĂ©cuter tout ce qui lui est possible »41. Lâhistoire du droit de la mer aussi se confond avec celle, patinĂ©e, du droit international. Des temps les plus anciens jusquâĂ nos jours, le droit de la mer a accompagnĂ© la lente construction du systĂšme juridique international. Les grandes Ă©tapes du dĂ©veloppement du droit de la mer sont Ă cet Ă©gard autant de jalons marquant la mutation des sources du droit international. NĂ© dâune profusion de pratiques unilatĂ©rales et dâaccords Ă©pars entre diffĂ©rents pouvoirs territoriaux prĂ©-Ă©tatiques puis Ă©tatiques, le droit de la mer est redevable Ă la doctrine de ses premiĂšres tentatives de systĂ©matisation. Ces derniĂšres ont escortĂ© lâĂ©mergence de normes gĂ©nĂ©rales de nature coutumiĂšre dont la codification et le dĂ©veloppement progressif dans des conventions multilatĂ©rales attendront la seconde moitiĂ© du XXe siĂšcle, la juridictionnalisation progressive du droit international contribuant parallĂšlement au dĂ©veloppement de la discipline. Les quatre conventions sur le droit de la mer adoptĂ©es Ă GenĂšve en 1958 constituent Ă cet Ă©gard une novation juridique que leur supplantation (relative) par la convention de Montego Bay quelques annĂ©es plus tard ne doit pas occulter. Ces questions seront dĂ©veloppĂ©es Ă travers lâexamen du droit coutumier « classique » (§1), en vigueur Ă 40 De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, sur lâhistoire du droit international de la mer, v. G. Gidel, Droit international public de la mer, 3 vol., Paris, Sirey, 1932-1934 ; R. P. Anand, Origin and Development of the Law of the Sea, La Haye, Nijhoff, 1983, 249 p. ; P. R. Potter, The Freedom of the Seas in History, Law and Politics, New York, Longmans, Green and Co., 1924, 299 p. ; R.-J. Dupuy, D. Vignes (eds), A Handbook on the New Law of the Sea, AcadĂ©mie de droit international, Dordrecht/Boston/Lancaster, Nijhoff, 1991, pp. 29 et s. ; T. Scovazzi, « The Evolution of International Law of the Sea : New Issues, New Challenges », RCADI, 2000, t. 286, pp. 39-243 ; D. J. Bederman, « The Sea », in B. Fassbender, A. Peters (eds), The Oxford Handbook of the History of International Law, Oxford, Oxford UP, 2012, pp. 359 et s. ; T. Treves, « Historical Development of the Law of the Sea », in D. R. Rothwell et al., The Oxford Handbook of the Law of the Sea, Oxford, Oxford UP, 2015, pp. 1 et s. 41 La Nouvelle Atlantide, in Ćuvres de François Bacon, trad. A. de La Salle, Paris, Auguste Desprez, 1840, p. 596.
F. Latty, « Du droit coutumier aux premiĂšres tentatives de codification », in Mathias FORTEAU / Jean-Marc THOUVENIN (dir.), TraitĂ© de droit international de la mer, CEDIN, Paris, Editions A. Pedone, 2017, pp. 35-54. lâheure des tentatives de codification du dĂ©but du XXe siĂšcle, dont les conventions de GenĂšve ont Ă©tĂ©, un temps seulement, le point dâaboutissement (§2). Le statut actuel de ces derniĂšres sera envisagĂ© au regard des rapports quâelles entretiennent avec le droit coutumier et avec la convention de Montego Bay qui leur a succĂ©dĂ© (§3).
§1. Le droit coutumier « classique »
Les racines profondes du droit de la mer, comme celles du droit international gĂ©nĂ©ral, sont europĂ©ennes 42 . De maniĂšre Ă©tablie 43 , dâautres civilisations sur dâautres continents ont dĂ©veloppĂ© une forme de droit « international », y compris dans le domaine maritime44. Mais la conquĂȘte du monde par les EuropĂ©ens a eu pour effet de diffuser au niveau de la planĂšte le jus publicum europaeum45 â et donc « leur » droit international coutumier de la mer. Ce dernier, dont lâĂ©tat demeurait rudimentaire encore au dĂ©but du XXe siĂšcle (B), est nĂ©, par induction, de pratiques Ă©tatiques et de sources conventionnelles et doctrinales (A). ***37***
A/ DĂ©veloppement historique du droit de la mer Si lâutilisation de la mer par les hommes remonte aux temps les plus anciens, la connaissance de son encadrement juridique relĂšve pour cette pĂ©riode reculĂ©e davantage de lâarchĂ©ologie que de la science du droit46. Lâon a bien dĂ©couvert que diffĂ©rents codes maritimes, notamment celui de Rhodes aux IIIe et IIe siĂšcle av. JC, avaient marquĂ© leur Ă©poque. Lâon sait aussi quâen 509 av. JC, Rome et Carthage avaient conclu un traitĂ©, renouvelĂ© en - 347, sur la dĂ©marcation de leurs zones respectives dâintĂ©rĂȘts en mer MĂ©diterranĂ©e47. A lâĂ©poque de lâEmpire romain, la mer â MĂ©diterranĂ©e, mare nostrum â nâavait pas de statut « international » ; elle nâĂ©tait en somme quâun « lac romain »48. Mais, qualifiĂ©e de res communis, elle pouvait ĂȘtre utilisĂ©e par tous. Sur la base de ce principe de libertĂ©, les rapports de droit privĂ© â notamment en matiĂšre commerciale â obĂ©issaient au droit de lâEmpire, sans dâailleurs que les citoyens romains bĂ©nĂ©ficient dâun statut privilĂ©giĂ©49. Lâhistoire, plus fournie, du droit international de la mer Ă partir du Moyen-Age se caractĂ©rise par la profusion de pratiques unilatĂ©rales Ă©clatĂ©es et par la multiplication dâinstruments conventionnels bilatĂ©raux (1°), dont la doctrine tentera la systĂ©matisation (2°). 1° Pratiques unilatĂ©rales et conventionnelles Les premiĂšres puissances maritimes du Moyen-Age ont revendiquĂ© de maniĂšre anarchique des droits sur la mer. GĂȘnes a prĂ©tendu asseoir un monopole commercial sur la mer Ligurienne et le golfe du Lion, revendication auquel le comte de Toulouse a rĂ©pondu en 1174
42 V. R. P. Anand, op. cit. note 1, p. 1. 43 V. R. Kolb, Esquisse dâun droit international public des anciennes cultures extra europĂ©ennes, Paris, Pedone, 2010, 239 p. 44 Concernant lâocĂ©an indien, oĂč la libertĂ© de navigation et de commerce semble avoir Ă©tĂ© une rĂšgle Ă©tablie bien longtemps avant quâelle ne le soit en Europe et jusquâĂ ce que les Portugais la remettent en question lors de leur conquĂȘte de la rĂ©gion, v. R. P. Anand, op. cit. note 1, pp. 10 et s. et 60 et s. 45 R. Kolb, op. cit. note 3, p. 9. 46 V. P. R. Potter, op. cit. note 1, pp. 11 et s. (« The Discussion in Antiquity »). 47 R.-J. Dupuy, D. Vignes (eds), op. cit. note 1, p. 82. 48 M. Bottin, « Droit romain et jus commune. ConsidĂ©rations sur les fondements juridiques de la libertĂ© des mers », in Droit international et coopĂ©ration internationale, Hommage Ă Jean-AndrĂ© Touscoz, Nice, France-Europe Editions, 2007, p. 1225. 49 V. G. Gidel, op. cit. note 1, t. 3, p. 25.
F. Latty, « Du droit coutumier aux premiĂšres tentatives de codification », in Mathias FORTEAU / Jean-Marc THOUVENIN (dir.), TraitĂ© de droit international de la mer, CEDIN, Paris, Editions A. Pedone, 2017, pp. 35-54. en dĂ©livrant aux GĂ©nois une charte leur reconnaissant ces droits50. De maniĂšre comparable, la sĂ©rĂ©nissime Venise parvint Ă sâassurer, y compris par la force, la possession de la mer Adriatique et Ă faire reconnaĂźtre conventionnellement ses droits51. Les citĂ©s-Etats italiens soumettaient ainsi Ă tribut les navires passant dans les eaux sous leur contrĂŽle. De nombreux traitĂ©s ont Ă©tĂ© conclus entre les puissances de lâĂ©poque aux fins de rĂ©gir la navigation en mer, les clauses restrictives destinĂ©es Ă freiner la concurrence dâautres citĂ©s Ă©tant alors lĂ©gion52. A partir du XVe siĂšcle, le Danemark a Ă©mis des prĂ©tentions souveraines sur la Baltique, la mer du Nord et lâAtlantique Nord, en soumettant la pĂȘche dans ces zones Ă la dĂ©livrance dâune licence obligatoire53. A cette mĂȘme Ă©poque, Ă lâinverse, lâAngleterre et le duchĂ©***38*** de Bourgogne, alors maĂźtre de la Flandre, ont conclu une sĂ©rie de traitĂ©s, dont le plus fameux, le traitĂ© dâEntrecours (Intercursus Magnus) de 1496, restĂ© en vigueur pendant un siĂšcle et demi, proclama la libertĂ© de la pĂȘche54. Le traitĂ© ne semble cependant pas remettre en cause la juridiction exclusive autoproclamĂ©e de la Flandre sur la bande maritime longeant ses cĂŽtes (le stroom), quâavaient reconnue successivement la France (1370), lâAngleterre (1407), la Hollande (1394) et la ZĂ©lande (1414)55. La dĂ©couverte du Nouveau monde nâa fait quâamplifier les prĂ©tentions concurrentes des royaumes sur la mer. La cĂ©lĂšbre bulle du Pape Alexandre VI inter cĂŠtera de 1493 confia aux souverains de Castille et dâAragon toutes les « Ăźles et terres fermes dĂ©couvertes et Ă dĂ©couvrir » Ă lâouest dâune ligne imaginaire joignant les pĂŽles, tracĂ©e 100 lieues Ă lâouest des Açores et du Cap-Vert. LâannĂ©e suivante le traitĂ© de Tordesillas entre lâEspagne et le Portugal actait la rĂ©partition, moyennant le dĂ©placement de la ligne mĂ©ridienne Ă 370 lieues (ce qui permettra au Portugal de conquĂ©rir le futur BrĂ©sil). Les deux puissances, dĂ©sireuses de sâassurer un monopole en matiĂšre de navigation et le droit exclusif au commerce avec les territoires riverains, ont prĂ©tendu que le partage sâappliquait aux ocĂ©ans, suscitant en rĂ©action les protestations de la Reine Elisabeth IĂšre dâAngleterre qui a menĂ© une « politique juridique extĂ©rieure » efficace en faveur de la libertĂ© des mers, via notamment la conclusion de traitĂ©s avec les puissances rivales56. La formation des Etats nations, quâaccompagnera lâapparition de marines nationales, va ĂȘtre Ă lâorigine de lâadoption, sans cohĂ©rence dâensemble, de nombreux codes maritimes nationaux. Semble toutefois Ă©merger progressivement la distinction entre la mer adjacente et la haute mer, dont on trouve par ailleurs trace dans lâIntercursus57. La notion de mer adjacente non commune dĂ©limitĂ©e par la portĂ©e de canon est ainsi dĂ©fendue par la Hollande en 1610, Ă travers la dĂ©claration des ambassadeurs des Pays-Bas Ă Londres58. Ce critĂšre de dĂ©limitation, sâil a marquĂ© les esprits, nâa cependant jamais accĂ©dĂ© au rang de norme coutumiĂšre. En 1818, le traitĂ© de Gand entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis fut, selon Drago, « un des rares qui marquent une Ă©poque dans la diplomatie du monde », en ce quâil aurait Ă©tĂ© « le premier [Ă
50 G. Gidel, op. cit. note 1, t. 1, pp. 129-130. 51 Le traitĂ© de 1209 entre lâEmpereur Otton IV et le duc de Venise a pu ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme reconnaissant la propriĂ©tĂ© de Venise sur lâAdriatique (v. G. Gidel, op. cit. note 1, t. 1, pp. 130-131). 52 R.-J. Dupuy, D. Vignes (eds), op. cit. note 1, p. 83 ; M. Bottin, « Les dĂ©veloppements du droit de la mer en MĂ©diterranĂ©e occidentale du XIIe au XIVe siĂšcle », in Recueil des mĂ©moires et travaux de la SociĂ©tĂ© dâhistoire du droit des anciens pays de droit Ă©crit, XII, 1983, pp. 11-28. 53 G. Gidel, op. cit. note 1, t. 1, pp. 131-132 54 V. Th. W. Fulton, The Sovereignty of the Sea, W. Blackwood, Edimbourg/Londres, 1911, pp. 69 et s. 55 D. Gaurier, Histoire du droit international, Rennes, PU Rennes, 2014, p. 263. 56 V. G. Gidel, op. cit. note 1, pp. 133 et s. et T. Scovazzi, op. cit. note 1, pp. 55 et s. 57 Cialdea, citĂ© par R.-J. Dupuy, D. Vignes (eds), op. cit. note 1, p. 84. 58 Th. W. Fulton, op. cit. note 15, p. 156.
F. Latty, « Du droit coutumier aux premiĂšres tentatives de codification », in Mathias FORTEAU / Jean-Marc THOUVENIN (dir.), TraitĂ© de droit international de la mer, CEDIN, Paris, Editions A. Pedone, 2017, pp. 35-54. avoir] converti la rĂšgle de la portĂ©e du canon dans celle des trois milles de juridiction cĂŽtiĂšre »59. Mais par la suite, divers traitĂ©s bilatĂ©raux ont fixĂ© la limite de la mer territoriale Ă 10 milles (traitĂ© anglo-français de 1839 et de 1862, traitĂ© Portugal/Espagne de 1882), Ă 100 milles (traitĂ© anglo-chinois de 1853) ou Ă 9 milles (traitĂ©s du Mexique avec les Etats-Unis de 1848 et 1853, avec le Guatemala de 1882, avec la Grande-Bretagne de 1888, ***39***avec la Chine de 1888)60. Tout au long du XVIIe et du XVIIIe siĂšcle, les puissances maritimes europĂ©ennes nâauront de cesse de consolider le principe de libertĂ© des mers, tout en dĂ©veloppant des rĂšgles permettant dâassurer la sĂ©curitĂ© navale, notamment en matiĂšre de lutte contre la piraterie. Câest Ă©galement Ă cette Ă©poque que les cours nationales de prises formĂšrent une jurisprudence consĂ©quence, fondĂ©e sur le droit international coutumier, en matiĂšre de captures de navires61. AprĂšs les dĂ©faites napolĂ©oniennes, la domination maritime britannique tout au long du XIXe siĂšcle Ćuvrera Ă la consolidation de quelques principes fondamentaux : commerce ouvert ; limitation des droits des Etats cĂŽtiers et prĂ©visibilitĂ© des rĂšgles relatives aux captures62. De ce panorama historique brossĂ© Ă grands traits, il ressort que les diffĂ©rents actes unilatĂ©raux (qui ont pu prendre la forme de revendications, protestations, comportement des forces navales, lĂ©gislations, dĂ©cisions juridictionnelles internes, etc.) et conventionnels (traitĂ©s bilatĂ©raux par centaines) relatifs Ă la mer se caractĂ©risent par un Ă©clatement Ă©vident, qui nâest guĂšre propice Ă lâĂ©mergence de normes coutumiĂšres gĂ©nĂ©rales. A chaque Ă©poque, les Etats ont dĂ©veloppĂ© des pratiques antagonistes sur des questions cruciales du droit de la mer. Certains traitĂ©s du Moyen-Age, par exemple, ont consacrĂ© les revendications sur la haute mer des Etats riverains (traitĂ©s conclus par Venise), quand dâautres affirmaient au contraire le principe de libertĂ© (ex. : traitĂ© entre Pise et le Sultan de Tunis de 1264). Par la suite, les pays de droit romain laissaient la pĂȘche libre dans leur mer adjacente, quand, dans les pays du Nord, elle Ă©tait soumise Ă autorisation, voire complĂštement interdite en Ecosse ou en NorvĂšge, oĂč la pĂȘche Ă©tait â il est vrai â le mode de subsistance principal. Parmi les nombreux traitĂ©s bilatĂ©raux sur la navigation ou la pĂȘche conclus depuis la Renaissance jusquâau XIXe siĂšcle, certains garantissaient la libertĂ© de ces activitĂ©s, quand dâautres la soumettaient Ă licence ou acquittement de taxe, voire lâinterdisaient, dans le prolongement de rĂšgles internes elles-mĂȘmes disparates. La pratique dâun mĂȘme Etat a pu Ă©galement Ă©voluer, voire se contredire, au fil des ans, en fonction de la mutation de ses intĂ©rĂȘts stratĂ©giques â ainsi de la position de lâAngleterre au sujet de la haute mer, qui a alternĂ© entre dĂ©fense du principe de libertĂ© et tentatives dâappropriation.
2° Le rĂŽle de la doctrine En lâabsence dâorganes de codification et de juges internationaux, la doctrine a jouĂ© un rĂŽle important dans la systĂ©matisation dâun droit de la mer Ă©clatĂ© et protĂ©iforme. Les Ă©crits doctrinaux relatifs Ă la question de la libertĂ© ou de lâappropriation de la mer ont accompagnĂ© les prĂ©tentions des Princes63. Plusieurs jurisconsultes italiens ont ainsi reconnu les droits particuliers de Venise sur la mer Adriatique64, Ă lâimage de Pacius (De dominio maris Adriatici, 1619), quand Ă lâinverse des auteurs plus en phase avec le droit romain ont dĂ©fendu 59 Opinion dissidente de L. M. Drago in CPA, PĂȘcheries de lâAtlantique Nord, sentence du 7 septembre 1910, RSA, vol. XI, p. 208. 60 R.-J. Dupuy, D. Vignes (eds), op. cit. note 1, p. 84. 61 D. J. Bederman, op. cit. note 1, pp. 371-372. 62 D. J. Bederman, op. cit. note 1, p. 373. 63 V. E. Nys, Les origines du droit international, Bruxelles/Paris, Castaigne/Thorin, 1894, pp. 379 et s. 64 Ibid., pp. 380-381.
F. Latty, « Du droit coutumier aux premiĂšres tentatives de codification », in Mathias FORTEAU / Jean-Marc THOUVENIN (dir.), TraitĂ© de droit international de la mer, CEDIN, Paris, Editions A. Pedone, 2017, pp. 35-54. le principe ***39***de libertĂ© de la haute mer. Dans le sillage de Castro (De potestate legis penalis, 1550), Vasquez Ă©crit ainsi que « les mers et toutes choses immobiliĂšres ont Ă©tĂ© primitivement communes. Si cela est changĂ© pour les terres, cela nâest point changĂ© pour les mers » (Controversiae illustres, 1564). Vitoria, pour sa part, tire le principe de libertĂ© des mers du ius communicationis envisagĂ© comme un droit naturel (De Indis, 1532). De maniĂšre sans doute rĂ©ductrice, le dĂ©bat sur la libertĂ© des mers sâest cristallisĂ© autour de la « bataille des livres » du XVIIe siĂšcle, opposant Ă quelques annĂ©es dâintervalle le Hollandais Grotius Ă lâAnglais Selden65. Dans son opuscule Mare liberum â chapitre paru en 1609 tirĂ© de son ouvrage De jure prĂŠde qui lui ne sera publiĂ© quâen 1868 â Grotius affirme que « chaque nation doit avoir libre voie de communication avec toute autre nation et libre commerce avec elle ». A la mer ouverte de Grotius, Selden oppose la notion de mer « fermĂ©e » (Mare Clausum, 1635) : ni le droit naturel, ni le droit des gens ne font de la mer une chose commune ; elle est Ă lâinverse susceptible dâappropriation par les Etats. Le roi de Grande-Bretagne serait ainsi souverain sur les mers qui lâentourent, jusquâaux cĂŽtes des autres Etats. Dans cet espace sous la juridiction et la garde du roi, le commerce et la navigation seraient soumis Ă lâautorisation de ce dernier. A rebours, et concomitamment Ă la lente cristallisation coutumiĂšre du principe de libertĂ© des mers, Pufendorf Ă©crira quâ« une navigation paisible de lâOcĂ©an est permise Ă tout le monde puisque ces vastes mers nâappartiennent Ă personne et quâelle devrait mĂȘme ĂȘtre libre par la simple loi de lâhumanitĂ© » (De iure naturĂŠ et gentium, 1672, Livre IV, chap. V, § 9). Il soutiendra Ă©galement que la mer adjacente constitue un accessoire de lâEtat, dont lâĂ©tendue varie selon les nĂ©cessitĂ©s du moment (§ 7), sâinscrivant Ă son tour dans la querelle doctrinale ayant entourĂ© non pas tant lâexistence mĂȘme de la mer territoriale que son Ă©tendue66. Il faut citer Ă cet Ă©gard la tentative de systĂ©matisation du critĂšre de la portĂ©e de canon pour dĂ©limiter la mer territoriale, due au jurisconsulte hollandais Cornelis van Bynkershoek dont lâouvrage (De dominio maris, 1703) constitue au-delĂ de ce point technique une synthĂšse faisant autoritĂ© sur lâĂ©tat du droit de la mer du dĂ©but du XVIIIe siĂšcle 67. En couchant sur papier les rĂšgles du droit de la mer, quâelles soient dĂ©duites de la « nature » (lâon sait la part du droit naturel Ă cette Ă©poque), du bon sens ou des pratiques des souverains, la doctrine a ĆuvrĂ© Ă la dĂ©termination, Ă la connaissance et au dĂ©veloppement de la discipline. Grotius, en particulier, a durablement imprĂ©gnĂ© « les conceptions europĂ©ennes du droit de la mer »68. Ce serait toutefois commettre une erreur que de dĂ©tacher cette doctrine des intĂ©rĂȘts quâelle a historiquement servis. Grotius a, semble-t-il, rĂ©digĂ© Mare liberum sur commande de la Compagnie des Indes orientales, aux fins de fonder en droit les ambitions hollandaises dans la rĂ©gion, qui heurtaient le monopole portugais ; lâouvrage sera ***41***employĂ© par la suite par la Hollande comme un instrument de sa politique juridique extĂ©rieure, notamment pour sâopposer Ă la taxation de ses pĂȘcheurs dans les mers britanniques69. La neutralitĂ© scientifique de Selden, lui qui a Ă©tĂ© qualifiĂ© de « champion des prĂ©tentions anglaises »70, nâest guĂšre plus assurĂ©e. Son Mare clausum, dĂ©diĂ© Ă Charles Ier, est un manifeste commandĂ© par la Couronne pour contrer les thĂ©ories de Grotius et sur lequel la Grande-Bretagne ne manquera pas dâasseoir son impĂ©rialisme maritime. La « doctrine » des jurisconsultes doit donc ĂȘtre maniĂ©e 65 V. P. R. Potter, op. cit. note 1, pp. 57 et s. 66 V. D. Gaurier, op. cit. note 16, pp. 262 et s. 67 D. J. Bederman, op. cit. note 1, p. 369. V. Ă©galement infra, TroisiĂšme partie, chapitre 1, section 2. 68 A. Matine-Daftary, « Cours abrĂ©gĂ© sur la contribution des confĂ©rences de GenĂšve au dĂ©veloppement progressif du droit international de la mer », RCADI, 1961, t. 102, p. 658. 69 G. Gidel, op. cit. note 1, pp. 156 et s. 70 Th. W. Fulton, op. cit. note 15, p. 25.
F. Latty, « Du droit coutumier aux premiĂšres tentatives de codification », in Mathias FORTEAU / Jean-Marc THOUVENIN (dir.), TraitĂ© de droit international de la mer, CEDIN, Paris, Editions A. Pedone, 2017, pp. 35-54. avec prĂ©caution. Lorsquâelle nâest pas directement au service des intĂ©rĂȘts Ă©tatiques, sa consultation sâavĂšre en revanche prĂ©cieuse. La monographie en trois volumes de Gibert Gidel publiĂ©e dans la premiĂšre moitiĂ© du XXe siĂšcle71 constitue Ă cet Ă©gard une somme permettant dâidentifier les contours du droit coutumier « classique » de la mer.
B/ CaractĂšre rudimentaire du droit international coutumier au dĂ©but du XXe siĂšcle Les pratiques des Etats au cours des siĂšcles et les efforts de systĂ©matisation par la doctrine ne permettent pas dâidentifier un droit international coutumier sophistiquĂ©, nonobstant le dĂ©veloppement dâusages privĂ©s du commerce maritime, compilĂ©s dans divers codes Ă diverses Ă©poques (Code de Rhodes prĂ©citĂ©, RĂŽles dâOlĂ©ron Ă partir du XIIe siĂšcle, Consolato del Mar au XIVe siĂšcle) Ă lâorigine de ce que certains appellent une lex maritima72. Le dĂ©veloppement dâinstruments multilatĂ©raux a nĂ©anmoins contribuĂ© Ă partir du XIXe siĂšcle Ă unifier certaines rĂšgles, comme le principe de libertĂ© des dĂ©troits (dĂ©claration de Paris sur le droit maritime de 1856, qui entĂ©rine aussi la fin de la « guerre de course » â opĂ©rations navales menĂ©es par les corsaires habilitĂ©s par lettres de marque) et celle des canaux interocĂ©aniques (convention de Constantinople, 1888, adoptĂ©e Ă la suite de lâouverture du canal de Suez). A lâissue de la premiĂšre guerre mondiale, les traitĂ©s de Versailles (article 273), de Saint-Germain (article 225) et du Trianon (article 209) ont Ă©tendu aux Etats enclavĂ©s le droit de possĂ©der un pavillon maritime, ce que consolidera la dĂ©claration de Barcelone du 20 avril 1921 â jusquâalors, seuls les Etats ayant un littoral dĂ©tenaient ce droit. Mais force est de constater quâau dĂ©but du XXe siĂšcle encore, le droit international coutumier de la mer demeure rudimentaire. Il peut se rĂ©sumer Ă deux principes gĂ©nĂ©raux : 1) la haute mer obĂ©it Ă un rĂ©gime de libertĂ© ; 2) les Etats ont des droits particuliers sur la mer adjacente Ă leurs cĂŽtes. La rĂšgle selon laquelle le Souverain bĂ©nĂ©ficie de droits privatifs sur la mer proche est ancienne ; elle se serait formĂ©e dĂšs le XIIIe siĂšcle, dâabord dans dâEurope du Nord, les pays davantage marquĂ©s par la notion de res communis du droit romain Ă©tant plus tardifs Ă revendiquer de tels droits73. La dĂ©limitation de la ***42***mer adjacente nâa toutefois jamais Ă©tĂ© lâobjet dâune pratique gĂ©nĂ©ralisĂ©e et acceptĂ©e comme Ă©tant le droit (ce que la Cour internationale de Justice a encore constatĂ© en 1951 dans lâaffaire des PĂȘcheries74), plusieurs critĂšres ayant dans la pratique Ă©tĂ© concurremment mis en Ćuvre (critĂšre du rayon visuel, des deux journĂ©es de navigation ou 100 milles, de la portĂ©e de canon, des trois millesâŠ). Le rĂ©gime de libertĂ© de la haute mer sâest cristallisĂ© plus tardivement, Ă la fin du XVIIe siĂšcle, Ă©poque Ă partir de laquelle, « conventionnelles ou coutumiĂšres, les rĂ©glementations de lâusage de la haute mer organisent le principe sans y porter atteinte »75. Il connaĂźt une exception coutumiĂšre, dans le prolongement de traitĂ©s du XVIIe et XVIIIe siĂšcles, avec la rĂ©pression de
71 Op. cit. note 1. 72 V. W. Tetley, « The General Maritime Law â The Lex Maritima », Syracuse Journal of International Law and Commerce, 1994, vol. 20, p. 105. 73 G. Gidel, op. cit. note 1, t. 3, p. 25. 74 ArrĂȘt du 18 dĂ©cembre 1951, CIJ Recueil 1951, p. 131, au sujet de la rĂšgle invoquĂ©e des dix milles. La Cour a nĂ©anmoins dit quâelle nâavait « pas de difficultĂ© Ă reconnaĂźtre que, pour mesurer la largeur de la mer territoriale, câest la laisse de basse mer et non celle de haute mer ou une moyenne entre ces deux laisses qui a Ă©tĂ©Ì gĂ©nĂ©ralement adoptĂ©e par la pratique des Etats » (p. 128). 75 G. Gidel, op. cit. note 1, t. 1, p. 199. Reconnaissant que les activitĂ©s historiques chinoises de navigation, de commerce et de pĂȘche dans la mer de Chine du sud « represented the exercise of high seas freedom », v. CPA, The Republic of Philippines v. The People's Republic of China, aff. n° 2013-19, sentence du 12 juillet 2016, § 269.
F. Latty, « Du droit coutumier aux premiĂšres tentatives de codification », in Mathias FORTEAU / Jean-Marc THOUVENIN (dir.), TraitĂ© de droit international de la mer, CEDIN, Paris, Editions A. Pedone, 2017, pp. 35-54. la piraterie, au nom de laquelle les navires de guerre sont autorisĂ©s Ă mener des actes de contrainte en haute mer sur dâautres navires que ceux battant leur pavillon76. Le mĂȘme principe prendra corps Ă lâĂ©gard des navires trafiquants dâesclaves Ă partir de lâActe gĂ©nĂ©ral de Bruxelles de 189077. Le droit de poursuite a Ă©galement Ă©tĂ© identifiĂ© comme ressortissant aux exceptions coutumiĂšres78. La soumission, Ă partir de la fin du XIXe siĂšcle, de litiges Ă des instances juridictionnelles internationales a permis dâaffiner certaines rĂšgles coutumiĂšres du droit de la mer. La sentence rendue sous lâĂ©gide de la Cour permanente dâarbitrage le 8 aoĂ»t 1905 dans lâAffaire des Boutres de Mascate qui opposait la France Ă la Grande-Bretagne a ainsi prĂ©cisĂ© quâ« il appartient Ă tout Souverain de dĂ©cider Ă qui il accordera le droit dâarborer son pavillon et de fixer les rĂšgles auxquelles lâoctroi de ce droit sera soumis »79. LâarrĂȘt du Lotus a rappelĂ© quâ« [e]n vertu du principe de la libertĂ© de la mer, câest-Ă -dire de lâabsence de toute souverainetĂ© territoriale en haute mer, aucun Etat ne peut y exercer des actes de juridiction quelconques sur des navires Ă©trangers » 80, mais il a relevĂ© que le droit international gĂ©nĂ©ral ne sâopposait pas ce quâun Etat, sur son territoire, exerce sa compĂ©tence pĂ©nale Ă lâĂ©gard dâun individu ayant commis un acte dĂ©lictueux sur un navire battant pavillon dâun autre Etat en haute mer â solution que le droit conventionnel postĂ©rieur Ă©cartera en rĂ©servant la compĂ©tence de lâEtat du pavillon. Plus tard, dans lâaffaire du DĂ©troit de Corfou, la CIJ a par ailleurs considĂ©rĂ© quâil est « gĂ©nĂ©ralement admis et conforme Ă la coutume internationale que les Etats, en temps de paix, possĂšdent le droit de faire passer leurs navires de guerre par des dĂ©troits qui servent, aux fins de la ***43***navigation internationale, Ă mettre en communication deux parties de haute mer, sans obtenir au prĂ©alable lâautorisation de lâEtat riverain, pourvu que le passage soit innocent »81, et que lâEtat cĂŽtier a alors lâobligation dâavertir les navires Ă©trangers des dangers dont il a connaissance. MalgrĂ© ces Ă©volutions, encore dans la premiĂšre moitiĂ© du XXe siĂšcle, si « la grande distinction entre la haute mer et les espaces maritimes autres que la haute mer »82 ne prĂȘte guĂšre Ă discussion, la subdivision de ces derniers nâobĂ©it pas Ă un rĂ©gime uniforme, pas plus que ne sont toujours prĂ©cisĂ©ment Ă©tablies la nature et la rĂ©partition des droits des Etats sur ces espaces.
§2. Les premiĂšres tentatives de codification Afin de prĂ©ciser les contours du droit coutumier, dâen dĂ©velopper les normes et, avant tout, de trancher les principales questions opposant les Etats83, les efforts de codification du droit international coutumier de la mer se sont multipliĂ©s, dâabord au sein de sociĂ©tĂ©s savantes (A) puis au niveau des organisations internationales publiques (B), avant que ces entreprises rencontrent leur premier succĂšs avec lâadoption des conventions de GenĂšve en 1958 (C).
A/ DĂ©veloppement des travaux de codification privĂ©e 76 G. Gidel, op. cit. note 1, t. 1, p. 304. 77 V. P. R. Potter, op. cit. note 1, pp. 142 et s. 78 G. Gidel, op. cit. note 1, t. 3, p. 339. 79 The Hague Arbitration Cases, Boston and London, Ginn and Company Publishers, 1915, pp. 71-72. 80 CPJI, Lotus, arrĂȘt du 7 septembre 1927, sĂ©rie A, n° 10, p. 25. 81 CIJ, DĂ©troit de Corfou, arrĂȘt du 9 avril 1949, CIJ Recueil 1949, p. 28 (italiques dans le texte). 82 G. Gidel, op. cit. note 1, p. 46. 83 T. Treves, op. cit. note 1, p. 7.
F. Latty, « Du droit coutumier aux premiĂšres tentatives de codification », in Mathias FORTEAU / Jean-Marc THOUVENIN (dir.), TraitĂ© de droit international de la mer, CEDIN, Paris, Editions A. Pedone, 2017, pp. 35-54. Plusieurs sociĂ©tĂ©s savantes se sont saisies de la codification du droit de la mer. LâInstitut de droit international adopta ainsi en 1928, lors de sa session de Stockholm, deux rĂ©solutions : un rĂšglement sur le rĂ©gime des navires de mer et de leurs Ă©quipages dans les ports Ă©trangers en temps de paix, et un projet de rĂšglement relatif Ă la mer territoriale en temps de paix. Son Ă©tendue y Ă©tait fixĂ©e Ă 3 milles, sauf usage international contraire (article 2), avec une « zone supplĂ©mentaire contiguĂ« » limitĂ©e Ă 9 milles (article 12). LâAssociation de droit international (International Law Association) avait elle-mĂȘme retenu cette limite des 3 milles dans son projet de rĂ©glementation des voies de communication maritime en temps de paix adoptĂ© Ă Vienne en 1926. Il a encore Ă©tĂ© relevĂ©84 que le rapport sur la mer territoriale des groupes dâĂźles prĂ©sentĂ© Ă lâILA en 1924 par Alvarez avait pour la premiĂšre fois dĂ©gagĂ© le concept, promis Ă un grand succĂšs par la suite, dâĂźles archipĂ©lagiques. On relĂšvera enfin, sans ĂȘtre exhaustif, les deux projets concernant la mer territoriale (1929) et la piraterie (1932) Ă©laborĂ©s par la Harvard Research on International Law. Ces diverses propositions provenant de la doctrine, si elles nâont pas Ă©tĂ© formellement reprises par les Etats, nâen ont pas moins aidĂ© Ă la clarification et au dĂ©veloppement du droit de la mer â la dĂ©finition de la piraterie contenue dans le projet de 1932 nourrira par exemple les travaux futurs de la Commission du droit international des Nations Unies. Dâun point de vue plus sociologique, on notera par ailleurs que certains membres de ces sociĂ©tĂ©s (par exemple Gidel) ont jouĂ© par la suite un rĂŽle important dans les travaux de codification publique. ***44***
B/ LâĂ©chec des premiĂšres tentatives de codification publique Certaines tentatives de codification partielle du droit de la guerre en mer ont eu lieu au dĂ©but du XXe siĂšcle avec un succĂšs mitigĂ©85. A la mĂȘme Ă©poque a Ă©tĂ© crĂ©Ă© un Bureau (devenu Organisation en 1970) hydrographique international, organisme interĂ©tatique chargĂ© de coordonner les services hydrographiques des membres en vue de « rendre la navigation plus facile et plus sĂ»re dans toutes les Mers du monde » (article 6), tandis que diverses initiatives â restĂ©es vaines â en faveur dâun Bureau international de la mer se dĂ©veloppaient86. Les Etats ont nĂ©anmoins prĂ©fĂ©rĂ© Ćuvrer Ă la codification du droit matĂ©riel de la mer, sans succĂšs jusquâaux conventions de GenĂšve de 1958. Au prĂ©alable, mĂ©ritent dâĂȘtre relevĂ©es les tentatives de codification dans le cadre de la SociĂ©tĂ© des Nations (1°), puis dans le cadre rĂ©gional de lâOrganisation des Etats amĂ©ricains (2°).
1° La ConfĂ©rence de la SdN de 1930 La ConfĂ©rence pour la codification du droit international organisĂ©e Ă La Haye du 13 mars au 2 avril 1930 Ă lâinitiative de la SociĂ©tĂ© des Nations (SdN) et Ă laquelle 47 Etats ont participĂ© avait parmi ses objectifs la codification dâun nouveau rĂ©gime relatif aux eaux territoriales87. A partir de la base de discussion dâune dĂ©limitation de la mer territoriale Ă trois milles, de nombreuses oppositions ont Ă©tĂ© formulĂ©es qui ont empĂȘchĂ© la finalisation dâun accord. La ConfĂ©rence a nĂ©anmoins permis dâacter la rĂ©partition des espaces maritimes en quatre catĂ©gories et dâen fixer la terminologie : eaux intĂ©rieures, mer territoriale, zone contiguĂ«,
84 T. Treves, op. cit. note 1, p. 8. 85 V. notamment la convention IX de La Haye du 18 octobre 1907 relative Ă lâadaptation Ă la guerre maritime des principes de la convention de GenĂšve (la convention de La Haye sâinscrivant dans le prolongement de la DĂ©claration de Paris de 1856 prĂ©citĂ©e) et la dĂ©claration de Londres du 26 fĂ©vrier 1909 relative au droit de la guerre maritime. 86 G. Gidel, op. cit. note 1, t. 1, pp. 18 et s. 87 V. J. S. Reeves, « The Codification of the Law of Territorial Waters », AJIL, 1930, p. 487.
F. Latty, « Du droit coutumier aux premiĂšres tentatives de codification », in Mathias FORTEAU / Jean-Marc THOUVENIN (dir.), TraitĂ© de droit international de la mer, CEDIN, Paris, Editions A. Pedone, 2017, pp. 35-54. haute mer88. Treize articles du projet ont pu ĂȘtre adoptĂ©s Ă titre provisoire et insĂ©rĂ©s dans lâacte final de la confĂ©rence, relatifs au rĂ©gime juridique de la mer territoriale (libertĂ© de navigation ; droits de lâEtat riverain ; dĂ©finition des lignes de base ; rĂ©gulation du droit de passage inoffensif ; reconnaissance de la notion de zone contiguĂ«). Les questionnaires remplis en amont par les Etats au sujet des eaux territoriales, mais aussi de la piraterie et de lâexploitation des richesses de la mer (deux thĂšmes dont la codification avait Ă©tĂ© envisagĂ©e par le comitĂ© dâexperts de la SdN)89 renseignent en outre prĂ©cieusement sur lâĂ©tat de la pratique de lâĂ©poque, tout comme lâabsence dâaccord sur la rĂšgle des trois milles a permis dâexclure son caractĂšre coutumier90. En dĂ©pit de son Ă©chec, la ConfĂ©rence de 1930 a assurĂ©ment marquĂ© une Ă©tape dans la codification du droit de la mer. Il faut noter par ailleurs que le droit maritime a connu dans lâentre-deux guerres des dĂ©veloppements notables grĂące Ă lâactivitĂ© ***45***normative du Bureau international du travail 91 et du ComitĂ© maritime international92, Ă lâorigine dâun certain nombre de conventions sectorielles93. 2° Les travaux de lâOEA AprĂšs la seconde guerre mondiale, plusieurs Etats amĂ©ricains â en premier lieu les Etats-Unis dâAmĂ©rique â ont fait valoir des droits Ă©tendus au-delĂ de leur mer territoriale. Le 28 septembre 1945, le PrĂ©sident Truman publia deux proclamations, lâune sur « la juridiction et le contrĂŽle » sur le lit de la mer et le sous-sol du plateau continental, lâautre autorisant le gouvernement Ă prendre des mesures de conservation et de protection des ressources piscicoles dans la haute mer adjacente94. Dans son sillage, de nombreux Etats, notamment latino-amĂ©ricains, affirmĂšrent Ă leur tour dĂ©tenir des droits au titre de la zone contiguĂ«, voire de la mer territoriale, parfois jusquâĂ 200 milles des cĂŽtes. Au vu de lâimportance de ces questions, lâOrganisation des Etats amĂ©ricains dĂ©cida de lancer des travaux de codification du droit de la mer. Leur point dâaboutissement, la rĂ©solution de Ciudad-Trujillo adoptĂ©e par la confĂ©rence interamĂ©ricaine spĂ©cialisĂ©e, si elle a confirmĂ© les droits des Etats sur leur plateau continental, a dĂ» prendre acte des dĂ©saccords majeurs sur le rĂ©gime juridique applicable aux eaux qui recouvrent ces rĂ©gions sous-marines, sur la nature et la portĂ©e de « lâintĂ©rĂȘt spĂ©cial » de lâEtat riverain « Ă la productivitĂ© continue des ressources biologiques de la haute mer adjacente Ă sa mer territoriale » ou encore sur la largeur de la mer territoriale95. Les Principes de Mexico relatifs au rĂ©gime juridique de la mer, qui avaient Ă©tĂ© adoptĂ©s en amont par le
88 G. Gidel, op. cit. note 1, t. 1, p. 45. 89 V. Ph. C. Jessup, « Lâexploitation des richesses de la mer », RCADI, 1929, t. 29, pp. 413 et s. 90 G. Gidel, « La mer territoriale et la zone contiguĂ« », RCADI, 1934, t. 48, pp. 137-138. 91 V. notamment les conventions n° 9 sur le placement des marins du 10 juillet 1920 ; n° 22 sur le contrat dâengagement des marins du 24 juin 1926 ; n° 23 sur le rapatriement des marins (mĂȘme date) ; et n° 54 sur les congĂ©s payĂ©s des marins du 24 octobre 1936. 92 V. notamment les conventions de Bruxelles pour lâunification de certaines rĂšgles concernant la limitation de la responsabilitĂ©Ì des propriĂ©taires de navires de mer du 25 aoĂ»t 1924 ; pour lâunification de certaines rĂšgles relatives aux privilĂšges et hypothĂšques maritimes du 10 avril 1926 ; pour lâunification de certaines rĂšgles en matiĂšre dâabordage du 23 septembre 1910 ; et pour lâunification de certaines rĂšgles en matiĂšre dâassistance et de sauvetage maritimes du 23 septembre 1910 93 V. J. Latty, Droit maritime appliquĂ©, Paris, Imprimerie nationale, 1952, 768 p. 94 Department of State Bulletin, 1945, vol. 13, pp. 485-486. 95 Acte final de la ConfĂ©rence spĂ©cialisĂ©e interamĂ©ricaine sur La conservation des ressources naturelles : le plateau continental et les rĂ©gions sous-marines, Ciudad-Trujillo, 15-28 mars 1956. V. les rapports in Ann. CDI, 1956-II, pp. 236 et s. et pp. 251-252.
F. Latty, « Du droit coutumier aux premiÚres tentatives de codification », in Mathias FORTEAU / Jean-Marc THOUVENIN (dir.), Traité de droit international de la mer, CEDIN, Paris, Editions A. Pedone, 2017, pp. 35-54. Conseil interaméricain de jurisconsultes, ont néanmoins constitué un texte de codification exprimant la « conscience juridique du continent »96.
C/ Les conventions de GenĂšve de 1958 1° Les travaux prĂ©paratoires de la CDI DĂšs sa crĂ©ation en 1949, la Commission du droit international (CDI) des Nations Unies a considĂ©rĂ© que le droit de la mer Ă©tait suffisamment mĂ»r pour ĂȘtre lâobjet de ses travaux. Ayant estimĂ© prioritaire la codification du rĂ©gime de la haute mer, sujet auquel lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale de lâONU a ajoutĂ© celui des ***46***eaux territoriales, la CDI a menĂ© des travaux de 1950 Ă 1956 sous la houlette du rapporteur spĂ©cial J. P. A. François, professeur nĂ©erlandais qui avait dĂ©jĂ rempli les fonctions de rapporteur lors de la confĂ©rence de la SdN de 1930. Elle a adoptĂ© en 1956 des Articles relatifs au droit de la mer, regroupant de maniĂšre systĂ©matique les rĂšgles quâelle avait dĂ©gagĂ©es au sujet de la mer territoriale, du plateau continental, de la zone contiguĂ« et de la conservation des richesses biologiques. Au sujet de la largeur de la mer territoriale nĂ©anmoins, la Commission sâest contentĂ©e de constater lâabsence de pratique uniforme, en renvoyant Ă une confĂ©rence internationale le soin dâen fixer les dimensions97. Par sa rĂ©solution 1105 (XI) du 21 janvier 1957, lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale a dĂ©cidĂ© de convoquer une confĂ©rence de plĂ©nipotentiaires chargĂ©e dâexaminer le droit de la mer aux fins dâadopter « une ou plusieurs conventions internationales » sur la base des Articles de la CDI. Depuis, la CDI nâa plus menĂ© de travaux de codification du droit de la mer, les Etats ayant prĂ©fĂ©rĂ© sâen remettre Ă des organes Ă composĂ©s de reprĂ©sentants dâEtats. 2° La premiĂšre confĂ©rence des Nations Unies sur le droit de la mer : les conventions de GenĂšve La premiĂšre confĂ©rence des Nations Unies sur le droit de la mer sâest tenue Ă GenĂšve du 24 fĂ©vrier au 29 avril 1958. Elle a rĂ©uni 86 Etats, qui ont adoptĂ© quatre conventions distinctes â correspondant aux textes adoptĂ©s par quatre des cinq commissions constituĂ©es â sur 1) la mer territoriale et la zone contiguĂ«, 2) la haute mer, 3) la pĂȘche et la conservation des ressources biologiques de la haute mer et 4) le plateau continental98, auxquelles sâajoute un protocole facultatif sur le rĂšglement des diffĂ©rends prĂ©voyant la compĂ©tence de principe de la CIJ. Les travaux de la cinquiĂšme commission relatifs Ă la question du libre accĂšs Ă la mer des pays sans littoral ont Ă©tĂ© intĂ©grĂ©s dans les conventions sur la mer territoriale et sur la haute mer99. Ne serait-ce quâen raison, pour la premiĂšre fois dans lâhistoire, de lâadoption de textes conventionnels Ă vocation universelle Ă©tablissant les droits et obligations des Etats relativement Ă la mer, lâentreprise de codification de la confĂ©rence de GenĂšve peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un succĂšs. Chaque convention a Ă©tĂ© signĂ©e par une quarantaine dâEtats, ce qui reprĂ©sente une proportion non nĂ©gligeable de la communautĂ© internationale de lâĂ©poque. Le taux de ratification assez faible des Etats signataires (autour de 50 %) sera compensĂ© par
96 RĂ©solution XIII de la troisiĂšme rĂ©union du Conseil interamĂ©ricain de jurisconsultes, reproduite in Ann. CDI, 1956-II, p. 249. 97 Article 3 des Articles. La Commission se contente dâ« estim[er] que le droit international ne permet pas lâextension de la mer territoriale au-delĂ de douze milles ». 98 RTNU, vol. 450, p. II et p. 169 ; vol. 499, p. 311; vol. 516, p. 205 ; et vol. 559, p. 285. 99 V. lâarticle 14 de la convention sur la mer territoriale et la zone contiguĂ« et les articles 2, 3 et 4 de la convention sur la haute mer, qui intĂšgrent le cas des Etats sans littoral.
F. Latty, « Du droit coutumier aux premiĂšres tentatives de codification », in Mathias FORTEAU / Jean-Marc THOUVENIN (dir.), TraitĂ© de droit international de la mer, CEDIN, Paris, Editions A. Pedone, 2017, pp. 35-54. lâadhĂ©sion dâautres Etats aux traitĂ©s, qui tous â y compris le protocole sur le rĂšglement des diffĂ©rends â entreront en vigueur au cours des annĂ©es 1960100.***47*** Le dĂ©coupage du droit de la mer en quatre textes conventionnels a Ă©tĂ© de nature Ă favoriser un plus grand nombre de signatures (et Ă Ă©viter la formulation de rĂ©serves intempestives), de nombreux Etats prĂ©fĂ©rant signer « Ă la carte » plutĂŽt que de se voir imposer un « menu unique ». Il emporte cependant un morcellement des relations conventionnelles et un risque de fragmentation du droit de la mer. Il nâa pas empĂȘchĂ©, en tout Ă©tat de cause, les blocages de persister sur des questions fondamentales qui, du coup, demeurent exclues des conventions de GenĂšve. Faute dâaccord sur lâĂ©tendue de la mer territoriale et sur les zones de pĂȘche exclusives de lâEtat riverain101, lâActe final de la confĂ©rence a dĂ» se contenter dâĂ©voquer la convocation dâune deuxiĂšme confĂ©rence des Nations Unies Ă ce sujet102. 3° Les suites des conventions de GenĂšve : lâĂ©chec de la deuxiĂšme et le lancement de la troisiĂšme confĂ©rence des Nations Unies sur le droit de la mer DĂšs le 19 dĂ©cembre 1958, lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale demande au SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de convoquer la deuxiĂšme confĂ©rence des Nations Unies sur le droit de la mer (rĂ©solution 1307 (XIII)), qui se tiendra, de nouveau Ă GenĂšve, du 16 mars au 26 avril 1960, avec la participation de 88 Etats. LimitĂ©e aux seules questions laissĂ©es en suspens en 1958 (Ă©tendue de la mer territoriale et dĂ©limitation des zones de pĂȘches) elle sâapparente Ă une simple prolongation de la premiĂšre confĂ©rence103. Elle en renouvellera lâĂ©chec sur les deux questions discutĂ©es, ce qui â Ă simplement deux annĂ©es dâĂ©cart â nâĂ©tait pas complĂštement imprĂ©visible. Une proposition des Etats-Unis et du Canada fixant Ă six milles la limite de la mer territoriale et Ă six milles supplĂ©mentaires celle de la zone adjacente de pĂȘcherie a nĂ©anmoins failli ĂȘtre adoptĂ©e â Ă une voix prĂšs, elle a manquĂ© la majoritĂ© requise des deux tiers104. Toute une sĂ©rie de facteurs vont conduire lâAssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale Ă convoquer, Ă peine dix ans plus tard, la troisiĂšme confĂ©rence des Nations Unies sur le droit de la mer, par sa rĂ©solution 2750 C (XXV) du 17 dĂ©cembre 1970. Le contexte gĂ©opolitique tout dâabord, avec lâaccession Ă lâindĂ©pendance de nombreux pays africains et le changement des Ă©quilibres au sein de lâONU qui sâensuivit. ***48***Si certains de ces nouveaux Etats ont adhĂ©rĂ© aux conventions de GenĂšve de 1958, il nâen demeure pas moins que la plupart dâentre eux, rejoignant ainsi les
100 Convention sur la mer territoriale et la zone contiguĂ« : 41 signatures (19 ratifications) ; 52 Etats parties ; entrĂ©e en vigueur le 10 septembre 1964. Convention sur la haute mer : 46 signataires (19 nâont pas ratifiĂ©) ; 63 Etats parties ; entrĂ©e en vigueur le 3 janvier 1963. Convention sur la pĂȘche : 35 signataires (19 nâont pas ratifiĂ©) ; 39 Etats parties ; entrĂ©e en vigueur le 20 mars 1966. Convention sur le plateau continental : 43 signataires (21 nâont pas ratifiĂ©), 58 Etats parties, entrĂ©e en vigueur le 10 juin 1964. Protocole facultatif : 14 signataires (5 nâont pas ratifiĂ©, dont les Etats-Unis) ; 38 Etats parties ; entrĂ©e en vigueur le 30 septembre 1962. 101 V. A. Gros, « Entre deux confĂ©rences sur le droit de la mer », in Hommage dâune gĂ©nĂ©ration de juristes au PrĂ©sident Basdevant, Paris, Pedone, 1960, pp. 239 et s. ; J. Patey, « La ConfĂ©rence des Nations Unies sur le droit de la mer », RGDIP, 1958, pp. 446-467. 102 A/CONF.13/L.58, 1958, ConfĂ©rence des Nations Unies sur le droit de la mer, Documents officiels, vol. II, p. 166. 103 R.-J. Dupuy, D. Vignes (eds), op. cit. note 1, p. 73. 104 V. R. E. Charlier, « RĂ©sultats et enseignements des confĂ©rences du droit de la mer (GenĂšve 1958 et 1960) », AFDI, 1960, pp. 63-76. Notant que « the principal failure of the First and Second UN Conferences on the Law of the Sea was the lack of agreement on the breadth of the territorial sea and the extent of coastal Statesâ jurisdiction over the resources, then principally involving fisheries, of the waters adjacent to their coasts », v. CPA, The Republic of Philippines v. The People's Republic of China, aff. n° 2013-19, sentence du 12 juillet 2016, § 248.
F. Latty, « Du droit coutumier aux premiĂšres tentatives de codification », in Mathias FORTEAU / Jean-Marc THOUVENIN (dir.), TraitĂ© de droit international de la mer, CEDIN, Paris, Editions A. Pedone, 2017, pp. 35-54. revendications prĂ©existantes des Etats latino-amĂ©ricains, ont eu tendance Ă dĂ©noncer le trop grand libĂ©ralisme dâun droit de la mer Ă lâĂ©laboration duquel ils nâavaient pas participĂ© et quâils considĂ©raient non sans raison comme satisfaisant davantage les intĂ©rĂȘts des puissances navales et industrielles que les leurs105. Le nombre dâEtats parties aux conventions de GenĂšve nâa de toute façon pas dĂ©passĂ© la soixantaine â soit une nette minoritĂ© du monde postcolonial â tandis que leur contenu normatif a Ă©tĂ© rapidement dĂ©passĂ© par les nouvelles revendications dâ« appropriation des espaces maritimes [adjacents] »106 et dâinaliĂ©nation des grands fonds marins. Ce besoin dâun nouveau droit, Ă la fois pour rĂ©gler les vieilles questions restĂ©es sans rĂ©ponse (notamment lâĂ©tendue de la mer territoriale) et pour embrasser les nouveaux dĂ©fis nĂ©s des progrĂšs technologiques, allait aboutir Ă lâestompage des conventions de GenĂšve de lâordre juridique international.
§3. Les conventions de GenĂšve : statut contemporain Les conventions de GenĂšve sont, formellement, encore en vigueur. DĂšs lors, elles continuent de lier les Etats qui y sont parties. MalgrĂ© cela, lâintĂ©rĂȘt des textes de 1958 est aujourdâhui « dâordre essentiellement historique, en tant quâexpression du âdroit de la mer traditionnelâ, câest-Ă -dire du droit applicable avant les bouleversements qui ont incitĂ© la communautĂ© internationale Ă modifier son apprĂ©ciation des utilisations des mers »107. Cet Ă©tat des choses, qui sâaccompagne de quelques nuances, rĂ©sulte de lâĂ©volution rapide du droit coutumier depuis 1958 (A) et de lâentrĂ©e en vigueur en 1994 de la convention de Montego Bay de 1982 (B).
A/ Les conventions de GenĂšve et la coutume Nombre de dispositions des conventions de GenĂšve sont le reflet du droit coutumier, celui de 1958 ou celui qui sâest dĂ©veloppĂ© ensuite (1°). Il reste toutefois que sur certains points, le dĂ©veloppement de « coutumes sauvages » a rapidement rendu obsolĂšte le texte de 1958 (2°). 1° Contenu coutumier des conventions de GenĂšve Dans ses travaux de codification du droit de la mer, la CDI avait « acquis la conviction » que la distinction entre la seule codification du droit coutumier et le dĂ©veloppement progressif du droit international de la mer ne pouvait ĂȘtre maintenue108. Chacune des quatre conventions allie en effet dans des proportions variables les deux dimensions du travail de codification. Cela Ă©tant, il semble que la convention sur la pĂȘche et la conservation des ressources biologiques de la ***49***haute mer relĂšve principalement du dĂ©veloppement progressif, ce qui explique sans doute que le nombre dâEtats parties Ă cet instrument soit moins Ă©levĂ© que celui des trois autres. A lâinverse, les conventions sur la mer territoriale et la zone contiguĂ«, et sur la haute mer sâapparentent dans une large mesure Ă une codification des pratiques gĂ©nĂ©rales acceptĂ©es Ă lâĂ©poque comme Ă©tant le droit109. A titre dâillustration, la premiĂšre reprend Ă son compte (article 3) la rĂšgle dĂ©gagĂ©e par la CIJ dans lâaffaire des PĂȘcheries de 105 G. de LacharriĂšre, « Le nouveau droit de la mer », Politique Ă©trangĂšre, 1980, pp. 89-90. 106 Ibid., p. 90. 107 T. Treves, « Les conventions de GenĂšve sur le droit de la mer, 1958 », BibliothĂšque audiovisuelle de droit international des Nations Unies, 2012, texte et vidĂ©o en ligne sur [www.un.org/law/avl]. 108 Ann. CDI, 1956, vol. II, p. 256. La Commission note : « AprĂšs avoir essayĂ© de spĂ©cifier les articles rentrant dans lâune ou lâautre catĂ©gorie, la Commission a dĂ» y renoncer, plusieurs articles nâappartenant entiĂšrement ni Ă lâune ni Ă lâautre des deux catĂ©gories ». 109 R.-J. Dupuy, D. Vignes (eds), op. cit. note 1, p. 74.
F. Latty, « Du droit coutumier aux premiĂšres tentatives de codification », in Mathias FORTEAU / Jean-Marc THOUVENIN (dir.), TraitĂ© de droit international de la mer, CEDIN, Paris, Editions A. Pedone, 2017, pp. 35-54. 1951 concernant la mesure de la mer territoriale Ă partir de la laisse de basse mer110. Elle fait sienne Ă©galement en son article 4 (au sujet des « rĂ©gions oĂč la ligne cĂŽtiĂšre prĂ©sente de profondes Ă©chancrures et indentations ») la mĂ©thode de tracĂ© des lignes de base dĂ©gagĂ©e par la CIJ dans la mĂȘme affaire, que la CDI avait considĂ©rĂ© ĂȘtre « lâexpression du droit en vigueur »111. Sâagissant de la convention sur la haute mer, le prĂ©ambule indique explicitement que le texte a pour but de « codifier les rĂšgles du droit international relatives Ă la haute mer », ce quâelle fait assurĂ©ment tout en incorporant des dispositions pionniĂšres sur lâobligation de la prĂ©vention de la pollution par les hydrocarbures (article 24) ou lâimmersion de dĂ©chets radioactifs (article 25). Dâautres innovations, qui intĂ©greront rapidement le droit coutumier si elles ne le codifiaient pas dĂ©jĂ , concernent lâarticle 5 qui prĂ©cise quâ« il doit exister un lien substantiel entre lâEtat et le navire » et lâarticle 11, § 1, qui â en rupture avec lâarrĂȘt du Lotus mais dans le sillage de la convention de Bruxelles de 1952112 â rĂ©serve la compĂ©tence de lâEtat de pavillon en matiĂšre de poursuites pĂ©nales pour des Ă©vĂ©nements intervenus en haute mer. La convention sur le plateau continental, pour sa part, se fait lâĂ©cho des revendications Ă©tatiques remontant Ă la fin de la seconde guerre mondiale, initiĂ©es par la proclamation Truman113. Si, au vu de la jeunesse de la notion (juridique) de plateau continental, certains Etats â la GrĂšce en particulier â ont considĂ©rĂ© que la convention ressortait au dĂ©veloppement progressif, il ne fait aucun doute que la possession par les Etats de droits sur leur plateau continental prĂ©vue par le texte de 1958 a vite acquis valeur coutumiĂšre114. La CIJ a ainsi admis dix annĂ©es plus tard que lâarticle 2 de la convention de GenĂšve consacrait « la plus fondamentale de toutes les rĂšgles de droit relatives au plateau continental »115. Elle a en revanche considĂ©rĂ© que lâarticle 6 prĂ©voyant la ***49***dĂ©limitation par Ă©quidistance sauf circonstances spĂ©ciales justifiant une autre dĂ©limitation nâavait pas acquis valeur coutumiĂšre116, ce qui ne lâempĂȘchera pas de lui donner droit de citĂ© sous une forme voisine dans sa jurisprudence postĂ©rieure117. 2° Remise en cause des conventions de GenĂšve par la coutume subsĂ©quente Si en certaines de leurs dispositions les conventions de GenĂšve ont Ă©tĂ© lâexpression â et le sont encore â du droit coutumier, elles ont sur dâautres aspects Ă©tĂ© rapidement dĂ©passĂ©es par les mutations profondes quâa connues le droit de la mer sitĂŽt aprĂšs leur conclusion. En effet, Ă
110 CIJ, PĂȘcheries (Royaume-Uni c. NorvĂšge), arrĂȘt du 18 dĂ©cembre 1951, CIJ Recueil 1951, p. 128. 111 Commentaire de lâarticle 5 du projet de la CDI, in Ann. CDI, 1956-II, p. 267. 112 Convention internationale pour lâunification de certaines rĂšgles sur la saisie conservatoire des navires de mer. 113 V. supra §2, B. 114 T. Treves, « Codification du droit international et pratique des Etats dans le droit de la mer », RCADI, 1990-IV, t. 223, p. 35. Sur lâincertitude concernant le caractĂšre coutumier des droits sur le plateau continental, v. R. Bernhard, « Custom and Treaty in the Law of the Sea », RCADI, 1987, t. 205, p. 291. 115 CIJ, Plateau continental de la mer du Nord (RFA/Pays-Bas et RFA/Danemark), arrĂȘt du 20 fĂ©vrier 1969, CIJ Recueil 1969, p. 22, § 19. Cette rĂšgle fondamentale est la suivante pour la CIJ : « les droits de 1âEtat riverain concernant la zone de plateau continental qui constitue un prolongement naturel de son territoire sous la mer existent ipso facto et ab initio en vertu de la souverainetĂ© de 1âEtat sur ce territoire et par une extension de cette souverainetĂ© sous la forme de lâexercice de droits souverains aux fins de lâexploration du lit de la mer et de lâexploitation de ses ressources naturelles. II y a lĂ un droit inhĂ©rent » (id.). 116 CIJ, Plateau continental de la mer du Nord, pp. 37 et s., §§ 61 et s. 117 V. CIJ, DĂ©limitation maritime dans la rĂ©gion situĂ©e entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark c. NorvĂšge), arrĂȘt du 14 juin 1993, CIJ Recueil 1993, p. 58, § 46. V. aussi CIJ, FrontiĂšre terrestre et maritime entre le Cameroun et le NigĂ©ria (Cameroun c. NigĂ©ria; GuinĂ©e Ăquatoriale (intervenant)), arrĂȘt du 10 octobre 2002, CIJ Recueil 2002, p. 441, § 288. V. Ă©galement infra, TroisiĂšme partie, chapitre 2, section 1.
F. Latty, « Du droit coutumier aux premiĂšres tentatives de codification », in Mathias FORTEAU / Jean-Marc THOUVENIN (dir.), TraitĂ© de droit international de la mer, CEDIN, Paris, Editions A. Pedone, 2017, pp. 35-54. travers un processus coutumier extrĂȘmement rapide â « sauvage » parce que « lâidĂ©e y prĂ©cĂšde le fait » et « rĂ©volutionnaire » en ce quâil vise Ă remettre en cause lâordre Ă©tabli118 â de nouvelles normes du droit de la mer ont pris corps, dâabord « par lâeffet de lâassentiment gĂ©nĂ©ral » apparu lors de la confĂ©rence de 1960 (au sujet de la notion de zone de pĂȘche exclusive et de droits de pĂȘche prĂ©fĂ©rentiels)119, puis concomitamment aux nĂ©gociations menĂ©es au sein de la troisiĂšme confĂ©rence des Nations Unies sur le droit de la mer. Les principes contenus dans la dĂ©claration rĂ©gissant le fond des mers et des ocĂ©ans120 adoptĂ©e en Ă©cho au fameux discours de lâambassadeur de Malte Arvid Pardo du 1er novembre 1967 qui appelait Ă faire des fonds marins le patrimoine commun de lâhumanitĂ© nâont ainsi pas attendu lâentrĂ©e en vigueur de la convention de Montego Bay pour intĂ©grer lâordre juridique international. De maniĂšre similaire, la notion de zone Ă©conomique exclusive jusquâĂ 200 milles a acquis en quelques annĂ©es seulement le rang de norme coutumiĂšre121. Dans lâaffaire du plateau continental de la mer dâIroise jugĂ©e en 1977, le tribunal arbitral a refusĂ© de faire droit Ă lâargument de la France selon lequel la convention de GenĂšve sur le plateau continental Ă©tait devenue dĂ©suĂšte au vu de la reconnaissance de zones Ă©conomiques Ă 200 milles122, mais il a par ***51***ailleurs affirmĂ© devoir « prendre en considĂ©ration lâĂ©volution du droit de la mer dans toute la mesure oĂč cela serait pertinent pour lâexamen de la prĂ©sente affaire »123. Lâinclusion dans la convention de Montego Bay, par la suite, de ces nouvelles normes du droit de la mer124 participera de la dĂ©suĂ©tude partielle des conventions de GenĂšve.
B/ Les conventions de GenÚve et la convention de Montego Bay Si la convention de 1982 a vocation naturelle à éclipser celles de 1958 dont elle est le prolongement sublimé (1°), force est de constater que les relations entre les deux textes ne
118 R.-J. Dupuy, « Coutume sage et coutume sauvage », in La CommunautĂ© internationale. MĂ©langes offerts Ă Charles Rousseau, Paris, Pedone, 1974, p. 83. 119 CIJ, CompĂ©tence en matiĂšre de pĂȘcheries (Royaume-Uni c. Islande), arrĂȘt du 25 juillet 1974, CIJ Recueil 1974, p. 23, § 52. 120 RĂ©solution 2749 (XXV) du 17 dĂ©cembre 1970, DĂ©claration des principes rĂ©gissant le fond des mers et des ocĂ©ans, ainsi que leur sous-sol, au-delĂ des limites de la juridiction nationale. 121 V. CIJ, Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrĂȘt du 24 fĂ©vrier 1982, CIJ Recueil 1982, p. 74, § 100, oĂč la Cour note que la « la zone Ă©conomique exclusive [peut ĂȘtre] considĂ©r[Ă©e] comme faisant partie du droit international moderne ». 122 Affaire de la DĂ©limitation du plateau continental entre le Royaume-Uni et la France, dĂ©cision du 30 juin 1977, RSA, vol. XVIII, pp. 130 et s., oĂč le tribunal reconnaĂźt « lâimportance de lâĂ©volution, actuellement en cours, du droit de la mer aussi bien que la possibilitĂ© quâun dĂ©veloppement du droit coutumier puisse permettre dâĂ©tablir, dans certaines conditions, que les Etats concernĂ©s acceptent la modification ou mĂȘme lâabrogation de droits et obligations conventionnels existant prĂ©cĂ©demment », tout en jugeant que « ni les comptes rendus de la TroisiĂšme ConfĂ©rence des Nations Unies sur le droit de la mer ni la pratique des Etats en dehors de cette ConfĂ©rence ne contiennent de telles indications dĂ©cisives dĂ©montrant que les Parties Ă la Convention de 1958 sur le plateau continental considĂšrent aujourdâhui dĂ©jĂ que la Convention est dĂ©suĂšte et devenue inapplicable en tant que traitĂ© en vigueur » (§ 47). 123 Id., § 48. Estimant que « [l]e fait que la convention de 1958 sâapplique en lâespĂšce Ă la dĂ©limitation du plateau continental ne signifie pas quâil soit possible dâinterprĂ©ter et dâappliquer lâarticle 6 sans rĂ©fĂ©rence au droit coutumier en la matiĂšre », v. CIJ, DĂ©limitation maritime dans la rĂ©gion situĂ©e entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark c. NorvĂšge), arrĂȘt du 14 juin 1993, CIJ Recueil 1993, p. 58, § 46. La Cour procĂ©dera dâailleurs à « lâassimilation des circonstances spĂ©ciales de lâarticle 6 de la convention de 1958 et des circonstances pertinentes en droit coutumier » (p. 62, § 56). 124 V. CIJ, Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrĂȘt du 24 fĂ©vrier 1982, CIJ Recueil 1982, p. 38, § 24, oĂč la Cour dit, alors que la convention de Montego Bay nâen Ă©tait encore quâau stade de projet, quâelle « ne saurait (âŠ) nĂ©gliger une disposition du projet de convention si elle venait Ă conclure que sa substance lie tous les membres de la communautĂ© internationale du fait quâelle consacre ou cristallise une rĂšgle de droit coutumier prĂ©existante ou en voie de formation ».
F. Latty, « Du droit coutumier aux premiĂšres tentatives de codification », in Mathias FORTEAU / Jean-Marc THOUVENIN (dir.), TraitĂ© de droit international de la mer, CEDIN, Paris, Editions A. Pedone, 2017, pp. 35-54. prennent pas la forme dâun remplacement pur et simple de celles-ci par celle-lĂ . Les conventions de GenĂšve nâont pas disparu de lâordonnancement juridique, la convention de Montego Bay se contentant dâorganiser sa propre prĂ©valence (2°). 1° Prolongement Le « monument »125 quâest la convention de Montego Bay innove Ă moult Ă©gards par rapport aux conventions de GenĂšve. En premier lieu sur la forme, puisquâĂ la rĂ©partition du droit de la mer en quatre conventions plus un protocole sur le rĂšglement des diffĂ©rends succĂšde sa codification en un corpus unique, garant dâune cohĂ©rence des relations conventionnelles entre les parties. La convention intĂšgre les coutumes « sauvages » apparues depuis 1958 tout en en affinant le rĂ©gime126, met en place un mĂ©canisme de rĂšglement des diffĂ©rends plus performant que celui dĂ©coulant du protocole facultatif de GenĂšve restĂ© inutilisĂ©, et dĂ©veloppe le droit de la mer sur maints aspects (eaux archipĂ©lagiques, protection et sauvegarde de lâenvironnement, etc.) dont la partie XI sur la zone internationale des fonds marins nâest pas le moindre.
Cela Ă©tant, le lien de filiation entre les textes de 1958 et de 1982 est indiscutable, notamment Ă la lecture des parties II, VI et VII du texte de 1982, qui font de larges ***52***emprunts respectivement Ă la convention sur la mer territoriale et la zone contiguĂ«, Ă la convention sur le plateau continental et Ă celle sur la haute mer127. Certains articles sont repris au mot prĂšs128, ou avec des modifications de nature linguistique 129 , quand dâautres connaissent des modifications normatives plus substantielles ou des adjonctions â par exemple en ce qui concerne le droit de transit et de passage inoffensif dans les dĂ©troits130. Lâinstrument de 1982 bouche par ailleurs les failles des conventions de 1958 concernant lâĂ©tendue, enfin fixĂ©e Ă une largeur maximale de 12 milles, de la mer territoriale (article 3) et de la zone contiguĂ« (24 milles selon lâarticle 33). Quoi quâil en soit, il nâest guĂšre contestable que la convention de Montego Bay consolide Ă maints Ă©gards la codification de 1958131. Le champ normatif commun entre les conventions de 1958 et celle de 1982 pose alors inĂ©vitablement la question des relations entre les deux instruments. 125 L. Luchini, « Mer », in RĂ©pertoire de droit international, Dalloz, 1998 (actualisation 2013), n° 91. 126 Sâagissant de la largeur de la zone Ă©conomique exclusive, lâarticle 57 de la convention cristallise des normes en formation ; le rĂ©gime qui lui est associĂ© Ă lâarticle 56 prĂ©sente en revanche davantage un aspect dĂ©claratoire du droit coutumier (R.-J. Dupuy, D. Vignes (eds), op. cit. note 1, p. 80). 127 Id. V. le tableau des concordances des conventions de GenĂšve et de Montego Bay in P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, Droit international public (Nguyen Quoc Dinh), Paris, LGDJ/Lextenso, 2009, pp. 1286 et s. 128 V. par exemple lâarticle 6 de la convention sur la mer territoriale de 1958 (« La limite extĂ©rieure de la mer territoriale est constituĂ©e par une ligne dont chaque point est Ă une distance Ă©gale Ă la largeur de la mer territoriale du point le plus proche de la ligne de base ») qui figure tel quel Ă lâarticle 4 de la convention de Montego Bay. Autre exemple parmi de nombreux, v. CPA, The Republic of Philippines v. The People's Republic of China, aff. n° 2013-19, sentence du 12 juillet 2016, § 388, oĂč le tribunal arbitral relĂšve que la dĂ©finition de lâĂźle par lâart. 121 de la convention de Montego Bay « is unchanged from the 1958 Convention on the Territorial Sea and the Contiguous Zone [art. 10] ». 129 V. par exemple lâarticle 97, § 1, de la convention de 1982, qui reprend avec une meilleure syntaxe lâarticle 11, § 1er, de la convention de 1958 sur la haute mer au sujet de la compĂ©tence de lâEtat du pavillon (v. supra 1°). Notant la continuitĂ© entre la convention de 1958 sur le plateau continental et lâart. 77 de la convention de Montego Bay, et se rĂ©fĂ©rant Ă ce titre au commentaire de la CDI sur le projet de convention, v. CPA, The Arctic Sunrise Arbitration (Netherlands v. Russia), aff. n° 2014-02, sentence (fond) du 14 aoĂ»t 2015, § 283. 130 V. lâarticle 16, § 4, de la convention de 1958 sur la mer territoriale et la zone contiguĂ« et les articles 38 et 45 de la convention de Montego Bay, qui se dĂ©marquent Ă certains Ă©gards de lâarrĂȘt DĂ©troit de Corfou (supra note 42). Au sujet de lâintroduction par la convention de 1982 de la distinction entre les Ăźles et les rochers, v. CPA, The Republic of Philippines v. The People's Republic of China, aff. n° 2013-19, sentence du 12 juillet 2016, §§ 389-390. 131 L. Luchini, op. cit. note 86, n° 62.
F. Latty, « Du droit coutumier aux premiĂšres tentatives de codification », in Mathias FORTEAU / Jean-Marc THOUVENIN (dir.), TraitĂ© de droit international de la mer, CEDIN, Paris, Editions A. Pedone, 2017, pp. 35-54. 2° PrĂ©valence En lâabsence dâidentitĂ© parfaite des parties aux conventions de GenĂšve et Ă la convention de Montego Bay, cette derniĂšre nâa pu abroger les textes de 1958 pour sây substituer purement et simplement. Quelques Etats parties aux conventions de GenĂšve, au premier rang desquels figurent les Etats-Unis dâAmĂ©rique, nâont en effet pas signĂ©, ou pas ratifiĂ©, la convention sur le droit de la mer132. A ceux-lĂ ***53*** (y inclus dans leurs relations avec des Etats parties Ă la convention de 1982) les conventions de GenĂšve, toujours en vigueur, demeurent applicables, sous rĂ©serve de leur modification coutumiĂšre postĂ©rieure133. En ce sens, la portĂ©e des conventions de GenĂšve nâest pas purement historique ; elle demeure, pour les Etats concernĂ©s, un instrument du droit positif. Pour les autres Etats â ceux qui sont parties aux instruments de 1958 et Ă celui de 1982 â la convention de Montego Bay prĂ©voit un mĂ©canisme de prĂ©valence fondĂ© sur lâadage lex posterior derogat priori134 : selon son article 311, § 1er, « [l]a Convention lâemporte, entre les Etats parties, sur les Conventions de GenĂšve du 29 avril 1958 sur le droit de la mer »135. Cette clause gĂ©nĂ©rale, inspirĂ©e de lâarticle 30 (« Application de traitĂ©s successifs portant sur la mĂȘme matiĂšre ») de la convention de Vienne sur le droit des traitĂ©s a pour objet dâorganiser la coexistence des instruments sans porter atteinte aux droits des Etats parties au seul nouveau traitĂ©136. Mais tandis que lâarticle 30, § 3, de la convention de Vienne prĂ©voit des rapports de subsidiaritĂ© (« le traitĂ© antĂ©rieur ne sâapplique que dans la mesure oĂč ses dispositions sont compatibles avec celles du traitĂ© postĂ©rieur »), la convention de Montego Bay se situe sur le terrain de la hiĂ©rarchie normative (la convention de 1982 « lâemporte » â « shall prevail over » dans la version anglaise). Lâarticle 311, § 1er, est susceptible de prĂȘter le flanc Ă plusieurs interprĂ©tations, entre lesquelles aucun juge international nâa encore eu lâoccasion de trancher137. Dans un premier
132 Les Etats-Unis ont signĂ© et ratifiĂ© les quatre conventions de GenĂšve. Ils ne sont pas partie Ă la convention de 1982 en raison de leur hostilitĂ© Ă la partie sur les fonds marins. Le Cambodge a accĂ©dĂ© aux quatre conventions de GenĂšve en 1960 ; il a signĂ© mais non ratifiĂ© la convention de Montego Bay. La Colombie est partie aux conventions de 1958 sur la pĂȘche et la conservation des ressources biologiques de la haute mer et sur le plateau continental ; elle a signĂ© mais non ratifiĂ© les conventions sur la mer territoriale, sur la haute mer ainsi que la convention de Montego Bay. IsraĂ«l est partie aux trois conventions de 1958 sur la mer territoriale, sur la haute mer et sur le plateau continental, et signataire seulement de la convention sur la pĂȘche ; il nâest pas partie Ă la convention de 1982. Le Venezuela est partie aux quatre conventions de GenĂšve mais non Ă la convention de Montego Bay (Ă©tat au 1er juillet 2016). 133 Supra A. V. Ă ce sujet la dĂ©claration de M. B. Hoyle, du dĂ©partement dâEtat amĂ©ricain : « We will not sign and will not ratify the 1982 Convention. This is, of course, because of the seabeds part of the Convention. The United States will abide by the rules of international law contained in the non-sea-beds part of the Convention as reflecting existing international law, both customary and treaty law » (in The Developing Order of the Oceans, Law of the Sea Institute Proceedings, vol. 18, Honolulu, 1985, p. 55, citĂ© par T. Treves, « Codification du droit international⊠», op. cit. note 75, p. 44, note 42). 134 L. Luchini, op. cit. note 90, n° 92. 135 Sur les nĂ©gociations relatives Ă cette disposition, v. « Article 311 », in M. H. Nordquist, S. Nandan, S. Rosenne (Ed.), United Nations Convention on the Law of the Sea 1982, Center for Oceans Law and Policy, University of Virginia, Leiden/Boston, Brill/Nijhoff, 2013, pp. 229 et s. 136 R.-J. Dupuy, D. Vignes (eds), op. cit. note 1, p. 105. 137 Appliquant lâarticle 311 (« Relations avec dâautres conventions et accords internationaux ») en lien avec la question des droits historiques en mer de Chine du sud revendiquĂ©s par la Chine, Ă lâexclusion de son § 1er relatif aux relations entre la convention de 1982 et celles de 1958, v. CPA, The Republic of Philippines v. The People's Republic of China, aff. n° 2013-19, sentence du 12 juillet 2016, §§ 230 et s. Au sujet de lâart. 311 dans son ensemble, lu conjointement avec lâart. 293, § 1er, le tribunal note que « [t]hese provisions mirror the general rules
F. Latty, « Du droit coutumier aux premiĂšres tentatives de codification », in Mathias FORTEAU / Jean-Marc THOUVENIN (dir.), TraitĂ© de droit international de la mer, CEDIN, Paris, Editions A. Pedone, 2017, pp. 35-54. sens, la prĂ©valence aurait un effet de substitution : dans leur ensemble ou isolĂ©ment les dispositions de la convention de 1958 sur le plateau continental, par exemple, seraient remplacĂ©es par celles de la partie VI (« Plateau continental ») de la convention de 1982. Dans un second sens, qui correspond sans doute davantage Ă lâidĂ©e de prĂ©valence, les textes de 1958 et ceux de 1982 seraient pareillement applicables Ă la mer, mais en cas de contradiction la convention de Montego Bay seule serait mise en Ćuvre â par exemple en matiĂšre ***53***de fixation des limites extĂ©rieures du plateau continental 138 . DĂšs lors, des dispositions des conventions de GenĂšve qui ne seraient pas contredites par la convention de 1982 seraient encore applicables â on pense notamment Ă certaines dispositions de la convention sur le plateau continental, plus dĂ©taillĂ©es que ne le sont celles de la partie VI139 ou aux rĂšgles de dĂ©limitation de la zone contiguĂ« entre Etats dont les cĂŽtes sont adjacentes ou se font face (article 24, § 3, de la convention de GenĂšve sur la mer territoriale et la zone contiguĂ«) qui nâont pas de correspondance dans la convention de 1982140. Reste que la « dĂ©codification » 141 ponctuellement opĂ©rĂ©e par la convention de 1982 pourrait ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme la manifestation de la volontĂ© des Etats de sâentendre sur une rĂšgle nouvelle moins complĂšte, quâil reviendrait aux Etats et au juge, le cas Ă©chĂ©ant, dâinterprĂ©ter plutĂŽt que dâappliquer le « droit de GenĂšve »142. Le champ normatif rĂ©siduel des conventions de GenĂšve demeure en tout Ă©tat de cause trĂšs Ă©troit au vu de lâĂ©volution du droit coutumier qui est allĂ© de pair avec les nĂ©gociations, lâadoption puis la mise en Ćuvre de la convention de 1982. Les conventions de 1958 nâont peut-ĂȘtre pas encore rejoint le rayon des vestiges du droit international. Mais Ă tout le moins, la grande cathĂ©drale de Montego Bay ombrage copieusement les chapelles tĂŽt dĂ©caties de GenĂšve.
of international law concerning the interaction of different bodies of law, which provide that the intent of the parties to a convention will control its relationship with other instruments » (§ 237). 138 Article 1er de la convention sur le plateau continental de 1958 (qui inclut le critĂšre alternatif de la profondeur de 200 mĂštres et lâexploitabilitĂ© des ressources naturelles) et article 76 de la convention de 1982 (qui pose une limite Ă 200 milles). 139 V. lâarticle 5 de la convention sur le plateau continental de 1958. A noter toutefois que le droit de construire des installations et dâĂ©tablir des zones de sĂ©curitĂ© autour de celles-ci qui y est prĂ©vu se retrouve dans la partie V de la convention de Montego Bay sur la zone Ă©conomique exclusive (article 60). 140 V. T. Treves, « Codification du droit international⊠», op. cit. note 75, pp. 76-77 et L. Caflish, « Les zones maritimes sous juridiction nationale : leurs limites et leur dĂ©limitation », in D. Bardonnet, M. Virally (dir.), Le nouveau droit international de la mer, Paris, Pedone, 1983, pp. 53 et s. 141 T. Treves, « Codification du droit international⊠», op. cit. note 75, p. 106. 142 V. supra note 78 au sujet de la rĂšgle de lâĂ©quidistance.