fascicule de travaux dirigés – droit pénal général sommaire – … · 2020. 10. 5. · 1 ....

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1 Fascicule de travaux dirigés – Droit pénal général Annexe au cours d’Emmanuel Dreyer professeur à l’École de droit de la Sorbonne – UP1 Sommaire – table des matières Séance 1 : Introduction : p. 2 Exercice- dissertation : Qu’est-ce qu’une infraction ? Séance 2 : Caractères du droit pénal : p. 5 Exercice- Commentaire de texte (Portalis) Séance 3 : Le principe de légalité : p. 9 Exercice – Commentaire d’arrêt (Cour EDH, 5e section, 6 oct. 2011, Soros c/ France, req. n°50425/06) Séance 4 : Le règlement en droit pénal : p. 16 Exercice – Dissertation : La nullité de l’acte administratif à la base d’une poursuite Séance 5 : L’européanisation du droit pénal : p. 22 Exercice – Dissertation : Les incriminations d’origine européenne Séance 6 : Application dans le temps de la loi pénale : p. 24 Exercice – cas pratique Séance 7 : La matérialité de l’infraction : p. 32 Exercice – Commentaire d’arrêt (Cass. crim., 4 nov. 1999 : Bull. crim., n°248 ; Dr.pén. 2000, comm. 43, obs. M. Véron ; RSC 2000, p. 395, obs. Y. Mayaud) Séance 8 : L’imputabilité des faits : p. 38 Exercice – Cas pratique Séance 9 : L’intention : p. 45 Exercice. – Commentaire d’arrêt (Cass. crim., 18 juin 2003 : Bull. crim. 2003, n° 34 ; D. 2004, p. 1620, note D. Rebut ; JCP G 2003, II, 10121, note M.-L. Rassat) : Séance 10 : La faute : p. 52 Exercice – Dissertation : La hiérarchie des fautes pénales Séance 11 : La participation à l’infraction : p. 58 Exercice. – Cas pratique Bibliographie : Pour un approfondissement du cours : E. Dreyer, Droit pénal général : LexisNexis, 5 e éd., 2019. Pour enrichir la discussion en Travaux Dirigés : Y. Mayaud, Droit pénal général : PUF, 6 e éd., 2018

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    Fascicule de travaux dirigés – Droit pénal général Annexe au cours d’Emmanuel Dreyer

    professeur à l’École de droit de la Sorbonne – UP1

    Sommaire – table des matières Séance 1 : Introduction : p. 2 Exercice- dissertation : Qu’est-ce qu’une infraction ? Séance 2 : Caractères du droit pénal : p. 5 Exercice- Commentaire de texte (Portalis) Séance 3 : Le principe de légalité : p. 9 Exercice – Commentaire d’arrêt (Cour EDH, 5e section, 6 oct. 2011, Soros c/ France, req.

    n°50425/06) Séance 4 : Le règlement en droit pénal : p. 16 Exercice – Dissertation : La nullité de l’acte administratif à la base d’une poursuite Séance 5 : L’européanisation du droit pénal : p. 22 Exercice – Dissertation : Les incriminations d’origine européenne Séance 6 : Application dans le temps de la loi pénale : p. 24 Exercice – cas pratique Séance 7 : La matérialité de l’infraction : p. 32 Exercice – Commentaire d’arrêt (Cass. crim., 4 nov. 1999 : Bull. crim., n°248 ; Dr.pén. 2000,

    comm. 43, obs. M. Véron ; RSC 2000, p. 395, obs. Y. Mayaud) Séance 8 : L’imputabilité des faits : p. 38 Exercice – Cas pratique Séance 9 : L’intention : p. 45 Exercice. – Commentaire d’arrêt (Cass. crim., 18 juin 2003 : Bull. crim. 2003, n° 34 ;

    D. 2004, p. 1620, note D. Rebut ; JCP G 2003, II, 10121, note M.-L. Rassat) : Séance 10 : La faute : p. 52 Exercice – Dissertation : La hiérarchie des fautes pénales Séance 11 : La participation à l’infraction : p. 58 Exercice. – Cas pratique

    Bibliographie :

    Pour un approfondissement du cours : E. Dreyer, Droit pénal général : LexisNexis, 5e éd., 2019.

    Pour enrichir la discussion en Travaux Dirigés : Y. Mayaud, Droit pénal général : PUF, 6e éd., 2018

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    DROIT PENAL GENERAL (enseignement d’Emmanuel Dreyer, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne – UP1)

    Séance 1 : Introduction

    Programme :

    - définition du droit pénal - différentes branches du droit pénal - rapports du droit pénal et des autres branches du droit - rapports du droit pénal et de la morale

    Exercice- dissertation : Qu’est-ce qu’une infraction ?

    _________________________

    DOCUMENTS

    1°/ J. Ortolan, Éléments de droit pénal : Libr. Plon, 5e éd., 1886, par A. Desjardins, t. 1, p. 358 :

    « Les actes de préparation ou d'exécution seront, pour la plupart, des variétés de la fraude ou de la

    violence… La fraude, autrement dite le dol, qui doit être entendue ici suivant la définition qu'en donnait Labéon en droit civil romain, c'est-à-dire toute ruse, toute supercherie, toute machination, tout mensonge ou artifice coupable employé pour induire en erreur, et au moyen de cette erreur pour préparer, pour faciliter ou pour accomplir l'exécution du délit… La violence, qui comprend ici, dans sa généralité, tout emploi illégitime de la force : soit dirigée contre des objets ou des obstacles matériels; soit dirigée contre des personnes, auquel cas les actes de violence sont fréquemment nommés en langage usuel voies de fait ; soit seulement en paroles, par l'effet d'intimidation ou de crainte que peuvent produire les menaces »

    2°/ J.-P. Jean, Le système pénal : La Découverte, coll. « Repères », 2008, p. 6 et s. :

    « La notion d'incivilité recouvre un ensemble de comportements qui perturbent la vie sociale. Ce terme d'origine anglosaxonne est ancien en criminologie, conceptualisé par le sociologue Erving Goffman, mais utilisé en France seulement depuis les années 1990. On désigne sous ce concept des désordres sociaux engendrant un trouble anormal à la tranquillité publique, marquant une rupture des codes élémentaires de la vie en société [Roché, 2002; Peyrat, 2005]. Ces comportements sont d'une grande hétérogénéité: crachats, détériorations, dégradations, façon de s'adresser à la limite de l'insulte, perturbation de réunions, gêne, souillures, nuisances sonores ... La réaction d'un parent, d'un voisin, d'un témoin devrait suffire à y mettre fin, pour que soient respectées les normes minimales du vivre-ensemble.

    (…) Mais beaucoup d'incivilités constituent en fait des petites infractions auxquelles aucune réponse pénale n'est

    donnée. Ainsi, fumer ou jeter des déchets dans un lieu interdit, insulter une autre personne constituent une contravention. Le fait de passer devant tout le monde à un guichet est une incivilité, tout comme cracher aux pieds de quelqu'un en le croisant. Inonder ses voisins de décibels peut être une incivilité le jour et une infraction la nuit. Le fait que des comportements gênants soient devenus des infractions pénales constitue un signe de la dégradation des rapports sociaux, par l'impossibilité d'y mettre fin sans l'intervention de l'appareil répressif. La loi du 18 mars 2003 a ainsi érigé nombre d'incivilités en délits passibles de peines d'emprisonnement permettant notamment le placement immédiat en garde à vue des personnes contrôlées: attroupements dans les halls d'immeuble, installation sur un terrain sans autorisation, outrage à l'hymne national ou au drapeau tricolore, racolage passif »

    3°/ Code de commerce, article L. 743-9 :

    « Le greffier suspendu, interdit ou destitué s'abstient de tout acte professionnel. Les actes accomplis au mépris de cette prohibition peuvent être déclarés nuls, à la requête de tout intéressé ou du procureur de la République, par le tribunal de grande instance. La décision est exécutoire à l'égard de toute personne.

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    Toute infraction aux dispositions du premier alinéa est punie des peines prévues à l'article 433-17 du code pénal »

    4°/ E. Garçon, Code pénal annoté : Soc. Rec. gén. Lois et arrêts, t. 1, 1901-1906, art. 1, n°1, p. 1 :

    « On appelle infraction pénale tout fait prévu et puni par la loi d'une peine proprement dite »

    5°/ Cass. crim., 12 janv. 1983 : Bull. crim., n°15 :

    « Vu l’article 4 du Code pénal ; Attendu que les juges répressifs ne peuvent prononcer une condamnation contre un prévenu que si le fait

    poursuivi constitue une infraction punissable ; Attendu qu’il appert du jugement attaqué que D a été poursuivi devant le tribunal de police de Saint-Quentin

    et condamné par cette juridiction pour avoir exploité une voiture de petite remise comportant des signes distinctifs de caractère commercial, concernant son activité de petite remise, visibles de l’extérieur en application des articles 1er de la loi du 3 janv. 1977 et R. 26-15° du Code pénal ;

    Mais attendu qu’en statuant ainsi, le tribunal a méconnu le texte et le principe ci-dessus visé ; que d’une part l’infraction relevée à l’encontre du prévenu n’est pas sanctionnée pénalement par la loi du 3 janvier 1977, ni même d’ailleurs par le décret du 29 nov. 1977 portant application de cette loi ; que d’autre part l’article R. 26-15° du Code pénal punit uniquement ceux qui auront contrevenu aux décrets et arrêtés légalement faits par l’autorité administrative ou aux arrêtés publiés par l’autorité municipale ; qu’il ne pouvait être fait application de ce texte à une infraction à des dispositions législatives ; Que dès lors la cassation est encourue de ce chef »

    6°/ J.-H. Robert, Droit pénal général : Puf, coll. « Thémis », 6e éd., 2005, p. 103 :

    « L’incrimination est la description, par une norme juridique, d’un comportement dont la réalisation fait encourir une peine principale. Le mot ‘incrimination’ ainsi défini appartient au langage de la doctrine, non à celui du législateur qui emploie de préférence le substantif ‘infraction’… L’incrimination, c’est donc l’infraction décrite ; et le mot ‘infraction’ s’applique au comportement du délinquant, quand il coïncide avec la description légale »

    7°/ A. Decocq, Droit pénal général : A. Colin, 1971, p. 59 :

    « L’incrimination repose, en principe, sur l’infraction. Dans des hypothèses exceptionnelles, qui se situent à la frontière du droit pénal, elle est indépendante de toute infraction et fondée sur l’état dangereux »

    8°/ Cass. crim., 31 mars 2009 : Dr. pén. 2009, comm. 77, obs. M. Véron :

    « Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que l'association "Générations Mémoire Harkis" et Mohamed X... ont fait citer directement devant le tribunal correctionnel pour diffamation raciale, sur le fondement des articles 29 et 32, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 et de l'article 5 de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des français rapatriés, Messaoud Y..., Claude-Alice Z..., et Alice A..., respectivement auteur, metteur en scène et représentante légale de la société éditrice de la pièce de théâtre intitulée "Le nom du père", en articulant que plusieurs passages de cette oeuvre contenaient l'imputation ou l'allégation de faits portant atteinte à l'honneur et à la considération d'un groupe de français musulmans en raison de leur qualité vraie ou supposée de harkis ; que les premiers juges ont relaxé les prévenus et débouté les parties civiles de leurs demandes ;

    Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, sur le seul appel des parties civiles, l'arrêt énonce que l'article 5 de la loi du 23 février 2005, qui ne comporte ni incrimination ni sanction, interdit toute injure ou diffamation envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki, d'anciens membres des formations supplétives ou assimilées, et que ce texte se borne à préciser que "I'Etat assure le respect de ce principe dans le cadre de lois en vigueur" ; que les juges ajoutent que les propos incriminés, à les supposer diffamatoires, fustigent les harkis en raison, non de leur origine religieuse ou ethnique, mais de leur choix politique au moment de la guerre d'Algérie, et qu'en conséquence, les dispositions de l'article 32, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 n'ont pas vocation à s'appliquer ;

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    Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel, qui a exactement apprécié le sens et la portée des écrits incriminés, a justifié sa décision, dès lors que, d'une part, ni les harkis ni les descendants de harkis ne constituent un groupe de personnes entrant dans l'une des catégories limitativement énumérées par l'article 32, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 et que, d'autre part, l'interdiction de toute diffamation envers les harkis posée par l'article 5 de la loi du 23 février 2005 n'est assortie d'aucune sanction pénale ; D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli »

    9°/ Cass. crim., 7 avril 1999 : Bull. crim., n°70 :

    « Vu l'article L. 162-15 du Code de la santé publique; Attendu que caractérise notamment le délit prévu par ce texte le fait d'empêcher ou de tenter d'empêcher

    une interruption volontaire de grossesse en perturbant l'accès à l'établissement d'hospitalisation ou la libre circulation des personnes à l'intérieur de ces établissements;

    Attendu qu'il résulte de l'arrêt infirmatif attaqué que 7 personnes se sont introduites, avant 8 heures, dans le service d'orthogénie du centre hospitalier d'Annecy et ont occupé la salle d'opération affectée aux interruptions volontaires de grossesse en s'attachant entre elles par les chevilles et par le cou à l'aide d'antivols de motocyclette; que le local n'a pu être libéré que quelques heures plus tard et que les 4 interventions prévues dans la matinée ont été reportées à une date ultérieure; que les membres du groupe sont poursuivis pour tentative d'entrave à interruption volontaire de grossesse;

    Attendu que, pour relaxer les prévenus, les juges d'appel énoncent que l'interruption volontaire de grossesse n'est autorisée par la loi que dans les conditions qu'elle détermine; que seule peut être qualifiée d'interruption volontaire de grossesse au sens de l'article L. 162-15, l'intervention répondant aux prescriptions légales et que, dès lors, les faits d'entrave ne sont pas sanctionnés lorsque l'intervention est irrégulièrement pratiquée; Que les juges relèvent qu'à l'époque des faits, le dossier guide remis aux patientes, en application de l'article L. 162-3 du Code précité, lors de la première visite médicale précédant l'intervention, n'avait pas été mis à jour depuis moins d'une année, en méconnaissance des prescriptions de ce texte; que les informations que devait comporter le dossier quant aux droits, aides et avantages garantis par la loi aux mères et aux familles se trouvaient périmées; qu'ils en déduisent que les formalités préalables à l'intervention n'ont pas été respectées et que, dès lors, les prévenus n'ont pas tenté d'empêcher une interruption volontaire de grossesse;

    Mais attendu qu'en se déterminant de la sorte, alors que la preuve du respect des exigences des articles L. 162-1 et suivants du Code de la santé publique n'est pas une condition du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse, l'arrêt attaqué a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé; D'où il suit que la cassation est encourue »

    10°/ Cass. crim., 2 juill. 1987 : Bull. crim., n°279 :

    « Attendu que les questions relatives aux circonstances aggravantes doivent en énoncer tous les éléments constitutifs;

    Attendu qu'il résulte de la déclaration de la Cour et du jury que Hubert a été déclaré coupable d'une arrestation et d'une séquestration illégales avec prise d'otage, de plusieurs pénétrations sexuelles commises sur la même personne et de vol avec arme;

    Mais attendu que les questions n°2 et n°4, exactement reproduites au moyen, ne caractérisent pas la circonstance aggravante de prise d'otage prévue par l'article 343 du Code pénal, dès lors que lesdites questions se réfèrent à un crime dont ni la nature ni les éléments constitutifs ne sont précisés »

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    DROIT PENAL GENERAL (enseignement d’Emmanuel Dreyer, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne – UP1)

    Séance 2 : Caractères du droit pénal

    Programme :

    - fonctions du droit pénal - caractères subsidiaire et discontinu du droit pénal - caractère normatif (interrogation) : sanctionnateur ou déterminateur ? - exception contraventionnelle (infractions de police) - remise en cause (inflation législative et interprétation judiciaire extensive) - développement d’une « matière pénale » (droit administratif répressif, dommages-intérêts punitifs, etc.)

    Exercice- Commentez les deux passages suivants, issus du Discours préliminaire sur le projet de Code civil présenté le 1er pluviôse an IX, par J.-E.-M. Portalis (texte reproduit notamment en tête de l’ouvrage : Le Discours et le Code, Litec, 2004, p. XXVII et p. XXX) :

    « Les matières criminelles, qui ne roulent que sur certaines actions, sont circonscrites ; les matières civiles ne le sont pas. Elles embrassent indéfiniment toutes les actions et tous les intérêts compliqués et variables qui peuvent devenir un objet de litige entre les hommes vivants en société. Conséquemment, les matières criminelles peuvent devenir l’objet d’une prévoyance dont les matières civiles ne sont pas susceptibles ».

    « Les lois pénales ou criminelles sont moins une espèce particulière de lois que la sanction de toutes les autres. Elles ne règlent pas, à proprement parler, les rapports des hommes entre eux, mais ceux de chaque homme avec les lois qui veillent pour tous ».

    _________________________

    DOCUMENTS

    1°/ J.-J. Rousseau, Du contrat social (Livre II, Chapitre XII : « Division des lois ») : Garnier-Flammarion, 1966, p. 90 :

    « On peut considérer une troisième sorte de relation entre l’homme et la loi, savoir celle de la désobéissance

    à la peine, et celle-ci donne lieu à l’établissement des lois criminelles, qui dans le fond sont moins une espèce particulière de lois que la sanction de toutes les autres »

    2°/ J. Bentham, Traités de législation civile et pénale, par E. Dumont, 1830, 3e éd., Rey et Gravier éd., t. 3, p. 215 et s. :

    « Une loi civile est celle qui établit un droit. Une loi pénale est celle qui, en conséquence du droit établi par la loi civile, ordonne de punir de telle ou telle manière celui qui l'aurait violé. Ainsi la loi qui se bornerait à interdire le meurtre ne serait qu'une loi civile : la loi qui ordonne la peine de mort contre le meurtrier est la loi pénale (…) La première loi renferme point la seconde, mais la seconde renferme implicitement la première. Dire aux juges : Faites punir les voleurs, c'est intimer clairement la défense de voler. Dans ce sens, le code pénal pourrait suffire à tout. Mais la plupart des lois renferment des termes complexes qui ne peuvent être entendus qu'après beaucoup d'explications et de définitions. Il ne suffit pas de défendre le larcin en général, il faut exprimer ce que c'est que propriété et ce que c'est que larcin. Il faut que le législateur, entre autres choses, fasse deux catalogues, l'un contenant les évènements qui confèrent un droit à posséder telle ou telle chose, l'autre contenant les évènements qui détruisent ce droit. Ce sont ces matières explicatives qui appartiennent principalement au code civil : la partie impérative enveloppée dans les lois pénales constitue proprement le code pénal (…) Chaque loi civile forme un titre particulier qui doit enfin aboutir à une loi pénale. Chaque loi pénale est la suite, la continuation, la terminaison d'une loi civile »

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    3°/ J. Ortolan, Eléments de droit pénal : Libr. Plon, 5e éd., 1886, par A. Desjardins, t. 1, p. 8 et s. :

    « Le droit pénal constitue donc un dernier recours contre certaines violations du droit, qui intervient après que ces violations ont eu lieu, et qui, dans toutes les branches du droit, donne ainsi appui au précepte (…) Quelques jurisconsultes ont nommé droit déterminateur le droit proprement dit, ou le précepte, dans toute branche quelconque du droit; et droits sanctionnateurs, les trois autres parties, savoir: l'organisation des juridictions, la procédure et la pénalité »

    4°/ J.-A. Roux, Cours de droit criminel français : Sirey, t. 1n 2e éd., 1927, p. 14 :

    « Ce caractère [subsidiaire], le droit pénal le possède doublement. Il est subsidiaire d'abord dans le sens qui vient d'être indiqué. Sanction des autres droits, il ne peut pas les garantir avant leur établissement: la sanction doit nécessairement venir après la reconnaissance du droit à protéger. Toutefois, historiquement, lorsque le développement législatif du droit civil est entouré de difficultés, on rencontre quelquefois, comme en droit romain, une autre fonction du droit pénal, dans laquelle celui-ci sert, au moyen d'actions délictuelles, à faire respecter des rapports juridiques, qui ne sont pas encore munis d'actions civiles. Le droit pénal est subsidiaire en ce sens encore, qu'à cause de leur rigueur, les sanctions pénales ne doivent intervenir que lorsqu'elles sont « strictement et évidemment nécessaires », c'est-à-dire devant l'insuffisance démontrée des autres sanctions, civiles ou administratives, à protéger le droit. C'est en se plaçant à ce second point de vue, que l'on a prétendu que l'histoire du droit pénal était une perpétuelle abrogation, les progrès de la morale et de la moralisation des mœurs rendant suffisant l'emploi de sanctions non pénales (Summer Maine). Mais, cette opinion, qui repose simplement sur l'importance relative des lois pénales et des lois civiles, naturellement peu abondantes dans les sociétés antiques, ne parait pas fondée. Il est au contraire plus exact de penser, que la morale publique, en devenant plus exigeante, et le protectionnisme étatique, en progressant, ont fait établir un grand nombre de prescriptions nouvelles, dont la violation a été sanctionnée au moyen de peines. Le domaine du droit pénal s'est amplifié plutôt que rétréci, du moins quant aux infractions de moyenne ou faible gravité. S'il s'est réduit, c'est par le haut, pour les infractions très graves : ce qui permet de dire que l'histoire du droit pénal est, non pas une perpétuelle abrogation, mais une continuelle atténuation de sévérité »

    5°/ R. Legros, « Considérations sur les lacunes et l’interprétation en Droit pénal » : Revue de droit pénal et de criminologie, oct. 1966, p. 4 :

    « Des lacunes objectives n’existent pas en droit. Singulièrement en droit pénal. Tout ce qui n’est pas sanctionné est juridiquement permis. Non omne quod licet honestum est, licet tamen. Sauf exceptions légales, il y a plénitude de droit de la liberté. Deux domaines fermés, séparés, complémentaires : celui de la loi contraignante et celui de la liberté ; l’acte qui ne rentre pas dans l’un rentre nécessairement dans l’autre. Cette grande loi de liberté, ce n’est pas un postulat. Elle est affirmée par la loi positive (…)Constater que la loi ne punit pas, ou même que le doute existe quant à l’application de la loi, c’est constater non pas une lacune mais l’autorisation, la permission de la loi »

    6°/ R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, t. 1 : Problèmes généraux de la science criminelle, droit pénal général, Ed. Cujas, 7e éd., 1997, p. 218 et s. :

    « Aux yeux des auteurs du XIXe siècle, pénétrés du caractère purement subsidiaire de la norme pénale, la subordination du droit criminel aux disciplines dont il sanctionne l’application ne faisait aucun doute. On concevait difficilement à cette époque que les juridictions répressives pussent faire preuve d’indépendance à l’égard des règles de fond du droit public ou du droit privé qu’elles sont chargées de faire respecter (…) Tant que, sous l’influence de la doctrine classique, le concept abstrait d’infraction a dominé le droit pénal, les criminalistes ont raisonné comme les civilistes. L’infraction était considérée comme un fait juridique qui ne différait des autres faits juridiques que par ses conséquences ; et ces conséquences apparaissaient elles-mêmes comme le prolongement exceptionnel des incidences normales définies par les disciplines de fond sanctionnées par le droit criminel. Autrement dit, l’infraction n’était aux yeux des pénalistes qu’une violation particulièrement grave de la loi civile lato sensu. Cette loi civile commandait donc en définitive la répression : la condamnation ne pouvait intervenir que dans la mesure où le droit civil, le droit commercial, le droit administratif… le permettait dans chaque cas (…) Le positivisme et les mouvements d’idées postérieures à l’Ecole positiviste devaient fatalement entraîner le déclin de cette discipline civiliste… Il est plus clairement

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    apparu que le droit pénal n’intervient pas essentiellement pour sanctionner l’irrégularité d’une opération juridique, mais qu’il a pour mission fondamentale de protéger la Société à l’occasion des manifestations morbides de la ‘volonté pénale’ et de l’ ‘état dangereux’ de certains citoyens. On a vu, dans le délinquant, le violateur de la loi pénale beaucoup plus que l’utilisateur indiscipliné des institutions du droit privé ou du droit public : un sujet de criminologie bien plus qu’un banal sujet de droit. Aussi, comprend-on que les tribunaux répressifs aient tendance à se détacher des directives des disciplines qui définissent les droits violés par l’infraction et les conditions de leur violation. Glissant du terrain objectif du délit sur le terrain subjectif de l’intention criminelle, ils sondent les reins et les cœurs et sanctionnent la mauvaise intention ou la fraude délibérée même si, au regard du droit privé ou du droit public, l’acte juridique qui lui a donné l’occasion de se manifester est correct ou dépourvu d’effets (…) La conception du XIXe siècle contient une part de vérité : dans la mesure où le droit criminel est sanctionnateur, le juge pénal ne peut, sous peine de s’ériger en législateur, méconnaître ou dénaturer les lois civiles qu’il est appelé à sanctionner »

    7°/ Y. Mayaud, « Le droit pénal dans ses rapports avec les autres branches du droit », in Droit pénal et autres branches du droit : Cujas, 2012, p. 481 :

    « Il est des obligations qui ne sont pas autrement définies que de manière tacite. Le Code pénal les contient pour la plupart, telle l'obligation de respecter la vie ou l'intégrité physique d'autrui, l'obligation de secourir toute personne en danger, l'obligation de ne pas mentir dans des circonstances particulières ... Ce sont là des règles élémentaires de conduite, mais qui n'en exigent pas moins d'être juridiquement consacrées, faute de l'être par des affirmations fermes ou suffisantes en ce sens, le droit pénal en révèle l'existence à sa manière, par un raisonnement inductif fort logique, tiré de la relation nécessaire entre peines et obligations. La peine étant la sanction d'obligations, l'incrimination ne peut que traduire leur présence nécessaire. Ainsi de l'homicide, de la non-assistance à personne en péril, de l'escroquerie, du faux en écriture, du faux témoignage..., qui renvoient à des impératifs favorables à la vie, à la sécurité, ou à la vérité. La sanction pénale n'est donc pas seulement un adossement à des obligations trouvant leur origine dans des disciplines non pénales. Elle est encore l'expression de données que seul le droit pénal contient, ce qui fait de lui une matière normative de premier plan »

    8°/ F. von Liszt, Traité de droit pénal allemand, Giard et Brière éd., 1911, 17e éd. traduite par R. Lobstein, p. 100 : « Cependant dans toutes ses formes, et malgré sa nature propre, le droit pénal est un droit, c'est-à-dire une

    protection d'intérêts. Ce n'est pas la nature des intérêts protégés, lesquels peuvent appartenir aux domaines les plus divers du droit, mais la nature propre de la protection qui constitue l'essence du droit pénal… Tous les intérêts sans exception peuvent bénéficier de la protection renforcée produite par la peine. Dans toutes les branches du droit le droit pénal intervient comme complément et comme élément de sécurité (nature secondaire, complémentaire, sanctionnable des prescriptions du droit pénal) »

    9°/ Cass. crim., 20 juin 1984 : Bull. crim., n°233 :

    « Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement dont il adopte les motifs non contraires que l'Union de crédit pour le bâtiment a consenti à Thérèse Guerreiro, par l'intermédiaire de Corazza, gérant de la société Roanne Matériaux Service et après présentation d'un devis par ce dernier, un prêt de 50 000 francs destiné au financement de travaux immobiliers, qui ont été exécutés en partie par ladite société; que Corazza qui, avant l'obtention des fonds, avait convenu avec Thérèse Guerreiro d'affecter ceux-ci, à concurrence de 38 000 francs, au paiement d'un mobilier de salle à manger qu'elle-même avait déjà commandé aux établissements Meubles Frappa, a disposé de cette somme au profit de Roanne Matériaux Service;

    Attendu que, pour déclarer Corazza coupable d'abus de confiance et le condamner à réparer les conséquences dommageables de ce délit, les juges constatent qu'après avoir accepté de devenir personnellement le mandataire de sa cliente, le prévenu a détourné l'argent mis à sa disposition de l'usage qu'il devait en faire;

    Attendu qu'en statuant ainsi, la Cour d'appel n'a nullement encouru les griefs allégués au moyen; qu'elle n'était pas tenue, en effet, de se prononcer sur la prétendue illicéité de la cause du contrat en vertu duquel Corazza avait reçu la somme détournée, dès lors que le prévenu ne pouvait trouver un motif d'impunité dans le vice de la convention qu'il avait violée au détriment de la propriétaire des fonds et que la responsabilité de celui-ci à l'égard de la partie civile résultait, non de l'inexécution de l'obligation contractuelle, mais de la commission de l'infraction; Que, dès lors, le moyen proposé ne saurait être accueilli »

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    10°/ Cass. crim., 28 juin 1988 : Bull. crim., n°295 :

    « Attendu, d'une part qu'un syndicat qui n'a pas effectué le dépôt de ses statuts conformément aux dispositions des articles L. 411-3 et R. 411-1 du Code du travail, ne jouit pas des droits reconnus aux syndicats ; que par suite, les obstacles opposés à son action ne sont pas de nature à constituer le délit d'entrave à l'exercice du droit syndical défini par la loi ;

    Attendu, d'autre part, que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ; Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué devant la cour d'appel, que saisie des poursuites exercées notamment

    contre X..., Y... et Z..., respectivement président, responsable des affaires sociales et directeur du personnel de la société UNISABI, pour avoir, en 1984, procédé sans autorisation administrative au licenciement de Norma A..., salariée de l'entreprise qui avait été désignée comme déléguée syndicale par le syndicat " CGT-UNISABI " le 28 novembre 1978, les prévenus ont sollicité leur relaxe en faisant valoir que le syndicat en cause n'avait pas déposé ses statuts en mairie comme l'exigeaient les dispositions des articles L. 411-3 et R. 411-1 du Code du travail et qu'en conséquence aucune autorisation n'était nécessaire pour le licenciement de la salariée, qui n'avait pu être valablement désignée comme déléguée syndicale ;

    Attendu que pour écarter cette argumentation et dire la prévention d'entrave à l'exercice du droit syndical établie, la cour d'appel relève qu'il ressort du jugement entrepris que la société UNISABI n'a pas contesté la désignation intervenue, dont elle avait eu connaissance, dans le délai de 15 jours prévu par l'article L. 412-13 ancien du Code du travail, applicable à l'époque des faits ; qu'elle ajoute que s'il est exact, comme le soutiennent les prévenus, que les statuts du syndicat " CGT-UNISABI " n'ont pas été déposés en mairie, il est en revanche établi qu'entre 1978 et 1984, Norma A... a réellement eu une activité syndicale et qu'il en résulte que la salariée, tant que sa désignation n'était pas contestée, ne pouvait faire l'objet d'un licenciement sans autorisation de l'inspecteur du Travail ;

    Attendu qu'en cet état, alors que l'exception présentée, fondée sur un fait non contesté, enlevait aux agissements poursuivis leur caractère punissable sans que puissent lui être opposés les effets de la forclusion prévue par l'ancien article L. 412-13 du Code du travail, les juges du second degré, qui n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations tenant au défaut de dépôt des statuts du syndicat concerné, ont méconnu les principes susvisés ; Qu'il s'ensuit que la cassation est encourue »

    11°/ Cass. crim., 30 oct. 2006 : Dr.pén. 2007, comm. 7, obs. M. Véron :

    Vu l'article 226-4 du code pénal ; Attendu que l'article susvisé, qui réprime le fait de s'introduire ou de se maintenir au domicile d'autrui, n'a

    pas pour objet de garantir d'une manière générale les propriétés immobilières contre une usurpation ; Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de violation de domicile, l'arrêt retient qu'expulsé de la

    roulotte où il habitait, à la suite d'un commandement de quitter les lieux qui lui a été régulièrement signifié par la SCI de la Blaque-Guirand, il a, dès le lendemain de l'expulsion, réintégré les lieux, et s'est donc introduit sans droit ni titre sur l'ensemble des terrains appartenant à ladite société ;

    Mais attendu qu'en l'état de ces motifs, d'où il résulte que la SCI de la Blaque Guirand n'avait jamais occupé le bien immobilier, lequel ne constituait pas un domicile au sens de l'article 226-4 du code pénal, la cour d'appel a méconnu le principe ci-dessus énoncé »

    12°/ Cass. crim. 24 mars 2010 : Dr. pén. 2010 : comm. n°70, obs. J.-H. Robert :

    « Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Marie-Claude X..., exploitant en nom personnel un café restaurant, a été mise en redressement judiciaire, par un jugement du 21 juillet 2006, confirmé en appel par décision du 15 janvier 2008 ; que cette procédure a été convertie en procédure de liquidation judiciaire par un arrêt confirmatif du 11 décembre 2007 ; que la demanderesse a formé un pourvoi contre ces deux arrêts ; que, parallèlement, elle a été poursuivie du chef de banqueroute par détournement ou dissimulation d'actifs ;

    Attendu que, pour déclarer la prévenue coupable de ce chef, l'arrêt relève que celle-ci a poursuivi son activité postérieurement au jugement de liquidation judiciaire, en dépit des injonctions du liquidateur et s'est opposée à la tenue d'un inventaire de ses biens ; que les juges ajoutent qu'il importe peu que les pourvois formés par la demanderesse soient pendants devant la cour de cassation dès lors que la procédure collective était exécutoire au moment des détournements ;

    Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors que l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire n'est qu'une condition préalable à l'exercice de l'action publique, la cour d'appel qui a

  • 9

    caractérisé en tous ses éléments, tant matériel qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré la prévenue coupable, a justifié sa décision »

    13°/ Cass. crim., 30 oct. 2012 : Bull. crim., n°234 ; Gaz.Pal., 8-9 fév. 2013, p. 36, obs. St. Detraz :

    « Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. X... a été poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef de vol pour avoir, en juin et juillet 2006, frauduleusement soustrait des biens meubles qui constituaient l'actif de la société New palace dont il avait été le gérant et qui, après la mise en liquidation judiciaire de la société, avaient été vendus à la SCI SA Au carré par le liquidateur désigné par le tribunal de commerce ; que le tribunal a déclaré la prévention établie ;

    Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris sur la culpabilité et écarter l'argumentation du prévenu qui sollicitait sa relaxe en soutenant que les meubles litigieux n'étaient pas inclus dans l'actif de la société liquidée dès lors qu'il les avait acquis à titre personnel et en avait fait donation à ses enfants le 24 octobre 2003, avant l'ouverture de la procédure collective, l'arrêt retient que, depuis la décision de la cour d'appel d'Orléans, en date du 21 juillet 2005, qui a étendu la liquidation judiciaire à sa personne et aux sociétés dont il était le gérant, M. X... ne peut se prévaloir d'aucun droit pour disposer des biens ayant pu lui appartenir, et que, par ailleurs, les donations qu'il invoque ont été effectuées au cours de la période suspecte, la date de cessation des paiements ayant été fixée au 14 avril 2003, et portent sur des biens correspondant à des détournements ou dissimulations d'actifs ayant entraîné sa condamnation du chef de banqueroute, le 13 novembre 2008, par le tribunal correctionnel de Tours ;

    Attendu qu'en l'état de ces énonciations et constatations, dont il résulte que ce n'est que par l'effet d'opérations frauduleuses que M. X... était devenu fictivement propriétaire de biens appartenant en réalité à une société en liquidation judiciaire et avait procédé à leur donation, ce dont il s'évinçait que les conventions qu'il invoquait, viciées par la fraude, étaient nulles et n'avaient pu lui conférer aucun droit, la cour d'appel a justifié sa décision de déclarer le prévenu coupable ; D'où il suit que le moyen doit être écarté »

    14°/ Cass. crim., 12 juin 2013 : Dr. pén. 2013, comm. 155, obs. J.-H. Robert :

    « Vu l'article 384 du code de procédure pénale ; Attendu que, selon ce texte, le tribunal saisi de l'action publique est compétent pour statuer sur toutes

    exceptions proposées par le prévenu pour sa défense, à moins que la loi n'en dispose autrement, ou que le prévenu n'excipe d'un droit réel immobilier ;

    Attendu qu'il résulte du jugement attaqué et des pièces de procédure que, le 16 août 2011, le maire de la commune de Lepuix-Gy a fait injonction à M. et Mme Y...de rétablir la circulation sur un sentier rural dans un délai de quatorze jours à compter de la notification de l'arrêté municipal ; que, les mesures prescrites par cet arrêté n'ayant pas été respectées, M. Y...a été poursuivi du chef de violation d'une interdiction ou manquement à une obligation édictée par décret ou arrêté de police pour assurer la tranquillité, la sécurité ou la salubrité publique ; que, devant la juridiction de proximité, il a soulevé in limine litis une exception d'illégalité de l'arrêté municipal, prise de ce que le sentier ne serait pas un chemin rural appartenant à la commune mais un sentier traversant sa propriété et lui appartenant ;

    Attendu que, pour écarter l'exception d'illégalité de l'arrêté municipal, le jugement retient que les éléments de l'espèce permettent de retenir une présomption d'affectation à l'usage du public du sentier ; que le juge ajoute que le propriétaire qui revendique la propriété d'un chemin affecté à l'usage du public doit renverser la présomption d'appartenance de ce chemin à la commune, au moyen d'un titre de propriété ou en prouvant des faits propres à établir l'usucapion trentenaire ; que tel n'est pas le cas, en l'espèce, le prévenu n'ayant opposé des obstacles à la circulation du public qu'en 2007 et le titre de propriété versé aux débats ne comportant aucune mention particulière relative à l'assiette du chemin litigieux ;

    Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'en présentant une exception d'illégalité de l'arrêté municipal, le prévenu avait soulevé une question préjudicielle relative à un droit immobilier, qui s'appuyait sur des titres de nature à donner un fondement à sa prétention, et que, dès lors, le juge devait lui impartir un délai pour saisir le juge civil, conformément aux dispositions de l'article 386 du code de procédure pénale, la juridiction de proximité a violé le texte susvisé et méconnu le principe ci-dessus rappelé ; D'où il suit que la cassation est encourue »

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    DROIT PENAL GENERAL (enseignement d’Emmanuel Dreyer, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne – UP1)

    Séance 3 : Le principe de légalité

    Programme :

    - Légalité des délits et des peines, légalité de la procédure : affirmations et justifications - Distinction légalité formelle/matérielle - Corolaires : qualité, accessibilité - Application stricte et interprétation restrictive - Jurisprudences constitutionnelle et européennes

    Exercice – Commentez l’arrêt suivant (Cour EDH, 5e section, 6 oct. 2011, Soros c/ France, req. no50425/06. – extraits) :

    EN FAIT I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE 1. Le requérant est né en 1930 et réside à New York. 2. Le requérant fonda en 1988 la société Q.F., un important fonds d’investissement intervenant sur les marchés

    boursiers américains, européens et asiatiques. Le 12 septembre 1988, le requérant tint une réunion à New York avec plusieurs investisseurs. A l’issue de celle-ci, un banquier suisse, M., demanda au requérant s’il souhaitait rencontrer P. qui envisageait, avec d’autres investisseurs, d’acquérir des titres d’une grande banque française, S., afin d’en prendre le contrôle.

    3. Le requérant mandata l’un de ses conseillers, T., afin d’étudier cette proposition. Le 14 septembre 1988, T. rencontra B., une collaboratrice de P., ainsi que P. lui-même, qui lui présentèrent le projet envisagé sous ses différentes branches et les objectifs poursuivis par P., à savoir l’acquisition de 35 % des parts de la banque S. Il fut précisé à T. que cette opération avait reçu l’appui du gouvernement. Aucune lettre de confidentialité de ce projet ne fut signée entre les participants à cette réunion, bien que le projet n’ait pas été porté à la connaissance du grand public. A l’occasion de contacts qui se poursuivirent pendant une dizaine de jours, T. reçut par télécopie des projets d’accord de la part de B. Le requérant décida cependant de ne pas participer à la prise de contrôle de la banque S. car les explications données quant à la stratégie d’investissement et la gestion ultérieure de la banque étaient vagues et le projet manquait, selon lui, de sérieux.

    4. Le 19 septembre 1988, après avoir refusé l’offre de P., le requérant décida de faire acquérir par sa société Q.F. un bouquet d’actions de quatre sociétés françaises récemment privatisées, dont la banque S., pour un montant global de 50 millions de dollars. Il laissa à ses traders le soin de déterminer le lieu d’achat et les proportions entre les sociétés. Ainsi, Q.F. acquit, entre le 22 septembre et le 17 octobre 1988, 160 000 actions de la banque S. pour un montant de 11,4 millions de dollars. Sur cette somme, 7 millions de dollars furent investis sur le marché français et 4,4 sur le marché de la bourse de Londres.

    5. Entre le 19 et le 27 octobre 1988, c’est-à-dire quelques jours après les avoir acquises, la société Q.F. décida de vendre une partie des actions de la banque S., soit 95 000 d’entre elles. Les 65 000 restantes furent cédées un mois plus tard, le 21 novembre 1988. Q.F. réalisa un profit approximatif de 2,28 millions de dollars en achetant et en revendant rapidement ces actions, dont 1,1 million de dollars sur le marché français.

    6. La tentative de prise de contrôle de la banque fut révélée au grand public le 28 octobre 1988 par un article de presse. Elle échoua en raison d’une stratégie de défense de la banque.

    7. Le 1er février 1989, la Commission des opérations de bourse (COB) décida d’enquêter sur l’activité des titres de la banque S. entre le 1er juin et le 21 décembre 1988 afin d’examiner si certaines transactions étaient consécutives à un délit d’initié. L’enquête porta sur trois points distincts : le montage et les opérations effectuées par P., le comportement de plusieurs personnes physiques informées de l’opération projetée par P. ou susceptibles de l’avoir été, ainsi que le comportement de la banque S. elle-même.

    8. Au cours de son enquête, la COB interrogea par écrit le requérant et T. à propos du déroulement des faits litigieux. Le 31 juillet 1989, après que son enquête eut été achevée, la COB prit une délibération dont les passages pertinents concernant le comportement des personnes physiques informées de l’opération projetée par P., dont le requérant, se lisent comme suit :

    « (...) a. Il n’existe, en jurisprudence, aucun précédent applicable à des situations analogues, que le développement

    des pratiques et des structures financières rend de plus en plus fréquentes ;

  • 11

    b. Au regard de ces pratiques et de ces structures, l’actuelle rédaction de l’article 10-1 [de l’ordonnance no 67-833 du 28 septembre 1967], ne permet pas, à ses yeux, de tracer, avec certitude, une frontière précise entre le licite et l’illicite ;

    c. Il est donc indispensable que les dispositions de l’article 10-1 soient précisées, par toute voie appropriée pour ce faire, de manière à lever, pour l’avenir, toute ambiguïté en pareilles matières (...) »

    9. A l’issue de sa délibération, la COB, qui avait relevé certaines infractions, notamment un manquement de la banque S. dans ses obligations de déclaration de certaines transactions, décida de communiquer au parquet l’intégralité de son rapport d’enquête.

    10. Par un courrier du 5 septembre 1989, le parquet demanda de plus amples précisions à la COB sur la commission, par le requérant, d’un délit d’initié au sens de l’article 10-1 de l’ordonnance no 67-833 du 28 septembre 1967 alors applicable. Par un courrier du 12 septembre 1989, le président de la COB répondit comme suit :

    « Je ne puis ainsi que vous confirmer, que, s’agissant des opérations effectuées par quatre personnes physiques [dont le requérant], ayant expressément été invitées par [P.] à s’associer à la réalisation de son projet, la COB a estimé qu’en l’absence d’une règle écrite, d’un usage reconnu en jurisprudence ou d’une déontologie admise par la profession, dont la violation aurait été établie, le faisceau d’éléments apportés par l’enquête ne lui permettait pas, aux cas d’espèce, de tracer avec certitude une frontière précise entre le licite et l’illicite. »

    11. A cette époque, le ministre des Finances, M. Bérégovoy, prit des mesures dans le but d’apporter plus de lisibilité aux opérations boursières. Il créa notamment une commission de déontologie boursière chargée de préciser les limites entre les pratiques licites et illicites. Cette commission déposa son rapport le 10 janvier 1990 (paragraphes 33 et 34 ci-dessous).

    12. A l’issue des travaux de cette commission, le ministre des Finances prit un arrêté le 17 juillet 1990 portant homologation du règlement no 90/08 de la COB relatif à l’utilisation d’une information privilégiée (paragraphe 35 ci-dessous). Ce règlement visait à préciser les différentes catégories d’initiés ainsi que les comportements qui pouvaient leur être reprochés. Selon le requérant, l’adoption de ce texte serait consécutive à la présente affaire.

    13. Par ailleurs, le Conseil des Communautés européennes adopta une directive le 13 novembre 1989 destinée à préciser et à harmoniser au niveau des Etats membres les notions d’« information privilégiée » et d’« initié » (paragraphe 38 ci-dessous).

    14. Dans un courrier du 15 décembre 1989, le requérant répondit aux questions posées dans le cadre de l’enquête menée par la COB et tenta de justifier son investissement.

    15. Une procédure d’instruction fut ouverte en 1990 à l’encontre de plusieurs personnes, dont le requérant, suspectées d’avoir commis un délit d’initié en profitant d’une information privilégiée pour intervenir sur le marché boursier. Le requérant, ainsi que deux autres coïnculpés, fut renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris le 20 décembre 2000 pour avoir acquis des titres de la banque S. alors qu’il disposait, de par ses fonctions, d’une information privilégiée sur l’évolution de ces titres. L’ordonnance de renvoi se fondait notamment sur les déclarations de M. et de T.

    16. Devant le tribunal de grande instance de Paris, le requérant souleva une exception d’illégalité de la poursuite tirée du manque de prévisibilité de la loi applicable au délit d’initié. Il fit notamment valoir qu’il n’avait jamais entretenu de relations professionnelles avec la banque S. contrairement à ce qu’exigerait le libellé de l’article 10-1 de l’ordonnance du 28 septembre 1967.

    17. Sur le fond, il soutint que le projet de P. lui avait été présenté dans des termes très vagues, qu’à aucun moment il ne lui avait été précisé que ce projet était confidentiel et, qu’en conséquence, il n’avait jamais considéré avoir été détenteur d’une information privilégiée, sans quoi il se serait abstenu d’investir sur ce titre. Il estima qu’au vu de la rédaction de l’article 10-1 de l’ordonnance du 28 septembre 1967 son comportement ne pouvait être considéré comme répréhensible au moment où il avait passé les ordres d’achat.

    18. Dans son jugement du 20 décembre 2002, le tribunal rejeta l’exception d’irrecevabilité au motif que le délit d’initié, tel qu’il était défini à l’époque des faits, n’exigeait pas que les initiés secondaires (c’est-à-dire ceux qui, comme le requérant, ne font pas partie des dirigeants de la société émettrice, mais qui sont considérés comme ayant disposé d’informations privilégiées, à l’occasion de l’exercice de leur profession ou de leurs fonctions) aient été en relation professionnelle avec l’émetteur de titres. Selon le tribunal, il suffisait simplement que le requérant ait été amené, de par sa profession ou ses fonctions, à connaître l’information privilégiée pour être considéré comme un initié secondaire.

    19. Sur le fond, le tribunal considéra que « le requérant avait bien été informé sur la cible et les moyens pour mener à bien l’opération, l’ampleur de celle-ci, les investisseurs participants, les ramassages d’actions, ce qui expliquait les mouvements constatés sur le titre (...) ; le projet exposé, même s’il pouvait évoluer, n’était donc pas hypothétique et contenait suffisamment de précision pour que l’on puisse considérer que l’information donnée était privilégiée ».

    20. Le requérant fut déclaré coupable de délit d’initié et condamné à verser une amende délictuelle de 2,2 millions d’euros (EUR). Il interjeta appel de cette décision.

  • 12

    21. Le 22 décembre 2003, la Commission européenne adopta une directive no 2003/124/CE portant application d’une précédente directive (no 2003/6/CE) du Parlement européen relative notamment à la définition des informations privilégiées (paragraphes 39 et 40 ci-dessous).

    22. Par un arrêt rendu le 24 mars 2005, la cour d’appel de Paris reprit les mêmes arguments que le tribunal de grande instance et confirma le jugement dans toutes ses dispositions.

    23. Le pourvoi du requérant, fondé notamment sur l’impossibilité de savoir par avance que son comportement était répréhensible et sur la non-application rétroactive de la directive no 2003/6/CE, fut rejeté le 14 juin 2006 au motif que « la cour d’appel, procédant par une appréciation souveraine des faits de la cause et qui caractérisent en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit dont le prévenu a été déclaré coupable (...), a justifié sa décision ». En revanche la Cour de cassation considéra que les opérations d’acquisition de titres passées sur le marché boursier londonien ne pouvaient constituer un délit d’initié selon le droit français. Elle renvoya donc l’affaire devant la cour d’appel de Paris autrement composée pour qu’il soit statué à nouveau sur le montant de l’amende.

    24. Par un nouvel arrêt du 20 mars 2007, la cour d’appel de Paris condamna le requérant à payer une amende de 940 507,22 EUR pour l’acquisition des titres de la banque S. sur le seul marché de la bourse de Paris.

    II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS A. Le droit français 25. L’ordonnance no 67-833 du 28 septembre 1967 (dans sa version issue de la loi du 22 janvier 1988,

    applicable à l’époque des faits) se lit ainsi : Article 1 « Il est institué une Commission des opérations de bourse chargée de veiller à la protection de l’épargne investie

    en valeurs mobilières ou tous autres placements donnant lieu à appel public à l’épargne, à l’information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés de valeurs mobilières, de produits financiers cotés ou de contrats à terme négociables.

    (...) La commission perçoit sur les personnes publiques ou privées des redevances, dans la mesure où ces personnes

    physiques ou privées rendent nécessaire ou utile l’intervention de la commission ou dans la mesure où elles y trouvent leur intérêt. Un décret en Conseil d’Etat fixe les modalités d’application du présent alinéa. »

    Article 2 « La commission est composée d’un président nommé par décret en conseil des ministres et de quatre membres

    nommés par arrêté du ministre de l’économie et des finances pour une durée de quatre ans (...) » Article 3 « La commission s’assure que les publications prévues par les dispositions législatives ou réglementaires sont

    régulièrement effectuées par les sociétés dont les actions sont admises à la cote officielle des bourses de valeurs ou figurent au relevé quotidien des valeurs non admises à la cote.

    Elle vérifie les informations que fournissent aux actionnaires ou publient lesdites sociétés. Elle peut ordonner à ces sociétés de procéder à des publications rectificatives dans le cas où des inexactitudes

    ou des omissions auraient été relevées dans les documents publiés. La commission peut porter à la connaissance du public les observations qu’elle a été amenée à faire à une

    société ou les informations qu’elle estime nécessaires. » Article 4 « La commission est habilitée à recevoir de tout intéressé les réclamations, pétitions, plaintes qui entrent par

    leur objet dans sa compétence et à leur donner la suite qu’elles comportent (...) » Article 4-1 « Pour l’exécution de sa mission, la commission peut prendre des règlements concernant le fonctionnement

    des marchés placés sous son contrôle ou prescrivant des règles de pratique professionnelle qui s’imposent aux personnes faisant publiquement appel à l’épargne, ainsi qu’aux personnes qui, à raison de leur activité professionnelle, interviennent dans des opérations sur des titres placés par appel public à l’épargne ou assurent la gestion individuelle ou collective de portefeuilles de titres.

    (...) Ces règlements sont publiés au Journal officiel de la République française, après homologation par arrêté du

    ministre chargé de l’économie et des finances. » Article 4-2 « Lorsqu’une pratique contraire aux dispositions législatives ou réglementaires est de nature à porter atteinte

    aux droits des épargnants, le président de la commission peut demander en justice qu’il soit ordonné à la personne qui en est responsable de se conformer à ces dispositions, de mettre fin à l’irrégularité ou d’en supprimer les effets.

    (...)

  • 13

    Lorsque la pratique relevée est passible de sanctions pénales, la commission informe le procureur de la République de la mise en œuvre de la procédure devant le président du tribunal de grande instance de Paris. »

    Article 5 « [L]es agents [de la COB] peuvent également recueillir toutes informations utiles à l’exercice de leur mission

    auprès des tiers qui ont accompli des opérations pour le compte des émetteurs des valeurs, produits ou contrats sur lesquels porte l’enquête ou pour le compte des personnes intervenant sur les marchés placés sous le contrôle de la commission.

    La commission des opérations de bourse peut, après une délibération particulière, procéder ou faire procéder par ses agents à la convocation et à l’audition de toute personne susceptible de lui fournir des informations concernant les affaires dont elle est saisie (...) »

    Article 5A « Afin d’assurer l’exécution de sa mission, la commission des opérations de bourse peut, par une délibération

    particulière, charger des agents habilités de procéder à des enquêtes auprès des sociétés faisant appel public à l’épargne, des établissements de crédit et des intermédiaires en opérations de banque, des sociétés de bourse ainsi que des personnes qui, en raison de leur activité professionnelle, apportent leur concours à des opérations sur valeurs mobilières ou sur des produits financiers cotés ou sur des contrats à terme négociables ou assurent la gestion de portefeuilles de titres (...) »

    Article 10-1 (devenu aujourd’hui l’article L. 465-1 du code monétaire et financier)

    « Seront punies d’un emprisonnement de deux mois à deux ans et d’une amende de 6 000 à 5 millions de francs, dont le montant pourra être porté au-delà de ce chiffre jusqu’au quadruple du montant du profit éventuellement réalisé, sans que l’amende ne puisse être inférieure à ce même profit, ou de l’une de ces deux peines seulement, les personnes mentionnées à l’article 162-1 de la loi no 66-537 du 24 juillet 1966 modifiée sur les sociétés commerciales et les personnes disposant, à l’occasion de l’exercice de leur profession ou de leurs fonctions, d’informations privilégiées sur les perspectives ou la situation d’un émetteur de titres ou sur les perspectives d’évolution d’une valeur mobilière ou d’un contrat à terme négociable, qui auront réalisé, ou sciemment permis de réaliser, sur le marché, soit directement, soit par une personne interposée, une ou plusieurs opérations, avant que le public ait connaissance de ces informations.

    Dans le cas où les opérations auront été réalisées par une personne morale, les dirigeants de droit ou de fait de celle-ci seront pénalement responsables des infractions commises. »

    26. L’article 162-1 de la loi no 66-537 du 24 juillet 1966 est rédigé comme suit : « Le président, les directeurs généraux, les membres du directoire d’une société, les personnes physiques ou

    morales exerçant dans cette société les fonctions d’administrateur ou de membre du conseil de surveillance ainsi que les représentants permanents des personnes morales qui exercent ces fonctions sont tenus, dans les conditions déterminées par décret, de faire mettre sous la forme nominative ou de déposer les actions qui appartiennent à eux-mêmes ou à leurs enfants mineurs non émancipés et qui sont émises par la société elle-même, par ses filiales, par la société dont elle est la filiale ou par les autres filiales de cette dernière société, lorsque ces actions sont admises à la cote officielle des bourses de valeurs ou figurent au relevé quotidien des valeurs non admises à la cote. »

    27. Le rapport de la commission de déontologie boursière rendu public le 10 janvier 1990 contient les passages suivants à propos de la directive du 13 novembre 1989 du Conseil des Communautés européennes :

    « [Cette directive introduit] une nouvelle catégorie, celle des initiés secondaires, encore mal explicitée dans le droit français (...). Si certains considèrent que cette catégorie d’initiés pourrait être poursuivie en tant que « receleur » d’informations privilégiées, il n’existe actuellement aucune jurisprudence en France pour confirmer cette analyse. »

    28. Quant aux principes relatifs à l’utilisation et à la transmission d’informations privilégiées, le rapport poursuit ainsi :

    « Malgré les efforts conjoints et considérables du législateur et des juges, il existe encore des situations pour lesquelles ni le texte [de l’ordonnance du 28 septembre 1967], ni les dispositions de la directive européenne [du 13 novembre 1989], ni le contenu de la jurisprudence ne permettent de caractériser a priori l’illégalité de certains comportements alors que les professionnels peuvent être confrontés à des situations dans lesquelles ils ont besoin d’indications claires et préalables pour exercer leur métier dans de bonnes conditions.

    A cet effet, la commission (...) s’est attachée à clarifier cette difficulté d’interprétation des dispositions existantes en dégageant des principes pouvant servir à la fois de guide de bonne conduite pour les professionnels, de fondement aux règlements des autorités, de critère d’appréciation de ces comportements par les instances chargées de les contrôler ou de les sanctionner.

    (...) Principe no 3 : Est répréhensible la transmission ou l’utilisation d’une information privilégiée à des fins autres ou pour une

    activité autre que celles à raison desquelles elle a été communiquée (...).

  • 14

    Une très grande variété de professionnels sont amenés, dans le cadre de leur activité, à bénéficier d’informations privilégiées sur une entreprise : intermédiaires financiers, investisseurs institutionnels, prestataires de service (...).

    Ces personnes ont, à raison même de leur détention d’information privilégiée, [l’obligation de respecter] le principe no 3.

    (...) Une autre situation est celle des professionnels (investisseurs, banquiers par exemple) sollicités pour participer

    à un projet commun susceptibles d’entraîner des variations importantes dans le prix d’un titre (...). Si une information est recueillie, [ces professionnels] ne peuvent l’utiliser à d’autres fins que celles pour

    lesquelles ils ont été sollicités. Ce devoir d’abstention ne doit cependant pas être général. La vie des affaires ne doit pas être bloquée par des

    manœuvres de personnes qui dévoileraient leurs projets à leurs concurrents uniquement pour les neutraliser, à partir d’une information insuffisamment précise sérieuse et crédible.

    D’une manière générale, une grille d’analyse, issue de la jurisprudence américaine (...) pourra être utilisée dans de nombreux cas. »

    29. Le règlement de la COB no 90-08 paru au Journal officiel le 20 juillet 1990 se lit comme suit : Article 3 « Les personnes disposant d’une information privilégiée à raison de la préparation et de l’exécution d’une

    opération financière ne doivent pas exploiter, pour compte propre ou pour compte d’autrui, une telle information sur le marché ni la communiquer à des fins autres ou pour une activité autre que celles à raison desquelles elle est détenue. »

    Article 4 « Les personnes auxquelles a été communiquée une information privilégiée à l’occasion de l’exercice de leurs

    profession ou de leurs fonctions ne doivent pas exploiter pour compte propre ou pour le compte d’autrui une telle information sur le marché ou la communiquer à des fins autres ou pour une activité autre que celles à raison desquelles elle a été communiquée. »

    30. L’article L. 465-1 du code monétaire et financier, tel qu’il résulte notamment de la loi no 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, se lit aujourd’hui comme suit :

    « Est puni de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 500 000 euros dont le montant peut être porté au-delà de ce chiffre, jusqu’au décuple du montant du profit éventuellement réalisé, sans que l’amende puisse être inférieure à ce même profit, le fait, pour les dirigeants d’une société mentionnée à l’article L. 225-109 du code de commerce, et pour les personnes disposant, à l’occasion de l’exercice de leur profession ou de leurs fonctions, d’informations privilégiées sur les perspectives ou la situation d’un émetteur dont les titres sont négociés sur un marché réglementé ou sur les perspectives d’évolution d’un instrument financier admis sur un marché réglementé, de réaliser ou de permettre de réaliser, soit directement, soit par personne interposée, une ou plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de ces informations.

    Est puni d’un an d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende le fait, pour toute personne disposant dans l’exercice de sa profession ou de ses fonctions d’une information privilégiée sur les perspectives ou la situation d’un émetteur dont les titres sont négociés sur un marché réglementé ou sur les perspectives d’évolution d’un instrument financier admis sur un marché réglementé, de la communiquer à un tiers en dehors du cadre normal de sa profession ou de ses fonctions.

    Est puni d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 150 000 euros dont le montant peut être porté au-delà de ce chiffre, jusqu’au décuple du montant du profit réalisé, sans que l’amende puisse être inférieure à ce même profit, le fait pour toute personne autre que celles visées aux deux alinéas précédents, possédant en connaissance de cause des informations privilégiées sur la situation ou les perspectives d’un émetteur dont les titres sont négociés sur un marché réglementé ou sur les perspectives d’évolution d’un instrument financier admis sur un marché réglementé, de réaliser ou de permettre de réaliser, directement ou indirectement, une opération ou de communiquer à un tiers ces informations, avant que le public en ait connaissance. Lorsque les informations en cause concernent la commission d’un crime ou d’un délit, les peines encourues sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 1 500 000 euros si le montant des profits réalisés est inférieur à ce chiffre. »

    31. La jurisprudence pertinente, notamment l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, rendu le 26 juin 1995, dit de la « Ruche méridionale », se lit ainsi :

    « Attendu que si les dispositions de l’article 10-1 de l’ordonnance du 28 septembre 1967, comme celles de la directive no 89/592/CEE du 13 novembre 1989 avec lesquelles elles sont compatibles, interdisent aux personnes qui disposent, en raison de leur profession ou de leurs fonctions, d’informations privilégiées sur les perspectives d’évolution d’une valeur mobilière, de réaliser des opérations sur le marché avant que le public en ait eu connaissance, c’est à la condition que lesdites informations soient précises, confidentielles, de nature à influer sur le cours de la valeur et déterminantes des opérations réalisées. »

    B. Le droit communautaire

  • 15

    32. La directive 89/592/CEE du Conseil du 13 novembre 1989 concernant la coordination des réglementations

    relatives aux opérations d’initiés est rédigée comme suit : Article 1 « Aux fins de la présente directive, on entend par information privilégiée : une information qui n’a pas été

    rendue publique, qui a un caractère précis et concerne un ou plusieurs émetteurs de valeurs mobilières, ou une ou plusieurs valeurs mobilières et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours de cette ou de ces valeurs mobilières (...) »

    Article 2 « 1. Chaque État membre interdit aux personnes qui (...) parce qu’elles ont accès à cette information en raison

    de l’exercice de leur travail, de leur profession ou de leurs fonctions, disposent d’une information privilégiée, d’acquérir ou de céder pour compte propre ou pour compte d’autrui, soit directement soit indirectement, les valeurs mobilières de l’émetteur ou des émetteurs concernés par cette information, en exploitant en connaissance de cause cette information privilégiée.

    2. Lorsque les personnes visées au paragraphe 1 sont des sociétés ou d’autres personnes morales, l’interdiction prévue à ce paragraphe s’applique aux personnes physiques qui participent à la décision de procéder à la transaction pour le compte de la personne morale en question. »

    Article 4 « Chaque État membre impose l’interdiction prévue à l’article 2 également à toute personne, autre que celles

    visées audit article, qui, en connaissance de cause, possède une information privilégiée, dont l’origine directe ou indirecte ne pourrait qu’être une personne visée à l’article 2. »

    Article 6 « Chaque État membre peut fixer des dispositions plus rigoureuses que celles prévues par la présente directive

    ou des dispositions supplémentaires, à condition que ces dispositions soient d’application générale (...) » Estimant que sa législation était conforme à cette directive, la France ne la transposa pas en droit interne. Par

    un arrêt du 26 juin 1995, la Cour de cassation jugea les dispositions internes compatibles avec celles de la directive (paragraphe 37 ci-dessus).

    33. La directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché est ainsi rédigée :

    Article 1 « Aux fins de la présente directive, on entend par (...) « information privilégiée » : une information à caractère

    précis qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d’instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés (...) »

    Article 2 « 1. Les États membres interdisent à toute personne visée au deuxième alinéa qui détient une information

    privilégiée d’utiliser cette information en acquérant ou en cédant, ou en tentant d’acquérir ou de céder, pour son compte propre ou pour le compte d’autrui, soit directement, soit indirectement, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information.

    Le premier alinéa s’applique à toute personne qui détient une telle information : a) en raison de sa qualité de membre des organes d’administration, de gestion ou de surveillance de l’émetteur,

    ou b) en raison de sa participation dans le capital de l’émetteur, ou c) en raison de son accès à l’information du fait de son travail, de sa profession ou de ses fonctions (...) » Article 14 « Sans préjudice de leur droit d’imposer des sanctions pénales, les États membres veillent à ce que,

    conformément à leur législation nationale, des mesures administratives appropriées puissent être prises ou des sanctions administratives appliquées à l’encontre des personnes responsables d’une violation des dispositions arrêtées en application de la présente directive (...) »

    34. La directive 2003/124/CE de la Commission du 22 décembre 2003 portant modalités d’application de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché se lit ainsi :

    Article 1 « Information privilégiée 1. Aux fins de l’application de l’article 1er, point 1, de la directive 2003/6/CE, une information est réputée « à

    caractère précis » si elle fait mention d’un ensemble de circonstances qui existe ou dont on peut raisonnablement penser qu’il existera ou d’un événement qui s’est produit ou dont on peut raisonnablement penser qu’il se produira, et si elle est suffisamment précise pour que l’on puisse en tirer une conclusion quant à l’effet possible de cet

    http://www.lexinter.net/UE/directive_du_28_janvier_2003_sur_les_operations_d'inities_et_les_manipulations_de_marche_(abus_de_marche).htm

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    ensemble de circonstances ou de cet événement sur les cours des instruments financiers concernés ou d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés.

    2. Aux fins de l’application de l’article 1er, point 1, de la directive 2003/6/CE, on entend par « information qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers dérivés qui leur sont liés », une information qu’un investisseur raisonnable serait susceptible d’utiliser en tant que faisant partie des fondements de ses décisions d’investissement. »

    35. La jurisprudence communautaire pertinente peut se résumer ainsi : Dans l’affaire Spector Photo Group NV et Chris Van Raemdonck c/ Commissie voor het Bank-, Financie- en

    Assurantiewezen (CBFA) (affaire C-45/08) du 23 décembre 2009, la Cour de justice de l’Union européenne s’est exprimée comme suit :

    « (...) Certes, l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2003/6 n’impose pas aux États membres de prévoir des sanctions pénales à l’encontre des auteurs d’opérations d’initiés mais se limite à énoncer que ces États sont tenus de veiller à ce que « des mesures administratives appropriées puissent être prises ou des sanctions administratives appliquées à l’encontre des personnes responsables d’une violation des dispositions arrêtées en application de [cette] directive », les États membres étant, en outre, tenus de garantir que ces mesures sont « effectives, proportionnées et dissuasives ». Néanmoins, eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’au degré de sévérité des sanctions qu’elles sont susceptibles d’entraîner, de telles sanctions peuvent être, aux fins de l’application de la CEDH, qualifiées de sanction pénales (voir, par analogie, arrêt du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C-199/92 P, Rec. p. I-4287, point 150, ainsi que Cour eur. D. H., arrêts Engel et autres c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A no 22, § 82, Öztürk c. Allemagne du 21 février 1984, série A no 73, § 53, et Lutz c. Allemagne du 25 août 1987, série A no 123, § 54) (...) »

    EN DROIT SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 7 DE LA CONVENTION 36. Le requérant allègue une double violation de l’article 7 de la Convention qui se lit comme suit : « 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne

    constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.

    2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »

    A. Sur le grief tiré de l’imprévisibilité de la loi au moment des faits 37. Le requérant se plaint d’abord de l’insuffisante précision des éléments constitutifs de l’infraction de délit

    d’initié au moment où il a été condamné. a) Principes généraux 38. La Cour renvoie principalement aux affaires C.R. c. Royaume-Uni (22 novembre 1995, §§ 35 à 44, série

    A no 335-C), S.W. c. Royaume-Uni, (22 novembre 1995, §§ 37 à 47, série A no 335-B), Cantoni c. France (15 novembre 1996, §§ 29 à 32, Recueil des arrêts et décisions 1996-V), Achour c. France ([GC], no 67335/01, § 42, CEDH 2006-IV) et K.-H.W. c. Allemagne ([GC], no 37201/97, §§ 44 et 45, CEDH 2001-II).

    39. Elle a déjà constaté qu’en raison même du principe de généralité des lois, le libellé de celles-ci ne peut présenter une précision absolue. L’une des techniques types de réglementation consiste à recourir à des catégories générales plutôt qu’à des listes exhaustives. Aussi de nombreuses lois se servent-elles par la force des choses de formules plus ou moins floues, afin d’éviter une rigidité excessive et de pouvoir s’adapter aux changements de situation. L’interprétation et l’application de pareils textes dépendent de la pratique (voir, parmi d’autres, Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, § 40, série A no 260-A).

    40. L’utilisation de la technique législative des catégories laisse souvent des zones d’ombre aux frontières de la définition. A eux seuls, ces doutes à propos de cas limites ne suffisent pas à rendre une disposition incompatible avec l’article 7, pour autant que celle-ci se révèle suffisamment claire dans la grande majorité des cas. La fonction de décision confiée aux juridictions sert précisément à dissiper les doutes qui pourraient subsister quant à l’interprétation des normes, en tenant compte des évolutions de la pratique quotidienne (voir, mutatis mutandis, Cantoni, précité, § 32).

    41. La Cour rappelle enfin que la portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires (voir, mutatis mutandis, Groppera Radio AG et autres c. Suisse, 28 mars 1990, § 68, série A no 173). La prévisibilité́ de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer,

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    à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé (voir, parmi d’autres, Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni, 13 juillet 1995, § 37, série A no 316-B). Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte.

    b) Application au cas d’espèce 42. La Cour est appelée à rechercher si, en l’espèce, le texte de la disposition légale litigieuse, lu à la lumière

    de la jurisprudence interprétative dont il s’accompagne, pouvait, à l’époque des faits, passer pour prévisible. Elle observe que comme beaucoup de définitions légales, celle du terme « initié » contenue dans l’ordonnance du 28 septembre 1967 est assez générale et qu’en l’espèce les parties sont en désaccord sur la portée de l’expression « à l’occasion de l’exercice de leur profession ou de leurs fonctions » contenue dans cette ordonnance.

    43. La Cour observe qu’en l’espèce, le requérant a soulevé le grief tiré de l’insuffisante prévisibilité de la loi réprimant le délit d’initié devant toutes les juridictions appelées à le juger. Or, chacune d’entre elles a estimé que la loi applicable était suffisamment précise pour lui permettre de savoir qu’il ne devait pas investir dans des titres de la banque S. après avoir été contacté par P.

    44. La Cour prend acte des jurisprudences citées par le Gouvernement et antérieures à la commission des faits. Celles-ci concernent notamment un journaliste financier, professionnellement chargé de suivre la marche technique, commerciale et financière de plusieurs entreprises et d’en rencontrer les dirigeants qui fut condamné pour avoir utilisé plusieurs informations privilégiées acquises au cours d’entretiens avec ces dirigeants (tribunal correctionnel de Paris, 12 mai 1976). Il s’agit également d’un attaché de direction, d’un conseiller technique et du directeur d’une société d’architecture qui, à l’occasion de leurs fonctions, ont eu connaissance du rapprochement de deux sociétés et exploité cette information (tribunal correctionnel de Paris, 15 octobre 1976) ou d’un administrateur de plusieurs sociétés qui avait appris, au cours d’une séance du conseil d’administration de l’une d’entre elles, que le montant des bénéfices permettait d’envisager une hausse du cours de l’action et qui a fait fructifier cette information avant qu’elle ne soit rendue publique (tribunal correctionnel de Paris, 19 octobre 1976).

    45. Elle observe avec le requérant que ces affaires ne concernent pas des situations analogues à la sienne puisque les personnes auxquelles elles se rapportent avaient toutes un lien professionnel avec la société convoitée. Toutefois, de l’avis de la Cour, ces jurisprudences, même si elles émanent de juridictions de première instance, ont trait à des situations suffisamment proches de celle du requérant pour lui permettre de savoir, ou à tout le moins de se douter, que son comportement était répréhensible. En effet, s’il était interdit aux professionnels qui, de par l’exercice de leurs fonctions, avaient connaissance d’une information privilégiée, d’intervenir sur le marché boursier, une interprétation raisonnable de cette jurisprudence permettait de penser que le requérant pouvait être concerné par cette interdiction, qu’il soit ou non lié contractuellement à la banque S.

    46. Au demeurant, s’il est avéré que le requérant a été le premier justiciable à être poursuivi en France pour délit d’initié, sans être lié ni professionnellement ni contractuellement à la société dont il a acquis les titres, la Cour estime qu’on ne saurait pour autant reprocher en l’espèce un manquement de l’Etat pour ce qui est de la prévisibilité de la loi car faute de situation strictement identique soumise précédemment aux juges, les juridictions nationales n’avaient pas jusqu’alors été mises en mesure de préciser la jurisprudence sur ce point. En tout état de cause, même si aucune affaire n’avait été examinée en appel ou en cassation, des juridictions de première instance s’étaient prononcées sur des situations connexes (voir paragraphe 56 ci-dessus). La Cour observe que depuis les faits de la présente espèce, cette jurisprudence s’est progressivement développée en fonction des affaires soumises aux juridictions internes.

    47. Surtout, et quel que soit le niveau de développement de la jurisprudence interne à l’époque des faits, la Cour note que le requérant était un « investisseur institutionnel », familier du monde des affaires et habitué à être contacté pour participer à des projets financiers de grande envergure. Compte tenu de son statut et de son expérience, il ne pouvait ignorer que sa décision d’investir dans les titres de la banque S. pouvait le faire tomber sous le coup du délit d’initié prévu par l’article 10-1 précité. Ainsi, sachant qu’il n’existait aucun précédent comparable, il aurait dû faire preuve d’une prudence accrue lorsqu’il a décidé d’investir sur les titres de la banque S.

    48. Enfin, la Cour n’est pas convaincue par l’argument du requérant selon lequel son comportement serait à l’origine d’une modification de la législation applicable. En effet, aucune pièce du dossier ne permet d’établir avec certitude l’existence d’un lien de causalité entre sa situation personnelle et l’élaboration d’un rapport sur la déontologie boursière à la demande du ministre des Finances de l’époque ainsi que les modifications de la loi qui s’ensuivirent.

    49. Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que la loi applicable à l’époque des faits était suffisamment prévisible pour permettre au requérant de se douter que sa responsabilité pénale était susceptible d’être engagée du fait des opérations financières réalisées auprès de la banque S.

    50. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention.

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    PAR CES MOTIFS, LA COUR 1. Dit, par quatre voix contre trois, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention en raison de la

    prétendue insuffisante prévisibilité de la loi ; 2. Dit, par quatre voix contre trois, qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément le grief tiré de l’article 7

    de la Convention en raison de la non-application alléguée de textes communautaires »

    Documents joints : néant

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    DROIT PENAL GENERAL (enseignement d’Emmanuel Dreyer, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne – UP1)

    Séance 4 : Le règlement en droit pénal

    Programme :

    - La répartition constitutionnelle des compétences en matière pénale - Les incriminations de nature réglementaire - La multiplication des renvois à des normes réglementaires - Les conséquences de l’abrogation ou de l’annulation d’un acte administratif - L’exception d’illégalité - La dépénalisation des contraventions

    Exercice – Dissertation : La nullité de l’acte administratif à la base d’une poursuite

    _________________________

    DOCUMENTS

    1°/ Cass. crim., 2 avril 2019 : Dr. pén. 2019, comm. 129, obs. J.-H. Robert :

    « Attendu qu'il résulte du jugement attaqué et des pièces de procédure que Mme L... X..., commerçante

    ambulante, a fait l'objet d'un procès-verbal pour étalage de marchandises sans autorisation en méconnaissance de l'arrêté municipal de la ville de Paris en date du 6 mai 2011 ; que le tribunal de police l'a déclaré coupable ;

    … Attendu que, pour écarter la qualification revendiquée par la prévenue et la déclarer coupable, le tribunal

    retient que l'article R. 610-5 du code pénal a vocation à sanctionner de manière générale et subsidiaire toutes les infractions aux décisions des autorités pourvues d'un pouvoir réglementaire, à la condition que leur objet coïncide avec celui de la police générale et que les faits reprochés à Mme X... sont bien susceptibles d'une qualification contraventionnelle entrant dans la compétence du tribunal de police, en application de l'article 521 du code de procédure pénale ;

    Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors que la prévenue, commerçante ambulante, a été poursuivie pour les seuls faits de défaut d'autorisation d'étalage en méconnaissance des dispositions de l'arrêté municipal du 21 septembre 2010 , pris par le maire pour réglementer les commerces ambulants dans le cadre de son pouvoir de police générale, ayant pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, infraction relevant d'une contravention de première classe, le tribunal a justifié sa décision ;

    D'où il suit que le moyen sera écarté ; … Attendu que pour déclarer Mme X... coupable de l'infraction d'étalage sans autorisation sur le fondement

    des articles R. 610-5 du code pénal et de l'article premier de l'arrêté municipal du 21 septembre 2010 applicable aux commerçants ambulants et non de l'article DG1 de l'arrêté municipal du 6 mai 2011 applicable aux commerçants sédentaires, texte visé initialement à la citation, le tribunal retient que la prévenue n'est pas poursuivie dans la présente instance sur le fondement de ce dernier texte ; qu'il apparaît au cours des débats que les modalités d'exercice de l'activité commerciale de Mme X..., consistant à proposer et à vendre, entre autres marchandises, des crêpes chaudes, des crèmes glacées, des confiseries, boissons non alcoolisées, pop-corn et chips, créent de fait un étalage sur la voie publique de denrées alimentaires et d'appareils de préparation tant de chauffage que de glaçage et que ce commerce de denrées alimentaires et cet étalage de marchandises et de matériel sur la voie publique constituent bien une activité commerciale au sens des dispositions de l'arrêté du 21 septembre 2010 et que des agents verbalisateurs ont constaté l'absence d'autorisation pour l'exercice d'une activité commerciale sur la voie publique, prescrite par l'article premier de cet arrêté ;

    Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors d'une part que la prévenue, commerçante ambulante, a été recitée sur le fondement de l'article premier de l'arrêté municipal du 21 septembre 2010 et ainsi mise en mesure de se défendre sur l'infraction reprochée d'étalage sans autorisation prévue par ces dispositions, cet élément étant de surcroît dans les débats devant les premiers juges et repris dans ses propres écritures, d'autre part qu'en application dudit arrêté portant règlementation des activités commerciales sur l'espace public parisien

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    en dehors des foires et marchés, l'étalage de marchandises sans autorisation sur la voie publique constatée par les agents verbalisateurs est interdit, le tribunal a justifié sa décision ;

    D'où il suit que les griefs seront écartés ; … Attendu que, pour réfuter l' argumentation de Mme X... faisant valoir qu'elle n'était pas soumise aux

    dispositions de l'arrêté du 21 septembre 2010 , le tribunal retient, qu'e