fc barcelone : identite, culture politique et relations politico-sociales

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1 Raphaël Benbouhou FC BARCELONE : IDENTITE, CULTURE POLITIQUE ET RELATIONS POLITICO-SOCIALES De 1917 à 1930 Mémoire de Master 1 « CHPS » Mention : Histoire Spécialité : Contemporaine Sous la direction de M. Jérôme Grévy Année universitaire 2016-2017

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Raphaël Benbouhou

FC BARCELONE : IDENTITE, CULTURE POLITIQUE ET RELATIONS

POLITICO-SOCIALES

De 1917 à 1930

Mémoire de Master 1 « CHPS »

Mention : Histoire

Spécialité : Contemporaine

Sous la direction de M. Jérôme Grévy Année universitaire 2016-2017

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Remerciements

D’abord, je tiens à remercier M. Jérôme Grévy qui a accepté de prendre la direction de

ce travail et m’a donné de précieux conseils, à distance, lorsque j’étais à Barcelone où j’ai passé

cinq mois merveilleux.

Je remercie sincèrement M. Gabriel Colomé, professeur à l’Universitat Autonoma de

Barcelone, qui m’a permis de cadrer et délimiter précisément mon sujet, tout en m’offrant

plusieurs pistes afin relever ce défi qu’est la rédaction d’un mémoire de recherche. Je n’oublie

pas mes amis barcelonais qui m’ont soutenu et sans qui, je n’aurai pas pu accéder aux archives

du FC Barcelone. Par ailleurs, je remercie M. Manuel Tomas, responsable des archives du club,

pour sa gentillesse, sa bienveillance et sa disponibilité.

Je tiens aussi à remercier mon entourage en France, mes amis, en passant par ma famille,

qui m’ont tous donné le courage d’aller au bout de mon travail, même dans les moments les

plus délicats.

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Sommaire

Remerciements………………………………………………………………………………2

Introduction………………………………………………………………………………….5

Partie I – FC Barcelone : l’émanation d’un désir d’affirmation catalaniste………........18

Chapitre 1 – Un club dirigé et soutenu par les catalanistes………………………….......19

- 1-) Les différents dirigeants : un club essentiellement géré par des catalanistes………….19

- 2-) Actions et influences des dirigeants du club……………………………………….......24

Chapitre 2 – Un soutien totalement assumé du mouvement catalaniste…………………..27

- 1-) Plus qu’une association sportive : un militant politique…………………………………27

- 2-) Un lien privilégié avec la Catalogne……………………………………………………31

Chapitre 3 – Les relations politiques et sociales entretenues par le FC Barcelone...............38

- 1-) Les liens du FC Barcelone avec de hautes personnalités………………………………..38

- 2-) Des échanges avec la Monarchie ?....................................................................................43

Partie II – Le FC Barcelone, un support social et culturel au service de sa région………..46

Chapitre 4 – Une institution en relation étroite avec les entités sportives locales………….47

- 1-) Ses relations avec les clubs de football catalans…………………………………………47

- 2-) Ses relations avec le sport catalan……………………………………………………….53

Chapitre 5 – Un club omniprésent dans les activités sociales et culturelles……………….58

- 1-) Une référence sociale……………………………………………………………………58

- 2-) Une entité culturelle de premier plan, en relation avec les autres entités culturelles

catalanes………………………………………………………………………………………63

Chapitre 6 – Soutenir le FC Barcelone, un moyen de s’intégrer dans la société catalane....67

- 1-) La Catalogne, une terre d’immigration………………………………………………….67

- 2-) Le Barça, un appui pour s’intégrer en Catalogne ?...........................................................70

Partie III – Plus qu’un club, « un porte-drapeau de la Catalogne »……………………….74

Chapitre 7- A l’échelle locale : le Barça, un symbole de contre-pouvoir………………….75

- 1-) Un point d’appui pour s’opposer au pouvoir…………………………………………….75

- 2-) Être « culé », un moyen d’affirmer son amour pour la « nation » catalane ?....................81

Chapitre 8 – A l’échelle internationale : un ambassadeur de la Catalogne ?.........................86

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- 1-) La Catalogne dans le monde international…………………………………………….86

- 2-) Représenter la Catalogne dans un cadre sportif, par des tournées et rencontres

internationales………………………………………………………………………………...90

Chapitre 9 – L’appropriation du club par toute une société : l’héroïsation des joueurs...94

- 1-) L’omniprésence des joueurs dans la société catalane………………………………….94

- 2-) Des protagonistes portés au rang de héros par les artistes……………………………..98

Conclusion………………………………………………………………………………….102

Bibliographie……………………………………………………………………………….108

Table des annexes…………………………………………………………………………..114

Page 5: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

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Introduction

« In – de - pendencia ! », ce mot est crié à chaque match du FC Barcelone au Camp Nou

depuis la partie du 7 octobre 2012 contre le Real Madrid, avec des Estelades sorties et agitées

dans toute l’enceinte du stade, après dix-sept minutes et quatorze secondes de jeu. Un moment

qui n’est pas choisi au hasard, puisqu’il rappelle une date symbolique pour les Catalans, le 11

septembre 1714 et la défaite face aux armées franco-espagnoles : Barcelone capitule devant les

troupes du roi d’Espagne Philippe V, à l’issue d’une guerre dynastique de douze ans. La victoire

des Bourbons entraîne la disparition des institutions politiques catalanes et l’imposition du

castillan comme langue unique. Dans le récit national catalan, c’est la fin des libertés de la

Catalogne, ce qui montre que cet événement est le point de départ d’une conscience

« nationale » blessée. D’ailleurs, le 11 septembre deviendra plus tard la fête nationale catalane,

la Diada. Après cette défaite, de 1717 à 1808, l’usage du catalan recule considérablement.

Mais à partir du début du XIXème siècle, la culture catalane renaît de ses cendres : c’est

le début de la « Renaixença ». Les initiateurs de cette renaissance renouent avec l’histoire de

leur région (en insistant surtout sur la période médiévale) et sa culture, remettant en ordre les

archives municipales, écrivant de nombreux ouvrages, pour faciliter sa diffusion. Par exemple,

en 1836, Felix de Torres i Amat, évêque d’Astorga en 1833, écrit les Mémoires pour aider à

former un dictionnaire critique des écrivains catalans et donner quelque idée de l’ancienne et

moderne littérature de Catalogne1. Cette redécouverte de l’histoire de la Catalogne s’intensifie

grâce à des hommes de Lettres se déterminant historiens comme Victor Balaguer. Cet homme

politique a publié Histoire de Catalogne et de la couronne d’Aragon, un livre écrit dans un style

proche de celui de Michelet, c’est-à-dire, un livre narré sous la forme d’un récit national,

mélangeant réalité et légendes2. La renaissance d’une culture catalane entraîne, en premier lieu,

la promotion de sa langue. Des linguistes et grammairiens définissent le catalan, langue

officielle sous le principat, comme Josep Pau Ballot, auteur de Plan d’éducation primaire et

Grammaire et apologie de la langue catalane3. Puis, par le biais de plusieurs supports, cette

langue catalane se démocratise et fait émerger une littérature catalane. La poésie avec le style

romantique de Bonaventura Carles Aribau ou Rubio i Ors, le théâtre avec les représentations

1. Michel BOUILLE, Claude COLOMER, Histoire des Catalans, Paris, Editions Milan, 1990 2. Ibid 3. Ibid

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de Frédéric Soler, ou encore la philosophie de Ramon Marti d’Eixalà et Xavier Llorenç

contribuent à la mise en lumière de la langue catalane jusqu’aux années 18704.

La Ière République espagnole est proclamée le 11 février 1873, et « le 8 mars à

Barcelone, a lieu la proclamation d’une République catalane » ajoute Estanislau Figueras,

président de la République et natif de Barcelone : on constate l’ambition de former une

constitution fédérale au sein de l’Espagne. Mais la République est renversée le 3 janvier 1874.

Dans l’élan de la Renaixença, grâce à l’affirmation de sa littérature, de son art, il y a une

véritable volonté de mettre en place des institutions catalanistes. Elles se développent dès le

début de la restauration des Bourbons. En effet, selon Jaume Sobrequés i Callico, « les premiers

quotidiens en langue catalane font leur apparition en 1879, ainsi que diverses organisations

culturelles, civiques et politiques aux tendances régionalistes catalanes prononcées, qui

mettent sur pied plusieurs congrès et assemblées revendiquant les droits collectifs du peuple

catalan. »5. Ce mouvement s’illustre par la création du premier quotidien en catalan El diari

Català par Pi i Margall en 1879, l’organisation du Premier Congrès catalaniste (1880) par

Valenti Almirall, le Congrès catalan des Jurisconsultes (1881), suivi de la fondation du Centre

catalan en 1882 afin de favoriser la cohésion entre catalanistes6.

La « Renaixença » continue à évoluer et à se développer avec les premières théorisations

du catalanisme. De plus en plus de penseurs catalanistes définissent ce qu’est le catalanisme,

que ce soit d’un point de vue culturel ou politique. L’un des premiers écrits sur ce sujet date du

milieu des années 1870, de la part de Francesc Pi i Margall qui a publié Las Nacionalidades

en 18767. Dans la décennie suivante, il y a Narcis Roca i Farreras, partisan d’un

indépendantisme de gauche en 1886, ou dans la même année, Valenti Almirall avec Lo

Catalanisme8. Cet ouvrage préconise une politique réformiste avec l’instauration de la laïcité

et une volonté de préserver les intérêts régionaux pour arriver à réformer le système politique

de la Restauration et dans le même temps, obtenir plus d’autonomie. Il est important de citer

également dans les années 1890, Josep Torras i Bages, auteur de Tradicio catalana en 1892 et

Enric Prat de la Riba avec son ouvrage, Compendi de doctrina catalanista en 1894. Ce dernier

4. Michel BOUILLE, Claude COLOMER, Histoire des Catalans, op.cit 5. Jaume SOBREQUES I CALLICO, Histoire de la Catalogne, Barcelone, Editorial Base, 2007 6. Ibid 7. Ibid 8. Ibid

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7

surtout, a écrit La nacionalitat catalana en 1906, un ouvrage très important pour théoriser le

catalanisme9.

L’émergence des ouvrages politiques favorise la volonté d’avoir une autonomie

catalane : la « Renaixença » dans la seconde moitié du XIXème siècle est « un mouvement

culturel apolitique » qui évolue pour passer à un stade plutôt nationaliste et politique10.

Chronologiquement, il y a eu le Memorial de Greuges (1885), des revendications catalanes

envoyées au roi Alphonse XII de la part de Valenti Amirall parmi lesquelles figure la

déclaration du caractère officiel de la langue catalane11. Puis, en 1892, l’Unio Català propose

Les Bases de Munresa, projet qui s’apparente à celui d’une constitution catalane pour mettre en

place un régime autonome catalan12. Les revendications politiques éclairent le rapport étroit et

romantique qui unit les Catalans à leur région. Alors que l’Espagne est en plein déclin suite au

désastre de 189813, la multiplication des revendications politiques favorise la naissance d’un

nationalisme catalan, à tel point que l’hymne de la Catalogne, « Els Segadors », écrit par Emili

Guanyavents, voit le jour en 1899 : il fait référence à la résistance des Catalans pendant la

Guerra dels Segadors au XVIIème siècle14.

Dans la continuité de cette forte dynamique, les premiers partis catalanistes font leur

apparition comme Lliga Regionalista en 1901, fondée par Francesc Cambo et Enric Prat de la

Riba, suite à la fusion de l’Union Régionaliste et du Centre National Catalan15. Dès sa

fondation, ce jeune parti catalaniste se distingue aux élections générales de 1901 en obtenant 6

sièges, puis se maintient avec 5 sièges en 190316. Le mouvement politique de Francesc Cambo

et Enric Prat de la Riba commence à prendre son envol aux élections de 1907, grâce à la

formation d’une grande coalition catalaniste qui voit le jour en 1906 : Solidaritat Catalana,

9. Jaume SOBREQUES I CALLICO, Histoire de la Catalogne, op.cit 10. Alicia FERNANDEZ GARCIA, Mathieu PETITHOMME, « L’émergence du nationalisme catalan sous la Restauration bourbonienne en Espagne (1874-1931) », Parlements : revue d’histoire politique n°23 (p.177-192), 2016, consulté le 20 septembre 2016 11. Jaume SOBREQUES I CALLICO, Histoire de la Catalogne, op.cit 12. Michel BOUILLE, Claude COLOMER, Histoire des Catalans, op.cit 13. En 1898, la guerre hispano-américaine éclate entre l’Espagne et les Etats-Unis d’Amérique. Au bout de 10 semaines, l’Espagne (plus de 55 000 pertes contre près de 6000 pour les Américains) accepte un traité de paix le 12 août 1898. Le 10 décembre 1898, le traité de Paris est signé. L’Espagne perd ses dernières colonies : elle reconnaît l’indépendance de Cuba, et donne aux Etats-Unis, les Philippines, Porto-Rico et Guam. Cet épisode qui confirme le déclin de l’Espagne provoque une crise morale dans la Péninsule Ibérique. Les Espagnols considèrent la perte de leurs dernières colonies comme un désastre et ont le sentiment d’être humiliés et d’avoir perdu la grandeur de l’Espagne. 14. Jaume SOBREQUES I CALLICO, Histoire de la Catalogne, op.cit 15. Jesús MESTRE I CAMPI, Diccionari d'història de Catalunya 6e éd, Barcelone, Edicions 62, 2004, (1re éd. 1992) 16. Ibid

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dans laquelle figure Lliga Regionalista. Le catalanisme politique, qui se présente comme un

mouvement nationaliste, tente alors de figurer comme un mouvement de masse, pouvant

rassembler tous les bords politiques, notamment la gauche qui fuyait le nationalisme17. Cela

fonctionne puisque la coalition, dirigée par Enric Prat de la Riba, obtient 40 sièges et est alors

la troisième force politique d’Espagne, derrière les conservateurs et les libéraux18. Puis, lors des

élections suivantes, le catalanisme politique incarné par Lliga Regionalista ne cesse de

progresser : 10 sièges en 1910 et 13 sièges aux élections de 1914 et 1916.

Au cours du début du XXe siècle, le mouvement catalaniste est de mieux en mieux

enraciné en Catalogne, et aboutit à la revendication d’un statut d’Autonomie d’abord en 1918,

puis en 1932 sous la Seconde République. Enfin, pendant la transition démocratique, période à

laquelle est adoptée la nouvelle constitution espagnole par référendum le 6 décembre 1978, la

Catalogne met en place son projet de statut d’Autonomie de la Catalogne en octobre 1979,

largement approuvé à 88%19. Ce projet reconnaissait la Catalogne comme une « nationalité »,

et le catalan comme « langue officielle », développant progressivement une conscience

nationale. Finalement, le statut de 1979 est réformé en 2006 par un nouveau statut déterminé

par la IXème législature des Cortes Generales et du gouvernement espagnol dirigé par le

socialiste Zapatero, dans le but d’élargir les compétences de la Catalogne20. Toutefois,

Barcelone et Madrid vont connaître une première dissension en 2010 sur la question de

l’autonomie. En effet, le 28 juin 2010, le Tribunal constitutionnel, qui a la lourde tâche de faire

respecter la constitution espagnole de 1978, a rejeté les quatre principaux points de l’Estatut

selon Ferran Requejo, professeur de Sciences politiques à l’Université Pompeu Fabra à

Barcelone21. Parmi ces points refusés par Madrid, on retrouve la question de la langue catalane

et son enseignement, ce qui est un frein pour le développement de l’autonomie catalane. Au

total, le Tribunal constitutionnel a invalidé 14 des 223 articles du statut de 2006. Depuis cette

date, les Catalans ont dû mal à entériner cette décision et souhaitent désormais provoquer leur

destin en s’opposant ouvertement au pouvoir central, ce qui explique aujourd’hui la montée

exponentielle de l’indépendantisme, c’est-à-dire, la volonté pour la Catalogne de se doter de

son propre Etat en se séparant de l’Espagne.

17. Alicia FERNANDEZ GARCIA, Mathieu PETITHOMME, « L’émergence du nationalisme catalan sous la Restauration bourbonienne en Espagne (1874-1931) », Parlements : revue d’histoire politique n°23 (p.177-192), 2016, consulté le 20 septembre 2016 18. Jesús MESTRE I CAMPI, Diccionari d'història de Catalunya 6e éd, op.cit 19. Michel BOUILLE, Claude COLOMER, Histoire des Catalans, op.cit 20. Jaume SOBREQUES I CALLICO, Histoire de la Catalogne, op.cit 21. Henry DE LAGUERIE, Les Catalans, op.cit

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9

Ces indépendantistes ou autonomistes utilisent des supports politiques, culturels et

même sportifs comme le FC Barcelone, considéré comme « l’institution la plus importante de

Catalogne », d’après Joaquim Maria Puyal, commentateur sportif fidèle des matchs des

Blaugranas22 depuis 196723. Ces opposants exposent ainsi leurs revendications politiques dans

un amphithéâtre sportif, que ce soit le Camp Nou ou le Palau Blaugrana où évoluent les sections

basket, handball, futsal et rink-hockey du FC Barcelone. Qu’est-ce que le FC Barcelone plus

précisément ? Quelle est son histoire ?

Le FC Barcelone a été fondé le 29 novembre 1899 par un Suisse, Joan Gamper. Le nom

du club et l’écusson sont empruntés à la ville de Barcelone puisqu’on peut voir la croix de Saint-

Georges qui figure sur les armes de la ville de Barcelone et les bandes rouge et jaune qui font

référence à la Senyera, le drapeau de la Catalogne24. La toute première équipe, dans laquelle

figure le fondateur du club, est composée exclusivement d’étrangers, puis, le club accueille des

« locaux » au fil du temps. En 118 ans d’histoire, l’institution sportive catalane s’est forgé un

statut et est à ce jour l’une des plus prestigieuses et des plus titrées du monde. Au total, le club

aujourd’hui présidé par Josep Bartomeu possède dans son armoire à trophée, au niveau

continental ou international, 5 Ligues des Champions, 3 Coupes du Monde des clubs FIFA, 4

Coupes d’Europe des vainqueurs, 3 Coupes des villes de foires et 4 Supercoupes d’Europe25.

Au niveau national, le Barça est le club le plus titré devant le Real Madrid, avec 24 Ligas

remportées (le championnat espagnol), 29 Copas del Rey (la coupe d’Espagne, appelée

autrefois, la Copa del Generalisimo) et 11 Supercoupes d’Espagne26. Dans sa longue histoire,

le club a connu plusieurs âges d’or : d’abord dans les années 1920 avec Samitier, puis au début

et à la fin des années 1950 sous la direction de Ladislao Kubala, sans oublier l’ère de la Dream

Team, de 1988 à 1995 au cours de laquelle le club remporte sa première Ligue des Champions,

en 1992 face à la Sampdoria de Gênes à Wembley. La dernière apogée du Barça, qu’on peut

appeler l’ère Guardiola, se situe entre 2008 et 2012. Le Barça pratique un jeu léché et réalise

pour la première fois de son histoire le triplé en 2009, c’est-à-dire qu’il remporte dans la même

22. Un des surnoms donnés aux joueurs et aux supporters du FC Barcelone. « Blaugrana », qui signifie « Bleu et Grenat », fait référence aux couleurs bleu et rouge grenat adoptées par les fondateurs du club en 1899. La légende veut que les membres fondateurs aient choisi ces couleurs lors de la deuxième réunion du club, le 13 décembre 1899. Leur choix aurait été influencé par… les stylos des comptables, de couleurs rouge grenat et bleu. 23. Ibid 24. Cet écusson, quasiment identique au blason de la ville de Barcelone est mis en vigueur jusqu’en 1910. En effet, bien que la croix de Saint-Georges et la Senyera demeurent, le logo du club se transforme en blason en forme de marmite. 25. Guillem BALAGUE, Barça : l’Histoire illustrée du FC Barcelone, Barcelone, Hugo Sport, 2014 26. Ibid

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saison, le championnat, la coupe nationale et la Ligue des Champions27. Au total, le club

remporte six trophées.

Aujourd’hui, ce club a atteint un standing international. Comme son rival le Real

Madrid, il a intégré le football business, ce à quoi la Catalogne trouve son intérêt, puisque le

Barça promeut son identité catalane dans le monde entier. Dans le même temps, le public

catalan s’appuie sur son pour faire pression sur le gouvernement espagnol, en particulier son

premier ministre, Mariano Rajoy, qui souhaite accentuer la centralisation à Madrid. Lorsque le

Clasico a lieu (qui oppose le Real Madrid au FC Barcelone), que ce soit en football ou en basket-

ball, l’atmosphère, spéciale, ressemble à celle que soulèvent les rencontres entre sélections

nationales, au point que les supporters n’hésitent pas à entonner l’hymne de la Catalogne « Els

Segadors » (les moissonneurs). Selon Gabriel Colomé, le FC Barcelone fait « office de porte-

drapeau à l’identité catalane », et peut s’inscrire dans un éventuel roman national catalan28.

Après avoir fait la découverte de l’Histoire de la Catalogne et du FC Barcelone,

intéressons-nous au contexte politique espagnol que nous allons étudier et analyser : il s’agit de

la période située entre 1917 et 1930, c’est-à-dire pendant la deuxième moitié de la Restauration

des Bourbons avec la triple crise de 1917 et la dictature de Primo de Rivera en particulier.

L’historiographie de cette période en Espagne, n’est pas très développée en France. En effet,

un article datant de 2010 de la part de Manuelle Peloille, professeur de civilisation espagnole à

l’Université d’Angers, démontre que cette période est assez ignorée par les historiens et

hispanistes français, qui se concentrent bien plus sur le Désastre de 1898, la Deuxième

République, la guerre civile de 1936-1939, le franquisme et la transition démocratique29.

Les quelques travaux réalisés par des historiens français sur les années 1917 (année

marquée par de nombreuses crises, militaire, institutionnelle et sociale) - 1923 (pronunciamento

de Primo de Rivera, au mois de septembre) décrivent une période très instable. Pierre Vilar,

spécialiste de la Catalogne, affirme en 1947 que la période allant de 1917 jusqu’à la chute de la

dictature constitue « une crise de la monarchie »30. Cette crise de la monarchie devient une

crise institutionnelle d’après Michel Zimmermann qui affirme, 50 ans plus tard, que cette

27. Ibid 28. Ignacio RAMONET, Christian DE BRIE, « Football et passions politiques », Manière de voie n°39, Paris, Le Monde Diplomatique, 1998 29. Manuelle PELOILLE, « Eduardo González Calleja, La dictadura de Primo de Rivera. La modernización autoritaria 1923-1930 », Cahiers de civilisation espagnole contemporaine [En ligne], 7 | 2010, mis en ligne le 18 février 2011, consulté le 21 septembre 2016

30. Pierre VILAR, Histoire de l’Espagne, Paris, PUF, 1947

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instabilité due à la décadence de l’Espagne depuis le désastre de 1898 laisse le champ libre au

mouvement catalaniste31.

Benoît Pellistrandi en 2013, fait le même constat que ses prédécesseurs. Il observe un

affaiblissement institutionnel lié au régime parlementaire monopolisé par les libéraux et

conservateurs durant les 2 premières décennies (surtout la 2ème). En effet, réformistes,

républicains, socialistes ou nationalistes catalans sont à l’écart du pouvoir et ne peuvent

apporter un nouveau souffle à une monarchie qui commence déjà à décliner32. Les chiffres

confortent cette idée de l’affaiblissement institutionnel : 11 gouvernements se succèdent en 6

ans, soit 1 tous les 5 mois, souvent illégitimes puisque les élections sont truquées33. De plus,

les électeurs votent très inégalement selon les territoires : de fortes disparités entre urbains et

ruraux sont visibles puisque ces derniers, moins informés et ayant moins accès à l’éducation

(beaucoup d’analphabétisme), ne participent pas à la vie politique contrairement aux urbains

qui votent davantage34.

Parmi les quelques travaux français réalisés pour étudier et approfondir ce qu’était le

régime de Primo de Rivera entre 1923 et 1930, il faut citer la thèse de René Bec datant de 1933

réalisée à Montpellier, la dictature de Primo de Rivera, ou encore l’ouvrage de Paul Aubert en

1996 qui a étudié la relation entre la presse et le pouvoir de Primo de Rivera35. Plus récemment,

d’autres études sont sortis, comme celles de Benoit Pellistrandi, Histoire d’Espagne : des

guerres napoléoniennes à nos jours en 2013 ou de Jordi Canal, Histoire de l’Espagne

contemporaine de 1808 à nos jours : Politique et société en 2014, ce qui démontre un intérêt

nouveau pour l’Espagne de Primo de Rivera et un renouveau historiographique. Selon Jordi

Canal, le régime de Primo de Rivera n’était pas fasciste ou impérialiste comme le IIIème Reich,

mais plutôt un régime qui voulait renforcer « l’Etat », son pouvoir, afin de rendre stable

l’Espagne, en réaction aux instabilités politiques et sociales des années 1917 à 192336.

Pour résumer, Primo de Rivera « s’inscrit donc dans la famille des régimes gardiens

d’un ordre ancien, davantage que dans celle des régimes promoteurs d’un ordre nouveau »37.

31. Michel, Marie-Claire ZIMMERMANN, Histoire de la Catalogne, Paris, PUF, 1997 32. Benoît PELLISTRANDI, Histoire de l’Espagne : des guerres napoléoniennes à nos jours, Paris, Editions Perrin, 2013 33. Ibid 34. Ibid 35. Paul AUBERT, Jean-Michel DESVOIS, Presse et Pouvoir en Espagne 1868-1975, Bordeaux, Maison des pays ibériques / Madrid, Casa de Velasquez, 1996 36. Jordi CANAL, Histoire de l’Espagne contemporaine de 1808 à nos jours : Politique et société, Paris, Armand Colin, 2014 37. Ibid

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Jordi Canal résume ici en une phrase, la différence entre un régime contrôlé par des militaires

qui cherchent avant tout la stabilité, et les régimes qui cherchent à transformer les hommes et à

fonder une nouvelle société comme le concevront Mussolini ou Hitler plus tard. Jordi Canal

affirme que la chute de la dictature a permis un nouveau souffle démocratique, avec le discrédit

jeté sur la Monarchie et l’avènement d’une République.

L’historien français Benoit Pellistrandi, spécialiste de l’Espagne, fait une synthèse de

l’histoire de l’Espagne, « des guerres napoléoniennes à nos jours ». Il consacre une partie de

son ouvrage à la période qui couvre les années 1923 à 1975 et l’intitule « inventer la tradition ».

La dictature de Primo de Rivera est un essai de « renaissance nationale » après les divers échecs

du système politique parlementariste monopolisé par les libéraux et conservateurs, eux-mêmes

divisés dans leur parti respectif, et de gros problèmes sociaux entre ouvriers et patrons38.

Surtout, Benoît Pellistrandi conteste l’aspect de préfascisme ou préfranquisme associé au

régime de Primo de Rivera. Il replace ce régime dans la continuité du Désastre de 1898 qui fait

naître le régénérationnisme : ce régime s’inscrit dans le panorama des régimes autoritaires des

années 192039. Il est difficile de définir ce régime à cause de certaines contradictions

idéologiques et des incertitudes politiques.

Dans l’historiographie espagnole et plus globalement européenne, la dictature de Primo

de Rivera est découpée chronologiquement en deux temps : premièrement de 1923 à 1925 où

le pouvoir est concentré entre les mains de militaires et généraux, avec l’application du

régénérationnisme (suite à la crise de 1898) et une politique répressive, de réduction des libertés

individuelles (par exemple, application de la censure). Deuxièmement, de la fin 1925 à la chute

du régime : le directoire militaire s’ouvre et accepte des civils au pouvoir, c’est-à-dire d’anciens

hommes politiques qui exerçaient avant que Primo de Rivera ne gèle la constitution et ne

supprime les partis politiques. Ce qui correspond, sur le plan formel, à un assouplissement du

régime et à une transition vers plus de démocratie. Dans la réalité, cependant, il n’en est rien et

ce qui se dévoile est plutôt de l’ordre d’un affaiblissement du régime qui commence sa chute

vers la fin des années 1928-1929. Sur le régime en lui-même, il y a eu de nombreux débats

concernant sa nature exacte. Beaucoup, notamment des historiographes libéraux et marxistes,

l’ont réduite au fascisme ou d’une manière plus habile, à « une dictature molle »40 sur le modèle

38. Benoît PELLISTRANDI, Histoire de l’Espagne : des guerres napoléoniennes à nos jours, op.cit

39. Ibid 40. Jean-Pierre RISSOAN, Traditionalisme et révolution : les poussées d'extrémisme des origines à nos jours, vol.2 : du fascisme au 21 avril 2002, Paris, Aléas, 2007

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du régime de Mussolini. Ils ont considéré que ce régime était le précurseur du régime franquiste.

Globalement donc, ce régime est essentiellement perçu comme « pré-fasciste », lié aux

évènements qui précèdent son avènement.

Il est alors possible de remettre en cause les diverses thèses ou pensées des

historiographes libéraux ou marxistes, et de réfuter le caractère transitoire du régime de Primo

de Rivera vers le franquisme ou encore le prétendu caractère « fasciste » du régime, puisque

par sa politique de censure pragmatique et sa politique plutôt « gardienne », conservatrice, il

voulait éviter à tout prix insurrections et violences. Le régime a empêché justement l’arrivée et

la montée du fascisme en Espagne dans les années 20 et indirectement, a permis de faire naître

la volonté de fonder une République, ce qui va favoriser l’affirmation de la Catalogne en

relation avec le FC Barcelone dans ses convictions politiques.

Sport et politique sont-ils liés ? En tout cas, le football qui fonde la célébrité du FC

Barcelone « est devenu aujourd’hui un sport universel, [qui] permet de nourrir une démarche

comparatiste, indispensable lorsqu’on veut comprendre la spécificité des cas nationaux »41.

Pourtant, le football a longtemps été ignoré par les intellectuels, qu’ils soient historiens,

sociologues ou anthropologues. Grâce à la préface de Gérard Noiriel dans l’ouvrage Le football

des nations : des terrains de jeu aux communautés imaginées, qui explique le concept d’Etat-

Nation, puis le sport en tant qu’objet intellectuel (le but de cet ouvrage est de démontrer que le

football, sous une approche historique, devient un élément important pour définir une nation),

on apprend que ce n’est qu’à partir des années 1960 que le football est pris au sérieux, grâce au

sociologue allemand Norbert Elias. Il est le premier à se pencher sur le rapport entre le football

et la nation avec une approche historique, puisqu’il remonte jusqu’à la révolution industrielle

pendant laquelle « l’élévation du niveau de vie entraîne une certaine démocratisation des loisirs

qui offre de nouvelles possibilités d’affiliations identitaires aux gens du peuple »42. Le sport,

comme simple loisir, entraîne la multiplication d’associations sportives qui se présentent

comme un support social, ce qui permet, dans les cas anglais mais aussi italien et espagnol, de

faire prospérer des « « communautés imaginées » qui ne sont pas nationales, mais locales et

sociales »43. Ainsi, cette piste lancée par Norbert Elias peut nous permettre de nous pencher sur

41. Fabien ARCHAMBAULT, Stéphane BEAUD, William GASPARINI, Le football des nations : des terrains de jeu aux communautés imaginées, Paris, Publications de la Sorbonne, 2016

42. Ibid 43. Ibid

Page 14: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

14

le cas du FC Barcelone, de son identité et de son rapport avec la société pendant une période

semée de troubles et d’instabilité.

L’histoire du FC Barcelone a fait l’objet de plusieurs d’études, en particulier sur les

premières années après la fondation du club, les âges d’or sportifs du club (années 1920, 1950

1990 et 2009-2012), et les périodes de dictature. Le club et son influence culturelle ont été

étudiés par des anthropologues qui insistent sur le caractère mythique du club construit par « un

flot continue de microrécits » selon José Chaboche et Sylvie Fournié-Chaboche, ce qui

permettrait au club de renforcer son identité et de promouvoir à l’échelle internationale la

culture catalane. Selon ces mêmes chercheurs, « le Barça est aussi à la pointe de la

globalisation du football » et « se présente en « sponsor solidaire (…) pour mieux valoriser son

image mythique »44. Notons toutefois que ce dernier point n’est plus d’actualité puisque le

Qatar, depuis la présidence de Rossell, sponsorise le club. La rivalité contre Madrid fait partie

du mythe avec des matchs de légendes, et cette rivalité ne se limite pas qu’au football ; elle

concerne aussi le niveau politique par les revendications et différents soutiens politiques de

chaque camp. Par ailleurs, le FC Barcelone est aujourd’hui un club « marketing », qui est connu

dans le monde entier, ce qu’illustre la globalisation culturelle du club.

Le FC Barcelone est aussi étudié par les sociologues, encore que la sociologie du sport

en Espagne soit peu développée. Ce n’est qu’à partir de la fin des années 1990 que des

recherches sociologiques ont été menées, comme celles de Gabriel Colomé en 1999, sur les

positions politiques des équipes ou clubs de football. La plupart de ces travaux identifient le FC

Barcelone non seulement comme une institution sportive mais surtout comme une entité

fondamentale du catalanisme. Ainsi, lorsqu’ils évoquent la période de la dictature de Primo de

Rivera, la majorité des sociologues sont d’accord pour affirmer que le Barça a été un vecteur

social pour rassembler les supporters et leur donner la possibilité de s’exprimer publiquement

contre le régime. Ces mêmes sociologues, comme Quiroga, Spaaij et Llopis-Goig, s’accordent

à dire que le club affichait une position catalaniste hostile au régime, en la personne de son

président Gamper, et qui servait de porte-voix aux supporters. Aujourd’hui, le Barça fait partie

44. José CHABOCHE, Sylvie FOURNIE-CHABOCHE, « Les dimensions culturelles, discursives et territoriales de production et de marchandisation d’un mythe moderne », Journal des anthropologues [En ligne], 120-121 | 2010, mis en ligne le 04 août 2014, consulté le 26 septembre 2016.

Page 15: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

15

des clubs les plus populaires du monde. Avec plus de 1300 penyas45, et environ 150 000

« socios »46 en Espagne et dans le monde entier, le FC Barcelone est connu partout.

Dans ce travail de recherche, il s’agira d’étudier la place du FC Barcelone politiquement,

culturellement et socialement à toutes les échelles, locale comme internationale, entre 1917 et

1930. La période étudiée a été choisie en raison de son importance dans le contexte politique

espagnol et dans le contexte sportif du FC Barcelone. En 1917, l’Espagne connaît plusieurs

crises, à la fois militaire, politique et sociale tandis que dans le même temps, Joan Gamper lors

d’un événement privé au sein du club, tient un discours où il affirme officiellement le

rapprochement du Barça avec la société catalane. Après la détermination du catalan comme

langue officielle du club sous la présidence de Rosés le 1er juillet 191647, le Barça devient

ouvertement un club catalaniste. De plus, les années 1920 englobent la dictature de Primo de

Rivera et le premier âge d’or du FC Barcelone (5 Copas del Rey en 1920, 1922, 1925, 1926 et

1928, 10 championnats de Catalogne en 1919, 1920, 1921, 1922, 1924, 1925, 1926, 1927, 1928

et 1930), durant lequel il remporte la toute première édition du championnat espagnol, en 1929.

La dynamique sportive et sociale des Blaugranas, une Catalogne en plein essor, du point de vue

économique et identitaire, qui voit l’émergence des partis politiques catalanistes, voilà des

éléments à la lumière desquels il sera intéressant d’interroger les orientations du Barça.

A l’aide de quelles sources ce sujet a-t-il pu être traité ? Comme dans de nombreux

mémoires se concentrant sur une période de l’histoire contemporaine, l’utilisation d’articles de

presse est indispensable. Ainsi, je me suis plongé dans les médias sportifs comme Mundo

Deportivo, ou plus généralistes et orientés politiquement comme la Veu de Catalunya ou la

Vanguardia pour obtenir plus de précisions et d’informations sur certains aspects de mon sujet

que je n’aurais pas trouvées dans les lectures d’ouvrages historiques ou sociologiques.

Néanmoins, ce ne sont pas les sources les plus importantes, puisque je me suis surtout concentré

sur des sources primaires venant du FC Barcelone.

45. Une penya est une association de supporters reconnue par le club. Ces sociétés nées en Espagne ont été exportées et se sont implantées partout dans le monde. 46. Le socio est un propriétaire ou un actionnaire du club concerné, c’est un membre à part entière. Il a beaucoup de pouvoir puisqu’il peut participer aux processus consultatifs, à l’assemblée générale ou même demander une motion de censure pour révoquer le président du club. Le statut de socio se transmet de génération en génération ; si la personne qui souhaite devenir membre à part entière du club n’a pas de parents ou de frères « socio », dans le cas du FC Barcelone, il doit pendant 3 ans, payer annuellement un carnet d’engagement. 47. Henry DE LAGUERIE, Les Catalans, op.cit

Page 16: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

16

D’abord, j’ai eu la chance de fréquenter les archives du FC Barcelone, appelés le

« centre de documentacio », situés au deuxième étage du musée du FC Barcelone. Grâce à la

bienveillance et l’aide de M. Manuel Tomas, responsable de ces archives, j’ai pu dépouiller et

analyser plusieurs « livres des actes ». Ce sont des livres de 200 pages dans lesquels est consigné

le bilan de chaque réunion de la Junta Directiva, la haute-administration du club48. Grâce à ces

livres des actes, nous pouvons avoir connaissance de l’état du club régulièrement, et savoir

quels sont les contributions financières ou sociales du club. Ainsi, j’ai pu avoir accès au livre

des actes numéro 2, concernant la période de 1916 à mai 191949 ; au numéro 3 qui va de juin

1919 à mai 192150 et au numéro 6, traitant de 1923 à mai 192651. Malheureusement, entre 1921

et 1923, et entre 1926 et 1930, aucune possibilité n’existe de connaître les comptes rendus.

Parmi les autres documents du FC Barcelone, j’ai disposé d’un Estatut qui date de

192152. Il détermine juridiquement les normes selon lesquelles le club est en activité. Sur 16

pages, l’Estatut est organisé en 12 points, avec au total 45 articles. On peut également citer les

Bulletins officiels du club, qui répertorient l’actualité globale du FC Barcelone, avec des

chroniques. Depuis Internet, j’ai pu analyser ceux de 192153 et de 192854. Autre source qui

pouvait avoir son importance, des tracts de matchs datant de 1922 qui présentent notamment

des adversaires qui allaient se mesurer au FC Barcelone, ce qui permet par exemple de connaître

l’influence et l’importance du club à ce moment-là55.

Enfin, compte tenu du contexte politique, avec l’importance de la Renaixença, de

l’émergence du catalanisme, et l’omniprésence du sport dans la société grâce aux médias dans

les années 1920, il me semblait pertinent de me concentrer sur des sources littéraires et de ne

pas négliger les représentations des joueurs de football, devenant à partir des années 1920, des

stars de leur époque. Cartes, affichettes, boîtes de chocolats, des puzzles en passant par le poème

de Rafael Alberti « Odo a Platko » et ses mémoires, sont des sources pouvant multiplier les

bonnes questions et enrichir le sujet en se concentrant sur plusieurs aspects.

48. C’est le conseil d’administration du club, composé des principaux dirigeants. La Junta Directiva est l’organe exécutif qui prend les décisions du FC Barcelone. 49. Voir annexe 1 50. Voir annexe 2 51. Voir annexe 3 52. Voir annexe 4 53. Voir annexe 5 54. Voir annexe 6 55. Voir annexe 7

Page 17: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

17

Pour traiter le sujet, nous proposons de soulever la problématique suivante : dans quelle

mesure le FC Barcelone est-il devenu une entité fondamentale de la Catalogne, à la fois

culturelle et politique, jusqu’à s’élever au rang de « l’institution la plus importante de

Catalogne » entre 1917 et 1930 ? Nous pouvons ajoutons d’autres questions qui permettront de

préciser nos orientations de recherche. Est-ce qu’une association sportive comme le FC

Barcelone peut s’inscrire dans l’héritage laissé par la « Renaixença » ? Au-delà du FC

Barcelone, le football est-il le moyen principal d’affirmer une identité politique et culturelle ?

Pour répondre à ces questions, nous allons procéder selon trois axes, subdivisés chacun

en trois chapitres. D’abord, nous traiterons l’aspect politique, en analysant l’identité du FC

Barcelone, sa culture politique. On s’intéressera aux différents dirigeants du club, à leur

influence sur les actions du club et ses relations politiques. Ensuite, dans un second temps, nous

observerons le club sportif à travers les différentes modalités de son inscription dans la société.

Il s’agit de discerner ses relations sociales à une échelle régionale dans le but de définir

l’importance du FC Barcelone au sein de la Catalogne en tant qu’outil de cohésion sociale et

son influence dans l’univers sportif. On pourra ainsi voir que ce club a été un support

d’intégration pour les individus venant d’autres régions d’Espagne. Enfin, dans une dernière

partie, nous analyserons comment le FC Barcelone est perçu et utilisé comme support politique,

culturel et symbolique par le peuple catalan. Il s’agit de voir si le Barça était déjà « l’institution

la plus importante de Catalogne » dès les années 1920, à la fois au niveau local, par le biais de

son appropriation par les Catalans ou des artistes, et à une plus grande échelle, par

l’intermédiaire de ses déplacements ou de ses relations politico-sportives.

Page 18: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

18

Partie I

-

Le FC Barcelone : l’émanation d’un désir d’affirmation catalaniste

Page 19: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

19

Chapitre 1 – Un club dirigé et soutenu par les catalanistes

1) Les différents dirigeants : un club essentiellement géré par des catalanistes

Comme toute association sportive, le FC Barcelone a sa propre administration totalement

indépendante de l’Etat ou de la Catalogne, et celle-ci peut donc gérer le club comme elle veut.

Le président est personnage le principal du conseil d’administration, appelé dans son

appellation originale, la Junta Directiva. Pour accéder au poste le plus important du club, il faut

que ce dirigeant et ses associés qui formeront l’administration, au nombre de 7, soient choisis

par l’assemblée des socios, sans forcément passer par une élection présidentielle.

Le 24 juin 2016, un nouveau président est élu ; il s’agit de Gaspar Rosès. Dès son

investiture, Rosès prend une décision forte et qui va déterminer l’identité du club. En effet, un

socio, dénommé Lluis Busi, demande que le catalan soit conjointement avec le castillan la

langue officielle du club. Auparavant, le club s’est construit autour d’influences locales et

étrangères. Il a été fondé juste pour promouvoir le football dans la ville de Barcelone56. Dans

les premières années de sa fondation, le Barça comptait surtout dans ses rangs des joueurs

étrangers. Hormis Gamper, ces travailleurs, pour la plupart anglais n’avaient aucun rapport avec

la politique locale57.

Dans le sillage de la Renaixença, en pleine émergence, la langue de Valenti Amirall est

présente au club : les bulletins officiels, les comptes-rendus des réunions de la Junta Directiva

dans le livre des actes et autres documents sont désormais rédigés dans cette langue. Gaspar

Rosès, militant actif du parti catalaniste Lliga Regionalista, est le précurseur de l’identité

catalaniste qu’adopte progressivement le FC Barcelone. Son mandat prend fin le 17 juin 1917

et c’est Joan Gamper, le président-fondateur qui lui succède. Et c’est réellement sous sa tutelle

que le club confirme son tournant « catalaniste ». En effet, dans un discours prononcé lors d’un

événement privé au sein du club, Gamper affirme sa volonté de se rapprocher de la société

catalane. Le contexte en 1917 dans le territoire espagnol a sûrement favorisé cette intention.

56. Ramon SPAAIJ, Understanding Football Hooliganism : A comparison of Six Western European Football Clubs, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2006 57. Ibid

Page 20: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

20

En effet, L’Espagne connaît une triple crise en 1917. D’abord, du côté de l’armée. Les

militaires sont mécontents de leur situation et forment des Juntas de Défense, associations qui

s’opposent à l’avancement selon les mérites de la guerre. Pour eux, le critère principal pour

gravir les échelons est l’ancienneté au sein de l’armée. Deuxièmement, du côté politique. Les

conservateurs et libéraux monopolisent le pouvoir grâce au caciquisme, démontrant ainsi que

le régime parlementaire est très fragile et qu’il n’a aucune alternative depuis la Restauration.

Surtout, cette année-là, les derniers gouvernements sont autoritaires, voulant limiter le pouvoir

des Cortès et la liberté d’expression58. Les individus n’appartenant pas à ces bords politiques

ne peuvent pas contribuer à la vie politique du pays, notamment les catalanistes ou les

socialistes qui en conçoivent des frustrations.

Entre 1917 et 1923, enfin, c’est la crise sociale. En plus de l’affaiblissement progressif de

l’institution (11 gouvernements, soit 1 tous les 5 mois59), la société est au bord de l’implosion.

Le pouvoir d’achat se détériore, et une grève générale, pour dénoncer la vie chère, est organisée

en août 1917 par les syndicats, en l’occurrence l’UGT et la CNT. Evidemment, à côté des

revendications sociales, les revendications politiques se font entendre : volonté de dissoudre la

Monarchie, la fin du système cacique.

De plus, la violence dans la société espagnole, notamment à Barcelone et aux alentours, est

extrêmement présente, liée à une guerre sans merci entre employés (ouvriers) et employeurs

(les patrons), dans et en dehors de l’usine : c’est le pistolerismo60. Ce phénomène a surtout été

provoqué par la montée en puissance des syndicats, l’UGT et le CNT, qui accueillent de plus

en plus de membres dans leurs rangs. Les grèves s’enchaînent, c’est un autre facteur qui fragilise

encore davantage l’Espagne, puisque les oppositions politiques (dont fait partie le catalanisme)

se radicalisent, et l’année 1921 est un cauchemar : disparition du chef du gouvernement, Dato,

assassiné par des syndicalistes barcelonais, terrible défaite militaire d’Anoual. La crise

s’approfondit et l’Espagne à ce moment-là est dans une impasse à la fois politique, économique

et sociale, dans la continuité de la triple crise.

Dans quelle mesure les crises entre 1917 et 1923, ou la dictature, surtout pendant le

directoire militaire, ont-elles influencé la détermination de l’identité du FC Barcelone et la mise

58. Jordi CANAL, Histoire de l’Espagne contemporaine de 1808 à nos jours : Politique et société, op.cit 59. Benoît PELLISTRANDI, Histoire de l’Espagne : des guerres napoléoniennes à nos jours, op.cit

60. Ibid

Page 21: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

21

en place de dirigeants d’un bord politique particulier, en dehors de ceux qui incarnent le

système ?

Comme nous l’avons dit, Gamper est président du club pendant la triple crise, et est le

successeur d’un membre de Lliga Regionalista, Gaspar Rosés. Joan Gamper est celui qui a

officiellement assumé le statut catalaniste du Barça, et n’a cessé de défendre l’identité catalane

du club, en opposition à son rival, l’Espanyol, qui est réputé pour être proche de Madrid et

favorable à la centralisation61. Il est président jusqu’au 16 juin 1919. Celui qui lui succède à la

tête de la Junta directiva se nomme Ricard Graells. Il reste à la tête du club jusqu’au 27 juin

1920. Il s’inscrit dans la lignée de Gamper car il ne met pas de côtés les aspirations autonomistes

catalanes.

Le 27 juin 1920, c’est Gaspar Rosés qui revient à la présidence du club. En plus d’avoir

été un des premiers hommes à intégrer le catalanisme au Barça, il est également un acteur

politique. En effet, il est affilié au parti politique Lliga Regionalista. C’est un parti catalaniste,

c’est-à-dire un parti strictement catalan, à l’écart des partis espagnols, fondé par Enric Prat de

la Riba et Francesc Cambo. Ses militants défendent « une idéologie proposant une synthèse

entre le patriotisme de la bourgeoisie barcelonaise et le traditionalisme de la Catalogne

rurale »62. C’est un catalanisme monarchique, modéré et conservateur qui prône l’autonomie

(et non le séparatisme). Ce parti domine la vie politique catalane jusqu’en 1923 avant d’être

interdit par le régime de Primo de Rivera. Le mouvement catalaniste est en pleine prospérité,

suite notamment à la fondation de la Mancomunitat en 1914, un organisme commun aux quatre

provinces catalanes qui envisage une politique de progrès économique et culturel avec une

certaine autonomie63. Avec Lliga Regionalista, Gerard Rosés est élu député au Congrès des

Députés lors des élections générales de 191864. De plus, il a aussi participé au développement

culturel de la Catalogne en fondant avec Francesc Cambo et Enric Prat de la Riba une maison

d’édition, Editorial Catalana, en 1917. Les publications, d’inspiration scientifique sont

consacrées à la Catalogne, à son économie en particulier.

61. Alejandro QUIROGA, Football and National Identities in Spain : The Strange Death of Don Quixote, Palgrave Macmillan, 2013

62. Alicia FERNANDEZ GARCIA, Mathieu PETITHOMME, « Structuration et trajectoires idéologiques des partis catalanistes et nationalistes catalans depuis la Transition », Cahiers de civilisation espagnole contemporaine [En ligne], 13 | 2014, mis en ligne le 28 décembre 2014, consulté le 20 septembre 2016. 63. Michel BOUILLE, Claude COLOMER, Histoire des Catalans, op.cit 64. Lliga Regionalista a obtenu 21 sièges au Congrès des Députés.

Page 22: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

22

Après Rosés, Gamper retrouve la direction du club le 17 juillet 1921, et exerce ses

fonctions jusqu’au 29 juin 1923. Son remplaçant est Enric Cardona Panella. Contrairement aux

deux derniers présidents, Cardona n’a jamais été à la tête d’un poste aussi important que la

présidence. Surtout, il ne peut pas exprimer autant les valeurs catalanistes du club puisqu’on est

sous la dictature de Primo de Rivera qui bannit tout élément faisant apologie du régionalisme.

Ainsi, Enric Cardona limite l’influence catalaniste et contraint les supporters de ne pas

s’exprimer sur leurs opinions politiques, afin que le club n’ait pas de problèmes avec le

directoire militaire. Le 1er juin 1924, Gamper rempile pour un cinquième mandat à la tête du

club.

Toutefois, en juin 1925, le Barça est touché par une affaire : celle de la Marcha Real aux

Corts. Le 14 juin 1925, les supporters sifflent copieusement l’hymne espagnol, ce qui entraîne

la fermeture de ce stade pour 6 mois65. Les dirigeants en place, dont Gamper ne peuvent plus

exercer leurs fonctions et sont menacés par le régime. Le président-fondateur suisse en fuite,

Joan Coma assure l’intérim et sera par ailleurs, président du club à partir de la Seconde

République. Cette affaire de la Marcha Real est un tournant. Après la démission de Gamper et

l’intérim assuré par Coma, un nouveau personnage surgit en effet au poste le plus prestigieux :

Arcadi Balaguer. Il a été mis en place par la Monarchie et Primo de Rivera, ayant de bonnes

relations personnelles avec les deux. Ainsi, alors que le régime de Primo de Rivera commence

à être moins répressif et à connaître un déclin, la valeur catalaniste revendiquée par le Barça se

trouve pourtant potentiellement menacée. L’image de Balaguer, industriel aristocrate, est

préservée par une instrumentalisation de la part du pouvoir : il obtient officiellement un

allègement de la sanction concernant la fermeture des Corts et restera au Barça jusqu’au 23

mars 1929.

Enfin, Tomas Rosés profite de la démission de Balaguer pour devenir le nouveau

président de l’institution sportive catalane. Né à Liverpool, il appartient à une famille

d’industriels catalans. D’un point de vue sociétal, il a des relations importantes avec la société

catalane. Il est passionné de sport et a déjà contribué à l’organisation de compétitions de régates

nautiques en Catalogne66. Le 30 juin 1930, Gaspar Rosés reprend de nouveau le flambeau,

65. Mercè MORALES MONTOYA, Futbol Club Barcelona, conoce su historia : de los origenes a la consagracion 1899-1950, op.cit

66. Archive de La Vanguardia en ligne (samedi 2 mars 1929) : http://hemeroteca-paginas.lavanguardia.com/LVE07/HEM/1929/03/02/LVG19290302-015.pdf.

Page 23: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

23

jusqu’au 22 octobre 1931, alors que l’Espagne est entrée, depuis le 14 avril 1931, dans la

Seconde République, après les élections municipales et l’abdication du roi Alphonse XIII.

A la tête du club, catalaniste ou proche de la Monarchie, comment ces dirigeants ont-ils

utilisé le club ?

Page 24: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

24

2-) Actions et influences des dirigeants du club

Avec des catalanistes au pouvoir, le club est logiquement dans un processus de

politisation dès 1917, à un moment précis où l’Espagne entre dans une ère de crise. C’est le

moment parfait pour utiliser le FC Barcelone comme alternative, dans la continuité de la

Renaixença, à des fins politiques. Comment les dirigeants utilisent-ils le FC Barcelone dans

leurs stratégies politiques ? Le club peut-il être considéré comme un représentant du parti

politique Lliga Regionalista ?

On peut constater que le club est bien plus qu’une entité ou association sportive. Surtout,

entre 1917 et 1923, le FC Barcelone est un support politique parfait pour des dirigeants qui sont

engagés politiquement, et souhaitent profiter de l’essor du catalanisme. Même si les membres

de la Junta Directiva expriment rarement leurs opinions politiques publiquement en utilisant le

club, lorsqu’ils le font, c’est un « acte extraordinaire ».

Ainsi, dans le livre des actes, on peut repérer un acte extraordinaire qui date du 6 mai

1920. L’Espagne et la Catalogne connaissent une période pleine de tensions. Les

gouvernements s’enchaînent les uns après les autres, en moyenne tous les 5 mois67. D’un point

de vue social, les patrons et ouvriers sont dans l’affrontement et vont jusqu’à s’entretuer

(pistolérisme). Par le biais de cet acte, le FC Barcelone réagit et se propose même d’être un

protagoniste de la vie politique espagnole : « respecte a la cel-lebracio de l’Assambla Nacional

s’acorda demana l’apoi de varis clubs per a que’s celebri una assamblea regional per a

designar els delegats qu’hogen de portar la representacio de Catalunya a la Nacional »68. A

travers ce texte, les dirigeants prennent l’initiative d’organiser une Assemblée régionale

composée de divers clubs catalans qui choisiront, comme le FC Barcelone, les délégués qui

iront représenter la Catalogne à l’Assemblée nationale.

Les dirigeants manifestent ainsi une certaine supériorité et la volonté d’être les chefs de

file à la fois du sport catalan et d’une politique favorable aux intérêts catalans. En tout cas, il

n’est pas impossible que Francesc Cambo ait influencé le club dans la prise d’une telle décision.

Sympathisant du club et membre de Lliga Regionalista, Cambo a participé à un « gouvernement

de concentration nationale »69 dirigé par Antonio Maura en 1918. Afin de pouvoir être en

67. Benoît PELLISTRANDI, Histoire de l’Espagne : des guerres napoléoniennes à nos jours, op.cit 68. Livre des actes (juin 1919-mai 1921) 69. Ibid

Page 25: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

25

position de force et d’avoir une certaine légitimité dans une demande ultérieure de l’autonomie,

les politiciens catalanistes essaient dans un premier temps de servir le gouvernement centralisé

à Madrid pour contribuer au retour de la grande Espagne, perdue depuis 1898. Et ils pensent

ainsi servir également les intérêts du FC Barcelone en s’impliquant dans la vie politique, afin

d’affirmer l’identité du club désormais bien assumée.

Pendant la dictature, avec l’impossibilité d’exprimer ses convictions catalanistes en

public, et l’incompatibilité de l’identité du club avec les ambitions politiques très

centralisatrices de Primo de Rivera, le Barça se recentre sur sa région. En effet, des négociations

pour obtenir plus d’autonomie ou la promotion de la culture catalane semblent compromises,

ce qui n’empêche pas les idées politiques catalanistes de se développer. Surtout, de plus en plus

de personnes sont convaincues et rejoignent le mouvement catalaniste qui se radicalise dans les

années 192070.

En dehors des intellectuels et des artistes, le FC Barcelone reste un appui considérable

pour favoriser l’adhésion de nouveaux militants auprès de la Lliga Regionalista et d’autres

partis catalanistes.

Alors, on peut lire dans un acte datant du 25 février 1924 : « Organizar una votacion

entre los socios para que estos manifiesten su opinion con el fin de que pueda el club tomar

parte en el plesbicito organizado por el Ayuntamiento respecto a la … reforma de las

Ramblas »71. Alors que la dictature n’est en place que depuis quelques mois, les Catalans voient

leur liberté se réduire considérablement. De nombreux décrets et circulaires sont mis en œuvre

rapidement : tout d’abord, la déclaration d’état de guerre le 14 septembre 1923, le 18 septembre,

la traduction des délits contre la sécurité et l’unité de la patrie devant les tribunaux militaires,

et le 25 septembre, la primauté des juridictions militaires pour les délits contre la sécurité

extérieure. Les gouverneurs militaires remplacent les gouverneurs civils et dirigent pendant

plus de 7 mois avec tous les pouvoirs, dans le but de « créer un Etat d’exception dans lequel

les mesures répressives sont censées favoriser un « assainissement » de la situation ».72 La

population catalane est privée de tous ses éléments culturels : sa langue, le catalan, interdite en

70. Alicia FERNANDEZ GARCIA, Mathieu PETITHOMME, « L’émergence du nationalisme catalan sous la Restauration bourbonienne en Espagne (1874-1931) », Parlements : revue d’histoire politique n°23 (p.177-192), 2016, consulté le 20 septembre 2016

71. Livre des Actes (octobre 1923-mai 1926) 72. Benoît PELLISTRANDI, Histoire de l’Espagne : des guerres napoléoniennes à nos jours, op.cit

Page 26: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

26

public, tout comme son drapeau, la Senyera. La répression doit servir à rétablir l’ordre et à

affirmer la hiérarchie.

Pour en revenir à l’acte du 25 février 1924, les Catalans sont contraints de se replier et

de revendiquer leur culture dans le plus grand secret. Le FC Barcelone propose d’organiser un

vote des membres du club pour connaître leurs opinions sur une réforme consacrée aux

Ramblas, lieu de promenade et de rencontres. D’après ce texte, le club souhaite prendre part à

ce plébiscite organisé par la mairie de Barcelone, ce qui signifie qu’il s’implique directement

dans la gestion politique de sa propre ville. On peut interpréter cela comme la volonté, de la

part des dirigeants, de réaffirmer la préoccupation catalaniste à un moment où beaucoup

craignent que la ville, avec toute la Catalogne, échappent de leurs mains au profit du directoire

militaire. En quelque sorte, le FC Barcelone se propose comme une alternative directe du

régime dans sa propre région. Le club devant appartenir aux socios, la relation avec la société

est importante et étroite. On voit bien que le club participe à la vie politique et sociale locale

pendant la dictature de Primo de Rivera. Il suit la tendance de la politique catalaniste et du

peuple en général qui est de plus en plus attaché aux valeurs du catalanisme.

Ainsi, on peut penser que plus la société se « catalanise », comme c’est le cas entre 1923

et 1925, plus le club se rapproche de cette mentalité afin d’unir le plus possible. Les dirigeants

semblent administrer le club dans cet esprit, l’utilisant comme un support culturel, sur lequel

les gens peuvent s’appuyer pour s’exprimer. Après, il paraît audacieux d’affirmer qu’il s’agit

d’une stratégie délibérée en faveur de la Lliga Regionalista. En tout cas, concernant cette

réforme des Ramblas, le fait que le club ait son mot à dire en réunissant ses membres, montre

que le club est un vrai point d’appui pour peser dans la vie politique catalane.

Alors, comme le FC Barcelone, bien qu’il soit avant tout une institution sportive, est un

élément stratégique politique et social extrêmement utilisé par les catalanistes, dans quelle

mesure le Barça s’inscrit-il dans le mouvement catalaniste ? Quelles sont ses véritables actions ?

Page 27: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

27

Chapitre 2 – Un soutien totalement assumé du mouvement catalaniste

1-) Plus qu’une association sportive : un militant politique

Par le biais des dirigeants politiques, le Barça, tout au long de notre période est un

support permettant le militantisme politique. Surtout en étant le point d’appui numéro 1 du

catalanisme, un « mouvement de revendication nationale qui propose la reconnaissance

politico-culturelle de la Catalogne »73, selon le Diccionari d'Historia de Catalunya.

Le catalanisme est un mouvement culturel qui revendique la reconnaissance de la culture

catalane, sans affirmer cependant de volonté séparatiste. Il revendique avant tout la renaissance

de la littérature et de la langue catalanes, plus d’autonomie avec la préservation des intérêts

catalans et une meilleure reconnaissance identitaire : ainsi, cela englobe les domaines de la

culture, de l’économie, de la société et de la politique en même temps. Le nationalisme catalan

englobe tout cela aussi mais est bien plus axé sur le phénomène social et surtout politique.

L’inscription dans le mouvement catalaniste passe par l’importance de la langue : le

catalan. Le fait de s’imprégner de cette langue et de la pratiquer est un critère fondamental pour

embrasser le catalanisme. Le livre des actes est là pour témoigner de l’omniprésence du catalan

au sein du club. En effet, depuis le 1er juillet 1916, lorsque Gaspar Rosés arrive à la tête du FC

Barcelone, les comptes rendus de chaque réunion du club sont désormais rédigés en langue

catalane. Ainsi, le catalan est la langue officielle du club, c’est-à-dire qu’en plus des comptes

rendus, tous les documents du club sont aussi écrits en catalan.

Lire et écrire en catalan, c’est militer pour le catalanisme, ce qui est le cas du FC

Barcelone : cette décision y a été approuvée et va se maintenir. Il s’agit de l’élément le plus

important au niveau culturel. En effet, un document du club, l’Estatut, livre une information

précieuse : le tout 1er article détermine d’emblée l’identité du Barça : « siguent el seu idioma el

català »74.

De plus, dans un compte rendu qui date du 17 juin 1917, on peut lire : « Vinas demana

a la nova Junta que segueixi duibre el Club i a fora la mateixa catalanitat que ha porta

73. Josep M. SALRACH I MALRES, Josep TERMES, Diccionari d’Historia de Catalunya 1e éd, Barcelone, Edicions 62, 1992 74. Article 1 de l’Estatut du FC Barcelone en 1921. Voir annexe 8

Page 28: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

28

aguixa »75. Ce jour-là, Gamper est réinvesti en tant que président du FC Barcelone et cette

phrase confirme sa position politique du choix de la langue catalane. Ainsi, la langue catalane

est le point départ de l’affirmation politique du club, qui va lui permettre de s’insérer pleinement

dans la société catalane. Ce militantisme politique va s’accentuer rapidement.

En effet, un autre fait très important est à souligner, le 11 novembre 1918, jour de la

Diada : le FC Barcelone affirme symboliquement son soutien à la Mancomunidad. Il s’agit d’un

organisme régional fondé en 1914, qui est plus précisément d’après l’historien catalan Jaume

Sobrequés I Callico, « un organisme qui gérera d’importants services en réunissant, sous une

seule administration, les quatre diputations provinciales de Barcelone, Tarragone, Lérida et

Gérone »76. Elle n’a pas de marge de manœuvre politique mais est un symbole fondamental de

la Catalogne en tant que territoire unifié.

En plus de soutenir les institutions culturelles catalanes, le Barça soutient publiquement

les conseillers municipaux de la Lliga Regionalista engagés en faveur de l’autonomie de la

Catalogne. En effet, par l’intermédiaire du Veu de Catalunya (journal ouvertement catalaniste

puisque ce sont des membres de Lliga Regionalista qui le gèrent), dans un article datant du 25

novembre 1918, le club exprime publiquement et ouvertement sa position politique en affirmant

« adhérer officiellement, et par écrit, à la pétition d’autonomie faite par les municipalités de

Catalogne »77. Ainsi, le club peut s’exprimer directement dans le journal de façon à toucher

l’ensemble de la société catalane et affirmer officiellement sa participation à la campagne pour

l’autonomie de la Catalogne, dirigée par Francesc Cambo. En outre, le Barça assume son

militantisme catalaniste en dehors même de la presse : dans la rue.

Le catalanisme étant avant tout un mouvement culturel, se considérer comme catalaniste

engage la participation aux fêtes populaires catalanes. L’exemple le plus marquant est celui de

la présence du FC Barcelone à la Diada de 1919. La Diada est la fête la plus importante en

Catalogne et est considérée comme un symbole national selon l’article 8.1 du Statut

d’Autonomie de 2006. Depuis 1886, elle est célébrée le 11 septembre et est un jour férié. Elle

commémore la défaite des Catalans face aux Bourbons lors de la Guerre de Succession

d’Espagne (1702 à 1714), une déconvenue survenue le 11 septembre 1714.78 De ce moment-là,

les Bourbons font disparaître les institutions politiques catalanes et la langue espagnole est

75. Livre des actes (1916-mai 1919) 76. Jaume SOBREQUES I CALLICO, Histoire de la Catalogne, op.cit 77. Voir annexe 9 78. Michel, Marie-Claire ZIMMERMANN, Histoire de la Catalogne, Paris, PUF, 1997

Page 29: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

29

imposée au détriment du catalan. Ainsi, cette fête est très importante en Catalogne, et y

participer est évidemment une évidence pour n’importe quel catalan qui se remémore son

histoire.

Traditionnellement, à chaque 11 septembre, les gens déposent des fleurs sur la tombe

de Rafael Casanova, dernier chef des conseillers des Cent. Il a été le chef armé des forces

catalanes contre les troupes Bourbons pendant la Guerre de Succession en 1713 et 171479. Les

gens viennent se recueillir sur sa tombe pour rappeler la fierté des troupes catalanes contre les

Bourbons.

Ce 11 septembre 1919, les dirigeants déposent sur la tombe de Rafael Casanova, en

offrande, une composition florale en forme d’écusson du club80 : par ce geste commémoratif

hautement symbolique, le Barça amplifie ses liens avec le catalanisme et la communauté

catalane. D’autant que c’est la première fois que l’institution sportive catalane prend part à la

Diada. C’est avant tout s’inscrire dans la mémoire de ceux qui se sont battus pour garder la

liberté de la Catalogne. Ce n’est pas un hasard si les hommages en faveur de Rafael Casanova

furent interdits sous la dictature de Primo de Rivera.

Le Barça continue alors de s’afficher comme la référence culturelle sportive de la

Catalogne par sa présence à différentes fêtes catalanes et son implication dans des rituels

chargés d’entretenir une mémoire fondatrice de l’identité. Il est à que lors de cette Diada de

1919, le Barça est la seule institution sportive à déposer des fleurs devant la statue de Casanova.

Le FC Barcelone, par l’intermédiaire de ses socios, prend de plus en plus de place au

sein de la société, et peut être considéré comme un chef de file grâce à ses excellents résultats

sportifs. Entre 1917 et 1923, le Barça connaît son premier âge d’or : 2 Coupes nationales et 4

championnats de Catalognes remportés consécutivement (de 1919 à 1923), sous la houlette de

Jack Greenwell, le premier entraîneur rémunéré au sein du club81.

Ainsi, dans un contexte sportif particulièrement florissant, avec des activités qui le

mettent en lien, à la fois avec les partis politiques et la société de toute la région catalane, le

Barça peut prétendre au titre de chef de file de la Catalogne. Cependant, les positions politiques

79. Joan CREXELL I PLAYA, El Monument a Rafael Casanova, Barcelone, Ed. El Llamp, 1985. 80. Voir annexe 10 81. Mercè MORALES MONTOYA, Futbol Club Barcelona, conoce su historia : de los origenes a la consagracion 1899-1950, op.cit

Page 30: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

30

du Barça évoluent-elles, en particulier pendant la dictature qui réprime toute apologie du

régionalisme ? Sont-elles plus fortes ou en retrait ?

Page 31: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

31

2-) Un lien privilégié avec la Catalogne

Le FC Barcelone n’est pas seulement le représentant d’une ville mais de toute une région

dont certains la considèrent comme un pays. A l’image de sa participation à la fête nationale

catalane du 11 septembre ou de son soutien au statut d’autonomie, le club est lié à sa région

avec laquelle il entretient une relation particulière.

Evidemment, cela passe par la conservation et la perpétuation de l’identité du club à

laquelle les habitants de ces terres adhèrent. Ricard Graells, le 26 juin 1919, confirme la position

identitaire du club, comme on peut le voir dans le livre des actes : « L’actual junta fa constar

el seu term proposit de seguir l’orientacio que la antecedora amb tan acert ha dignat al club

per tots concepte, refermant, si cap, la catalanitat »82.

Les socios, faisant partie intégrante, au-delà de Barcelone, de la société catalane, ont

influencé le club par leurs positions politiques, et les relations entre le club et la région en elle-

même se sont intensifiées. Ainsi, tant que le club est entre les mains d’un catalaniste, c’est-à-

dire jusqu’en 1925 après l’affaire de la Marcha Real, il reste officiellement catalaniste. Et ça,

c’est indispensable pour entretenir sa relation avec le peuple, et assurer ce soutien populaire si

important, qui est aussi une source de revenus non négligeable pour le club (par exemple, la

billetterie du stade). Cette identité à laquelle le public peut s’identifier permet une véritable

relation, qui aura toute son importance à partir de la dictature de Primo de Rivera.

Afin de développer sa relation avec l’ensemble de la Catalogne, le club n’hésite pas à

récompenser les Catalans qui se sont illustrés pendant la première guerre mondiale. Le 13

novembre 1924, sous le mandat de Gamper : « Contribuir con cien pesetas a la subscripcion

iniciada por el consulado de Francia (…) en Barcelona para los soldados catalanes muertos

en la guerre »83.

On peut constater dans un premier temps que le Barça, en grand frère, souhaite rendre

hommage à ses « martyrs » qui ont participé à la Première Guerre Mondiale, comme l’exécutif

d’un Etat. Si on se fie aux valeurs du club, ces soldats ont pu être des socios et sont en quelque

sorte des « frères » catalans, puisque le club, comme ceux qui le représentent, et les autres

habitants de ce même territoire, partagent une histoire et un avenir commun. Le fait d’avoir

82. Livre des Actes (juin 1919-mai 1921) 83. Livre des Actes (octobre 1923-mai 1926)

Page 32: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

32

représenté la Catalogne sur un champ bataille est glorieux et le Barça joue son rôle – un rôle

politique – de chef de file de la Catalogne en récompensant les « martyrs ».

Deuxièmement, le club assume ce rôle jusqu’au bout en faisant une contribution

financière au consulat de France. En effet, la Catalogne a contribué à la victoire des alliés. Une

bonne partie des Catalans est francophile, et a formé une légion catalane qui comptait entre

12 000 et 15 000 volontaires84. Seuls 3000 ont survécu. La relation entre la France et la

Catalogne est forte pendant la guerre. Par exemple, il y a des actions de soutien en Catalogne,

comme à Barcelone en juin 1918 où un comité est chargé d’accueillir des orphelins de guerre

français85. Le 11 novembre 1918, des télégrammes et des lettres de félicitations arrivent dans

le Roussillon de la part des Catalans depuis Barcelone86. Bien qu’après la guerre, les relations

entre Français et Catalans se soient détériorées (la Catalogne souhaitait rattacher le Roussillon

à son territoire, ce qu’a refusé la France qui a en plus interdit aux généraux catalans de prendre

part au défilé de la victoire), la France et la Catalogne restent liées.

Ainsi, dans cette situation, on constate que le FC Barcelone mène des actions de

« relations internationales » au nom de la Catalogne. Ses dirigeants font du Barça une sorte de

diplomate au service d’une région qui cherche son autonomie, tout du moins qui incite ses

habitants à se reconnaître comme peuple. D’ailleurs, à la fin de la guerre, les volontaires

catalans envoient une lettre au président Wilson, datant du 30 novembre 1918. Ils demandent

directement au président américain, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, une

reconnaissance de la Catalogne et qu’elle puisse accéder à la Société des Nations87.

Le FC Barcelone veille à encourager la cohésion du peuple catalan par sa politique

sportive également.

Depuis l’année 1904, une sélection catalane existe. Elle est censée regrouper tous les

meilleurs joueurs natifs de la Catalogne. Toutefois, les rencontres qu’elle dispute ne sont pas

officielles puisque la Catalogne n’est pas reconnue par la FIFA. Contrôlée seulement par la

Fédération Catalane de Football, elle ne peut ainsi pas prendre part à des compétitions

internationales, bien que la Coupe du Monde n’arrive qu’en 1930, tandis que le Championnat

84. Michel BOUILLE, Claude COLOMER, Histoire des Catalans, op.cit 85. Ibid 86. Ibid 87. Ibid

Page 33: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

33

d’Europe verra le jour à partir de 1960. Cependant, un match joué par l’équipe de Catalogne est

toujours spécial : l’enjeu symbolique y prend le pas sur l’enjeu sportif.

Entre 1917 et 1930, la sélection catalane dispute 56 matchs. Dans le bulletin officiel du

club en 1921, on peut retrouver dans l’historique des communications du club, plus précisément

dans l’index de correspondance du mois février, un échange avec Lluis Arnalot le 28 janvier

1921 sur « la constitution de l’équipe de Catalogne »88. Cet élément peut laisser penser que le

Barça joue un rôle prépondérant dans la construction de la sélection catalane.

Observons de plus près les joueurs membres alignés par cette sélection catalane dès le

coup d’envoi des différents matchs. En 1917, se déroule la IIIème édition de la « Coupe du

Prince des Asturies de football ». C’est une compétition entre des équipes représentant leur

propre fédération régionale. Parmi les participants, il y a la Catalogne, la Castille, et les

Asturies. La Catalogne livre son premier match face à la sélection castillane, le 10 mai 1917.

Sur le onze de départ, on relève quatre « culés »89 du FC Barcelone : le portier Lluis Bru, Josep

Costa i Faura, Francesc Vinyals et Vicenç Martinez. Lors de la rencontre suivante, face aux

Asturiens, le même jour, les protagonistes déjà sollicités sont mis au repos90. Seul Sancho

représente le Barça, y compris lors de l’ultime match, de nouveau face aux madrilènes, cinq

jours plus tard. Néanmoins, si les autres joueurs jouent pour un autre club, certains ont porté le

maillot Blaugrana (Aramburo, Gabriel Bau et Francesc Armet), et d’autres iront jouer au Barça

par la suite (Artur Cella et Josep Gumbau). Quelques mois plus tard, le 14 octobre 1917,

nouveau match de la sélection catalane, en amical, contre la Castille, où cinq joueurs côté

catalan sont en train d’évoluer (Gumbau, Bru, Costa et Vinyals rentré en cours de jeu) sous les

couleurs du Barça91.

Le 25 mai 1919, un match symbolique a lieu entre la sélection catalane et le FC

Barcelone. A l’issue de la saison 1918-1919, les hommes de Jack Greenwell remportent le

Campeonato de Catalogne, et pour leur rendre hommage, un match amical entre les deux

équipes est organisé92. On remarque que du côté de l’équipe de Catalogne, aucun joueur de

88. Bulletin officiel du club (1921). Voir annexe 11 89. Surnom donné aux joueurs et supporters du FC Barcelone. Pour l’origine de ce surnom, voir page 77. 90. Article de Mundo Deportivo en ligne (mardi 15 mai 1915) : http://hemeroteca.mundodeportivo.com/preview/1917/05/15/pagina-4/605778/pdf.html#&mode=fullScreen 91. Article de Mundo Deportivo en ligne (mardi 16 octobre 1917) : http://hemeroteca.mundodeportivo.com/preview/1917/10/16/pagina-1/1368848/pdf.html#&mode=fullScreen 92. Article de Mundo Deportivo en ligne (jeudi 29 mai 1919) : http://hemeroteca.mundodeportivo.com/preview/1919/05/29/pagina-4/617504/pdf.html#&mode=fullScreen

Page 34: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

34

l’Espanyol Barcelone, l’équipe rivale du Barça, ne prend part à cette rencontre. Tant au niveau

sportif que culturel, la Catalogne semble choisir définitivement son camp, et accorder une

importance accrue au Barça.

Puis, à partir de 1920, la sélection espagnole est fondée dans le but de participer aux

Jeux Olympiques d’Anvers. Cela a une influence directe sur l’Equipe de Catalogne. Selon

Antoni Closa, auteur de l’ouvrage Selecció catalana de futbol. Nou dècades d'història : « Les

années 20 sont l’âge d’or de la sélection catalane car elle va disputer plus de championnats

d’Etats, et la sélection va faire plus de tournées européennes dans des pays comme la Suisse

ou la Turquie »93. C’est à partir de ce moment que cette sélection régionale prend plus

d’importance, et va au-delà du symbolique au niveau politique et culturel, d’autant plus que

certains Barcelonais comme Zamora ou Samitier contribuent à la médaille d’argent obtenue par

l’Espagne aux Jeux Olympiques d’Anvers. Cette sélection a le devoir de représenter tout un

peuple au niveau international, à un moment où il y a la volonté de poser la question catalane

dans les bureaux de la SDN.

Sept matchs sont joués par la sélection catalane lors de la période 1920-1921. Le 31

janvier et le 1er février 1920, la Catalogne affronte la Biscaye, une province Basque. Parmi les

« culés », Josep Samitier, Ricardo Zamora et Galicia ont participé à la double-confrontation, et

Paulino Alcantara a été titulaire lors de la deuxième rencontre. De plus, ces rencontres contre

la Biscaye ont suscité un véritable intérêt chez les Catalans. En effet, un article de Mundo

Deportivo relaie : pour des supporters « habitués au lamentable championnat, témoins de

matchs médiocres, antisportifs pour beaucoup d’entre eux, les deux matchs interrégionaux qui

se sont joués ces jours-ci ont constitué un véritable événement, l’exhibition d’un jeu vrai ».94

Puis, les 6 et 9 février 1921, face à la sélection du Sud-Ouest français, six joueurs du

Barça, puis cinq (Josep Samitier est préservé) sont titulaires avec la Catalogne. Par ailleurs, « le

valet de la Mancomunitat, monsieur Utrillo95 » avec « le vice-consul de France » ont observé

le match depuis les tribunes du stade96. Deux mois plus tard (les 3 et 4 avril 1921), Zamora,

93. Antoni CLOSA, Jaume RIUS, Selecció Catalana de Fútbol : Nou dècades d'història, op.cit

94. Article de Mundo Deportivo en ligne (jeudi 5 février 1920) : http://hemeroteca.mundodeportivo.com/preview/1920/02/05/pagina-2/1381764/pdf.html#&mode=fullScreen 95. Ingénieur, peintre et décorateur, Miquel Utrillo est une personnalité importante de Barcelone. Il a été un des directeurs artistiques de l’Exposition Universelle de Barcelone en 1929. 96. Article de Mundo Deportivo en ligne (jeudi 10 février 1921) : http://hemeroteca.mundodeportivo.com/preview/1921/02/10/pagina-1/615658/pdf.html#&mode=fullScreen

Page 35: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

35

Vinyals et Gracia débutent les matchs face à la Provence97. Toujours la même année, au-delà

de l’aspect sportif et culturel, la Catalogne participe à un match de charité face… au FC

Barcelone, le 4 septembre98. Le but était de récolter de l’argent qui irait aux victimes de la

guerre du Maroc, 2 mois seulement après le désastre d’Anoual qui a vu les troupes espagnoles

défaites par celles d’Abdelkrim. On peut aussi retrouver une nouvelle confrontation entre

Blaugranas et la sélection catalane le 25 février 1923, dans le but de rendre un hommage

« éminemment populaire » à Joan Gamper, fondateur du club et lié à la Catalogne99. C’est un

nouvel exemple concret de la relation privilégiée entre le Barça et l’équipe de Catalogne.

Entre 1922 et 1924, la plupart des rencontres opposent la Catalogne à d’autres régions

(Castille, Asturies) ou des clubs locaux. Par exemple, face à Badalona, le 24 février 1924100.

C’est un match symbolique car il rend hommage à Gabriel Bau, qui vient de raccrocher les

crampons. Il a joué à Badalona et au FC Barcelone. Lors de cette rencontre, cinq Barcelonais

jouent sous la tunique catalane : Torralba, Vicenç Martinez, Gracia, Alcantara et Sagi Linan,

des habitués de la sélection catalane. Ainsi, le Barça, par l’intermédiaire de ses joueurs,

participe déjà à l’émergence sociale et culturelle de cette sélection dans des contextes divers.

Surtout, il faut relever une date très importante : le 13 mars 1924. Aux Corts, fief du FC

Barcelone, la sélection catalane affronte pour la première fois de son histoire la sélection

espagnole, ce qui signifie l’importance qu’a pris la Catalogne au niveau sportif. L’équipe

nationale espagnole est accueillie sous les sifflets des locaux, bien qu’elle compte dans ses rangs

des habitués de la sélection catalane comme Samitier, Zabala, Piera, et Zamora, deux d’entre

eux (Samitier et Piera) jouant encore au FC Barcelone. Néanmoins, la Catalogne peut compter

sur quatre Barcelonais : Carulla, Sancho, Alcantara et Sagi-Barba, même s’ils vont se faire

corriger par leur adversaire, 7-0101.

Le Barça qui a déjà un lien étroit avec sa région, va donc contribuer à l’émergence de la

Catalogne au niveau international, par le biais de cette sélection qui tend à prendre une réelle

importance. En effet, dans les matchs qui ont lieu entre 1925 et 1927, la Catalogne affronte plus

97. Article de Mundo Deportivo en ligne (jeudi 7 avril 1921) : http://hemeroteca.mundodeportivo.com/preview/1921/04/07/pagina-2/616068/pdf.html#&mode=fullScreen 98. Article de La Vanguardia en ligne (mardi 6 septembre 1921) : http://hemeroteca.lavanguardia.com/preview/1921/09/06/pagina-9/33293478/pdf.html 99. Article de Mundo Deportivo en ligne (lundi 26 février 1923) : http://hemeroteca.mundodeportivo.com/preview/1923/02/26/pagina-1/614769/pdf.html#&mode=fullScreen 100. Article de Mundo Deportivo en ligne (lundi 25 février 1924) http://hemeroteca.mundodeportivo.com/preview/1924/02/25/pagina-2/605624/pdf.html#&mode=fullScreen 101. Article de Mundo Deportivo en ligne (vendredi 14 mars 1924) : http://hemeroteca.mundodeportivo.com/preview/1924/03/14/pagina-2/605658/pdf.html#&mode=fullScreen

Page 36: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

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d’équipes étrangères. Ses adversaires sont français (Paris, sélection du Sud-Est), belge

(sélection de Bruxelles), gallois (FC Swansea), tchécoslovaque (sélection nationale) et même

sud-américains comme le club chilien de Colo Colo. En observant de plus près l’équipe catalane

alignée au coup d’envoi, on observe au minimum toujours deux joueurs qui jouent au Barça, et

un onze catalan pouvant compter cinq joueurs – voire six contre Colo Colo le 9 juin 1927102 –

évoluant au FC Barcelone.

Enfin, entre 1928 et 1930, la Catalogne joue encore contre des équipes internationales

(par exemple le 20 mai 1929 face à Bolton, club anglais) et également locales, comme

Badalona, Sants, Martinenc ou Gracia. Les équipes interrégionales ont toujours droit à leur

match habituel (Pays Basque, Castille). Le 12 mai 1929, le Barça et la sélection catalane jouent

l’un contre l’autre, là-encore, pour rendre hommage à un joueur : Lluis Bru103. De nombreux

joueurs du FC Barcelone ce jour-là ont défendu les couleurs Rouge et Bleu plutôt que les Rouge

et Jaune. Parmi eux se trouvent des pionniers comme Samitier, Piera ou Sagi-Barba. Sur

l’ensemble des rencontres, le nombre de titulaires catalans venant du FC Barcelone peut aller

de un à cinq.

En dehors de la sélection catalane, le FC Barcelone a déjà exprimé officiellement ses

sentiments nationalistes en faveur de la Catalogne. Dans le bulletin officiel de 1921, plus

précisément dans un article intitulé El president de Catalunya al nostre camp, le Barça assume

totalement son attachement à la Catalogne. C’est à l’occasion des matchs opposant la Catalogne

à la sélection du Sud-Ouest (les 6 et 9 février 1921). Dans ce passage, la consonance nationaliste

est flagrante : « C’était un bel évènement qu’on a consigné avec une grande satisfaction, comme

augure de l’unanimité avec laquelle notre Catalogne avancera dans toutes les grandes

manifestations victorieuses ; et en ce sens, nous avons entendu de Monsieur le Président104, des

phrases flatteuses sur le sport »105.

La gratitude du club pour Puig i Cadafalch, président de la Mancomunitat est la preuve

que le Barça entretient un rapport la fois amical et professionnel avec les grandes peronnalités

insitutionnelles. De plus, les Blaugranas semblent se réjouir du développement du sport catalan,

dans le sillage du mouvement catalaniste.

102. Article de Mundo Deportivo en ligne (vendredi 10 juin 1927) : http://hemeroteca.mundodeportivo.com/preview/1927/06/10/pagina-3/616830/pdf.html#&mode=fullScreen 103. Article de Mundo Deportivo en ligne (lundi 13 mai 1929) http://hemeroteca.mundodeportivo.com/preview/1929/05/13/pagina-3/615209/pdf.html#&mode=fullScreen 104 Référence à Puig i Cadafalch, président de la Mancomunitat 105 Bulletin officiel du club (1921). Voir annexe 12

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37

Ainsi, le FC Barcelone un fournisseur important de la sélection catalane sportivement

et culturellement, ce qui prouve qu’il est une mini sélection nationale catalane. De plus, le FC

Barcelone semble vouloir assumer le rôle de « leader » de la Catalogne au niveau sportif, faire

prospérer le football en Catalogne.

Avec une telle influence, jusqu’à contribuer à la prospérité d’une sélection catalane,

quelle est la place du FC Barcelone dans la société ? Quelles sont ses relations avec les partis

politiques ? Avec les journalistes ? Est-il la référence de la Catalogne ?

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Chapitre 3 – Les relations politiques et sociales entretenues par le FC

Barcelone

1-) Les liens du FC Barcelone avec de hautes personnalités

Il est important de savoir si l’influence du Barça, en dehors du football, est réelle. Ainsi,

nous allons voir, par les biais du livre des actes, les relations du club en dehors de l’aspect

sportif. Néanmoins, nous n’avons d’informations que pour la période située entre 1917 et 1921,

car durant toute la décennie, surtout pendant la dictature, les livres des actes livrent peu

d’informations ou elles sont illisibles.

Comme cela a été démontré dans la dernière sous-partie ci-dessus, le football provoque

des sentiments d’identification nationale et locale, c’est-à-dire, que le local peut aller jusqu’à

prendre une connotation nationaliste. Alors, les expressions identitaires se voient lors des

matchs, des mouvements de supporters mais aussi des relations entre le club (le Barça en

l’occurrence), l’administration régionale et les forces politiques.106

Sociologiquement, des tableaux décrivent les liens entre les forces politiques catalanes

et le club. En 2007, 84% et 93% des électeurs du CIU107 et ERC108 sont supporters du Barça.109

Toutefois, il n’y a pas de rapport direct entre l’administration du club et les politiques. Par

exemple, le CIU n’a aucune influence directe sur le club contrairement au PNV110 avec

l’Athletic Bilbao.

Toutefois, et c’est ce que l’on va observer, la relation entre le club et les formations

politiques de l’époque, assimilées à la société, va au-delà du symbolique, comme le soutien du

Barça, évoqué déjà dans le premier chapitre, à la campagne de Lliga Regionalista pour

106 Michaël ATTALI, Natalia BAZOGUE, Diriger le sport: perspectives sur la gouvernance du sport du XXe siècle à nos jours, Paris, CNRS Alpha, 2012

107. C’est le parti « Convergence et Union », un mouvement indépendantiste catalan de droite, présidé par Artur Mas. 108. Il s’agit d’« Esquerra Republicana », un parti plutôt orienté à gauche, qui souhaite aussi l’indépendance de la Catalogne. 109 Michaël ATTALI, Natalia BAZOGUE, Diriger le sport: perspectives sur la gouvernance du sport du XXe siècle à nos jours, op.cit 110. Le Parti Nationaliste Basque est classé au centre-droit. Il souhaite la reconnaissance d’une nation Basque, intégrée dans l’Union Européenne.

Page 39: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

39

l’autonomie en 1918, ou pendant la Seconde République, son soutien au Statut d’Autonomie

de 1932.

Est-ce que le club a des intérêts à faire valoir avec les classes politiques pour affirmer

sa notoriété ?

Pour notre période, on peut déjà citer un exemple de relation entre le club et un

responsable politique. D’après l’acte du 8 novembre 1917, le club a reçu un télégramme d’un

certain Juan Ventosa.111 Diplômé en Droit et faisant partie des fondateurs de Lliga Regionalista

avec Francesc Cambo dont il est très proche, cet homme, natif de Barcelone, est très actif dans

la vie politique espagnole entre 1917 et 1923. Il est ministre des Finances sous la houlette du

gouvernement de concentration dirigé par Manuel Garcia Prieto (plutôt libéral), à partir du 3

novembre 1917112. Il quitte son poste le 2 mars 1918.

Ainsi, à peine cinq jours après son investiture, le ministre des Finances a des rapports

directs avec le club, bien qu’il n’y ait aucune information sur le contenu de ces échanges. A

cause de ses liens avec Lliga Regionalista et de sa ville d’origine, est-ce que Ventosa souhaite

apporter de l’aide au club ou l’utiliser comme un soutien politique ? Est-ce qu’il y a carrément

des liens directs entre le FC Barcelone et le gouvernement de concentration, en particulier sur

le plan économique ?

Dans l’acte du 21 novembre 1917, on peut lire : « Aprova la instancia que les societats

deportivas elevan al Ministre d’Hisenda pera que originin excluides de l’impest amb que’s

preten perjudicartes en concepte d’industrials ».113

Par le biais du ministère des finances, dirigé donc par ce même Ventosa, les « sociétés

sportives », y compris catalanes sont exonérées d’impôts. A cette époque-là, les clubs de

football sont considérés comme des industries et sont taxés. Alors, la décision politique menée

par Ventosa est favorable à la fois au club et à la Catalogne elle-même dans ses intérêts

économiques. Cela prouve véritablement que, par l’intermédiaire d’un membre de Lliga

Regionalista lié au gouvernement espagnol, le club est impliqué indirectement politiquement,

économiquement et socialement au sein du territoire catalan.

111. Livre des Actes (1916–mai 1919) 112. RULL SABATER Alberto, Diccionario sucinto de Ministros de Hacienda (s.XIX-XX), Instituto de Estudios Fiscales, Madrid, 1991

113. Livre des Actes (1916-mai 1919)

Page 40: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

40

D’après les actions du ministère des Finances, il ne serait pas absurde d’imaginer de

possibles arrangements financiers en faveur du club grâce au statut de Ventosa et aux liens qu’il

peut avoir avec le club, par l’intermédiaire de ses relations politiques locales. En effet, c’est à

partir de la saison 1917-1918, que le Barça engage son premier entraîneur rémunéré à temps

plein, Jack Greenwell114. C’est sous ses ordres que le Barça connaît son premier âge d’or, entre

1917 et 1924, avec les premières stars sportives de l’époque, dont certaines payées par le club,

comme Josep Samitier ou Ricardo Zamora.115

Le FC Barcelone reste toujours attaché à Lliga Regionalista, et n’hésite pas féliciter un

de ses membres, lors des élections générales de 1918. Dans l’acte du 25 février 1918 : « a n’en

Gaspar Rosés per seu triomf en les eleccions de disputats acords »116. Le 24 février 1918 se

sont déroulées les élections générales d’Espagne, des élections provoquées par la triple crise de

1917. Rosés est élu effectivement député dans le district de Arenys de Mar, en représentant

Lliga Regionalista, dirigé par Francesc Cambo, qui a obtenu 21 sièges. Le club ne manque pas

de féliciter son ancien président, tête d’affiche d’un parti politique dont le club approuve

l’idéologie et l’applique au sein de l’institution sportive, comme on a pu l’analyser

précédemment.

Pour assurer ses relations, le club distribue de nombreuses médailles en reconnaissance

des individus qu’il récompense, ce qui montre que le club fonctionne comme une véritable

institution, récompensant les personnes proche. Par exemple durant l’année 1918, le président

de la Fédération catalane reçoit une récompense de la part du club. On peut également cerner

la joie du FC Barcelone concernant une production journalistique réalisée par Josep Elias i

Juncosa au profit du club, en 1919 : « carta de felicitacio a Elias Juncosa, acompanyada d’una

medalla que li dedica el club, per l’article publicat a la Veu, i com recort del Barcelona per la

seva labor de tota la vida en pro del sport »117.

Ces remerciements ne se limitent pas à ce fameux article publié dans la Veu de

Catalunya. En effet, son auteur, Josep Elias i Juncosa, a des liens avec le catalanisme politique.

Il est journaliste mais surtout, un promoteur important du sport catalan.

114. Mercè MORALES MONTOYA, Futbol Club Barcelona, conoce su historia : de los origenes a la consagracion 1899-1950, op.cit

115. Guillem BALAGUE, Barça : l’Histoire illustrée du FC Barcelone, op.cit 116. Livre des Actes (1916-mai 1919) 117. Acte du 24 février 1919 (Livre des Actes de 1916 à mai 1919)

Page 41: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

41

En plus d’avoir été le responsable de la section sport du journal la Veu de Catalunya, à

partir de 1899, il est également membre de divers organismes sportifs notamment dans le

cyclisme, la gymnastique, le tennis, les sports maritimes et le football118. Il est aux premières

loges de la Confédération Sportive de Catalogne, dès sa fondation en 1922119.

Soutien de Lliga Regionalista, très bon ami d’Enric Prat de la Riba et Francesc Cambo,

il a participé à l’élaboration de la candidature de Barcelone pour l’organisation des Jeux

Olympiques 1924. Enfin, Josep Elias i Juncosa, totalement dévoué au développement du sport

en Catalogne, écrit des ouvrages sur le sport. L’un de ses livres détient un autre élément qui

peut supposer qu’il y a une relation étroite entre le club et lui. En effet, sur la page de couverture

de son ouvrage Football asociacion, publié en 1914, on peut constater que la préface a été

rédigée par… Joan Gamper, le fondateur du club120 !

Ainsi, toutes les données sur cet individu, retrouvées dans un article d’une revue de

médecine écrit par un certain Dr. R. Balius Juli, grand pionnier de la médecine du sport en

Espagne, prouvent que le FC Barcelone a des liens privilégiés avec des hommes d’influence.

Pour diffuser son prestige sportif et ses idées politiques, le club sait très bien qu’il a besoin de

relais et de partenaires, et ses distributions de médailles sont indispensables pour entretenir une

relation en quelque sorte « traditionnelle » avec des individus étant sur les mêmes positions

politiques et sportives.

Le rapport avec le territoire catalan est un élément capital. En effet, il est important de

se pencher sur la relation avec les plus hauts personnages de l’administration catalane. Selon

l’article intitulé El president de Catalunya al nostre camp, publié dans le bulletin officiel du

club en février-mars 1921, le président de la Mancomunitat, Puig i Cadafalch, membre de la

Lliga Regionalista, assure sa présence pour les deux matchs opposant la Catalogne à une

sélection du Sud-Ouest, qui représente la France. Les matchs se sont déroulés le 6 et 9 février

1921.

Les politiques se servent des événements sportifs pour se montrer et s’afficher, en

soutenant officiellement le mouvement. En effet, « Lors de son apparition, l’illustre Puig i

118. Juli R.BALIUS, Josep Elias i Juncosa : Corredisses, Apunts : educacio fisica i medicina esportiva, vol. 19, n°75, septembre 1982

119. Enciclopèdia de l'Esport Català, Barcelona, Enciclopèdia catalana, 2012.

120. Voir annexe 13

Page 42: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

42

Cadafalch, fut accueilli par une grande ovation… »121. Dans cet article, on constate qu’aux

Corts, fief du Barça où s’est déroulé la première confrontation, le président de la Mancomunitat

est soutenu et est donc populaire. De plus, « est arrivé aussi le député Monsieur Ràfols122 (…),

les Monsieurs du Conseil et d’autres personnalités »123. Le stade du FC Barcelone, lors d’une

rencontre interrégionale est donc un lieu où les personnalités du club, des employés de

l’administration catalane ou des députés catalanistes se côtoient.

Tous ces noms que l’on retrouve dans le livre des actes, entre 1917 et 1923, démontrent

bien que publiquement, la relation entre dirigeants et membres ou sympathisants des

mouvements catalanistes est très forte et solennelle. Chacun apporte son influence à l’autre.

Néanmoins, à partir de l’arrivée de Primo de Rivera, nous n’avons pas vraiment d’éléments

permettant de démontrer si le lien FC Barcelone-Lliga Regionalista ou autre force catalaniste

est aussi fort qu’entre 1917 et 1923.

Toutefois, nous pouvons supposer qu’entre 1923 et 1930, le dialogue entre l’institution

sportive et les partis politiques reste fort. Un exemple, le 16 décembre 1927, le club accepte

l’offre d’un nouveau local social qui se situe dans la Via Laietena : tout l’immeuble était la

propriété du leader de Lliga Regionalista, Francesc Cambo124. Ce dernier était socio du club

depuis le 19 décembre 1925, quelques mois après le scandale de la Marcha Real.

Toutefois, est-ce qu’il y avait des relations entre le club et la Monarchie avant l’arrivée

de Primo de Rivera ? Est-ce que la Monarchie voit d’un bon œil cette affirmation culturelle,

prônée par le FC Barcelone ?

121 Bulletin officiel du club (1921). Voir annexe 12 122. Ràfols est affilié au parti politique catalaniste Lliga Regionalista. 123. Bulletin officiel du club (1921). Voir annexe 12 124. Manuel TOMAS, Frédéric PORTA, Barça inédito : 800 historias de la Historia, Barcelone, Corner 2016

Page 43: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

43

2-) Des échanges avec la Monarchie ?

A ces questions posées précédemment il est difficile de répondre puisqu’il y a peu de

traces. Mais par le biais du livre des Actes, on peut discerner un possible échange entre des

dirigeants du FC Barcelone, et le monarque Alphonse XIII lui-même.

L’information provient de nouveau du Livre des Actes. Elle a été écrite le 2 novembre

1919 : « El Sr. Marcet dona compte de l’entrevista amb el president del Alfons XIII de Palma

(aprofitant un viatje de caracter particular a Mallorca). I fan constar amb guest, les seves

gestions satisfactiones en bé de les … entitats »125. Les deux clubs concernés évoluent dans le

Campeonato de Catalunya (même si le club basé à Palma évolue en seconde division) et le club

de Majorque évolue sous le nom de Real Sociedad Alfonso XIII Foot-ball club. Ce club est-il

contrôlé par la Monarchie ?

Dès sa fondation, officiellement le 6 mars 1916, le club situé dans les Îles Baléares porte

le nom du monarque : « Reunidos en Palma los senores don Adolfo Vasquez Humasqué, don

Antonio Moner, don Rafael Gonzalez, don Alberto Elvira, don Joaquin Mascaro y don

Fernando Pinillos, el 27 de febrero de 1916, acordaron fundar una sociedad de football que

ha de denominarse Alfonso XIII FBC »126. Le Alfonso XIII Foot-ball club intègre le

Campeonato de Catalunya à partir de 1917.

Toutefois, la dénomination de ce club, qui s’est appelé Alfonso XIII Foot-ball club puis

Real Sociedad Alfonso XIII Foot-ball club, est modifiée une nouvelle fois dès l’instauration de

la Seconde République. Il prend le nom de Club Deportivo Mallorca. Ainsi, ce club, basé à

Majorque, est sous la tutelle de la Monarchie entre 1916 et 1931, et un échange entre des

dirigeants du Barça et de Majorque suggère des préoccupations autres que sportives

En tout cas, l’acte du 2 novembre 1919 nous apprend qu’il y a bien eu un contact réel et

concret entre le roi Alphonse XIII et des dirigeants du FC Barcelone. Deux hypothèses peuvent

être mises en avant sur la nature des discussions.

D’abord, pour des raisons sportives. En effet, il est possible qu’il y ait des liens établis

entre les deux clubs, qui de par par leur localisation géographique, présentent des points

communs sur le plan culturel. D’autre part, le Campo de Buenos Aires, premier stade des

125 Livre des actes (juin 1919-mai 1921) 126 Acte de la fondation du club « Alfonso XIII Foot-ball », en février-mars 1916

Page 44: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

44

Majorquins, a été inauguré l’année même de sa fondation, face à l’équipe réserve du FC

Barcelone. Le club d’Alphonse XIII peut demander de l’aide au niveau sportif et financier au

Barça, plus structuré et puissant, tandis que les Blaugranas peuvent en profiter pour mettre en

place l’influence catalaniste dans les Îles Baléares, où le catalan est aussi pratiqué.

Puis, la deuxième nature des discussions entre Barça et Monarchie peut être d’ordre

politique. En novembre 1919, l’organisation politique en Espagne, par le biais d’un régime

parlementaire, est très fragile, et le changement de gouvernement est régulier. Surtout, cela

profite au « catalanisme », un « courant culturel et idéologique qui vise à promouvoir l’identité

nationale catalane et à défendre les intérêts de la Catalogne. »127, soutenu par le FC Barcelone.

Ce contexte particulier fait qu’on peut supposer que les relations entre le club et la Monarchie

sont plus régulières. L’acte du 1er décembre 1919 est un sérieux indice de la fréquence de ces

relations : « se llegueixen els seguents documents ; del Alfons XIII de Palma ».

En revanche, la Monarchie est centralisatrice et logiquement, elle est hostile au

catalanisme. Pour faire face à cette percée du régionalisme, en pleine « crise de la

monarchie »128, l’hypothèse d’une discussion politique semble crédible. Néanmoins, qu’ont-ils

pu évoquer ? Le statut d’autonomie de la Catalogne réclamé par Lliga Regionalista est-il revenu

sur la table, de la part du FC Barcelone pour convaincre la Monarchie ? Y a-t-il eu des

arrangements prévus entre les deux partis concernant le développement du football catalan ?

Pour l’instant, nous n’avons aucun détail ni précision sur la portée des relations entre la

Monarchie et le FC Barcelone, même si elles étaient assurées souvent par télégramme ou lettre.

Mais dans tous les cas, pour qu’il y ait eu une rencontre physique, notamment considérée par

les dirigeants du club comme « un voyage à caractère particulier »129, c’est que la rencontre

présentait un minimum d’importance à la fois pour les intérêts du club et ceux de la Monarchie.

Enfin, à partir du 17 décembre 1925, quelques mois après le scandale de la Marcha Real,

un personnage proche de la Monarchie, Arcadi Balaguer, est aux manettes du club, après l’exil

forcé de Gamper. Il va rester à la tête du club jusqu’au 26 mars 1929. Sous sa présidence, est-

ce qu’on peut se demander si les relations entre joueurs et lui étaient bonnes ? Est-ce qu’il a

127. Alicia FERNANDEZ GARCIA, Mathieu PETITHOMME, « L’émergence du nationalisme catalan sous la Restauration bourbonienne en Espagne (1874-1931) », Parlements : revue d’histoire politique n°23 (p.177-192), 2016, consulté le 20 septembre 2016

128. Pierre VILAR, Histoire de l’Espagne, op.cit

129. Livre des actes (juin 1919-mai 1921)

Page 45: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

45

tenté de limiter l’identité catalaniste soutenue par le Barça, au profit de la Monarchie et de la

dictature de Primo de Rivera ?

Selon le livre des actes, rien ne semble indiquer qu’il y ait un changement d’habitude

dans le club, d’autant plus que l’influence de la dictature se réduit d’année en année et précipite

la Monarchie vers son tombeau. Ainsi, Balaguer n’a pas vraiment touché à l’identité du club,

mieux, il a même pu arranger certaines choses, comme réduire le temps de suspension des Corts

après le scandale de la Marcha Real.

Après avoir observé le visage politique d’un club engagé, il est nécessaire de voir un

autre aspect, lié à cet engagement politique. En effet, le Barça, en se voulant le représentant de

la ville de Barcelone et de la Catalogne, intervient dans la société et joue son rôle de leader,

comme il le fait sur le terrain.

Page 46: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

46

Partie II

-

Le FC Barcelone : un support social et culturel, au service de sa région

Page 47: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

47

Chapitre 4 – Une institution en relation étroite avec les entités sportives

locales

1-) Ses relations avec les clubs de football catalans

Maintenant que l’on connaît mieux l’esprit du club et son positionnement politique, il

faut voir quelles sont les actions réalisées par le Barça en direction du monde sportif. Avec ses

propres moyens, est-ce que cette institution sportive se veut la garante de la société catalane ?

Contribue-t-elle vraiment à l’essor du sport catalan, notamment le football ?

Ce qu’il est très important de signaler, c’est que le football tient une place très

importante sur l’ensemble du territoire catalan. Cette discipline se développe en effet dans les

grandes régions industrielles, comme le Pays Basque ou la Catalogne. Ainsi, de nombreux

ouvriers, pour se divertir, vont pratiquer le ballon rond ou assister à des matchs à partir du début

des années 1920. A la fin des années 1920, quarante-six stades de football espagnol ont une

capacité de 8000 places ou plus130. Parmi ces stades, 70% viennent de clubs affiliés à la

Fédération Catalane, du Pays Basque, des Asturies et de la région de Madrid131.

Autres données importantes, pour souligner l’importance de la Catalogne dans le

football espagnol, celles qui concernent le nombre de clubs. En 1926, au début du directoire

civil, il y a 705 clubs en Espagne, organisés dans 15 fédérations régionales avec 14 100

joueurs132. Parmi ces 705 clubs, 57% proviennent de Catalogne, du Pays-Basque et des

Asturies133, ce qui signifie, encore une fois, que la Catalogne est une véritable terre de football.

Ce développement rapide du football en Catalogne peut s’expliquer par l’émergence du

régionalisme. La progression du football en Espagne est liée aux valeurs symboliques et

identitaires des clubs, que le Barça incarne par son appartenance au mouvement catalaniste.

Dans les années 1920 en particulier, le symbolisme territorial des clubs est ancré dans les

mentalités, notamment grâce au rôle joué par une presse sportive qui le promeut134.

130. Ramos LLOPIS-GOIG, Spanish Football and Social Change : Sociological Investigations, Palgrave Macmillan, 2015

131. Ibid 132. Ibid 133. Ibid 134. Ibid

Page 48: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

48

Ce symbolisme territorial favorise justement l’émergence des partis catalanistes qui ont

le Barça comme point d’appui. S’appuyer sur un club de football est un atout non négligeable

puisqu’il est un vecteur de culture de masse135. Ainsi, on peut supposer que le football favorise

l’affirmation des cultures locales, ce qui explique l’importance du football en Catalogne et son

utilisation de la part des politiciens.

Dans les dernières années de la Restauration, la Mancomunitat est entre les mains de

Lliga Regionalista, parti hégémonique du catalanisme et pourtant interdit sous le régime de

Primo de Rivera. Cette Mancomunitat, entre les mains d’un parti revendiquant le catalanisme a

cherché à catalaniser le sport, à rendre plus catalan le sport en Catalogne136. Est-ce que le FC

Barcelone suit les directives de Lliga Regionaliste en essayant de rendre plus catalan le sport

en Catalogne ? Comment s’y prend-il ? Est-ce que le FC Barcelone est le principal élément

fédérateur des autres clubs de football catalans ?

Il est fondamental d’évoquer la Fédération catalane de football, une institution

permettant le fonctionnement et le bon déroulement du football catalan, son championnat, et

ses clubs. Dans les différents Livre des Actes, les échanges entre les dirigeants du club et la

Fédération sont permanents, surtout pour des raisons administratives, notamment pour la

détermination des matchs dans le Campeonato de Catalunya par exemple.

Cette institution sportive a été fondée le 11 novembre 1900 (quasiment 1 an après la

fondation du FC Barcelone), sous le nom de « Football Asociacio », et elle comptait parmi ses

premiers membres, des représentants du FC Barcelone, du club d’Hispània, el Català, et de

l’Espanyol Barcelone. Dès le 12 novembre 1902, cette institution se transforme en « Asociación

de Clubes de Football de Barcelona », puis en 1907, « Federación Catalana de Clubes de

Fútbol ». Lors de la saison 1912-1913, le Barça quitte cette fédération afin de fonder la

« Football Asociación de Cataluña », à laquelle de nombreux clubs comme el Català, Badalona

ou le Gimnàstic Tarragona adhèrent137. Une autre information importante, la « Federación

Catalana de Clubes de Fútbol » change à nouveau de nom et est désormais appelée, « Federación

Catalana de Fútbol Asociación ».

135. Fabien ARCHAMBAULT, Sport et politique

136. Alejandro QUIROGA, Football and National Identities in Spain : The Strange Death of Don Quixote, op.cit

137. M.Lluïsa BERASETAGUI, « Futbol i cultura a Catalunya durant el periode d’entreguerres ». Revista d’historia de l’educacion, n°7, 2004.

Page 49: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

49

On voit alors se succéder, à la tête de cette institution rebaptisée, de nombreux présidents

qui sont des personnages importants, surtout avant que la Liga – le championnat national – ne

soit créée. Parmi ces individus, entre 1917 et 1930, inévitablement, on retrouve des dirigeants

du FC Barcelone. De 1916 à 1918, Gaspar Rosés assure le fonctionnement de l’institution, en

même temps que celui du FC Barcelone (jusqu’au 17 juin 1917). Puis, de 1918 à 1919, c’est

Josep Germà Homet qui devient le nouveau président. Celui-ci a fait partie de la Junta Directiva

de Gaspar Rosés (entre le 25 juin 1916 et le 17 juin 1917)138. Un troisième nom majeur est à

citer, celui de Josep Rosich Rubiera, qui fut président de la Fédération Catalane de Football

Association à deux reprises, d’abord de 1919 à 1920 puis de 1926 à 1929. En tant que socio et

secrétaire, il a figuré dans une Junta Directiva, celle d’Enric Cardona Panella, entre 1923 et

1924139. De 1920 à 1921, c’est Josep Julinés Oliva, ex-membre de la Junta Directiva de Gaspar

Rosés, secrétaire de la Junta Directiva de Joan Gamper et responsable des travaux de la

construction du stade Les Corts qui occupe la fonction de président de la Fédération140.

Pour trouver un autre ex-dirigeant du club à la tête de cette institution, il faut se pencher

sur les années entre 1923 et 1926, période durant laquelle Ricard Cabot est président. Ce

dernier, comme Josep Julinés Oliva, a aussi participé au développement du Barça depuis la

Junta Directiva de Gamper (17 juillet 1921-29 juin 1923), notamment au projet de la

construction du nouveau stade, Les Corts. Enfin, Josep Sunyol clôt la marche, en étant président

de cette Fédération de 1929 à 1930. Son ascension au Barça est fulgurante : socio à partir de

1925, il intègre la Junta Directiva d’Arcadi Balaguer trois ans plus tard, puis deviendra président

du club le 27 juillet 1935, avant que n’éclate la guerre civile, événement tragique pour lui qui,

appartenant au camp des Républicains, est arrêté par les nationalistes et fusillé le 6 août 1936.

Le FC Barcelone est donc bien implanté dans les plus hautes instances du football

catalan, qui plus est un des plus puissants d’Espagne. Cela a pu favoriser son affirmation comme

le plus grand club catalan, et faciliter le développement de bonnes relations avec les autres clubs

inscrits dans cette institution. Alors comment résumer ces relations entre le Barça et les clubs

catalans ?

138. Enciclopèdia de l'Esport Català, op.cit

139. ibid

140. Ibid

Page 50: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

50

Par exemple, « se llegueixen cartes ; del RCD Espanyol invitant a prendre part en la

copa « Internacional SC »141. Il s’agit d’une invitation de l’Espanyol Barcelone au FC

Barcelone de participer à un tournoi, le 8 septembre 1919. Le fait de se faire inviter à un tournoi

directement, de la part des dirigeants du véritable rival, à la fois sportif et culturel, est le signe

que le Barça devient la principale référence sur son territoire. En effet, au-delà des rivalités, que

le club de l’Espanyol obtienne la présence du FC Barcelone dans son tournoi lui permet de le

valoriser, d’attirer plus de spectateurs et d’avoir plus de visibilité. En bon support, le club doit

tenir ses engagements et a peu d’intérêt à refuser des invitations de ce type, ce qui démontre

déjà les relations fortes entre clubs catalans.

Dans l’acte du 19 mai 1920, nous pouvons lire : « Del Badalona donant les gracies per

haber contribuit a l’homenatje del seu jugador en Pere Villa »142. Le club de Badalona, ville

voisine de Barcelone, a donc remercié le Barça d’avoir rendu hommage à un de ses joueurs.

Cela signifie d’une part que le FC Barcelone est attentif à ce qui se passe dans son

environnement et qu’il incarne une certaine autorité morale. En effet, il ne faut pas oublier que

le fondateur du club, Joan Gamper, était attaché aux valeurs éthiques et morales du sport qu’il

étendait au-delà du terrain143. Ces valeurs ont été conservées et font partie intégrante de

l’identité du club.

D’autre part, le Barça est actif, et soutient tous les clubs catalans. Recevoir un hommage

du FC Barcelone, que ce soit par télégramme ou par la présence même du club, assurée par une

délégation, n’est pas sans importance : ce n’est pas un hasard si les clubs, comme Badalona,

viennent remercier la tête d’affiche du football catalan. Ainsi, le club affirme son lien avec la

Catalogne. Il s’investit toujours sérieusement au niveau social catalan, veut assumer le rôle de

représentant de la Catalogne à toutes les échelles, en premier lieu locale : il est le point de

référence des autres clubs locaux.

Alors que dans les années 1920, la rivalité entre le FC Barcelone et l’Espanyol

Barcelone est très forte, et est même la seule et véritable rivalité qui prospère en Catalogne, on

peut constater que les deux clubs sont capables aussi de dépasser ce climat de concurrence.

Dans l’acte du 14 mars 1924, le club décide d’ « Autorizar a los jugadores Samitier y Piera

para que puedas participar en el partido que organiza el R.C.D Espanol en beneficio del

141. Livre des Actes (juin 1919-mai 1921) 142. Livre des Actes (juin 1919-mai 1921) 143. MORALES MONTOYA Mercè, Futbol Club Barcelona, conoce su historia : de los origenes a la consagracion 1899-1950, op.cit

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51

exjugador Sr.Sonedo y ofrecer 100 pesetas por el palco que enviaron »144. Pour un match de

charité organisé par le club rival, le Barça propose les services de Samitier et Piera, deux joueurs

populaires à l’époque. Ces deux joueurs jouent ainsi les représentants du club, dans le cadre

d’un match qui ne présente aucun enjeu sportif, mais qui permet de renforcer la notoriété du

club dans la Catalogne et son image « socialement responsable ». Par ailleurs, le Barça n’hésite

pas non plus à offrir de l’argent à l’Espanyol, 100 pesetas précisément, afin de contribuer au

développement du football catalan directement.

En plein directoire militaire, au constat du comportement des dirigeants du Barça à

l’égard de son plus grand rival, on peut affirmer que le club Blaugrana joue les bienfaiteurs. Un

passage de l’acte du 20 novembre 1924, le confirme en évoquant « una subvencion de cincuenta

pesetas al FC Espana, de Sabadell »145. Le FC Barcelone distribue des dons aux clubs catalans,

pour favoriser leur développement. Bien qu’ils soient des adversaires directs du Barça en

campeonato de Catalogne, le Barça, sur ses propres deniers, finance et développe le football

catalan.

Néanmoins ces contributions financières répondent aux attentes de la Lliga

Regionalista, que soutient le Barça. On ne peut exclure que le but premier de la générosité

barcelonaise soit alors de diffuser le courant catalaniste en aidant les différents clubs autour du

Barça, de façon à construire un football catalan puissant qui participera avec efficacité au

nationalisme catalan, mais aussi en se posant comme modèle à suivre. Ces hypothèses méritent

d’être soulevées puisque le sport en général est un outil nationaliste, et qu’ici en particulier,

nous nous trouvons dans le contexte d’une dictature très anti catalaniste.

Quoi qu’il en soit, le Barça entretient ses échanges avec les clubs sportifs locaux de la

même façon, que l’on se situe avant ou pendant le directoire militaire. En effet, on ne sent pas

une véritable intensification des contributions financières entre 1923 et 1925, période durant

laquelle le sentiment national catalan se développe considérablement.

En revanche, nous avons peu d’informations sur les actions du club au niveau local après

le directoire militaire, à partir du mandat de Balaguer. Avec un proche de la Monarchie à la tête

du club, bien qu’il fasse des concessions, il est possible que ces fameuses subventions se soient

réduites, surtout en présence de motivations politiques.

144. Livre des Actes (octobre 1923-mai 1926) 145. Livre des Actes (octobre 1923-mai 1926)

Page 52: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

52

Le FC Barcelone, grâce à ses moyens financiers et à sa légitimité culturelle et sportive,

devient le principal club catalan, dans une des régions les plus développées au niveau du

football. Avec l’appui de la classe ouvrière et des classes moyennes, le Barça est la principale

référence dans une région qui s’est bien approprié le football. Comme nous avons déjà pu le

voir avec les différentes compositions d’équipes de la sélection catalane, le Barça est déjà le

guide du football catalan, par l’intermédiaire du nombre de joueurs fournis et de son stade qui

a accueilli plusieurs matchs de la sélection.

Mais les échanges d’idées et de servies, la contribution au développement des clubs

sportifs voisins engagent le Barça au-delà du football.

Page 53: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

53

2-) Ses relations avec le sport catalan

La Lliga Regionalista sait que pour développer la culture catalane, notamment dans le

secteur du sport, il n’y a pas que le football. La Catalogne est aussi une grande région de sport.

Alors, dans son ambition de « catalaniser » le sport catalan, le Barça a aussi des relations avec

des entités sportives de diverses disciplines.

Logiquement, des personnages qui ont siégé dans les différentes Junta Directiva du FC

Barcelone ont eu aussi des liens, non pas seulement avec la Fédération Catalane de Football

Association, mais bel et bien avec d’autres Fédérations représentant d’autres sports en

Catalogne. Entre 1917 et 1930, et même bien avant, depuis la fondation du FC Barcelone, des

présidents du FC Barcelone (sans compter les dirigeants de chaque Junta Directiva) ont géré au

moins une autre fédération ou entité sportive catalane en dehors du football.

Joan Gamper, président du club cinq fois, dont trois fois entre 1917 et 1930, fut parmi

l’un des contributeurs du Lawn Tenis-Club Barcelona, club de tennis qu’il a fondé en avril

1899, avec la participation d’autres membres fondateurs du FC Barcelone, comme Arthur

Witty. Aujourd’hui, ce club de tennis est un des plus prestigieux d’Espagne ; il a vu grandir un

certain Rafael Nadal pour ne citer que lui. Francesc de Moxo, président du FC Barcelone du 30

juin 1913 au 30 juin 1914, a été aux commandes de l’aéroclub de Barcelone et de l’association

d’escrime barcelonaise (il était le premier président de cette association)146. Son successeur

Alvaro Presta fut le premier président de la Fédération Catalane d’Athlétisme, en 1915147.

Entre 1917 et 1930, outre Joan Gamper, on peut citer un autre personnage qui a participé

au développement du sport en Catalogne. Il s’agit de Joan Coma, président du club par intérim

après le départ précipité de Gamper (16 juin 1925 au 17 décembre 1925) : il est très actif. En

effet, il inaugure le Club Féminin et des Sports de Barcelone, la première entité sportive

exclusivement féminine en Espagne148. De plus, il préside la Fédération Catalane d’Athlétisme

entre 1928 et 1929149 et inaugure le stade de Montjuïc en 1929, dans le cadre de l’Exposition

146. Enciclopèdia de l'Esport Català, op.cit 147. Carles GALLEN UTSET, Les Federacions Esportives catalanes i els seus presidents, Barcelona, UFEC, 2013

148. Enciclopèdia de l'Esport Català, op.cit 149. Carles SANTACANA, Xavier Pujadas, Història de d’Atletisme a Catalunya, Barcelone, Federacio Catalana d’Atletisme, 2012.

Page 54: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

54

Universelle de Barcelone. Enfin, Tomas Rosés, à la tête du club du 26 mars 1929 au 30 juin

1930, organise des régates nautiques en Catalogne150.

Ainsi, comme on a pu le voir avec la Fédération Catalane de football, les dirigeants du

FC Barcelone, qui représentent le club, dirigent aussi les autres structures sportives catalanes.

Pour développer et améliorer le sport catalan, on peut penser que ces dirigeants, dans la gestion

des autres disciplines, procèdent de la même manière c’est-à-dire, qu’ils s’implantent dans les

autres fédérations sportives catalanes afin que le sport en Catalogne se développe, et surtout,

soit performant.

Est-ce dans le but politique de renforcer le sentiment nationaliste par la réussite

sportive ? On peut se permettre cette hypothèse, puique le Barça, par l’intermédiaire de ses

dirigeants, s’inscrit dans cette logique de « catalanisation » du sport en Catalogne,

conformément aux vœux de la Lliga Regionalista. Alors, comment s’y prend le FC Barcelone

pour assurer des liens avec les différents clubs sportifs qui sont affiliés aux entités sportives

catalanes où il assure, comme on vient de le voir, des fonctions administratives prépondérantes ?

Avant l’arrivée de Primo de Rivera, le FC Barcelone se distingue dans les organisations

d’événements sportifs en Catalogne, comme on peut le voir dans l’acte du 26 janvier 1920 :

« llegueix carte de « el sport » demanant un premi per a la cursa a peu « Jean Bouin »,

d’Espluga-Barcelona. S’acorda oferir un objcte d’art »151. Le club répond à l’appel de El Sport

pour contribuer à la dotation d’un grand événement sportif : il décide d’offrir un objet d’art.

Ainsi, le Barça participe à l’organisation de la première édition de la course Jean Bouin, course

de 10 kilomètres qui se déroule à Barcelone. Elle a lieu quelques jours après la rédaction de cet

acte, le 1er février, et voit Rosendo Calvet, athlète du club du FC Barcelone, finir vainqueur152.

On peut remarquer que cette compétition d’athlétisme est monopolisée par le FC

Barcelone et l’Espanyol Barcelone, puisque parmi les vainqueurs des douze premières éditions,

dix viennent du Barça ou de l’Espanyol. Cela prouve que c’est une compétition de portée locale,

et que le Barça s’impose petit à petit comme le leader du monde sportif catalan, dans l’ensemble

150. Archive de La Vanguardia en ligne (samedi 2 mars 1929) : http://hemeroteca-paginas.lavanguardia.com/LVE07/HEM/1929/03/02/LVG19290302-015.pdf 151. Livre des Actes de juin 1919 à mai 1921 152. Article de Mundo Deportivo en ligne (jeudi 5 février 1920) : http://hemeroteca.mundodeportivo.com/preview/1920/02/05/pagina-3/1381765/pdf.html#&mode=fullScreen

Page 55: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

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de ses disciplines. Aujourd’hui, cette course existe toujours et est devenue internationale depuis

1946.

Même pendant la dictature, on a une trace concernant la présence du Barça dans

l’organisation d’un tournoi de régates : « Atorgar una copa para premio de las Regatas

Internacionales de Canots automoviles que han de celebrarse el 28 y 29 del corriente mes,

organizado por la Federacion Catalana de Motoriomo Martimo »153. Le Barça est à nouveau

en première ligne parmi les organisateurs, aux côtés de la Fédération concernée, puisqu’il

apporte un trophée qui sera probablement brandit par le ou les vainqueur(s). De plus, ces

Régates Internationales des Canots automobiles, comme le nom de la manifestation l’indique,

est un événement à portée internationale et non locale comme la course de Jean Bouin.

Autre point, le FC Barcelone n’hésite pas à promouvoir les autres sports, en utilisant le

cadre de son propre stade, par exemple en février 1921 : « s’acorda autoritrar la elebracio

d’une exhibicio de boxa per dos socis aficionats durant l’interregne del partit de diumenge, en

honor del jugador Senyor Sandro »154. Pendant cette même année est fondée la Fédération

Espagnole des Sports de Défense, avant que n’arrive en 1923 la Fédération Espagnole de

Boxe155. Cela permet ainsi aux spectateurs de découvrir ce sport et de promouvoir probablement

la boxe en terre catalane. La suite des événements est logique, le FC Barcelone ne lâche pas la

Fédération Espagnole de Boxe, puisque d’après l’acte du 18 avril 1924, « se encarga al

empleado Sr. Gilbert para que compre una copa, valorada en 50 a 60 pesetas para la

Federacion amateur de Boxeo »156. L’offre d’une coupe de la part du club à cette Fédération

démontre bien que le club a à cœur d’entretenir ses relations avec toutes les institutions

sportives catalanes. Il veut montrer son implication par une présence sans exclusive. Par

exemple à l’assemblée de la Fédération Catalane d’Athlétisme, selon l’acte du 25 janvier 1924 :

« Delegar en Sr. José Gilbert para que asista a la asamblea de la Federacion Catalana del

atletismo »157.

Le FC Barcelone, en participant à l’organisation de divers rendez-vous sportifs en

Catalogne, assume un rôle de bienfaiteur et veille à l’émergence de compétitions organisées

dans la ville de Barcelone. Le FC Barcelone, en étant directement acteur, à la fois parmi les

organisateurs et par l’intermédiaire des athlètes qui participent sous ses couleurs (par exemple

153. Livre des Actes d’octobre 1923 à mai 1926 (acte du 16 juin 1924) 154. Livre des Actes de juin 1919 à mai 1921 (acte du 10 février 1921) 155. Enciclopèdia de l'Esport Català, op.cit 156. Livre des actes (octobre 1923-mai 1926) 157. Livre des actes (octobre 1923-mai 1926)

Page 56: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

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dans la course Jean Bouin), en profite pour montrer sa grandeur et sa valeur au niveau régional,

voire national puisque jusqu’en 1923, la Monarchie est en pleine agonie. Par ailleurs, les

compétitions organisées sur son sol, donc en Catalogne, sont un moyen de faire connaître la

Catalogne au niveau international.

Enfin, le Barça alimente ses relations avec toutes les structures sportives catalanes par

des dons ou des offres matérielles. Il applique donc la même méthode qu’avec les associations

sportives footballistiques, surtout pendant le directoire militaire de Primo de Rivera.

On peut relever dans le Livre des Actes regroupant les bilans des réunions de la Junta

Directiva entre octobre 1923 et mai 1926 : « un premio de cincuenta pesetas al Sport Ciclista

Català »158 ; « Destinar la cantidad de cien pesetas para la suscripcion inicial por la Union

Esportiva de Sans con destino a sufragar los gastos que origine la participacion del ciclista

Janer en el Tour de France. »159 ; « Conceder una copa de cien pesetas a la Union Velocipédica

Espanola por la fiesta del ? que se celebrarà el proximo dia 30 de mayo ».160 ; « Conceder un

premio de 50 pesetas con destino a los campeonatos escolanes de atletismo »161 ; « Se auerda

contribuir con 25 pesetas – a la funcion a beneficio del malogrado ciclista Bisbal ».162

On constatera que tous ces dons, afin d’aider ces clubs, en particulier cyclistes,

correspondent à des buts précis. Par exemple, celui de développer un autre club ou de le soutenir

suite à un événement tragique comme un deuil ou une blessure, par solidarité. De plus, le club

n’hésite pas à aider directement des athlètes, par exemple, en finançant la participation d’un

coureur au Tour de France ou en récompensant les vainqueurs d’une compétition en athlétisme.

Alors, l’institution sportive fondée par Joan Gamper en 1899 montre sa présence dans

le sport catalan en général. Le Barça construit sa position de leader de ce secteur et veut montrer

la voie par diverses contributions ou récompenses, pour encourager les entités sportives

catalanes à progresser, pour la Catalogne.

Afin de spécifier l’identité catalane, il ne suffit cependant pas de catalaniser le sport.

L’enjeu le plus important est que le peuple adhère au catalanisme. Logiquement, tout en étant

158. Livre des actes (octobre 1923-mai 1926) 159. Livre des actes d’octobre 1923 à mai 1926 (acte du 23 juin 1924) 160. Livre des actes d’octobre 1923 à mai 1926 (acte du 17 mars 1925) 161. Livre des actes d’octobre 1923 à mai 1926 (acte du 25 février 1924) 162. Livre des actes d’octobre 1923 à mai 1926 (acte du 26 mars 1925)

Page 57: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

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un acteur majeur du sport catalan, le Barça a aussi la lourde tâche d’être un élément essentiel

de la culture catalane, dans ses développements extra-sportifs.

Page 58: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

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Chapitre 5 – Un club omniprésent dans les activités sociales et culturelles

1-) Une référence sociale

Le FC Barcelone, en devenant probablement l’entité sportive principale de la Catalogne,

est un atout considérable pour la société catalane.

Il est logique que, voulant être la principale référence au sein même de sa ville, le FC

Barcelone doive se démarquer, à la fois par son identité et l’importance de son activité sociale,

de son principal rival l’Espanyol Barcelone. Celui-ci est fondé le 13 octobre 1900 par des

étudiants catalans de l’Université de Barcelone, Angel Rodriguez, Octavi Aballi et Lluis

Roca163. En nommant leur association sportive « Sociedad Espanola del Football », les

fondateurs de l’Espanyol veulent se démarquer du FC Barcelone en assumant une identité à la

fois « hispanique » et plus locale, quand le Barça a été fondé et a formé sa première équipe par

des étrangers. Le premier match entre les deux formations a lieu le 27 janvier 1901 et voit le

Barça s’adjuger ce premier Derby, quatre à un, grâce à un quadruplé de Gamper, bien que les

rapports entre les deux équipes soient restées courtoises164. Le nom de ce club basé aujourd’hui

à Cornellà évolue et devient « Real Club Deportivo Espanol » en 1912, nom qu’il porte toujours

à ce jour165.

C’est dans les années 1920 que naît une rivalité entre les deux clubs. Depuis le début de

cette décennie, les Blaugranas et les Pericos (les « Perruches » en français)166 sont les plus titrés

au niveau régional : huit Campeonato de Catalunya pour le Barça, quatre pour l’Espanyol

Barcelone, en dix-sept saisons. Comme le Barça, l’Espanyol se développe. Un an après la

construction des Corts, le fief des adversaires du Barça, l’Estadi de Sarria, stade flambant neuf

contenant 10 000 places (bien qu’à l’origine, il ait été prévu qu’il en contienne 40 000), est

inauguré le 18 février 1923167. Malgré l’écrasante domination régionale du FC Barcelone tout

au long de la décennie 1920 (neuf Campeonato de Catalogne glanés), l’Espanyol est une des

deux seules équipes (avec CE Europa en 1923) à contester la suprématie des hommes de Joan

163. Joan Segura PALOMARES, Cent anys d'Història del RCD Espanyol de Barcelona, Barcelona, Fundació Privada del RCD Espanyol, 2000

164. Ibid 165. Ibid 166. Surnom donné au club de l’Espanyol Barcelone et à ses supporters. 167. Ibid

Page 59: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

59

Gamper en 1929 en remportant la même année, le Campeonato de Catalunya et la Coupe

Nationale.

Cette rivalité doit être analysée d’un point de vue politique. Dans les années 1920, le

Barça assume déjà son identité catalaniste et se sent plus concerné par sa région, tandis que

l’Espanyol et ses supporters ont la réputation d’être centralistes, plus dirigés vers

« l’espagnolisme »168. Par conséquent, sont considérés comme des sympathisants du

nationalisme castillan. Ces désaccords provoquent des rixes entre supporters.

En effet, des scènes de violence entre les deux clubs sont relevées, sur les gradins du

stade ou aux terrasses des cafés alentour : en 1911, lors d’un match de Copa de Riva ; en 1912,

des supporters ont été bannis des stades pendant 2 ans après de nouveaux incidents liés à la

violence169. Autre incident important, le 18 mai 1919, jour de la finale de la Copa del Rey, le

Barça affronte l’Arenas Club à Madrid. Des tracts au contenu très hostile au FC Barcelone sont

distribués dans les gradins du stade : ils accusent le club d’être séparatiste et ennemis des

Espagnols170. Des sources, soupçonnent des supporters de l’Espanyol Barcelone d’être à

l’origine de ces tracts. La haine entretenue entre les deux parties existe même pendant la

dictature, puisque le 23 novembre 1924, dans un match opposant les deux équipes, de grosses

violences éclatent entre les supporters, au point que la rencontre est suspendue à la mi-temps et

reporté à une date ultérieure171.

Ces incidents démontrent que la rivalité dont il est question ici n’est pas purement

sportive, elle est avant tout politique : d’un côté les catalanistes qui représentent le FC

Barcelone ; de l’autre les pro-castillans incarnés par l’Espanyol Barcelone. Alors, dans une

Catalogne, qui tend à renforcer son identité, mieux que l’Espanyol Barcelone, le Barça a toutes

les cartes en main pour s’imposer, avec son idéologie et ses valeurs, dans la ville de Barcelone,

puis dans toute la Catalogne. Quelle est l’action sociale du Barça ? Comment participe-t-il à la

vie publique de Barcelone ?

Dans l’acte du l’acte du 13 septembre 1917 : « Es llegeix carte del … obrero agraint

nostre donatiu i propasant la organisacio d’un fetival en … de les escoles. »172. Le Barça en

tant qu’institution sportive s’implique directement dans la société catalane et vient aide aux

168. Ignacio RAMONET, Christian DE BRIE, « Football et passions politiques », Manière de voie n°39, op.cit 169. Vic DUKE, Liz CROLLEY, Football, nationality and the state, Londres, Routledge, 1996

170. Manuel TOMAS, Frédéric PORTA, Barça inédito : 800 historias de la Historia, op.cit 171. Vic DUKE, Liz CROLLEY, Football, nationality and the state, op.cit 172. Livre des actes (1916-mai 1919)

Page 60: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

60

écoles, lieux publics où est enseignée la culture catalane aux enfants. Les écoles sont des lieux

où sont favorisées la sociabilité et la transmission des valeurs. Devant les enfants, le Barça peut

jouer un rôle de « père » garant de la société, et c’est par l’organisation d’un événement festif,

« un festival », que le Barça veut consolider cette image, en étant la référence sociale, devant

les autres clubs, en particulier l’Espanyol Barcelone.

Le club semble, de même qu’avec les clubs de football ou organisations sportives

voisines, jouer les bienfaiteurs, afin d’affirmer sa présence et son adhésion à des valeurs

caritatives, dans un moment où l’Espagne traverse une crise militaire, sociale et politique.

L’intention « généreuse » s’affiche, universaliste : on peut remarquer qu’ici, aucune

revendication catalaniste n’est affichée.

De plus, il est important de signaler qu’en plus d’intervenir en tant qu’organisateur

d’événements, les Blaugranas participent en tant qu’ « invités ». D’après l’acte du 3 mai 1920,

« Del [illisible] invitant al primer equip a un partit amb festival, obrequis i banquet »173. Cela

signifie qu’il y a une réciprocité et donc, une sorte de reconnaissance des services rendus par le

club à travers ses activités. Par ailleurs, se trouve confirmé le fait que le FC Barcelone est

véritablement considéré comme une institution reconnue de la Catalogne.

Enfin, nous détenons une dernière trace des liens du Barça avec la société catalane, il

s’agit de l’organisation d’un événement à destination des enfants, comparable à celui que

mentionne l’acte datant du 13 septembre 1917, cette fois en 1921 : « En tracta de l’organitzacio

del festival, s’acorda un partit d’infantils ; altre de quarts equips i finalment el dels antics y

actuals campions ; en els intermitjos i descans al es faran les proves atletiques. »174.

Les enfants semblent être des cibles privilégiées par le FC Barcelone. Ils sont à l’âge où

l’être se forme, construit sa spiritualité, est particulièrement sensible au conditionnement

social : l’identification au club peut s’opérer assez naturellement, dès lors qu’il fait partie du

paysage quotidien des enfants. Par ailleurs, on observe que l’association sportive fondée par

Gamper en 1899 continue de promouvoir sa discipline, le football, en arguant des bienfaits du

sport pour une bonne hygiène de vie, afin d’ancrer la culture sportive dans la région, mais aussi

sans doute d’attirer de nouveaux supporters au club. Il ne faut pas oublier qu’entre 1917 et 1923,

173. Livre des Actes (juin 1919-mai 1921) 174. Livre des Actes de juin 1919 à mai 1921 (acte du 11 avril 1921)

Page 61: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

61

grâce aux résultats favorables du club et à l’hostilité de la Monarchie, le lien entre le club et la

région catalane s’enracine 175.

Quelle est l’inspiration de cette politique, sensible aux causes sociales de la Catalogne,

dont nous venons de donner un certain nombre d’exemples concrets ? Cette stratégie de

l’omniprésence sur le terrain social fait écho à la façon dont le club gère ses relations en interne.

Les dirigeants et joueurs organisent en effet souvent des banquets au sein du club afin de

renforcer la cohésion de l’institution. C’est le cas pour les anniversaires du club.

Autre exemple, qu’on peut voir dans l’ouvrage de Mercè Morales, avec une photo datant

de 1922 qui montre un grand banquet de fraternité, où sont présents les joueurs du club et les

socios176. Ce banquet a eu lieu pour fêter l’issue heureuse de l’opération de l’appendicite de

Samitier. Ainsi entend se manifester un esprit familial au sein du club, qui encourage le

sentiment d’appartenance à une entité dont les joueurs sont les fidèles représentants. Cet esprit

caractérise les valeurs du club, valeurs identitaires qu’il veut transmettre à la société. Cela qui

peut expliquer alors l’activisme du FC Barcelone dans les cercles sociaux barcelonais les plus

divers.

Cependant, pendant la dictature de Primo de Rivera, le club continue-t-il d’être aussi

fort institutionnellement et actif au sein de la société ? Est-il possible d’évoquer une

intensification de ses actions, à des fins catalanistes, pour diffuser la culture catalane contre la

centralisation à Madrid prôné par Primo de Rivera ?

On a un exemple d’action sociale, en pleine dictature militaire. L’acte du 17 mars 1924

indique : « Don Romualdo Torres propone que celebre en uno de los jueves de abril por la

tarde un festival en honor de los ninos (escolanes) de Barcelona. El Consejo Directivo aplaude

esta iniciativa y designa a los senores Romualdo Torres y Don Juan Sitjes y Don Luis Torres

Ullastres para que es encarguen de la organisacion de este festival. »177 La méthode demeure

la même. Le club veut rester la référence de la Catalogne, ce qui implique des organisations

festives, notamment en faveur des enfants…

Comme avec les clubs de football ou institutions sportives, le Barça se fait généreux

donateur pour diverses causes. Par exemple, l’acte du 30 juin 1924 indique que le club envoie

175. Mercè MORALES MONTOYA, Futbol Club Barcelona, conoce su historia : de los origenes a la consagracion 1899-1950, op.cit 176. Ibid 177. Livre des actes (octobre 1923-juin 1926)

Page 62: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

62

2000 pesetas à des établissements s’occupant d’handicapés : « Destinar a la seccion medica de

las Escuelas de anormales de Vilajuana la cantidad de dos mil pesetas »178. Autre trace d’une

implication comparable du FC Barcelone, dans l’acte du 26 mai 1925 : « Contribuir con tres-

cientos pesetas al envio de dos ninos a las [illisible] Escolares reformidas por el

Ayutamiento »179. On voit que le soutien aux enfants est véritablement l’axe principal de

l’activité « humanitaire » souhaitée par les dirigeants.

Le FC Barcelone participe également aux fêtes religieuses, d’après cet acte datant du 29

décembre 1924 : « Contribuir con veiticinco pesetas a la subscripcion para los Reyes Magos

de la Casa de Caridad »180. La moralisation dans la société reste importante, et la religion

catholique étant la religion la plus pratiquée en Espagne et en Catalogne, le FC Barcelone reste

cohérent dans ses positions en s’impliquant ainsi dans une institution religieuse de sa région.

Mais il serait pertinent de se demander si le Barça ne souhaite pas également atténuer l’emprise

du régime sur les institutions ecclésiastiques. En effet, les forces conservatrices, comme

l’Eglise, soutiennent Primo de Rivera qui favorise les valeurs conservatrices.

Ainsi, on peut développer l’idée que le Barça veut être en contact permanent avec la

société catalane pour laquelle il se pose en défenseur du peuple, en contrepoint d’une dictature

qui veut tout contrôler. En organisant des festivals ou en donnant une contribution financière à

des écoles ou des institutions religieuses, le FC Barcelone est le point d’ancrage de toutes les

organisations, publiques ou privées, catalanes. Il surpasse les autres clubs catalans, y compris

l’Espanyol Barcelone, dans son activité au sein de Barcelone et de sa région, prouvant qu’il est

la référence et le représentant de la Catalogne. Enfin, les valeurs qu’il cultive éclairent sa

volonté d’être vu comme un humaniste.

Le Barça, par ses actions, avant ou pendant la dictature, s’efforce de devenir un élément

familier du paysage catalan. Attaché à son peuple, le FC Barcelone est aussi attaché à la culture

de son peuple.

178. Livre des Actes (octobre 1923-juin 1926) 179. Livre des Actes (octobre 1923-juin 1926) 180. Livre des Actes (octobre 1923-juin 1926)

Page 63: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

63

2-) Une entité culturelle de premier plan, en relation avec les autres entités culturelles

catalanes

Le FC Barcelone souhaite s’inscrire dans le développement de la culture catalane,

compte-tenu de ses positions politiques. Pour le montrer, le club doit également intervenir et

assurer des relations avec des groupes culturels qui mettent en avant la culture catalane, sa

langue, sa littérature, ses spécificités.

Quelle est la place du FC Barcelone dans les organisations culturelles de la Catalogne ?

Est-ce qu’il contribue au développement de la culture catalane par l’intermédiaire de son

institution sportive ?

Inévitablement, le Barça grâce à son émergence au début des années 1920, joue les

premiers rôles, en étant souvent invité à divers événements. L’acte du 14 juin 1920 par exemple

affirme que « Del Pompeya invitant al festival deportiu, que he organitrat pel dia 13 »181. Le

Barça est convié à un festival sportif. Le sport est un pilier dans la constitution d’une culture

catalane. Il un impact social très important, il rassemble les intérêts de la majorité de la

population. Surtout, il « contribue à la formation des identités collectives, en mobilisant les

sentiments d’appartenance à une communauté. »182. Or, comme nous avons essayé de le

démontrer dans la sous-partie précédente, le Barça est capable de former et consolider une

communauté, en particulier par son omniprésence dans la société.

Dans quelle mesure le FC Barcelone peut-il figurer dans la liste des institutions

culturelles de la Catalogne ? Est-ce qu’il y a des relations entre entités culturelles catalanes et

le Barça ?

L’Acte du 25 février 1921 nous permet de répondre par l’affirmative : « S’acorda

inscriurer el club al segori Congrés Català de Turisme qu’es celebrarà a Tarragona »183. Dans

cette situation, le club participe à des festivités organisées par le Congrès catalan du Tourisme.

Cela démontre que le Barça est un élément culturel de premier plan, considéré comme

appartenant au patrimoine catalan. Le FC Barcelone collabore potentiellement avec les

institutions culturelles catalanes, et assure son rôle de club catalaniste.

181. Livre des Actes (juin 1919-mai 1921) 182. Michaël ATTALI, Natalia BAZOGUE, Diriger le sport: perspectives sur la gouvernance du sport du XXe siècle à nos jours, op.cit 183. Livre des Actes (juin 1919-mai 1921)

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64

Cela démontre aussi que le club s’implique socialement au niveau local, même s’il a

aussi la volonté de s’exposer à une plus grande échelle. En participant à un Congrès consacré

au tourisme, le club est alors considéré comme un objet social et un support culturel essentiel.

Il représente la culture catalane, ce qui permet aux gens venant de l’étranger de pouvoir

s’intéresser à la question catalane plus facilement.

Dans le domaine culturel, le club occupe une position de premier plan au Congrès de la

culture catalane, qui réunit au fil du XXème siècle plus de 1500 institutions défendant le

catalanisme et souhaitant la restitution d’un gouvernement autonome184. Cela confirme

l’importance qu’a le FC Barcelone dans la promotion de la Catalogne et de sa culture. Le

football, qui est une discipline très présente dans la société dans les années 1920, peut être un

vecteur de transmission culturelle, et grâce au Barça, la culture catalane, en dehors de l’aspect

politique, peut être visible au-delà de la Catalogne ou de l’Espagne.

On peut penser que le club veut se montrer digne de cet héritage culturel et assurer la

continuité de la Renaixença, période durant laquelle la langue et la culture catalane sont en

pleine réhabilitation. En effet, Jaume Sobrequès affirme que « les premiers quotidiens en langue

catalane font leur apparition en 1879, ainsi que diverses organisations culturelles, civiques et

politiques aux tendances régionalistes catalanes prononcées, qui mettent sur pied plusieurs

congrès et assemblées revendiquant les droits collectifs du peuple catalan. »185.

Aucun changement à signaler pendant la dictature puisque le FC Barcelone maintient

ses relations avec le monde de la culture catalane. Par exemple, il assure sa présence à des

soirées privées dans un des théâtres les plus connus de la ville, l’Eldorado : « Aceptar la oferta

de D. Francisco Millas, de organizar veladas selectas de variedades en el Teatro « El

Eldorado » (…), los miercoles »186.

Ce théâtre est né en 1884 sous le nom de « Teatro Ribas ». Les propriétaires décident

de changer de nom pour l’appeler « Teatro de Cataluna » en 1887. Le nom d’« Eldorado »

apparaît dans les années 1890, avant d’être officialisé en 1913, lorsque le théâtre est nommé

« Teatro Cataluna – Gran Cine Eldorado »187. Dans ce lieu de culturel, sont jouées des pièces

184. Alejandro QUIROGA, Goles y banderas : Futbol y identidades nacionales en Espana, Madrid, Marcial Pons, 2015 185. Jaume SOBREQUES I CALLICO, Histoire de la Catalogne, op.cit 186. Livre des Actes d’octobre 1923 à juin 1926 (acte du 22 septembre 1924) 187. José SUBIRA, La ópera en los teatros de Barcelona: estudio histórico cronológico desde el siglo XVIII en el XX . Monografías históricas de Barcelona, 9, Barcelona, Millà, 1946.

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65

de théâtre et des comédies produites par des réalisateurs et compositeurs catalans, comme Enric

Morera, (« la Sardana de les monges » en 1919), Juli Garreta (« suite en sol : suite

empordanesa » en 1921) ou Rica i Graino (« el banco de la paciencia » en 1924)188. Par ailleurs,

l’Eldorado est le quartier général de l’Orchestre Symphonique de Barcelone dirigé par Joan

Lamote de Grignon, représentant du panorama musical barcelonais. Ce théâtre ferme en 1928.

Ainsi, une hypothèse s’impose. Est-ce que les dirigeants du FC Barcelone, voire les

joueurs, fréquentent le monde artistique de l’époque, dans ce qui se fait de mieux au niveau

théâtral et musical ? Il est possible que le Barça, en s’intégrant à un monde assez fermé et

privilégié, ait pu imposer et développer son statut au niveau régional. Alors, nous pouvons

supposer que le FC Barcelone en tant qu’institution sportive, s’imposait dans les plus hautes

couches de la société, par l’intermédiaire du monde du théâtre et de la musique.

Il est même possible de se demander si le FC Barcelone n’est pas à même de valoriser,

grâce à son statut, des groupes d’artistes afin de promouvoir la culture catalane. D’après l’acte

du 18 mai 1925 : « Que el dia 14 de junio se celebre en el campo de los Corts un partido en

homenaje del orfeo Català para festejar el (…) de su excursion artistica a Roma »189. L’Orfeo

Català est une association de chorale fondé le 8 septembre 1891 par Lluis Millet. Elle va aussi

se développer comme une des références musicales catalanes et s’inscrit dans le mouvement

catalaniste. A plusieurs reprises, à la fin des années 1890, cette chorale interprète El Cant de la

Senyera, une chanson à la gloire du drapeau catalan, symbole important pour un catalaniste.

Pour notre période, l’Orfeo Català pendant la dictature de Primo de Rivera est une des entités

culturelles catalanes les plus influentes, ce qui explique le choix du club de vouloir le féliciter

et le mettre en valeur. En effet, l’acte indique que l’Orfeo est allé jouer à Rome, haut-lieu de

la culture et logiquement, dans l’esprit des Catalans, l’Orfeo Català a représenté toute une

région, sa culture et tout un peuple.

Le FC Barcelone est très actif et se dévoue pour que la Catalogne se développe et

renforce son identité qui continue à se construire et à se consolider depuis la Renaixença. Il a

acquis une énorme légitimité culturelle grâce à ses différentes interventions dans le milieu du

sport catalan, mais également dans la société. Cela fait que le Barça s’inscrit dans la vie des

188. José SUBIRA, La ópera en los teatros de Barcelona: estudio histórico cronológico desde el siglo XVIII en el XX . Monografías históricas de Barcelona, 9, op.cit 189. Livre des Actes (octobre 1923-juin 1926)

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catalans, et que, plus qu’un club sportif, il est une association susceptible de rassembler et même

de favoriser l’arrivée de nouveaux venus.

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67

Chapitre 6 – Soutenir le FC Barcelone, un moyen de s’intégrer dans la

société catalane

1-) La Catalogne, une terre d’immigration

Avant d’évoquer la fonction « d’intégration » au sein de la société catalane du Barça, il

est important d’expliquer les flux migratoires qui ont eu lieu au sein de la Catalogne. En effet,

en tant que région industrielle, vivier de nombreux emplois, cette région, plus développée que

beaucoup d’autres régions au sein de la Péninsule Ibérique, attire et accueille de nombreux

émigrés sur son territoire.

Nous allons nous appuyer sur le travail réalisé par Ricard Zapata-Barrero, qui a étudié

les vagues d’immigration en Catalogne, en s’appuyant sur les chercheurs qui l’avaient précédé.

Ce qui est important et intéressant, c’est l’évolution exponentielle du nombre de personnes qui

viennent pour s’installer temporairement ou durablement en Catalogne.

Déjà, entre 1901 et 1920, la Catalogne accueille quasiment 260 000 migrants190. Au

cours de la décennie suivante, le solde migratoire atteint le chiffre de 322 079191. On peut déjà

se poser une question : en dehors des industries, est-ce que certains individus ont eu l’idée de

venir en Catalogne, en partie grâce au Barça dont la notoriété progresse dans toute la Péninsule

Ibérique ? Nous traiterons cette question plus tard.

Selon Ricard Zapata-Barrero, on peut distinguer deux grandes vagues d’immigration

entre 1911 et 1930, en particulier dans les années 1920. Pour faire ce travail,

méthodologiquement, il procède de la même manière que Cabré et Pujadas, deux auteurs qui

ont déjà fait des travaux sur l’immigration catalane. En effet, il établit la croissance de la

population catalane par tranche de 5 ans, entre 1911 et 1930.

Au niveau des résultats, on peut constater que la croissance migratoire entre 1916 et

1920 atteint le chiffre de 202 608, soit une progression multipliée par 10 par rapport aux cinq

années précédentes192. Puis, pendant le directoire civil, entre 1926 et 1930, cette croissance

190. Ricard ZAPATA-BARRERO, « Immigration, autonomie politique et gestion de l'identité : le cas de la Catalogne », Outre-Terre 2006/4 (no 17). 191. Ibid 192. Ibid

Page 68: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

68

migratoire retrouve un chiffre équivalent : 214 726193. Les immigrés représentent les ¾ de la

croissance absolue de la population catalane. Cela s’explique par le contexte économique et

l’attractivité du territoire, c’est-à-dire de nombreux emplois liés au nombre d’entreprises

industrielles, et également à la politique de grand travaux initié par Primo de Rivera.

Cette politique de grands travaux a un lien direct avec la Catalogne et son

développement. En effet, elle porte sur l’amélioration des axes de communications du pays et

l’application du protectionnisme afin de protéger les entreprises nationales (ce qui a longtemps

été demandé par les industriels catalans) qui sont des atouts considérables pour la région194.

Ainsi, la Catalogne au niveau économique a profité de cette politique caractérisée par

une intervention marquée de l’Etat. La Catalogne joue les premiers rôles grâce à son industrie,

et Barcelone est choisie en 1929 pour accueillir une grande Exposition internationale195. Ainsi,

l’Etat intervient directement sur le plan urbain et urbanise par exemple la colline de Montjuïc.

Cela permet à la Catalogne, par le biais du régime, de se mettre en lumière économiquement et

culturellement, ce qui peut expliquer en partie cette vague d’immigration dans les années 1920,

malgré l’ambiguïté de la politique de Primo de Rivera.

Ce qu’il faut souligner, c’est qu’il s’agit avant tout d’une immigration interne : la

Catalogne attire particulièrement des individus venant des régions voisines : l’Aragon à l’Ouest,

le Pays Valencien au Sud et les Baléares à l’Est. On peut observer aussi l’arrivée d’Andalous

et de travailleurs provenant de la région de Murcie.

Ces arrivées successives ne sont pas dérisoires et perturbent même la société catalane

pendant les années 1920-1930. Des débats ont lieu sur la question de l’immigration et de

l’intégration : est-ce que ces immigrés peuvent s’intégrer en Catalogne ? Ne mettent-ils pas en

péril l’unité catalane, notamment culturelle ? Peuvent-ils menacer l’identité de la Catalogne ?

La Catalogne doit pourtant son développement à l’immigration et aux gens venus de

toute l’Espagne qui ont construit son histoire. En effet, d’après Ricard Zapata-Barrero,

193. Ricard ZAPATA-BARRERO, « Immigration, autonomie politique et gestion de l'identité : le cas de la Catalogne », op.cit 194. CANAL Jordi, Histoire de l’Espagne contemporaine de 1808 à nos jours : Politique et société, op.cit 195. Ibid

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« l’immigration serait une partie intégrante du « système catalan contemporain de

reproduction »196.

Mais c’est alors qu’on peut mesurer le rôle unificateur que peut jouer le FC Barcelone.

Le FC Barcelone a-t-il contribué directement au « système catalan contemporain de

reproduction » en favorisant l’intégration des nouveaux résidants dans la société catalane ?

196. Ricard ZAPATA-BARRERO, « Immigration, autonomie politique et gestion de l'identité : le cas de la Catalogne », op.cit

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70

2-) Le Barça, un appui pour s’intégrer en Catalogne ?

Pour répondre à cette question, il faut observer la « communauté » des supporters

sportifs : devenir supporter ou sympathisant d’un club implique l’adhésion une communauté où

l’on partage les mêmes passions et des éléments de culture. Le sport est même un des facteurs

de rassemblement et de cohésion nationale les plus puissants.

Le sport peut-il être aussi un facteur d’intégration des immigrés, en tant spectateurs ou

pratiquants ? Pour des sociologues, comme Pierre Lanfranchi, le sport concerne tous les

domaines de l’existence des hommes, les sciences, la politique, l’économie, la société… c’est

un « phénomène social « total » »197. La démocratisation du sport dans la société vient de

l’industrialisation et du développement des loisirs, après le travail à l’usine.

Voilà qui peut être cohérent avec le FC Barcelone et sa géographique : la Catalogne est

une région industrielle et la grande majorité des immigrés viennent travailler en usine. Ils font

partie de ces ouvriers qui, très probablement, iront se changer les idées après une dure journée

de labeur, en pratiquant le football ou en allant voir un match au stade.

Cependant, il s’agit de voir si le Barça était un club orienté sur l’ouverture à l’autre.

Théoriquement, Joan Gamper, le fondateur du club, souhaitait absolument que son club porte

et conserve des valeurs universelles. Comme nombre de ses contemporains, il concevait le sport

comme une école de la vertu. Aux valeurs d’universalité, s’associent celle du dialogue et de

l’échange, ce qui est favorable au cosmopolitisme que le FC Barcelone, dès sa fondation et tout

au long de son histoire, a mis en avant parallèlement, aux valeurs catalanistes. En comparaison,

les sociétés de gymnastiques, très fermées, refusent les étrangers198. Ces choix éthiques en toute

logique, favorisent l’accueil d’Espagnols non catalans ou d’étrangers au sein du club.

Le club ne trahit pas ses valeurs et nous pouvons citer entre 1917 et 1930, des joueurs

ou dirigeants étrangers qui se sont pleinement intégrés en Catalogne grâce au FC Barcelone.

L’exemple le plus évident est celui Joan Gamper, fondateur du club, et trois fois président entre

1917 et 1930. Ce fils de banquier, de nationalité suisse, arrive à Barcelone à l’âge de 20 ans, en

197. Pierre LANFRANCHI, Entre initiative privée et question nationale. Genèse et évolution des politiques sportives en Europe, (Grande-Bretagne, Allemagne, France, Italie). In: Politix, vol. 13, n°50, Deuxième trimestre 2000. 198. Pierre LANFRANCHI, « Football, cosmopolitisme et nationalisme », Pouvoirs 2002/2 (n°101).

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1898, pour travailler dans la société « Tranvias de Sarria »199. Un an plus tard, il fonde le FC

Barcelone, et il fait partie des protagonistes qui ont « catalanisé » le club, pour en faire un

fervent défenseur de la culture catalane. Nous tenons là l’exemple d’une intégration

parfaitement réussie, d’une assimilation revendiquée et qui s’affiche dans le choix d’un

nouveau prénom : ses parents l’avait prénommé Hans, mais Gamper sera Joan, pour preuve de

son appartenance à Barcelone et à la culture catalane. Son attachement au FC Barceloene et son

implication dans la société catalane (il était aussi engagé politiquement et maîtrisait

parfaitement le catalan) ont fait de lui un personnage populaire, au point que son décès, en

juillet 1930, a rassemblé une foule immense venue assister aux obsèques du plus catalan des

Suisses200.

Parmi les joueurs, il y a le cas de Franz Platko. Ce gardien de but, né à Budapest en

1898, est transféré au FC Barcelone à l’âge de 25 ans (en 1923), et évoluera dans ses rangs

jusqu’en 1930. Ce qui est intéressant, c’est qu’il a joué dans la sélection de Catalogne. Le 12

juillet 1925, devant 30 000 spectateurs, le portier Hongrois défend les couleurs de la Catalogne

contre la Galice. Deux ans seulement après son arrivée en Catalogne, le fait d’être sélectionné

et surtout d’accepter de participer à un match avec la Catalogne nous indique que son intégration

en Catalogne s’est faite très rapidement. Durant sa carrière d’entraîneur, il dirige le club pendant

la saison 1955-1956, ce qui souligne son attachement au club et donc, à la région en pleine

période franquiste.

Le Barça est ainsi un exemple concernant l’adoption de valeurs et de modèles

étrangers201. On peut également citer parmi les entraîneurs, Greenwell, de nationalité anglaise,

qui influence le style de jeu du club, les résultats de l’équipe, et indirectement, les mentalités

de l’époque. De plus, par leurs apports, ces professionnels participent à la construction d’un

style de jeu bien spécifique, identifié comme « catalan ».

A côté de ces intégrations réussies à l’intérieur du club, il faut évoquer cet autre canal

d’intégration qu’est la communauté des supporters : le Barça se revendiquant association

sportive, ses dirigeants amplifient l’idée que le club est un lieu de rassemblement, de cohésion,

ouvert à ceux qui viennent d’arriver de Catalogne.

199. Guillem BALAGUE, Barça : l’Histoire illustrée du FC Barcelone, op.cit 200. Ibid 201. Pierre LANFRANCHI, « Football, cosmopolitisme et nationalisme », op.cit

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Le soutien au club passe par un acte social : par exemple, aller au stade (que ce soit au

Carrer Industrial ou aux Corts à partir de 1922) qui est toujours plein. Cet acte social participe

du processus d’intégration : côtoyer ces Catalans et faire comme eux, soutenir l’institution

sportive qui les représente culturellement et idéologiquement, surtout pendant la dictature. Le

stade où immigrés venant de toute l’Espagne vont voir le Barça en famille ou avec leurs

collègues, est une étape obligée pour s’intégrer à la société. Il conduit à s’intéresser

progressivement aux idées du catalanisme, et d’abord à pratiquer le catalan à cette communauté.

L’intégration à une communauté de supporter ne se limite pas à l’acte social d’aller au

stade. Il y a aussi des règles à respecter. En effet, grâce à des actes et à l’Estatut, on peut affirmer

que le FC Barcelone possède son propre code moral, qui permet d’encadre le mouvement de

supporter, de maintenir son unité autour d’une même ligne idéologique. Comme dans n’importe

quelle communauté, celui qui fait des écarts par rapport à la règle s’expose à des sanctions qui

peuvent aller jusqu’à l’exclusion. Par exemple, d’après l’acte du 8 mars 1920, le club « s’acorda

ratificar la disposicio Presidencial d’expulsio del jugador Sr.Landarabol, per la seva conducta

o actes, en pugna amb el Reglament i dignitat sportiva i social de tot individu »202.

Ne pas avoir régler sa cotisation peut entraîner jusqu’à l’exclusion, comme l’affirme cet

acte : « s’acorda la exclusio de soci del senyor Florenti erge, per falta de pagament »203. Ce

règlement intérieur, institué dans l’Estatut de 1921, est même mentionné à propos de

l’expulsion d’un socio, en 1924 : « expulsar al socio 9363 Domenech por infraccion grave de

los Estatuts »204. Même les joueurs n’échappent pas à la règle, comme on peut le voir dans

l’acte du 10 mars 1924 : « Por falta graves cometidas en (desdoro) de la buena moralidad que

debe imferar entre los socios, se acerda expulsar del club al jugador Pedro Duque »205.

Ainsi, le FC Barcelone, mouvement social qui dispose d’une base solide de supporters

– les socios – homogène sur les plans politique et idéologique et dont les droits et les devoirs

sont clairement établis offre un cadre structuré où les nouveau venus sont incités au mimétisme,

en premier lieu sur le plan linguistique. Cette pression à l’assimilation peut favoriser

l’intégration des immigrés.

202. Livre des Actes (juin 1919-mai 1921) 203. Livre des Actes de juin 1919 à mai 1921 (acte du 20 octobre 1920) 204. Livre des Actes d’octobre 1923 à juin 1926 (acte du 28 mars 1924) 205. Livre des Actes (octobre 1923-juin 1926)

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73

On peut alors affirmer que le FC Barcelone est un intégrateur social de la Catalogne,

pour reprendre les termes du célèbre sociologue Alejandro Quiroga206. Il a été un support

indispensable pour l’intégration des immigrants espagnols venant de la région de Murcie,

d’Andalousie, d’Aragon ou des Baléares auxquels il a transmis des valeurs et des

De fait, le nombre de socios du club ne fait qu’augmenter. Son évolution est

exponentielle, surtout dans les années 1920, exactement dans la même dynamique que

l’immigration en Catalogne : 400 en 1910, 3000 en 1920207, puis la barre des 10 000 socios est

atteinte en juin 1923208. Durant toute cette décennie, l’augmentation est continue. Ainsi, on peut

très établir un lien de cause à effet, entre l’arrivée d’un grand nombre d’immigrants (qui s’ajoute

aux conjonctures politiques et économiques, à l’engouement pour un club qui gagne) avec la

progression exceptionnelle du nombre de socios au Barça.

Si en étant socio on devient catalan, devient-on pour autant un militant du catalanisme ?

Le stade, pendant la dictature, est-il davantage plus qu’un simple lieu de sociabilité, un moyen

de s’exprimer contre le régime ? Pour répondre le plus largement possible à ces questions, il

faut se pencher sur l’appropriation par la société catalane de ce support politique et culturel, et

sur l’usage qu’elle en fait.

206. Alejandro QUIROGA, Goles y banderas : Futbol y identidades nacionales en Espana, op.cit 207. Guillem BALAGUE, Barça : l’Histoire illustrée du FC Barcelone, op.cit 208. Mercè MORALES MONTOYA, Futbol Club Barcelona, conoce su historia : de los origenes a la consagracion 1899-1950, op.cit

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Partie III

-

Plus qu’un club, « un porte-drapeau de la Catalogne »

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Chapitre 7 – A l’échelle locale : le Barça, un symbole de contre-pouvoir

1-) Un point d’appui pour s’opposer

Le FC Barcelone élargit sa notoriété progressivement et devient un véritable support

populaire dans sa propre région. Il est utilisé comme instrument politique par des politiciens

locaux qui suivent le courant catalaniste ; et par la population ? Est-ce que les Catalans

considèrent le Barça comme un point d’appui politique ?

Nous savons qu’entre 1917 et 1923 le FC Barcelone est un symbole politique

extrêmement utilisé, voire instrumentalisé par les dirigeants qui sont déjà engagés

politiquement, comme le démontre notamment son soutien officiel à la campagne pour

l’autonomie de la Catalogne, publié dans la Veu de Catalunya au mois de novembre 1918209.

Toutefois, le 13 septembre 1923, Primo de Rivera, avec la complicité d’une Monarchie au bord

du gouffre, arrive au pouvoir, et la situation politique et sociale se transforme radicalement.

Deux jours plus tard, un directoire composé de huit généraux et un contre-amiral forme le

gouvernement dont Primo de Rivera est le chef. Ce dernier proclame l’état de guerre sur tout le

territoire espagnol : l’important pour le régime n’est l’impérialisme (même s’il s’est occupé du

cas marocain)210.

En effet, la priorité est située sur le plan national. Primo de Rivera exprime un

nationalisme primitif, réaffirmant l’unité nationale espagnole comme l’une de ces

préoccupations principales211. Afin de retrouver une stabilité politique, il décide d’adopter une

politique de centralisation (à Madrid) à la française, non sans ambiguïtés puisqu’il favorise le

folklore des provinces espagnoles, notamment de la Catalogne. En poursuivant tout de même

cette logique de centralisation et d’uniformisation de l’Espagne, Primo de Rivera s’attaque

logiquement aux régionalismes.

C’est surtout pendant le directoire militaire, la période la plus répressive du régime entre

1923 et 1925, que Primo de Rivera essaie d’étouffer la culture catalane, en plein essor. La

209. Voir annexe 9 210. Jordi CANAL, Histoire de l’Espagne contemporaine de 1808 à nos jours : Politique et société, op.cit

211. Benoît PELLISTRANDI, Histoire de l’Espagne : des guerres napoléoniennes à nos jours, op.cit

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Monarchie, qui soutient totalement le Général, n’hésite pas à manifester son hostilité envers les

mouvements catalanistes. Par exemple, en décembre 1923 pendant la Foire du meuble à

Barcelone, trois mois seulement après la mise en place de la dictature, le roi Alphonse XIII,

condamne le catalanisme, en critiquant des écriteaux en langue catalane. Après avoir clarifié sa

position, le régime passe à l’acte : interdiction de brandir ou d’afficher le drapeau catalan – la

Senyera – et également, de jouer ou chanter l’hymne catalan, « Els Segadors », écrit en 1899212.

La pratique de la langue catalane en public est également prohibée au profit du castillan, les

institutions catalanes sont dissoutes comme la Mancomunitat le 21 mars 1925, les partis

politiques sont écartés, et toute manifestation est interdite. Enfin, la liberté d’expression est très

limitée à cause d’une pratique intensive de la censure213.

Alphonse XIII et Primo de Rivera sont prêts à limiter le plus possible la prospérité du

catalanisme, au profit d’une politique de « renaissance nationale »214. Ne pouvant pas exprimer

leurs opinions en public au risque d’être arrêtés, les Catalans sont en position de résistance, ne

serait-ce que pour vivre selon leurs coutumes dans le secret en Catalogne, ou à l’étranger. Les

grands responsables politiques catalans étant pour la plupart exilés à l’étranger, comment la

population essaie-t-elle d’alimenter le mouvement catalaniste ? Est-ce que le FC Barcelone, par

son identité, sa réputation, et sa popularité peut devenir une opposition officielle et donc, un

obstacle au régime ? Le FC Barcelone alimente-t-il voire renforce-t-il le mouvement catalaniste

pendant le directoire militaire ?

Ces questions méritent d’être posées, puisque les expressions identitaires se voient lors

des matchs, des mouvements de supporters, mais aussi dans les relations entre le club,

l’administration régionale et les forces politiques215. Il faut donc s’intéresser à l’attitude des

supporters autour du club, pendant ou après un match, ou lors du retour des joueurs à Barcelone

après un match disputé à l’extérieur.

On peut se diriger vers un élément essentiel qui permet aux supporters d’exprimer leurs

sentiments politiques et leurs opinions vis-à-vis d’un régime qui fait tout pour étouffer la

moindre opposition : le stade. On peut définir ce lieu sportif, selon Michaël Attali et Jean Saint-

Martin, comme un « lieu de rencontres qui invite à mélanger les rôles d’acteur et de spectateur,

212. Jaume SOBREQUES I CALLICO, Histoire de la Catalogne, op.cit 213. Paul AUBERT, Jean-Michel DESVOIS, Presse et Pouvoir en Espagne 1868-1975, op.cit

214. Benoît PELLISTRANDI, Histoire de l’Espagne : des guerres napoléoniennes à nos jours, op.cit

215. Michaël ATTALI, Natalia BAZOGUE, Diriger le sport: perspectives sur la gouvernance du sport du XXe siècle à nos jours, op.cit

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un stade fonctionne de par sa nature comme une scène d’expression identitaire ou idéologique.

Les régimes politiques (en particulier les dictatures), les hooligans, mais aussi le spectateur

lambda, y font l’expérience de l’expression de leur identité spatiale (on parle de match à

domicile) ou idéologique (notamment national) »216.

Au Barça, le stade a toujours été un élément témoignant de la popularité et de la

puissance du club, surtout à partir de 1909. En effet, cette année-là, le FC Barcelone s’installe

au stade de la Route Industrielle. Après le Vélodrome de la Bonanova à ses débuts, puis le

terrain de l’Hôtel Casanoves, la ruelle d’Horta, le terrain de la route de Muntaner et la Place

d’Armes située dans la Ciutadella, « l’Escopidora » est le premier véritable stade du club217.

Connu pour sa tribune à deux étages, le stade de la Route Industrielle a une capacité d’affluence

de 6000 places, ce qui ne suffit pas pour accueillir tout le monde. En effet, il y a tellement de

supporters qui souhaitent assister au match au stade que certains sont placés sur les murs de

l’enceinte, offrant aux passants le spectacle de leur postérieur218 : c’est de là que vient le terme

de « culé », surnom donné aux supporters du FC Barcelone. Le club a de plus en plus de fans,

à l’image du nombre de « socios » qui explose, et la direction du club, avec la contribution

financière des socios, décide de construire un nouveau stade d’un million de pesetas : Les

Corts219.

Cet édifice flambant neuf et moderne pour l’époque, qu’est le stade Les Corts, est

inauguré le 20 mai 1922, lors d’un match amical entre le FC Barcelone et le club écossais de

Saint-Mirren220. Il contient 20 000 places et augmente sa capacité jusqu’à 45 000 places en

1926. C’est l’un des plus grands stades d’Europe, d’autant que de « de tels équipements

affichaient la volonté des dirigeants d’inscrire dans l’espace et la pierre l’identité sociale d’un

club »221. Grâce la popularité des culés qui enchaînent les titres, « la cathédrale du football »

affiche toujours complet. Mais est-ce que ce stade est un lieu d’expression libre ? Est-ce que le

socio peut ainsi exprimer son identité idéologique en toute liberté ? Les Corts sont-il un lieu de

contre-pouvoir ?

216. Michaël ATTALI, Jean SAINT-MARTIN, Dictionnaire culturel du sport, Paris, Armand Colin, 2010 217. Guillem BALAGUE, Barça : l’Histoire illustrée du FC Barcelone, op.cit 218. Voir annexe 14 219. Mercè MORALES MONTOYA, Futbol Club Barcelona, conoce su historia : de los origenes a la consagracion 1899-1950, op.cit 220. Article de Mundo Deportivo en ligne (lundi 22 mai 1922) : http://hemeroteca.mundodeportivo.com/preview/1922/05/22/pagina-1/618519/pdf.html#&mode=fullScreen. 221. Paul DIETSCHY, Histoire du football, Paris, Editions Perrin, 2010

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78

Un incident, qui va marquer à jamais l’histoire du club, peut nous éclairer sur les

possibilités de résistance permises par les Corts et confirmer le propos extrait du Dictionnaire

culturel du sport cité ci-dessus selon lequel « un stade fonctionne de par sa nature comme une

scène d’expression identitaire ou idéologique ». Le 14 juin 1925, aux Corts, le Barça joue

contre l’équipe de Jupiter, dans un match censé rendre hommage à l’Orfeo Català. Avant la

rencontre, la British Royal Marine joue l’hymne espagnol, la Marcha Real, et l’hymne anglais,

God Save the Queen. Pendant la diffusion de ces hymnes nationaux, le public réagit : l’hymne

anglais est applaudi tandis que la Marcha Real est copieusement sifflé222. Les Catalans envoient

un signal, ils expriment leur rejet du régime de Primo de Rivera, et indirectement, de l’Espagne.

Ainsi, l’attitude des Barcelonais atteste que le stade où l’on se rassemble est un lieu de contre-

pouvoir, une caisse de résonnance qui permet d’exprimer des idées librement.

Le stade est ainsi une arme redoutable pour montrer ouvertement son opposition et

contourner la censure ou certaines interdictions, comme celle de manifester en public. La

dictature de Primo de Rivera a compris que, dans son intérêt, elle devait faire le nécessaire pour

éradiquer l’influence du Barça et de ses socios hostiles aux ambitions du pouvoir central,

comme nous pouvons le voir dans l’acte du 16 juin 1925 : « queda suspendida la celebracion

de partidos, reuniones, ni espectaculos de ningun género en el campo de Les Corts, no pudiendo

los equipos pertenecientes a ese Club tomar parte en partido alguno en otros campos hasta que

por este gobierno se dicte la oportuna resolucion »223.

Deux jours seulement après cet épisode, le club est interdit de match, les dirigeants sont

suspendus de leur fonction, notamment Joan Gamper suspendu à vie de tout poste de

management, et les Corts sont fermés pour une durée de six mois224. Habilement, le directoire

civil investit Arcadi Balaguer à la place de Gamper contraint à l’exil. En effet, comme nous

l’avons vu dans notre première partie, Balaguer est un personnage proche du roi et de la

Monarchie. Le but est donc de limiter les marges de manœuvre des responsables du club qui

encouragent les manifestations de socios à Barcelone.

Un autre acte intéressant, celui du 18 juin 1925, indique : « Se cambian impresiones

generales sobre la necesidad de reformar los Estatutos, conviniendo en que es indispensable

acometer sin mas dilaciones esa obra »225. Les Blaugranas sont dans l’œil du cyclone ! Dans

222. Mercè MORALES MONTOYA, Futbol Club Barcelona, conoce su historia : de los origenes a la consagracion 1899-1950, op.cit 223. Livre des Actes (octobre 1923-juin 1926) 224. Ibid 225. Livre des Actes (octobre 1923-juin 1926)

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une sorte d’impasse, le club décide dans l’urgence de réformer le règlement intérieur du club.

Peut-être en changeant la langue (passage du catalan au castillan) ? Le FC Barcelone pense-t-il

à modifier son identité, ou à la rendre moins visible ? Cet acte semble en tout cas vouloir

signifier que le Barça est clairement menacé par la dictature de Primo de Rivera.

Ainsi, le conflit ouvert entre les supporters du Barça au stade et le régime ainsi que la

réponse immédiate et brutale de Primo de Rivera à l’incident de la Marcha Real semblent

indiquer que le Barça s’affirme sérieusement comme un symbole de contre-pouvoir, au point

que le régime prend des mesures pour limiter son influence. Cependant, les socios utilisent le

Barça comme symbole de contre-pouvoir, non seulement dans le stade, mais aussi en dehors,

dans les rues de Barcelone.

En effet, les moments de joie ou l’accueil de leurs héros après un match qui s’est déroulé

à l’extérieur peuvent remplacer les manifestations ou rassemblements publics qui sont interdites

par le régime pour empêcher toute insurrection ou grèves des ouvriers. Par exemple, le 14 mai

1922, le Barça remporte le Campeonato d’Espana en battant en finale le Real Union de Irun 5

buts à 1. A leur retour de Vigo, les joueurs sont reçus par plus de 20 000 personnes selon les

journaux, ce qui démontre l’élan populaire que pouvaient provoquer les vainqueurs226. A

l’occasion des attroupements aux abords du stade et des moments de communion avec les

joueurs de retour d’un déplacement, les supporters catalans sont comme un peuple qui s’unit

et exprime indirectement une revendication politique : son opposition à Primo de Rivera.

De plus, lorsque le Barça gagne un match, et même mieux, un titre – comme le

campeonato de Catalunya – le peuple fête ce succès comme une victoire politique. Le travail

de Gabriel Colomé sur les « conflits et identités en Catalogne » nous fait découvrir un exemple

concret qui confirme l’idée qu’un triomphe du Barça devient un triomphe politique pour les

Catalans.

L’exemple vient du journal satirique catalan Xut !. En 1925, ce journal fait part du succès

des Blaugranas lorsqu’ils font le doublé championnat de Catalogne-Coupe. L’engouement et la

ferveur sont indescriptibles : « A Barcelone, cette victoire fut différente. Le club et d’autres

organismes sportifs, bien implantés dans la société, étaient devenus la seule possibilité

normalement consentie, dans le contexte de la situation sociale provoquée par la dictature,

226. Mercè MORALES MONTOYA, Futbol Club Barcelona, conoce su historia : de los origenes a la consagracion 1899-1950, op.cit

Page 80: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

80

d’exprimer un sentiment majoritaire de protestation et de désaccord. »227. Et même, autant que

la manifestation de leur désaccord avec le régime, les Catalans considèrent peut-être la victoire

de leur équipe comme un succès du catalanisme et un encouragement à poursuivre la lutte.

Le Barça s’affirme donc comme une véritable opposition au régime, exprimée par ses

socios et plus globalement la société catalane. Il devient clairement le représentant du peuple

catalan, au point d’acquérir une importance semblable à celle de la Mancomunitat. C’est le

point de vue affirmé par Xut !, en 1924 : « Le FC Barcelone glorieux de cette époque était

franchement exotique. Au fil des ans, il se catalanisa, et vingt-cinq ans de constance lui ont

permis d’acheter le peuple. »228.

Alors, le Barça est-il considéré par le peuple non plus comme un club, mais comme le

représentant de toute la Catalogne élevée au rang d’état-nation ?

227. Ignacio RAMONET, Christian DE BRIE, « Football et passions politiques », op.cit

228. Ibid

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81

2-) Être « culé », un moyen d’affirmer son amour pour la « nation » catalane ?

Le Barça, en tant que symbole de contre-pouvoir, s’inscrit dans le groupe de ceux qui

rejettent la centralisation voulue par le régime au détriment des cultures régionales. Il s’agit

maintenant de s’intéresser à la catalanisation de la société et d’étudier les relations entre les

Catalans et leur territoire, puisque cela permettrait de voir si le Barça, utilisé comme un adjuvant

politique par son peuple, a eu une véritable importance dans le renforcement du mouvement

catalaniste. Est-ce que le FC Barcelone renforce l’attachement des habitants de la Catalogne à

leur région ? Comme le fait Xut ! en 1924, peut-on affirmer que la catalanisation du Barça a

vraiment permis d’acheter le peuple ? Est-ce que le Barça est une des causes principales de la

radicalisation du mouvement catalaniste?

D’abord, dans quelle mesure les dirigeants et supporters de cette institution sportive

contribuent-ils à l’émergence du nationalisme catalan qui se radicalise dans les années 1920 ?

Dès novembre 1918, le Barça, par l’intermédiaire du journal la Veu de Catalunya (de

tendance catalaniste), s’affiche officiellement comme un partisan du mouvement catalaniste.

En effet, le FC Barcelone annonce soutenir la campagne en faveur de l’autonomie de la

Catalogne dirigée par Francesc Cambo229. Par ailleurs, le journaliste de la Veu de Catalunya,

Daniel Carbo, écrit que, grâce à ce soutien clair, le FC Barcelone passe du statut de club de

Catalogne à celui de club de la Catalogne230. Ainsi, le Barça pouvait déjà être considéré comme

le représentant direct de toute une région. Est-ce que pour la population, évoquer le Barça, c’est

évoquer la Catalogne en même temps ?

Au sein du club, on retrouve des paroles à consonance patriotique prononcées

officiellement par ses membres – les socios – ou les dirigeants. Par exemple, le 27 juin 1920,

une assemblée des socios a lieu et se termine par ces deux phrases symboliques : « Nous sommes

du FC Barcelone parce que nous sommes de Catalogne. Nous faisons du sport parce que nous

faisons la patrie »231.

D’après la première phrase, le FC Barcelone est directement affilié à la Catalogne, c’est-

à-dire qu’un catalan, d’où il vienne, va soutenir sa capitale régionale plutôt que sa localité. La

deuxième phrase est plus forte puisqu’elle bascule dans la consonance nationaliste. Le sport, ici

229. Voir annexe 9 230. Voir annexe 9 231. Manuel TOMAS, Frédéric PORTA, Barça inédito : 800 historias de la Historia, Barcelone, Corner 2016

Page 82: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

82

le football, « offre un terrain privilégié à l’affirmation des identités collectives et des

antagonismes locaux ou régionaux. », en particulier le FC Barcelone qui « fai[t] office de porte-

drapeau à l’identité catalane »232. Faire du sport, par sa pratique ou en soutenant une

association sportive, c’est-à-dire une communauté qui regroupe toutes les catégories sociales

catalanes, s’inscrit dans la volonté de développer « la patrie », en l’occurrence la Catalogne.

D’après le dictionnaire Larousse, la patrie est une « communauté, nation à laquelle quelqu’un

a le sentiment d’appartenir ». Le cadre du football est idéal pour promouvoir l’idée d’un destin

national et la volonté de construire un avenir en commun. En effet, le football est une discipline

universelle qui représente la société, ses envies, et ses pensées puisqu’il est universel et englobe

toutes les couches de la société, d’abord ouvrière à la fin du XIXème siècle jusqu’aux classes

aisées233.

Par conséquent, on peut supposer qu’adhérer au Barça - club de football et plus

largement association sportive - c’est s’inclure dans une communauté structurée dans le combat

pour la Catalogne, qui réclame plus de liberté, plus d’autonomie, tout en restant attachée à

l’Espagne. Le développement de la Catalogne, notamment de sa culture, passe avant l’Espagne

sans pour autant rejeter cette dernière.

Nous trouvons une nouvelle trace confirmant la ligne politique gravée dans les esprits

des socios – à savoir que le fait d’être au Barça revient à s’inscrire dans la construction de la

Catalogne et à participer de son destin – dans une chronique rédigée dans le bulletin officiel du

club de 1921. Elle est l’œuvre de Daniel Carbo, journaliste à la Veu de Catalunya :

« Aujourd’hui, comme demain, le football catalan t’acclame vainqueur ; aujourd’hui, comme

hier, dans une lutte épique et féroce, les lauriers de la victoire entoure ton front... Allons !...

Barcelone ! Sens-tu ? le rythme chaud et vibrant des heures solennelles, (…) siffler l’espace,

renouvelé, à ta louange, la chanson victorieuse, la chanson sonore et réconfortante qui exalte

ta force suprême. Sens-tu ? C’est le même hymne arboré des temps passés… qui doit être le

même hymen triomphal des temps futurs »234.

Cette déclaration d’amour adressée au Barça par ce journaliste, relie le FC Barcelone à

la Catalogne, mettant le club de Joan Gamper en position de chef de file du football catalan.

Pour justifier ce statut de représentant de la Catalogne, le club est héroïsé dans cette partie du

texte : aujourd’hui, comme hier, dans une lutte épique et féroce, les lauriers de la victoire

232. Ignacio RAMONET, Christian DE BRIE, « Football et passions politiques », op.cit 233. Ibid 234. Bulletin officiel de 1921

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83

entoure ton front...Allons !. Le FC Barcelone, en remportant le Campeonato de Catalunya au

même titre qu’une médaille d’or aux Jeux Olympiques d’Été, semble la fierté de la Catalogne,

et ces images empruntées au champ de l’épopée facilitent l’appropriation par toute une région

de l’équipe de Barcelone.

De la part des membres du club, il y a bien une prise en compte marquée de cette

communauté de supporters qui se revendiquent d’abord « catalans », plutôt qu’« espagnols »

ou barcelonais. Dans un bulletin officiel du club de janvier-février 1922, on peut voir la

représentation de l’Estelada, en ouverture d’un défilé de drapeaux représentants d’autres

pays235. L’Estelada est un drapeau qui revendique l’indépendance, un symbole très significatif

et qui marque le début d’un nationalisme catalan fort, surtout à partir de 1918 lorsque sa

conception est définie. Cette pensée nationaliste se renforce pendant la dictature, à la faveur

d’un événement qui constitue un moment clé dans l’histoire du club, événement bien connu

aujourd’hui : le 25ème anniversaire du FC Barcelone, le 7 et 8 décembre 1924. Pendant cette

fête, Joan Gamper tient un discours dans lequel il prononce ces mots : « Visca el Barça i visca

Catalunya » ! Les aficionados236 répondent en écho par cette seule parole « Visca »237 !

Le FC Barcelone et la Catalogne sont désormais affichés conjointement, afin de

constituer un ensemble. Il est important de souligner l’importance de cette phrase d’un point de

vue politique et identitaire. Elle montre que pendant la période du directoire militaire de Primo

de Rivera, le club s’est radicalisé d’un point de vue « identitaire ». Avec un régime qui a déclaré

la guerre aux régionalismes et des locaux acquis à la cause du FC Barcelone, les Blaugranas ne

pouvaient que continuer et aller plus loin dans la voie prise et assumée depuis 1917.

Alors, le Barça est devenu une institution qui permet au peuple de s’identifier à la

Catalogne : ainsi, supporter ou soutenir le Barça, c’est l’action aussi de soutenir la Catalogne,

surtout à partir de la dictature, sous laquelle toute apologie de la Catalogne, autonomiste ou pas,

est censurée et sanctionnée. Ainsi, la phrase « Vive le Barça et vive la Catalogne » exprimée

symboliquement par Joan Gamper indique l’évolution du club et l’importance de celui-ci pour

une population qui est de plus en plus attachée à la Catalogne. Il semble évident que cette

235. Manuel TOMAS, Frédéric PORTA, Barça inédito : 800 historias de la Historia, op.cit 236. En Espagne, l’aficionado est une personne qui est véritablement passionnée par sa discipline, très assidue aux événements sportifs de la discipline concernée. Ce terme dont la traduction littérale originelle est « amateur », vient du lexique de la tauromachie. 237. Guillem BALAGUE, Barça : l’Histoire illustrée du FC Barcelone, op.cit

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expression est avant tout politique et confirme le statut du FC Barcelone comme institution

engagée et véritablement catalaniste.

Ces paroles mémorables de Gamper ont-elles une postérité ? L’assimilation du FC

Barcelone et de l’entité Catalane est-elle une idée reprise par les citoyens dans la rue ? Oui,

d’après Gabriel Colomé, qui montre que le drapeau du FC Barcelone (les couleurs Rouge et

Bleu, accompagnées de l’écusson du club dans lequel on retrouve les couleurs du drapeau

catalan et la croix de Saint-Georges) se substitue à la Senyera, drapeau de la Catalogne238.

Ainsi, en brandissant un objet à l’effigie du club, on fait directement référence à la

Catalogne et à la volonté de perpétuer la culture catalane malgré les interdits. Pendant la

dictature, le Barça incarne la Catalogne pour les Catalans. Ainsi, brandir le drapeau du Barça

remplace l’action d’agiter le drapeau de la Catalogne ; crier « Visca Barca » remplace « Visca

Catalunya » en conservant sa signification.

L’utilisation des symboles du club comme les insignes, ou de paroles à la gloire du

Barça permettent de contourner la censure afin de dire librement qu’on est attaché à la

Catalogne, et dans le même temps, de critiquer la monarchie et le régime. Cette transformation

de la part du FC Barcelone qui développe son statut de contre-pouvoir en étant la « Catalogne »

est-elle confirmée au sein du club ?

Un acte, celui du 13 juin 1924, indique : « Expulsar al socio n°2490, José Ribes por

haber pisoteado la insigna del club al salir del campo »239. Le socio José Ribes a été destitué

de son statut de socio par le club pour avoir piétiné l’insigne du club. Salir le drapeau du club

équivaut à salir le drapeau de la Catalogne. Dans le contexte bien précis où se déroule cet

incident, nous pouvons supposer que le sentiment patriotique ou nationaliste est très présent et

que « piétiner » un symbole du club peut être considéré comme un acte de trahison contre la

Catalogne.

Cette ligne « nationaliste catalane » adoptée par les dirigeants et qui doit être respectée

par les socios est claire à la fois dans la théorie et la pratique. Néanmoins, cette pratique est

visible : est-ce que le régime ou la monarchie réagissent contre ces actions considérées illégales,

comme lors du scandale de la Marcha Real ?

238. Ignacio RAMONET, Christian DE BRIE, « Football et passions politiques », op.cit 239. Livre des Actes (octobre 1923-mai 1926)

Page 85: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

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Grâce au travail de Manuel Tomas qui a répertorié 800 anecdotes sur le FC Barcelone,

on a connaissance de l’arrestation d’un socio, Emili Bragulat, par la police sur la rambla de

Sabadell ; il est accusé d’avoir brandit un insigne Blaugrana, le 3 août 1925240. C’est pendant

la fermeture des Corts suite au scandale de la Marcha Real, et le club est extrêmement surveillé

par les autorités. Le FC Barcelone est véritablement considéré comme une institution

indésirable, un ennemi de Primo de Rivera.

La fierté populaire provoquée par le Barça, auquel tout le peuple catalan s’assimile est

de plus en plus forte et le régime doit le plus possible effacer l’influence du club et de ses

supporters qui menacent sa stabilité. Il semble y avoir un destin national partagé par tous les

supporters du club. Le Barça a réussi à transmettre son amour pour la Catalogne à ses supporters

qui peuvent l’affirmer grâce à lui.

Le club étant un « résistant » face à une dictature qui essaie de limiter son influence au

niveau local, quel est son statut au niveau international ?

240. Manuel TOMAS, Frédéric PORTA, Barça inédito : 800 historias de la Historia, op.cit

Page 86: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

86

Chapitre 8 – A l’échelle internationale : un ambassadeur de la Catalogne ?

1-) La Catalogne dans le monde international

Il est indispensable avant de traiter la question de la place du FC Barcelone en tant que

représentant de la Catalogne au-delà des Pyrénées, de rappeler le contexte de la Catalogne, plus

précisément le statut de ce territoire sur le plan international.

L’Espagne se tient à l’écart de guerre de 14-18 en ne souhaitant pas y participer. Elle ne

soutient officiellement ni l’Allemagne, ni la France, et se situe « dans une neutralité totale qui

ne pourrait qu’être bénéfique à son économie »241. Néanmoins, les Espagnols sont sensibles à

ce conflit et prennent parti pour l’un des deux camps. Les partisans du camp allemand sont pour

la plupart des citoyens issus de la haute société, comme la bourgeoisie d’affaires, des

ecclésiastiques et une bonne partie des carlistes, accompagnés de militaires. En revanche, les

démocrates et les républicains soutiennent en majorité les Français242.

Alors, quelle est la position des Catalans ? Malgré la francophobie affichée par des

journaux comme la Vanguardia ou la Pluma, les Catalans sont plutôt du côté de la Triple-

Entente formée par la France, l’Empire Russe et l’Empire Britannique243. Pour preuve, 12 000

à 15 000 volontaires ont demandé à former une légion catalane avec les troupes françaises (3000

seulement survivront). Cette collaboration favorise l’implantation de la Catalogne dans ses

relations à l’échelle internationale. Par ailleurs, elle intensifie ses rapports avec une grande

puissance comme la France, en créant notamment un « Comité de Fraternité avec les

Volontaires Catalans », afin d’obtenir des dons pour financer les belligérants.244

Cette amitié franco-catalane est une aubaine pour la Catalogne. Elle favorise sa

reconnaissance dans le monde entier, et surtout, lui donne légitimité à faire des demandes lors

des négociations de paix. Elle légitimerait par exemple la demande, par les autorités catalanes,

de reconnaissance du peuple catalan.

Ainsi, l’amitié entre la France et la Catalogne est bien entretenue tout au long du premier

grand conflit mondial, entre 1914 et 1918. D’abord, les Jeux Floraux de Barcelone en 1915,

241. Michel BOUILLE, Claude COLOMER, Histoire des Catalans, op.cit 242. Ibid 243. Ibid 244. Ibid

Page 87: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

87

« véritables démonstrations de francophilie »245, puis, le 12 février 1916, de hautes personnalités

catalanes comme le vice-président de la Mancomunitat rendent visite à des blessés de guerre à

Perpignan. Même Monseigneur de Carsalade les accueille en disant : « Frères de Catalogne,

vous voyez ici, en petit, toute la France unie, résolue, patriotique, héroïque »246. Autre élément,

l’archevêque de Tarragone et Emmanuel Brousse (député des Pyrénées-Orientales) vont

soutenir les combattants sur le front à Verdun, en Champagne.

En dehors des échanges politiques, les civils assurent ces relations également, avec par

exemple, des actions de soutien développées en Catalogne. A Barcelone en juin 1918, un comité

chargé d’accueillir des enfants de soldats français est monté. Les relations entre la France et la

Catalogne se portent à merveille jusqu’à la fin de la guerre.

Compte tenu de leurs efforts, et de leurs nombreux sacrifices en faveur des vainqueurs,

les volontaires catalans rédigent une lettre à destination du président des Etats-Unis

d’Amérique, Wilson. Dans cette lettre, ils expriment plusieurs revendications, comme le droit

des peuples à disposer d’eux-mêmes, une reconnaissance de la Catalogne et qu’elle puisse

accéder à la Société des Nations247. C’est le moment parfait pour se mettre en lumière devant

le monde entier et mettre en avant des revendications nationalistes qui ne font qu’émerger, qui

plus est face à un président américain qui se veut le « champion de la reconnaissance des

minorités »248.

Dans le même temps, une délégation catalane est envoyée à Clémenceau, et celle-ci

réclame une Catalogne grande, incluant le Roussillon. Mais ce souhait est balayé par les

autorités françaises. Et les volontaires catalans ne peuvent pas participer au grand défilé de la

victoire (armés d’un drapeau catalan), le 14 juillet 1919. Toutefois, le général français Joffre

qui a conduit la Bataille de la Marne en 1914, est reçu en héros à Barcelone lors des Jeux

Floraux de 1920, car il a des liens forts avec la Catalogne. Sa venue a un fort retentissement et

fait oublier les déceptions à l’égard de la France. Par ailleurs, on profite de ces Jeux Floraux

pour tenir des discours à tendance indépendantiste, chanter l’hymne catalan, même devant

Joffre.

A partir de la dictature imposée par Primo de Rivera en septembre 1923, les catalanistes

sont contraint de rester silencieux. Beaucoup se réfugient dans la clandestinité et entretiennent

245. Michel BOUILLE, Claude COLOMER, Histoire des Catalans, op.cit 246. Ibid 247. Ibid 248. Ibid

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88

leur courant politique et culturel dans le plus grand secret en Catalogne, tandis que d’autres sont

exilés à l’étranger. Ce sont surtout ces militants catalanistes exilés qui vont être les plus

impliqués dans la cause. Nicolau d’Olwer, membre de Lliga Regionalista et un des premiers

dirigeants d’Accio Catalana, est en exil à Genève dès la fin de l’année 1923. Cet activiste

catalaniste « amène le Conseil de l’Action Catalane, réuni à Perpignan en janvier 1924, à

porter la question catalane à la tribune de la Société des Nations »249. Toutefois, les Catalans

n’auront pas gain de cause puisqu’ils ne sont pas reconnus en tant que peuple, comme les

Kurdes en 1920. Cette information est loin d’être ignorée à l’époque, ce qui éclaire l’importance

qu’a pris la Catalogne, mieux connue dans le monde qu’avant la première guerre mondiale : la

communauté internationale commence à être sensibilisée à la question catalane.

D’autres catalanistes insistent et présentent différents recours devant l’aide

internationale. Suite à l’attitude française contre les intérêts catalans, les activistes n’ont pas

hésité à demander l’aide de Gustav Stresemann, ministre allemand des Affaires étrangères et

prix Nobel de la paix en 1926 avec Aristide Briand250. Ce changement de position attriste les

catalanistes français comme Pierre Francis.

Cela confirme que dans le courant des années 1920, la cause catalane prend de plus en

plus d’importance, portée par des catalanistes très actifs. Francesc Macià251, un des premiers

promoteurs du concept de séparatisme et fondateur du parti « Estat Català », exilé à Perpignan,

est aidé financièrement par des Européens et même des habitants du continent américain

(sûrement d’Argentine, Uruguay et Chili où il y a une communauté catalane importante) afin

de préparer « une insurrection qui libérera la Catalogne »252. Il même tente de convaincre les

Soviétiques de l’aider, mais sans succès.

En tout cas, Macià a pu porter et faire connaître la cause catalane en Amérique du Sud,

puisqu’après deux mois de prison purgés suite à son arrestation en France en 1926 (pour

l’organisation de son insurrection), il s’envole pour l’Amérique du Sud, au début de l’année

1928. Il arrive en Uruguay, traverse l’Argentine et le Chili. Depuis cette ancienne colonie

249. Michel BOUILLE, Claude COLOMER, Histoire des Catalans, op.cit 250. Ibid 251. Francesc Macià fait d’abord une carrière militaire dans laquelle il finit lieutenant-colonel. Il commence sa carrière politique en 1907, sous la bannière de la coalition catalaniste Solidaritat Catalana. Il est élu député lors des élections de 1907 puis réélu en 1914, 1916, 1918, 1919, 1920 et 1923. Voulant renverser le régime de Primo de Rivera, il prépare un projet d’insurrection armée depuis Prats-de-Mollo qui sera stoppé par les autorités françaises. Après la chute de la dictature, Macià revient en Catalogne en 1931 et fonde un parti politique indépendantiste de gauche : Esquerra Republicana. 252. Ibid

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89

espagnole indépendante depuis 1818, il part à destination de Cuba, plus précisément de sa

capitale, la Havane253. C’est depuis ce pays qu’il fonde le Parti Séparatiste Révolutionnaire de

Catalogne et qu’il convoque une assemblée constituante du séparatisme catalan dans laquelle il

adopte un projet de constitution provisoire d’une République Catalane. Enfin, ce fervent

catalaniste termine son périple à New-York avant de revenir en Espagne. Ainsi, on peut penser

que la question catalane a été exportée au niveau mondial et qu’elle devient de plus en plus

connue, y compris les revendications les plus radicales qui vont jusqu’à l’indépendance de la

Catalogne.

Maintenant, il s’agit de savoir si le FC Barcelone suit sa ligne politique en se posant

comme ambassadeur de la Catalogne au niveau international.

253. Michel BOUILLE, Claude COLOMER, Histoire des Catalans, op.cit

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90

2-) Représenter la Catalogne dans un cadre sportif, par des tournées et des rencontres

internationales

La Catalogne depuis la fin de la première guerre mondiale « a changé de catégorie ».

Elle n’est pas qu’une simple région, mais bien un territoire qui veut désormais s’émanciper,

comme l’a voulu le FC Barcelone en participant à diverses causes au niveau local. Les Catalans

souhaitent être reconnus comme « peuple », en même temps que leur culture et leur territoire,

avec plus d’autonomie. Afin de porter cette cause au niveau international, le Barça doit

s’engager dans des manifestations sportives à l’échelle internationale, donc en relation avec des

clubs étrangers.

Comment le Barça représente-t-il la Catalogne dans le monde ? Est-ce que le club, par

l’intermédiaire de ses joueurs, est le successeur de la légion catalane qui a été le porte-drapeau

de la Catalogne pendant la guerre aux côtés des Alliés ? Comment le FC Barcelone, dans le

cadre sportif, peut-il assurer cette responsabilité d’être le porte-drapeau de sa région dans le

monde entier ? Par ailleurs, est-ce que le Barça a de fortes relations avec les institutions

sportives françaises ou d’Amérique ? Hors du cadre footballistique, sa tradition d’ouverture aux

autres peut être un atout pour le club afin de diffuser la culture ou les revendications catalanistes

indirectement.

Le FC Barcelone peut jouer un rôle d’ambassadeur en dehors des terrains par

l’intermédiaire de relations administratives. L’acte du 1er décembre 1919 nous apprend que le

club « S’acorda invita al Sr. Consul de Suissa »254. Le club prévoit d’inviter le consul de Suisse,

quelques mois seulement après l’investiture de Ricardo Graells, successeur de Joan Gamper.

En invitant ce représentant diplomatique chargé d’assurer les relations internationales entre la

Suisse et l’Espagne, les dirigeants du club provoquent-ils une rencontre de nature politique ou

simplement personnelle ?

Il est nécessaire de rappeler qu’après la Première Guerre mondiale, la SDN est créée et

que son siège est à Genève à partir de 1920. Dans le même temps, des représentants catalans

ont écrit une lettre au président américain Wilson (qui venait d’écrire ses 14 points, parmi

lesquels figure « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes) avec des revendications,

notamment l’entrée de la Catalogne dans la SDN. Cette rencontre à ce moment précis de

254. Livre des Actes (juin 1919-mai 1921)

Page 91: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

91

l’histoire est-elle un simple hasard, une coïncidence ? En tout cas deux pistes se dégagent : d’un

côté, celle d’une rencontre personnelle et amicale, probablement organisée par Joan Gamper

qui restait toujours proche du club, y compris sans mandat de président. D’un autre, une

rencontre politique dans laquelle le Barça assume un rôle d’ambassadeur dans un échange

diplomatique, dans le but de poser la question autonomiste catalane au niveau international et

d’obtenir sa prise en compte par la SDN. Cependant, le FC Barcelone ne pèse pas assez en 1919

et ne peut pas multiplier les rencontres avec des consuls ou ambassadeurs européens, et le

scénario d’une rencontre politique avec le Consul suisse reste une simple hypothèse.

Pour que le club ait plus de poids et soit reconnu dans le monde entier afin d’être le

porte-drapeau de la Catalogne, le Barça privilégie les rencontres sportives amicales avec des

clubs étrangers et de grandes tournées en Amérique latine. Dans les années 1920, avec la montée

de la presse sportive, le football se mondialise et touche quasiment tous les pays255.

Dès 1921, selon le livre des actes, le club prépare des tournées en Amérique du Sud,

après que la saison est terminée : « Pel consell directiu es cambien (…) respecte a les

manifestacions fetes pel Senyor Presdient respecte a les proposicions fetes per un viatje del

equipe a America »256. Ce voyage footballistique à la rencontre du football sud-américain est

très important pour le club. L’acte du 3 mai 1921 compte sept pages ce qui est énorme, en

termes de quantité, pour le rapport d’une réunion de club. Il confirme que « la sociedad FC

Barcelona jugarà en Buenos Aires… »257. Alors, que peut faire la délégation du club en terre

argentine ?

Déjà, il est important de signaler que cet acte est rédigé spécialement en castillan et non

comme habituellement en catalan. Le club est ainsi allé en Argentine d’une part pour jouer des

parties de football, et d’autre part pour établir des relations directes entre la Fédération Catalane

de football et le responsable de la Fédération sportive Argentine. On peut supposer que le FC

Barcelone porte parfaitement le costume d’ambassadeur international pour représenter la

Catalogne en Amérique du Sud, d’autant que toute l’administration du club et les joueurs

principaux comme Zamora et Samitier sont du déplacement. La relation Catalogne-Argentine

élaborée dans le cadre du football semble sérieuse puisque le Barça est cité comme une

entreprise représentant en quelque sorte la Catalogne.

255. Alfred WAHL, La balle au pied : Histoire du football, Paris, Gallimard, Coll.Découvertes, 2002 256. Livre des Actes de juin 1919 à mai 1921 (acte du 15 avril 1921) 257. Livre des Actes (juin 1919-mai 1921)

Page 92: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

92

Dans les documents du club, on peut constater que vers la fin de la dictature, plus

précisément en 1928, le FC Barcelone conserve l’habitude d’accomplir sa tournée « sportive »

en Amérique du Sud. Dans le bulletin officiel de 1928, un dessin humoristique intitulé : « le

football à cent à l’heure » témoigne du rythme effréné du calendrier du Barça258. Un wagon

marqué par l’insigne du club dépose les joueurs qui, avec leur valise, vont prendre le bateau.

Dans le programme des joueurs, nous pouvons supposer que la fameuse tournée en Amérique

du Sud a autant de valeur qu’un match officiel en championnat ou en coupe nationale, comme

le démontre l’itinéraire décrit par la légende située juste en-dessous du titre du dessin : « circuit :

Santander – Les Corts – Sud América – Les Corts ».

Porte-drapeau de la Catalogne dans le plus grand secret sur son propre territoire, le FC

Barcelone peut s’exprimer matériellement et symboliquement plus librement à l’étranger, d’où

l’importance capitale de faire les tournées à l’étranger. C’est exclusivement dans le cadre

sportif, éventuellement administratif, que l’image de porte-drapeau de la Catalogne que veut

conserver le Barça est diffusée et assurée. En Catalogne, ce sont les supporters, dans le cadre

social, qui entretiennent illégalement l’image de leur club comme « représentant de la

Catalogne ».

Néanmoins, ce concept de « porte-drapeau de la Catalogne » peut aussi s’illustrer sur le

territoire catalan d’une manière habile, dans le cadre de l’organisation indépendante de mini-

tournois impliquant des équipes étrangères. N’est-ce pas l’occasion, en se mesurant au gratin

du football européen de l’époque, de faire valoir la puissance du club pour confirmer son statut

de porte-drapeau ?

Des tracts du club datant de 1922 illustrent cette volonté du FC Barcelone d’organiser

des matchs à portée internationale sur ses terres. En pleine dictature, la société a un rapport

nationaliste avec son club de football, le considérant comme une sélection nationale. Joan

Ventosa i Calvell, président de la Confédération sportive de Catalogne le souligne : « Le FC

Barcelone, en plus d’être un représentant sportif, est le représentant patriotique de la

Catalogne. ».

Les tracts indiquent que le club a joué les 24 et 25 décembre 1922 face à l’équipe

hongroise du MTK Budapest championne de Hongrie ; le 31 décembre et le 1er janvier 1923

contre l’Amateure de Vienne, solide leader du championnat autrichien, et enfin le 6 janvier

258. Bulletin officiel du FC Barcelone 1928. Voir annexe 15

Page 93: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

93

1923 face à Nuremberg, champion d’Allemagne259. Cette organisation, gérée par le club,

permettra de remplir le stade facilement, afin que le public catalan assiste à « des matchs

sensationnels » entre « quatre champions en lutte »260. Face à de grands adversaires, le club

peut profiter de ces événements pour être, le temps d’un ou plusieurs matchs, « le représentant

patriotique de la Catalogne ». Il y a une véritable importance accordée à ces mini-tournois de

la part des dirigeants barcelonais, notamment d’après un article intitulé « l’arbitrage des grands

matchs internationaux », retrouvé sur ces mêmes tracts. En effet, bien que ces matchs ne soient

pas officiels, on peut lire dans cette chronique que « les grands matchs que disputera le FC

Barcelone (…) constitueront une sorte de championnat international dans lequel les valeurs

très importantes du football continental doivent être mises en exergue »261.

Le Barça met en jeu son honneur et sa réputation et se doit de respecter les valeurs

promues depuis sa fondation afin de mériter son statut de porte-drapeau de la Catalogne devant

son public, aux Corts. Parmi ses valeurs, on peut citer l’ouverture aux autres, puisqu’il affronte

des clubs venant des pays perdants de la première guerre mondiale et qui sont ostracisés à la

sortie de la guerre. En effet, dans le domaine du sport par exemple, suite au démantèlement de

l’Empire Austro-Hongrois, ni l’Autriche, ni la Hongrie, avec l’Allemagne, ne prennent part aux

Jeux Olympiques 1920. Néanmoins, en 1922, ces nations sont en train de revenir sur le devant

de la scène internationale, à l’image de l’adhésion de l’Autriche à la SDN le 15 décembre 1920,

puis de la Hongrie le 18 septembre 1922. Ces deux ex-entités de l’Empire Autro-Hongrois ont

à nouveau le droit de représenter leur pays aux Jeux Olympiques de Paris en 1924, comme aux

Jeux Olympiques de Stockholm en 1912.

Le club a donc de plus en plus de poids en tant qu’institution sportive, par le

développement de relations à portée internationale, à la fois sur les continents américain et

européen. Mais qui sont réellement les ambassadeurs qui ont permis au Barça, incarnation de

la Catalogne, de fréquenter des personnalités importantes, d’accueillir les meilleures formations

internationales ou de faire des tournées à l’autre bout du monde ? Il faut alors creuser un aspect

important du sujet : les joueurs. Ils ont fait du Barça, un grand club populaire grâce à leurs

différents exploits footballistiques.

259. Voir annexe 16 260. Voir annexe 16 261. Tracts du FC Barcelone (1922)

Page 94: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

94

Chapitre 9 – L’appropriation du club par toute une société : l’héroïsation

des joueurs

1-) L’omniprésence des joueurs dans la société catalane

Dans les derniers chapitres de cette partie, nous avons pu observer l’appropriation du

FC Barcelone par son peuple, en particulier les supporters. Toutefois, qui défend l’institution

sportive catalane sur le terrain, et permet donc à ces gens d’avoir de l’amour ou un rapport

privilégié avec leur club ? Ce sont bien évidemment les joueurs. Ils sont les principaux acteurs

de leur propre discipline. Plus un de ces protagonistes multiplient les exploits individuels balle

au pied, plus le public scande son nom et l’admire.

Ainsi, il s’agit d’étudier l’importance de ces personnages et leur influence dans la société

catalane. Avant d’aborder plus en profondeur ce sujet, il est indispensable de connaître le statut

d’un joueur de football, y compris celui d’un protagoniste du FC Barcelone dans la période que

nous étudions.

A partir de 1917, la professionnalisation du joueur de football est déjà évoquée par un

périodique sportif madrilène, Madrid Sport262. Le football, depuis la fin du XIXème siècle, est

avant tout perçu comme une école de la vertu et de la transmission de valeurs morales263, une

conception soutenue, nous l’avons vu, par Joan Gamper. Néanmoins, ce développement rapide

du football, surtout d’un point de vue économique, entraîne un processus de

professionnalisation vers la fin des années 1910. Cela ne plaît pas du tout à Joan Gamper, trop

attaché à ses valeurs morales et éthiques du sport, tandis que certains dirigeants défendent ce

processus de professionnalisation264.

Par ailleurs, compte tenu du contexte sportif très favorable au club qui connaît de

nombreux succès, les joueurs sont mis en lumière. D’après Mercè Morales, les années 20 du

Barça souvent intitulées « l’ère Samitier », sont portées par trois joueurs à la fois sur le terrain

et dans l’extra-sportif : Josep Samitier, Paulino Alcantara et Ricardo Zamora. Les premiers

contrats professionnels signés par les joueurs, notamment les trois derniers cités, font du

262. Paul DIETSCHY, Histoire du football, op.cit 263. Alfred WAHL, La balle au pied : Histoire du football, op.cit 264. Mercè MORALES MONTOYA, Futbol Club Barcelona, conoce su historia : de los origenes a la consagracion 1899-1950, op.cit

Page 95: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

95

football un travail exercé à plein temps. Le premier à être rémunéré à plein temps par le club

est l’entraîneur anglais Jack Greenwell en 1917, une révolution pour l’époque265. C’est le point

de départ d’une transition entre l’amateurisme et ses valeurs du fair-play, et un fonctionnement

plus professionnel au FC Barcelone : désormais, le salaire est un critère important qui peut

encourager le départ vers un autre club au détriment de la fidélité.

Par ailleurs, les joueurs sont de plus en plus visibles, notamment grâce à l’essor de la

presse sportive qui fait croitre l’intérêt social pour le football, en particulier dans les régions où

le régionalisme est fort266. La radio a aussi son importance et accompagne la presse écrite,

puisqu’elle retransmet dans la seconde moitié des années 1920 les matchs. La première

rencontre de football commentée depuis une radio date du 13 novembre 1927 : il s’agit d’un

Barça-Espanyol, couvert par Radio Barcelona267.

Selon Quiroga, à partir de 1927, les journaux font des analyses d’avant-match, la radio

commente le match en direct et les analyses d’après-match sont effectuées par la presse

écrite268. Quiroga affirme que ces médias sont des supports qui permettent de diffuser le

message nationaliste en dehors de l’analyse purement footballistique, mais il n’évoque à aucun

moment les médias comme support de démocratisation du football et de ses acteurs. Pourtant,

les médias ne font pas que participer à la diffusion de messages politiques ou nationalistes,

puisqu’ils permettent aussi largement de mettre en lumière les protagonistes d’une discipline,

ceux qui favorisent la diffusion d’un club et de son identité.

Les joueurs sont donc exposés. A force d’être régulièrement cités par des médias suivis,

pour la plupart par des milliers de personnes, il peut sembler évident que la société dans sa

globalité connaît ces fameux joueurs. Alors, est-ce que ces joueurs sont les stars de leur

époque ? Comment sont-ils représentés ? Peut-on évaluer leur popularité ?

Par l’intermédiaire de divers documents, en particulier matériels, nous pouvons

constater que les joueurs de football sont représentés par l’intermédiaire de nombreux supports

différents. Dans les années 1920, nous avons à notre disposition des représentations de joueurs

du Barça sur des boîtes de chocolats, sur des affichettes, des stickers, ce qui permet beaucoup

265. Mercè MORALES MONTOYA, Futbol Club Barcelona, conoce su historia : de los origenes a la consagracion 1899-1950, op.cit 266. Ramos LLOPIS-GOIG, Spanish Football and Social Change : Sociological Investigations, op.cit 267. Mercè MORALES MONTOYA, Futbol Club Barcelona, conoce su historia : de los origenes a la consagracion 1899-1950, op.cit 268. Alejandro QUIROGA, Football and National Identities in Spain : The Strange Death of Don Quixote, op.cit

Page 96: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

96

plus facilement aux gens de se familiariser avec le club et de s’identifier à ses joueurs. Sans

surprise, le joueur le plus représenté et exposé est le local Josep Samitier.

L’attaquant du FC Barcelone, qui a défendu les couleurs du club entre 1919 et 1931, est

partout. On peut l’apercevoir sur les boîtes de chocolats de la marque Orthi269, dans des

cartes270, mais aussi dans un jeu pour enfant, un puzzle271. Dans ce puzzle, il est représenté

plusieurs fois, au centre de l’image en grand format, puis en fond, dans différentes situations de

jeu accumulant tous les gestes footballistiques à la fois offensif et défensif. Par exemple, en

haut à droite, on peut discerner Samitier en train de faire une conduite de balle ou à gauche, en

train de faire un contrôle de la poitrine, tandis que deux cases plus bas, Samitier se transforme

en défenseur puisqu’on le voit réaliser un tacle glissé. Ce qui est intéressant, c’est que ce joueur

dont sont exaltées les prouesses techniques, est toujours affiché avec le maillot du FC

Barcelone, ou l’insigne du club est toujours à proximité de son visage.

Un autre joueur fait le bonheur des illustrateurs : Ricardo Zamora. Ce portier, qui fait

partie, avec Samitier, des protagonistes qui ont rapporté la médaille d’argent aux Jeux

Olympiques d’Anvers (1920), est omniprésent alors qu’il a seulement fait trois saisons avec les

Blaugranas. On le retrouve sur les emballages d’une marque de chocolat – Amatller – très

célèbre à Barcelone272. Elle existe depuis 1797 et a toujours édité des affichettes publicitaires,

sur lesquelles on peut discerner des joueurs de football comme Ricardo Zamora justement.

Véritable rock-star de son époque, comme en témoignent des couvertures de magazines, il a un

véritable poids, y compris au niveau international. Par exemple, en 1926, il évolue avec

l’Espanyol Barcelone, il fait la Une de la revue sportive argentine « El Gràfico », preuve d’une

reconnaissance du joueur en dehors de la Péninsule Ibérique273.

Paulino Alcantara, pièce maîtresse des différents succès barcelonais, a aussi droit à ses

propres représentations ou apparitions sur des cartes, sous la tunique du FC Barcelone274. Autre

joueur important qui a marqué les consciences collectives de son époque, Agusti Sancho, fidèle

au club pendant 11 saisons (1916-1928), et heureux médaillé d’argent aux Jeux Olympiques

d’Anvers avec l’Espagne, a droit comme Josep Samitier, a son propre jeu de puzzle275. Il est au

269. Voir annexe 17 270. Voir annexe 18 271. Voir annexe 19 272. Voir annexe 20 273. Voir annexe 21 274. Voir annexes 22 et 23 275. Voir annexe 24

Page 97: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

97

premier plan, bien au centre, et en arrière-plan, on peut voir des représentations de quelques

actions de jeu disputées par des joueurs du FC Barcelone face à des adversaires différents.

D’autres joueurs n’ayant pas un statut de star comme Samitier et Zamora sont aussi

reconnus. Parmi les différentes vignettes à notre disposition datant de la période que nous

étudions, on a la représentation de Salvador Martinez Surroca, défenseur au FC Barcelone entre

1920 et 1926276. Les joueurs les plus fidèles du FC Barcelone ont tous leur propre carte, comme

Josep Planas (de 1921 à 1927)277, Francesc Vinyals (de 1914 à 1926)278, Vicente Martinez (de

1915 à 1923)279. La composition est toujours similaire : le protagoniste en grand, se trouve au

premier plan. Il porte le maillot du club décoré des couleurs traditionnelles, le rouge et le bleu,

et de l’écusson du club situé précisément sur le cœur. A l’arrière-plan, figure une action de jeu

dans laquelle s’illustre le joueur concerné. Par ailleurs, l’écusson du club est affiché en très gros

dans l’angle supérieur gauche.

Tous ces supports de représentation des joueurs sont largement accessibles et relève de

la culture populaire. L’immense popularité des joueurs concernés ne fait pas de doute et ne peut

que s’accroître du fait des représentations dont ils font l’objet. Omniprésents, ils sont les

célébrités de leur temps et permettent à une population même peu passionnée par le sport et le

football de se familiariser avec les représentants du FC Barcelone. On peut donc supposer que

les joueurs font partie intégrante de la société, acclamés à la fois par les politiques, les médias

et plus globalement, toutes les classes sociales.

L’influence de ces joueurs prend de plus en plus importance, surtout pendant la

dictature. Les affichettes et surtout les jeux de puzzle de Samitier et Agusti Sancho nous

conduisent à nous poser cette question : les joueurs sont-ils idéalisés par les consciences de leur

époque ?

276. Voir annexe 25 277. Voir annexe 26 278. Voir annexe 27 279. Voir annexe 28

Page 98: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

98

2-) Des protagonistes portés au rang de héros par les artistes

Les joueurs de football sont plus que de simples acteurs sportifs, ils peuvent représenter

une cause politique ou sociale. Chaque victoire peut être interprétée comme un succès politique.

Alors, pendant la dictature en particulier, ces joueurs sont-ils héroïsés, de façon à incarner de

façon crédible, l’image du « résistant ».

C’est ici l’expression artistique, picturale ou littéraire qu’il faut interroger : les artistes

expriment souvent leurs idées politiques ou leurs idéaux, y compris sportifs, et les ont embellis

par leur art. Parmi les hommes de lettres, Albert Camus disait : « Ce que je sais de plus sur la

morale et les obligations de l’homme, c’est au football que je le dois », à une époque où le

football est avant tout perçu comme une école de la vertu. Le football est plutôt apprécié dans

le milieu littéraire, comme en témoigne ce magnifique passage d'Henry de Montherlant qui

idéalise le joueur de football en pleine action, dans son ouvrage Les Olympiques, écrit à

l’occasion des Jeux Olympiques 1924 organisés à Paris : « Il a conquis le ballon et seul, sans

se presser, il descend vers le but adverse. Ô majesté légère, comme s’il courait dans l’ombre

d’un dieu !.. Et ses pieds sont intelligents, et ses genoux sont intelligents. Magnifique est la

gravité dure de ce jeune visage… »280.

Le milieu des Lettres est en plein essor en Espagne et peut être étudié plus largement

dans son rapport avec le football espagnol, en particulier dans les régions où le régionalisme est

élevé (Catalogne, Pays-Basque). La littérature catalane à la fin des années 1910 et pendant les

années 1920 est en pleine renaissance, dans la continuité de la Renaixença. Enfin, sur un plan

plus large, la littérature espagnole commence également à être reconnue, notamment grâce à

une génération dorée nommée « Generacion del 27 ». Parmi les plus grands talents, on retrouve

Federico Garcia Lorca, Emilio Prados, Luis Cernuda ou encore Gerardo Diego. Alors, est-ce

que le FC Barcelone est une source d’inspiration pour les artistes de son temps ? Est-ce qu’il y

a un processus d’idéalisation du club et de ses acteurs, au-delà de la mise en scène de type

épique des joueurs sur les affichettes ?

Malheureusement, nous ne disposons que de très peu d’œuvres littéraires ou artistiques

concernant le FC Barcelone, contrairement aux périodes suivantes : à partir des années 1970,

280. Henry DE MONTHERLANT, Deuxième Olympique – Les onze devant la porte dorée, Coll. Les cahiers verts, Grasset, 1924

Page 99: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

99

des toiles de Dali et Miro, et même une chanson Joan Manuel Serrat sont dédiées au Barça ou

à un de ses protagonistes.

Les rares documents qui permettent de traiter ce sujet se situent à la fin de la dictature

de Primo de Rivera, plus précisément en 1928. Un poète de la « Génération 27 » livre un

témoignage saisissant sur un événement marquant de son enfance tout autant que de l’histoire

sportive du FC Barcelone : c’est Rafael Alberti. Né dans la province de Cadiz en 1902, il est

reconnu dans le milieu littéraire puisqu’il est couronné par le Prix national de poésie en 1924,

un prix prestigieux délivré annuellement par le ministère de la Culture espagnol depuis 1922

pour distinguer la meilleure œuvre poétique écrite en castillan281. Il a également reçu le Prix

Cervantes en 1983 qui récompense chaque année depuis 1976 le meilleur auteur écrivant en

langue espagnole282.

En 1928, Rafael Alberti écrit un poème original, intitulé « Odo a Platko », dans lequel

les propos élogieux pour Franz Platko, gardien du Barça à la date d’écriture, s’enchaînent vers

après vers. Pourquoi dédier un poème à un joueur en particulier ? Cette œuvre littéraire s’inscrit

dans un contexte bien spécial.

Le portier Hongrois, arrivé au club en 1923 afin de remplacer Ricardo Zamora parti

rejoindre l'Espanyol, ne sait pas encore que six ans plus tard, il va enfiler le costume de héros

le 20 mai 1928, en finale de la Coupe d’Espagne qui oppose la Real Sociedad et le FC

Barcelone. Le match a lieu à Santander, dans des conditions de jeu déplorables, les joueurs sont

gênés par le vent. Les 22 acteurs se battent comme des Spartiates et le jeu devient très rugueux,

au détriment du FC Barcelone. Platko et son meilleur joueur Samitier se blessent. Toutefois, ils

sont contraints de rester sur le terrain puisqu’il n’y a pas de possibilité de faire des changements.

Platko, souffrant d’une fracture, totalement diminué, produit un grand match, et évite une

défaite du Barça en terminant la rencontre en sang. Les deux équipes se départageront au bout

de la troisième confrontation, le 20 juin 1928, et sans Platko toujours blessé, le Barça remporte

la Coupe d'Espagne sur le score de 3 buts à 1. C'est la finale de Coupe d’Espagne la plus longue

de l’histoire.

Contemporain de ce qui s’est passé à Santander, le jeune poète de 25 ans, qui n’est

pourtant pas catalan, semble emporté par l’émotion devant la bravoure de Platko. Les premiers

281. Rafael Alberti. Biografia, décembre 2015 : http://www.cervantes.es/bibliotecas_documentacion_espanol/biografias/napoles_rafael_alberti.htm 282. Ibid

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100

mots du poème annoncent directement l’héroïsation de Platko, métamorphosé en ange gardien :

« Personne n’oublie Platko, non, personne, personne, personne, cet ours blanc d’Hongrie »283.

Tout au long du poème, Alberti mythifie la performance légendaire de son protégé, au point

que même des éléments de la nature, « le ciel, la mer, la pluie, s’en rappellent ». Rafael Alberti

clôt son poème sur une question adressée directement à son idole, élevé au rang de Dieu :

« Quelle mer aurait été capable de ne pas pleurer pour toi ? ».

Postérieurement, Rafael Alberti, en plein exil après l’arrivée de Franco, évoque de

nouveau cet événement, cette fois en prose, dans ses propres mémoires. Le poète n’hésite pas

à caractériser et contextualiser cette rencontre comme un duel entre nations : « Un match brutal,

la Cantabrie en fond, entre Basques et Catalans. Se jouait le football, mais aussi le

nationalisme »284. Ainsi, il est possible d'interpréter le fait que Platko ait servi la cause

catalaniste et dans le même temps, ait rendu fier le peuple catalan, notamment d’après cette

autre phrase écrite par Alberti : « Platko, un gigantesque gardien hongrois, défend comme un

taureau l’arc catalan »285. En se sacrifiant par « patriotisme », Platko a permis au Barça de

rester en vie dans cette finale et au final de remporter la Coupe au bout de la 3ème confrontation,

un mois plus tard. Platko est propulsé au rang de héros de la nation, voire de Dieu, ce qui

confirme dans le même temps que la tendance catalaniste au sein de la société vers la fin de la

dictature reste forte.

Un autre document, datant également de 1928, amplifie l’importance de la figure

populaire des joueurs du FC Barcelone, cette fois, en dehors de tout héroïsation ou

instrumentalisation politique. Pour la revue El tango de moda, un certain Lito Mas élabore le

texte d’un morceau de tango sur Samitier affiché sur la page de couverte286. Mas est un

journaliste argentin présent dans de nombreux journaux et qui compte parmi ses relations de

nombreux sportifs, dont des footballeurs287. Il rentre dans le milieu de la musique, en

collaborant avec le grand compositeur argentin Carlos Gardel, à partir de 1926. Celui qui a

283. Rafael ALBERTI, Odo a Platko, 1928. Voir annexe 29 284. Rafael ALBERTI, La Futaie perdue I. (Mémoires). (Livres I et II), trad. Robert Marrast, Belfond, 1984

285. Ibid

286. Voir annexe 30 287. Orlando DEL GRECO, Lito Mas, todotango.com : http://www.todotango.com/english/artists/biography/129/Lito-Mas/

Page 101: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

101

composé la musique de ce morceau, Nicolas Verona, a aussi des relations professionnelles et

amicales très forte avec Carlos Gardel288.

Alors, Carlos Gardel est-il à l’origine de cette chanson ? En plus de ses liens étroits avec

le compositeur et le musicien de ce morceau entièrement dédié à Samitier, il est connu pour être

lié d’une forte amitié avec l’attaquant catalan, favorisée par son statut d’artiste qui fait de lui

l’un des meilleur « tanguero » de son temps et plus généralement de la première moitié du

XXème siècle. Cette amitié se serait forgée lors du premier match de la fameuse finale de Coupe

d’Espagne entre Barcelone et la Real Sociedad (jouée 3 fois) à Santander, le 20 mai 1928 grâce

à une invitation de José Maria de Cossio, écrivain et membre de l’Académie royale

espagnole289. Par ailleurs, un autre exemple confirmerait des échanges importants entre Gardel

et Samitier. Selon l’historienne Mercè Morales, ça serait probablement Gardel qui aurait

provoqué la venue du Barça en Amérique du Sud en 1928, pour une tournée en Argentine et

Uruguay290.

Le joueur, en l’occurrence Samitier, par cette relation très forte entretenue avec une star

de l’époque, n’est plus seulement un instrument politique défendant une cause ; il est perçu

comme une célébrité de son temps. Être gratifié d’une chanson réalisée par des collaborateurs

de Carlos Gardel ou peut-être même par l’intéressé, considéré comme l’un des plus grands

« tanguero » de tous les temps, n’est pas rien. Dans le texte de la chanson, on peut remarquer

un rapport très familier avec le joueur qui est surnommé « Sami », comme s’il était l’ami de

tous291.

Malgré le peu de documents disponibles entre 1926 et 1929, l’appropriation des joueurs

par les artistes de l’époque vers la fin de la dictature de Primo de Rivera, indique que l’identité

catalaniste du FC Barcelone et la popularité des joueurs du club se sont bien maintenues. De

plus, le statut du joueur de football, et en particulier au FC Barcelone, est spécial puisqu’il

suscite l’admiration et le respect à la fois des artistes et du peuple.

288. Orlando DEL GRECO, Nicolas Verona, todotango.com : http://www.todotango.com/english/artists/biography/605/Nicolas-Verona/ 289. David MATA, Carlos Gardel y Josep Samitier, destinados a ser amigos, ecosdelbalon.com, 6 mai 2015 : http://www.ecosdelbalon.com/2015/05/carlos-gardel-jose-samitier-historia-amistad-barcelona-futbol-relacion/ 290. Mercè MORALES MONTOYA, Futbol Club Barcelona, conoce su historia : de los origenes a la consagracion 1899-1950, op.cit 291. Voir annexe 30

Page 102: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

102

Conclusion

Le FC Barcelone entre 1917 et 1930 a évolué et renforcé sa position politique et

culturelle, conservant ainsi un attachement profond entre sa ville et lui. Il s’est aussi imposé

comme une entité incontournable de la société catalane devenant même alors « l’institution la

plus importante de la Catalogne ». En effet, le FC Barcelone s’est transformé et est passé d’une

association sportive locale, enracinée à Barcelone, à une des institutions principales de sa

région, jusqu’à être reconnue au niveau national et au-delà des Pyrénées, avant tout grâce au

contexte politique de l’époque qui a favorisé cette émancipation. Avant de synthétiser cette

évolution qu’on peut considérer en trois phases (1917-1923, 1923-1925, 1925-1930), évoquons

les points qui ont permis au FC Barcelone de développer une influence politique et sociale de

premier plan.

D’abord, l’aspect identitaire. Le club a défini son identité, c’est-à-dire catalaniste. Tout

au long de notre étude, nous avons constaté que non seulement, elle n’a jamais été reniée, mais

surtout, qu’elle s’est consolidée, s’est renforcée, à tel point que notre source littéraire, Rafael

Alberti, qui a été contemporain des événements et non-catalaniste, a abordé le sujet du FC

Barcelone en 1928 avec une approche nationaliste. En lien avec cette affirmation identitaire, le

point suivant concerne l’aspect politique.

Le FC Barcelone possède également une culture politique bien précise. En effet grâce à

sa position politique, il attire l’attention des différents dirigeants de partis politiques

catalanistes. Parmi ces derniers, comme nous l’avons vu, la plupart dirigent le club ou ont siégé

dans sa haute-administration, ce qui signifie que le club est un point d’appui politique, utilisé à

des fins de propagande catalaniste qu’il tolère en toute connaissance de cause. On peut affirmer

que le FC Barcelone s’inscrit dans l’émergence des partis politiques catalanistes en se dévouant

plus ou moins directement à leur cause et à un objectif commun : retrouver la grandeur de la

Catalogne.

Mais pour faire partie des acteurs principaux de cette cause commune, par son identité

et la culture politique incarnée par ses dirigeants, le Barça cible son public et entretient de

nombreuses relations à la fois sportives, politiques et sociales, avec des entités ou des individus

soutenant ou pouvant servir la cause catalaniste. Afin de gagner ce public, c’est-à-dire les

Catalans, le Barça se dévoue et se construit une image paternaliste auprès d’un peuple fragilisé

qu’il rassure par son action sociale, dans un contexte instable politiquement et

Page 103: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

103

économiquement. Dans le même temps, le Barça assoit sa légitimité en tant qu’acteur majeur

des évolutions de la Catalogne auprès des politiciens et des personnalités de la culture.

C’est ainsi que le FC Barcelone a étendu son influence à toutes les échelles et a surtout

élargi son champ de vision social et culturel.

On peut observer trois phases d’évolutions du FC Barcelone et de son influence dans le

monde sportif et la société. Entre 1917 et 1923, il travaille à son ancrage local, en s’affirmant

comme le club de Barcelone, à la fois sportivement et socialement. En effet, le Barça impose

sa supériorité à l’Espanyol Barcelone et par son identité, est davantage soutenu par les Catalans.

Maître sportif de la Catalogne, il est également le principal pourvoyeur de joueurs auprès de la

sélection catalane et le plus grand donateur et organisateur d’événements sociaux dans la ville.

Le Barça apporte son soutien aux clubs voisins de football ou d’une autre discipline, et

développe des liens dans le monde politique, avec les membres de la Lliga Regionalista qui ont

bien compris l’importance que pouvait avoir le club pour leurs intérêts. Des intérêts qui ont

justement propulsé le Barça dans une autre dimension culturelle et politique avec son soutien

officiel à la campagne d’autonomie de la Catalogne à la fin de l’année 1918. Le FC Barcelone

a atteint une notoriété locale suffisante pour prétendre légitimement à un rapport privilégié avec

la région dont il est le chef-lieu.

Puis, l’arrivée de Primo de Rivera au pouvoir est un tournant pour le FC Barcelone. A

partir de son pronunciamento, en septembre 1923, jusqu’en décembre 1925, le Barça évolue

pour devenir bien plus qu’un simple représentant de Barcelone. En effet, grâce à son activité et

ses interventions sociales, on peut discerner une nouvelle évolution. Après qu’ils ont servi le

peuple (et qu’ils continuent de le faire), le peuple s’empare des Blaugranas pour faire d’eux un

symbole et un support politico-culturel dans la lutte contre l’anticatalanisme incarné par les

autorités du directoire militaire. Le Barça passe d’un ancrage local à un ancrage régional, dans

une Catalogne de plus en plus catalaniste et attachée à sa culture qu’elle souhaite conserver à

tout prix. La cause catalane a pris une véritable importance au sein du club, comme en témoigne

le 25ème anniversaire du club au cours duquel Gamper prononce « Visca Barça i Visca

Catalunya ». Désormais, à une échelle plus grande, le Barça est une référence pour toutes les

couches sociales de la population : l’association sportive classique se transforme en un grand

mouvement de rassemblement regroupant dirigeants, joueurs, supporters, politiciens et

citoyens. Le football, à travers différents outils comme le stade, est devenu un moyen pour les

gens d’exprimer des opinions qui se radicalisent. Ainsi, cette période de 1923 à 1925 prépare

Page 104: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

104

une nouvelle transition vers un ancrage plus large que celui de la région, allant jusqu’aux

différents continents.

Enfin, de la fin du directoire militaire jusqu’à la chute de Primo de Rivera, entre

décembre 1925 et janvier 1930, cette radicalisation identitaire se maintient grâce à la

consolidation d’un ancrage régional qui entraîne une bonne dynamique populaire, comme en

témoigne l’augmentation constante du nombre de socios. Alors que le régime est moins

répressif et perd progressivement de son autorité, avec l’émergence de la radio à partir de 1927,

le Barça franchit une nouvelle étape et commence à démocratiser concrètement la culture

identitaire et politique mise en place depuis 1917, pour la promouvoir en dehors de la Catalogne

– ce qui sera le cas en 1929 lorsque le Barça s’empare de la toute première édition de la Liga,

le championnat espagnol national –. Le Barça a toujours eu un esprit d’ouverture qui va au-delà

du symbole politique. Au fil des années, il devient un ambassadeur. Le club affronte des équipes

étrangères venant de toute l’Europe, maintient les tournées en Amérique du Sud lorsque la

saison s’achève tout en conservant des liens étroits avec les clubs locaux, de façon à donner à

sa ligne idéologique une résonnance internationale. Il joue les porte-drapeaux de la Catalogne

en dehors de sa région.

En jouant les porte-drapeaux de la Catalogne, le Barça s’inscrit dans la continuité de la

Renaixença dont il entretient l’héritage. En effet, il privilégie la pratique exclusive de la langue

catalane et développe une rhétorique « romantique » autour des valeurs du sport. Le FC

Barcelone, grâce à la mise en lumière du catalan, contribue pleinement à cette renaissance

culturelle. De plus, le Barça se charge de la transmettre, à la fois aux Catalans qui ont pu renouer

avec leur culture régionale et aux immigrés des régions voisines invités à s’intégrer dans leur

nouvelle société.

Compte tenu d’un contexte politique assez spécial, que l’on pense à l’instabilité

institutionnelle entre 1917 et 1923 ou à la dictature de Primo de Rivera entre 1923 et 1930, et

d’un contexte sportif très favorable avec le gain de nombreux titres, notamment de la toute

première édition de la Liga en 1929, le FC Barcelone a toutes les cartes en main pour devenir

une grande institution sportive mêlant les intérêts politiques et sociaux des Catalans.

Une phrase tirée de l’ouvrage Les usages politiques du football écrit par André Gounot,

Denis Jallat et Michel Koebel, résume l’interprétation proposée de l’évolution politico-

culturelle du FC Barcelone entre 1917 et 1930 : « Que ce soit sur un plan national, international

Page 105: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

105

ou au niveau local, le sport représenterait ainsi un enjeu social, culturel et symbolique. »292.

Dans le cas de cette association sportive fondée en 1899 par Joan Gamper, l’enjeu social fait

référence à la capacité d’unir la société catalane dans un grand mouvement populaire. L’enjeu

culturel concerne la promotion de la culture catalane et d’un catalanisme inséparable de ses

finalités politiques, comme l’obtention de l’autonomie de la Catalogne en 1918, revendiquée

par un fidèle soutien du club, le parti politique Lliga Regionalista. Enfin, l’enjeu symbolique,

ce sont les valeurs de résistance et d’opposition au centralisme madrilène dont le club devient

l’incarnation pour ses supporters et peut-être au-delà. Le Barça est un symbole de résistance à

l’oppression.

Entre 1917 et 1930, nous pouvons affirmer que le FC Barcelone connaît donc la

première période d’apogée à la fois politique, culturelle et populaire de son histoire : pour

reprendre les mots de Joaquim Maria Puyal, il est identifié comme « l’institution la plus

importante de Catalogne ». Cette période allant de 1917 à 1930 peut être considérée comme le

point d’origine d’un chapitre fondamental de la longue histoire du FC Barcelone qui concerne

ses préoccupations identitaires et culturelles. Chapitre que le Barça a continué d’écrire au fil du

temps.

Avec l’avènement de la Seconde République, le 14 avril 1931, la population est de

moins en moins attachée au football à cause de mauvais résultats, du départ de grands joueurs

comme Samitier et Piera, et de l’arrivée massive de divertissements politiques comme les

meetings293. Dans ce contexte, le Barça reste cependant le garant du mouvement catalaniste,

surtout pendant la guerre civile entre 1936 et 1939. Une personnalité en vue comme Josep

Sunyol, président du club à partir du 27 juillet 1935 et député catalaniste, s’engage dans le camp

républicain, ce qui lui coûtera la vie puisqu’il se fait arrêter par les nationalistes et fusiller le 6

août 1936. Le Barça affiche sa position d’opposant aux nationalistes. Après avoir servi de lieu

d’expression, le stade des Corts se transforme en refuge pour les républicains qui souhaitent

s’enfuir d’Espagne294.

Même vers la fin du franquisme, le FC Barcelone parvient à maintenir l’esprit forgé

entre 1917 et 1930. Le 17 janvier 1968, Narcis de Carreras arrive à la présidence du club et lors

de son discours d’investiture, il prononce en catalan ces mots qui formeront la devise du club,

292. André GOUNOT, Denis JALLAT, Michel KOEBEL, Les usages politiques du football, Paris, L’Harmattan, 2011

293. Guillem BALAGUE, Barça : l’Histoire illustrée du FC Barcelone, op.cit 294. Ibid

Page 106: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

106

aujourd’hui connue dans le monde entier : « Mès que un club »295. Par la suite, Agusti Montal

élu président du club le 18 décembre 1969, est l’homme qui va se tourner résolument vers

l’héritage laissé par ses prédécesseurs de la fin des années 1910. Sous son mandat, la langue

catalane est réintroduite au sein du club, utilisée à la fois à l’écrit et à l’oral. Il est réélu le 18

décembre 1973 et c’est sous cette seconde présidence, en 1974, que se déroule le 75ème

anniversaire du club. Cette date a la même importance que celle du 25ème anniversaire (1924)

d’un point de vue symbolique : le 27 novembre 1974 voit l’avènement du nouvel hymne du

club, Cant del Barça, écrit par Josep Espinàs et Jaume Picas296. Ecrites en langue catalane, les

paroles rassemblent toutes les valeurs qui fondent l’identité du club : la volonté de rassembler

(l’unité et l’intégration), et surtout l’esprit de résistance d’un club qui a su faire face aux

dictatures et à la répression, par ces mots du refrain : « Bleu et grenat au vent, un cri vaillant ».

Au début de la transition démocratique, le Barça perpétue ces mêmes valeurs qu’ils

revendiquent toujours en 2017. Le 1er février 1976, Cruyff porte pour la première fois un

brassard de capitaine aux couleurs de la Senyera lors d’un match contre l’Athletic Bilbao297. Ce

brassard est toujours porté par le capitaine du FC Barcelone dans toutes les sections. Un an plus

tard, le président de la Generalitat, Josep Tarradellas, rentré d’exil le 23 octobre 1977 est

accueilli en héros quelques jours plus tard au Camp Nou par ces mots : « Bienvenue à la maison,

président »298. L’affirmation identitaire, la culture politique et les rapports avec les politiciens

catalanistes n’ont pas changé et ne font que se renforcer avec la démocratisation de l’Estelada,

le drapeau indépendantiste qui a remplacé la Senyera comme symbole du nationalisme catalan,

très présent au Camp Nou. La dernière information en date qui confirme la permanence de la

ligne directrice identitaire et politique du club ne remonte pas plus loin que le 6 mai 2017. Dans

un communiqué officiel, le FC Barcelone adhère officiellement au pacte national pour un

référendum299 : le club soutient l’organisation d’un référendum qui propose aux Catalans de

choisir l’indépendance de la Catalogne.

295. Ibid 296. Ibid 297. Alejandro QUIROGA, Goles y banderas : Futbol y identidades nacionales en Espana, op.cit 298. Ibid 299. FC Barcelone, Communiqué du FC Barcelone sur l’adhésion au Pacte National pour le référendum, fcbarcelona.es, 6 mai 2017 : https://www.fcbarcelona.es/club/noticias/2016-2017/comunicado-del-fc-barcelona-sobre-la-adhesion-al-pacte-nacional-pel-referendum

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107

De façon plaisante, c’est en revendiquant son héritage historique que le FC Barcelone

coïncide avec les aspects les plus « modernes » du sport aujourd’hui. Dans le cadre du football-

business, les valeurs nobles associées au club sont devenues un atout marketing…

Page 108: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

108

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El match Cataluna-Provence : vencen los catalanes por 4 a 0, El Mundo Deportivo, jeudi 7

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Vida Deportiva : festivales patrioticos, La Vanguardia, mardi 6 septembre 1921 :

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La inauguracion del nuevo campo del Barcelona, El Mundo Deportivo, lundi 22 mai 1922 :

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El homenaje a Gamper fue un acontecimiento solemne, El Mundo Deportivo, lundi 26 février

1923 : http://hemeroteca.mundodeportivo.com/preview/1923/02/26/pagina-

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A beneficio de Bau : en Badalona, la seleccion bate facilmente al Badalona por cinco goals a

zero, El Mundo Deportivo, lundi 25 février 1924 :

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El match de ayer en las Corts : lo que fue el partido, El Mundo Deportivo, vendredi 14 mars

1924 : http://hemeroteca.mundodeportivo.com/preview/1924/03/14/pagina-

2/605658/pdf.html#&mode=fullScreen

Page 113: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

113

El match de ayer en las Corts : El Colo-Colo, campeon de Chile, mostrandose como equipo

de clase, vencio por 5 a 4 a la seleccion catalana, El Mundo Deportivo, vendredi 10 juin

1927 : http://hemeroteca.mundodeportivo.com/preview/1927/06/10/pagina-

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El homenaje a Luis Bru : Un equipo de Barcelona, batio por 2 a 1 a un combinado con

elementos del Barcelona y de Europa, después de un partido de poco interés, El Mundo

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Page 114: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

114

Table des annexes

Annexe 1 : Livre des Actes numéro 2 (1916-mai 1919)……………………………………116

Annexe 2 : Livre des Actes numéro 3 (juin 1919-mai 1921)………………………………117

Annexe 3 : Livre des Actes numéro 6 (octobre 1923-juin 1926)…………………………118

Annexe 4 : Estatut du FC Barcelone (1921)………………………………………………119

Annexe 5 : Bulletin officiel du FC Barcelone (1921)……………………………………...120

Annexe 6 : Bulletin officiel du FC Barcelone (1928)……………………………………...120

Annexe 7 : Première page d’un ensemble de tracts du FC Barcelone (1922)……….......121

Annexe 8 : Article 1 de l’Estatut du FC Barcelone (1921)……………………………….122

Annexe 9 : Article de la Veu de Catalunya (25/11/1918) : le FC Barcelone soutient

officiellement la campagne d'autonomie de la Catalogne………………………………..123

Annexe 10 : Composition florale en forme d'écusson du FC Barcelone déposée par les

dirigeants du club sur la tombe de Rafael Casanova lors de la Diada

(1919)………………………………………………………………………………………..124

Annexe 11 : Bulletin officiel de 1921 : index des correspondances du FC Barcelone….125

Annexe 12 : Article dans le Bulletin officiel de 1921 : El president de Catalunya al nostre

camp…………………………………………………………………………………………126

Annexe 13 : Première de couverture de l’ouvrage de Josep Elias i Juncosa : Football

Asociacion. (1914)…………………………………………………………………………..127

Annexe 14 : Photographie de supporters du FC Barcelone assis dans les tribunes

supérieures du stade de la Carrer Industrial (entre la fin des années 1910 et

1922)……………………………………………………………….………………………..128

Annexe 15 : Bulletin officiel de 1928 : dessin humoristique représentant les joueurs du FC

Barcelone, en partance pour une tournée sportive en Amérique du Sud………......129

Annexe 16 : Un tract du FC Barcelone (1922)……………………………………………..130

Annexe 17 : Affichette de Josep Samitier, boîte de chocolat Orthi (années 1920)………131

Annexe 18 : Représentation de Josep Samitier sur une mini-carte (années 1920)….....132

Annexe 19 : Représentation de Josep Samitier, jeu de puzzle (années

1920)………………...............................................................................................................133

Annexe 20 : Affichette de Ricardo Zamora, boîte de chocolat Amatller (années

1920)………………………………………………………………………………………...134

Annexe 21 : Ricardo Zamora en première page du magazine El Gràfico (1926)……...135

Annexe 22 : Carte 1 représentant Paulino Alcantara (années 1920)…………………...136

Annexe 23 : Carte 2 représentant Paulino Alcantara (années 1920)…………………...136

Annexe 24 : Représentation d’Agusti Sancho, jeu de puzzle (années

1920)………………………………………………………………………………………..137

Page 115: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

115

Annexe 25 : Carte représentant Salvador Martinez Surroca (années 1920)………...138

Annexe 26 : Carte représentant Josep Planas (années 1920)…………………………139

Annexe 27 : Carte représentant Francesc Vinyals (années 1920)…………………….140

Annexe 28 : Carte représentant Vicente Martinez (années 1920)…………………….141

Annexe 29 : Poème de Rafael Alberti : Odo a Platko (1928)…………………………..142

Annexe 30 : Page de couverture de la revue El Tango de Moda, dans laquelle figure la

chanson consacrée à Josep Samitier, Sami ! (1928)……………………………………143

Page 116: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

116

Annexe 1 : Livre des Actes numéro 2 (1916-mai 1919)

Page 117: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

117

Annexe 2 : Livre des Actes numéro 3 (juin 1919-mai 1921)

Page 118: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

118

Annexe 3 : Livre des Actes numéro 6 (octobre 1923-juin 1926)

Page 119: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

119

Annexe 4 : Estatut du FC Barcelone (1921)

Page 120: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

120

Annexes 5 et 6 : Bulletin officiel du FC Barcelone

Annexe 5 : Bulletin officiel de 1921

Annexe 6 : Bulletin officiel de 1928

Page 121: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

121

Annexe 7 : Première page d’un ensemble de tracts du FC Barcelone (1922)

Page 122: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

122

Annexe 8 : Article 1 de l’Estatut du FC Barcelone (1921)

Page 123: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

123

Annexe 9 : Article de la Veu de Catalunya (25/11/1918) : le FC Barcelone

soutient officiellement la campagne d'autonomie de la Catalogne

Page 124: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

124

Annexe 10 : Composition florale en forme d'écusson du FC Barcelone

déposée par les dirigeants du club sur la tombe de Rafael Casanova lors de

la Diada (1919)

Page 125: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

125

Annexe 11 : Bulletin officiel de 1921 : index des correspondances du FC

Barcelone

Page 126: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

126

Annexe 12 : Article dans le Bulletin officiel de 1921 : El president de

Catalunya al nostre camp

Page 127: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

127

Annexe 13 : Page de couverture de l’ouvrage de Josep Elias i Juncosa :

Football Asociacion. (1914)

Page 128: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

128

Annexe 14 : Photographie de supporters du FC Barcelone assis dans les

tribunes supérieures du stade de la Carrer Industrial (entre la fin des

années 1910 et 1922)

Page 129: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

129

Annexe 15 : Bulletin officiel de 1928 : dessin humoristique représentant les

joueurs du FC Barcelone, en partance pour une tournée sportive en

Amérique du Sud.

Page 130: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

130

Annexe 16 : Un tract du FC Barcelone (1922)

Page 131: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

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Annexe 17 : Affichette de Josep Samitier, boîte de chocolat Orthi (années

1920)

Page 132: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

132

Annexe 18 : Représentation de Josep Samitier sur une mini-carte (années

1920)

Page 133: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

133

Annexe 19 : Représentation de Josep Samitier, jeu de puzzle (années 1920)

Page 134: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

134

Annexe 20 : Affichette de Ricardo Zamora, boîte de chocolat Amatller

(années 1920)

Page 135: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

135

Annexe 21 : Ricardo Zamora en première page du magazine El Gràfico

(1926)

Page 136: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

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Annexes 22 et 23 : Cartes représentant Paulino Alcantara (années 1920)

Annexe 22 : Carte 1 Annexe 23 : Carte 2

Page 137: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

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Annexe 24 : Représentation d’Agusti Sancho, jeu de puzzle (années 1920)

Page 138: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

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Annexe 25 : Carte représentant Salvador Martinez Surroca (années 1920)

Page 139: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

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Annexe 26 : Carte représentant Josep Planas (années 1920)

Page 140: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

140

Annexe 27 : Carte représentant Francesc Vinyals (années 1920)

Page 141: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

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Annexe 28 : Carte représentant Vicente Martinez (années 1920)

Page 142: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

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Annexe 29 : Poème de Rafael Alberti : Odo a Platko (1928)

Page 143: FC Barcelone : Identite, culture politique et relations politico-sociales

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Annexe 30 : Page de couverture de la revue El Tango de Moda, dans laquelle

figure la chanson consacrée à Josep Samitier, Sami ! (1928)