forêts et pouvoir dans l'espace rhénan (xvie–xviiie siécles)
TRANSCRIPT
FOR&TS ETPOUVOIR DANS L'ESPACE RHtiNAN
(xvIe-xvIIIeStiCIm)
Emmanuel Gamier
PAR RAPPORT A L’OBJET CENTRAL DE CE DOSSIER
DES ANNALES DES PONTS ET CHAUSSI~ES, LA
RESTAURATION FORESTI&? DES TERRAINS DE
MONTAGNE AU mxe SIkCLE, CET ARTICLE
OPi?RE UN DkALAGE 6CLAIRANT : zi TRAVERS
L’FXEMPLE DE L’ESPACE RI&NAN, IL MONTRE
A QUEL POINT LE MODIkE FRAN(.&iIS DE POLITIQUE
FOREST&RI? S’ENRACINE DANS L’HISTOIRE ET
EST LIk A L’UNIFICATION PROGRESSIVE DU
ROYAUME.
E ntre les XVIe et XVIIIe siecles, les territoires
rhenans ont connu de profondes mutations
sylvicoles qui les ont fait passer d’un regime
d’autonomie P une tutelle etatique partielle. Au-deli
d’une simple histoire des politiques forest&es appli-
quees dans la region, c’est davantage en termes d’en-
jeux geopolitiques qu’il faut concevoir ce travail.
En effet, P travers le prisme forestier, il est possible
d’apprehender sur un temps long l’evolution des rap
ports de forces entre les puissances territoriales germa-
niques et l’avenement de l&at modeme, consacre par
l’intrusion francaise sur l’echiquier rhinan, au tour-
nant des annees 1650. Loin de correspondre P un
modele historique lineaire, le cas alsacien r&Ye au
contraire les modalites d’indgration au royaume de
France d’une province restee tres particulariste,
notamment en mat&e d’Eaux et Forks.
UNE REFERENCE SYLVICOLE :
L’ORDONNANCE HABSBOURGEOISE DE 1557
Un texte global
Promulguee le 17 avril 1557, l’ordonnance de l’empe-
reur Ferdinand Ier traduit une prise en compte g&kale
du probleme forestier dans les Ftats habsbourgeois.
Unique exemple d’ordonnance forest&-e donnee par
les monarques autrichiens, elle demeurera la reference
obligee de tous les gestionnaires en charge des for&s rhe-
nanes, au moins jusqu’a la signature des trait&s de West-
phalie (1648). A ce tin-e, le texte incame une volonte
centralisatrice de la dynastie viennoise et peut 2tre consi-
d&e comme un trait d’union historique a l’echelle des
Pays anterieurs d’Autriche. Cet espace politique compre-
nait l’actuel espace rhenan meridional avec l’Alsace, le
Brisgau et le Landgraviat de Baar. Prise au palais imperial
de Prague, l’ordonnance s’inscrit dans un contexte par-
ticulier, a I’origine de sa promulgation. Prenant acte des
multiples degradations perpetrees dans les for&s doma-
niales des landgraviats, seigneuries et villes imp&ales
d’Alsace, Sundgau, Brisgau, Foret Noire, Rheinfeld et
darts les autres territoires autrichiens, le pouvoir rend
officiel, cas unique dans l’histoire des l&s habsbour-
geois, un code de pot-tee g&kale. 11 faut rappeler que la
degradation des ecosystemes ligneux preoccupe d’autant
plus le prince qu’il implique mecaniquement une rare-
faction de la grande faune, vi&me du recul de son bio
tope sous les coups rep&s des hommesl
1. E.Gamier,Les f~vos~~sous l~n.cien~~F'aris, Fayard (i paraitre) , p. 47-55.
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Annals des Ponts et Chades n” 103,2002
0 2002 kditions scientifiques et mMdes Elsevier SAS. Tous dmits r&en&
C6ne de sapin. Photo : J.E Picard - Inra.
Des objectifs prkcis
Comme le prkise bien le titre, il s’agit d’une << ordon-
nance des bois et forZts contenant les maniitres de la
conservation d’iceux, avec un reglement des amendes
et pour le droit et deffense de la chasse tt2. Plus sim-
plement, il demontre que l’intervention souveraine
rCpond $ un double objectif : cynigktique et sylvicole.
Le premier vise i sauvegarder les riserves giboyeuses
des vastes massifs forestiers de For&Noire et de la
Harth. La seconde prkoccupation, conskquence
directe de la prC&dente, se propose d’inaugurer une
viritable gestion durable du patrimoine ligneux. Aussi
ne faut-il pas s’&onner du caractke dualiste de l’or-
donnance. En grande partie pCriphCrique au sujet, le
thPme de la chasse ne retiendra pas notre attention,
contrairement g la question purement forestik-e. Inti-
tulle cc Ordonnance des bois n, la seconde partie du
texte ligislatif Pdicte un certain nombre de prescrip-
tions sylvicoles senskes prkserver l’avenir des bois imp&
riaux. Pas moins de 36 articles illustrent la volonti des
autorites d’imposer un contr6le itatique direct sur les
forEts d’Autriche antkrieure. Pour parvenir 2 ses fins,
2. Arch. Innsbriick, Peatdrchiv II” XIV Arch. ddp. Haut-Rhin,
2 B 5/l II” 10.
le pouvoirjette les bases d’une administration des eaux
et for& digne de ce nom alors que jusque-12, elle res-
tait l’apanage des princes territoriaux de I’Empire.
Ainsi est nommk un haut fonctionnaire pourvu du titre
de Kkziglich Kaiserlich Forstmeister, (C Maitre forestier
royal et impkrial a), souvent traduit 2 tort par ec grand
Gruyer )s mais qui hikrarchiquement se rapprocherait
davdntage du titre de (< souverain maitre des eaux et
for& )) francais. L’homme est en charge de l’ensemble
des forZts domaniales, tlche dont il s’acquitte avec
l’aide d’un personnel subalterne constituk de cc cava-
liers )), forestiers et cc valets de la forCt )). Ses missions
principales consistent 2 inspecter le patrimoine boisi
royal quatre fois par an et 2 reprimer les dClits.
Soucieux de sauvegarder l’avenir ligneux de ses I%ats,
l’empereur recommande un certain nombre de
mesures de protection qui reposent surtout sur la lutte
contre les dkfrichements, la vaine plture et le char-
bonnage. Sont particulikement visPs les essarts et les
brclis, prohibks dkormais aux marges comme au sein
du domaine de l’arbre. kgalement shkrement rCgle-
men& le pPturage en fokt est un usage immkmorial
pour les habitants. Source principale d’inquiitude, les
ovins et les caprins sont systematiquement exclus des
bois en raison de la menace qu’ils font peser sur les
jeunes sujets. En matike strictement sylvicole, le code
de 1557 introduit pour la premiere fois une forme de
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Annales des Pants et Chaus&s n” 103,2002
gestion sur le long terme qui passe - et c’est une nou-
veau& - par une limitation de l’acces des usagers i la
foret. On interdit egalement les coupes effectuees jus-
qu’& present dans les <( grands bois >), probablement les
massifs peuples d’une futaie. Pratique novatrice, pro-
bablement empruntee au royaume de France ou aux
proches duches lorrains, la mise au ban est gen&ali&e
dans certains cantons, inexploitables tant que le maitre
forestier le jugera necessaire.
Un outil au service de l’lhat moderne ?
L’ordonnance de 1557 n’est pas sans rappeler, avec pres
de quarante an&es de retard cependant, les ordon-
nances forestieres de Francois Ier. Autre difference
notable, le texte autrichien btille par ses imprecisions
sylvicoles. A aucun moment par exemple, il n’est fait
mention de modes d’exploitation ou bien encore
d’amenagements, autant. de notions qui semblent
Pchapper aux autorites viennoises. Le constat s’explique
certainement par les diffkultes politiques recentes ren-
contkes par ie pouvoir central. Avant Ferdinand Ier, la
victoire des princes territoriaux sur l’administration
imp&ale, enterinee a la faveur des guerres de religions,
avait pord un rude coup aux structures forest&es eta-
tiques. Les Habsbourg ne maintinrent alors un appareil
administratif que dans les districts industtiels riches en
mines, forges et verreries. Or, le frke de Charles Quint
manifeste db 1522 un indret nouveau pour l’economie
forest&e comme en temoignent les nombreuses
mesures 1Pgislatives ainsi que les instructions expediees
par sa chancellerie. Au reglement de 1557 s’ajoutent en
effet ceux de Bregenz (region du lac de Constance) et
du Vorarlaberg, en Styrie. Tous sont le fruit d’une
longue reflexion conduite par une commission compo-
see de membres du conseil de la Couronne dont l’avis
est recueilli par le souverain avant de legiferer definiti-
vement.
Pour autant, la volonte habsbourgeoise en mat&e d’eaux
et forks merite d’etre nuancee, ne seraitce que parce
qu’elle se limite finalement au seul patrimoine royal. De
fait, le texte exclut les grands domaines seigneuriaux ainsi
que les massifs contrciles par les villes imperiales. Dans ces
conditions, il est legitime de se poser la question de la por-
tee reelle de cette legislation sur le terrain. Il n’empeche,
mCme si son influence demeure limitee P l’echelle de l’es-
pace rhinan, elle restera une reference qui set-vita de
modele % l’ensemble des communautes qui ne se prive-
ront pas de l’invoquer apris 1648.
LE TOURNANT DES ANNt!ES 1650 :
L’ANNEXION DE L’ALSACE
Bien qu’annexee en grande partie par droit de conquete,
l’Alsace, ancienne possession autrichienne, conserve ses
anciennes structures forest&es. Plutot que de precipiter
une integration for&e, le RoiSoleil fait preuve dun pru-
dent attentisme qui tranche avec la vision ~ditionnelie
dune monarchic louisquatorzienne absolutiste.
Une prise de guerre 21 mknager
Les tmites de Westphalie (1648) reglent le probleme de
la protection fiancaise sur la province par l’annexion pure
et simple mais en des termes tellement ambigus que la
question de la souverainete royale reste largement en
suspens. Le trait6 distingue les cessions habsbourgeoises
en quatre ensembles geographiques avec en t&e de ceux-ci
la place forte de Brisach, piece ma.?tresse de l’echiquier stra”
tegique rhkm. L’article 89 des trait& impose a Louis XIV
la reconnaissance du privilege d’imm~diatet~ de la haute
noblesse et des vilfes imperiales alsaciennes. Elles conser-
vent ainsi leur droit de ne dipendre juridiquement que
de l'empereur ! Le souverain francais renonce de la
sorte a toute superior&Z royale et accepte le maintien
de liens entre la nouvelle province et les Habsbourg,
ennemis declares du royaume. Alin d’implauter locale-
ment un relais de son autorim, le monarque decide tout de
meme d’instaurer un Conseil souverain & cotmar en 16753.
Dans la pratique, la tour se montrera souvent plus sou-
cieuse des inter& provinciaux que de ceux de son maitre.
L’attentisme franqais
Tenu au respect des clauses diplomatiques heritees des
trait&, le pouvoir royal adopte une attitude attentiste,
faute de pouvoir entreprendre une reforme sylvicole
digne de ce nom. Aussi n’est-ce pas surprenant de voir
le grand bailli, remplacant du Landvogt autrichien, se
contenter de faire appliquer les reglements anterieurs
1 1648, en particulier la fameuse ordonnance de 155’7.
Or, dans I’Empire, la juridiction et l’administration des
for&s, exceptees celles qui relevaient du Domaine, se
confondaient avec les institutions locales aux mains des
princes territoriaux et des cites imperiales comme
3. E. Gamier, op. cit., p. 225-226.
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Annales des Pants et rllhm&es n” 109,2002
Strasbourg, Colmar, Kaysersberg ou encore Munster.
D’ailleurs, les trait& de Westphalie ne manquaient pas
de confirmer le droit des seigneurs alsaciens de lever
les amendes pour delits forestiers ; un privilege que les
nouvelles autorites consacrerent par l’edit de 1657.
La premiere dritable tentative de reforme n’intervient
qu’en 1661 lorsque de&de le grand bailli : le cardinal
Mazarin en personne. Louis XIV projette alors de sepa-
rer I’administmtion des for&s de celui du grand bailliage
dans le but afliche d’encaisser les revenus provenant des
bois. 11 ordonne ainsi la creation d’une mait.rise des eaux
et for&s P Haguenau. Circonscription emblematique de
la reforme impulsee par Colbert P partir de 1669, elle est
dotee d’un vaste ressort qui lui donne autorite sur l’en-
semble du patrimoine ligneux alsacien, for& particu-
lieres comprises. Devant le peu d’empressement mani-
feste par les elites locales pour acquerir les nouveaux
offices et en raison de la resistance opinittre du Conseil
souverain qui refuse d’enregistrer l’ordonnance des
Eaux et For&r de 1669, le roi renonce 1 son projet.
L’echec royal consomme : I’arrCt de novembre 1700
Apt% 40 ans de presence francaise faite de retenue et
de comprehension, le pouvoir royal pense que le
moment est venu d’aligner la province sur le modele
sylvicole en vigueur dans le royaume. L’edit d’aotit
1694 Porte ainsi creation de deux maitrises localisees
respectivement a Haguenau et Ensisheim. Les termes
de l’edit ne laissent planer aucune ambiguid sur les
desseins monarchiques : les nouveaux sieges auront
autorite sur cc toutes n les for& de la province, sou-
mises desormais a la legislation royale de 1669.
La decision est une revolution pour 1’Alsace assujettie
P un regime commun sous la forme d’une francisation
brutale et totale en mat&e forest&e. Pour la pre-
miere fois depuis des siecles, le principe de la territo-
rialisation est battu en b&he par l’absolutisme monar-
chique. Ce dernier sonne le glas du systeme politique
habsbourgeois fonde sur le respect des entids poli-
tiques locales. Le bouleversement des usages germa-
niques est ressenti comme une atteinte aux libertes de
la population qui ne tarde pas a le faire savoir par l’in-
termediaire de ses representants. La puissante aristo-
cratie alsacienne est la premiere a s’emouvoir de la
situation, bientot suivie des Magistrats urbains. C’est
done a une levee de boucliers g&kale qu’est
confronte l’Etat, au moment m&me oh les tensions
europeennes se cristallisent en raison de la succession
d’Espagne. Pressi de toutes parts, le Roi prend une
decision aussi brutale qu’inattendue en promulguant
l’arret du 29 novembre 17004. 11 inverse totalement le
processus de centralisation engage 4 ans plus tot en
cantonnant les prerogatives des maitrises aux seules
for&s royales, comme l’avait deja fait en 1557 les Habs-
bourg. Reduite a la portion congrue des affaires fores-
t&es, l’administration des Eaux et [email protected] doit s’effacer
devant les grands proprietaires rhenans dont le pou-
voir sort durablement renforce du conflit.
Partage entre le desir d’afhrmation de sa souverained
et sa volonte de preserver les interets stratigiques du
royaume, le Roi-Soleil choisit la seconde solution en
decidant de menager les villes et la noblesse titree,
deux forces politiques indispensables au maintien de la
France sur les rives du Rhin.
L’OFFENSIVE ROYALE DU XVW SIGCLE
L’Alsace offre a l’historien de la for&t un exemple
remarquable de la complexite des institutions d’An-
cien Regime. Dans la province, les cadres elabores au
tours du XVIIP siecle contredisent completement les
principes Ctablis par la Grande Ordonnance des Eaux
et Forets de Colbert en 1669.
En premirke ligne : l’intendant
Depuis l’arret de 1700, nous l’avons vu, les prerogatives
de l’administmtion forest&e royale sont reduites aux
seules for&s domaniales de Haguenau et de la Hardt
Ainsi en Alsace, comme d’ailleurs dans d’autres provinces
recemment conquises (Flandre, Artois, Hainaut, Rous-
sillon), la lutte pour le pouvoir forestier prend un relief
particulier en raison de la quasi elimination du corps des
eaux et forets. La place ainsi laissee vacante par les mai-
t&es est progressivement occupee par un autre rep&
sentant du pouvoir central au prix de hautes luttes contre
le Conseil souverain: l’intendant.
Alleguant l’incapacite de la chambre colmarienne a frei-
ner les deboisements abusifs et le surplturage, l’inten-
dant Feydau de Brou prend l’offensive au debut des
annees 1740. Le contexte s’y p&e bien : les autorites res-
sentent de plus en plus l’urgence d’une maltrise du bois
4. Ibidem, p. 233-237.
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Amales des POWS et chausoees n’ 103,2002
UOIQU’IL ait cti4 pourvu par pMieurs riglemens particu- lien, it la .police & adminit- tration de ~luficurs bois ap
partenans h des communautb de la pro- vince d'Allace , cependant la-plupart de ces rhglemens n’ayant eu pour objet que fexploitation defd. bois G.&ant les ufages locaux ; la ftuation & la compofition de chacune deCd. communautk; Nous avons cru qu’il Ctoit &e&ire i fordre gin&al de rafi’kmbler dans une m&me ordonnance tous ies principes qui doivent kvir de ri-
Extrait du Rgglement g&&al de /‘Intendant d’Alsace (12 aoOt 1761).
comme mat&au stratigique in~s~n~bie B la militarisa-
tion de la front&e rhknane &i@e en limes. Conscient de
I’impCratif militaire, le roi tmnche la question de la juri-
diction en mati&e foresticre en kdictant un reglement en
fkvrier 174Z5. Xl l’autorise 5 connaitre toutes les al35res
ayant trait Q ~adminis~tion et A la police des for&, bois
et iles des communautk. Deux ans plus tard, un nouvel
arrCt brise la r&stance juridique du Conseil souverain en
lui interdisant toute ingkrence dam les tiaires fores
t&es, ce qui revient A confkrer 5 t’intendant des pouvoirs
l@aux ~inte~ention dans les for&s ~omm~au~res
alsaciennes. La tour souveraine ne s’avoue pas facilement
vaincue et finit par arracher au souverain en 1772 un
droit de compitences pour les appels prononces par son
ennemi jurk C’est done P un &ritable imbroglio juri-
dique que donnent naissance les tergiversations gouver-
nementales, incapable d’imposer une d&&ion d%mitive.
DCtenteur d’un droit de regard sur les bois des commu-
naut.5, le commissaire royal entreprend une reprise en
main du domaine sylvicole en s’inspirant des gmndes
reformations dejri op&&es dans d’autres r&ions du
5. BOUG, Recueil d&s kdits et ordonnances, t2, p. 262.
ro~ume. D&s 1745, il lance une grande enqu&e sur 1’Ptat
des espaces forestiers de la province, une &ape prtklable
qui debouche sur un impressionnant effort l&islatif.
Entre 1747 et 1758, une quarantaine de reglements parti-
culiers sont .5dict& pour les bailliages et les villes d’Al-
sace6. Rkaliste, it prend la prkaution de faire publier ses
dkisions en francais et en allemand dans le but afiichti
d’&iter toute equivoque au moment de leur application.
Un nouveau stade dkisif est franchi avec l’intendant de
Luck qui, en 1761, rend public un rgglement gGn&ai
&able pour l’ensemble des for&s d’Aisace. V&&able
&volution foresti&e, il cr&e dans chaque ville ou depar-
tement des inspecteurs spicialement charges de la r@ie
et de l’administration des for& tandis que les gardes,
pay& et assermentk par les ilus, ne rendent dksormais
de comptes qu’aux seuls agents de l’intendance. Sur le
plan sylvicole, le texte marque aussi un tournant en intro-
duisant sous une fotme d@uiske les principales disposi-
tions de l’ordonnance de 1669. I1 impose en consCquence
la gkkalisation du taillis sous futaie et am&age les
espaces ligneux en coupes appelges assiettes et en en
6. E. Gamier, op. cit., p. 278.
retranchant un quart de leur surface r&e&e pour
croitre en futaie. Sans les nommer, tous les d&ails tech-
niques (&pee, tire et aire, baliveaux) font clairement
rGf&ence au code colbertien. La mise au pas s’accom-
pagne d’une fkancisation m&rologique : I’arpent des
eaux et for&s supplante les unit& de mesure locales.
Les rBsistances au central&me
Le pouvoir de l’intendant, outre la rksistance chro-
nique du Conseil souverain d’Alsace, doit aussi compter
avec les puissances seigneuriales, tres attachkes & leur
autonomie juridique h&i&e de la domination habs-
bourgeoise. Vers 1750, les grands feudataires detien-
nent le tiers des superficies ligneuses qu’ils gkent
directement par l’intermediaire de chambres forestales
soumises P leur seule auto&k Or, le roi, pour des
motifs stradgiques, doit m&nager leurs int&?ts sous
peine de les voir se rallier B l’ennemi autrichien
Mais surtout, le modsle fkancais gW%alisi en Alsace
propose une sylviculture adaptke aux feuillus de plaines.
Elle ne tarde done pas 2 se riw?ler catastrophique dans
les zones montagneuses oh dominent au contraire les
r&ineux. En effet, les coupes rases ne conservent que
quelques arbres de reserve insuffkants 2 assurer la rCgB
n&ration des sapinik-es et des pessikes dont les souches
ne rejettent pas. C’est pourquoi le versant alsacien des
Vosges ne tarde pas P &tre victime de violents coups de
chablis, conskquences de l’introduction de la l&islation
fore&&e royale’. Choqukes par l’ampleur des dkg&ts,
les elites provinciales tentent, 1 iaveille de la R&oh&on,
de contrecarrer une politique royale destructrice. L’as-
semblie provinciale propose ainsi en 1788 une autre syl-
viculture *T conforme aux localit& FF, c’est-2dire aux
caract&istiques stationnelles des peuplements. Le mou-
vement traduit plus skement la volonti d’un retour au
goldene Zeit, un f* temps de l’%ge d’or >> forestier
incarne par le XVIe sikle habsbourgeois. Ultime
dGmarche qui s’avire malheureusement infructueuse
car le pouvoir pr&fGre ent&iner le tire et aire, pourtant
dkastreux en montagne. Afin de kpondre aux besoins
croissants de la G Royale )) et de 1’ArnGe de Terre apres
1789, l&at rkpublicain puis napolionien ne fera que
favoriser une sylviculture toujours plus intensive, i I’ori-
gine d’une fragilisation des kcosyst&mes montagnards.
7. Ibidem, p. 307.
La ikite en avant des autorids ne prendra fin que dam
les annkes 1830 qui inaugureront une nouvelle 2re :
celle de la restauration forest&e.
L’histoire sylvicole rhknane sous I’Ancien Regime appa-
rait done bien paradoxale en matike de pouvoir fores-
tier. Jusqu’au milieu du XVIIe si&cle, elle offre un
modele sylvicole original et trompeur avec une monar-
chic habsbourgeoise qui se pose en force centripete et
de puissantes forces centrifuges formees des villes imp&
riales et des principautk territoriales. Ambitieuse, l’or-
donnance de 1557 semble annoncer une offensive
forestike d’envergure du pouvoir. Finalement, priv&
du soutien des Clites urbaines et princikes, les Habs-
bourg en restent au stade des velliitis, limitant leurs
prbtentions aux rares forits royales.
Avec le rattachement de 1’Alsace au tournant des
annees 1650, un nouvel acteur, B combien plus autori-
taire, intervient sur l’khiquier local. Aprk une
piriode d’attentisme motivG par les menaces militaires,
le roi de France s’engage dans la voie de la centralisa-
tion. Mais le monarque doit ici compter avec les parti-
cularitb d’une terre anciennement impkiale qui n’en-
tend pas se soumettre si facilement. La rksistance est
telle vers 1700 que l’administration des Eaux et For&s,
fait exceptionnel, doit quasiment s’effacer au profit
d’un autre agent de l’absolutisme : l’intendant. Ce der-
nier jette rapidement le masque, celui d’une centrali-
sation qui se veut dkfinitive, au grand dam des pro-
priitaires forestiers qui tentent vainement de r&sister
sur un plan politique. 11 faudra attendre la Rkvolution
pour qu’kclatent au grand jour les tensions accumu-
lies de longue date par les usagers, engag& dksormais
dans la voie de la rebellion ouverte corm-e le pouvoir
forestier royal. B
Lexique
Biotope : lieu &udii en tant que milieu de vie (faune et flore). Futaie : arbres ou peuplements dont I’bge est g&kalement
compris entre 40 et 200 am. Jardinage : sylvicufture qui consiste 5 prelever r~~ii~rement
des arbres dans toutes Ies cIasses de diamkes. Elle donne ainsi naissance A une for-Et irr&uli~re beaucoup plus diversifiPe que le taillis sons futaie.
Landgraviat : ancienne institution corntale carolingienne tombie aux mains de la dynastic des Habsbourg.
Landvogt : representant des Habsbourg en Akace. Taillis sous futaie : mithode sylvicole qui vise P produire
conjointement du bois d’awvre (futaie) et du bois de chauffage (taiflis) dans une meme assiette (coupe).
Tire et aire : exploitation de proche en proche du taillis sous futaie.
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