foucauld magritte

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Author: parniank

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  • 5/14/2018 Foucauld Magritte

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    53 Ceci n'est pas une pipe< Ceci n'esr pas une pipe >, L es C ab ie rs d c he min , n"2, 15janvier 1968, pp. 79-105. (Hom-mage a R.Magritte, decede Ie 15 aoar 1967.)Une version augrnenree de ce rexre, suivie de deux lertres er de quaere dessins de Magritte, aeee publiee par les editions Fara Morgana, Moncpellier, 1973.

    vorci DEUX PIPESPremiere version, celie de 1926, je crois: une pipe dessinee avecsoin; er, au-dessous (ecrire a la main d'une ecrirure reguliere, appli-quee, arrificielle, d'une ecriture de couvent, comme on peut en trou-ver, a titre de modele, en haut des cahiers d'ecoliers, ou sur un

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    tableau noir apres une lecon de choses donnee par l'instituteur),cette mention: < Ceci n'est pas une pipe. >L'autre version - je suppose que c'est la derniere -, on peut latrouver dans Auhe d l'antipode. Merne pipe, meme enonce, merneecriture. Mais, au lieu d'erre juxtaposes dans un espace indifferent,sans Iirnires ni specification, le texte et la figure sont places a I'inre-rieur d'un cadre; lui-merne est pose sur un chevalet, et celui-ci a sontour sur les lattes bien visibles d'un plancher. Au-dessus, une pipe

    exactement sernblable a celIe qui est dessinee sur le tableau, maisbeaucoup plus grande.La premiere version ne deconcerte que par sa simplicire, Laseconde multiplie visiblement les incertitudes volontaires. Le cadre,debour contre le chevalet et pose sur les chevilles de bois, indiquequ'il s'agit du tableau d'un peintre: oeuvre achevee, exposee, et

    portanr, pour un eventuel specrareur, l'enonce qui la comrnenre oul'explique. Et cependant, cette ecriture naive qui n'est au juste ni Ietitre de l'ceuvre ni I'un de ses elements picturaux, l'absence de routautre indice qui marquerait la presence du peintre, la rusticite del'ensemble, les grosses lames du parquet, tout cela fait penser a untableau noir dans une classe : peut-etre un coup de chiffon va-t-ileffacer bienror le dessin et le texte ; peut-etre n'effacera-t-il que l'unou I'autre pour corriger 1 '< erreur > (dessiner quelque chose qui nesera vraiment pas une pipe, ou ecrire une phrase affirmant que c'estbien une pipe). Maldonne provisoire (un < rnalecrir >, comme ondirait un malentendu) qu'un geste va dissiper dans une poussiereblanche?Mais ce n'esr la encore que la moindre des incertitudes. En voicid'autres : il y a deux pipes. Ou plutor, deux dessins d'une pipe? Ou

    encore, une pipe et son dessin, ou encore deux dessins representantchacun une pipe, ou encore, deux dessins dont l'un represenre unepipe mais non pas l'aurre, ou encore, deux dessins qui ni l'un niI'aurre ne SOntni ne representent des pipes? Et voila que je me sur-prends a confondre etre et representer comme s'ils eraient equi-valents, comme si un dessin etait ce qu'il represenre; et je vois bienque si je devais - et je le dois - dissocier avec soin (comme rn'y ainvite voila plus de trois siecles la Logique de Port-Royal) ce qu'estune representation er ce qu'elle represenre, je devrais reprendreroutes les hypotheses que je viens de proposer, et les multiplier pardeux.Mais ceci encore me frappe: la pipe representee sur le tableau- bois noir ou toile peinte, peu importe -, cette pipe < d'en bas >est solidement prise dans un espace aux reperes visibles : largeur (le

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    texte ecrit, les bords superieurs et inferieurs du cadre), hauteur (lescotes du cadre, les montants du chevaler), profondeur (les rainuresdu plancher). Stable prison. En revanche, la pipe d'en haut est sanscoordonnees, L'enormite de ses proportions rend incertaine sa locali-sation (effet inverse de ce qu'on trouve dans Le Tombeau des lutteursou Ie gigantesque est capte dans l'espace le plus precis) : est-elle,cette pipe dernesuree, en avant du tableau dessine, Ie repoussantloin derriere elle? Ou bien est-elle en suspens juste au-dessus duchevalet, comme une emanation, une vapeur qui viendrait de sederacher du tableau - furnee d'une pipe prenanr elle-rneme laforme et la rondeur d'une pipe, s'opposant ainsi et ressemblant a lapipe (selon le merne jeu d'analogie et de contraste qu'on trouvedans la serie des Batailles de l'Argonne, entre le vaporeux et lesolide)? Ou bien ne pourrait-on pas supposer, a la limite, qu'elle esten arriere du tableau er du chevalet, plus gigantesque alors qu'ellene paralt : elle en serait la profondeur arrachee, la dimension inte-rieure crevant la toile (ou le panneau) er, lentement la-bas, dans unespace desormais sans repere, se dilatant a l'infini.De cette incertitude pourtant je ne suis pas merne certain. Ouplutot ce qui m'apparait bien douteux, c'est l'opposition simpleentre le flottement sans localisation de la pipe d'en haut er la srabi-lite de celle d'en bas. A regarder d'un peu plus pres, on voit facile-ment que les pieds de ce chevalet qui porte Ie cadre OUla toile estprise et OUIe dessin est loge, cespieds qui reposent sur un plancherque sa grossierete rend visible er sur sont en fait biseaures : ils n'ontde surface de contact que par trois pointes fines qui otene al'ensemble, pourtant un peu massif, toute stabilite. Chute immi-nente? Effondrement du chevalet, du cadre, de la toile ou du pan-neau, du dessin, du texte? Bois brises, figures en fragments, lettresseparees les unes des autres au point que les mots, peut-etre, nepourronr plus se reconstituer - tout ce gachis par terre, tandis que,Ia-haur, la grosse pipe sans mesure ni repere persistera dans sonimrnobilite inaccessible de ballon?

    LE CALLIGRAMME DEFAITLe dessin de Magritte (je ne parle pour I'instant que de la premiereversion) est aussi simple qu'une page ernprunree a un manuel debotanique : une figure et le texre qui la nomme. Rien de plus facilea reconnai'tre qu'une pipe, dessinee comme celle-la; rien de plusfacile a prononcer - notre langage Ie sait bien a notre place - que le< nom d'une pipe >. Or, ce qui fait I'etrangete de certe figure, cen'est que la < contradiction> entre l'image et le texte. Pour une

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    bonne raison: il ne saurait y avoir contradiction qu'entre deuxenonces, ou a I'interieur d'un seul er rnerne enonce. Or je vois bienici qu'il n'y en a qu'un, et qu'il ne saurait etre conrradictoire,puisque le sujet de la proposition est un simple dernonstrarif Faux,alors? Mais qui me dira serieusernenr que cet ensemble de traitsentrecroises, au-dessus du texte, es t une pipe? Ce qui deroute, c' estqu'il est inevitable de rapporter le texte au dessin (comme nous yinvitent le dernonsrrarif, Ie sens du mot p i p e , la ressemblance del'image), et qu'il est impossible de definir le plan qui permetrraitde dire que l'assertion est vraie, fausse, contradictoire, necessaire,

    La diablerie, je ne peux rri'orer de l'idee qu'elle est dans une ope-ration que la sirnplicite du resulrat a rendue invisible, mais quiseule peut expliquer la gene indefinie qu'il provoque. Cette opera-tion, c'esr un calligramme secrerernenr constitue par Magritte, puisdefair avec soin. Chaque element de la figure, leur position reci-proque et leur rapport derivenr de cerre operation annulee desqu'elle a ete accomplie.Dans sa tradition rnillenaire, le calligramme a un triple role:compenser I' alphabet; repeter sans le secours de la rherorique ;prendre les choses au piege d'une double graphie. II approched'abord, au plus pres l'un de l'aurre, le texte et la figure: ilcompose en lignes qui delimitenr la forme de l'objer, avec celles quidisposent la succession des lertres ; il loge les enonces dans l'espacede la figure, er fait dire au texre ce que represente le dessin. D'uncote, il alphaberise I'ideograrnme, le peuple de lettres discontinueset fait ainsi parler le mutisme des lignes ininterrompues. Mais,inversement, il repartit I'ecriture dans un espace qui n'a plus l'indif-ference, I' ouverrure et la blancheur inertes du papier; il lui imposede se distribuer selon les lois d'une forme sirnulranee. II reduit lephonetisme a n'etre, pour le regard d'un instant, qu'une rumeurgrise qui complete les contours d'une figure; mais il fait du dessinla mince enveloppe qu'il faur percer pour suivre, de mot en mot, ledevidernenr de son texte intestin.

    Le calligramme est done tautologie. Mais a l'oppose de la Rheto-rique. Celle-d joue de la plethore du langage; elle use de la possibi-lite de dire deux fois les memes choses avec des mots differents: elleprofire de la surcharge de richesse qui perrnet de dire deux chosesdifferenres avec un seul er rnerne mot; I' essence de la rhetorique estdans l'allegorie. Le calligramme, lui, se sert de certe propriete deslettres de valoir a la fois comme des elements lineaires qu'on peutdisposer dans l'espace et comme des signes qu'on doit deroulerselon la chaine unique de la substance sonore. Signe, la lettre permet

    de fixer les mots; ligne, elle permet de figurer la chose. Ainsi, le cal-ligramme pretend-il effacer ludiquement les plus vieilles opposi-tions de notre civilisation alphabetique : montrer et nommer; figu-rer et dire; reproduire et articuler; imiter et signifier; regarder etlire.Traquant deux fois la chose dont il parle, il lui tend le piege le

    plus parfait. Par sa double entree, il garantie certe capture, dont lediscours a lui seul ou le pur dessin ne sont pas capables. II conjurel'invincible absence donr les mots ne parviennent pas a triompher,en leur imposant, par les ruses d'une ecrirure jouant dans l'espace, laforme visible de leur reference: savamment disposes sur la feuillede papier, les signes appel1ent, de l'exterieur, par la marge qu'ilsdessinent, par la decoupe de leur masse sur I' espace vide de la page,la chose rnerne dont ils parlent. Et, en retour, la forme visible estcreusee par l'ecriture, labouree par les mots qui la travaillent deI'interieur et, conjurant la presence immobile, arnbigue, sans nom,font jaillir le reseau des significations qui la baptisent, la deter-minent, la fixent, dans I'univers des discours. Double trappe; piegeinevitable: par 0 1 1 echapperaienr desorrnais le vol des oiseaux, laforme transitoire des leurs, la pluie qui ruissel1e?Et maintenant, le dessin de Magritte. II me semble etre fait des

    morceaux d'un calligramme denoue, Sous les apparences d'unretour a une disposition anterieure, il en reprend les trois fonctions,mais pour les pervertir, et inquieter par la tous les rapports tradi-tionnels du langage et de I'image.

    Le texte qui avait envahi la figure afin de reconstituer le vieilideogramme, le voici qui a repris sa place. II est retourne en son lieunaturel - en bas : la 0 1 1 il sert de support a l'image, l'insere dans lasuite des textes et dans les pages du livre. II redevient < legende >.La forme, elle, remonte a son ciel, dont la cornplicite des letrres avecl' e space I' avait fait un instant descendre : libre de route attache dis-cursive, elle va pouvoir florrer de nouveau dans son silence natif. Onrevient a la page et a son vieux principe de distribution. Mais enapparence seulement. Car les mots que je peux lire maintenant au-dessous du dessin sont des mots eux-mernes dessines - images demots que Ie peintre a placees hors de la pipe, mais dans le perimetregeneral (et inassignable d'ailleurs) de son dessin. Du passe calli-graphique que je suis bien oblige de leur prerer, les mots Ontconserve leur appartenance au dessin, er leur etat de chose dessinee :de sorte que je dois les lire superposes a eux-rnemes ; ils SOnt a lasurface de I'image les reflets des mots qui disent que ceci n'esr pasune pipe. Texte en image. Mais, inversement, la pipe representee est

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    dessinee de la merne main er avec la merne plume que les lettres dutexte : elle prolonge I'ecrirure plus qu'elle ne vient l'illustrer ercombler son defaur. On la croirait remplie de petites lettres brouil-lees, de signes graphiques reduirs en fragments et disperses sur routela surface de I'irnage. Figure en forme de graphisme. L'invisible erprealable operation calligraphique a entrecroise I'ecriture et le des-sin; et lorsque Magritre a remis les choses a. leur place, il a pris soinque la figure demeure ecrire er que Ie texre ne soit jamais que larepresentation dessinee de Iui-rneme.Merne chose pour la tautologie, En apparence, Magritte revient duredoublemenr calligraphique a.la simple correspondance de I'irnageavec sa Iegende : une figure muette er suffisamment reconnaissablernonrre, sans le dire, la chose en son essence; er, au-dessous, un nomrecoir de cette image son < sens > ou Ia regle d'utilisarion. Or,compare a. Ia tradirionnelle foncrion de la legende, le texte deMagritte est doublement paradoxal. Il entreprend de nommer ce quievidernmenr, n'a pas besoin de I'etre (la forme est trop connue, l~nom trop farnilier). Et voila. qu'au moment oil il devrait donner Ienom il Ie donne, mais en nianr que c'esr lui. D'ou vient ce jeuetrange, sinon du calligramme? Du calligramme qui dit deux fois lesmemes choses (1a.oil sans doute une seule suffirait bien); du calli-gramme qui, sans qu'il y paraisse, introduir un rapport negatif entrec: qu'il montre et ce qu'il dir ; car, en dessinant un bouquet, unoiseau ou une averse par un semis de lettres, le calligramme ne ditjamais a. propos de cette forme hypocritement spontanee < ceci estune colombe, une fleur, une averse qui s'abat >; il evite de nommerce que dessine la disposition des graphismes. Montrer ce qui se passea. travers les mots, dans le derni-silence des lettres ; ne pas dire ce queson~ ces lignes qui, aux confins du texre, le limitenr et le decoupenr.~atnte~ant que Magrirte a fait choir le texte hors de I'irnage, c'esr a.1enonce de reprendre, pour son propre compte, ce rapport negarif, etd'en faire, dans sa syntaxe a.lui, une negation. Le < ne pas dire> quianirnair de l'interieur et silencieusement le calligramme est dit main-tenant, de l'exterieur, sous la forme verbale du < ne pas >. Mais a. cecalligramme qui est cache derriere lui, le texte qui court au-dessousde la pipe doir de pouvoir dire simultanernenr plusieurs choses.

    < Ceci > (ce dessin que vous voyez et dont, sans nul doure, vousreconnaissez la forme) < n'est pas > (n'esr pas susbtantiellemenr liea.... , n'est pas constirue par ... , ne recouvre pas la merne matiereque ...) < une pipe> (c'esr-a-dire ce mot appartenant a. vorre Ian-gage, fait de sonorires que vous pouvez prononcer, et que rraduisenrle.sIettres donr vous faites acruellemenr la lecture). C ec i n 'est p as u nep Ipe peut done etre lu ainsi:64 0

    l1 'e st p as ~ I u ne p ip e I

    Mais, en meme temps, ce rnerne texte enonce tout autre chose:< Ceci > (cet enonce que vous voyez se disposer sous vos yeux enune ligne d'elernenrs discontinus, et dont ceci est a. la fois le desi-gnant et le premier mot) < n'est pas> (ne saurait equivaloir ni sesubstiruer a.... , ne saurait represenrer adequaternent ...) < une pipe >(un de ces objets dont vous pouvez voir, la, au-dessus du texte, unefigure possible interchangeable, anonyme, donc inaccessible a. toutnom). Alors, il faut lire:

    I ceci/~ l 1' es t pa sOr, au total, il apparait facilement que ce qui nie l'enonce de

    Magritte, c'est I'appartenance immediate et reciproque du dessin dela pipe er du texte par lequel on peut nommer cette rnerne pipe.Designer, et dessiner ne se recouvrenr pas, sauf dans le jeu calli-graphique qui rode a. l 'arriere-plan de l'ensemble, er qui est conjurea. la fois par le texre, par Ie dessin et par leur actuelle separation.D'ou la troisierne fonaion de l'enonce : < Ceci > (cer ensembleconstitue par une pipe en style d'ecriture, et par un texre dessine)< n'est pas> (est incompatible avec ... ) < une pipe> (cet elementrnixte qui rel eve a. la fois du discours er de l'image, et dont le jeu,verbal et visuel, du calligramme voulait faire surgir l'etre ambigu).

    l \..V I l r ..eei n'eat pas \.Vne pipe/ eeel n'elt pal une pipe ITroisierne perturbation: Magrirre a rouvert le piege que le calli-

    gramme avait referrne sur ce dont il parlait. Mais, du coup, la chose

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    meme s'est envolee. Sur la page d'un livre illustre, on n'a pas1'habitude de preter attention a ce petit espace blanc qui court au-dessus des mots et au-dessous des dessins, qui leur sert de fronrierecommune pour d'incessants passages: car c'est la, sur ces quelquesmillimerres de blancheur, sur le sable calme de la page, que senouent, entre les mots er les formes, tous les rapports de designa-tion, de nomination, de description, de classification. Le calli-gramme a resorbe cet interstice; mais, une fois rouvert, il ne le resti-rue pas; le piege a ete fracture sur le vide: l'image er Ie textetombent chacun de son cote, selon la gravitation qui leur est propre.Ils n'ont plus d'espace commun, plus de lieu ou ils puissent inter-ferer, ou les mots soient susceptibles de recevoir une figure, et lesimages d'entrer dans 1'ordre du lexique. La petite bande mince,incolore er neutre qui, dans le dessin de Magritte, separe Ie texte etla figure, il faut y voir un creux, une region incertaine er brurneusequi separe maintenant la pipe flortant dans son ciel d'irnage et lepietinernent terrestre des mots defilanr sur leur ligne successive.Encore est-ce trop de dire qu'il y a un vide ou une lacune : c'esr plu-tot une absence d'espace, un effacement du < lieu cornmun o entreles signes de I'ecriture et les lignes de 1'image. La < pipe> qui etaitindivise entre I'enonce qui la nommait er Ie dessin qui devait lafigurer, cette pipe d'ornbre qui entrecroisait les lineaments de laforme et la fibre des mots s'est definirivemenr enfuie. Disparitionque, de l'aurre cote de la beance, Ie texte constate tristement : cecin'est pas une pipe. Le dessin, maintenant solitaire, de la pipe a beause faire aussi semblable qu'il le peut a cette forme que designed'ordinaire le mot pipe; le texte a beau se derouler au-dessous dudessin avec route la fidelire attentive d'une legende dans un livresavant: entre eux ne peut plus passer que la formulation dudivorce, I'enonce qui conteste a la fois Ie nom du dessin er la refe-rence du texte,

    A partir de la, on peut comprendre la derniere version queMagritte a donnee de C ee i n 'e st p as un e p ip e. En placanr le dessin dela pipe et l'enonce qui lui sert de legende sur la surface bien claire-ment delirnitee d'un tableau (dans la mesure ou il s'agit d'une pein-ture, les lettres ne sont que 1'image des lettres; dans la mesure ou ils'agit d'un tableau noir, la figure n'est que la continuation didac-tique d'un discours), en placant ce tableau sur un triedre de boisepais et solide, Magritte fait tout ce qu'il faut pour reconstituer (soitpar la perennite d'une oeuvre d'art, soit par la verite d'une lecon dechoses) Ie lieu commun a 1'image et au langage. Mais cette surface,elle est aussitot contestee: car la pipe que Magrirte, avec tant de

    precautions, avait approchee du texte, qu'il avait enferrnee avec luidans le rectangle institutionnel du tableau, voila qu'elle s'est envo-lee: elle est la-haur, dans une flottaison sans repere, ne laissant entreIe texte et la figure dont elle aurait du etre Ie lien et le point deconvergence a 1'horizon qu'un petit espace vide, l'etroit sillon de sonabsence - comme la marque sans signalement de son evasion. Alors,sur ses montanrs biseaures et si visiblement instables, le chevalet n'aplus qu'a basculer, le cadre a se disloquer, le tableau et la pipe arouler par terre, les lettres a s'eparpiller : le lieu commun - ceuvrebanale ou lecon quotidienne - a disparu.

    KLEE, KANDINSKY, MAGRITTEDeux principes Ont regne, je crois, sur la peinture occidentale depuisIe xv' siecle jusqu'au xx".

    Le premier separe la representation plastique (qui implique laressemblance) et la representation linguistique (qui l'exclur). Certedistinction est ainsi pratiquee qu'elle perrnet l'une ou l'autre formede subordination: ou bien le texte est regle par 1'image (commedans ces tableaux ou sont represenres un livre, une inscription, unelettre, le nom d'un personnage); ou bien 1'image est reglee par Ietexte (comme dans les livres ou Ie dessin vient achever, comme s'ilsuivait seulement un chemin plus court, ce que les mots sonr char-ges de representer). II est vrai que cette subordination ne demeurestable que bien rarement: car il arrive au texte du livre de n'etreque Ie commentaire de l'irnage, et Ie parcours successif, par lesmots, de ses formes simultanees ; et il arrive au tableau d'erredornine par un texte dent il effecrue, plastiquement, routes lessignifications. Mais peu importe Ie sens de la subordination ou larnaniere dont elle se prolonge, se rnultiplie er s'inverse : l'essentielest que Ie signe verbal et la representation visuelle ne sont jam:"sdonnes d'un coup. Un plan, toujours, les hierarchise, C'est ce pnn-cipe dont Klee a aboli la souverainete, en faisant valoir dans unespace incertain, reversible, flottanr (a la fois feuillet et toil:, ~appeer volume, quadrillage du cahier er cadastre de la terre, histoire etcarte) la juxtaposition des figures et la synraxe des signes. II a donnedans l'entrecroisement d'un rneme tissu les deux sysrernes de repre-sentation : en quoi (a la difference des calligraphes qui renforcaient,en Ie rnultiplianr, Ie jeu des subordinations reciproques) il boulever-sait leur espace commun et entreprenait d'en barir un nouveau.

    Le second principe pose l'equivalence entre Ie fait de la simili-tude et l'affirmation d'un lien representarif Qu'une figure res-semble a une chose (ou a quelque autre figure), qu'il y ait entre

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    elles une relation d'analogie, et cela suffit pour que se glisse dans Iejeu de la peinrure un enonce evident, banal, mille fois repete etpourtant presque toujours silencieux (il est comme un murmureinfini, obsedanr, qui entoure Ie silence des figures, I'investir, s'enempare, Ie fait sortir de Iui-merne, et le reverse finalement dans Iedomaine des choses qu'on peut nommer): < Ce que vous voyez,c'esr cela. > Peu imporre, la encore, dans quel sens est pose Ie rap-POrt de representation, si la peinture est renvoyee au visible qui1'entoure ou si elle cree a elle seule un invisible qui lui ressemble.L'essentiel, c'esr qu'on ne peut dissocier similitude et affirmation.Kandinsky a delivre la peinture de cette equivalence: non pas qu'ilen ait dissocieles termes, mais parce qu'il a donne conge simulrane-merit a la ressemblance et au fonctionnement representarif,Nul, en apparence, n'est plus eloigne de Kandinsky et de Kleeque Magritte. Peinture plus que route autre attachee a l'exactitudedes ressemblances au point qu'elle les multiplie volontairementcomme pour les confirmer : il ne suffit pas que la pipe ressemble,sur le dessin Iui-meme, a une autre pipe, qui a son tour, etc. Pein-rure plus que toute autre attachee a separer, soigneusement, cruelle-ment, l'elernenr graphique et l'elernenr plasrique : s'il leur arrived'etre superposes comme le sont une legende et son image, c'esr a lacondition que l'enonce conteste l'identire manifeste de la figure, etle nom qu'on est prer a lui donner. Et pourtant, la peinture deMagritte n'esr pas etrangere a 1'entreprise de Klee et de Kandinsky;elle constitue pluror, a partir d'un systeme qui leur est commun,une figure a la fois opposee et complemenraire.

    LE SOURD TRAVAIL DES MOTSL'exteriorire, si visible chez Magritte, du graphisme et de la plas-tique, est syrnbolisee par le non-rapport - ou, en tout cas, par lerapport tres complexe et tres cache entre Ie tableau et son titre. Cettesi longue distance - qui ernpeche qu'on puisse etre a la fois, et d'unseul coup, lecteur et spectareur - assure l'emergence abrupte del'image au-dessus de l'horizonralire des mots. < Les titres SOntchoi-sis de telle facon qu'ils empechenr de siruer mes tableaux dans uneregion farniliere que I'automarisme de la pensee ne manquerait pasde susciter afin de se soustraire a I'inquierude, > Magritte nommeses tableaux (un peu comme la main anonyme qui a designe la pipepar l'enonce < Ceci n'est pas un pipe pour tenir en respect ladenomination. Et pourtant, dans cet espace brise er en derive,d'etranges rapports se nouent, des intrusions se produisent, debrusques invasions destrucrrices, des chutes d'images au milieu des644

    mots, des eclairs verbaux qui sillonnent les dessins et les font voleren edats, Patiemment, Klee construit un espacesans nom ni geome-trie en entrecroisant la chaine des signes et la trame des figures.Magritte, lui, mine en secret un espace qu'il semble maintenir dansla disposition traditionnelle. Mais il Ie creuse de mots: et la vieillepyramide de la perspective n'est plus qu'une taupiniere au point des'effondrer.II a suffi, au dessin le plus sage, d'une souscription comme< Ceci n'est pas une pipe> pour qu'aussirot la figure soit contraintede sottir d'elle-merne, de s'isoler de son espace, et finalement de semettre a flotter, loin ou pres d'elle-rneme, on ne sait, semblable oudifferenre de soi. A l'oppose de Ceci n'est pas une pipe, L'Ar: de laconversation: dans un paysage de commencement du monde ou degigantomachie, deux personnages minuscules sonr en train de par-ler; discours inaudible, murmure qui est aussirot repris dans lesilence des pierres, dans le silence de ce mur qui surplombe de sesblocs enormes les deux bavards muets; or ces blocs, juches endesordre les uns sur les autres, forment a leur base un ensemble delettres ou il est facile de dechiffrer le mot REVE, comme si routesces paroles fragiles et sans poids avaient recu pouvoir d'organiser Iechaos des pierres. Ou comme si, au contraire, derriere le bavardageeveille mais aussirot perdu des hommes, les chosespouvaient, dansleur rnurisrne er leur sommeil, composer un mot - un mot stableque rien ne pourra effacer; or ce mot designe les plus fugitives desimages. Mais ce n'est pas tout: car c'est dans Ie reve que leshommes enfin reduits au silence, communiquent avec la significa-tion des' choses, et qu'ils se laissent penetrer par ces mots enig-matiques, insisrants, qui viennent d'ailleurs. Ceci n'est pas une pipe,c'etait l'incision du discours dans la forme des choses, c'etait sonpouvoir ambigu de nier et de dedoubler ; VArt de la conversation,c'est la gravitation autonome des choses qui forment leurs propresmots dans l'indifference des hommes, et la leur imposent, sansmerne qu'ils Ie sachent, dans leur bavardage quotidien.Entre ces deux extremes, I'oeuvre de Magritte deploie le jeu desmots et des images. Levisage d'un homme absolument serieux, sansun mouvement des Ievres, sans un plissement des yeux, vole en< eclars > sous l'effet d'un rire qui n'est pas le sien, que nuln'entend, et qui vient de nulle part. Le < soir qui rornbe ne peutpas choir sans briser un carreau dent les fragments, encore potteurs,sur leurs lames aigues, sur leurs flammes de verre, des reflers dusoleil, jonchent le plancher et l'appui de la fenerre : les mots quinomment < chute> la disparicion du solei! Ont entraine, avec

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    1'image qu'ils forment, non seulement la vitre, mais cet autre soleiIqui s'est dessine comme un double sur la surface transparente erlisse. A la rnaniere d'un battant dans une cloche, la clef tient a laverticale < dans le trou de la serrure : elle y fait sonner jusqu'a1'absurde 1'expression familiere. D'ailleurs, ecoutons Magritte:< On peut creer entre les mots et les objets de nouveaux rapports etpreciser quelques caracteres du langage et des objets, generalernentignores dans la vie quotidienne. > Ou encore: < Parfois le nom d'unobjet tient lieu d'une image. Un mot peut prendre la place d'unobjet dans la realite, Une image peut prendre la place d'un motdans une proposition. > Et ceci qui n'ernporte point de contradic-tion, mais se refere a la fois au reseau inextricable des images et desmots, et a l'absence de lieu commun qui puisse les soutenir : < Dansun tableau, les mots sont de la merne substance que les images. Onvoit autrement les images et les mots dans un tableau 1. >Il ne faut pas s'y tromper : dans un espace O U chaque elementsemble obeir au seul principe de la representation plastique et de laressemblance, les signes linguistiques, qui avaient l'air exclus, quirodaienr loin autour de l'image, et que l'arbitraire du titre semblaitpour toujours avoir ecarres, se sont rapproches subrepticement; ilsont introduit dans la plenitude de l'image, dans sa rneticuleuse res-semblance, un desordre - un ordre qui n'appartient qu'a eux.Klee tissait, pour y deposer ses signes plastiques, un espace nou-veau. Magritte laisse regner le vieil espacede la representation, maisen surface seulement, car il n'est plus qu'une pierre lisse, portant des

    figures er des mots: au-dessous, il n'y a rien. C'est la dalle d'unerornbe : les incisions qui dessinent les figures et celles qui ont mar-que les lettres ne communiquent que par Ie vide, par ce non-lieuqui se cache sous la solidite du marbre. Je noterai seulement qu'ilarrive a cetre absence de rernonter jusqu'a sa surface et d'affleurerdans Ie tableau lui-merne : quand Magritte donne sa version deMadame Rlcamier ou du Balcon, il remplace les personnages de lapeinture traditionnelle par des cercueils : le vide contenu invisible-merit entre les planches de chene eire denoue l'espace que compo-saient le volume des corps vivants, Ie deploiernent des robes, ladirection du regard er reus ces visages prets a parler, Ie < non-lieu>surgit < en personne o - a la place des personnes et la O U il n'y aplus personne.

    1. Je cite rous ces texres d 'apres IeMagril le de P. Waldberg, Bruxelles, A. de Rache,1965. Us illustraienr une serie de dessins dans Ie nurnero 12 de la Rt f /o /u lion Jurr ta/is le .

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    LES SEPT SCEAUX DE L' AFFIRMATIONLa vieille equivalence entre similitude et affirmation, KandinskyI'a donc congediee dans un geste souverain, et unique; il a affran-chi la peinture de l'une et de I'autre. Magritte, lui, precede pardissociation: rompre leurs liens, erablir leur inegalite, faire jouerl'une sans l'autre, maintenir celle qui releve de la peinture, etexclure celle qui est la plus proche du discours; poursuivre aussiloin qu'il est possible la continuation indefinie des ressemblances,mais l'alleger de toute affirmation qui entreprendrait de dire aquoi elles ressemblent. Peinture du < Merne >, liberee du < commesi >. Nous sommes au plus loin du rrompe-l'ceil. Celui-ci veutfaire passer la plus lourde charge d'affirmation par la ruse d'uneressemblance qui convainc: < Ce que vous voyez-la, ce n'est pas,sur la surface d'un mur, un assemblage de lignes et de couleurs;c'est une profondeur, un ciel, des nuages qui ont tire le rideau devotre roit, une vraie colonne aurour de laquelle VOllS pourrez tour-ner, un escalier qui prolonge les marches ou vous vous ttouvezengage (et deja vous faites un pas vers lui, malgre vous), unebalustrade de pierre par-dessus laquelle voici que se penchent pourvous voir les visages attentifs des courtisans et des dames, quiportent, avec les memes rubans, les memes costumes que vous, quisourient a votre etonnement er avos sourires, faisant dans votredirection des signes qui vous sont mysterieux pour la seule raisonqu'ils ont deja repondu sans attendre a ceux que vous allez leurfaire. >A tant d'affirrnations, appuyees sur rant d'analogies, s'oppose Ietexte de Magritte qui parle tout pres de la pipe la plus ressern-blante. Mais qui parle, en ce texte unique ou la plus elementairedes affirmations se trouve conjuree? La pipe elle-rneme, d'abord :< Ce que vous voyez ici, ces lignes que je forme ou qui me fo~-ment, tout cela n'est point ce que vous croyez sans doute ; matsseulernent un dessin, tandis que la vraie pipe, reposant en sonessence bien au-dela de tout geste artificieux, flottant dans l'ele-ment de sa verite ideale, est au-dessus - tenez, juste au-dessus dece tableau ou je ne suis, moi, qu'une simple et solitaire ressern-blance. > A quoi la pipe d'en haut repond (roujours dans le merneenonce) : < Ce que vous voyez flotter devant vos yeux, hors de toutespace, et de tout socle fixe, certe brume qui ne repose ni sur unetoile ni sur une page, comment serait-elle reellement une pipe? Nevous y trornpez pas, je ne suis qu'une similitude - non pas quel-que chose de semblable a une pipe, mais certe ressemblance nua-geuse qui, sans renvoyer a rien, parcourt et fait communiquer des

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    textes comme celui que vous pouvez lire et des dessins commecelui qui est la, en bas. > Mais l'enonce, ainsi articule deux foisdeja par des voix differences,prend a son tour la parole pour parlerde lui-rneme : < Ces lettres qui me composent er dont vous atten-dez au moment OUvous entreprenez de les lire d'y voir nommer lapipe, ces lettres, comment oseraient-elles dire qu' elles SOnt unepipe, elles qui sont si loin de ce qu'elles nomment? Ceci est ungraphisme qui ne ressemble qu'a soi et ne saurait valoir pour cedonr il parle. > Il y a plus encore: ces voix se rnelenr deux a deuxpour dire, parlant du troisierne element, que < ceci n'est pas unepipe >. Lies par le cadre du tableau qui les enroure tous deux, letexte et la pipe d'en bas enrrenr en cornplicite : Ie pouvoir de desi-gnation des mots, Ie pouvoir d'illusrrarion du dessin denoncent lapipe d'en haut, et refusent a cette apparition sans repere Ie droit dese dire une pipe, car son existence sans attache la rend muette erinvisible. Liees par leur similitude reciproque, les deux pipescontestent a l'enonce ecrit Ie droit de se dire une pipe, lui qui estfait de signes sans ressemblance avec ce qu'ils designent. Lies parle fait qu'ils viennent I'un er l'aurre d'ailleurs, er que I'un est undiscours susceptible de dire la verite, que l'autre est comme1'apparition d'une chose en soi, le texte et la pipe d'en haut seconjuguent pour formuler l'asserrion que la pipe du tableau n'estpas une pipe. Et peut-etre faut-il supposer qu'outre ces trois ele-ments, une voix sans lieu parle dans cet enonce, er qu'une mainsans forme l'a ecrit ; ce serait en pariant a la fois de la pipe dutableau, de la pipe qui surgit au-dessus, et du texte qu'il est entrain d'ecrire, que cet anonyme disait : < Rien de tout cela n'estune pipe; mais un texre qui ressemble a un texte ; un dessin d'unepipe qui ressemble a un dessin d'une pipe; une pipe (dessineecomme n'etant pas un dessin) qui ressemble a une pipe (dessinee ala rnaniere d'une pipe qui ne serait pas elle-rneme un dessin). >Sept discours dans un seul enonce. Mais il n'en fallait pas moinspour abattre la forteresse ou la ressemblance etait prisonniere deraffirmation.Desormais, la similitude est renvoyee a elle-meme - depliee apartir de soi er repliee sur soi. Eile n'est plus 1'index qui traverse ala perpendiculaire la surface de la toile pour renvoyer a autrechose. Eile inaugure un jeu d'analogies qui courent, proliferent, sepropagent, se repondent dans le plan du tableau, sans rien affirmerni representer. De la, chez Magritte, ces jeux infinis de la simili-tude purifiee qui ne deborde jamais a l'exrerieur du tableau. Ilsfondent des metamorphoses: mais dans quel sens? Est-ce la plante

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    done les feuilles s'envolent et deviennent oiseaux, ou les oiseauxqui se noient, se boranisent Ienternent, et s'enfo~cent en terre dansune derniere palpitation de verdure tLes Gra ce s n a tu re ll es ~ LaS ave ur d es la rm e s)? Est-ce la femme qui < prend de la bouteille >ou la bouteille qui se feminise en se faisant < corps nu > (ici secomposent une perturbation des elem~nts ~lastiques d~e a l.'inser-tion latente de signes verbaux er le Jeu d une ~~ogle qUl, ~ansrien affirmer, passe cependant, et deux fois, par I'insrance ludiquede l'enonce)? Au lieu de melanger les identires, il arrive que l'ana-logie air Ie pouvoir de les briser : un.,tronc de fe~me est sectionneen trois elements (de grandeur reguherement croissante de ha~t enbas); les proportions conservees a chaque rupture g~ant1ssentl'analogie en suspendant route affirmation d'idenrite : trOl.spropor~tionnelles a qui manque precisernenr la quatrieme ; mars ce.lle-Clest incalculable: la tete (dernier element = x) manque: Poli e d esgrandeurs , dit Ie titre. . . .Autre rnaniere pour l'analogie de se liberer de sa vieille cornpli-cite avec l'affirrnarion representative: meier perfidernent (et parune ruse qui semble indiquer Ie contraire de ce qu'elle ,veut ,dire)un tableau et ce qu'il doir representer. En apparence, c est la unemaniere d'affirmer que Ie tableau est bien son propre modele. Enfait, une pareille affirmation impliquerait distance. i~te~ieure, unecart, une difference entre la roile et ce qu' elle doit ImIter;. c~e~Magritte, au contraire, il y a, du tableau au m?dele, C?ntlOUltedans Ie plan, passage lineaire, debordement contmu de I un dansI'autre : soit par un glissement de gauche a droire (c~mme dans LaCon di ti on b uma in e OUla ligne de la mer se poursuit sans rupturede l'horizon a la toile); soit par inversion des eloignements(comme dans La Cascade , ou Ie modele avance sur la toile" l'enve~loppe par les cotes, er la fait paraitre en recul par rap~ort a.ceoqUIdevrait etre au-dela d'elle). A l'mverse de cerre analogie qUl rue larepresentation en effacant dualite er distance, i~,y a cell,e aucontraire qui I'esquive ou s'en moque grace aux pIeg~s du dedou-blement. Dans L e soir q ui to m be , la vitre porte un soleiI rouge ana-logue a celui qui demeure accroche au ciel .(voila ~ontre Descarteset la rnaniere dont il resolvait les deux soleils de I apparence dansl'unite de la representation); c'est Ie contraire dan~ La Lune t ted 'approche: sur la transparence d'une :itr:, on ~?1t passer desnuages et scintiller une mer bleue; mats ~entr~batilement d~ lafenetre sur un espace noir montre que ce nest la le reflet de nen.

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    PEINDRE N'EST PAS AFFIRMERSeparation rigoureuse entre signes linguistiques et elements plas-tiques; equivalence de la similitude et de I'affirmation. Ces deuxprincipes constituaient la tension de la peinture c1assique: car lesecond reintroduisair le discours (il n'y a d'affirmation que la ou onparle) dans une peinture d'ou l'elernenr Iinguistique etait soigneuse-ment exc1u.De la, le fait que la peinture c1assiqueparlait - et par-lait beaucoup - tout en se constituant hors langage; de la, le faitqu' elle reposait silencieusement sur un espacediscursif; de la, le faitqu'elle se donnait, au-dessous d'elle-merne, une sorte de lieucommun ou elle pouvait restaurer les rapports de l'image et dessignes.Magritte noue les signes verbaux er les elements plastiques, maissans se donner le prealable d'une isotopie ; il esquive Ie fond de dis-cours affirmatif sur lequel reposait ttanquillement la ressemblance;et il fait jouer de pures similitudes er des enonces verbaux non affir-matifs dans I'instabilite d'un volume sans repere et d'un espacesansplan. Operation donr C ec i n 'e st p as u ne p ip e donne en quelque sortele formulaire.1) Pratiquer un calligramme ou se trouvent simultanernent pre-sents et visibles l'image, le texte, la ressemblance, l'affirmation etleur lieu commun.2) Puis ouvrir d'un coup, de maniere que le calligramme sedecompose aussitor et disparaisse, ne laissant comme trace que sonpropre vide.3) Laisser Ie discours tornber selon sa propre pesanteur et acque-rir la forme visible des letttes. Letttes qui, dans la mesure ou ellesSOnt dessinees, entrent dans un rapport incertain, indefini, encheve-tre avec le dessin lui-rneme - mais sans qu'aucune surface puisseleur servir de lieu commun.4) Laisser d'un autre C