guignebert. l'évolution des dogmes. 1910

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    University of Ottawa

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    L'volution des Dogmes

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    Bibliothque de Philosophie scientifique

    CHARLES GUIGNEBERTCHARG DE COURS d'hISTOIRE ANCIENNE DU CHRISTIANISMKA LA FACULT DES LETTRES DE PARIS.

    L'volutiondes Dogmes

    PARISERNEST FLAMMARION, DITEUR

    26, RUE RACINE, 261910

    Droils_ile traduction et de reproduction rservs pour tous les pays,y compris la Sude et la Norvge.

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    JUN 15 19nDroits de traduction et de reproduction rservspour tous les pays.

    Copyright 1910,by Ernest Flammarion.

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    L'volution des Dogmes

    INTRODUCTION

    Dans les pages qui suivent, je me propose d'tablirqu'un dogme est un organisme vivant, qu'il nat, sedveloppe, se transforme, vieillit et meurt; que la'viel'entrane, sans qu'il puisse jamais s'arrter, qu'ellele fuit, quand le nombre de ses jours est rempli, sansqu'il puisse la retenir.Toutes les religions dites rvles avancent la pr-tention, d'ailleurs naturelle et logique, d'enfermerune fois pour toutes, leur credo dans une formule'ou dans une srie de formules, appuyes d'ordinairesur des textes sacrs et divinement garanties commeeux-mmes; en ces formules rside, pour ainsi dire,la plus pure essence de la rvlation; il faudrait doncqu'elles demeurassent immobiles. Et cependant, lesconsidrer historiquement, il est visible qu'aucuned'entre elles n'chappe. la loi d'volution; si on laregarde deux moments quelque peu distants de ladure, aucune ne parat semblable elle-mme, sou-vent quant la forme et toujours quant au fonds, jeveux dire quant la reprsentation qu'elle veilledans la conscience religieuse des hommes. Le dogme

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    2 l'volution des dogmesdborde fatalement le symbole de foi, par cela seulqu'il s'efforce d'instinct de se mettre d'accord avecl'ambiance intellectuelle et morale o il lui faut vivre ; son tour, le sentiment religieux dborde le dogmeet ni les formules consacres, ni les textes o lesfidles croient entendre la parole de Dieu ne se mon-trent capables de le fixer jamais; il vit donc, il pro-gresse; s'il s'arrtait un jour, phnomne aussi incon-cevable que la cristallisation de la pense humaine,il cesserait d'tre. Pour le dogme aussi, comme pourtout organisme vivant, l'immobilit c'est la mort, etil subit la ncessit de s'adapter aux milieux ditTrentso l'entrane l'incessante transformation des socitshumaines. Il y a donc une espce de transformismedogmatique, comme il y a un transformisme animalet, partir du moment o le dogme tombe dans unmilieu avec lequel il ne prsente aucune affinit, unmilieu o ses facults d'adaptation se trouvent im-puissantes rduire l'antinomie qui oppose sespropres postulats ceux sur lesquels s'appuie la vieintellectuelle de l'ambiance nouvelle, o le sens com-mun, tabli en dehors de lui, le repousse, alors, ils'immobilise; il peut se donner un instant famreconsolation de faire front seul contre tout; suprme etinutile redressement : la mort est en lui. Peu importele temps qu'il faudra pour que les dernires apparencesde la vie se retirent de son corps inanim; peu im-porte l'heure o s'teindra le dernier homme (jui pui-sait en lui ses encouragements, ses consolations etses espoirs; l'uvre de ruine est ds lors virtuelle-ment accomplie.

    Il est rare, d'ailleurs, qu'un dogme meure seul; ilprend habituellement place dans un ensemble de

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    INTRODtCTION ' 3croyances, dont les diverses parties sont solidaires;sa chute dtermine d'ordinaire un vaste croulement,voire mme parfois l'elTondrement de toute une reli-gion. Mais les croyances dissocies et brises ne re-tournent pas toutes au nant; la pense humaine, quiles a cres, ne se dtache pas entirement d'elles;elle les reprend bientt, les modifie plus ou moins,les groupe dans un ordre nouveau et les fait entrerdans une autre construction religieuse. Il peut arriverque celles-l mmes qui semblent ddaignes et dfi-nitivement oublies, trouvent un jour leur revanche.De leur patrimoine religieux, les hommes tirent desfruits diffrents de gnration en gnration ; ils nel'exploitent pas toujours suivant les mmes mthodes,mais ils n'en reculent gure les limites et n'en chan-gent pas le fonds. Les religions dites rvles, et mmela plupart des autres, qui ont t successivement, etdans des pays diffrents, matresses de l'esprit hu-main, prsentent, sous la varit de leurs aspects,des ressemblances fondamentales, souvent videnteset dont un peu de rflexion augmente le nombre. Cen'est pas, au reste, tout le dogme dfunt qui renatsous une forme nouvelle: s'il comportait des affirma-tions antipathiques aux principes durables de lascience du temps o il prit, ou de la philosophiequi s'appuie sur elle et en exprime les ides gn-rales, ces affirmations-l meurent dfinitivement. Ilen va de mme de l'arrangement des divers dogmesdans l'ensemble de la foi prime, du rapport qui lesunissait entre eux et qui donnait la religion qu'ilsformulaient sa physionomie particulire.

    Toutes les religions dogmatiques et toutes lesreligions sont plus ou moins dogmatiques offrent

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    4 L EVOLUTION DES DOGMESdes exemples de l'volution que j'ai dessein de dcrire;pourtant c'est surtout autour de la religion chr-tienne que tournera notre enqute; j'en dois donnerles raisons. Je me faisais tout d'abord scrupule, jel'avoue, non pas d'tudier, avec toute l'indpendanced'esprit ncessaire, des dogmes que beaucoup de noscontemporains croient encore vivants, mais seule-ment de scandaliser d'honntes gens, en choquantleurs trs respectables convictions. La science, siprudent que demeure celui qui la manie, et si dsi-reux qu'il soit de n'en blesser personne, ne se meutpas, si j'ose ainsi dire, dans le plan de la foi, maisdans celui des faits, et ses conclusions, si mesureque reste la forme qu'on leur donne, comportent tou-jours une espce de brutalit que leur imposent lesfaits eux-mmes. Toutefois, la rflexion, j'ai crupouvoir ne pas me laisser arrter par un inconvnient,en dfinitive, secondaire : quiconque met une opinionquelconque risque de choquer ceux qui ne la parta-gent pas et ce n'est pas une raison pour qu'il se taise,s'il croit tenir la vrit ; si, d'autre part, une convic-tion peut ne pas supporter volontiers l'affirmationdune conviction contraire et rivale, elle me paratmal recevable s'offenser de l'nonc d'un fait,que le critique n'a pas invent, qu'il ne dpend pas delui de taire ou d'attnuer, qui se prsente avec uneparfaite objectivit, qu'on peut vrifier, mesurer,peser tout loisir et avec lequel, s'il est bien tabli,la foi n'a plus, en dernire analyse,qu' chercher unaccommodement. J'ai cru aussi qu'une fois cartela mauvaise impression que je pourrais donner quelque lecteur, mal habitu sortir de sa cons-cience religieuse pour en examiner les postulats et

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    INTRODUCTION Oconsidrer comme elle est la ralit de l'histoire, uneinsistance particulire sur la dogmatique chrtienneoffrait, touchant la conduite de mon dessein. de=avantages dcisifs.

    D'abord c'est la plus connue de la moyenne deshommes instruits; ce n'est pas dire qu'elle leur soitd'ordinaire trs familire, mais, enfin, elle est poureux beaucoup moins mystrieuse que les doctrinesdu bouddhisme ou celles de l'islam.

    Elle prsente, en second lieu, pour les lecteursauxquels ce livre s'adresse, un intrt immdiat,puisqu'ils baignent dans une atmosphre intellec-tuelle et morale toute sature de son influence; etqu' son sujet se droulent, sous leurs yeux, des d-bats, dont il ne faut sans doute pas exagrer l'impor-tance gnrale, mais qui, pourtant, tiennent leur placedans la vie contemporaine ; par exemple, au sein ducatholicisme, le conflit du romanisme et du moder-nisme.

    Il est aussi essentiel d'affirmer qu'aux yeux del'historien du dehors, j'entends de celui qui ne s'at-tache qu' la vrit des faits et ne sert les intrtsd'aucune confession, celte dogmatique chrtienne nefait pomt exception parmi celles des autres religions;qu'elle ne jouit, par rapport elles, d'aucun autre pri-vilge que de diriger encore la vie religieuse de beau-coup de nos contemporains; qu'elle est ne commeles autres; qu'elle a connu des accidents semblables;qu'elle s'est dveloppe et qu'elle s'puise sous l'in-fluence de causes analogues.

    Enfin, si le naturaliste trouve plus d'intrt l'tuded'un organisme compliqu et dlicat dans sa structureet son dveloppement qu' celle d'un tre rudimen-1.

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    6 L EVOLUTION DES DOGMEStaire, l'historien rencontre dans la dogmatique duchristianisme une ampleur mtaphysique, une subti-lit doctrinale, une complication thologique, qui,jointes la longueur de sa vie et aux pripties deson histoire, oiTrent, plus que dans aucune autrereligion rvle, des ressources nombreuses et varies l'exprience critique. .

    Je prendrai donc pour centre de mon dveloppe-ment la foi chrtienne et en elle, plus particulire-ment, la formule doctrinale du catholicisme, parceque c'est celle dont l'volution a suivi, depuis lestemps apostoliques, la marche la plus rgulire;parce que c'est la plus nette, en mme temps que laplus complexe; parce que c'est aussi celle dont lesaffirmations semblent aujourd'hui le plus difficile-ment conciliables avec l'esprit moderne; celle, parconsquent, dont l'examen doit nous apporter les plusprcieux enseignements. Toutefois, je ne me borneraipas elle, ni mme au christianisme en gnral; jepuiserai dans d'autres religions les exemples et lescomparaisons capables de nous faire mieux comprendreles phnomnes par lesquels se manifestent les loisqui dterminent et dirigent l'volution des dogmes.

    Je me suis volontairement interdit l'appareil et leton de lrudilion et j'ai, de mme, soigneusementvit la discussion des thses dogmatiques que j'ex-posais; je n'avais faire ni l'histoire ni la critiquedes dogmes d'aucune foi et j'aurai entirement atteintmon but si, dans une sorte de conversation crite,trs simple et trs modeste, j'ai russi prsenterclairement quelques remarques exactes touchant leurnature et leur vie.Un mot encore, pour expliquer le plan que j"ai

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    INTRODUCTION 7adopt. Dans une premire partie, intitule La naturedu dogme, j'ai examin la dfinition que les ortho-doxies donnent de lui, et j'ai tudi les diverses justi-fications qu'elles produisent pour le faire accepteravec cp caractre d'autorit indiscutable qu'elles luiprtent toutes; j'ai cherch surtout montrer que,considre du seul point de vue historique, aucunedes garanties qu'elles avancent de son immuabilitne peut inspirer confiance. Dans une seconde partie,La vie du dogme, je me suis efforc d'expliquer lescirconstances et les causes qui dterminent la nais-sance, le progrs, la dcadence et la mort d'undogme. Je ne me dissimule pas que cette dispositionm'a fait tomber dans plusieurs redites. Je n'ai pascherch les viter, parce qu'il m'a paru que le re-tour de la mme ide ou du mme exemple pouvaitprsenter, en l'espce, plus d'avantages que d'incon-vnients, que mieux valait concentrer l'attention dulecteur sur quelques faits bien tudis et probantsque de la trop disperser. Lui-mme jugera si je mesuis tromp (i).

    Septembre 1909.

    1 Je rappelle le titre de quelques ouvrages essentiels pourl'tude de l'iiistoire des dogmes et particulirement des dogmeschrtiens : Chaxtepie de la Saussaye, Manuel d'histoire desreligions, traduction franaise de H. Hubert et I. L\-y, Paris,1904, in-S"; S. Reixach, Orpheus, Paris, 1909, qui donnenttous les renseignements bibliographiques utiles; A. Harnack,Lehrbuch der Dor/mengeschichie, 3^ dit., Fribourg et Leipsig,1894 et ss., 3 vol. in-S, une 4"^ dit. est en cours de publi-cation; LooFS, Leitfaden zum Studium der Dogmenges-chichfe, 4 dit., Halle, 1906, in-S"; Fisher, Uistory of Chris-tian Doctrine, Edimbourg, 1902, in-S; TuRMEL, Histoire de lathologie positive, Paris, s. d., 2 vol. in-S.

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    PREMIERE PARTIELA NATURE DU DOGME

    CHAPITRE PREMIERLe dogme.

    I. La question Qu est-ce qu'un dogme? pose par M. Le Roy;elle nous jette au plein de notre sujet.

    li. Origine et sens premier du mot dogme. Les dogmesde la puissance publique. Les dogmes de la Loi juive. Les dogmes des philosophes.m. Origines de la notion de dogme chez les chrtiens. Les prceptes du Seigneur et ceux des Aptres. Rencontrede la foi chrtienne et de la philosophie grecque. Sonimportance touchant la notion chrtienne de dogme. Leprincipe de l'autorit dogmatique dans le christianisme;l'glise enseignante.

    IV. Caractres essentiels du dogme ; rvlation, autorit,immutabilit.

    V. Les diverses espces de dogmes. Affirmations fonda-mentales et affirmations particulires de chaque religion. Celles qui voluent le plus nettement.

    I

    Il y a quelques annes (16 avril 1905), un notablephilosophe catholique, M. Edouard Le Roy, publiaitdans la Quinzaine, revue aujourd'hui dfunte, un

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    10 l'volution des dogmesarticle intitul Qu'est-ce qu'un dogme? et qui fit un beautapage. L'auteur entendait poser une question auxthologiens romains et. par la mme occasion, il ris-quait, sur la nature et l'interprtation des dogmes,quelques considrations personnelles : il les croyaitpropres rapprocher de la foi catholique les hommesqui ne parviennent plus l'accorder avec leursconnaissances et leurs rflexions. Thologiens srieuxet bachi-bouzouks de l'cole, voire simples journa-listes et grimauds des lettres catholiques, saisirent laplume l'envi et rpondirent de bonne encre l'imprudent. Quelques-uns voulurent bien condes-cendre discuter avec lui, ou clairer son aveugle-ment; plusieurs se contentrent de l'injurier, procdd'emploi toujours facile et, dans un certain milieu,toujours profitable; la plupart jugrent ds l'abordsa question saugrenue, attendu que tout catholique,tout chrtien, tout le monde savait ou devait savoirparfaitement ce qu'il convenait d'entendre par undogme. M. Le Roy ne se tint pas pour battu; ilrpliqua aux critiques et mprisa les injures, avecvigueur et souvent avec lgance, de sorte qu'un livrede poids respectable sortit du dbat (i).

    Il en sortit aussi une vidence que divers autrestravaux, plus ou moins inspirs de proccupationset de scrupules analogues ceux de M. Le Roy,ont galement mis en lumire (2), c'est savoir queles dogmes de l'orthodoxie catholique, considrsdans la forme dont les revt encore l'enseigne-ment officiel de l'glise romaine, n'offent plus un

    (1) Dojmc et Critique, Paris, 1907.(2) LoisY, Autour d'un petit livre, Paris, 1903; Rif.\ux, Lescoiidilionfi du retour au catholicisme, Pai'is, IftOT.

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    12 L EVOLUTION DES DOGMESde la lettre devant l'esprit. Ainsi, aujourd'hui mme,et sous nos yeux, se dveloppe un pisode caract-ristique de ce conflit ternel entre la formule immo-bile et la foi toujours en marche, dans lequel semanifeste clairement la vie du dogme.En fait, M. Le Roy avait raison de poser aux doc-teurs officiels une question qui revenait dire : ceque vous nous enseignez comme un dogme ne trouveplus sa place dans notre esprit, rendu inapte, par lascience et la philosophie modernes, saisir lesconceptions de l'antiquit et du Moyen Age ; nousnous rendons bien compte que saint Augustin etsaint Thomas d'Aquin taient, en leur temps, despenseurs vastes et profonds, mais leurs raisonne-ments, sur les vrits essentielles de la foi chr-tienne, n'veillent plus en nous que de la curiosit etdu respect ; ils ne peuvent plus nous toucher, ninous convaincre; nous n'avons plus pour eux qu'uneadmiration littraire et archologique: nous pensons,nous sentons, nous voyons autrement qu'eux et noussavons bien davantage. Dj, nous l'avons appris, lesecond de ces thologiens de gnie, dont si souventles noms reviennent sur vos lvres, comme ceuxd'autorits invincibles, n'entrait rellement plus dansles formes d'esprit du premier; pourquoi donc nousserait-il plus ais de nous enfermer dans les siennes?Un dogme doit tre autre chose qu'une formulearrte dans un concile du iv* sicle, ou avance parun moine du xiii*^ sicle; autre chose, qui n'a pasencore t dfini; dites-nous quoi. Ou, plus exacte-ment, la dfinition de la vrit dogmatique estdemeure jusqu'ici imparfaite et incomplte; faitesun nouveau pas . vers son intangible perfection ;

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    LE. DOGME 13haussez-vous d'un degr vers son tout inaccessibleet enfermez ce que vous en aurez saisi dans desformes de langage qui nous soient intelligibles, quenous puissions confronter, sans consternation, avecles donnes de notre science et de noire philosophie.En droit, cependant, M. Le Roy avait tort :d'abord parce que lui, simple laque, se mlait dece qui ne le regardait pas, en donnant aux autoritscomptentes un conseil trs prcis, sous couleur derclamer une consultation, et mme un peu plusqu'un conseil, un projet de solution des principalesdifficults ; en second lieu, parce qu'il demandaitune dfinition qui n'est pas construire : elle existe;il ne pouvait pas l'ignorer et elle est, en soi, irrfor-mable. Aussi bien tait-il visible que sa questioninsidieuse ne partait pas de l'ignorance du prsent,mais du dsir de l'avenir, et, au point de vue romain,ce dsir semble, par nature, tout gros d'hrsie.Laissons de ct un pisode que nous n'avons rap-pel que pour montrer ds l'abord, dans la ralitconcrte d'aujourd'hui, le dbat fatal de l'tre etdu devenir dogmatique et essayons d'entendre cemot de dogme comme il convient, selon l'espritde toutes les orthodoxies.

    II

    Il est d'origine grecque; on suppose qu'il faut lerapprocher de dokei et de dedoktai, qui signifient ilparait juste, il est arrt et se plaaient souvent entte des dcrets de la puissance publique. Dans lalangue classique, il exprime dj lui-mme l'ide d'un

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    14 L EVOLUTIOX DES DOGMESprcepte pos, d'une dcision arrte par une autoritcomptente et qui entrane opinion. Sous l'Empireromain, les snatus-consultes portaient, dans les paysde langue grecque, le nom de dogmes {dogmata).Ainsi lorsque le IIP vangliste (Zkc, 2^) veut nousdire qu'Auguste prescrit un recensement universel,il crit : Il arriva un dogma de Csar Auguste. Entendons un dit parti de la puissance souveraine.De mme, lorsque les Juifs de Thessalonique accusentsaint Paul et ceux qui l'coutent, de. dsobir auxordres impriaux, c'est encore le mot dogmata qu'ilsemploient {Actes, iV).Comme il tait naturel, les Juifs hellnisants, ceuxqui, vivant en terre grecque, parlaient habituellementle grec, dsignaient par ce terme, charg d'autorit,les prceptes inviolables de la Loi de Mose. Quandsaint Paul dans son EpHre aux Fphsiens {2^''i,annonce que le Christ a renvers les barrires qidivisaient les hommes en deux peuples, les Juifset les Gentils, il proclame que par sa chair . c'est--dire par sa mort, le Seigneur a voulu abolir laLoi des prceptes qui sont les dogmes , c'est--dire l'obligation des prescriptions rituelles imp-ratives. Aussi bien lorsque les chrtiens commenc-rent tablir les assises de la Loi Nouvelle en facede l'difice inhabitable de l'Ancienne, ils adoptrent leur tour le terme qui disait bien tout ce qu'ils vou-laient qu'exprimassent les sentences du Matre et deses Aptres. C'est ainsi que l'auteur des Actes desAptres nous rapporte (16^) que, partout o ils pas-saient, saint Paul et ses compagnons confiaient leursfidles la garde des dogmes tablis par les Aptreset les anciens de Jrusalem. Et saint Ignace, vque

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    LE JDOGME 15d'Antioche an commencement du ii'' sicle, crit,dans le mme sens, aux Magnsiens (13*) : Appli-quez-vous donc conserver fermement les dofjmesdu Seigneur et des Aptres.

    Il est trop vident que si, dans ces divers passa-ges, le mot dogme veut dire prcepte, avec unenuance trs marque d'autorit, il ne nous fait pointsortir du domaine du fait; les prescriptions qu'ildsigne sont uniquement matrielles ou morales;matrielles, surtout dans la Loi juive, qui, en vieil-lissant, multipliait les rites et les prcautions contrel'impuret ; morales, surtout dans la Loi Nouvelle,qui est une rgle de vie pratique en vue du salut,c'est--dire en vue de l'acquisition dune place dansle Royaume de Dieu. Aucune notion mtaphysique nese glisse encore, proprement parler, sous les formulestrs simples de ces dogmes-l: ne travaillez pas lejour du Sabbat ; vitez la frquentation des pcheurs ;purifiez-vous, dans les formes prescrites, de toutesles impurets dont la liste suit, si vous n'avez pas sules viter ; accomplissez tel rite tel moment ; ou bien :aimez-vous les uns les autres ; prparez-vous, par lesincre repentir, par la transformation de tout votretre moral, au grand jour prochain; faites-vous dansle ciel un trsor de bonnes uvres que la rouillene mange pas et que n'atteignent pas les voleurs ;ayez foi, c'est--dire ayez confiance en Dieu votrePre, et en Jsus, son Messie (en grec son Clmst

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    16 l'volltiox des dogmesPourtant, dans les coles philosophiques du paga-

    nisme, le mme mot signifiait dj quelque chose deplus compliqu. On y appelait dogmes les formules, peu prs immuables, dans lesquelles se fixaient lesdoctrines fondamentales de chaque systme. Clmentd'Alexandrie, docteur chrtien, qui vcut au dbut duiii^ sicle, dans un milieu tout pntr de philosophiegrecque, connatbiences dogmesdes philosophes (i),qui sont les postulats et les conclusions de chacundes grands systmes de la spculation hellnique.On disait, en effet, couramment, vers le dbut de l'rechrtienne, les dogmes de Pylhagore , ou lesdogmes de Platon , pour faire entendre la doctrineparticulire de l'un ou de l'autre. Et il ne s'agissaitplus uniquement de prceptes pratiques, lesquels, endfinitive, ne tenaient qu'une place secondaire dansles proccupations des penseurs grecs, sans en excep-ter Pythagore; en parlant ici de dogmes, on songeait des affirmations mtaphysiques, qui n'exigeaientpas seulement, de ceux qui les acceptaient, la foi-confiance, mais encore et surtout la foi-croyance.Entendons-nous : le consentement que les philo-

    sophes imposaient l'esprit de leurs disciples, la foiqu'ils rclamaient d'eux, ils les voulaient raisonnableset raisonnes; je veux dire acquis par la raison etaffermis par elle. Clment d'Alexandrie lui-mme,encore que chrtien, est assez pntr des procdsphilosophiques pour dfinir le dogme une certaineperception logique ('-^, c'est--dire une notion quel'esprit atteint par la raison, ou mieux par le raison-nement. Il se peut bien et, en fait, il se trouve que

    (1) Sfromales, I, 91, 101.(2) Strom., VIII, 16 ; Syfxa ,r,'];[ ti; /.oyty.ri.

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    LE DOGME 17nous ne jugions pas tous acceptables, du point de vuede notre raison actuelle, les postulats d'un Pylhagoreou d'un Platon; qu'il se montre dans la constructionde leurs systmes une part d' priori tout fait sub-jectif et proprement en l'air, que l'ensemble mmede l'difice ne nous paraisse pas trs solide ; on enpeut aisment convenir; il n'en demeure pas moinsvrai que l'intention premire de ceux qui l'ont levtait de le construire avec le secours de la seuleraison. Et nous n'avons pas nous tonner qu'uneffort pour expliquer le monde et la vie, une tenta-tive pour fixer les directions de l'activit intelligentede l'homme moral, domins ncessairement par lesdonnes et les mthodes d'une science aujourd'huiprime, par les influences d'une ambiance disparue,ne rpondent plus aux exigences d'une raison, lantre, forme dans un autre milieu et par d'autrescomposantes.Dans la pratique, cependant, les dogmes des philo-

    sophes, vers l'poque o le christianisme s'est dfi-nitivement constitu et s'est implant dans le mondeantique, au temps de Clment d'Alexandrie, par exem-ple, avaient quelque peu chang de caractre. Laparole du iMaitre tait cense justifier les affirma-tions prliminaires de la doctrine et dispensait lesdisciples de beaucoup de rflexions personnelles. // adit, telle tait la formule qui, videmment, suffisait^dans un grand nombre de cas, poser des esp-ces d'axiomes, qu'on acceptait parce que garantispar Lui. On sous-entendait naturellement qu'il avaitfait les raisonnements indispensables et procd toutes les vrifications ncessaires; il semblait doncinutile de les recommencer. Les docteurs chrtiens

    2.

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    18 L EVOLUTION DES DOGMESreprochaient vivement leurs rivaux de la philo-sophie profane cette confiance qu'ils jugeaient supers-titieuse ; il est certain qu'elle tendait transformergravement la notion premire du dogme philoso-phique et limiter l'exercice de la raison des disci-ples l'claircissement, la justification, au com-mentaire et l'application d'un certain nombred'arguments d'autorit, pratiquement invrifs." Aumoins restaient-ils en soi vrifiables; il pouvait sem-bler inconvenant et prsomptueux, mais il n'taitdfendu personne de suivre pour son compte toutela voie inaugure par le Matre d'autrefois et de repas-ser par toutes les tapes de sa pense fconde (*).

    III

    Selon notre jugement, il y a de quoi s'tonner devoir les chrtiens reprocher aux philosophes de fonderleurs dogmes sur l'autorit d'un matre et de les rev-tir, par un vritable acte de foi, d'une puissancequ'on pouvait dire religieuse; car enfin, eux aussi,aprs avoir emprunt au langage courant et celuides coles le mot dogme lui-mme, ont vite runi enlui les deux sens de prcepte issu de l'autoritcomptente et de rgle de foi indiscutable, garantiepar la parole du Matre. Ds le temps o saint Paulprchait aux gentils de bonne volont, autour dessynagogues rpandues dans le monde grec et o saintPierre, avec les autres Aptres galilens, cherchait

    (1) Los no-platonicions leront bien appel une rvlation,niais, en leur temps, lonte philosopiiie est pntre de mysti-cisme et la leur devient uni; vritable reliaion.

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    LE DOGAIE 19faire partager aux Juifs la confiance qui l'animaitdans la mission du Crucifi, il tait entendu qu'on nediscutait pas les prceptes du Seigneur, qu'on n'endmontrait mme pas l'excellence; il suffisait de lesnoncer, puisqu'en Lui rsidait toute autorit, de parDieu le Pre. A mesure que grandit la personne deJsus dans la conscience chrtienne et qu'elle se rap-procha de Dieu, jusqu'au jour oij elle se confonditavec lui, ses (/o(/?yia^a, j'entends toujours fes prceptespratiques de salut qu'on lui rapportait, s'envelopprentd'une autorit, s'il tait possible, de plus en plusindiscutable. Il semblait aussi dans la logique deschoses que ceux qui l'avaient connu durant sa vie,qui avaient de ses lvres recueilli les paroles salu-taires, qui restaient les tmoins de ses miracles et desa rsurrection, fussent considrs, aprs sa mort,comme parfaitement qualifis pour reprsenter, eten quelque sorte incarner, son autorit. Xe faisaient-ilspas que rpter ce qu'il avait dit? Ne prolongeaient-ilspas son enseignement parmi les hommes? Ne prpa-raienl-ils pas, pour tout l'avenir, la tradition rgu-lire de sa volont, de gnration en gnration?A y bien regarder, entre les fondements de l'argu-ment chrtien d'autorit apostolique, ainsi tabli etjustifi, et la tendance des coles philosophiques dupaganisme jurare in verba magistri, on ne voitgure qu'une question de degr ; mais, aux yeux desfidles de Jsus, une dilTrence fondamentale excluaitjusqu' la possibilit d'une comparaison entre eux etles philosophes du dehors, et plaait leur propre ar-gument d'autorit hors des atteintes de la chicanehumaine : les matres divers et diviss qu'invoquaientles sages du sicle ne pouvaient tre raisonnablement

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    20 L EVOLUTION DES DOGMESrapprochs du Matre divin ; ils n'avaient dispos quedes ressources d'une intelligence plus vaste, deslumires d'une raison plus solide que celle deshommes du commun, mais qui participaient tout demme et ncessairement de l'infirmit commune tous les fils d'Adam. Lui, au contraire, avait puisson autorit en Dieu, auquel personne ne songe demander des comptes ; ses dogmata empruntaient leur source le privilge de l'infaillibilit; descendusvritablement du Pre, ils s'offraient aux hommescomme les fruits prcieux d'une rvlation, de mmeque les prceptes de la Loi Ancienne, autrefois ap-ports aux Juifs par Mose, messager de l'Eternel, etpar les prophtes, emplis de l'Esprit saint. Il suffisaitdonc, en dfinitive, de croire l'authenticit deslivres de Mose, la ralit de ses entreliens avecJahveh et celle de l'inspiration des prophtes, ajou-tons, s'il s'agit d'un chrtien des premiers temps, dereconnatre en Jsus le Messie promis Isral, pouraccepter comme indiscutables des prescriptions quela raison n'aurait pas toujours dcouvertes touteseule, qui, parfois mme, surtout dans l'Ancienne Loi,s'accordent mal avec elle, mais qui, du moins, aussibien dans les vangiles synoptiques que dans le Pen-tateuque, ne semblent ni trs compliqus, ni trs dif-ficiles saisir (^).Remarquons, d'ailleurs, que les premiers fidlesde Zoroastre ou de Mahomet, voire mme ceux du

    Bouddha, ne se trouvaient point placs en face depos-(1) Je rappelle qu'on nomme Pentateuque les cinq premiers

    livres de la Bible, spcialement aUribus Mose, et vangilessynoptiques, les trois premiers, dont la matire peut tredistribue en colonnes parallles.

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    LE DOGME ~1lulats plus exigeants : croire que le premier avaitcompos VAvesta sous' la dicte d'Ormudz lui-mme,en prsence duquel un ange l'avait transport ; quele second avait reu le Cor(m dans son cur despropres mains de l'ange Gabriel, et sur l'ordre d'Allah ;que le dernier, simple prince, selon les apparences,avait atteint, par un puissant effort de sa volontprdestine, la perfection qui relevait au-dessusdes hommes et des dieux, et dont sa prdication atrac les voies certaines. Reposant sur une mtaphy-sique lmentaire, au moins en ce qui regarde Zoroas-tre et Mahomet, des prescriptions rituelles, des pr-ceptes moraux, des interdictions prsentes commedes tabous, tel semblait l'essentiel de leur enseigne-ment tous trois. Mais tout le monde sait bien qu'autemps o vivait Clment d'Alexandrie, la dogmatiquechrtienne avait singulirement dpass les limitesdu trs simple enseignement apostolique.

    C'est une question quelque peu oiseuse que de de-mander si Jsus entendait rserver aux seuls Juifs lesalut qu'il apportait, ou s'il songeait l'tendre rhumanit tout entire ; s'il tait particulariste ouuniversaliste ; en fait, il n'a pas eu, lui-mme, seposer la question. Son horizon tait naturellementcelui du pays o il vivait et la ncessit de l'largirne semble pas s'tre prsente lui. On discute inu-tilement sur les traits contradictoires qui se rencon-trent dans les vangiles; tantt le Christ semblerserver jalousement Isral le bnfice de sa mis-sion, en proclamant que le pain des petits enfants nedoit pas tre jet aux chiens, et tantt il consent accorder un traitement de faveur telle ou telle foi

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    ZZ L EVOLUTION DES DOGMESparticulire, dont il affirme l'efficacit propre par unmiracle. Contradiction? Non pas, mais exception quiconfirme la rgle et qui tourne la leon pour lesJuifs incrdules, auxquels des trangers font la hontede les devancer dans la voie de Dieu. Les textes van-gliques que nous possdons ont t rdigs, ne l'ou-blions pas, une poque o la foi nouvelle, repousseparla grande majorit des Juifs, s'tait dj implantesur le terrain paen; par consquent, leurs rdacteurspouvaient tre tents d'introduire dans leurs rcits,ou d'y grossir, des anecdotes susceptibles de justifierle fait accompli : la distribution aux petits chiens dupain ddaign par les enfants ; et pourtant l'impres-sion invincible que tout leur ensemble impose, c'estcelle du particularisme de Jsus : il ne venait quepour Isral. Un instant de rflexion suffit nous con-vaincre qu'il ne pouvait faire autrement.

    Habitus que nous sommes voir dans le christia-nisme une religion spcifiquement distincte de toutesles autres, et mme du judasme ; convaincus aussiqu'il en faut reporter l'origine la prdication duChrist, nous nous laissons aller trop communment penser qu'il a prtendu fonder une religion; or, rienne parat plus loign de sa volont. L'historien se lereprsente, avec M. Loisy ('), comme un ouvrier devillage, naf et enthousiaste, qui croit la prochainefin du monde, l'instauration d'un rgne de justice, l'avnement de Dieu sur la terre, et qui, fort de cettepremire illusion, s'attribue le rle principal dansl'organisation de l'irralisable cit; qui se meta pro-phtiser, invitant tous ses compatriotes se repentir

    (1) Les vangiles synopliques, t. J, p. 252.

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    24 l'volution des dogmespentir profond et dfinitif qui fait l'homme nouveauTant que ces liommes du dehors, chiens, fils dechiens, au jugement des Juifs formalistes, ne sollici-teraient pas leur entre dans la demeure d'Isral, nuln'aurait y tenir compte d'eux; mais, le seuil franchi,ils se rangeraient, comme les fils authentiquesd'Abraham, au nombre de sesenfants, car certaine-ment Jsus ne partageait pas les prjugs orgueilleuxet dfiants de beaucoup de rabbins l'gard desconvertis. Le centurion de Capharnaiim et la Cha-nanenne, l'un et l'autre ns en dehors d'Isral,obtiennent cependant du Matre le miracle qu'ilssollicitent; il est vrai que les deux pisodes van-gliques qu'ils animent semblent d'interprtation pluscomplexe qu'on ne le croirait au premier abord. Ilsont t rdigs, ne l'oublions pas, une quaran-taine d'annes, au bas mol, aprs la mort de Jsus,en un temps o ils justifiaient le fait accompli,c'est--dire la prdication de l'Evangile aux Grecs ; ilss'offraient aussi comme un exemple encourageant l'incrdulit ttue de la masse des Juifs ; enfin, ilsprouvaient que lafoi, entendons ici la confiance, dansle Christ, suffisait pour gagner une part du Royaume.En supposant qu'ils soient, dans leur fonds, authen-tiques, ils revtent videmment la double conversionqu'ils supposent de formes exceptionnelles, et qu'ex-cuse seule une application de faveur du pouvoirdiscrtionnaire du Christ, et il demeure tabli quela vue de Jsus ne s'tendait pas, en fait, au deldes limites d'Isral, que sa prdication ne s'adres-sait qu' ses compatriotes.

    Malheureusement, de son vivant mme, ils rpon-dirent mal son attente, et, le plus souvent, leurs

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    LE DOGME 25oreilles se fermrent sa parole. Ceux d'entre euxqui pratiquaient l'tude de la Loi, tude pnible etminutieuse, merveilleusement propre dvelopper lepdantisme et l'orgueil intellectuel, les scribes qu'onappelait rabbins, c'est--dire )iuiitres, ne virent pas lemoyen de prendre en srieuse considration un pr-tendu prophte galilen, fils d'un charpentier sansculture et lui-mme, probablement, fort ignorant deleur science. Entre leur religion et la sienne, il n'exis-tait pas, en vrit, de commune mesure, et ce fut pareux qu'il prit. Ses disciples, aprs un moment d'pou-vante et de dsespoir, se ressaisirent; ils crurent lerevoir sur les bords familiers du lac de Gnzareth; lafoi en sa rsurrection leur rendit courage et ils os-rent reprendre son uvre, que Pilate avait interrom-pue. Cependant, tout en croyant prolonger sonenseignement, selon ses ntentions, ils en changrentle cenlre : Lui prchait avant tout la foi en Dieu lePre et l'imminence du Royaume; eux, mirent aupremier plan, dans leur prdication, la foi en Jsusressuscit, Messie vivant, dont le prochain retour (laparovsie) allait marquer l'aurore des temps promis.

    Or, si les Juifs n'avaient pas cru gnralement aumessage que leur apportait Jsus lui-mme, ils devaientencore bien moins accepter qu'un homme de si peu,incapable d'viter un destin affreux et honteux, mortsur la croix, la face du peuple, entre deux voleurs,ft au vrai le Bni du Trs-Haut, le Dominateur an-nonc par les prophtes et qui devait rendre sa splendeur la nation lue. Les arguments mis en avant par lesAptres, pour prouverla ralit de la rsurrection, telsqueles apparitions de Jsus leur petit groupe et, plustard, la dcouverte de son tombeau vide, au matin du3

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    26 l'volition des dogmesdimanche, ne soulevaient pas en ce temps-l autantd'objections qu'aujourd'hui ; mais une seule suffisait les ruiner dans l'esprit des adversaires, des Juifsinstruits : c'est que ces arguments venaient d'igno-rants, d'illettrs, et que personne, en dehors d'eux,n'avait contrl les faits qu'ils allguaient : le Ressus-cit ne s'tait montr qu' ses disciples. Aussi bien,trs vite, la prdication apostolique rencontra-t-elledans les synagogues une rsistance invincible, et, enfait, elle n'y agna que des recrues trs peu nom-breuses ; par la force des choses, il lui fallut, pours'assurer la vie, chercher s'implanter autour desiuiveries, parmi les paens que de bonnes dispositionsnaturelles, des amitis ou des relations de commerceinclinaient k judalser. Ce fut l'uvre de saint Paul, undes rares pharisiens conquis par la foi nouvelle, qued'offrir ces gens-l, franchement, et en les dispen-sant des minuties du lgalisme Isralite, le prsentdivin que les Juifs ddaignaient.

    Les consquences de cette transposition furent, ence qui touche notre recherche, incalculables, et Paullui-mme ne les souponna pas. D'abord, le judo-christianisme des gentils s'loigna promptement dujudasme pur et, ds la fin du i*^"" sicle, se trouvacontraint de s'organiser comme une religion particu-lire; son originalit se marqua mme par une hosti-lit croissante l'gard de sa souche hbraque. Ensecond lieu, la foi chrtienne rencontra sur le terraingrec, ds qu'elle eut dpass les basses classes, o,sans doute, elle s'implanta en commenant, diversescoles de philosophie, dont les doctrines mtaphy-siques ne tendaient rien moins qu' expliquer l'uni-vers, raisonner dfinitivement sur la vie, son sens

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    LE DOGME 27et son but. sur Dieu, et, peut-on dire, sur tout. Lesdogmata des Aptres, simples rgles de vie pratiqueet o la mtaphysique, mme chez saint Paul, gar-dait l'apparence d'un fait rvl, loin de revtir celled'une spculation transcendante, rencontrrent ainsiles dogmata philosophiques, que nous avons djdfinis. La culture grecque se superposa l'esp-rance chrtienne et transforma la foi-confiance despremiers disciples en foi-croyance, en foi de doctrine;les dogmes de l'Evangile se chargrent peu peu detoute la matire des dogmes des coles.

    Il tait invitable que, ds le lendemain de la mortde Jsus, toute rflexion mthodique sur lui tendt l'lever au-dessus de l'humanit : saint Paul leconoit dj comme un homme divin, tout pntr del'Esprit, au point que l'on peut dire qu'il est l'Esprit(II Cor.^ 3''^) et le IV vangliste le prsente commeune incarnation du Logos, de la Parole fconde, de laVolont cratrice de Dieu. Son enseignement ne de-vait donc pas tarder tre considr comme unervlation analogue celle dont Jahveh avait jadisfavoris Mose et les prophtes, mais plus compltequ'elle et destine la remplacer pour le salut deshommes. Il tait aussi dans l'ordre que toute addition la foi premire, toute complication dont on l'aug-mentait, ne fussent acceptes qu' la condition desembler, sinon explicitement recommandes, aumoins supposes par la tradition (paradosis). On don-nait ce nom aux souvenirs plus ou moins exacts,que, par les Aptres, on faisait remonter jusqu'auMatre et qui forment la matire des crits vang-liques. Avec un peu d'adresse, de bonne volont etde persvrance, les ides de la philosophie hell-

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    28 l"voll"tio\ des dogmesnique s'accordrent autant qu'il fut ncessaire, etnous verrons comment, avec le premier enseignementchrtien, trs souple parce que trs simple et gureplus encombr de mtaphysique que ne le sera, parexemple, plus tard, la doctrine de Mahomet. Et ainsi,au lieu des prceptes quelquefois singuliers, maistoujours prcis et clairs, qui prenaientdans l'AncienneLoi la forme de vritables tabous, c'est--dire d'inter-dictions ngativement salutaires mais non motives,et dans la Nouvelle celle de conseils de morale pra-ti(jue, les dogmes de l'glise apostolique, enfin, de-vinrent des affirmations mtaphysiques, sorties despculations plus ou moins profondes sur les postu-lats chrtiens, conduites dans l'esprit et selon lesprocds del philosophie paenne.La notion d'autorit, ncessaire la fixation de

    l'axiome de foi qu'est la formule dogmatique, s'tablittout naturellement; nous savons dj que les dogmesdu Seigneur et de ses Aptres empruntaient leur va-leur la relation du premier avec Dieu et la mis-sion dfinie des seconds. Avant mme que les Aptresne fussent descendus dans la tombe, l'autorit qu'onpeut appeler de gouvernement, indispensable toutgroupement qui veut vivre, tait exerce, dans chaquecommunaut chrtienne, par l'assemble des fidleselle-mme, quitte dlguer quelques-uns de sesmembres, comme faisaient les Juifs. dans leurs syna-gogues, les soins matriels, et d'ailleurs encore l-mentaires, de l'administration. Aprs la disparitiondes Aptres directs, les prdicateurs itinrants, ap-tres, prophtes ou didascales, qui continurent leuruvre, passrent pour agir et parler sous l'inspiration

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    LE DOGME 29de l'Esprit, mais comme, en dfinitive, l'assemble(ecclesia) resta libre de leur accorder ou non sa con-fiance, ce fut elle qui rgla sa propre foi, qui enaccepta ou en repoussa tels ou tels accroissements:Chacun d'eux, propos par un inspir, se prsentecomme un charisme, c'est--dire une grce (/pt),une inspiration de l'Esprit; en thorie, nul ne poss-dait qualit pour contrler l'Esprit, mais, en pratique,l'assemble ne faisait accueil qu'aux nouveauts quilui plaisaient. Au reste, durant cette priode pneuma-tique de la foi (du grec pneuma : esprit), qui corres-pond peu prs au i" sicle de la vie chrtienne, eto les Eglises vivaient sous un rgime de dmocratiequelque peu anarchique, l'influence de la philosophiegrecque sur la foi ne s'exera que trs indirectement, travers le judasme et d'une manire assez peu sen-sible; ce fut au II sicle qu'elle commena se mani-fester srieusement, parce qu'alors un certain nombrede philosophes se convertirent et prtendirent, plusou moins consciemment, accorder leurs croyancesnouvelles avec leurs ides anciennes. Or, dans le pre-mier quart de ce mme sicle, on vit s'achever, tou-chant l'organisation des glises, une volution com-mence, peut-on dire, au lendemain mme de la mortdes Aptres.

    Tout d'abord les groupes chrtiens n'avaient pasprouv le besoin d'tablir leur tte une adminis-tration spirituelle, parce que toute autorit, en lamatire, leur paraissait insparable de l'inspirationdirecte et manifeste, qu'un choix humain ne sauraitprovoquer ni diriger, car l'Esprit souffle o il veut;ils n'avaient donc pas de clerg. Mais, peu peu, etpour diverses raisons, ils sentirent la ncessit d'en

    3.

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    30 l'voi.itio\ des dogme?avoir un. L'exemple du sacerdoce juif et celui dessacerdoces paens; l'obligation d'organiser une d-fense rgulire contre les faux inspirs, souventdifficiles dmasquer, dans une assemble dont lesang-froid pouvait n'tre pas la qualit dominante; lafrquence, de plus en plus grande, des entre-prises d'illumins, qui. avec des opinions exagres oumme des systmes doctrinaux trangers la pr-dication apostolique, viennent troubler les simples;le dsir de scurit, si profond chez les hommesmdiocres et qui, confondant vrit avec immobilit,tend la formule de foi, au Credo qui ne bougeraplus et qu'une autorit garantit; tout cela dcida lescommunauts laisser prendre par leurs administrateurs temporels, par ceux qu'on appelait anciens(presbyteroi) et surveillants {episcopoi), la garde dela foi moyenne. Celle-ci tend ds lors se fixer, revtir la forme d'une doctrine didactiquement trans-mise, et quitter celle qu'elle avait connue d'abordd'une esprance et d'une confiance senties, vcues ettransmises de proche en proche, par une sorte decontagion. Mis part toute pense d'ambition et dedomination, que, d'ailleurs, les hommes, quels qu'ilssoient, n'cartent pas d'ordinaire aisment, cesfonctionnaires des glises primitives, constitus gar-diens de la foi et de la coutume, devaient fatalementrestreindre, jusqu' le supprimer, le rle des ins-pirs du dehors et du dedans, qui, par nature, chap-paient la discipline et la rgle; ils devaient, toutaussi ncessairement, attirer eux le soin d'enseignerl'a bonne doctrine dont ils ont mission de conser- iver le dpt intact.Dans le temps o s'accomplit, au sein des glises

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    LE DOGME 31chrtiennes, cette fusion des fonctions administrativeset des fonctions spirituelles, reparat et s'impose lancessit des rites. Le Christ n'y attachait pas d'im-portance; il ne baptisait mme pas; mais dj sesAptres, aprs sa mort, pratiquaient les deux ritesjuifs du baptme et de la fraction du pain, en atta-chant au premier le sens d'une rgnration nces-saire pour entrer dans le Royaume; au second, selontoute apparence, celui d'un mmorial du temps qu'ilsavaient pass dans la communion matrielle de Jsus.De mme que l'influence tenace du vieux ritualismejuif tendait les dvelopper tous deux et en crerd'autres, les habitudes invtres des convertis de lagentilit agissaient dans le mme sens, car toutes lesreligions paennes taient trs ritualistes. Outre quela rapide complication de ces rites chrtiens renditvite ncessaire une certaine instruction, qu'on pourraitdire technique, chez ceux qui se trouvaient chargsde les accomplir et qui ne pouvaient, par consquent,plus tre n'importe lesquels d'entre les fidles, lesanciens piscopes se trouvrent bien placs dans lacommunaut pour les accaparer, ds que la convictioncommune eut restaur l'habitude paenne d'attacheraux crmonies consacres (liturgies) et aux gestesrgls une ide d'invariabilit ncessaire et de puis-sance mystrieuse.

    Concentration dans les mmes mains des fonctionsadministratives, du droit de surveiller la doctrine etles murs, du soin d'enseigner la foi. du privilgede disposer de la force des rites, tel fut, tel est encore,le fondement de l'autorit du clerg chrtien. Ellene s'tablit point sans rsistances, dont les vieuxtextes nous permettent de saisir quelques pisodes,

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    32 l'volution des doguesmais elle s'tablit ncessairement parce que, sanselle, l'glise se serait miette en sectes et n'auraitpas vcu. Quand toute autorit de fait reposa dansles mains du clerg et particulirement dans cellesde l'vque, il suffit d'un mdiocre effort pour lajustifier en droit. On s'accorda gnralement recon-natre que toute l'organisation clricale avait tvoulue par le Christ et remontait aux Aptres; il fut,du mme coup, entendu que le pouvoir des vquesse trouvait garanti, et en quelque sorte sanctifi, parcelui des Aptres, dont ils passrent pour les suc-cesseurs directs et dont ils eurent pour tche princi-pale de maintenir la tradition intacte. D'abord iso-ls, chacun demeurant responsable devant le Christde l'autorit doctrinale qu'il exerait dans songlise, les voques, ds le courant du ir sicle,prirent l'habitude de s'crire, de se visiter, de serunir en groupes plus ou moins nombreux et quifurent les synodes et conciles, pour se mettred'accord sur les points litigieux de la discipline ou dela foi; et ainsi se forma l'autorit ecclsiastique pro-prement dite, en attendant que, par une voluiion, quine pe ft rellement bien qu'en Occident, l'vque deRome tablt, ct de celle des conciles, son in-fluence de direction, d'abord toute morale, puis deplus en plus effective, pour aboutir, la fin duXIX* sicle, proclamer dfinitivement sa suprmatiedoctrinale absolue sur ses frres en Christ.

    IVNous pouvons maintenant nous rendre compte du

    contenu de la notion du dogme dans l'glise catho-

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    LE DOGME 33lique et, d'une manire gnrale, dans l'glise chr-tienne; nous en avons dtermin les divers lmentset il ne nous reste plus qu' les rassembler. Undogme, c'est la fois une vrit infaillible et un pr-cepte inviolable; il a t divinement rvl dans sasubstance soit par Dieu, directement, par exemplesur le Sina, o Jahveh parla Mose, soit par leChrist, au cours de son enseignement terrestre, quenous relatent les vangiles et la Tradition, conservedans l'glise depuis les Aptres; ou bien encore il at rvl par la voie indirecte de l'inspiration ceuxqui ont qualit particulire pour la recevoir, auxdignitaires ecclsiastiques que continue d'animerl'esprit des Aptres.

    Le dogme ne peut donc tre reconnu tel quelorsqu'il a t dfini, formul et proclam par l'auto-rit comptente, c'est--dire, en somme, autrefoispar les conciles et aujourd'hui, dans l'glise catho-lique, par le pape, sous l'inspiration du Saint-Esprit.Mais, aprs que l'autorit a parl, le dogme quiprtend exprimer l'absolument vrai, devient pourles fidles objet de foi fixe et immuable, puisqueDieu ne se trompe ni ne trompe jamais; et, aussi,quand il y a lieu, rgle certaine des murs. Telleest du moins la thorie. Rvlation, autorit, immu-tabilit, voil donc les trois mots qui caractrisentle dogme et en expriment, peut-on dire, les troisaspects principaux, La raison, fondement nces-saire des dogmes philosophiques des Grecs, n'aplus ici d'autre rle que d'accepter les propositionsdogmatiques et de les justifier si elle peut.Vu du dehors et considr par des incroyants, ledogme se prsente videmment surtout sous la forme

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    34 l'volution des dogmesd'une dcision, d'un dcret conciliaire ou pontifical,mais, au jugement d'un fidle, cette autorit qui sembleengendrer le dogme, pour si humaine qu'elle paraisse,est inattaquable, parce qu'elle n'agit pas d'elle-mmeet arbitrairement; au vrai, ses dcisions n'ont riende personnel. L'Autorit n'est qu'un intermdiaire,ncessaire, mais dsintress entre les croyants etDieu; le pape, par exemple, homme choisi par deshommes et, dans le cours ordinaire de sa vie, sujetaux dfaillances et aux erreurs de la raison humaine,sent se dresser au-dessus de sa faiblesse native toutela puissance de TEsprit, ds qu'il fait appel direct son assistance; c'est pourquoi l'essentiel du dogme,pour un chrtien romain, c'est la rvlation qui legarantit; et il en va de mme pour tous les fidles detoutes les relisions rvles.

    Encore que la qualit propre du dogme chrtien,par exemple, soit bien d'tre une vrit rvle et que,par consquent, tous les dogmes participent de cecaractre qu'on peut dire spcifique, le mot dogmerecouvre cependant aujourd'hui des affirmations assezdiffrentes et qui sont susceptibles d'tre distingues,au moins en deux catgories. On peut mettre part,tout d'abord, un certain nombre de propositions fon-damentales, videmment dogmatiques en soi, puisquela raison toute seule ne pourrait que les supposer, lesaffirmer sur une sorte d'assurance subjective, quin'est qu'un sentiment et qui manque nombred'hommes, alors qu'au jugement de certains il faut

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    36 l'volution des dogmestifier. Chaque religion rvle organise ainsi pourson compte, et sous l'angle de sa propre rvlation,ce fonds commun de la spculation religieuse deshommes.

    Mais, ct de ces postulats premiers de toutes lesthologies, il est d'autres affirmations plus particu-lires et, en mme temps, beaucoup plus compliques,qui chappent tout fait au contrle de la raison;c'est de celles-l que M^"" Mignot crivait nagure : Le dogme est par lui-mme si prodigieux, si invrai-semblable, si elTrayant, il exige de noire raison untel acte d'humilit et de soumission l'incomprhen-sible, il entrane de telles consquences morales qu'onn'aurait pu l'inventer (i). Avancer, par exemple, que.l'homme apporte en naissant un germe de perdition,qui se rattache une faute commise dans l'Eden parl'anctre de l'espce, ce n'est point poser une notionfacile entendre, ni mme accepter, et c'est ledogme du pch originel; affirmer que Jsus est nd'une Vierge, miraculeusement fconde par le Saint-Esprit, ce n'est pas seulement se placer hors descadres de l'exprience, c'est aussi sortir de ceux de laraison; je veux dire que, considr en lui-mme, ledogme de Igt conception virginale n'offre aucune prise l'argumentation rationnelle, que toute discussioncritique son sujet se ramne apprcier l'authen-ticit et la solidit de ses justifications textuelles.Que ce Jsus, homme sublime si l'on veut et, du pointde vue moral et religieux, vritable sur-homme, soit la fois un homme authentique, et non pas unesimple apparence humaine, et en mme temps, d'autre

    (1) Critique et tradition, dans le Correspondant du 10 jan-vier 1904.

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    LE DOGME 37part, l'incarnation d'un Dieu, qu'on nous dit immen-surable et inconcevable, que, par consquent, soncoi[)S, visible et vivant, comme tel, ncessairementlimit, ait enferm la plnitude de l'Infini divin, c'estle dogme de l'incarnation, appuy de celui des deuxnatures parfaites du Christ, mais il est ais de com-pri ndre que toutes les explications qui prtendents'lever au-dessus de leur proclamation pure etsimple, se perdent dans le verbalisme le plus vide.Que Dieu soit la fois un et triple, qu'on le conoive,dans le mme moment, sous la forme de trois per-sonnes distinctes, le Pre, le Fils et l'Esprit, et souscelle (l'une Unit parfaite, dont on ne peut rien dired'intelligible sinon qu'elle constitue l'Etre infini, for-mule qui, elle-mme, demande n'tre pas trop pres-se, il ne semble pas facile non plus de disposerl'esprit humain l'admettre, sans l'obliger sortirde lui-mme, sans lui imposer Tinconnaissable.

    Tous ces dogmes-l et d'autres du mme genre,sont, en vrit, humainement inexplicables, voiremme impensables ; les claircissements, dont lesthologiens se risquent les entourer, ne sontque des paraphrases de formules d'cole, ou desgloses, que garantit seule l'autorit transcendantedont on accepte que le clerg ait le dpt. Envrit, ils forment bien un groupe incommensura-ble avec l'ensemble du savoir positif ; leur trans-cendance mme fait qu'ils demeurent sans rapportsavec la vie intellectuelle effective (Le Roy). On nepeut les concevoir que comme des faits rvls etavous invrifiables ; mais des faits dont Torganisa-lioii quivaut construire un vaste corps de doctrinesmtaphysiques trs compliques. Ils supposent

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    38 l'volution des dogmesvidemment les autres propositions, celles quenous avons distingues d'abord, mais ils les d-passent de beaucoup et ne sauraient, comme elles,se justifier par le dsir si naturel de ne pas limiterl'existence humaine l'incertitude de la vie terrestre,de ne pas l'arrter aux quelques annes, parfoismisrables et, d'autres fois, scandaleusement pros-pres, qui la composent, de sentir une protection,une justice planer au-dessus des contingences d'ici-bas.Les vrais dogmes, ceux qui naissent, qui voluent,

    se transforment, vivent et meurent, sont ceux de cetteseconde catgorie, ceux qui ne peuvent se justifierque par un appel la rvlation. C'est pourquoi,avant que de pousser plus loin, il nous faut nousarrter un instant sur la notion de rvlation.

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    CHAPITRE IILa rvlation et l'inspiration.

    I. La rvlation selon les ortliodoxies. Comment s'imposesa ncessit. Son principe : l'omniscience divine et lapossibilit de sa communication aux hommes.

    II. La rvlation conue comme une conversation entre ladivinit et l'homme. Exemples. L'artifice de l'interm-diaire entre Dieu et l'homme. Faiblesse de cet artifice. Ncessit de recourir l'inspiration.

    11!. L'inspiration d'aprs les thologiens. L'assistance duSaint-Esprit. Usage quasi universel de l'inspiration. Ses avantages. Le phnomne physique de l'inspiration. Exemples. L'inspiration dans les critures.

    IV. La vraie nature de l'inspiration. Ses rapports avecl'ambiance o elle se produit. Son caractre humain etprissable. Prompte dformation de la figure des grandsinspirs. Exemple de saint Franois d'Assise.

    V. Dsir de fixer la rvlation par l'criture. Dformationque subit la rvlation premire avant que d'tre dfinitive-ment crite.VL Rsum : la rvlation con-sidre du point de vuescientific{ue.

    La rvlation, selon la dfinition des orthodosies,c'est la communication faite par Dieu l'homme d'unevrit inaccessible la raison rduite ses seulesforces. Les propositions de la religion catholique, qui

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    40 l'volution des dogmesexpriment des mystres^ se prsentent ncessairementcomme rvles : l'existence de la Trinit, parexemple, qui, quoique parfaitement relle, n'altrepas l'Unit de Dieu, ne pouvait videmment pastre dcouverte par les moyens d'investigation dontusent d'ordinaire les hommes, soit par l'observationet le raisonnement, car toutes les expriences faitesdans le monde sensible, comme les conclusions quela logique en tire, s'opposent l'accord des deuxnotions contradictoires que prtend pourtant concilierle dogme en question. L'Incarnation, la Conceptionvirginale, la Rdemption, le Pch originel, autant denotions capitales dans l'orthodoxie catholique etqu'elle ne connat que parce que Dieu lui-mme apris soin de les lui enseigner, A la rvlation aus?i serapporte toute connaissance vritable de l'avenir; lascience des Prophtes et celle du Voyant de VApoca-lypse sont, au propre, une communication partiellede la prescience de Dieu. Par la rvlation encore,l'homme peut jeter un coup d'il sur l'au del de sonexistence mortelle et prendre quelque ide de la vieternelle.

    Ds qu'une religion cherche s'vader de l'anthro-pomorphisme troit, j'entends ds qu'elle cessed'imaginer la divinit sous la forme d'un tre per-sonnel, plus puissant que les princes de la terre,mais qui leur est cependant comparable et qui vil, ensomme, comme eux, dans plus de splendeur et sansle souci de la mort, tels les dieux d'Uomre, ds, parconsquent, qu'elle prtend non plus seulementraconter des histoires divines qui se placent dans lemme plan que les faits humains, mais lucider lesproblmes que la i>fl;5s:"NiOse devant la raison,"^^^^

    !f UBR^RYJi

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    LA REVELATION' ET L INSPIRATION 41problmes de la vie, de la mort, de la destine et dumonde, il lui faut de toute ncessit faire appel larvlation transcendante que nous venons de dfinir.La mtaphysique humaine agite ces mmes problmeset elle construit leur propos des systmes plus oumoins ingnieux, plus ou moins sduisants aussi ; maisaucun ne saurait vraiment prtendre une ralit horsde l'esprit qui l'a enfant; aucun d'eux n'offre mme,du point de vue critique, la moindre probabilitd'existence objective. La vrit rvle et la rponsequ'elle apporte aux grandes questions de la mta-physique, se prsentent sous un tout autre aspect.L'homme qui cherche et rflchit ne tarde pas faire l'exprience de son incapacit rsoudre cesredoutables problmes, qu'il considre, bon droit,comme primordiaux, puisqu' leur solution se trouvelie l'intelligence de son tre, de sa destine et deson devoir; mais, comme il ne peut aisment consen-tir s'avouer qu'ils sont insolubles, il en attribue lapleine connaissance l'lre ou aux tres mystrieuxet puissants dont il a peupl le monde et auxquels ilrapporte en bloc la science et le principe de tout cequ'il ne comprend pas. Ce que sait la Divinit, rienne l'empche de le dire; par un acte de sa grce, ellepeut confier tout ou partie des secrets ternels auxmortels qu'elle aime : c'est sur cette conviction enquelque sorte pralable, et d'ailleurs assez logique,que reposent toutes les religions rvles. Toutesaffirment qu'elles remontent, dans leur origine, unhomme favoris d'une rvlation divine, qui a posleurs fondements, sur l'ordre exprs d'un dieu, oumme un dieu, qui a pris la forme humaine, pourse faire intgralement entendre des hommes. 4.

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    42 l'volution des dogmesLe bouddhisme se place, il est vrai, dans des condi-

    tions un peu diffrentes, ou, plus exactement, offreune variante trs particulire de ce thme initial dela rvlation divine; c'est qu'originairement il n'taitpas une religion, mais une espce de philosophie dubonheur, peu prs athe, puisque les dieux qu'ilreconnat, s'ils occupent dans le monde un rang sup-rieur aux hommes, restent, en revanche, infrieursau Bouddha, qui n'est, dans le principe, qu'un hommelev la perfection; ils ne possdent, d'ailleurs,aucun des attributs que les religions rvles attachent leurs divinits : puissance cratrice, ternit, actionprovidentielle dans le monde. Cependant la doctrinebouddhiste prsente le Bouddha comme une incarna-tion passagre, mais renouvelable d'une sorte d'entitternelle, la Sagesse absolue, qui vient rvler auxhommes, de temps en temps, les voies par lesquellesils peuvent fuir la ncessit de renatre, de subir lestourments de nouvelles preuves terrestres aprsleur vie prsente et qui les conduisent au bienheureuxrepos du nirvana. Sans doute les dieux sont incapablesde tenir la place du Bouddha: ils sont rduits lesupplier de paratre sur la terre et, plus tard, l'im-plorer encore pour qu'il achve, par un dernier effortde sa volont, la transformation mystrieuse et pro-fonde qui fait de l'homme prdestin, du Bodhisatva,un Bouddha parfait; et, loin de l'inspirer, ils coutentravis sa parole, quand il daigne leur parler; mais, envrit, c'est une rvlation que cette parole rpand.Avant que de consentir natre, le Bouddha, incarndans la personne du prince Siddhrtha, prexistait auciel, oii se trouvent encore les futurs Bouddhas; il ycontemplait la Vrit ternelle et s'en pntrait;

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    44 l'volution des dogmescelle du Bouddha : lui aussi apportait aux hommesle moyen tout pratique d'atteindre le bonheur dfi-nitif dans l'amour et la justice ; il ne s'levaitau-dessus des notions que la sagesse humaine pouvaitacqurir qu'en ce qu'il annonait l'imminence duRoyaume, se croyait autoris par Dieu l'annonceret s'y rservait un rle particulier. Ce n'est passous cette forme simple que se prsente d'ordinairela rvlation d'o sortent les dosmes.

    II

    La conception anthropomorphique de la divinit,si naturelle aux hommes, tend confondre la rv-lation avec une conversation. Le dieu choisit un deses fidles, agrable ses yeux; il lui fait part direc-tement de sa science et de ses intentions; il lui donnela mission de rpandre l'une et de promulguer lesautres.La notion trs ancienne de la Loi divine se rattache cette forme nave, et en quelque sorte matrielle, de

    la rvlation. La stle, devenue promptement clbre,du roi babylonien Hammourabi, que l'on peut voirau milieu de la galerie assyrienne du Louvre, nousexprime d'une manire tout fait concrte cettereprsentation premire de la rvlation : le dieuSchamach parle ; Hammourabi coute respectueu-sement et, au-dessous de l'image, se dveloppe letexte rvl. Les entreliens o la nymphe griedvoile au roi Numa Pompilius le secret des ritescapables d'enchaner la volont des dieux ne sont pas,dans le fond, d'une autre espce; et les majestueuses

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    LA REVELATION ET L INSPIRATION" tOrencontres de Tternel et de Mose sur l'IIoreb et surle Sina ressemblent galement beaucoup l'en-trevue du lgislateur babylonien et de son dieu. Ilarrive mme, en ces temps reculs, que le dieu sedrange pour beaucoup moins que pour proclamersa Loi : ne voyons-nous pas Jahveh parler Job aumilieu d'un tourbillon et dans une nue, pour luidmontrer la supriorit de sa science et de sapuissance (^).Malheureusement, cette ide, si naturelle l'hommequi exprime sa pense par la parole : Dieu a parl,ne tarde pas soulever de srieuses difficults dsque le sentiment religieux s'affine et sent la disconve-nance de l'anthropomorphisme. Quand le fidle cessed'imaginer son dieu sa ressemblance, mme perfec-tionne, et qu'il ne peut plus lui prter un corps,arm d'une bouche faite pour la parole, il lui devientdifficile d'accepter que la divinit ait rellement pro-fr de vritables mots. Un bon exemple de ce scru-pule tardif se rencontre chez Philon d'Alexandrie. Cejuif, instruit dans les lettres grecques et qui lafamiliarit des ides de Platon rendait au fond inac-ceptable la notion judaque d'un dieu personnel, envient penser que Jahveh n'a point vraiment parl Mose sur l'Horeb, ou du moins qu'il n'a point usd'une parole humaine, mais que, selon sa volont,une voix s'est forme dans l'air, qui a retenti auxoreilles du prophte.Un moyen, bon en apparence et souvent employ,

    pour carter la plus grosse difficult, pour viter de(1) Job 38' et ss.

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    46 l'volution des dogmesfaire entendre un homme la voix de Dieu, consiste imaginer un truchement entre lui et le mortel qu'ila choisi : dans la Gense c'est un ange qui parle Abraham et lui transmet les promesses que l'ternelfait sa postrit ; dans l'vangile selon saint Luc,c'est l'ange Gabriel qui vient annoncer Marie lemerveilleux destin qui va s'accomplir en elle; c'estle mme ange, d'ailleurs, qui investit Mahomet de samission et lui dicte le Coran. On suppose donc queDieu dispose de moyens inconnus l'homme pourcommuniquer sa volont au messager qu'il envoie etqui est conu, aussi bien quant sa nature que danssa fonction, comme un intermdiaire entre l'infirmithumaine et la toute-puissance divine.

    C'est un artifice plus raffin, mais tout de mmeanalogue, que s'arrtaient gnralement les Juifscultivs du temps de Jsus pour viter de mettrejamais l'absolue perfection de Dieu en contact avecl'imperfection de la matire; ils imaginaient que sapuissance cratrice et son nergie s'taient, par unacte de sa volont, en quelque sorte projetes horsde son tre pour faire les uvres de sa Sagesse etde son Esprit. Cette force active de Dieu tait, aupremier chef, sa Parole (Zor/os en grec), si forte restaitl'habitude d'attacher un Verbe divin le privilged'exprimer l'Inconnu et celui d'engendrer la Vritet la Vie. Dans la pratique et peu peu, parce qu'ilsavaient plus ou moins subi l'influence des doctrinesgrecques qui, identifiant Dieu l'Infini, n'osaient lelimiter en lui prtant une action prcise et attri-buaient l'activit cratrice une hypostase divine,les Juifs en vinrent une vritable personnificationde la Sagesse, de l'Esprit et de la Parole de

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    LA RVLATION ET l'iNSPIRATION 47l'ternel. Ces diverses hypostases qui, dans le fond,pouvaient se ramener une seule, semblaientassez troitement rattaches au Tout divin, dont, auvrai, elles ne reprsentaient qu'un aspect, ou, plus exac-tement, une fonction, pour que l'unit de Dieu pt nepas paratre dtruite par elles. Les deux mots grecsPneuma (Esprit) et Logos (Verbe;, dont la fortunetait dj assure par l'usage qu'en faisaient les phi-losophes, s'imposrent la pense juive hellniseet, par suite, la pense chrtienne. On attribuadonc au Pneuma, ou au Logos, tout rapport tablientre l'tre divin et l'humanit, laquelle participede la grossiret de la matire.

    Il tait, la vrit, difficile d'imaginer une person-nification matrielle de l'Esprit de Dieu ou de saParole, car il y avait entre ces termes mmes et laprcision que suppose l'organisation corporelle dela matire une profonde incompatibilit. C'est pour-quoi l'auteur du IV^ vangile profra rellement uneproposition norme et scandaleuse, au jugement d'unjuif ou d'un judo-chrtien, quand il avana queJsus n'tait que le Logos incarn; cette opinionprvalut dans la suite parce qu'elle offrait de grandescommodits la foi chrtienne, dsireuse de hausserle Christ jusqu' Dieu, mais on comprend qu'elle aitrencontr de vives rsistances. A s'en tenir auxconditions dont senveroppait l'Esprit de Dieu ou sonLogos, on ne pouvait, en fait, donner plus de vrai-semblance un discours direct tenu par eux, uneparole rellement profre par eux, qu' une commu-nication verbale de Dieu lui-mme. Aussi bien, mis part l'incarnation du Logos en Jsus, qui fournitample matire aux discussions thologiques, admit-

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    LA RVLATION ET l'iNSPIRATION 49garde de toute erreur. Et mme les thologiensromains mettent encore part de la rvlation etde l'inspiration ce qu'ils nomment Vassistance duSaint-Esprit, fondement vritable de l'autorit infail-lible du pape et de l'glise. Quand le Saint-Espritaccorde son assistance un docteur, il ne le pousseni prendre la plume, ni ouvrir la bouche, selonles cas; il ne lui apporte qu'un secours ngatif, en cequ'il ne lui laisse point profrer d'erreur. Toutefoisces distinctions d'cole n'ont point en soi et, par rap-port l'assiette des dogmes, autant d'importancequ'il peut d'abord sembler; une proposition dogma-tique vaut autant, qu'elle ait t proclame par lepape sous l'assistance de lEsprit (telle l'ImmaculeConception), ou nonce dans un livre inspir (telle dogme de la Rdemption dans les ptres de saintPaul), ou directement rvle (tels les prceptes duDcalogue).

    L'inspiration, conue comme moyen de communi-cation entre Dieu et l'homme, est d'usage quasi uni-versel, et cela se comprend; les conditions danslesquelles elle se prsente la rendent bien plus facile accepter que la ferie d'une apparition divine etelle vaut encore quand, dcidment, il est devenutrop malais d'accepter l'intervention personnelle eten quelque sorte matrielle de Dieu. D'autre part,elle se justifie sans peine : une ide nouvelle etfconde, qui donne une forme nette un dsir ou une aspiration de l'ambiance religieuse oi elle seproduit, un bon con-seil, que les vnements rati-fient, une prvision heureuse, ou facile accommo-der avec ce qui arrive, un trait exceptionnel de sagesse

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    50 l'volltion des dogiiesou de gnie, sont toujours revtus, au jugement deshommes de foi, des caractres de l'inspiration divine.L'inspiration proprement dogmatique, celle, parexemple, qui permet saint Paul de donner de lamort de Jsus l'interprtation qui fonde le dogme dela Rdemption, n'est qu'un cas particulier du phno-mne Le Grec, qui venait au temple de Delphes con-sulter Apollon sur la conduite de ses affaires et rece-vait de la Pythie, en proie au dlire sacr, une rponseplus ou moins satisfaisante, n'tait pas guid par uneide de l'inspiration sensiblement diffrente de cellequi donnait confiance au Juif dans la parole de sesProphtes: le dieu s'est empar de la femme ou del'homme qu'il a choisis ; son esprit domine, et, enquelque sorte, remplace leur esprit, et ils parlentparce qu'il les y contraint ; ils prononcent les motsqu'il veut et ils se tordent, en proie sa puissance,que leur seul aspect dcle. Qu'on songe aux versnergiques o Virgile nous dcrit la Sybille de Cumesque l'esprit d'Apollon vient de saisir :

    At Phaebi nondum paliens, immanis in antroBacchatur vates, magnum si pectore pbssitExcussisse deum : tanto magis ille fatigatOs rabidum, feracorda domans, fingitque premendo (' .

    Le pote n'a rien invent ; cris de fureur, gestesdsordonns, yeux rvulss, bouche cumante, puisprostration, qui marque la dtente du systme ner-

    1) .i,'?^., VI, 77 et ss. : Cependant, rsistant encure l'hbus, la farouche prophlesse se dbat avec fureur dans sonantre, pour essayer de rejeter de son sein le dieu puissant; etd'autant plus le dieu fatigue sa bouche cumante et dompteson cur sauvage; il la presse et la dispose sa volont.

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    LA RVLATIOX ET l/lNSPIRATION 51veux surmen et fourbu, c'est ces signes quo sereconnat partout Imspiralion en action ; toutes pro-portions gardes, l'inspiration potique elle-mme neddaigne point de s'entourer de manifestations quivoudraient, plus ou moins srieusement, s'approcherde celles-l. Notons que la rsistance oppose par1 inspir l'influence divine, et l'tat violent qui l'ac-compagne, n'interviennent que pour dceler avecvidence la prsence du dieu et donner une autoritmcontestable aux propos que va tenir sa victime Ades nuances prs, quand l'inspiration se manifeste enprsence d'hommes qui l'acceptent en toute simpli-cit, elle demeure conforme au schma que je viensde rappeler.Sans parler des cas o l'esprit de Jahveh jette ceuxdont il s'empare dans un tat voisin de la folie (M,Mahomet, en croirela tradition, eut, lors de ses entre-vues avec l'ange Gabriel, des crises nerveuses qui ontfait douter s'il n'tait point pileptique (2). Les premirescommunauts chrtiennes ofi-rirent aussi de frquentsexemples de cette action violente et publique del'Esprit saint, qui est la forme lmentaire de l'inspi-ration. Un fidle, soudain en proie une vive mo-tion, se levait dans l'assemble ; il semblait perdre lesens de la ralit et du milieu, sortir vritablementde lui-mme, et il parlait ; des mots inconnus sor-taient de sa bouche, formant des phrases incompr-hensibles. On disait alors qu'il parlait en langues, ouen esprit; et on entendait que l'Esprit saint lui dictait ^(1) Voy. surtout / Sanmel 19.(2) Je rappelle qu'on sest pos la mme question proposae saint Paul qui se plaint, en // Cor. 12', dune infirmit sin-

    gulire.

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    52 l'volution des dogmesmystrieusement, dans une langue divine, les extra-ordinaires propos qu'il tenait. C'estl ce qu'on nommela nlossolalie. ou le parler en langues.

    Ce phnomnemerveilleux n'apportait d'ailleurs avec lui aucunervlation prcise, autre que celle de la prsence duSaint-Esprit parmi les fidles. Les incrdules, qui s entenaient aux apparences, prtendaient que les glos-solales taient pleins de vin doux .> {Actes ^ ).Lorsqu'on cessa decomprendre la glossolalie,

    parcequ'on cessait de lavoir se manifester (et elle se fit rare,puis disparut, quand les communauts chrtiennesfurent pourvues d'administrateurs rguliers, naturel-lement hostiles aux exalts), on interprta, en lesfaussant, les signes qu'elle avait produits (i). On ditdonc qu'au jour de la Pentecte, les Aptres avaientreu, avec le don du Saint-Esprit, le prcieux privi-lge de parler, sans jamais les avoir apprises, toutesles langues ncessaires leur prdication; le texte desActes des Aptres, 2 '-\ contient dj cette singu-lire explication de la descente de l'Esprit sous formeigne, pourtant bien connue des Juifs, et elle suffit anous prouver que le livre n a pas t rdig dans unmilieu juif; on y lit : Et il se fit tout coup unbruit du ciel, comme celui d'un vent violent et quiremplit toute la maison o ils se trouvaient. Et leurapparurent des langues isoles les unes des autres etqui semblaient de feu ; il s'en posa une sur chacund'eux, et ils furent tous remplis de l'Esprit saint et dscommencrent parler en diverses langues, selonque l'Esprit les faisait parler. Ce ne serait point la

    (1) On sait que le signe [a-np-do.), c'est--dire le phnomne-extraordinaire, jug miraculeux, constituait POur 'e Juit lapreuve par excellence de la vrit; voy. parlicul. Mt. Ib.

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    LA RVLATIOM ET L'iNSPlI\ATIO.\ 53un miracle plus surprenant que beaucoup d'aulresmais, en ralit, tout nous porte penser que le rcitqu on en donne en cet endroit repose sur un contre-sens, j entends sur la complte inintelligence des faitsvritables, et peut-tre aussi sur un rapprochementinjustifi, mais tentant, entre les langues de feu et leslangues parles.Le plus curieux, d'ailleurs, c'est que cette interpr-tation fausse des scnes d'inspiration glossolalique,

    dont les communauts apostoliques furent le thtreappuye sur l'autorit des Actes, censs inspirsaussi, a suscit le don des langues chez certainsexalts modernes, particulirement chez plusieursprophtes cvenols du xvii sicle. On vit alors depetits paysans, qui semblaient ignorants du franaisprcher dans cette langue; d'aucuns mme, parat-il'en grec et en hbreu. Ces miracles nous tonnentaujourd'hui beaucoup moins qu'ils ne faisaient autemps qui les vit se produire.On peut dire que, dans les religions rvles, toutesles sectes, ou peu prs, naissent de l'inspiration, quivient clairer et faire agir un homme ou un groupe;et beaucoup vivent du mme phnomne, qui mani-feste la prsence de Dieu au milieu des siens-le prophtisme en est la forme la plus banale, avec

    1 extase. Elle se prsente aussi, il est vrai, sous unaspect plus discret, mais moins diffrent qu'on neserait port c le croire, des manifestations naves etfrappantes que je viens de rappeler : quand on ditd'un crit qu'il est inspir, on n'imagine pas que sonauteur, en le composant, ait paru en proie un dliresacr; on entend seulement qu'il a, avant de prendrela plume, reu et donn l'assurance que l'Esprit divin

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    54 l'volution des dogmestait en lui et l'on suppose que l'aide efficace de cetEsprit le soutient dans toutes les entreprises qu'ilconduit pour le bien de la foi. Ainsi se prsentent,par exemple, tous les livres du Nouveau Testament,mis part VApocalypse, qui se donne comme unevision directe, c'est--dire revt la forme la plus ma-trielle de la rvlation. Une pitre de saint Paul estrpute inspire, parce que son auteur a reu sur lechemin de Damas et ensuite, dans plusieurs visions,l'assurance qu'il pensait et parlait selon la volontdu Seigneur; une ptre de saint Pierre est inspire,parce que TAptre a reu le Saint-Esprit et qu'en plus,dit-on, le Matre divin lui a tout spcialement confila mission d'enseigner; les vangiles peuvent treconsidrs comme rvls dans leur fonds, puisqu'ilssont censs enfermer la doctrine du Christ, de Dieuparu en figure d'homme, et inspirs dans leur forme,puisqu'ils passent pour avoir t rdigs par des Ap-tres (Evangiles selon saintMathieu et selon saint Jean),ou pour contenir leur enseignement (Evangiles selonsaint Marc et selon saint Luc).

    IVJe n'ai pas ici esquisser la psychologie des inspirs,

    ni tudier ce qu'on pourrait appeler le mcanismephysiologique de leur inspiration. Les raisons quifont que certains d'entre eux sont crus, tandis qued'autres sont ddaigns, ou n'obtiennent qu'un succsphmre, se montrent bien souvent indpendantesde leur talent et de la valeur propre de leurs ensei-gnements. L'-propos de leur initiative, les circons-

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    LA REVELATION ET L INSPIRATION OOtances et le milieu o elle se produit, sont les facteursles plus dcisifs de leur fortune. Mais, et c'est pournous une remarque essentielle, ceux qui russissent,qui, par exemple, comptent au nombre des fondateursde religions, n'ont pas une mentalit spcifiquementdiffrente des illumins malheureux; les moyens dontils usent pour concevoir et enfanter leur inspirationne sont pas vritablement autres que ceux qui abou-tissent un avortement. Tous croient sincremententrer en communication avec leur dieu et tenir lerle d'intermdiaires entre les hommes et lui. Qu'ilsfassent quelquefois place, dans leur mise en scne, un peu d'artifice plus ou moins inconscient, cen'est pas impossible et les dlirants eux-mmes, quinous offrent des types infrieurs d'inspirs, ne semontrent point incapables de menues roueries pourse faire prendre au srieux, ou protger leur mis-sion contre les critiques qu'ils redoutent ; cepen-dant, on peut affirmer hardiment que l'imposturepure et simple n'est pas la base des religions rv-les et que les vrais inspirs, ceux qui font jaillir desprofondeurs de leur conscience, ou de leur cur, lesparoles fcondes qui meuvent et entranent leshommes, ne sont jamais de vulgaires simulateurs.

    Les fondateurs des religions rvles croient cequ'ils disent et ils sont convaincus que c'est leurDieu qui le leur dicte; seulement l'exprience prouveque leurs rvlations s'organisent toujours en accord.avec leur milieu. Tous les prjugs, toutes les erreursscientifiques qui les entourent, se retrouvent dansleur bouche ou sous leur plume : Mose considrele livre comme un ruminant, il croit que la Terre estau centre du monde et que tout le reste de l'univers

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    56 l'volution' des dogmesse trouve rduit n'tre que son cadre : l'histoire dela Cration, que nous conte la Gense, ne laisse pointparatre le moindre soupon de ce que nos astro-nomes et nos gologues considrent comme desvrits certaines; elle s'accorde en revanche tout fait avec ce qu'on croyait savoir en Chalde au tempsde sa rdaction. Les proccupations touchant la venuedu Royaume de Dieu, qui tiennent tant de place dansl'esprit de beaucoup de Juifs, vers le moment o selve Jsus, occupent aussi la premire place dansson enseignement et en sont, pour mieux dire, laseule raison d'tre. De ce caractre fondamental detoute rvlation, il suit que, par le simple progrs desconnaissances et des ides, par l'invitable volutionqui entraine et modifie, de gnration en gnration,les conceptions religieuses et philosophiques deshommes, un moment arrive toujours o la rvlationpremire sur laquelle s'appuie une religion se pr-sente dans des conditions devenues si inacceptableset mle des affirmations si clairement reconnuesfausses, qu'elle-mme ne peut gure chapper audiscrdit; elle n'est plus regarde par les auditeursdous de si peu que ce soit d'esprit critique, quecomme une construction toute humaine et dsormaisprime.

    Ses fidles ne manquent pas de dire alors que leMatre inspir d'autrefois a employ le langage etparu accepter les erreurs de son temps, pour nepas dconcerter et mettre en dfiance, par la procla-mation inopportune de vrits de fait, les auditeursque prtendait toucher son enseignement divin, ter-nellement vrai dans son essence et plac hors de lin-fluence des contingences. C'est l'explication que les

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    58 l'volution des dogmesment authentique, ou dj modifi par des commen-taires qui, sous prtexte de l'claircir, l'adaptent auxbesoins nouveaux et l'altrent, de tout le poids desides religieuses qu'elle sent en elle et autour d'elle.Nous reviendrons sur ce phnomne, qui est un deceux o se voit le mieux la vie du dogme; je n'en parleici que pour faire comprendre quel point il est diffi-cile de remonter la source originelle des religionsrvles.Quant la personne des fondateurs, elle devientindistincte un point tel que de plusieurs d'entre euxon se demande sans paradoxe s'ils ont vcu vraiment.L'existence du Bouddha semble probable et, forcede prcautions dans la recherche, on peut esprerretrouver, sous l'paisse couche de lgendes quirecouvre sa vie, quelques traits exacts, ou du moinsacceptables comme tels; mais de Zoroastre nous nesavons rien ; VAvesta ne nous rapporte qu'une seulehistoire qui le concerne directement : c'est celle de satentation par le Mauvais, qui le menace et lui offrel'empire de la terre pour le faire renoncer sondessein; comme c'est l un trait qui se retrouve, parexemple, dans la vie du Bouddha et dans celle deJsus, on peut croire qu'il n'est gure personnel. Onprouverait quelque jour que ceux-l ont pleinementraison qui considrent Mose comme un personnagemythique qu'il ne faudrait point s'en tonner etJsus s'entrevoit si mal travers les rcits de nosEvangiles que certains critiques hardis mettent desdoutes sur la ralit de sa vie; je ne les partage pas,mais je ne puis les dclarer absurdes. Mahomet pluset mieux connu est, en dehors du Coran, fix toutde suite aprs sa mort, environn de tant de lgendes,

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    LA RVLATION ET l'inSPIH ATION 59qu'aujourd'hui le commun des musulmans le voit sousun aspect qui n'a certainement pas t le sien et qui,mme, l'aurait scandalis s'il avait pu le contempler.

    Et c'est plus ({ue chaque gnration, c'est chaquegroupe ethnique et, en lui, chaque classe intellec-tuelle qui se reprsente sa faon le Matre d'autre-fois et interprte, comprend son enseignement enconformit de ses propres inspirations. On peut croireque le Mahomet prchant du haut de sa chamelleblanche au Mecqois du vif sicle, celui que vnrentles soldats de Moulai Hafd et celui que conoit unPersan instruit de nos jours, sont, au vrai, trois per-sonnages distincts. Je n'ose pas croire que le Christqui naviguait avec les Douze sur la mer de Galile, sereconnatrait lui-mme, la fois dans le Sauveurqu'invoque un moine espagnol et dans le Matre quesuit un thologien protestant libral. Et j'entendsbien que ces ditTrences videntes ne correspondentpas seulement des fictions plus ou moins avoues, des adaptations plus ou moins inconscientes, en toutcaspurement subjectives, destines rendre utilisablesen un temps pour lequel ils n'taient point faits desprceptes toujours profitables en soi, mais bien desreprsentations relles, que l'on croit telles et quel'on produit comme telles : le protestant, qui voit enJsus surtout un moraliste sublime, se donne l'illusionde se reprsenter historiquement le prophtegaliien (i), et le moine espagnol ne pense pas autre-

    (1) Songer au dbat entre Harnack et Luisy, prii\iMjU(^ parles confrences o le premier prtendait, au nom de l'histoire,ramener le Christ la reprsentation que s"en faisait sonprotestantisme libral; son contradicteur dnona justementl'erreur fondamentale de la thse dans L'vauf/ile et l';/lise.

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    60 l'volution des dogmesment de son Dieu, mort en croix pour lui, instaura-teur vritable de toute la foi et de toute l'glise.

    Rien ne rvle mieux la souveraine puissance dela vie sur l'uvre des inspirs; ils ne sont pas mortsqu'elle les dborde dj. Je n'en veux citer qu'unexemple, d'ailleurs connu et clatant. Saint Franoisd'Assise semble le type parfait de l'inspir extatique,tout fait inconscient, ou du moins insouciant desconvenances sociales et aussi des ncessits politiquesdu milieu o il vit. uniquement dirig par son mer-veilleux inslinct de mystique dans sa conduite et sonenseignement. Il s'tait fait du Christ et de la viechrtienne une reprsentation qui fut, je pense, laplus rapproche de la ralit, je veux dire la plusconforme la volont de Jsus et son exemplequ'ait jamais vu se produire l'Eglise; il rvait d'ame-ner ses contemporains adopter un genre de vievritablement vanglique, pendant que lui-mme etl'lite qui accepterait la rgle inspire qu'il lui pro-posait, mnerait sur terre la vie apostolique. Tentativeingnue et hardie, qui ne parat pas sans rapportsavec celle de Tolsto, puisque son but tait, commecelui du philosophe russe, de faire de l'vangile lecode vritable de la socit, tentative paradoxaleaussi, sans doute, mais cependant capable de donnerde l'inquitud