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 SCIENCE, CAPITAL ET SUJET  Guy Lérès ERES | La clinique lacanienne 2006/1 - no 10 pages 209 à 219  ISSN 1288-6629 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-la-clinique-lacanienne-2006-1-page-209.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Lérès Guy, « Science, capital et sujet », La clinique lacanienne , 2006/1 no 10, p. 209-219. DOI : 10.3917/cla.010.0209 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ERES.  © ERES. Tous droits réservés pour tous pa ys. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.    D   o   c   u   m   e   n    t    t    é    l    é   c    h   a   r   g    é    d   e   p   u    i   s   w   w   w  .   c   a    i   r   n  .    i   n    f   o          2    2    1  .    1    4    9  .    6    0  .    1    8    6      2    0    /    0    4    /    2    0    1    3    0    8    h    1    7  .    ©    E    R    E    S D m e é é g d s w c r n n o 2 1 6 1 2 0 2 0 © E

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SCIENCE, CAPITAL ET SUJET

 

Guy Lérès ERES | La clinique lacanienne 

2006/1 - no 10

pages 209 à 219

 

ISSN 1288-6629

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-la-clinique-lacanienne-2006-1-page-209.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Lérès Guy, «Science, capital et sujet»,

La clinique lacanienne , 2006/1 no 10, p. 209-219. DOI : 10.3917/cla.010.0209

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La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre

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ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en

France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Guy Lérès

Vais-je enfoncer des portes ouvertes, répéter ce que chacunsait ? Ou au contraire tenir une parole opaque tant sera complexele substrat de ce que je vais vous proposer. Il s’agira pour moi de

tenter de dénouer l’écheveau des liens entre les discours de lascience et du capitalisme tel que Lacan a pu l’élaborer. Ce chan-tier mis en œuvre à partir du séminaire d’Un Autre à l’Autre n’apu être par son initiateur bouclé. Il reste donc ouvert. Commentd’ailleurs pourrait-il s’achever, lui qui se fonde sur le mi-dire dela vérité ?

LA FORMALISATION DU DISCOURS

Comme vous savez, ce sont quatre places sur lesquelles sedéplacent quatre lettres selon la règle du quart de tour. Les placessont distribuées selon un mode logique qui répond à la fonctionde la parole : « seule forme d’action qui se pose comme vérité »(Savoir, 3.11.72). Dès 1971, pour tenir compte de l’introductionde la lettre et de l’impact de la science qu’elle porte, Lacan pro-posera cet intitulé nouveau des places en respectant leur articula-tion, leur topologie.

1. Intervention au colloque « Science, psychanalyse et rationalité » d’Aix-en-Provence des 22 et 23 mai 2004 organisé par J.-F. Coudurier.

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Je dis qu’elles s’intitulent ainsi parce que Lacan reprécisaitdans le Savoir du psychanalyste (3.II.72) que « ceci est la topolo-gie fondamentale d’où ressort toute fonction de la parole », maisla lettre, accentuant son pouvoir, opère des transformations sur les

places elles-mêmes. Prenons garde qu’il ne s’agit pas de simpleschangements de dénomination mais bien de la prise en compte dupassage des lettres sur les places et des valeurs variables qu’ellesy tracent. Il est possible de voir là la dimension historique com-prise dans la structure des discours.

Quant aux lettres qui se déplacent sur ces places, leur articu-lation obéit à la loi du langage telle qu’elle définit le sujet : « Unsujet est représenté par un signifiant pour un autre signifiant »soit :

Cette opération comporte un reste que Lacan écrit (a) et quipeut aussi se comprendre comme ce qui inscrit la limite du sym-bolisable en rapport d’inclusion-exclusion avec l’Autre. On voitainsi que par (a) s’introduit dans le discours quelque chose d’hé-

térogène au langage.Lacan nous a fait reconnaître, dans cette articulation de lettressur les places, le discours du maître.

Il y en a trois autres, et trois seulement qui opèrent par dépla-cement d’un quart de tour.

LA CLINIQUE LACANIENNE N° 10

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semblant jouissance

vérité plus de jouir

S1 S2

$ a

$ S1

a S2 Discours de l’hystérique

S2 a

S1 $ Discours de l’universitaire

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et surtout celui dont la découverte a permis d’écrire tous lesautres, le discours de l’analyste

Tout ceci est admis. Je ne le répète que pour insister surquelques points qui le sont moins.

Le premier réside en ce que le discours du maître est le seul oùle graphe des places et celui des lettres se superposent exacte-ment. Le discours du maître est ainsi la forme canonique des dis-cours. Les autres discours se définissent par un quart de tour et sedénomment donc par rapport à la lettre qui va occuper la placedominante.

Le discours, venu, le dernier, a permis d’élaborer les autres etsurtout de pouvoir les écrire.

Le second point sur lequel je voudrais insister, avant de quit-ter ces généralités, réside dans cette particularité qui veut que lesplaces disposent de quelque chose comme d’une mémoire. Unexemple immédiat est le suivant. Dès que le discours du maître sedécline en terme de maître et esclave, la place de l’autre, celle del’esclave, devient celle où s’effectue le travail et elle le demeu-rera, quel que soit le discours. Quelle que soit la lettre qui seposera là, ce qu’elle représente sera mis au travail.

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a $

S2 S1 Discours de l’analyste

$ S1 hystérique $

a S2 pousse au savoir

S2 a université S2

S1 ∃ faire le savoir

a $ analyste a

S2 S1 savoir en vérité

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Un autre exemple de cette mémoire des places que j’ai sou-

vent cité et que Lacan propose et décompose ainsi. Si l’on peutreconnaître en S1, la Loi, alors le fait que $ le symptôme vienneen dominante peut se lire ce qui se passait en 68 comme la miseen question de la Loi comme symptôme.

Pour que ceci puisse lire il faut bien que S1 vienne en domi-nante du discours du maître. Il ne suffit pas du quart de tour, ilfaut que la dominante du maître se « souvienne » du passage del’hystérique.

Ceci m’amène à la dernière généralité. Si Lacan jusqu’en1970 se contente de décrire le passage d’un discours à l’autre parle quart de tour, dès la deuxième leçon de Encore il fait une nou-velle proposition.

« De ce discours analytique il y a toujours émergence à chaquepassage d’un discours à l’autre » ( Encore, p 20) et comme il ajou-tait que « l’amour c’est le signe qu’on change de discours » il fautcomprendre qu’en toutes circonstances le discours amoureux (quin’a pas ici la signification que Barthes lui a donné) signe le chan-gement de discours et cela, semble-t-il, quel que soit l’échangediscursif, y compris le repassage au même. L’objet (a) passe alorsen dominante et il y laisse quelque trace, puisque cette place n’estpas sans mémoire. J’espère que l’évocation trop longue de cesgénéralités pour la plupart connues de chacun verra sa justifica-tion par la suite.

Lacan a d’abord dégagé les relations de la psychanalyse et dela science. Il a identifié le sujet de la psychanalyse au sujet de la

science, sujet cartésien qu’il ne faut pas confondre avec le « Sujetde la civilisation scientifique » dont il a fait un dramatique por-trait dans « Fonction et champ de la parole et du langage ». Il y aquelque chose de très intéressant pour nous à distinguer cettestructure clinique des deux grands groupes que nous connaissons,

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a université – a – studé – l’étudiant

S1 le signifiant unaire

$ le sujet analysant

S2 le travailleur – l’esclave

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folie et névrose. Retenons pour le moment que cela nous autoriseen tout à considérer comme distinctes les positions subjectivesinduites par le capitalisme ou par la science, c’est ce que je vaisessayer de montrer.

LE CAPITALISME EST UN DISCOURS DU MAÎTRE

Même s’il y fait référence plusieurs fois auparavant, c’est sur-tout à partir du séminaire d’Un Autre à L’autre que Lacan prend

à bras le corps la problématique particulière offerte par le capita-lisme, puis ce qu’il appellera, liant science et capitalisme, « lacopulation du capitalisme et de la science ». Quand Lacan entre-prend d’interroger le discours du capitaliste, son abord est double.D’un côté, Marx qui lui permet d’identifier la plus-value au plusde jouir tout en lui attribuant l’invention du symptôme au sensstructural du terme : ce qui ressortit du traitement de la jouissancepar le refoulement. De l’autre côté, il s’appuie sur la clinique des

névroses, des psychoses et de la perversion pour dégager les rela-tions de (a) et de la jouissance.À Marx, il fait cependant deux griefs. Le premier tient à son

approche strictement comptable qui lui aurait évité la découvertede l’objet (a). Le second, plus grave, consiste à dénoncer l’effetdu dévoilement par Marx de la plus-value qui a surtout profité aucapitalisme et sa croyance en ce que le travail engendrerait unsavoir ( Envers, p 91). Selon Lacan, ce n’est pas le travail qui pro-

duit cet effet mais le transfert du savoir de l’esclave vers lemaître. Lacan a substitué ce transfert à la spoliation comptable deMarx. Et c’est en cela que la dénonciation par Marx est devenuesavoir du capitaliste ( Envers, p 92). Au début de sa réflexion à cesujet, Lacan a identifié le discours du capitaliste au discours dumaître. Il lui est même arrivé d’en dater l’émergence à la réformede Calvin de façon très weberienne.

Le discours du maître pouvait offrir son gîte au capitaliste. Legîte c’est sa structure héritée de celle du langage qui lui permet derecevoir quelque chose du travail de l’esclave, de l’ouvrier avantmême la généralisation du prolétariat, et sans que ni lui, ni l’es-clave n’en sache vraiment quelque chose. C’est ce secret qu’arompu Marx et qui a permis au capitalisme de se transformer radi-calement. Jusqu’à cette interprétation le sujet du discours du

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maître était dans l’impuissance de savoir son rapport à la plus-value. De cette vérité, il était clivé mais n’en savait rien et celaconfortait sa volonté constante de ne rien savoir. Selon Lacan,Marx a ainsi offert un remède à l’impuissance du discours dumaître. Au niveau de l’écriture discursive, cela permet d’inscrireun vecteur entre la place où se produit la plus-value et celle de lavérité. Ceci ne peut être sans conséquences. Nous les étudieronspar la suite.

LA SCIENCE SQUATTE L’HYSTÉRIQUE

La science, longtemps Lacan l’a attelée au discours de l’uni-versité. Le savoir en position dominante y poussait. À dire vrai,le maître ne voulait rien savoir, Lacan nous le répéta souvent.

Comment alors le goût lui en est-il venu ?C’est du côté de l’hystérique qu’il nous faut regarder. Le dis-cours de l’hystérique est un pousse au savoir. Évidemment cequ’« elle » voudrait que sache le maître-comme-homme, c’estquel trésor « elle » serait dans un discours phallique. « Elle »pousse à cela parce que c’est sa question à elle. Elle pose sa ques-tion à l’Autre… qui à dire vrai s’en fout… mais comme il n’ycomprend rien, il prend cette demande de savoir là où elle est

dans son discours propre : au niveau de l’esclave. Et c’est juste-ment ce que lui propose le discours universitaire sous les espècesdu philosophe : lui transférer conceptuellement le savoir pratique.Voilà comment ce savoir, « proche du savoir animal » nous a ditLacan, est devenu savoir de maître marquant la mémoire de sadominante.

Il y a donc un double mouvement à saisir pour comprendre ce« rapt de savoir ». Née de la lettre grecque, la science devait trou-ver habitat dans cette structure pousse au savoir. Et ce n’estqu’avec son aide que le discours universitaire poursuivant sonœuvre intimait au maître d’en savoir toujours plus. La machine dudiscours scientifique était en ordre de marche.

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COPULENT-ILS ?

La seconde question est encore plus aiguë. Si l’on veut bienreconnaître avec Lacan que le discours de la science est un dis-cours d’exclusion du sujet, comment cela peut-il se conjugueravec une structure où le sujet est justement en dominante ? Cela,me semble-t-il, peut se comprendre ainsi. La science a introduitdans le discours quelque chose d’inouï même si nos oreilles troprodées ne peuvent en saisir l’acuité : la lettre. La lettre est au fon-

dement même de la science. Des cultures en apparence plus évo-luées que la Grèce de Platon, comme la Chinoise, s’en sont tenuesà une science pratique, élaborée à partir de l’observation. La lettrepermet de spéculer hors signification et au-delà de l’objet d’ob-servation. Le discours de la science habite le discours de l’hysté-rique mais en substituant au sujet une lettre, c’est ce que proposeLacan. Entendons-nous bien, il s’agit du discours de la science etnon de celui où, subjectivement, est pris un savant. Ce n’est pas

le même mais le premier n’est pas sans effet et maints savants enont payé un prix fort.Suivant Lacan en 1970, nous en sommes à identifier le dis-

cours du capitaliste à un « vrai » discours du maître. D’un autrecôté le discours de la science habite le discours de l’hystérique etpousse le maître à savoir avec la collaboration du discours uni-versitaire qui lui apporte un savoir qui lui aille.

Il se trouve que la généralisation de ce procédé a été facilitée

par cette particularité du discours du maître l’opposant à ceux quil’ont précédé, ceux que Lacan appelait « anthropologiques ». Lediscours du maître a réduit son rapport au mythe au maximum. Iltient, nous a dit Lacan, sur ce mythe extrêmement réduit qui veutque le sujet soit identique à son propre signifiant ( Envers, p. 102).Ce mythe restreint rend le maître et son discours beaucoup plusperméable à lettre qui s’est nichée dans la structure suivant laquestion ouverte par l’hystérique. La lettre, au contraire du signi-fiant purement différentiel, est identique à elle-même, elle vientdonc soutenir ce mythe rétréci du maître. C’est sans doute là quecertains croient reconnaître le narcissisme du sujet moderne alorsqu’il s’agit bien d’autre chose où l’image est moins en jeu qu’unerelation nouvelle à la jouissance.

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Si la lettre est « effet de discours » (II, p. 36) elle est parvenue,grâce à la science et un maître accueillant, à contaminer l’en-semble des discours. Celui de l’hystérique a pu en témoigner à untournant de son histoire grâce aux malades de Charcot.

Quoiqu’en disent certains et non des moindres, le sujetmoderne reste un sujet, si l’on s’en tient à la définition structu-relle, tel qu’il est représenté par un signifiant pour un autre. Deuxparticularités historiques peuvent prêter à confusion. Au mytheréduit déjà décrit, s’adjoint l’introduction de la lettre, dont il favo-

rise l’installation mais qui fait baisser la garde signifiante par rap-port au réel et donc fragilise le narcissisme qui s’en trouvecomme écorné. Car la lettre importe un réel qui affecte l’imagi-naire, et érode la vérité par un appel l’univocité qui n’implique-rait d’autre sens que ce mythe identitaire restreint. L’effet le plusdirect sur la structure n’est-il pas alors de mettre en péril le mi-dire de la vérité et donc la double vectorisation qu’il implique àson graphe ?

EXIT L’IMPUISSANCE

Dans l’Envers de la psychanalyse déjà, Lacan constate quequelque chose a changé dans le discours du maître. Quand le plusde jouir a pu se compter, se comptabiliser, a « commencé ce quel’on appelle accumulation du capital » ( Envers, p. 207). Il nousdit alors « Ne sentez-vous pas, par rapport à ce que j’ai énoncé

tout à l’heure, de l’impuissance à faire le joint du plus de jouir àla vérité du maître, qu’ici le pas le gagne ? » On se saurait êtreplus près de notre question, d’autant que Lacan poursuivait« L’impuissance de cette jonction est tout d’un coup vidée ». Il entirait la conclusion : « La plus-value s’adjoint au capital ».

Si nous essayions d’inscrire ce pas, nous pourrions avoir :

Mais la pertinence de cette proposition s’avère vite insuffi-sante. Et si l’on ajoute la remarque de Lacan « qu’à partir de cemoment là, du fait qu’ont été aérés les nuages de l’impuissance,

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le signifiant maître n’en apparaît que plus inattaquable, justementdans son impossibilité », s’impose de tenir compte de la dégrada-tion de la fonction de vérité. Il conviendrait, comme nous allonsle voir, d’inscrire plutôt la topologie du nouveau maître ainsi :

RETRAITE DE LA VÉRITÉ

L’identité à soi-même s’est prêtée à accueillir la fonction de lalettre issue du gîte hystérique de la science comme discours dupousse à savoir. Mais à ce niveau il y a une autre transformationqui suit celle du rejet du sujet. Cette autre transformation n’estautre que l’exclusion de la vérité en ce que l’univocité nécessaire

à la science ne tolère plus le mi-dire.

Cela tourne rond car saute alors le mi-dire de la vérité et ducoup la vérité elle-même par nécessité de l’univocité. À la place

de la vérité une exigence d’exactitude exige la présence d’unchiffre ou d’une lettre, rejette toute division et insiste sur le ver-sant réel de (a).

C’est à ce pousse au savoir que le maître moderne a affaire etle savoir sur lequel il se reprend est lui aussi comptable et uni-voque. Se saisissant de cette révocation du mi-dire, le discoursuniversitaire, discours du faire savoir du maître, va constituer ( Lesavoir du psychanalyste, 2.12.71) le semblant comme dominanteet donc suppléer au mi-dire de la vérité tout en servant l’univocitédu discours. Ne faut-il alors pas reconnaître là le discours del’université en tant que tel, mais celui de la Bureaucratie, queLacan a stigmatisé du « tout-savoir » ( Envers, p. 34).

Il y a dans le Savoir du psychanalyste un passage qui fait lepont entre cette référence peu relevée de l’Envers et le Discours

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de Milan ( Envers, 70 ;  Milan, 12 mai 72 ;  Le Savoir, 2décembre 71). Dans ce petit passage, il est patent que Lacan avaiten tête le graphe du discours capitaliste tel qu’il allait le produireà Milan et, le reprenant, il l’authentifiait. Il insista dans ce pas-sage sur deux éléments fondamentaux pour nous. D’abord ilinsistait sur le fait que le discours du maître tient encore sous lesespèces du discours capitaliste. Ensuite il indiquait que s’il« cherchait la popularité », il aurait « montré le tout petit tournantquelque part qui en fait le discours du capitaliste » (2.12.71,

p. 32). J’ai dégagé ailleurs que le petit tournant est moins uneinterversion des lettres qu’une inversion des places – seule possi-bilité pour que le discours du capitaliste demeure un vrai discoursdu maître. Cette substitution des places transforme la logique quirègle leur graphe dans l’ordre de ce que nous avons rencontrédans l’ Envers : déjà comme effet de ce double mouvement quesont l’élision de la vérité de sa place de soutien du discours et larésolution de l’impuissance du discours.

En ceci le discours du capitaliste est bien le substitut du dis-cours du maître. Substitut astucieux mais selon Lacan « voué à lacrevaison » parce qu’il « marche trop vite… ça se consomme si

bien que ça se consume » (Milan, 12 mai 72).Le sujet du capitalisme, quelles que soient ses difficultés,garde toutes ses caractéristiques de sujet sauf à être coupé de sonsavoir (prolétaire) qui ne lui revient que sous la forme utilitaristed’un plus de jouir cru. Il ne faut donc pas le confondre avec cetteespèce moderne qu’est le « sujet de la civilisation scientifique »( Envers, p. 281), c’est-à-dire un sujet entièrement si aliéné par cediscours qu’il n’est sans doute même plus névrosé. Le sujet de lacivilisation scientifique s’inscrirait-il dans un discours de l’hysté-rique mœbianisé, discours scientifique quart de tour du discourscapitaliste désubjectivé ?

LA CLINIQUE LACANIENNE N° 10

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Cette écriture garde pour moi son caractère d’hypothèse detravail permettant de distinguer en structure discours du capita-lisme et discours de la science ainsi que les positions des sujetsqui y sont pris. Dans la même relation de quart de tour que le

maître et l’hystérique, le capitalisme et la science peuvent ainsi« copuler ». Nous vivons les effets de cette copulation et nousnous débattons parmi les grouillements de ses rejetons. Mais,outre que les structures anciennes persistent aussi bien indivi-duellement que collectivement, la mœbiatisation des discoursmodernes peut, au moins individuellement, être contrariée. Deuxéléments semblent être en puissance de briser cette ronde, l’an-goisse et l’amour, qui s’offrent ainsi comme prises pour l’analyse.Pour nous y encourager, Lacan ne nous a-t-il pas montré quel’amour se manifestait à chaque changement de discours. Cesavènements subjectifs inscrivent discursivement l’objet (a) endominante du discours et situent le sujet comme actif par rapportà l’érection de son savoir en vérité. Se verrait ainsi rompu le sort

 jeté au sujet par la copulation de la science et du capitalisme.

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