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henri iv « J’ai tellement envie de vous » Lettres d’amour 1585-1610 la Bibliothèque d’Évelyne Lever

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Le «bon roi Henri» aimait tant les femmes qu’il faillitmettre sa couronne en péril pour les beaux yeux deses maîtresses. Amant souvent trompé, mari toujoursinfidèle, il exigeait des belles qu’elles lui fussentsoumises. Les sentiments comptaient peu pour ce

conquérant aussi intrépide au combat qu’à la poursuite decelles qui éveillaient ses sens. La mort de la belle Gabrielled’Estrées lui fit couler des larmes mais elles furent viteséchées par Henriette d’Entragues, qu’il fit pratiquementcohabiter avec son épouse légitime, Marie de Médicis. Onpeut s’étonner qu’un homme d’action tel que lui ait eu letemps et le goût d’écrire des lettres d’amour. Dans cettecorrespondance qui couvre près de vingt-cinq années – despremières amours du jeune roi de Navarre à sa dernière idylleavec Charlotte de Montmorency – il s’y montre sentimental etlibertin, parfois précieux, maniant avec élégance l’humour, lamalice et le mensonge. Tout cela fait penser à Brantôme et àses Dames galantes…

é d i t i o n é t a b l i e p a r

f r a n ç o i s e k e r m i n a

l a B i b l i o t h è q u e d ’Évelyne Lever

Couverture : Portrait équestre d’Henri IV attribué à GuillaumeHeaulme, XVIIe siècle.© RMN / René-Gabriel Oiéda.

ISBN : 978-2-84734-645-9 Imprimé en Italie 03-10 21 m

henri iv

« J’ai tellementenvie de vous »

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LETTRES D’AMOUR

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HENRI IV

« J’ai tellement envie de vous »

LETTRES D’AMOUR

1585-1610

ÉDITION ÉTABLIEPAR FRANÇOISE KERMINA

La bibliothèque d’Évelyne Lever

Tallandier

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© Tallandier, 2010Éditions Tallandier

2, rue Rotrou — 75006 Pariswww.tallandier.com

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SOMMAIRE

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

I. Corisande (1585-1591) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

II. Gabrielle (1591-1599) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63

III. Henriette (1599-1600) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91

IV. Marie et Henriette (1601-1605) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133

V. Marie contre Henriette (1606-1608) . . . . . . . . . . . . . . . . . 169

VI. Charlotte (1609-1610) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215

Épilogue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231

Note sur la présente édition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239

Localisation des lettres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241

Chronologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243

Index des noms de personnes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247

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INTRODUCTION

Dans les récits populaires du XVe siècle, on appelait Verts Galantsdes brigands embusqués au cœur de forêts ténébreuses qui détrous-saient les voyageurs. C’est pour cela qu’ils étaient verts, mais ilsétaient aussi redresseurs de torts, défenseurs de la veuve et del’orphelin, ne s’attaquant qu’aux riches et aux seigneurs, comme lefameux Robin des Bois, et c’est pour cela qu’ils étaient galants. LeVert Galant était agile, spirituel, courageux, aimé des faibles, craintdes méchants, autant de qualités pour plaire aux femmes, et c’estainsi que l’on a glissé vers le Vert Galant coureur de jupons.

Dans sa jeunesse, Henri IV ressemblait à ce personnage. D’unerobustesse et d’une vitalité hors du commun, d’une bravoure etd’une gaieté légendaires, il chevauchait gaillardement d’un bout àl’autre de son royaume, entouré autant d’ennemis perfides qued’amis fidèles, combattant les uns et partageant avec les autres labonne ou la mauvaise fortune des camps, d’humeur toujoursjoyeuse, indifférent aux dangers, ardent aux plaisirs.

La guerre et les femmes, ses deux passions, l’accompagnèrentjusqu’à la fin de sa vie, puisqu’il fut assassiné au moment où il semettait en campagne pour retrouver, assurait-on, une Hélènequ’on lui avait ravie. Il tenait de sa race, les Bourbons, une intrépi-dité à toute épreuve, mais aussi un tempérament sensuel dont il fitpreuve très tôt. On lui attribua de bonne heure un grand nombred’aventures, cette réputation tenant sans doute au contraste qu’iloffrait avec son environnement et son milieu. Sa mère, Jeanned’Albret, reine de Navarre, avait instauré dans ses États le calvinismele plus austère. Toute licence de mœurs y était interdite et sévère-ment punie, même les réjouissances populaires les plus anodines :

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les cartes, les jeux, la danse, les chansons. « Il faudrait être anges etnon pas hommes pour se plier à ces règles » protestaient ses sujets. Àson fils, qu’elle aimait pourtant tendrement, elle avait imposé unediscipline de fer. On n’en remarquait que mieux, pour s’en éton-ner, le comportement explosif du jeune prince. L’histoire de sonadolescence en Béarn est remplie d’anecdotes plus ou moinsauthentiques, plus ou moins scabreuses, certaines rustiques, commecelles de la meunière de Capchicot ou de Fleurette, la fille dujardinier de Nérac, d’autres plus relevées, qui montrent toutes ungarçon déluré prompt à saisir les occasions, sans trop de scrupules.La légende s’en est emparée et il ne s’appliqua pas à la démentir.

Son séjour à la cour des Valois, où sa mère l’avait envoyé parfaireson éducation, ne pouvait guère l’inciter à plus de sagesse. AuLouvre, l’intrigue et le libertinage faisaient de l’amour un jeu nonseulement autorisé, mais recommandé. Catherine de Médicis, enbonne Florentine, dressait son fameux escadron volant de beautésfaciles à séduire les hommes de pouvoir, afin de les neutraliser.Henri ne rechignait pas à puiser dans ce vivier. Il y rencontrait dessuccès car, s’il n’était pas élégant et beau à la manière des «mignons »d’Henri III, il avait le charme du naturel et de la bonne humeur.Comment n’aurait-il pas été, non plus un galant des bois, mais ungalant des villes dans un tel milieu ?

Son mariage en 1572 avec la fille d’Henri II et de Catherine deMédicis, Marguerite de Valois, a toujours passé pour une catas-trophe, d’autant plus qu’il fut le prélude et l’une des causes dumassacre de la Saint-Barthélemy, déclenché quelques jours après lacérémonie. C’est une idée reçue, qu’on peut revoir. Ces deuxjeunes gens, mariés à des fins politiques sans avoir été consultés,avaient en réalité plus d’une raison de se convenir. Henri aimait lesjolies femmes, il avait la plus belle de la cour. Marguerite aimait leshommes galants, il l’était, même s’il n’avait pas le raffinement que,précieuse avant le temps, elle aurait pu espérer. Elle avait la cultureapprofondie des Médicis, mais en dépit des caricatures qu’on a faitesde lui, il avait reçu la très bonne éducation humaniste des princesde son temps, sa mère lui ayant donné les meilleurs maîtres. Ilconnaissait le latin et les poètes, tout en leur préférant le jeu depaume et la chasse. Et s’ils portaient des colliers de senteur et desrubans, ses rivaux avaient, comme lui, la colère prompte et l’épéeprête à sortir du fourreau.

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Dès le début de leur union, ces jeunes époux «malgré eux »s’étaient entendus sur un point essentiel : se garantir l’un à l’autreune parfaite liberté de mœurs. Ils en profitaient sans états d’âme.Marguerite, émue par les dangers que son mari huguenot convertide force courait dans une cour catholique devenue pour lui uneprison, sut le conseiller et le défendre. Elle l’aida même à s’enfuir.Plus tard, leur vie à Nérac comme souverains de Navarre fut, pen-dant les guerres civiles qui enflammaient le royaume, un havre depaix et de plaisirs au point d’inspirer Shakespeare pour sa féerie,Peines d’amour perdues. Dans cette petite capitale régnait une tolé-rance religieuse dont aurait pu s’inspirer le royaume tout entier : lesuns allaient à la messe, les autres à la cène pour se retrouver le soiraux bals, au théâtre, aux concerts, aux apartés amoureux.

Cette oasis dans un monde en feu ne dura pas, et pas davantagel’étrange connivence entre deux jeunes gens pleins de vie, mais malmariés. Leurs débordements respectifs, la stérilité de leur unionfinirent par les séparer, et surtout l’amour profond qui allait unirpendant huit ans le roi de Navarre et la comtesse de Gramont. Dèslors que le Béarnais s’engageait dans une liaison sérieuse au lieu dese dissiper dans des amours sans lendemain, le jeu était faussé.Marguerite dut s’effacer devant une rivale triomphante qui ne luirendit pas la partie facile. Ses démêlés avec son frère Henri III,devenu l’allié de son mari dans une lutte commune contre la Ligue,l’amenèrent d’autre part à prendre les armes contre eux. Elle setrouva reléguée dans une forteresse d’Auvergne où elle resta vingtans. Exit la joyeuse compagne de libertinage.

La liaison du Béarnais et de la comtesse de Gramont est uneexception, presque une anomalie, dans la vie amoureuse du roi.Elle fut d’ordre cérébral plutôt que sensuel ou même sentimental.Corisande, nom qu’elle s’était donné d’après un des personnagesde l’Amadis de Gaule, roman très prisé à l’époque, n’avait rien de cequi pouvait enfiévrer un homme comme lui. Elle était très bellemais froide, assez tendre mais exigeante, désireuse avant tout dejouer un rôle dans le destin extraordinaire de son amant. Trèscultivée, très mondaine, elle était liée avec les plus nobles famillesde Gascogne. Montaigne l’admirait beaucoup et elle sut l’attacherà la cause du roi de Navarre. Égérie plutôt que maîtresse, elle aidaHenri de ses conseils qu’il ne suivait pas toujours, le soutint dans

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INTRODUCTION

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ses moments de découragement plus nombreux qu’on ne l’ima-gine, et surtout éveilla en lui ce qu’il avait de meilleur, telle unedame avec son chevalier. Elle échoua à le retenir parce qu’elle nel’accompagna pas lorsqu’il quitta le Béarn pour poursuivre sonaventure en France. C’était un homme qu’il ne fallait pas lâcherd’un pouce si on voulait le garder. Loin des yeux loin du cœur, telétait le revers fâcheux de la légèreté joyeuse du Béarnais.

Il s’agit avec Corisande, de la jeunesse du roi de Navarre,époque où les écarts d’une vie agitée demeuraient dans une sphèreprivée, où il était libre de ses folies et n’avait de comptes à rendre àpersonne. Tout changea en 1589 lorsque, à la suite de l’assassinatd’Henri III, celui qui jusque-là n’était qu’Henri de Navarre, unpetit souverain parmi d’autres, devint Henri IV, roi de France. Savie amoureuse changea et fut dès lors, qu’il le voulût ou non, uneaffaire d’État. Son attachement à la comtesse de Gramont n’avaitjamais menacé les intérêts du Béarn ni ceux de la France, alors queles deux passions qu’il vécut ensuite mirent en danger la stabilité duroyaume et sa propre survie sur le trône ; elles sont donc, du pointde vue de l’Histoire, beaucoup plus importantes.

La faveur de Gabrielle d’Estrées, puis celle d’Henrietted’Entragues présentent de nombreuses analogies. Dans les deuxcas, il s’agit de jeunes femmes manipulées par des familles avides devendre au plus haut prix leurs appas et qui n’éprouvent que trèspeu d’amour pour le roi. Mais elles sont mues par l’envie frénétiqued’être reines, et se trouveront finalement déboutées, non par lavolonté d’Henri, mais par un hasard providentiel. Les d’Estréescomme les d’Entragues étaient des épaves de la Ligue, très inté-ressés à se refaire une virginité au début de ce nouveau règne. Lespremiers avaient perdu leurs charges du fait de leur incompétence,les seconds s’étaient ralliés par opportunisme. De plus ils s’étaientdiscrédités en raison de l’inconduite de leurs femmes. Les LaBourdaisière, lignée maternelle de Gabrielle, avaient une réputa-tion établie de femmes galantes. « On en compte, dit Tallemant desRéaux, jusqu’à vingt-cinq ou vingt-six, soit religieuses soit mariées,qui toutes ont fait l’amour hautement1. » L’une d’elles se vantait

1. Tallemant des Réaux, Les Historiettes, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade »,1960-1961.

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d’avoir eu successivement pour amants François Ier, l’empereurCharles Quint et le pape Clément VII. Les cinq sœurs de la favo-rite, elle-même et son frère étaient surnommés « les sept péchéscapitaux ». Françoise, sa mère, déjà célèbre pour son dévergondageà la cour d’Henri III, avait quitté le domicile conjugal pour suivrele marquis d’Allègre, gouverneur d’Issoire, de vingt ans son cadet.Haïs par leurs ouailles, ils avaient été assassinés dans leur lit au coursd’une émeute. La marquise de Sourdis, tante de Gabrielle, vivait enménage à trois avec le chancelier Cheverny. Son autre tante,Diane, était une entremetteuse de haut vol. Quant à MarieTouchet, la mère d’Henriette, elle avait débuté dans la vie commemaîtresse de Charles IX, auquel elle avait donné un bâtard, lecomte Charles d’Auvergne, avant d’épouser, pour faire une fin, lesieur d’Entragues.

Il y avait donc, ici et là, une tradition d’arrivisme et de liberti-nage. Le roi vivait depuis longtemps séparé de Marguerite deValois, dont la stérilité pouvait être une cause de divorce. De noto-riété publique, c’était un homme très porté sur les femmes. Uneplace était donc à prendre. Mais quelle place ? Non celle de maî-tresse de passage, mais de reine de France. Tel était l’enjeu quidépassait de beaucoup de simples histoires d’amour, et ces ambi-tieuses faillirent réussir, la première surtout. Toutes deux eurentpour cela une arme capitale, la promesse de mariage.

Ce genre d’engagement faisait partie des mœurs de l’époque.C’était un contrat privé, sérieux et difficile à rompre. Henri le savaitbien. Sa cousine Françoise de Rohan avait vainement fait valoir lapromesse de son suborneur, le beau duc de Nemours1, au coursd’un procès retentissant où, pour la défendre, Jeanne d’Albret avaitmis, sans succès, toutes les ressources de son énergie passionnée.Françoise n’avait jamais obtenu satisfaction, ni son fils le droit deporter le nom des Nemours. On trouvait d’ailleurs bien d’autres casde ce genre dans les annales judiciaires. Pierre de L’Estoile racontedans son Journal qu’en 1604 un notable de Rennes fut condamnépar le parlement à épouser une veuve qu’il avait engrossée en luipromettant le mariage. L’arrêt lui intimait de régulariser dans les

1. Celui-là même que Mme de La Fayette a pris pour modèle de séductiondans La Princesse de Clèves.

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INTRODUCTION

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deux heures du jugement sinon, ce délai écoulé, il aurait la têtetranchée. «Ou mourez, ou épousez, telle est la volonté et la résolu-tion de la cour1 », concluait le féroce magistrat. L’inculpé épousaévidemment aussitôt. Toutes les alternatives n’étaient pas aussi ter-ribles sans doute, car nous verrons d’autres compagnons du VertGalant le suivre dans cette voie sans finir la tête sur le billot, mais cecas, espérons-le, limite n’en montre pas moins l’importance, en cetemps, d’une promesse de mariage.

Pour arriver à ses fins, Henri lui-même en usa et abusa, entreautres avec la « petite Fosseuse », une suivante de sa femme, avecCorisande, avec Antoinette de La Roche-Guyon, une veuvepiquante qu’il courtisait pendant le siège de Paris. La première yavait cru, la deuxième un peu moins, la troisième pas du tout.C’était pour lui une clause de style dans sa stratégie gasconne, il n’yattachait pas trop d’importance, même s’il faillit se brouiller avec sasœur Catherine à cause de l’engagement qu’elle avait elle-mêmeconclu avec l’homme qu’elle aimait, le comte de Soissons.

Dans le cas de Gabrielle, la promesse fut plus implicite que véri-tablement prononcée, cependant Henri lui fournit trop de gages aucours de leur liaison pour qu’elle ne la prît pas au sérieux, surtoutquand elle lui eut donné trois enfants. Il est certain qu’en 1599 ilmontra manifestement qu’il avait l’intention de l’épouser. Il justi-fiait ce choix du fait qu’elle était Française, et que par ce mariage iln’introduirait pas dans la maison royale une étrangère, avec tous lesrisques politiques qu’une telle alliance supposait, raisonnement spé-cieux car tous ses prédécesseurs avaient précisément épousé desétrangères pour éviter des rivalités de lignage au sein du royaume.Ce projet, à peine en parla-t-on, qu’il scandalisa la France, l’Europeet l’Église. Gabrielle était de réputation douteuse, elle avait eu desamants avant le roi, et même encore au début de leur liaison, alorsque la vertu de l’épouse royale ne pouvait être mise en doute. Elleétait certes féconde, avec trois enfants dont deux fils légitimés par leroi, mais cet avantage se retournait contre elle. Qui serait reconnu àla mort du roi comme l’héritier du trône ? César, l’aîné de sesbâtards, ou le premier fils qui naîtrait de son mariage légitime ? Et

1. Pierre de L’Estoile, Journal pour le règne d’Henri IV, Paris, Gallimard, 1943.

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les cadets de la maison de Bourbon accepteraient-ils cette irrégula-rité dans la lignée des descendants de Saint Louis ? L’irresponsabilitédu roi pouvait faire craindre le retour des guerres civiles qui avaientsi longtemps déchiré le royaume.

Il était en effet impératif pour les rois de France d’avoir des fils,comme si leur principale, sinon leur seule raison d’être était de sereproduire toujours, l’un après l’autre, qualité primordiale etrituelle, dépassant de beaucoup leurs mérites individuels. C’est quel’interruption d’une filiation mâle et légitime pouvait mettre le feuau royaume. Pour le nouveau venu, il s’agissait de greffer sur cevieil arbre malade des Capétiens, le bourgeon neuf et vigoureux desBourbons, et cela n’allait pas de soi. On avait longtemps contesté leroi de Navarre comme hérétique, certains mettaient toujours endoute la sincérité de sa conversion, mais on réfutait égalementson droit dynastique, sa parenté, au vingt-deuxième degré, avecles derniers Valois paraissant trop éloignée alors que ses rivaux, lesGuise, se prétendaient, eux, descendants directs de Charlemagne.D’autre part il était capital que la greffe réussît rapidement : Henriavait plus de quarante ans, et même s’il était de santé robuste, ilpouvait à tout moment disparaître, victime d’un attentat, commeson prédécesseur. Il était parfaitement conscient de cette urgenceet, dès son avènement, il avait envoyé des ambassadeurs à Romepour obtenir l’annulation de son mariage, et d’autres à Florencepour engager des négociations matrimoniales avec la niècedu grand-duc de Toscane, Marie de Médicis, alors même queGabrielle prenait de plus en plus d’importance dans sa vie.

Loin de la tenir dans une demi-clandestinité, il l’affichait par-tout à ses côtés. Elle vivait sur un très grand pied avec tout l’apparatd’une souveraine, et chaque jour semblait la rapprocher d’un trônequ’elle convoitait ouvertement, tandis que le pape Clément VIII,outré, se mettait en prières pour le salut de la dynastie capétienne.Sourd aux critiques et aux avertissements venant de toutes parts, leroi préparait avec sa maîtresse la cérémonie du mariage, fixé aulendemain de Pâques. Tout le monde s’attendait à l’événementfatal, lorsque, le 10 avril 1599, Gabrielle mourut si soudainementet si opportunément que les uns crièrent au miracle, les autres àl’empoisonnement. « Dieu y a pourvu ! » s’écria Clément VIII enrompant son jeûne. En fait la duchesse, qui était à la fin d’une

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quatrième grossesse, mourut d’éclampsie, mais cette mort venaitsingulièrement à point.

Dans le double jeu bizarre qu’il menait entre ses tractationsdiplomatiques et les assurances publiquement dispensées à la favo-rite, il est bien difficile de discerner les intentions véritables d’unprince qui savait être à la fois secret et extraverti. Tout hommed’action et d’État qu’il était, il était fataliste et aimait s’en remettre àla volonté de Dieu, autrement dit au sort, pour résoudre les situa-tions inextricables où il s’embourbait. Personnage à coup sûr horsdu commun, il a de plus bénéficié au cours de sa vie aventureuse decoups de chance exceptionnels, et celui-là en est un. D’ailleurs, ilsavait parfaitement que, n’ayant pas reçu le bref d’annulation queClément VIII se gardait bien de lui envoyer, il lui était impossibled’épouser Gabrielle, sous peine de bigamie, ce qui eût été un peufort pour un converti de fraîche date, même « outré d’amour »,selon sa propre expression. Il choisit l’atermoiement et l’événementle servit.

Titrée marquise de Montceaux en 1596 et l’année suivanteduchesse de Beaufort, Gabrielle eut trois enfants du roi, César, en1594, futur duc de Vendôme, Henriette, en 1596, future duchessed’Elbeuf, et Alexandre, l’année suivante, futur grand prieur deVendôme, général des galères deMalte.

La douleur d’Henri, à la mort de Gabrielle, fut réelle ostenta-toire, mais brève. Il resta prostré pendant plusieurs jourset, lorsqu’on lui amenait ses enfants, il les embrassait « avec unetelle passion qu’il était difficile de n’en avoir point de pitié1 ». Ilfit prendre le deuil à sa cour pendant quelques semaines, etpuis… et puis, l’amour de la vie ne tarda pas à lui revenir.

Il se laissa bientôt convaincre par ses proches que Dieu lui avaitfait une grande grâce en le prévenant d’une grande faute. Sesministres et ses ambassadeurs se réjouirent, Marguerite de Valois,jusque-là très réticente à consentir au divorce, redevint accommo-dante, les procédures à Rome comme à Florence reprirent, ledeuxième mariage tant souhaité allait être conclu lorsque le roi,incorrigible, remit tout en jeu. Il s’éprit de nouveau, follement.Comme dans toutes les cours la « charge » de maîtresse royale ne

1. Cité par Raymond Ritter, Charmante Gabrielle, Paris, Albin Michel, 1947.

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doit jamais rester vacante, les entremetteurs de tout poil, « porte-poulets, cajoleurs et persuadeurs de débauche1 », selon l’expressionde Sully, se mirent en branle. Sous prétexte de chasses, on entraînale très consolable éploré dans les bois de Malesherbes prèsde Pithiviers, où se trouvait le château des d’Entragues. Il suffit dequelques manèges pour que le roi, ensorcelé, fût de nouveau prêt àtout, ou le fît croire, car s’il fut sans doute sincère en promettant lacouronne à Gabrielle, ce ne fut pas le cas avec Henriette. L’histoirede leur liaison reposa sur une double duperie. Il lui signa une pro-messe de mariage qu’il n’eut certainement jamais l’intention d’exé-cuter. Quant à elle, très rouée malgré son jeune âge, elle simula àmerveille une pudeur effarouchée, avec l’aide de ses parents quifeignaient de leur côté une intransigeance de mœurs qu’ils étaientbien loin d’avoir. Le roi ne vit pas, ou plutôt vit très bien, mais passaoutre, qu’il tombait dans le même piège que celui tendu par lesd’Estrées huit ans plus tôt. Cependant il n’avait aucune estime pourles d’Entragues. Aussi crut-il que la conquête de la jeune fille n’enserait que plus facile.

On commença par demander de l’argent. Henriette avait unavantage sur sa devancière : elle était vierge. Le prix de ce pucelagefut très élevé : 100 000 écus, mais Henri ne marchanda pas, s’écriantseulement lorsque Sully se fit un malin plaisir d’étaler la somme,pièce par pièce, sur la table : « Ventre-Saint-Gris, voilà une nuitbien payée2 ! » Il était encore loin de cette nuit-là. Henriette eutl’audace, poussée par ses parents, mais elle était fort capable d’enavoir elle-même l’initiative, d’exiger pour prix de sa redditionl’engagement du roi à l’épouser au cas où, dans les six mois deleur union, elle aurait un fils, et une promesse écrite, non une pro-messe de Gascon. Les négociations matrimoniales avec le grand-duc de Toscane étant sur le point d’aboutir, il fallait agir vite. Le roi,de nouveau « outré d’amour », signa tout ce qu’on voulut, et il eutenfin la fille.

Elle fut immédiatement enceinte, alors même que le roi se met-tait en route pour rejoindre Marie de Médicis, épousée par procu-ration à Florence. Qu’aurait-il fait si elle avait accouché d’un fils

1. Maximilien de Béthune, duc de Sully,Œconomies royales, Paris, Michaud etPoujoulat (éds.), 2 vol., 1836-1837, 2e série.

2. Ibid.

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avant que le mariage florentin fût définitivement conclu ? Il n’eutpas à se le demander, car le sort ne le voulut pas. La foudre étanttombée sur l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois, voisine de lamaison qu’elle occupait, Henriette eut si peur qu’elle accouchaprématurément d’un fils mort : « Un enfant né à coups de ton-nerre1 », commenta Sully. On ne sait si Clément VIII s’exclama denouveau : « Dieu y a pourvu ! », mais il est de fait que, une foisencore, le roi était singulièrement favorisé par le destin.

Cet incident le délivrant définitivement d’un engagementembarrassant, il entendait bien continuer cette liaison à la manièrede tous les souverains libertins dont il n’était pas le seul représen-tant, c’est-à-dire en attribuant à Henriette la fonction de favorite,et il lui donna comme consolation le titre de marquise de Verneuil.Il ne se sentait pas tenu à mieux, puisque sa maîtresse n’avait pas eude fils vivant dans le délai prévu, et ce fut là la source d’un drama-tique malentendu qui hypothéqua longtemps non seulement sasituation personnelle et conjugale, mais surtout l’équilibre de l’État.Henriette en effet ne l’entendait pas ainsi. Avait-elle vraiment cru àla promesse ? Il est certain qu’elle se comporta pendant des annéesde manière à le faire croire. Son fils certes n’avait pas survécu, maisil était né avant celui qu’aurait l’épouse légitime, et si elle en avaitun deuxième, ce qui fut bientôt le cas, la promesse reprendrait toutson sens. Elle ne s’était jamais engagée à être la maîtresse du roi maissa femme, et elle était parfaitement convaincue de l’être. Dès lorstoutes ses paroles et actions viseraient à revendiquer ce droit que leroi, par malignité, traîtrise et lubricité, lui déniait à jamais sousprétexte que son enfant avait eu la malchance de disparaître, paraccident, à sa naissance. Les promesses de mariage ayant l’impor-tance que nous savons à cette époque, il est difficile de porter unjugement. On peut seulement constater sa persévérance obtuse etaussi assez courageuse, car il n’était pas facile de s’opposer à unhomme tel qu’Henri IV. Elle fit payer à son amant son irresponsa-bilité initiale par une attitude non pas continuellement hostile, elleétait trop habile pour cela, mais par une alternance savante de reculset de retours, d’insolences et de douceurs, qui la rendait irrésistibleet montrait chez elle une intelligence très au-dessus de celle de la

1. Sully, Œconomies royales, op. cit.

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molle et passive Gabrielle. Contrairement à celle-ci, elle fut modé-rément cupide, puisqu’elle avait placé son exigence au plus haut.

Pour être reine, elle alla jusqu’à comploter contre le roi en 1602,et plus encore en 1604. Avec le retour de la paix, la reprise en maindu royaume par un souverain autoritaire et déterminé rencontraitde sérieuses résistances chez tous ceux qui avaient profité destroubles pour se tailler de petits empires à leur mesure. Cette frondede féodaux était animée et soutenue par le roi d’Espagne et le ducde Savoie, qui entendaient prendre leur revanche du traité deVervins, que les victoires d’Henri IV leur avaient imposé en 1598.Le duc de Biron, un des plus anciens compagnons du roi, paya de satête une première conspiration en 1602, mais cela n’empêcha pas,deux ans plus tard, la formation d’une nouvelle conjuration pardeux proches d’Henriette, son père et son demi-frère, Charlesd’Auvergne. Il s’agissait de tuer le roi, de déclarer le dauphin illégi-time et de le remplacer par le petit Gaston, fils d’Henriette. Celle-ciétait donc très impliquée dans l’intrigue, en se faisant d’ailleurs beau-coup d’illusions. Même si les agents de Philippe III lui promirentpensions et places fortes, rien ne prouve que ce roi avait réellementl’intention d’installer sur le trône de France le bâtard de Verneuil.Les prétentions de la marquise lui étaient seulement utiles pourétablir la nullité du mariage d’Henri IV, et remettre en discussion sasuccession, afin d’en faire profiter un prince de sa propre maison.

Elle fut donc dupée de part et d’autre et resta jusqu’au boutdans la situation ambiguë où l’avait mise celui qui prétendaitl’aimer plus que tout. Le roi reconnaissait-il au fond de lui-mêmequ’elle avait raison de lui en vouloir ? Billevesée gasconne ou non,il s’était bel et bien engagé avec une jeune fille dont la réputation,contrairement à celle de Gabrielle autrefois, était sans tache, et qui,à cause de lui, ne parvint jamais à trouver à la cour une situationdigne d’elle. Toutes ses tentatives pour épouser un grand seigneuréchouèrent, pas tant à cause du roi qui, à la fin de leur liaison, yaurait volontiers consenti, mais parce qu’elle avait perdu tout cré-dit. Elle ne fut que la maîtresse, clandestine et souvent trompée, duroi, et le resta jusqu’à ce qu’enfin ils se lassent l’un de l’autre.

Ils eurent ensemble deux enfants légitimés : Gaston, né en 1601,plus tard évêque de Metz, puis duc de Verneuil, et enfin Gabrielle-Henriette, née en 1603, future marquise de La Valette.

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La seconde épouse d’Henri lui était imposée par les circons-tances. Le roi devait beaucoup au grand-duc de Toscane,Ferdinand de Médicis, qui depuis 1589 avait misé sur son succès,sa diplomatie très active n’ayant pas été étrangère à la conversiond’Henri en 1593 et à son absolution par Clément VIII en 1595. Illui avait surtout prêté près d’un million de ducats. Ayant gagnéson pari, il espérait rentrer dans ses frais en faisant de sa nièce unereine de France. Cependant le roi ne montrait guère d’enthou-siasme : « Le duc de Florence a une nièce que l’on dit être assezbelle », disait-il à Sully, « mais étant d’une des moindres maisons dela Chrétienté qui portent le titre de princesse, n’y ayant pas plusde soixante ou quatre-vingts ans que ses devanciers n’étaientqu’au rang des plus illustres bourgeois de leur ville, et de la mêmerace que la reine mère Catherine qui a tant fait de maux à laFrance, et encore plus à moi en particulier, j’appréhende cettealliance de crainte d’y rencontrer aussi mal pour moi, les miens etl’État1. »

Marie était en effet une proche cousine de Catherine deMédicis2, et celle-ci avait laissé de mauvais souvenirs aux Françaiset pas seulement chez les protestants victimes de la Saint-Barthélemy. Beaucoup d’Italiens avaient marqué son règne. Ilsavaient mauvaise réputation. Dans l’imagerie populaire, Florentinsignifiait financier corrompu, alchimiste à demi sorcier, médecinquelque peu empoisonneur. Les négociations s’étaient cependantpoursuivies, et se réduisirent bientôt à un marché assez sordide,les ministres du roi réclamant, outre l’annulation de la dette, uneforte dot. La résistance des Florentins cessa lorsqu’on fit connaîtreau grand-duc l’existence d’Henriette d’Entragues, « une putaindes plus habiles qui ait jamais pratiqué la putinerie, qui s’emploieà faire un fils au roi avec l’aide de sa vieille putain de mère3 »,écrivait le représentant de Florence. Mieux valait en somme tenirque courir, et on se mit finalement d’accord sur une dot de600 000 écus dont 250 000 représenteraient l’extinction des

1. Sully, Œconomies royales, op. cit.2. Elles étaient toutes deux arrière-petites-filles de Jean de Médicis, fondateur

de la dynastie au XVe siècle.3. Archives des Médicis à Florence, Lettres des résidents florentins à Paris.

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MALHERBE À PEIRESC

Le 21 mars 1610.

Le roi fut dimanche dernier au service de Saint-Nicolas-des-Champs. Il entretint fort Madame la marquise, et après le sermon,il ouït vêpres et complies avec elle, et lui donna encore assignationà la sortie au logis de Madame sa mère où l’un et l’autre serendirent, ce fut la récompense de ne l’avoir pas vue depuis dixmois. Je ne sais auquel nous devons plus d’une vue curieuse surcet intérieur royal et plus d’un précieux et intime détail de cesrévolutions de cœur et de cour. Je ne sais si ce feu se rallumera, ilserait quasi à désirer, mais il est malaisé. Elle dit qu’elle est la bêtedu roi et son explication c’est qu’ordinairement on fait peur auxpetits enfants de la bête quand on ne peut en venir à bout d’autrefaçon. Et quand il veut fâcher le monde il dit qu’il verra la mar-quise1.

LA REINE À SA SŒUR, LA DUCHESSE DE MANTOUE

Paris, le 6 juin 1610.

Lorsque j’avais sujet de jouir du contentement que me devaitapporter mon couronnement et que tous mes bons amis et servi-teurs s’en réjouissaient avec moi, le malheur si soudain et si inopinénous a en un instant tout changé notre plaisir en déplaisir, soupirs

1. Ainsi ils se voyaient encore et Henriette utilisait toujours son crédit enfaveur de sa famille. Son « frère de père », César de Balsac, recevait une pensionde 10 000 écus, et de plus le roi donnait le bénéfice d’une abbaye à l’une de sescousines. Elle ne se privait pas d’ailleurs, dans ces dernières rencontres, d’affûterses flèches habituelles : «N’êtes-vous pas bien méchant de vouloir coucher avecla femme de votre fils, car vous savez bien que vous m’avez dit qu’il l’était ? »Vanterie gasconne sans doute, comme tant d’autres de la part du roi, mais lanaissance du prince de Condé ayant été entourée de mystère, la rumeur en avaitcouru. En fait le roi méprisait la princesse de Condé et fut très dur avec elle.

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CHARLOTTE

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et douleurs. J’ai su que vous avez participé à notre communeépreuve et désolation. À la vérité vous en avez beaucoup de sujetparce qu’en effet il vous aimait et tout ce qui vous touchait. Dieu avoulu disposer ainsi1.

1. Certains contemporains, et historiens, l’ont soupçonnée d’avoir trempédans l’assassinat de son mari. Tout l’innocente au contraire, ses efforts pourretenir Henri auprès d’elle, tandis qu’il hésitait à sortir pour aller rendre visite àSully, sa méprise lorsque le tumulte produit par le retour du corps du roi au palaislui fit croire qu’il était arrivé malheur à son fils le duc d’Orléans, alors malade, sonchagrin enfin quand elle apprit la vérité. Les témoins s’accordent pour direqu’elle montra beaucoup d’affliction. La nouvelle la terrassa, qu’elle subit enItalienne par des cris et des sanglots, des L’hanno ammazato où certains virentméchamment une hypocrite comédie, mais elle manifesta pendant plusieurs joursune douleur sincère, tout son mobilier et elle-même enveloppés de noir. Certes,elle ne tarda pas à faire valoir les droits que lui avait conférés le roi à la régence,mais c’est surtout son entourage qui le fit pour elle, car il fallait couper court auxcontestations possibles. Si elle avait tant insisté pour se faire couronner, ce n’étaitpas pour s’assurer du pouvoir, mais seulement afin de mettre obstacle à toutetentative d’annuler son mariage, ce qui avait été le cauchemar de sa vie.

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