histoire canada: aider les nations

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En kiosque jusqu’au 30 juin 2012 PM40063001 R09708 HISTOIRECANADA.CA FÉV. MARS 2012 7,99 $ L’HISTOIRE DU CANADA AU SECOURS DU MONDE Aider les nations ÉDITION SPÉCIALE Aider l’Afrique Combattre la famine Sauver les réfugiés Soutenir Haïti HISTOIRE CANADA AIDER LES NATIONS L’HISTOIRE DU CANADA AU SECOURS DU MONDE FÉVRIER MARS 2012 HIStoIRe CANADA

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Canada et le développement internationale.

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Page 1: Histoire Canada: Aider les nations

En kiosque jusqu’au 30 juin 2012

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L’histoire du Canada au seCours du monde

Aider les nations

ÉDITION SPÉCIALE

Aider l’Afrique

Combattre la famine

Sauver les réfugiés

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Page 2: Histoire Canada: Aider les nations

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Agency: BOSTitle: J’ai la mémoire qui

tourneAd No.: CTA10-HI002Format: 8.125" x 10.75"Colour: 4 colour processClient: Canal HistoriaPublication: Canada’s History

MagazineInsertion Date: X 2011Material required: September 16, 2011

B108719 Ann_Canada’s History2011-09-16 InfoÉpreuve #2 Page 1

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MGraphiques M&H • Cité Multimédia80, rue Queen, bureau 403, Montréal QC H3C 2N5Tél. : (514) 866-6736 • Téléc. : (514) 875-0401

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FINAL-LIVRÉ

Vos fi lms de famille, c’est notre histoire !Revisitez tout un pan de notre petite histoire fi lmée par des pères de famille au temps du Super 8.Ou mieux encore, faites vous aussi partie de l’histoire en nous faisant parvenir vos fi lms de famille que nous numériserons gratuitement pour vous.Détails sur jailamemoirequitourne.historiatv.com

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Gagnant du prix Pierre-Berton 2011

Page 3: Histoire Canada: Aider les nations

12We Are the WorldLe développement international a beaucoup contribué

à la réputation du Canada à l’étranger. par Tina Loo

16 Une aide précieuseC’est dans le plus pur esprit chevaleresque que le

Canada vint en aide à la Roumanie après la Première Guerre mondiale. par Desmond Morton

20 Soldats de la paixLe rôle essentiel joué par le Canada en Europe après la

Seconde Guerre mondiale demeure cher au cœur des Canadiens. par Susan Armstrong-Reid et David Murray

26 À cheval sur un tigreL’aide extérieure fournie par le Canada pour lutter

contre la menace de la guerre froide en Asie a donné des résultats dangereusement imprévisibles. par Keith Spicer

32 Le pouvoir de la jeunessePour toute une génération de jeunes Canadiens, la

marche Miles for Millions a représenté l’espoir d’un monde meilleur. par Tamara Myers

38 Exporter l’égalité Le Canada est un pionnier de la promotion de l’égalité

des sexes dans le monde. par Nelle Oosterom

42 Le monde est rockDes artistes pop canadiens instaurent une tradition

d’aide humanitaire à l’étranger. par Heath McCoy

48 Notre ami, le CanadaL’esprit de l’ACDI s’est façonné pendant les années

1960, une période de liberté où l’appui au développement international était important. par Judith Ritter

Dossiers

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sommaire

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Page 4: Histoire Canada: Aider les nations

52 Un bon coup de mainLes organisations non gouvernementales canadiennes

jouent depuis longtemps un rôle important dans le développe-ment international. par Nelle Oosterom

54 Des idées brillantesL’ingéniosité canadienne au service des peuples du

monde entier. par André Pelchat

58 Héros au grand cœur Des portraits de Canadiens qui ont accompli de grandes

choses à l’étranger. par Joanna Dawson et Beverley Tallon

63L’éducation en HaïtiUn programme de prêts innovateur permet à de

nombreux enfants haïtiens d’aller à l’école malgré des frais de scolarité élevés. par Andrée Poulin

68 Aider HaïtiLe Canada a une longue tradition d’entraide avec ce

pays troublé des Antilles. par Kate Jaimet

73 Le Traité d’OttawaLes milliers de personnes tuées ou blessées dans le

monde ont incité le Canada à demander une interdiction des mines terrestres. par Lloyd Axworthy

Dossiers Chroniques

sommaire

Le journaliste de la CBC George Atkins, spécialisé en agriculture, a fondé Radios rurales internationales en 1979, un ré-seau qui continue d’informer des millions d’agriculteurs dans les pays en voie de développement.En février et en mars, retrouvez sur his-toirecanada.com des portraits de grands Canadiens, comme George Atkins, qui ont changé le monde à leur façon.

4 Février - Mars 2012 Histoire Canada

EXCLUSIVEMENT EN LIGNEÀ: hISToIrECaNada.CoM

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7 Actualités Redécouvrir Amundsen. Une invention qui baigne dans l’huile. Mémoire photographique : le procès de Louis Riel.

11 Poste de traite Récits et merveilles tirés du précieux patri-moine de la Compagnie de la Baie d’Hudson.

74 Lectures Trudeau : Fils du Québec, père du Canada; Le Rêve de Cham-plain; Marie-Anne : La vie extraordinaire de la grand-mère de Louis Riel...

78 Escapade Sur les traces d’une des plus grandes artistes de la Colombie-Britannique, Emily Carr

80 Nouvelles de la Société Le monde change, mais le Canada change aussi le monde.

81 Christopher Moore Nos archives nationales valent de l’or!

82 Album Rien ne se perd… à l’atelier de réparations OK.

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Page 5: Histoire Canada: Aider les nations

BRYCE HALL REZ-dE-CHAussÉE, 515, AVENuE poRtAgE wiNNipEg, mANitoBA, R3B2E9tel.: 1.888.816.0997 • Fax: 204.988.9309 • [email protected]

SOCIÉTÉ D’HISTOIRE DU CANADAla société d’histoire du canada, fondée en 1994 afin de faire rayonner l’histoire du canada, publie le magazine Histoire Canada et le magazine d’histoire du canada pour les enfants Kayak: Navigue dans l’histoire du Canada. elle attribue aussi les Prix d’histoire du Gouverneur général.

rÉdacteUr en cheFmark Reid

CoNsEiLLER spÉCiAL Jacques Lacoursière

RÉVisEuRE-CoRRECtRiCEchristine dumazet

rÉdactrice en cheF AdJoiNtE

nelle oosterom

diRECtEuR ARtistiQuE

Michel Groleau

rÉdacteUr inForMa-tioNs Et CRitiQuEs

Phil Koch

RÉdACtRiCE AdJoiNtE

Beverley tallon

ÉditRiCE, pRÉsidENtE EtdiRECtRiCE gÉNÉRALE

deborah Morrison

AdJoiNtE dE diRECtioNlinda onofreychuk

directrice des Finances Et dE L'AdmiNistRAtioN

patricia gerow

directrice de la diFFUsion et dU MarKetinG

danielle chartier

AdJoiNtE AdmiNistRAtiVE Pat hanney

tRAduCtRiCE Marie-catherine Gagné

consUltants À la diFFUsionP.J. Brown, etatech consulting scott Bullock, circ3 solutions

diRECtEuR dEs noUveaUx mÉdiAs

Joel ralph

wEBmEstREtanja Hütter

gRApHistE sENioR James Gillespie

gRApHistE iNtERmÉdiAiRE andrew Workman

AgENt dEs pRogRAmmEsÉdUcatiFs et

CommuNAutAiREs Jean-Philippe Proulx

CooRdiNAtRiCE d’ENgAgEmENt

CommuNAutAiREJoanna dawson

charlotte Gray, présidente*John Bennetttim cookalex GrahamPaul Jones*Jacques Lacoursière *

stéphane lévesqueGillian ManningRichard w. pounddavid rossBrian Young*comité des publications

HUDSON’S BAY CO. CORPORATE LOGO

La politique éditoriale se trouve sur notre site Web.

Nous n’assumons aucune responsa-bilité concernant du matériel non sollicité.

© 2012 Société d’histoire nationale du Canada. Tous droits réservés.

Le contenu du magazine ne peut être reproduit sans l’autorisation de

l'éditeur.

ISSN 1920-9894

Service aux membres Société d’histoire du Canada, B.P. 1274,

Succursale KToronto, OntarioM4P 3E5 Canada

Téléphone : 1 888 816-0997Télécopieur : 416 932-2488

Courriel : [email protected]

Tarifs d’abonnement annuel (6 numéros en anglais seulement)

Canada : 32,95 $ (TPS incluses).États-Unis : ajouter 10 $ pour un

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Ventes publicitairesNick R. Cino

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À l’occasion, des organismes demandent à Histoire Canada s’ils

peuvent obtenir une liste totale ou partielle de ses abonnés

pour leur faire connaître des produits ou des services

susceptibles de les intéresser. Si vous préférez que nous ne

donnions pas vos nom et adresse, contactez le service aux

membres, dont les coordonnées apparaissent plus haut.

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B.P. 1274, Succursale KToronto, OntarioM4P 3E5 Canada

Convention de la poste-publications :No. 40063001

Frais postaux payés à Winnipeg.Imprimé au Canada.

le magazine Histoire Canada a été fondé en 1920 par la compagnie de la Baie d’hudson (hBc), sous le titre The Beaver: A Journal of Progress. l’engagement de hBc envers la société d’histoire se poursuit encore aujourd’hui par l’entremise de la Fondation d’histoire hBc.

Histoire Canada Février - Mars 2012 5

CONSEIL D’ADMINISTRATION CONSEIL CONSULTATIF

Éditeur émérite

rolph hubandPrésident émérite

Joseph e. Martin

Histoire Canada remercie le gouvernement du Canada pour son aide financière allouée dans le cadre du Fonds du Canada pour les périodiques de Patrimoine canadien.

Histoire Canada tient à remercier l'Agence canadienne de développement international (ACDI) pour sa contribution à ce numéro spécial.

e. James arnettcharlie Baillie elsa Franklin

Peter c. newman thomas h.B. symons Jane urquhart

HIStoIReCANADA

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Page 6: Histoire Canada: Aider les nations

BILLET

Depuis déjà longtemps, le Canada jouit d’un statut de puis-sance intermédiaire sur la scène mondiale. Au cours de notre histoire, nous avons, dans des moments de crise,

dépêché des soldats aux quatre coins du globe pour qu’ils combat-tent, mais également pour qu’ils maintiennent la paix.

Les monuments commémoratifs du pays nous rappellent, à juste titre, les sacrifices de ces héros. Mais qu’en est-il des autres? Des gardiens de la paix qui voulaient bâtir un monde meilleur en participant au développement de nations moins fortunées?

Qu’il s’agisse de construire un barrage titanesque en Inde ou de creuser un simple puits pour offrir de l’eau courante potable aux populations d’Afrique, les Canadiens, et le savoir-faire canadien, ont joué un rôle crucial dans la vie de millions de personnes à travers le monde.

L’histoire du développement international canadien est pleine de rebondissements et d’actes d’héroïsme. Mais force est de constater que nous avons également commis des erreurs; il nous a fallu apprendre de nos succès, mais aussi de nos échecs.

Dans ce numéro, nous espérons jeter un nouvel éclairage sur les nombreux gestes accomplis par le Canada pour aider la communau-té internationale, de la reconstruction de l’Europe d’après-guerre aux secours destinés au peuple haïtien, de l’aide technologique four-nie à l’Inde et à Ceylan à la lutte contre la famine en Afrique. En chemin, vous ferez la rencontre de Canadiens qui ont consacré leur vie aux autres, faisant même parfois le sacrifice ultime.

Ce numéro spécial est notre façon de leur rendre hommage. Espérons qu’il incitera davantage de Canadiens à écrire une autre page de l’histoire d’un pays toujours prêt à tendre la main au reste du monde.

Mark Reid Rédacteur en chef

Histoire Canada

H istoire Canada se devait de rendre un hommage particulier aux Canadiennes et aux Canadiens qui se sont illustrés et qui s’illustrent encore dans

divers pays du monde. Aux XIXe et XXe siècles, les plus nombreux furent les missionnaires, hommes et femmes, qui s’étaient donné comme tâche de « propager la bonne nouvelle », comme on le disait à l’époque. Ils fondèrent non seulement des églises, mais aussi des écoles et des hôpitaux. Il était donc normal que l’historien Lionel Groulx leur con-

sacre un ouvrage au titre révélateur : Le Canada français missionnaire. Une autre grande aventure.

Au cours des deux grandes guerres, des milliers de Canadiens donnèrent leur vie pour venir en aide aux popula-tions des pays où le conflit faisait rage.

Une fois la paix revenue, que ce soit en 1918 ou encore en 1945, certains de nos compatriotes travaillèrent à la reconstruc-tion des zones dévastées.

Depuis les années 1950, chaque fois qu’une tragédie importante frappe une région du monde, des volontaires canadiens se présentent pour venir en aide aux sinistrés. Les cas les plus récents sont sans doute l’aide aux victimes du tremblement de terre en Haïti et, il y a peu, le mouve-ment de sympathie pour les personnes qui font face à une famine frappant surtout les enfants dans la Corne de l’Afrique. Là encore, plusieurs organismes caritatifs cana-diens ont recueilli des dons.

Au-delà des nouvelles quotidiennes, la revue Histoire Canada a voulu tracer un certain bilan de l’apport canadien à l’étranger, et ce, sur plusieurs siècles.

Jacques LacoursièreConseiller spécial

Histoire Canada

Toutes nations unies

6 Février - Mars 2012 Histoire Canada

Rendez-vous à histoirecanada.ca/magazine: vous y trouverez des baladodiffusions, des photos, des vidéos, des nouvelles historiques et bien plus encore.

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Page 7: Histoire Canada: Aider les nations

Histoire Canada Février - Mars 2012 7

Une rebelle de l’air

ACTUALITÉS

Amoureuse de l’aviation, historienne, auteure et première présidente de la Canadian Aviation His-torical Society, Danielle Metcalfe-Chenail peut

aujourd’hui ajouter « rebelle » à cette liste. Originaire d’Ottawa et âgée de 29 ans, elle a été nom-

mée Rebelle de l’année par le magazine Chatelaine pour son entrée dans le monde traditionnellement masculin de l’histoire de l’aviation. Mme Metcalfe-Chenail est la plus jeune présidente et la première femme à la tête de cette organisation formée surtout d’hommes plus âgés.

« Rebelle… je ne suis pas sûre, explique l’historienne, spécialiste de la culture et de la société. C’est accroch-eur, mais ça évoque un peu Top Gun! Je me vois plutôt comme une bâtisseuse et une scrupuleuse raconteuse d’histoires. »

Sa carrière dans l’histoire de l’aviation a décollé avec la publication de son livre For the Love of Flying : The Story of Laurentian Air Services, en 2009, année de sa contribu-tion au numéro commémoratif spécial du magazine The Beaver sur les cent ans de l’aviation.

« Pour moi, l’aviation est au Canada du XXe siècle ce que le chemin de fer a été au XIXe siècle : centrale dans le développement économique du pays, sa souveraineté et la construction de la nation, mais également liée au colonialisme. Elle permet aussi de mieux comprendre les questions liées à la race, au sexe et à la classe sociale. »

Établie à Edmonton, Mme Metcalfe-Chenail a récem-ment passé trois mois à Dawson City, au Yukon, en tant qu’auteure en résidence dans l’ancienne maison de Pierre Berton. Son prochain ouvrage, provisoirement intitulé 100 Years of Aviation in Canada’s North, devrait être publié en 2013.

L e lubrificateur automatique, utilisant la pression de la vapeur pour pomper le carburant dans un moteur de train ou de navire, fut une invention brillante. C’est le Canadien Elijah McCoy, descen-dant d’anciens esclaves ayant fui le Kentucky pour

Colchester, en Ontario, qui créa ce système.Après avoir été apprenti en génie mécanique à Édimbourg, en

Écosse, M. McCoy se rendit aux États-Unis où il ne trouva qu’un travail de chauffeur de locomotive et de graisseur au Michigan Cen-tral Railroad. Voyant qu’il était inefficace et dangereux d’arrêter un train pour lubrifier le moteur, il chercha une solution.

Il conçut un godet muni d’un tube fin assurant l’écoulement constant et graduel de l’huile sur les paliers de machine afin de prévenir la surchauffe. Ce dispositif de lubrification des moteurs fut breveté aux États-Unis en 1872 et au Canada en 1874.

M. McCoy obtint aussi des brevets pour des améliorations à son invention, et le Michigan Central Railroad le promut instruc-teur afin qu’il explique à ses collègues comment utiliser son mécanisme.

D’autres compagnies de chemin de fer et de transport mari-time adoptèrent ce système, encore utilisé de nos jours dans les moteurs de voiture, de locomotives et même de fusées.

–– Beverley Tallon

BIEN DE CHEZ NOUS

Un brillant dispositif

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Danielle Metcalfe-Chenail devant un Avro Anson Mk II au Musée de l’aviation de l’Alberta à Edmonton

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Page 8: Histoire Canada: Aider les nations

ACTUALITÉS

mÉmOIrE pHOTOgrApHIqUE

8 Février - Mars 2012 Histoire Canada

Pour marquer la créa-tion en Saskatchewan du premier conseil provincial des arts du Canada en 1948. Invitez votre muse.

Pour souligner l’acceptation en 1894, après un long conflit avec l’Association des athlètes amateurs de Montréal, de la coupe Stanley par son premier vainqueur, le Montreal Hockey Club, champion 1893 de l’AHAC. Champagne!

2 février 23 février

Louis Riel s’adressant au jury lors de son procès pour trahison, à Regina, en 1885Collection du Bureau des brevets et des droits d’auteur

Ce cliché de Louis Riel dans la minuscule salle d’audience de Regina a été pris vers la fin de son procès pour trahison, en 1885.

Riel s’adresse aux six membres du jury, que l’on voit dans la dernière rangée, sur la gauche de la pho-tographie. La salle est bondée : il y a des gens debout à l’arrière de la salle, dans les coins et même à l’extérieur.

Nous connaissons mieux les photos plus officielles de Riel, prises en studio, ou celles de James Peters, où Riel est devant sa tente, prisonnier au camp du major-général F. D. Middleton.

Cette image de Riel s’adressant directement au jury

nous fait découvrir le visage de l’homme qui a refusé d’invoquer la folie, et qui a plutôt affirmé : « La vie, sans la dignité de l’intelligence, ne vaut pas d’être vécue. »

Le jury le reconnut coupable, mais demanda la clémence. Riel fut cependant condamné à mort et exécuté en novembre 1885.

Sélectionnée par Shannon Perry, archiviste photos à Biblio-thèque et Archives Canada

Le grand explorateur norvégien Roald Amundsen gagnerait à être mieux connu au Canada. En effet, il fut le premier à réussir la traversée du passage du Nord-Ouest, un exploit mythique pour les explorateurs britanniques, qui ne le

réalisèrent jamais.Les Canadiens connaissent mieux l’expédition ratée de la

Marine royale, menée par Sir John Franklin — dans laquelle deux grands navires furent bloqués dans les glaces, causant la mort de tout l’équipage —, que celle d’Amundsen. Et pourtant, il traversa le passage du Nord-Ouest en 1906 à bord d’un petit bateau de chasseurs de phoque, en finançant lui-même l’aventure et avec l’aide des Inuits.

Une exposition itinérante organisée par la Norvège présente des faits importants concernant Amundsen, notamment le rôle des Inuits dans le succès de son entreprise.

Cold Recal l , inaugurée à Winnipeg le 27 octobre par l’ambassadrice de Norvège, Else Berit Eikeland, présente des photos prises par Amundsen, dont beaucoup montrent les Inuits Netsilik de Gjoa Haven, sur l’île du Roi-Guillaume, où l’explorateur et son équipage passèrent deux hivers.

« L’histoire du Nord parle surtout d’ego masculins, d’empires et de la quête d’un passage vers l’Asie, mais elle aborde peu la relation des explorateurs avec les populations de cette région du monde », a expliqué Mme Eikeland, en visite à Winnipeg.

« Nous voulons expliquer aux Canadiens l’étroite relation d’Amundsen avec les Inuits. Ses succès dans l’exploration des régions polaires — il atteignit le pôle Sud en 1911 — sont en

Une exposition fait la lumière sur les prouesses d’un explorateur norvégien au Canada.

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VOUS MÉRItEz UN

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Page 9: Histoire Canada: Aider les nations

Peu après son élection, en 1976, le Parti québécois instaura une loi conçue pour protéger la langue et la culture françaises au Québec.

La Charte de la langue française fit du français la seule langue officielle de la province. Le français devint ainsi la langue de travail et celle de l’affichage public, tandis que les enfants immigrants furent

tenus de fréquenter des écoles francophones.Le ministre Camille Laurin, membre éminent du cabinet, imposa cette loi

malgré la forte opposition des non-francophones. La loi atteignit la plupart de ses objectifs, mais un grand nombre d’entreprises et de résidants quittèrent la province.

Aujourd’hui, certains estiment que cette loi a permis de montrer que le fédéralisme canadien pouvait répondre à bon nombre d’inquiétudes légitimes ayant alimenté le mouvement séparatiste du Québec.

— Charles Hou

Une culture protégée

Histoire Canada Février - Mars 2012 9

Pour se souvenir du gouverneur de Terre-Neuve John Byng, exécuté en 1757 après un procès controversé en cour martiale, à la suite de la perte de l’île méditerranéenne de Minorque, durant la guerre de Sept Ans. Gardez votre flegme.

Pour célébrer l’ouverture officielle du premier pont ferroviaire suspendu du monde, près des chutes du Niagara, en 1855. Admirez le paysage.

Pour honorer Norman McLaren, qui reçut en 1953 un Oscar pour son film d’animation Voisins. Faites l’amour, pas la guerre.

14 mars 18 mars 19 mars

BLAgUE À pArT

grande partie attribuables aux connaissances transmises par les Inuits. »

Pendant son séjour à Gjoa Haven, Amundsen apprit à s’habiller, à chasser, à utiliser les chiens de traîneau et à s’adapter au froid. tout cela l’aida sûrement à atteindre le pôle Sud et à en revenir en avance et avec tout son équipage, contrairement au Britannique Robert Scott, qui, s’appuyant plutôt sur le savoir-faire européen, périt avec son équipage après avoir atteint le pôle.

Amundsen est un héros national en Norvège, où il est tenu pour un modèle de détermination et de persévérance.

« Lorsque j’étais petite, dans mon village de Norvège, et que je refusais d’aller skier à cause du froid, ma mère me disait : “Souviens-toi d’Amundsen” », raconte Mme Eikeland.

Après l’Assemblée législative du Manitoba et l’Université du Manitoba de Winnipeg, Cold Recall se transportera au musée Nunatta Sunakkutaangit d’Iqaluit en février et en mars, puis au musée MacBride de Whitehorse en avril et en mai avant de revenir au Manitoba, où elle s’installera au New Iceland Heritage Museum, cet été.

Les organisateurs espèrent présenter l’exposition en Ontario cet automne et ensuite dans les Maritimes. Pour plus d’information, visitez emb-norway.ca.

–– Nelle Oosterom

L’ambassadrice de Norvège, Else Berit Eikeland, lors de l’inauguration de l’exposition Cold Recall à Winnipeg

Visitez HistoireCanada.ca pour les dernières nouvelles actualisées régulièrement.

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Cette caricature de Jean-Pierre Girerd, publiée dans La Presse du 18 avril 1977, montre Camille Laurin en train de mettre un accent sur le mot « Quebec ».

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Page 10: Histoire Canada: Aider les nations

coup de pinceau

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Les Pères de la ConfédérationCette scène du XIXe siècle dépeint une image idyllique des Pères de la Confédération.

L’artiste Rex Woods a peint Les Pères de la Confédération en 1967. Ce tableau est une copie de celui de Robert Harris, détruit dans l’incendie qui ravagea le Parlement à Ottawa le 3 février 1916. Rex Woods a re-produit la signature de Harris, à gauche, sur le portefeuille, comme sur l’original.

L’œuvre représente un assemblage de deux conférences distinctes, soit celle de Charlottetown (septembre 1864) et celle de Québec (octobre 1864). Robert Harris avait illustré 34 personnages installés autour d’une grande table, alors que, dans les faits, les Pères fondateurs étaient au nombre de 36. Rex Woods a

ajouté trois personnages sur la gauche.

Le personnage central est John A. Macdonald. Il est représenté près de la fenêtre, tenant un document à la main, sans doute les 72 résolutions qui servirent de fondement à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.

En arrière-plan, on voit des navires qui mouillent dans le port de Québec.

Les deux œuvres représentent aussi Hewitt Bernard, le secrétaire. Certains con-sidèrent qu’il devrait être reconnu comme un des Pères fondateurs.

Charles Tupper occupe également une place de choix dans les deux œuvres. Il créa le Parti de la confédération pour contrer le Parti anti-confédération de Joseph Howe.

Les artistes ont placé George-Étienne Cartier à la droite de Macdonald. Fidèle ami de Macdonald, Cartier appuyait sa vision proconfédération et craignait l’expansion américaine.

Même si la scène dégage une impres-sion de calme, certains des Pères de la Confédération, comme Edward Palmer, s’opposaient férocement à cette union.

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10 Février - Mars 2012 Histoire Canada

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Page 11: Histoire Canada: Aider les nations

POSTE DE TRAITE

Dans le Beaver…il y a 90 ansUn musée pour les artefacts de la CBHLe numéro de février 1922 annonçait que la CBH créait un musée au rez-de-chaussée de son grand magasin de Winnipeg. La surface de « 30 pieds sur 18 pieds » était divisée en plusieurs sections : les débuts de la CBH, les animaux (ou fourrures), les Indiens, la vie au service de la CBH, les forts, les postes de traite, les magasins, les guerres et conflits, et les terres et colonies.

il y a 60 ansUn précieux chargementLe numéro de mars 1952 raconte l’histoire d’un

précieux chargement trans-porté par cinq navires partis à la recherche de l’expédition de Franklin : 500 galons de bière, spécifiquement pré-parée pour résister au froid

par la brasserie Allsopp’s de Burton-on-Trent, en Angleterre, en 1852. Le commandant des navires, le capitaine Edward Belcher, rapporta que la « bière avait été une bénédiction pour son équipage, surtout pour les malades, et qu’elle s’était magnifiquement bien conservée. »

il y a 30 ansEspoir éternelPour son article « The Thirties » paru au printemps 1982, Edna Tyson Parson s’inspira du journal d’Anthony Tyson, agronome chevronné qui cultiva une terre à Neidpath, en Saskatchewan, de 1908 à 1958. Pendant les années 1930, ses voisins et lui-même subirent inondations, sécheresse, chaleur et froid extrêmes, et même une nuée de sauterelles affamées. Tyson tint alors un journal dans lequel il décrivit préci-sément ses expériences de quasi-labour et d’autres méthodes agricoles.

Le magazine The Beaver a été fondé par la Com-pagnie de la Baie d’Hudson en 1920. Pour lire les articles parus dans les anciens numéros : histoirecanada.caPour découvrir la riche histoire de la Compagnie de la Baie d’Hudson : www2.hbc.com/hbcf/history

Raquette en forme de queue de castorLes raquettes étaient indispensables pour se déplacer en hiver. Celle-ci fut fabriquée à la main par les Innus (ou Montagnais-Naskapis) de Sept-Îles, au début du XXe siècle. Ce modèle, utilisé surtout par les hommes, servait lorsque la neige était légère et poudreuse. Elle est faite d’un cadre de bois et de babiche. Des galons de laine colorés décorent les extrémités, et des formes géométriques, dont un motif de traces d’oiseaux, sont peints sur la babiche à l’aide de pigments naturels. – Beverley Tallon

tirés du précieux patrimoine de la Compagnie de la Baie d’Hudson

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Des élèves et leur enseignante dans une classe de l’État rural du Gujarat, en Inde, en 1997.

L’éducation est une priorité des programmes canadiens de développement international.

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Nous étions trois à visiter la ville de Paro, au Bhoutan, un royaume de l’Himalaya qui rappelle étrangement la Terre du Milieu des Hobbits. Ce sont pourtant bien des enfants de huit ans qui s’approchèrent de nous.

« D’où êtes-vous, d’où êtes-vous ? crièrent-ils. — De New York, répondit Paul, notre ami américain. — New York, numéro un! lancèrent les enfants. — C’est le Bhoutan qui est numéro un! », répliqua mon

partenaire Ed, un Canadien. Les enfants demeurèrent sceptiques. Pour moi, ce moment est aussi révélateur du Canada et du

monde qu’il l’est de la mondialisation. Le New-Yorkais présumait que tout le monde savait où se trouvait sa ville natale. Mais il en va autrement pour nous, Canadiens. En effet, pourquoi les habitants du Bhoutan connaîtraient-ils le Canada?

Mais cette modestie était bien inutile, puisque nous devions apprendre plus tard que les Canadiens sont bien connus dans la région, plus particulièrement au Bhoutan. Le Canada est depuis longtemps présent dans la région, grâce à l’œuvre du père William Mackey (1915-1995), un jésuite révéré de Montréal qui s’est installé dans le royaume bouddhiste en 1963 pour y instaurer un système d’éducation moderne.

Pourquoi n’avions-nous jamais entendu parler du père Mackey et pourquoi n’en savons-nous pas davantage sur la présence

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Le développement international a beaucoup contribué à la réputation du Canada à l’étranger. Par Tina Loo

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historique du Canada dans le monde? Une des principales raisons expliquant cette ignorance

réside sans doute dans l’étrange forme de nationalisme qui nous caractérise : nous sommes obsédés par nous-mêmes. Dans les écoles et les manuels scolaires, l’histoire du Canada se résume à l’histoire de la nation, c’est-à-dire comment « nous » nous sommes ralliés pour faire face à nos tensions internes. Les suspects habituels campent les rôles principaux : Français, Anglais et Autochtones sont à tour de rôle les héros et les méchants de ce mélodrame national. Pour ce qui est du reste du monde, il présente un défi et ajoute une note dramatique à notre récit. Comment le Canada s’est-il défini face à l’adversité et à la diversité?

Ce sont des histoires importantes, qui vont au-delà du simple intérêt historique, comme on nous l’a souvent répété. Elles contribuent à notre culture en tant que citoyens, elles nous disent qui nous sommes et qui nous pouvons devenir. Ici, comme l’a souligné le réalisateur québécois Robert Lepage,

« le passé porte le présent comme un enfant sur ses épaules ». Ni le Bhoutan ni le père Mackey ne sont mentionnés dans

le récit traditionnel de l’histoire du Canada. Je serais même surprise que le nom « Bhoutan » soit apparu dans les pages de ce vénérable magazine, qui a pourtant plus de quatre-vingt-dix ans d’histoire. Mais peut-on vraiment lui en tenir rigueur? Bien sûr, le père Mackey était un personnage intéressant qui a accompli de bonnes œuvres à l’étranger, mais est-ce que l’histoire du Canada ne doit pas concerner… le Canada, justement?

Et c’est là où je veux en venir. Nous ne pouvons pas comprendre le Canada en tant que nation sans comprendre sa relation avec le monde. Lorsque l’on est à l’étranger, on apprend ce que signifie être Canadien. Et de la même façon, lorsque l’on se penche sur le rôle du Canada dans le monde, on découvre une nouvelle façon de voir le Canada, mais aussi nous-mêmes.

Même si ce sont la guerre, le maintien de la paix et la diplomatie qui nous viennent premièrement à l’esprit, c’est dans le domaine du développement que le Canada a exercé le plus d’influence à l’échelle mondiale. Et c’est exactement à cela que s’est consacré le père Mackey pendant ses trente années passées

au Bhoutan. Mais il n’était pas seul. Par le truchement de leurs organisations gouvernementales et non gouvernementales, les Canadiens sont venus en aide aux pays de l’hémisphère Sud pendant une bonne partie du vingtième siècle.

Ainsi qu’en témoignent les réalisations du père Mackey, les Églises chrétiennes ont joué un rôle particulièrement important dans ce travail de développement. Même si les missionnaires ne le formulaient pas de cette manière, ils s’employaient à délivrer ces populations « arriérées » des ténèbres et à améliorer leur vie matérielle et spirituelle. Au fil du temps, le langage employé évolua, mais les groupes religieux restèrent très actifs à l’étranger, et la religion demeura au cœur de leur mission de développement.

Certaines de ces initiatives internationales avaient des origines locales. Dans les années 1920, le mouvement Antigonish de la Nouvelle-Écosse créa une forme d’éducation populaire et d’organisation communautaire visant à briser le cycle de la pauvreté. Fort de son succès, le mouvement exporta son approche. Aujourd’hui, le Coady International Institute de l’Université St. Francis Xavier continue de former des gens partout dans le monde dans le domaine du développement communautaire.

Après la Seconde Guerre mondiale, d’autres organisations non gouvernementales, ainsi que l’État, vinrent prêter main-forte aux Églises. Les gouvernements du monde entier étaient déterminés à améliorer le sort des populations déshéritées, et Ottawa ne demeura pas en reste. Comme le précise l’historien David Morrison, l’altruisme canadien est né dans un contexte façonné par la guerre froide et par la décolonisation.

Les initiatives de développement international faisaient déjà partie de notre politique étrangère, influencée à la fois par des questions de sécurité et par nos intérêts commerciaux. Par exemple, le premier ministre John Diefenbaker considérait l’aide au développement en Asie comme une façon d’acheter la stabilité dans le monde. Il s’agissait non seulement d’une assurance « peu coûteuse » pour le Canada, mais également d’une façon d’accéder à de nouveaux marchés. L’aide alimentaire distribuée dans les années 1950 et 1960 était une façon de stimuler le secteur agricole canadien. Pour le gouvernement Trudeau, l’aide extérieure, selon la formulation retrouvée dans une politique fédérale de 1970, visait à « étendre les intérêts commerciaux canadiens à l’étranger ». Cette idée demeura prépondérante jusque dans les années 1990, alors qu’en pleine récession, les conservateurs du gouvernement Mulroney considéraient l’aide au développement comme une façon de venir en aide aux entreprises canadiennes.

Même si les considérations économiques et géopolitiques étaient au cœur de nos initiatives de développement, ces dernières étaient également façonnées par ce que le politologue Cranford Pratt appelle la tradition de « l’internationalisme à visage humain », soit un élan humanitaire qui prend ses sources dans l’histoire même de notre pays. En tant que riche pays industrialisé, le Canada a connu les mêmes difficultés que les pays en développement de l’hémisphère Sud : contrôle étranger sur ses industries, secteur manufacturier faible, dépendance à l’égard de l’exploitation des ressources naturelles. Ces défis, ainsi que les problèmes de distance qui caractérisent notre nation, ont mené à la création d’un État

Des enfants du Bhoutan accueillent les visiteurs.

Le Canada a depuis longtemps tissé des liens importants avec ce pays.

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fort et d’une culture politique axée sur l’interventionnisme. Jusqu’à tout récemment, les Canadiens acceptaient

majoritairement cette intervention de l’État dans l’économie, contribuant ainsi à atténuer les disparités régionales. Cette approche a certainement renforcé l’idée selon laquelle le monde industrialisé a des responsabilités qui dépassent ses frontières.

Même si peu de gens critiquent l’intention, nombreux sont ceux qui émettent des doutes sur les résultats, à tel point que le « développement » est devenu un mot tabou dans les cercles politiques et universitaires : c’est du néo-colonialisme; cela encourage la dépendance; c’est du gaspillage d’argent; cela déstabilise la région… Il est aujourd’hui de bon ton de rejeter le développement, quelle que soit notre position sur l’échiquier politique.

Même si bon nombre de ces critiques sont fondées, il importe également de rappeler que les efforts déployés par le Canada ont eu des résultats positifs, plus particulièrement lorsque l’aide fournie était ciblée. Grâce à l’Agence canadienne de développement international (ACDI), fondée en 1968, le Canada a fait un travail innovateur dans le domaine de l’égalité des sexes et a pris la tête des programmes de développement ciblant les femmes et, plus récemment, des programmes qui favorisent la viabilité.

En tant que grand fournisseur d’aide alimentaire, le Canada est également à l’avant-garde pour ce qui est de concevoir et de mettre en œuvre des initiatives qui protègent la sécurité alimentaire, plutôt que d’accroître la dépendance. En plus de ses propres initiatives, l’ACDI a été une des premières agences de développement d’État à soutenir les projets d’organismes non gouvernementaux, comme le Service universitaire canadien outremer (aujourd’hui fusionné avec le Voluntary Service Overseas et appelé CUSO-VSO), et de groupes de développement communautaires.

L’aide extérieure est une exportation canadienne à valeur ajoutée. Lorsque nous prenons part à des activités de développement, nous ne faisons pas que fournir de l’argent et offrir une expertise, nous transmettons également nos valeurs, notamment sur le rôle des femmes, la relation que les gens doivent entretenir avec l’environnement et la distribution équitable des ressources.

Le développement en dit long sur ce que nous sommes, sur notre nature profondément démocratique. Pour le Canada, le développement a été et continue d’être une façon de respecter notre promesse. Les programmes de développement visent à aider les populations à atteindre leurs objectifs, mais la distinction entre aider les gens à s’épanouir et leur dicter leurs aspirations est bien ténue.

Les travailleurs humanitaires doivent atteindre un équilibre entre ces deux notions : faciliter le changement et le mettre en œuvre. Pour décider où, comment et dans quelle mesure intervenir, ils ont dû comprendre dans un premier temps quel était leur rôle. Par extension, ils ont également défini celui de l’État pour déterminer ce qui constitue une amélioration du sort des populations aidées et pour passer à l’action. Nous avons beaucoup à tirer de ces luttes et de ces compromis, qui alimentent aussi le débat au sein de nos frontières sur le rôle du gouvernement.

Mais ces valeurs ne sont pas les seules transmises par les

Canadiens, et le gouvernement et les ONG ne sont pas les seuls à les transmettre : le secteur privé représente également le Canada à l’étranger. Les banques canadiennes sont depuis longtemps présentes dans les pays des Caraïbes membres du Commonwealth. Les firmes d’ingénierie (par exemple, l’entreprise québécoise SNC-Lavalin, une des plus grandes du monde) participent à des projets de développement outre-mer à grande échelle depuis plus d’une génération. Bon nombre de ces projets se déroulent dans l’hémisphère Sud, mais certains sont contestés.

La présence du secteur minier canadien dans les pays en voie de développement est particulièrement controversée. Soixante-quinze pour cent des compagnies minières du monde ont leur siège social au Canada et quarante-huit pour cent des activités minières canadiennes ont lieu hors du Canada. Même si l’extraction a profité à certaines communautés, dans d’autres cas, le développement a donné lieu à des violations des droits de la personne et à une dégradation de l’environnement.

Selon un rapport interne commandé par l’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs (ACPE), à l’échelle mondiale, les compagnies minières canadiennes sont les pires contrevenantes dans les domaines des droits de la personne et de l’environnement. Parmi les 171 compagnies impliquées dans des incidents survenus sur une période de dix ans, trente-cinq pour cent étaient canadiennes, selon une étude menée en 2010 par le Canadian Centre for the Study of Resource Conflict. L’ACPE s’est donné beaucoup de mal pour souligner que l’étude portait essentiellement sur des allégations non fondées, et non sur des infractions réelles.

Quoi qu’il en soit, le rapport a donné lieu à une discussion sur le développement par le secteur privé et sur le rôle que le gouvernement canadien devrait jouer pour superviser et réglementer ce que le Globe and Mail qualifie de « capitalisme extrême ». Pour répondre à cet appel, le gouvernement fédéral a annoncé, en octobre 2011, la création de l’Institut canadien international pour les industries extractives et le développement. L’Institut doit entreprendre des recherches stratégiques afin de dégager des pratiques exemplaires dans le secteur minier et d’offrir une aide technique aux gouvernements et communautés des pays en voie de développement.

Si les discussions sur le développement international nous permettent de comprendre quelle est notre place dans le monde, elles sont également une occasion de nous demander qui nous sommes. Le développement repose sur l’idée selon laquelle nous sommes tous reliés et faisons tous partie de ce monde. Les projets de développement du gouvernement et du secteur privé ont contribué à établir la réputation du Canada à l’étranger, et continuent de le faire. Pourtant, malgré notre obsession de l’identité nationale, ces réalisations nous demeurent étrangement inconnues.

Si nous prenions au sérieux la complexe histoire du développement international, nous serions plus en mesure de déterminer qui nous sommes, mais, surtout, qui nous voulons être, ici et à l’étranger. En tant que citoyens, c’est une leçon qui ne peut être que salutaire.

Tina Loo est professeure d’histoire à l’Université de la Colombie-Britannique.

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C’est dans le plus pur esprit chevaleresque que le Canada vint en aide à la Roumanie après la Première Guerre mondiale. Par Desmond Morton

L’aventurier canadien Joe Boyle avec la reine Marie de Roumanie (à gauche) et la princesse Ileana, en 1918.

Son amitié avec la reine eut une grande influence sur l’aide accordée à la Roumanie après la guerre.

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S i l’on se fie à l’Encyclopédie canadienne de Mel Hurtig, l’aide extérieure canadienne serait un concept datant du milieu du XXe siècle, reposant sur l’idée selon laquelle les riches nations industrialisées doivent venir en aide à leurs anciennes colonies du tiers monde. En fait,

la première expérience du Canada dans le domaine de l’aide extérieure remonte à la fin de la Première Guerre mondiale. Le Canada espérait stimuler sa propre économie en aidant les anciens acheteurs de ses produits d’exportation.

Le programme de prêts à l’Europe n’était cependant pas sans conditions, ce à quoi personne ne trouvait à redire. Mais l’inclusion à la dernière minute d’un pays jugé incapable de rembourser ses dettes, que l’on doit à l’œuvre d’un aventurier canadien tombé amoureux d’une reine des Balkans, en fit sourciller plus d’un. Le premier pas du Canada sur le terrain de l’aide extérieure se révélait fort périlleux.

Avant la guerre, les marchés européens achetaient à peu près tout ce que le Canada avait à exporter, de la machinerie agricole aux pommes. Mais la Grande Guerre détruisit les économies européennes. Des entreprises canadiennes, comme Massey-Harris, qui avaient fait des affaires d’or dans l’Europe d’avant-guerre assistaient, impuissantes, à leur déclin, alors que les pays qui avaient acheté leurs produits à crédit se retrouvaient sans moyens, et sans véritable volonté de rembourser leur dette.

Lloyd Harris, dont la famille détenait l’entreprise de machinerie agricole Massey-Harris, faisait partie des proches du premier ministre Robert Borden lorsque ce dernier assista à la conférence du Traité de Versailles, en 1919. À l’époque, Borden était un homme préoccupé. Il devait faire face à une coalition instable formée de libéraux et de conservateurs, ainsi qu’à une dette de guerre exorbitante.

À la suggestion de Harris, Borden s’employa à négocier une série d’accords bilatéraux avec la France, l’Italie, la Belgique et la Grèce. Chaque pays pouvait emprunter jusqu’à 25 millions de dollars pour acheter des produits canadiens expédiés par des navires canadiens. Le taux d’intérêt sur la dette était de 5,5 %, payable deux fois par an, mais seulement une fois les biens reçus. Nul désir ni besoin de cacher les intérêts nationaux du Canada dans le cadre de cette démarche, fidèle à l’approche canadienne de l’aide extérieure. Les agriculteurs, les industriels et les armateurs canadiens parvinrent ainsi à faire un retour en force sur leurs marchés étrangers beaucoup plus rapidement.

Mais l’inclusion à la dernière minute d’un cinquième pays, la Roumanie, créa une véritable polémique autour du plan Harris-Borden.

L’ajout de la Roumanie est l’œuvre de l’un des personnages canadiens les plus colorés de l’époque, le lieutenant-colonel Joe Boyle. Élevé dans une ferme en Ontario et orangiste au

franc-parler, Boyle avait fait fortune au Yukon en construisant des dragues à vapeur permettant de remonter à la surface le gravier riche en pépites que les chercheurs d’or lavaient ensuite à la batée.

En 1909, il était devenu le roi du Klondike et contrôlait une grande société minière du Yukon. Lorsque la guerre de 1914 fut déclarée, Boyle, âgé de 46 ans, était trop vieux pour s’enrôler, mais il se porta volontaire afin de financer et de monter une compagnie de mitrailleuses composée de cinquante employés. Son audace lui valut un titre de colonel honorifique, décerné par le ministre de la Milice et de la Défense sous le gouvernement Borden, Sam Hugues. L’uniforme lui conférait un grand prestige en Angleterre, où il dut se rendre pour affaires en 1916. Grand, large d’épaules et infatigable, Boyle réussissait toujours à convaincre ses interlocuteurs, par sa seule présence et sa détermination.

Pendant son séjour à Londres, on fit appel à son génie unique pour résoudre le « nœud de Moscou », un immense casse-tête ferroviaire qui freinait le réapprovisionnement

des troupes russes. Pour Boyle, régler ce problème était aussi simple que de chercher de l’or : il fallait tout simplement libérer les voies en retirant les trains endommagés.

En novembre 1917, les trains étaient de nouveau opérationnels. Un de ces trains partait de Moscou, en direction d’un pays allié depuis peu, la Roumanie. Parmi ses passagers se trouvait le colonel Boyle, chargé de sa nouvelle mission qui consistait à escorter le retour d’archives et de devises roumaines dans leur pays d’origine, en provenance de Russie, où elles étaient conservées. À ce moment, la guerre avait déjà fait des ravages en Roumanie.

Lorsque la guerre fut déclenchée, en 1914, la Roumanie était un pays

neutre. En août 1916, le roi Ferdinand Ier changea d’idée et accepta de ratifier un traité secret avec les Alliés, dans lequel on lui promettait certains des territoires bulgares et des Habsbourg qu’il convoitait depuis longtemps. La femme du roi Ferdinand, la reine Marie, petite-fille de la reine Victoria de Grande-Bretagne, exerça une influence certaine sur cette décision. L’empereur d’Allemagne, Guillaume II, un parent du roi roumain, était consterné : « La guerre est perdue », gribouilla-t-il dans son journal.

Mais l’Allemagne redoubla ses efforts de guerre, alors que ses alliés passaient sous son contrôle. En quelques jours, une armée austro-allemande fit reculer les Roumains jusqu’à leur frontière, eux qui étaient parvenus, à la fin d’août 1916, à avancer jusqu’en Transylvanie. Plus tard, une armée germano-bulgare traversa le Danube et captura 25 000 soldats roumains. Dans cette guerre menée sur deux fronts, la Roumanie, le plus grand pays des Balkans, fut anéantie en un mois. Le 6 décembre 1916, Bucarest se joignait à Bruxelles, à Belgrade et à Cetinje, capitales conquises par les pouvoirs centraux que formaient l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et

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Le premier ministre Robert Borden

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l’Italie. La famille royale roumaine s’enfuit à Jassy, une capitale provinciale près de la frontière russe.

C’est à Jassy que Joe Boyle et son chargement d’archives et de devises roumaines arrivèrent en décembre 1917. Il y fit la rencontre de la reine Marie et tomba sous son charme. Au printemps de 1918, Boyle lui manifesta son dévouement en sauvant de la captivité de nombreux proches et alliés, à Odessa, alors sous le contrôle des bolcheviques. Ce geste en fit un héros dans toute la Roumanie.

Lorsque l’Armistice de 1918 rétablit la paix en Europe, Marie confia ses fils à Boyle pour qu’il les accompagne en Angleterre, où des membres de sa famille s’occuperaient de leur trouver une place dans les meilleures écoles privées du pays. De là, Boyle traversa la Manche pour rencontrer Borden à Paris. Pour Boyle, la Roumanie, un allié anéanti qui avait perdu 335 000 de ses citoyens, méritait la même considération que la Belgique ou la Grèce.

Boyle persuada également la reine Marie de se rendre à Versailles, afin d’assurer la présence de son pays. La proposition était rusée. Seule femme, éblouissante de surcroît, parmi une assemblée de politiciens et de bureaucrates poussiéreux, elle devint un élément incontournable des négociations.

Cependant, les Canadiens n’étaient assurément pas tous sous l’emprise de Marie. Pour les hommes d’affaires, il pouvait sembler judicieux d’accorder un peu de crédit aux pays européens afin de pouvoir accéder de nouveau à ces marchés, mais le Canadien moyen, lui, pouvait à peine situer la Roumanie sur une carte. Les immigrants roumains au Canada étaient essentiellement des juifs qui fuyaient les pogroms de la révolution paysanne de 1907. Ils n’avaient pour leur pays natal aucune allégeance, ni aucune affection particulière. Quant à l’effort de guerre roumain, sa futilité même ne méritait pas d’être récompensée.

Et s’il était difficile pour les Canadiens d’imaginer que la France et l’Italie, ou même la Belgique et la Grèce, pourraient ne pas honorer leurs dettes, comment pouvait-on être sûr que la Roumanie se souviendrait des siennes? Les envois de marchandises canadiennes en Roumanie passaient toujours par New York et, malgré la flotte marchande imposante du Canada, les navires canadiens s’aventuraient rarement dans la mer Noire.

Le Canada étant lui-même au bord de la faillite, les critiques au sein du gouvernement Borden et de l’autre côté de la Chambre des communes condamnèrent le gaspillage de millions de dollars au profit d’un allié méconnu. En outre, comme le fit remarquer en 1920 Sam Jacobs, un député libéral montréalais d’origine juive, qui avait connu les pogroms de 1907, la Roumanie était peut-être déjà sous le contrôle des bolcheviques.

Dans les faits, le régime du roi Ferdinand survécut au bolchevisme, mais, compte tenu de l’état lamentable dans lequel se trouvait son pays après la guerre, le remboursement de sa dette de 25 millions de dollars envers le Canada n’était certainement pas une priorité. En mars 1921, le député d’arrière-ban libéral Joseph Archambault demanda si la Roumanie avait payé les 1 475 000 $ en intérêts qu’elle devait à la nation canadienne. Le ministre des Finances, Sir Henry Drayton, préoccupé par des problèmes plus graves, répondit :

« Cette question n’est pas assez importante pour que la Chambre y consacre son temps précieux. » Il dut toutefois reconnaître que le pays n’avait pas remboursé cette somme.

Un mois plus tard, pendant un congé férié où les banques étaient fermées, Sam Jacobs voulut savoir si le paiement des intérêts avait été déposé le vendredi précédent. Arthur Meighen, le successeur de Borden, répondit avec lassitude qu’il ne tenait pas de comptes des dépôts bancaires toutes les heures, ni même tous les mois.

Cette réponse ne fit rien pour calmer le mécontentement de l’opposition. Thomas Caldwell, un libéral d’une circonscription rurale du Nouveau-Brunswick, avança, lors du débat sur le budget de mai 1921, que si le Canada n’avait pas prêté des millions de dollars à des pays comme la Roumanie, ses électeurs n’auraient pas tant d’impôts à payer. « L’ampleur de notre dette confirme que le Canada n’a plus d’argent », affirma Caldwell.

Les Canadiens finirent par oublier la Roumanie et sa dette. Après une courte mais profonde récession qui survint immédiatement après la guerre, le Canada connut une période de prospérité, jusqu’à la Grande Dépression de 1929.

Pendant tout ce temps, Joe Boyle demeura en Angleterre, où il entretint une correspondance avec la reine Marie. Dans ses dernières années, il connut de lourdes pertes financières consécutives à la faillite de ses entreprises du Klondike. En 1918, il fut terrassé par un accident vasculaire cérébral qui le laissa fort diminué. Il mourut à Londres en 1923, à l’âge de cinquante-cinq ans.

Même s’il ne fut jamais officiellement reconnu au Canada, d’autres pays récompensèrent Boyle pour ses interventions à l’étranger. Il reçut en effet le Distinguished Service Order de la Grande-Bretagne, la Croix de guerre de la France, l’Ordre de Saint-Vladimir de la Russie et l’Ordre de l’étoile de la Roumanie.

En 1983, à la demande de sa famille et de citoyens de sa ville natale, on fit revenir la dépouille de Boyle au Canada pour l’enterrer à Woodstock, où le ministère de la Défense nationale organisa des funérailles militaires officielles.

Desmond Morton est le titulaire de la chaire d’histoire Hiram Mills et il est pro-

fesseur d’histoire émérite à l’Université McGill, à Montréal. Il a écrit quarante

ouvrages sur l’armée canadienne et l’histoire politique et sociale du Canada.

La Conférence de la paix de Paris de 1919 dura six mois et mena à la signature du Traité de Versailles, qui mettait fin à la guerre entre l’Allemagne et les Alliés.

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Dans un camion de marchandises fourni par le Canada, des civils chargent de la nourriture destinée à la population néerlandaise vers la fin de la Seconde Guerre mondiale.

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Le rôle essentiel joué par le Canada en Europe après la Seconde Guerre mondiale demeure cher au cœur des Canadiens. Par Susan Armstrong-Reid et David Murray

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« La scène que nous avions sous les yeux était certainement l’illustration la plus concrète et la plus accablante de l’effondrement de la civilisation occidentale… »

— Bill Rogers, officier canadien œuvrant auprès des personnes déplacées, 1945

Après la Seconde Guerre mondiale, la destruction de l’Europe était inimaginable. Des millions de personnes erraient dans les villes et les campagnes, à la recherche de nourriture, d’un abri et de leur famille. Certaines avaient survécu aux travaux

forcés et aux camps de concentration, mais n’avaient plus de maison, de famille et, dans certains cas, de pays, les frontières nationales ayant été redessinées par les vainqueurs. La faim et la maladie menaçant constamment les populations, il fallait agir pour éviter que la situation n’échappe à tout contrôle.

Avant même la fin de la guerre, les Alliés avaient prévu ce chaos. Ils créèrent en 1943 l’Administration des Nations unies pour les secours et la reconstruction (UNRRA), dont le

mandat était de fournir des secours et de rapatrier les victimes de la guerre, d’étouffer toute agitation politique dans l’Europe d’après-guerre et d’accélérer le retour à des conditions économiques et à des relations commerciales normales.

En quelques années, l’UNRRA rapatria de six à sept millions d’Européens. Cette mission essentielle fut notamment confiée à des gens comme Bill Rogers, un lieutenant de la marine âgé de 26 ans qui s’était joint à une centaine de Canadiens pour remplir le mandat de l’UNRRA, c’est-à-dire « aider les populations à se reprendre en mains ». Souffrant d’une mauvaise vue, M. Rogers avait été écarté des forces actives pendant la guerre. On lui confia plutôt le rôle d’officier du renseignement aux quartiers généraux de la marine, à Ottawa. C’est en janvier 1945 qu’il eut enfin l’occasion de se rendre en Europe, à titre d’officier œuvrant auprès des personnes déplacées pour l’UNRRA. Cet officier, qui avait reçu une formation universitaire et enseignait le français au Trinity College de l’Université de Toronto avant d’entrer dans l’armée, a clairement décrit dans ses mémoires ce qu’il a vu en Europe.

À son arrivée à Pilsen, en Tchécoslovaquie, une semaine après la fin de la guerre, M. Rogers écrivait ceci : « Ici même, dans une petite région d’un petit pays, au cœur de l’Europe, on retrouve un microcosme de l’Europe dévastée : des personnes de toutes les nationalités, de tous les horizons, de tous les âges, unies par les seuls liens de la misère et du désespoir. Nous avons vu des gens de tous âges, étendus sur la paille en cet après-midi ensoleillé du mois de mai, des gens sans espoir, qui n’ont plus aucune raison de se relever. C’est comme si j’avais retourné une pierre, découvrant un spectacle désagréable. J’aurais voulu fuir. »

Malgré ce désir de fuite, M. Rogers resta sur place. En tant que membre d’une petite équipe affectée à un centre de rassemblement pour personnes déplacées, il avait de nombreux problèmes à résoudre, notamment l’absence de coopération de l’armée d’occupation américaine. En plus d’être fortement rationnée, la nourriture n’était pas adaptée à des victimes de famine. Il s’agissait essentiellement de rations abandonnées sur place par l’armée allemande. En outre, les soins médicaux étaient inadéquats. Le camp accueillait des personnes de trente-deux nationalités différentes : bon nombre d’entre elles espéraient que l’UNRRA pourrait rapidement résoudre leurs problèmes. « Ces malheureux se succédaient sans relâche : des mères avec des bébés affamés, des gens sans couverture, des époux, de deux nationalités différentes, voulant entrer dans un autre pays », explique M. Rogers.

M. Rogers était cependant fier de rapporter qu’aucun décès n’était survenu parmi les milliers de personnes déplacées étant passées par le camp lors de ses trois mois à Pilsen. Il ne fut pas le seul à vivre une telle expérience. Grâce aux efforts déployés par les travailleurs de l’UNRRA, l’Europe évita les terribles épidémies qui ravagèrent le continent après la Première Guerre mondiale.

Le Canada joua un rôle essentiel dans la reconstruction de l’Europe de l’après-guerre. La nation canadienne était au troisième rang des donateurs de l’UNRRA,

devancée seulement par les États-Unis et la Grande-Bretagne. Le Canada allouait 1 % de son produit intérieur brut à l’aide internationale.

Les politiques d’aide du Canada après la guerre étaient essentiellement inspirées par des enjeux nationaux, mais aussi par un intérêt « éclairé ». Le gouvernement du premier ministre Mackenzie King voyait l’UNRRA comme le pont permettant d’assurer la transition entre la production de guerre et l’économie en temps de paix. On confia à Brooke Claxton, le secrétaire parlementaire du premier ministre, la tâche de convaincre l’électorat canadien des avantages de l’UNRRA. Il défendit l’UNRRA avec brio : « En tant que Canadiens, il importe d’apporter notre pleine contribution, c’est une question de fierté. En outre, l’UNRRA allie nos intérêts à une intervention humanitaire essentielle. Plus que tout autre pays, le Canada a intérêt à ce que les autres nations se relèvent et puissent acheter nos produits. » Les Canadiens n’ont jamais utilisé l’aide humanitaire comme une arme politique, mais le gouvernement jugeait que l’UNRRA était une bonne façon de tisser des liens avec de futurs partenaires commerciaux. À ce jour, ce principe d’intérêt « éclairé », habilement associé

Des infirmières surveillantes cana-

diennes, en Allemagne, après la guerre. Les

femmes, attirées par la réputation d’employeur soucieux de l’égalité des

chances de l’UNNRA, étaient nombreuses à

vouloir travailler pour cette organisation.

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à l’obligation morale de protéger les droits individuels et la dignité humaine, demeure au cœur de l’approche canadienne de l’internationalisme.

Le rôle important joué par le Canada pendant la guerre lui donnait des munitions pour renverser les mauvaises habitudes des quatre grandes puissances : en effet, ces dernières prenaient les décisions et s’attendaient toujours à ce que les plus petites nations emboîtent le pas. Le gouvernement canadien est à l’origine du principe selon lequel le pouvoir d’une nation repose sur sa capacité de contribuer à une situation donnée. Comme le Canada était un grand donateur de l’UNRRA, il s’attendait à être reconnu comme une puissance intermédiaire.

Pendant ce temps, les Canadiens étaient nombreux à se porter volontaires au sein de l’UNRRA, attirés par les voyages, une nouvelle carrière bien rémunérée et la possibilité d’aider leurs prochains. Les femmes, craignant que la fin de la guerre ne freine leur accession à l’emploi, se montrèrent particulièrement intéressées. La possibilité de travailler pour l’UNRRA, qui avait la réputation de n’exercer aucune discrimination envers les femmes, présentait un attrait certain pour ces dernières.

Cependant, une fois sur le terrain, elles découvrirent que l’UNRRA était encore dominée par des hommes peu intéressés par l’égalité des sexes. Néanmoins, la présence de femmes à des postes de direction et les efforts déployés par ces dernières pour améliorer les conditions de vie et l’éducation des femmes dans ces pays d’Europe eurent d’importantes répercussions. Les infirmières canadiennes, dirigées par Lyle Creelman et Madeline Taylor, participèrent à une importante initiative de l’UNRRA visant à aider les femmes déplacées à retrouver leur identité personnelle et professionnelle. Elles créèrent un programme ayant pour but de fournir des accréditations à des infirmières européennes déplacées qui n’avaient plus les preuves officielles de leur formation ou qui avaient suivi des cours parrainés par l’UNRRA.

Des Canadiens de tous les horizons servirent à tous les paliers de l’organisation et dans toutes les missions de l’UNRRA. Certains eurent une grande influence et s’impliquèrent avec la même intensité que les soldats canadiens pendant la guerre. Et tout comme les soldats, les travailleurs de l’UNRRA vécurent en Europe des expériences qui resteront à jamais gravées dans leur mémoire.

Ethel Ostry, une travailleuse sociale canadienne spécialisée en psychiatrie, a décrit ses expériences dans son journal

personnel. Elle fut littéralement submergée d’émotion lorsqu’elle vit son premier groupe de réfugiés européens : « des hommes, des femmes, des enfants, entassés comme du bétail, revenant de nulle part pour retrouver un foyer qui n’existe plus. On ne pouvait lire aucune expression sur leur visage. La vie semblait avoir perdu tout son sens pour ces malheureux ». Dans son journal, Mme Ostry déplorait qu’au XXe siècle l’homme soit encore capable de telles horreurs.

La vie sur le terrain n’était pas facile. Les Canadiens se battaient contre l’inefficacité et l’indifférence des administrations, contre des intrigues politiques qui éclataient parfois en guerres civiles, mais aussi contre la mesquinerie des hommes, sur laquelle ils ne pouvaient exercer aucun contrôle. Les infirmières canadiennes de l’UNRRA étaient reconnues pour leur capacité à s’adapter aux pénuries de matériel ou à des conditions de travail pénibles, plus particulièrement lorsque le médecin de service était absent. Mais elles n’avaient pas prévu les difficultés de la collaboration avec l’ennemi.

Par exemple, afin de remédier à une pénurie de personnel, des infirmières allemandes qui avaient travaillé sous le régime nazi furent engagées à l’hôpital Belsen afin de prendre soin des survivants du camp de concentration Bergen-Belsen. Également appelées les « chemises brunes » en raison de la couleur de leur uniforme, certaines de ces infirmières furent envoyées en prison pour leurs activités pendant la guerre. Des médecins allemands étaient également en service à Belsen. On confia à l’infirmière canadienne Janet Vanderwell la tâche de surveiller un des médecins allemands de la salle d’opération, car l’infirmière en chef de l’hôpital, une Australienne, ne cachait pas sa méfiance à son égard.

Les infirmières canadiennes éprouvèrent également de la difficulté à gagner la confiance des survivants qu’elles devaient soigner. Elizabeth Petrie et Jean Williams furent envoyées dans un camp appelé Wildflecken — le lieu sauvage — un ancien centre de formation SS qui abritait environ 15 000 personnes déplacées. Elles eurent un véritable choc lorsqu’une famille, depuis peu réunie, refusa de confier leur enfant malade aux soins d’une infirmière. Cette méfiance était sans doute attribuable à l’uniforme d’apparence militaire que portaient les infirmières. L’enfant ne survécut pas.

Les Canadiens se présentaient comme des soldats de la paix, mais, dans le cadre de cette intervention de nature politique, ils devaient également agir comme des agents de rapatriement, un rôle qu’ils trouvaient de plus en plus pénible.

Ci-dessus : Des soldats canadiens offrent des jouets à des enfants, après la libération de la Hollande en 1945.

Ci-dessous: Des survivants du camp de concentration de Dachau, en mai 1945. Au centre, en uniforme, le Canadien Alex Edmison, agent-chef de liaison de l’UNNRA .

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De nombreux réfugiés ne voulaient plus retourner dans leur pays d’origine, maintenant occupé par l’Union soviétique. Il fallait parfois renvoyer des enfants non accompagnés vers des pays où des conditions précaires les attendaient. Pour bon nombre des travailleurs de l’UNRRA, ces mesures de rapatriement étaient trop rigoureuses. Certains devinrent des experts du subterfuge, plus particulièrement avec les « enfants volés » dont l’histoire est véritablement déchirante.

Pendant la guerre, les nazis kidnappèrent dans les pays qu’ils occupaient des milliers d’enfants, souvent des bébés aux cheveux blonds et aux yeux bleus, pour les ramener en Allemagne, où des familles les adoptaient. Les enfants grandissaient sans même savoir qu’ils étaient adoptés. Des travailleurs sociaux eurent la tâche de trouver ces enfants et de les ramener dans leur pays d’origine. Dans certains cas, lorsque les enfants étaient de toute évidence heureux au sein de leur famille adoptive, les travailleurs canadiens de l’UNRRA fermaient les yeux. Ils refusaient d’enlever à ces enfants la seule famille qu’ils avaient connue.

Un épisode dramatique eut lieu en 1949, lorsque 123 orphelins catholiques polonais furent amenés au Canada. Ces enfants avaient été déportés avec leur famille et envoyés dans les camps de travail de Sibérie lorsque l’URSS décida d’annexer la partie orientale de la Pologne, en 1939. En 1942-1943, ces enfants, avec des milliers d’autres Polonais, furent transportés des goulags vers l’Afrique de l’Est.

Après la guerre, ces enfants se retrouvèrent sans nulle part où aller. Un archevêque canadien entreprit de les accueillir au Canada. L’incident provoqua une véritable controverse internationale qui atteignit les portes des Nations unies : la Pologne communiste accusait le Canada et le

Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés de kidnapper les enfants afin de les réduire à l’état d’esclaves dans des fermes et des usines canadiennes. Malgré les protestations, les enfants demeurèrent au Canada.

À cette époque, la Pologne était dans un état désastreux, et la situation politique ne laissait entrevoir aucune amélioration : plus de 40 % des actifs du pays avaient été détruits, des millions de personnes étaient mortes et les survivants étaient malades, blessés ou affamés.

Un Canadien, le brigadier-général Charles M. Drury, fut alors nommé à la tête de la mission de l’UNRRA en Pologne. M. Drury s’acquitta brillamment de son mandat, et en fut chaleureusement remercié par le directeur général de l’UNRRA et par le peuple polonais. Immédiatement, il veilla à faire envoyer des milliers de tonnes de provisions pour éviter une famine et des épidémies; sa contribution se révéla également inestimable pour relever les industries de l’agriculture et de la pêche en Pologne.

Cependant, le travail de M. Drury fut mis à mal dans la presse américaine. Le magazine Life, en particulier, laissait entendre que la distribution de nourriture et de matériel en Pologne était hautement politisée et favorisait ceux qui appuyaient le régime communiste. Dans les faits, les envois de l’UNRRA servaient à appuyer un gouvernement communiste ami de la Russie. M. Drury ne parvint pas à convaincre le magazine de retirer ces accusations, qu’il décrivait comme une « représentation tordue » de la situation réelle sur le terrain.

L’aide humanitaire fournie par le Canada était bien supérieure à celle offerte par les quarante-quatre nations membres de l’UNRRA. En fait, afin de respecter ses engagements envers l’UNRRA, Ottawa décida de réintroduire le rationnement : la viande et le beurre devinrent des denrées encore plus rares que pendant la guerre. Les Canadiens firent contre mauvaise fortune bon cœur. Comme le disait si bien un éditorialiste du Summerside Journal de l’Île-du-Prince-Édouard en juillet 1945 : « Il serait bien égoïste celui qui rechignerait à se priver un peu afin d’aider les Européens, bien plus mal lotis que nous. »

La contribution du Canada par le truchement de l’UNRRA, évaluée à 154 millions de dollars, eut des retombées économiques bien supérieures à ce montant. En effet, Lester B. Pearson, le futur premier ministre qui était alors ambassadeur du Canada à Washington et président du comité de l’UNRRA chargé de l’approvisionnement en matériel, usa de ses relations politiques à Washington et à Londres pour décrocher des contrats de l’UNRRA. Il y parvint, en partie, en nommant des Canadiens à des postes clés des divisions de l’expédition et des denrées alimentaires de l’UNRRA.

Andrew Cairns fut donc nommé à la tête de la division des denrées alimentaires de l’UNRRA. M. Cairns, un rebelle au franc-parler qui faisait peu de cas des politiques et des procédures lorsqu’elles entravaient son chemin, était convaincu de l’importance de la contribution du Canada : « Les besoins de l’UNRRA étaient immenses… le Canada et les États-Unis n’ont pas hésité à répondre à l’appel et les pays bénéficiaires nous ont exprimé leur profonde gratitude. Au cours des derniers mois, nous n’étions même pas en mesure de répondre à la moitié de nos besoins en blé : nous avons

Cette carte de l’Allemagne d’après-

guerre montre certains des camps de

l’UNNRA dans lesquels les Canadiens ont servi.

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En médaillon : Tillson Harrison en 1907.

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donc fait appel au Canada pour nous fournir du blé et de l’avoine. Le pays nous a envoyé 10 000 tonnes de blé par mois et plus de huit millions de boisseaux d’avoine. »

La grande place qu’occupe le Canada dans l’histoire de l’UNRRA demeure chère au cœur des Canadiens. L’UNRRA a été un pilier de l’engagement du Canada à l’égard du concept d’aide humanitaire multilatérale par l’entremise des agences des Nations unies, mais cette organisation a également permis de former les futurs architectes de la politique internationale du Canada, notamment Lester B. Pearson, qui, en plus de devenir premier ministre, obtiendra le prix Nobel de la paix.

L’UNRRA a également contribué au multiculturalisme du Canada. L’expérience des travailleurs canadiens de cette organisation leur a fait voir la société canadienne d’après-guerre différemment. Ils ont aussi développé une plus grande sensibilité à l’égard des souffrances de ces dépossédés, à une époque où les portes du pays étaient fermées à une immigration à grande échelle.

Charity Grant, l’ancien directeur d’un grand centre de rassemblement pour les juifs en Allemagne, a admis que « le travail de l’UNRRA n’a pas été une sinécure. Cependant, il en valait grandement la peine, puisqu’il permettait de venir en aide à des gens qui venaient de vivre une expérience horrible… De tout cela, je retire une grande leçon : à quel point il est difficile d’être un réfugié ».

De retour au Canada, M. Grant et d’autres travailleurs de l’UNRRA ont milité en faveur d’une politique d’immigration plus ouverte et de l’établissement d’un système de soutien à l’éducation et au bien-être social afin d’aider les nouveaux Canadiens à s’adapter à leur nouveau pays. Le rôle joué par l’Association des infirmières et infirmiers du Canada, l’Association canadienne des travailleuses et des travailleurs sociaux et le Congrès juif canadien en tant que promoteurs d’un changement à la politique d’immigration canadienne a eu bien plus de poids que celui des organisations non gouvernementales (ONG) dans le discours sur les enjeux sociaux et internationaux du Canada, malgré la place de plus en plus importante que prenaient ces ONG dans le paysage politique canadien.

En outre, l’UNRRA a fait dévier la trajectoire professionnelle de douzaines de Canadiens qui ont été parmi les premiers à mettre en œuvre de nouvelles initiatives internationales pour régler les problèmes de justice sociale, d’aide humanitaire, de logement et de rétablissement qui perduraient après le démantèlement de l’UNRRA. À ce jour, les Canadiens continuent d’appuyer les initiatives de secours aux sinistrés et de développement à long terme.

L’UNRRA ne devait pas devenir une institution permanente. Cependant, nombreux sont ceux qui ont considéré son démantèlement précipité en 1948

comme prématuré. Depuis ses débuts, l’UNRRA devait sa survie aux compromis et concessions de tous ses intervenants, et l’organisation n’avait pas l’autonomie financière et opérationnelle nécessaire pour poursuivre ses activités. Le contrôle de l’approvisionnement et de l’expédition des marchandises relevait en grande partie des Britanniques et des

Américains, qui ne laissaient aux Canadiens que les miettes. En outre, l’UNRAA n’avait pas les pouvoirs nécessaires

pour s’assurer que l’aide humanitaire était distribuée efficacement et équitablement, sans discrimination fondée sur la race, la religion ou les allégeances politiques, ainsi que l’exigeait son mandat. Le compromis politique sur lequel reposait l’UNRRA était intenable au regard des tensions croissantes qui se développaient entre les pays donateurs et bénéficiaires et de l’intensification de la guerre froide. Les États-Unis s’attendaient à une collaboration politique en échange de leur aide, mais, voyant que leurs espoirs restaient vains, ils cessèrent de financer l’UNRRA en 1947, mettant ainsi fin à ses opérations.

Des années plus tard, Lester B. Pearson résuma fort bien les réalisations de l’UNRRA : « Malgré certaines faiblesses et malgré la corruption, la souffrance et le dénuement des populations auraient été beaucoup plus grands, et les économies européennes auraient mis beaucoup plus de temps à se relever sans l’existence de l’UNRRA. »

Susan Armstrong-Reid et David Murray sont les auteurs d’Armies of Peace :

Canada and the UNRRA Years (University of Toronto Press, 2008).

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Un héros en Chine

Même s’il est peu connu au Canada, un médecin canadien qui a travaillé en Chine après la guerre, demeure un héros pour la population de ce pays. Le médecin

aventurier Tillson Harrison, de Tillsonburg, en Ontario, avait déjà survécu à huit guerres sur cinq continents et atteint la mi-soixantaine lorsqu’il falsifia son dossier personnel, en se rajeunissant quelque peu, afin de pouvoir travailler pour l’UNRRA (Administration des Nations unies pour les secours et la reconstruction).

Avec ses collègues, il achemina de la nourriture et des médicaments à des villageois affamés dans la Chine

de l’après-guerre, alors secouée par une guerre civile entre les nationalistes et les communistes chinois qui rendait les conditions de vie très difficiles.

Vers la fin de 1946, Tillson Harrison était à bord d’un train transportant du matériel

médical destiné à des zones contrôlées par les communistes, dans le nord de la Chine, lorsque

les forces nationalistes attaquèrent son convoi. Les soldats lui volèrent sa nourriture et ses souliers,

le laissant sans ressources, en plein mois de décembre. Lorsque l’UNRAA parvint à le retrouver, il était en piètre état, souffrant d’engelures et de malnutrition.

Pourtant, il insista pour poursuivre sa mission. Tillson Harrison mourut en janvier 1947, « usé par le travail et la fatigue », alors qu’il livrait clandestinement des articles médicaux à l’hôpital international Handan, dans la province du Hebei. L’hôpital fut rebaptisé en son nom et, quarante et un ans plus tard, une délégation canadienne assista à une cérémonie où l’on transporta sa dépouille pour l’enterrer à Shanghai avec tous les honneurs.

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L’aide extérieure fournie par le Canada pour lutter contre la menace de la guerre froide en Asie a donné des résultats dangereusement imprévisibles. Par Keith Spicer

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A lors que les pluies de mousson balayaient le vieux Colombo, en janvier 1950, sept dirigeants anxieux du Commonwealth se réunissaient dans la capitale du pays que l’on appelait à cette époque Ceylan. Leur but : créer le Plan de Colombo, un

cadre international de solidarité Est-Ouest sans précédent. Ce plan, regroupant l’Australie, la Grande-Bretagne, le Canada, la Nouvelle-Zélande, Ceylan, l’Inde et le Pakistan, devait être le plan Marshall de l’Asie, et la sauver à la fois de la pauvreté et de l’emprise des communistes.

Parmi les participants se trouvaient le secrétaire d’État britannique aux affaires étrangères, Ernest Bevin, le premier ministre indien, Jawaharlal Nehru, le ministre canadien des Affaires étrangères, Lester Pearson, et son homologue australien, Percy Spender. Comme ils avaient tous été formés dans la plus pure tradition parlementaire et universitaire britannique, la réunion avait des allures de retrouvailles.

Mais l’heure était grave et l’époque, mouvementée. La Seconde Guerre mondiale, terminée cinq ans plus tôt, avait laissé la Grande-Bretagne exsangue. Elle perdait graduellement toutes ses principales possessions en Asie. En Inde, le mouvement autonomiste pacifique de Gandhi avait déclenché une véritable révolte anticolonialiste, enflammant toute l’Asie. En 1947, le parti du Congrès de Nehru réussit finalement à libérer l’Inde du joug britannique. Ceylan (renommée Sri Lanka en 1972) obtint son indépendance un an plus tard. Gandhi et Nehru étaient alors devenus des héros subjuguant les foules.

Partout dans le monde, le communisme était en marche. La défection au Canada du chiffreur soviétique, Igor Gouzenko, en 1945, prouvait que les espions de Moscou étaient parvenus à s’infiltrer dans tout l’Occident. Aux Parlements français et italien, immédiatement après la guerre, les communistes détenaient plus du quart des sièges. Les activités subversives des Soviétiques menèrent à un coup d’État communiste à Prague, en 1948.

En avril 1949, les pays de l’Ouest, terrifiés, créèrent

l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), avec le soutien concret et déterminé du Canada. De plus en plus d’espions soviétiques étaient débusqués, alimentant les craintes de l’Occident à l’égard d’une montée du communisme. Klaus Fuchs, un communiste allemand qui travailla pendant un certain temps à la centrale nucléaire canadienne de Chalk River, réussit à faire passer des secrets sur la bombe atomique à Moscou. En Grande-Bretagne, les Cinq de Cambridge, un cercle de communistes britanniques bien éduqués, infiltrèrent l’establishment anti-espionnage du pays.

Mais le plus spectaculaire fut la victoire totale du parti communiste de Mao Zedong sur la Chine, le 1er octobre 1949. Dans cette Asie appauvrie, la propagande communiste alimentait le sentiment anticolonialiste. Le marxisme semblait l’allié naturel de la libération. L’idée d’un prolétariat international repoussant les pilleurs étrangers séduisait de nombreux esprits et correspondait en grande partie à la réalité. La propagande de guerre japonaise attisait la colère contre les « oppresseurs blancs », élargissant ainsi l’idéologie d’une oppression de classe pour y englober la dangereuse question de la race.

De 1948 à 1960, l’état d’urgence fut déclaré en Malaisie pour lutter contre une insurrection communiste. La France, qui tentait de reprendre l’Indochine, s’embourba dans un conflit sanglant de neuf ans, ouvrant la voie à l’Amérique, qui elle-même s’engagea, au Vietnam, dans une lutte désespérée contre le communisme en 1955.

Les dirigeants du Commonwealth réunis à Ceylan savaient sur quoi devait reposer le Plan de Colombo. Ils croyaient qu’en accélérant le

développement économique de l’Asie, ils pourraient prévenir la montée du communisme, éliminant du coup l’immense menace géopolitique que cela représentait pour l’Occident. Ils espéraient qu’une aide dans le secteur des infrastructures, soit la construction de barrages, de réseaux de distribution d’électricité, de routes et d’aéroports, mais également une aide alimentaire et technique ainsi que des prêts à faibles taux d’intérêt pourraient rivaliser avec l’attrait du marxisme, et même l’éclipser.

Pearson souligna la nécessité d’agir lorsqu’il présenta le Plan de Colombo à la Chambre des communes, le 22 février 1950 : « De l’avis de tous ceux qui étaient présents à cette conférence, si la vague d’expansionnisme totalitaire envahit cette région, non seulement les nouvelles nations perdront l’indépendance qu’elles viennent tout juste de reconquérir, mais les forces du monde libre seront aussi expulsées de la quasi-totalité du continent eurasien. »

D’autres idées favorisaient également le Plan de Colombo. L’idéal d’un Commonwealth où régnerait l’équité, sans égard à la race, gagnait rapidement en popularité et commençait à tranquillement déloger les illusions impérialistes, même chez de nombreux aristocrates britanniques (à l’exception du grognon Winston Churchill, qui qualifia le Mahatma Gandhi de « fakir à moitié nu »). Lady Edwina Mountbatten, l’épouse du dernier vice-roi de l’Inde, contribua également à cette harmonie interraciale en faisant la conquête de Jawaharlal Nehru, qui avait auparavant séjourné dans les prisons britanniques. Elle essaya, en vain malheureusement, d’envoyer

Un enfant se fait vacciner au

Bangladesh. Le Canada a été à

l’avant-plan des programmes mondiaux de

vaccination contre des maladies telles

que la poliomyélite et la variole.

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sa nouvelle flamme aux Nations unies pour accepter la tenue d’un référendum sur la région du Cachemire, revendiquée par le Pakistan.

Au Canada, la notion d’un nouveau Commonwealth égalitaire devenait un thème récurrent de la politique étrangère canadienne. Le premier ministre John Diefenbaker l’évoqua en 1961 afin de lancer un mouvement visant à expulser du Commonwealth l’Afrique du Sud, où sévissait alors l’apartheid. Cette même année, les seize premiers membres du mouvement Canadian Overseas Volunteers [aujourd’hui CUSO-VSO] furent envoyés en Inde, à Ceylan et dans l’État du Sarawak.

Officiellement, les dirigeants d’Asie étaient reconnaissants pour cette aide, mais, en fait, ils la considéraient comme une juste réparation du pillage des colonies. Ils étaient également séduits par les philosophies politiques de gauche. Toute une génération de dirigeants indiens, y compris Nehru, fut très influencée par un jeune professeur marxiste (mais pas léniniste) de la London School of Economics, Harold Laski. Par conséquent, le contrôle de l’État sur l’économie des grandes nations d’Asie, comme l’Inde et le Pakistan, freina leur développement jusqu’au début du XXIe siècle.

Mais cet amour de l’État s’accompagnait inévitablement de son pendant, la haine de la bureaucratie. Dans les années 1960, la fonction publique indienne, toujours bien considérée, commença à se transformer en babucratie, une entité handicapée par les diktats du système des castes hindoues, mais également par une nostalgie postcolonialiste pour ceux qui occupaient le haut de l’échelle et la soumission des fonctionnaires de bas niveau, ou babus, devant n’importe quel supérieur. Les babus passaient leur journée à boire des tasses de thé, entourés d’une pile de dossiers qu’ils ne lisaient jamais. L’exécution du travail était lente, pour ne pas dire stagnante ou même régressive. Les fonctionnaires indiens étaient souvent brillants, mais le principal obstacle au Plan de Colombo était la faiblesse des niveaux intermédiaires et subalternes, c’est-à-dire les niveaux d’exécution.

Les donateurs se faisaient nécessairement hésitants, invoquant le prétexte que les pays bénéficiaires étaient incapables de gérer cette aide. C’est en partie pourquoi le programme d’aide du Canada, comme celui d’autres pays, se divisa en deux parties distinctes : une aide aux immobilisations, pour bâtir des infrastructures, et une aide technique, notamment de la formation.

Cette aide aux immobilisations permit, dans un premier temps, de bâtir de grands barrages et des réseaux de distribution d’électricité. Je me souviens

encore du chaleureux sourire de Nehru, serrant la main des ingénieurs canadiens au grand barrage Kundah, près de Chennai dans le Tamil Nadu, en Inde. Il prononça un discours en anglais, qui fut traduit dans six autres langues locales. Il décrivit la grande diversité de l’Inde et la précieuse amitié du Canada, deux concepts très éloignés des préoccupations de son public, constitué de milliers de paysans.

Les grands projets comme Kundah donnaient souvent lieu à des face-à-face piquants avec les travailleurs locaux, peut-être un peu trop décontractés au goût des ingénieurs

canadiens, pressés d’en finir. Sous la chaleur étouffante, il fallait parfois bousculer les travailleurs et même les menacer de les frapper pour faire avancer les choses. Un Canadien à Dhaka, au Bangladesh, me disait qu’il frappait régulièrement ses « paresseux d’ouvriers ». À l’époque, les autorités locales fermaient les yeux, tant que les travaux avançaient. Aujourd’hui, bien sûr, il en serait tout autrement.

Une des initiatives les plus risquées du Plan de Colombo fut certainement la construction du réacteur canado-indien, près de Mumbai (anciennement Bombay), entre 1955 et 1960, sous la direction d’experts canadiens. En 1960, j’ai interviewé le chef de la recherche scientifique nucléaire en Inde, M. Homi J. Bhabha, qui m’assurait que l’Inde n’utiliserait jamais l’aide du Canada à des fins militaires. Plusieurs années plus tard, le Pakistan fit la même promesse.

Et pourtant, les deux pays prirent le virage nucléaire. L’Inde fit exploser sa première bombe atomique en 1974, grâce à des matériaux provenant de son réacteur de conception canadienne, CIRUS. Le Canada mit fin à sa collaboration nucléaire avec l’Inde en 1974 et avec le Pakistan en 1976. Le Pakistan procéda à ses premiers tests nucléaires en 1998. À ce jour, l’Inde et le Pakistan continuent de refuser toute inspection de leurs installations nucléaires, à l’exception de quelques barres de combustibles fournies par le Canada, près de Mumbai.

Le Canada a-t-il fait preuve d’imprudence en offrant une solution nucléaire à l’Inde? Si le Canada n’avait pas fait profiter l’Inde et le Pakistan de son savoir-faire nucléaire, d’autres donateurs n’auraient pas hésité à le faire, particulièrement les Soviétiques. Dans le cas de l’Inde, la guerre froide présentait une occasion irrésistible pour l’Occident de montrer sa supériorité sur Moscou. Et ce cas nous a également appris que fournir de l’aide, c’est un peu comme chevaucher un tigre : une fois que l’on est monté, la position est délicate et on ne sait jamais très bien ce qu’il peut arriver. Même le don innocent de trois avions Otter à l’Indonésie, pour assurer la liaison entre les îles, a eu des conséquences insoupçonnées : en effet, les forces aériennes de Jakarta se servirent des avions pour appuyer les rebelles malaisiens.

Cette locomotive diesel, chargée sur un quai de Saint-Jean de Terre-Neuve en mars 1958, faisait partie de la participation du gouvernement canadien au Plan de Colombo.

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Le Canada a également renfloué les budgets des pays d’Asie grâce à une aide financière directe et indirecte, souvent par le truchement de l’aide alimentaire, sa marque de commerce. Les fonds de contrepartie étaient un dispositif important de cette aide. Il s’agissait de comptes administrés localement, ouverts dans une devise locale non convertible, permettant d’acheter des dons de marchandises canadiennes. Ces fonds permettaient essentiellement aux politiciens de convaincre leurs interlocuteurs que les dons en nourriture ne servaient pas qu’à solidifier les économies locales, mais également à calmer la faim des populations.

L’interaction de milliers d’ingénieurs, de techniciens et d’autres experts canadiens avec les populations locales de pays étrangers constitue sans doute le plus grand avantage qu’a procuré au Canada cette apparition dans le monde de l’aide internationale à grande échelle. Du jour au lendemain, les Canadiens n’étaient plus des étrangers dans les pays d’outre-mer.

La plupart des Canadiens offrant une aide technique à ces populations (on parle maintenant de « coopération ») étaient des gens discrets, dévoués et vaillants. Au-delà du choc culturel, ces Canadiens ont accompli de grandes choses et ont fait la fierté de leur pays. Ils ont également réussi à bâtir des liens durables avec ces pays du Commonwealth asiatique, qui ne nous sont plus aussi étrangers que par le passé.

Ces coopérants étaient-ils ennuyeux? Ce n’est pas ce que nous raconte Somerset Maugham dans ses nouvelles asiatiques qui décrivent l’exotisme des premières années du Plan de Colombo. Je me souviens d’avoir entendu l’histoire d’un ingénieur canadien surnommé Harry the Horse et qui, sur son fidèle destrier, s’est rendu dans l’hôtel Deane de Peshawar pour y prouver que la nourriture qu’on y servait était impropre à la consommation des humains et des animaux. D’autres expatriés m’ont parlé d’un triangle amoureux où un Canadien fut pris en flagrant délit avec la femme d’un de ses compatriotes. Ils me rappellent avec humour qu’en tant qu’ingénieur, il se spécialisait dans les « transferts de chaleur ».

Le Plan de Colombo, ce sont tous ces personnages colorés, et non pas seulement les grands dirigeants réunis dans la capitale du Sri Lanka dans les années 1950 pour « sauver l’Eurasie ». Cette nouvelle interaction de coopérants canadiens avec des populations auparavant inconnues a beaucoup contribué à la maturité du Canada d’après-guerre. Bien sûr, notre contribution à l’effort de guerre demeure fondamentale. Mais le Plan de Colombo a ouvert l’esprit et le cœur des Canadiens à un monde nouveau, une ouverture qui nous a permis de prendre de notre place au sein de ce vaste monde. Et ceux qui ont bénéficié de notre aide gardent certainement un souvenir mémorable de notre présence.

Cette intervention de Colombo a permis à des milliers d’étudiants et de travailleurs étrangers d’avoir accès à nos universités, à nos laboratoires et à nos bureaux. Les Canadiens étaient heureux d’accueillir une telle diversité de nationalités du Commonwealth. Au fil du temps, les Canadiens se sont ouverts à une immigration de plus en plus multiraciale, menant à la société multiculturelle d’aujourd’hui.

Deux autres facteurs ont contribué à étendre ce mouvement d’aide humanitaire. Dans les années 1960, les

intellectuels du Québec, poussés par l’éditorialiste du journal Le Devoir passionné de culture latine Jean-Marc Léger, exigèrent un élargissement de ce type d’aide au monde francophone et à l’Amérique latine. En même temps, la libération de nombreux pays africains (et plus tard des Caraïbes) entraîna une présence humanitaire accrue d’Ottawa dans ces pays.

Le Canada a lancé le Programme d’aide aux pays africains membres du Commonwealth en 1960. Grâce à ce programme, principalement axé sur les communications, la santé et les relevés aériens visant à trouver des ressources, une spécialité canadienne, le Canada devint rapidement un joueur important en Afrique. Cela ennuyait fortement Paris, qui considérait que le Canada était un peu trop actif dans ses anciennes colonies, ou dans la nouvelle Françafrique, un terme qui renvoie à la corruption des hommes politiques français et des nouveaux dirigeants africains de l’ère postcolonialiste.

Le Plan de Colombo a déclenché une vague de changements, non seulement dans la politique étrangère du Canada, mais aussi dans la société canadienne. Cette arrivée massive d’immigrants du Commonwealth, de langue anglaise, a permis au Québec de surmonter sa méfiance à l’égard des immigrants en général, et de favoriser en même temps une immigration francophone pour conserver sa distinction linguistique. Ainsi, aujourd’hui à Montréal, la communauté asiatique côtoie la communauté maghrébine, et Haïti y est représentée dans toutes les catégories sociales, et même sur la scène internationale, grâce à l’ancienne gouverneure générale.

Mais pour les patriotes de l’ancienne école, issus de la génération du baby-boom, ces nouveaux immigrants francophones ne savent rien de l’histoire et de la culture du Québec, et de sa perspective sur le monde. À quelques exceptions près, ils sont peu actifs en faveur de la cause séparatiste, ou même nationaliste. Dans ce contexte de multiculturalisme national, qui touche également le Québec, un appel à la séparation du Québec leur paraît dépassé, plus particulièrement chez les jeunes, plus tolérants et cosmopolites.

Le Plan de Colombo de 1950 a beaucoup contribué au développement du tiers monde. L’engagement politique et économique soutenu et étroit des grandes puissances occidentales a empêché l’Asie de tomber dans le camp communiste. C’était le but premier du Plan, et il a porté ses fruits.

Mais les pays d’Asie, de même que les sociétés qui ont plus tard bénéficié de cette aide, ont transformé les sociétés de leurs bienfaiteurs autant que nous avons transformé les leurs. L’immigration est devenue un enjeu omniprésent et de plus en plus polarisant en Europe. Le rejet du « multiculturalisme » par les leaders de cette aide humanitaire, soit l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, confirme cette nouvelle réalité.

Le Canada, un grand donateur du Plan de Colombo jusqu’à son retrait, en 1992, a jusqu’à présent relevé ce défi du multiculturalisme avec plus de succès. Peu importe ce que nous réserve l’avenir, il n’en reste pas moins que nos valeurs de tolérance et d’aide au pays dans le besoin ont vu le jour il y a 62 ans, à Colombo.

Keith Spicer est l’auteur du livre A Samaritan State? External Aid in Canada’s

Foreign Policy, publié en 1966 aux Presses de l’Université de Toronto.

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De jeunes marcheurs saluent gaiement le photographe pendant la marche Miles for Millions du 3 mai 1969, à Vancouver.

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Pour toute une génération de jeunes Canadiens, la marche Miles for Millions a représenté l’espoir d’un monde meilleur. Par Tamara Myers

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l y a environ dix ans, alors que j’enseignais à l’Université de

Winnipeg, j’ai formé une équipe pour participer à une collecte de fonds annuelle

pour le cancer du sein, la Course à la vie, d’une distance

de cinq kilomètres. J’ai frappé à la porte de tous mes collègues

pour leur demander de me commanditer.

En parcourant les couloirs, j’ai ressenti une curieuse impression de déjà vu. Un collègue m’a demandé combien de kilomètres j’avais l’intention de parcourir. Un peu confuse, je lui ai rappelé qu’il s’agissait d’une course de cinq kilomètres et que notre équipe était à la hauteur de la tâche.

En voyant le petit air de déception dans ses yeux, je suis remontée dans le temps de plusieurs décennies : j’étais écolière à Toronto et je frappais à la porte de tous mes voisins pour leur demander de me « commanditer ». En échange, je m’engageais à « donner mon 110 % » pour combattre la faim dans le monde. Je me préparais en vue de la marche Miles for Millions. Les années se sont écoulées et je ne suis plus écolière, mais professeur d’histoire à l’Université de

Winnipeg; cependant, je garde un précieux souvenir de cet événement marquant.

Ce nouvel épisode de porte-à-porte dans les couloirs de l’université a déclenché un flot de souvenirs et m’a incitée à enquêter sur un moment important de la vie des enfants et des adolescents canadiens dans les années 1960 et 1970.

La marche Miles for Millions — Rallye Tiers Monde au Québec — a commencé en 1967 et s’est poursuivie pendant plus d’une décennie. Elle a été lancée dans la foulée

des nombreuses marches organisées partout dans le monde pour combattre la faim, notamment par

des organismes comme Oxfam. Au Canada, l’idée d’un « marche-o-thon » s’inscrivait parfaitement dans les célébrations précédant le centenaire de notre pays.

En 1966, le Programme de développement international du centenaire a proposé de

souligner la naissance du Canada en offrant un cadeau de taille aux pays en voie de développement. Les

organisateurs considéraient ce concept de marche-bénéfice comme une façon de venir en aide aux pays du tiers-monde, tout en faisant découvrir le développement international aux Canadiens. De là est donc née l’idée d’organiser une série de marches partout au pays où des milliers de personnes relèveraient le défi de parcourir la plus grande distance possible et de recueillir des dons auprès de leurs amis, parents,

Ci-dessus : Le 3 novembre 1969,

à Calgary, des marcheurs brandissent une banderole incitant

à lutter contre la famine au Biafra.

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voisins, mais également auprès d’entreprises locales.Lancée dans la ferveur des célébrations du centenaire,

la première marche Miles for Millions, en 1967, connut un énorme succès. Vingt-deux communautés y participèrent, attirant 100 000 marcheurs et recueillant 1,2 million de dollars.

Ce test d’endurance éprouvant est par la suite devenu un événement annuel, attirant de plus en plus de participants chaque année. La marche gagnait en popularité malgré certains épisodes difficiles où des enfants, qui étaient allés au bout de leurs forces, tombaient, épuisés, dans les bras de leurs parents.

Ces images, diffusées dans les médias, incitèrent d’ailleurs un lecteur du Globe and Mail à écrire au journal afin de poser la question suivante : « Les libéraux de la classe moyenne détestent-ils les enfants au point de les soumettre à ces épreuves d’endurance dans le but d’y gagner une forme d’approbation? »

Je doute que cela ait été l’objectif de ces jeunes participants. En 1969, près d’un demi-million de Canadiens ont marché, dans 114 communautés, recueillant presque 5 millions de dollars. En 1973, les dons avaient atteint 20 millions de dollars et furent alloués à des projets d’aide humanitaire, de soins de santé, de développement agricole et à d’autres projets connexes dans des pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine et des Caraïbes, mais également dans les communautés autochtones du Canada.

Les marches Miles for Millions se poursuivirent pendant plus d’une décennie, coordonnées par un comité national établi à Ottawa et formé de représentants d’Oxfam Canada et d’autres organisations d’aide internationale.

Avec le recul, je m’étonne du succès de ces marches, bien supérieures à cinq kilomètres. Mais n’oublions pas que nous étions à l’époque où le jogging et l’aérobie étaient rois. Elles ont même précédé la création de ParticipACTION, un programme du gouvernement fédéral lancé en 1971 qui comparait l’état de santé d’un Canadien de trente ans à celui d’un Suédois âgé de soixante ans.

Les Canadiens n’étaient pas habitués à de tels efforts physiques et, pourtant, la marche Miles for Millions équivalait à un marathon, et parfois plus! Dans de nombreuses villes, ces marches faisaient plus de cinquante kilomètres.

La marche Miles for Millions n’était pas quelque chose que l’on prenait à la légère. Il fallait consacrer toute une journée à la marche en tant que telle, mais aussi passer des heures à chercher des commanditaires et à recueillir les fonds, une fois l’événement terminé. Et malgré le caractère exigeant de cet engagement, toute une génération de jeunes Canadiens des années 1960 n’a pas hésité à y participer et à se dépasser.

Les œuvres de bienfaisance ayant une portée internationale étaient depuis longtemps au cœur du mandat des organismes jeunesse canadiens. À partir

de la Première Guerre mondiale et tout au long de la Seconde

Guerre, les groupes de jeunes à vocation religieuse et les organismes non confessionnels, comme les 4-H, les Guides du Canada et les Scouts, les Canadian Girls in Training, la Croix-Rouge de la jeunesse et les YM/YWCA proliféraient.

Les écoles jouaient également un rôle. Après la guerre, les élèves se mobilisèrent autour de diverses causes à l’étranger. Par exemple, c’est en 1955 qu’a été organisée la première tournée d’Halloween de l’UNICEF au Canada. Les enfants déguisés passaient de porte en porte, petite boîte au cou, pour recueillir des fonds.

La marche Miles for Millions a contribué à solidifier, à étendre et à renouveler les pratiques des campagnes de financement. Les organisateurs faisaient appel à des expressions et à des symboles qui interpellaient la jeune génération : « vous détenez le pouvoir… Marcher est une forme de rébellion contre la pauvreté dans le monde ». Les slogans étaient souvent forts et très directs.

Le message central visait à relier les actions des jeunes Canadiens à celles d’autres jeunes partout dans le monde. En Suède, par exemple, les jeunes réussirent à convaincre leur gouvernement d’allouer 1 % de la richesse du pays au développement international. À une époque où la notion « d’appartenance au village global » était omniprésente, la marche Miles for Millions devenait un mécanisme essentiel pour éveiller les consciences et favoriser la mobilisation des jeunes autour des grandes crises internationales.

Les médias qui couvraient les marches Miles for Millions au pays soulignaient la grande place qu’y occupaient les jeunes et rapportaient notamment qu’ils « marchaient, boitaient et chantaient par groupes de deux, de cinq et même de vingt! ». Oxfam Canada affirmait que près de 80 % des jeunes participants étaient des élèves du secondaire. Les marches attiraient autant les filles que les garçons et étaient représentatives des communautés dans lesquelles elles se tenaient. Riches ou pauvres, tous y étaient les bienvenus.

Mais ces marches demeuraient une rude épreuve. Le bulletin consacré à cet événement éreintant s’appelait,

Des marcheurs entrain d’étancher leur soif, le 3 mai 1969, à Vancouver.

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à juste titre, The Blister (l’ampoule) et la journée de la marche était humoristiquement surnommée « la journée Band-Aid et oignons ». L’article du Globe and Mail sur la marche de 1968 décrivait des « jeunes épuisés, ayant toute l’apparence de réfugiés de guerre… qui, kilomètre après kilomètre, continuaient d’avancer avec détermination, la douleur imprimée sur le visage ». En 1972, les journalistes racontèrent l’histoire d’une jeune fille de quinze ans, pâle et filiforme, qui marcha de 7 h à 18 h pour parcourir quarante kilomètres à Toronto. Son père l’accueillit au point d’arrivée, à l’hôtel de ville, où elle s’écroula, en larmes, dans un fauteuil roulant. Deux filles s’évanouirent. Un an plus tôt, un parent dont la fille de onze ans avait marché du petit matin jusqu’à minuit décrivait une scène d’horreur à l’hôtel de ville de Toronto : « des parents qui transportent leurs enfants… des enfants et des jeunes adolescents qui s’effondrent d’épuisement un peu partout… des enfants étendus sur des brancards ».

Pourquoi un tel engouement pour une épreuve aussi difficile? La réponse est complexe. Une des raisons est que les organisateurs étaient très actifs dans les écoles, où ils sensibilisaient les jeunes aux victimes de la faim dans le

monde. Les fiches de collecte étaient distribuées dans les écoles. La pression du groupe incitait les élèves à se joindre à cette bonne cause. On remettait également à ceux qui terminaient la marche des rubans et certificats, un autre élément motivateur.

Dans les semaines précédant la marche, les écoles recevaient des trousses pédagogiques comprenant de courts films, des affiches, des jeux de simulation et d’autres outils pour informer les jeunes au sujet des besoins du tiers-monde. On y comparait notamment la richesse des jeunes Canadiens à la pauvreté de l’autre « moitié du monde ».

Des images d’enfants affamés et rachitiques, au ventre gonflé et au visage implorant décoraient les salles de classe du pays.

Ces images choquantes résumaient la situation à une vision simpliste : l’enfant du pays en voie de développement représentait les besoins du tiers-monde et l’enfant canadien symbolisait l’aide qu’on pouvait lui apporter. Cette dichotomie incita certains jeunes à critiquer le gaspillage des pays développés. Lors de la marche de 1968, des participants de Calgary portèrent une bannière où le Canada était représenté comme un enfant en train de manger un hot-dog, sous le regard affamé d’un jeune Biafrais.

Ces images omniprésentes illustrant la misère des enfants du tiers-monde suscitaient des émotions variées, allant de l’empathie à la culpabilité, mais elles aidèrent également les jeunes Canadiens à comprendre qu’ils avaient un rôle à jouer.

Katherine Huntley, âgée de onze ans en 1971, écrivit une lettre au Globe dans laquelle elle expliquait pourquoi les jeunes répondaient à l’appel en grand nombre : « Ils marchent pour ceux qui ne le peuvent pas. » Ces jeunes n’avaient pas besoin de comprendre les complexités de l’approvisionnement

alimentaire à travers le monde, ni les guerres ou les famines qui sévissaient dans différentes régions du globe : ils étaient convaincus qu’en réalisant cet exploit ils pourraient faire cesser les souffrances de ces peuples. Marcher toute la journée était, pour les Canadiens, une expression directe de leur empathie et une preuve de leur mobilisation.

Rappelons-nous que, dans les années 1950 et 1960, les manifestations de jeunes dans les rues du pays n’étaient pas toujours bien accueillies. On se méfiait des jeunes. De nombreux adultes jugeaient qu’ils étaient soit des manifestants inconséquents, soit des étudiants apathiques intéressés uniquement par l’argent et la consommation.

Les efforts héroïques déployés par les jeunes dans le cadre de ces marches ont contribué à détruire ces préjugés. Le matériel promotionnel de la marche Miles For Millions exhortait les jeunes à montrer aux adultes de quoi ils étaient capables : « C’est l’occasion rêvée de prouver aux adultes que les adolescents ne sont ni paresseux ni irresponsables, et c’est une occasion en or de se le prouver à soi-même. »

Il était en fait difficile de critiquer des jeunes qui marchaient au nom du bien-être de l’humanité. Ils

étaient présentés comme des héros par les médias. On peut lire ce qui suit dans une édition du Globe de mai 1969 : « Ils sont maigres, gros, petits ou grands. Ils ont les cheveux longs ou courts, ils sont excentriques ou en uniforme. Mais cette manifestation de bonne volonté et de courage fait la preuve que cette génération a le cœur à la bonne place. »

À l’époque, le chroniqueur du Globe Richard J. Needham examina de plus près le « problème des jeunes ». Il affirma ceci : « Les jeunes ne sont pas des mauviettes, comme certains l’affirment, mais la surprotection dont ils font l’objet, à la maison comme à l’école, ne les encourage pas à tester leur

Ci-dessus : Un membre de

l’Ambulance Saint-Jean soigne le pied meurtri

d’un jeune garçon durant la marche de Vancouver de 1969.

Ci-contre : Une jeune fille marche en lisant, à

Calgary en 1968.

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courage, leur force, leur esprit d’initiative et leur engagement personnel à l’égard des causes qui les interpellent. »

L’enthousiasme à l’égard des événements Miles for Millions s’est graduellement essoufflé dans la seconde moitié des années 1970. D’autres activités de collecte

de fonds lui livraient une féroce concurrence : en 1977, à Vancouver seulement, un millier de marches-bénéfice ont été organisées. Les danse-o-thons, vél-o-thons et autres événements du même genre siphonnaient l’énergie des participants. Au début des années 1980, la marche Miles for Millions disparut pour entrer l’histoire.

Malheureusement, les fonds recueillis chaque année n’ont pas eu pour résultat d’éliminer la faim et la pauvreté dans le monde. Mais l’expérience a permis à beaucoup d’entre nous de découvrir ce qu’était l’injustice et nous a convaincus qu’il était possible de changer le monde par de petits gestes.

À la fin des années 1960, on espérait que le Canada et le développement international redresseraient les torts

de ce monde, et c’est dans la jeunesse que l’on fondait en grande partie cet espoir. Lester B. Pearson, le premier ministre qui a lancé la première marche Miles for Millions, a affirmé : « Si nous pouvons inciter les jeunes à faire bouger l’opinion publique, à faire valoir nos obligations envers ceux qui possèdent moins que nous, alors nous aurons contribué à instaurer la paix et la sécurité dans le monde. » Et de très nombreux jeunes ont répondu présent à cet appel.

J’ai moi-même fait partie de ces jeunes. J’ai participé à la marche alors que je n’avais que six ans. Même à cet âge, j’étais choquée par la souffrance des enfants de ces pays et émue de faire partie de ce grand geste de compassion. L’expérience a certainement éveillé ma conscience à l’égard de la politique et de la justice sociale, et m’a incitée à travailler pour diverses causes.

Bien sûr, à six ans, je ne pouvais pas marcher bien longtemps. Mais, pour moi, l’important n’était pas d’atteindre la ligne d’arrivée, mais plutôt de faire quelque chose d’extraordinaire pour les autres.

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J’ai participé à la marche alors que je n’avais que six ans. Même à cet âge, j’étais choquée par la souffrance des enfants de ces pays et émue de faire partie de ce grand geste de compassion.

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Des femmes font la queue lors d’une distribution d’aide humanitaire en octobre 2010, à Kaboul.

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Entre autres résultats, la mission du Canada en Afghanistan a permis de sensibiliser les Canadiens au sort des femmes dans cette région du monde. Des reportages sur des jeunes filles afghanes attaquées parce qu’elles se rendaient à l’école ont fait les

manchettes au Canada, et les efforts déployés par ce pays pour améliorer les conditions de vie des filles et des femmes en Afghanistan, et pour leur accorder des droits, sont devenus pour nous une source de fierté.

Mais cette lutte entourant le statut des femmes en Afghanistan n’est pas nouvelle. Elle remonte au XIXe siècle.

En 1880, Abdur Rahman Khan, pourtant surnommé l’« émir de fer », abolit la coutume qui obligeait les femmes à épouser le plus proche parent de leur mari décédé, releva l’âge du mariage et accorda aux femmes de droit de divorcer et d’hériter de biens immobiliers.

Rahman Khan fut sans doute influencé par sa femme, Bobo Jan, qui avait une grande force de caractère, croit Nancy Hatch Dupree, une experte américaine de l’histoire et de la culture afghanes qui a séjourné plusieurs fois à Kaboul depuis les années 1960. On dit de Bobo Jan qu’elle est la première reine afghane à avoir porté des vêtements européens, sans le voile.

« Elle montait à cheval et imposait un entraînement

militaire à ses servantes, écrit Mme Dupree en 1986. Elle s’intéressait à la politique et elle participa à de nombreuses missions délicates afin de discuter de politique avec différentes parties rivales. »

De 1901 à 1919, les réformes se poursuivirent sous le règne du fils de Rahman Khan, Amir Habibullah Khan. Il ouvrit la première école pour filles en Afghanistan et imposa un plafond aux dots des épouses, qui avaient pour conséquence d’appauvrir de nombreuses familles. Il autorisa également le retour de certains exilés, comme Mahmud Beg Tarzi, un intellectuel très influent qui défendait les droits des femmes.

Tout cela dépassait les bornes pour les chefs tribaux afghans. Habibullah Khan fut assassiné en 1919. Cependant, son fils, Amanullah Khan, ne se laissa pas décourager et suivit les traces de son père vers la modernisation du pays. Amanullah Khan épousa la fille de Tarzi, Soraya, une femme éduquée et influente.

La reine Soraya créa un précédent dans le monde musulman en se présentant en public, aux côtés de son mari. En plus de ne pas porter le voile, elle fonda un magazine pour femmes faisant la promotion de l’égalité des sexes et envoya des jeunes femmes étudier à l’étranger.

« Nous devons tous acquérir le plus de connaissances possible, afin d’être utiles à notre société, comme l’étaient les femmes des débuts de l’Islam », affirma la reine Soraya

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Les réformateurs et les traditionalistes se sont longtemps affrontés au sujet de l’égalité des sexes. Par Nelle Oosterom

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dans un discours prononcé lors du septième anniversaire de l’indépendance de l’Afghanistan, en 1926.

Pendant ce temps, Amanullah Khan faisait campagne contre le voile et la polygamie. Sa sœur, Kobra, créa un regroupement de femmes dont le mandat était de lutter contre l’injustice.

En 1924, le roi mit fin à la coutume de la dot et autorisa les femmes à choisir leur mari : ce fut le point de rupture. Les chefs tribaux se soulevèrent, et sommèrent Amanullah Khan de fermer les écoles pour filles et d’imposer de nouveau le

port du voile. Le roi et la reine furent plus tard condamnés à l’exil, en 1929.

Au cours des quelques décennies suivantes, le statut des femmes du pays connut certains reculs, mais s’améliora graduellement. Dans les années 1940 et 1950, il n’était pas rare de rencontrer des infirmières, des femmes médecins et des enseignantes. En 1964, les femmes obtinrent le droit de voter et de participer à la vie politique. Mais ces avancées profitaient surtout aux femmes des centres urbains. Les femmes des régions rurales étaient encore sous le joug de la tradition, où la modestie et la chasteté des femmes étaient encore une question d’honneur pour la famille.

Lorsqu’un régime communiste, soutenu par les Soviétiques, prit le contrôle du pays en 1978, les efforts déployés pour imposer des réformes en régions rurales, notamment l’éducation obligatoire des filles, provoquèrent une rébellion à grande échelle.

L’URSS envahit l’Afghanistan en 1979 pour soutenir le régime en difficulté, une intervention qui déclencha une guerre de dix ans entre les moudjahidines de la guérilla et les troupes soviétiques. Le retrait de l’URSS en 1989 donna lieu à une guerre civile sanglante.

« Pour les femmes afghanes, ce fut le début de la pire période, écrit l’historien Scott Levi dans le numéro de septembre 2009 d’Origins, une publication de l’Ohio State University. Pendant la guerre civile afghane, la primauté du

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80 February - March 2012 Canada’s History

L e régime répressif des talibans qui a si durement touché la vie des femmes en Afghanistan a été renversé en 2001. Mais l’égalité des sexes demeure difficile à instaurer, plus particulièrement dans les régions tribales conservatrices. Voici quelques exemples de programmes canadiens qui visent à aider les femmes afghanes et leur famille :

Formation professionnelle : Le Projet de formation professionnelle des femmes afghanes est dirigé par CARE Canada et Entraide universitaire mondiale du Canada, une organisation non gouvernementale (ONG) financée par l’Agence canadienne de développement international (ACDI). La ville de Kaboul compte à elle seule jusqu’à 50 000 veuves. Bon nombre d’entre elles n’ont pas les compétences et les connaissances nécessaires pour trouver un emploi. Le projet aide les femmes sans aucune source de revenus, y compris les veuves et leurs enfants adultes, à apprendre un métier. À ce jour, environ deux mille participants ont suivi la formation.

Le programme de six mois repose sur une stratégie dans le cadre de laquelle les participantes et les membres de leur famille s’emploient à contrer la marginalisation des femmes au sein du marché du travail. Cette approche permet aux femmes d’être mieux accueillies dans différents métiers.

Shogufa, a quitté l’école en sixième année pour s’occuper de ses frères et sœurs après le décès de son père. Forte de l’expérience acquise dans le cadre de ce projet, elle veut maintenant ouvrir une boutique de fleuriste avec l’aide d’un de ses frères. « J’ai maintenant davantage confiance en moi et je suis optimiste au sujet de mon avenir », affirme-t-elle.

Formation des enseignants : En 2000, seulement 700 000 enfants fréquentaient l’école, seulement des garçons. Aujourd’hui, six millions d’enfants sont inscrits à l’école et plus du tiers d’entre eux sont des filles. Cependant, cette augmentation a entraîné une pénurie d’enseignants, et plus particulièrement d’enseignantes. Bon nombre d’entre eux — 77 % selon le ministère de l’Éducation afghan — n’ont pas les compétences minimales requises pour effectuer ce travail.

L’ACDI travaille avec des ONG partenaires, BRAC Afghanistan et Aide à l’enfance, afin d’offrir aux enseignants de la province de Kandahar une formation supplémentaire. Cette formation est approuvée par le Programme d’amélioration de la qualité de l’éducation du ministère afghan responsable, une initiative appuyée par l’ACDI et qui, depuis 2006, a permis de former 110 000 enseignants en Afghanistan.

Soutien aux femmes agricultrices : Grâce au projet Par la porte du jardin, financé par l’ACDI et géré par Mennonite Economic Development Associates (MEDA) de Winnipeg et son partenaire local, l’Afghan Women’s Business Council, des villageoises afghanes peuvent maintenant faire pousser des légumes et acquérir les compétences nécessaires pour vendre le fruit

Donner le pouvoir aux femmes afghanesUne bonne partie des efforts que déploie le Canada en Afghanistan vise à accroître l’autonomie des femmes.

Ci-dessus: Des jeunes filles dans une école

gouvernementale en 2009, à Bamyan, en Afghanistan.

Ci-contre : Une rizicultrice de Bali

qui a bénéficié d’un pro-jet de l’ACDI en 1984.

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droit n’existait pratiquement plus : les hommes mouraient en grand nombre, les veuves étaient réduites à la mendicité, les viols étaient fréquents, et de nombreuses femmes, découragées, se suicidèrent.

Les talibans prirent le pouvoir en 1996 et instaurèrent certaines des lois les plus misogynes jamais recensées dans l’histoire. Il était maintenant interdit pour les femmes de travailler, d’aller à l’école et de se montrer en public sans être escortées d’un homme. Elles ne pouvaient pas sortir de chez elles sans revêtir une burka, qui les recouvrait des pieds à la tête, ni parler à la radio. Les images représentant des femmes furent également interdites partout : dans les lieux publics comme à la maison.

Les femmes professionnelles et éduquées durent se cacher, elles devaient parfois mendier ou se prostituer pour faire vivre leur famille.

C’est dans ce contexte que vivaient les femmes lorsque les forces dirigées par les Américains firent tomber le régime des talibans, en 2001.

La mission du Canada dans ce pays commença en 2002. Et même si les histoires de combat et de pertes humaines ont fait les gros titres jusqu’au moment du retrait de l’armée, en 2011, le Canada, grâce à l’Agence canadienne de développement international et à des organismes non gouvernementaux, continue d’œuvrer à l’amélioration de la situation des femmes en Afghanistan.

de leurs récoltes. Le programme permet d’accroître l’autonomie de femmes qui ont perdu leur maison, leur mari et des terres sous le régime des talibans. Elles ont également gagné le respect des hommes du village, qui ont appris à leur contact de nouvelles méthodes agricoles.

Sarvenaz , qui fait vivre sa mère et sa plus jeune sœur, a bénéficié de ce programme : « Depuis que MEDA est arrivé dans mon village… j’ai pu réaliser tous mes rêves. J’ai bâti ma maison, avec une cave pour y entreposer les légumes et j’ai aussi une serre. Et je viens de m’acheter une voiture! Je suis la première femme à conduire une automobile dans la province. »

Microfinancement : Le Mécanisme de microfinancement et de soutien en Afghanistan (MMSA) consent de petits prêts et des services d’épargne à des centaines de milliers de personnes déshéritées en Afghanistan. Environ 75 % des bénéficiaires du programme sont des femmes. Le programme national, qui fait appel à de multiples intervenants, a été lancé en juin 2003 par le ministère du Relèvement et du Développement rural du gouvernement afghan.

Depuis son lancement, le Canada a investi plus de 100 millions de dollars dans le MMSA. Les prêts, en moyenne de 500 $, sont généralement investis dans de petits commerces, des entreprises d’élevage ou agricoles.

Une bonne partie des efforts que déploie le Canada en Afghanistan vise à accroître l’autonomie des femmes.

Pour actualiser un vieux proverbe, on pourrait dire : « Si tu donnes un poisson à une femme, elle mangera un jour; si tu lui apprends à

pêcher, elle et sa famille mangeront toute leur vie. »Afin d’être efficaces et viables, les programmes de développement

doivent cibler les femmes, comme le font maintenant les organismes d’aide. Et le Canada remporte sûrement la palme de l’égalité des sexes dans le monde.

Depuis 40 ans, l’ACDI et ses ONG partenaires travaillent sur ce dossier, et l’Agence a intégré l’égalité des sexes dans tous ses programmes.

« Le Canada a toujours été en avance de cinq ans », explique Margaret Capelazo, conseillère spécialisée dans l’égalité des sexes pour l’ONG CARE Canada.

« Des années 1980 au début des années 2000, quand on recourait à un spécialiste de l’égalité des sexes, il était souvent canadien, car nous avons formé des sommités dans ce domaine. »

Aujourd’hui, de nombreux spécialistes de ce domaine viennent des pays où l’ACDI est présente (Pakistan, Éthiopie, Somalie...). Ces personnes parlent la langue du pays, font appel à des images et à des références comprises localement et, pour offrir la meilleure aide possible, étudient les rôles traditionnels des hommes et des femmes, leurs besoins, ce qui les empêche de les combler…

Par exemple, un programme de CARE, au Kenya, tient compte du fait que ce sont les hommes qui obtiennent les meilleures terres. « Les femmes reçoivent donc des engrais différents, afin que leurs récoltes soient tout aussi abondantes. »

Parfois, ce sont les hommes qui ont besoin d’aide. En 2004, après le tsunami de l’océan Indien, deux tiers des 250 000 morts étaient des femmes et, dans certaines régions, de nombreux hommes durent se débrouiller seuls pour les tâches domestiques. « Il fallait leur enseigner ces tâches, explique Mme Capelazo. Sans une analyse pointue des rôles traditionnels, nous n’aurions jamais pu rendre notre aide aussi efficace. »

Enseignant cette approche sur le terrain depuis dix ans, elle croit que des progrès ont été faits dans les pays en voie de développement au sujet de l’égalité des sexes. « Les organismes d’aide savent maintenant qu’il faut inclure les femmes dans les projets; on ne peut pas construire une école et laisser les hommes la gérer seuls, comme dans les années 1970. »

Elle souligne aussi les efforts déployés pour que les femmes accèdent au pouvoir dans des pays comme l’Inde, le Pakistan ou le Bangladesh. En Inde, les gouvernements locaux doivent garantir aux femmes une représentation de 33 %, et on prévoit instaurer les mêmes exigences sur le plan national.

« Si les agences de développement international n’avaient pas promu l’égalité des sexes, ces exigences n’auraient jamais été imposées dans les instances supérieures de ces pays », affirme Mme Capelazo.

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Exporter l’égalitéLe Canada est un pionnier de la promotion de l’égalité des sexes dans le monde. Par Nelle Oosterom

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Les membres du supergroupe Northern Lights enregistrent Tears Are Not Enough, à Toronto, le 10 février 1985.

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C’est en huit journées mouvementées et une séance d’enregistrement marathon que l’on réalisa l’impossible dans un studio du centre-ville de Vancouver. Comme le raconte Randy Lennox, la formation du groupe Young Artists For Haiti, dans la foulée du tremblement de terre qui a dévasté cette région du monde, s’est révélée une véritable course contre la montre.

Randy Lennox, un des hommes les plus puissants de l’industrie canadienne de la musique, admet qu’il était par moments dépassé par les événements. Poursuivre les meilleurs artistes canadiens de la relève à Vancouver alors que les festivités des Jeux olympiques d’hiver de 2010 battaient leur plein n’a pas été une mince tâche.

Il a passé des coups de fil, envoyé des courriels et organisé des réunions avec plus de cinquante musiciens très en vogue et leurs agents, dans un premier temps pour tenter de les convaincre de l’utilité de son projet et, ensuite, pour coordonner leurs horaires délirants afin qu’ils puissent enregistrer une version de la chanson de l’artiste hip-hop canadien K’naan, Wavin’ Flag.

Mais c’était une mission que ne pouvait pas refuser le président et directeur général de Universal Music Canada, choqué par les images qui lui parvenaient

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Des artistes pop canadiens instaurent une tradition

d’aide humanitaire à l’étranger. Par Heath McCoy

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de ce pays pauvre des Antilles dans les jours précédant la tenue des Jeux olympiques. Young Artists For Haiti a permis de recueillir plus de 2 millions de dollars pour cette nation dévastée.

« Je crois que les artistes canadiens étaient eux-mêmes surpris des répercussions de leur geste et de l’importance de leur contribution », affirme Randy Lennox.

Les musiciens canadiens ont l’habitude de venir en aide aux pays en crise.

La première œuvre collective remonte à 1985, avec la chanson Tears Are Not Enough, enregistrée par un supergroupe appelé Northern Lights, sous la gouverne du producteur David Foster et du chanteur Bryan Adams.

Le groupe rassemblait des artistes de renom tels que Neil Young, Joni Mitchell, Gordon Lightfoot, Burton Cummings, Anne Murray et Bruce Cockburn. Cette

œuvre constitue d’ailleurs un moment très émouvant de l’histoire de la musique canadienne.

La chanson, qui a permis de recueillir 3,2 millions de dollars pour des projets de lutte contre la famine en Afrique, a été la contribution du Canada à une immense œuvre de bienfaisance internationale dirigée par des artistes pop. La mode consistant à rassembler un grand nombre d’artistes dans le but de produire une seule chanson pour recueillir des fonds a été lancée au Royaume-Uni par l’activiste-chanteur Bob Geldof et sa chanson toute britannique Do They Know It’s Christmas ?. Les artistes pop des États-Unis ont rapidement suivi avec We Are the World. Alors que l’on enregistrait cette chanson, son producteur, Quincy Jones, demanda à son collègue canadien David Foster de produire une chanson canadienne qui pourrait être intégrée à l’album.

Comme pour les Young Artists For Haiti, il fallait enregistrer la chanson Tears Are Not Enough dans des temps records et l’on dut prendre des mesures exceptionnelles pour certains artistes qui ne pouvaient être présents lors de l’enregistrement. Pour la chanson Wavin’ Flag, l’artiste hip-hop Drake enregistra sa voix dans un studio de Miami. Pour Tears Are Not Enough, le producteur associé Jim Vallance recueillit la partie chantée de Cockburn dans un studio de Hambourg, en Allemagne.

La philanthropie à grande échelle n’a pas toujours été une tradition dans l’univers musical canadien. Lorsque Bruce Cockburn fit ses premiers voyages en Amérique du Sud et en Amérique centrale, au début des années 1980, au nom d’Oxfam, il était bien souvent le seul musicien de la bande.

« Pendant une certaine période, j’avais l’impression que les organismes de bienfaisance sollicitaient ma participation à toute occasion, et je commençais sérieusement à penser que j’étais leur seule option! », explique Bruce Cockburn en riant. Mais, rapidement, d’autres artistes ont commencé à s’impliquer dans diverses causes, peut-être parce que je les avais inspirés, mais peut-être aussi parce qu’ils vivaient les mêmes transformations que moi. »

Peu d’artistes peuvent se vanter d’avoir autant contribué au bien-être de l’humanité. Nommé Officier de l’Ordre du Canada en 2002 pour son travail humanitaire, Bruce Cockburn, alors âgé de soixante-six ans, s’est toujours indigné devant la pauvreté, la guerre et l’injustice sociale partout dans le monde. De nombreuses personnes le considérent comme un pionnier à cet égard.

« Il est vraiment à l’origine de ce mouvement, remarque Samantha Nutt, la cofondatrice de War Child Canada. C’est lui qui a montré la voie à tous ceux qui l’ont suivi. »

Bruce Cockburn a travaillé dans des pays comme le Cambodge, le Vietnam, le Mozambique, l’Afghanistan et l’Irak. Ce faisant, il s’est associé à de très nombreux organismes de bienfaisance. Sa participation à la campagne internationale visant à interdire les mines terrestres, qui a mené à un traité interdisant ces armes signé par 156 pays, est certainement la réalisation dont il est le plus fier.

« Les artistes peuvent faire de l’engagement social un geste “hip”, si je puis m’exprimer ainsi, affirme Bruce

Bruce Cockburn au concert Canadian

Live 8, à Barrie en Ontario, le 2 juillet 2005. Ce fut l’un des concerts

tenus un peu partout dans le monde en même temps que le sommet du

G8 en Écosse.

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Cockburn. Grâce à eux, s’impliquer devient “cool” et cela interpelle beaucoup de gens. »

Bien sûr, ce phénomène de mode sert souvent à critiquer certains artistes, que l’on accuse de profiter d’une cause pour augmenter leur popularité.

« C’est un coup bas, affirme Mme Nutt, une femme médecin qui a été nommée membre de l’Ordre du Canada en 2011 pour son travail auprès des jeunes dans les zones de conflit. Beaucoup de cynisme entoure la participation à une œuvre de bienfaisance… et, selon moi, c’est honteux. Quelles soient leurs motivations, que ce soit un phénomène d’imitation ou pour des raisons professionnelles, ces artistes font tout de même un geste généreux. Et je crois que c’est tout à leur honneur. »

Mme Nutt a cofondé War Child Canada avec un collègue médecin, Eric Hoskins, en 1999. Reconnu pour son travail de reconstruction dans les pays déchirés par la guerre, cet organisme attribue son succès aux artistes qui ont défendu cette organisation. « Nous n’aurions jamais pu voir le jour au Canada sans l’appui de certains grands musiciens canadiens », explique Mme Nutt.

Un concert-bénéfice à Winnipeg, en 2000, auquel a participé le groupe Tragically Hip a contribué à faire connaître l’organisme War Child Canada. L’événement a attiré 80 000 spectateurs et a permis de recueillir plus de 500 000 $.

War Child a adopté une approche innovatrice en envoyant des artistes dans des zones de conflit et en filmant

leur mission pour produire des documentaires destinés à la télévision. Ces artistes se sont d’ailleurs parfois retrouvés dans des situations assez terrifiantes. Par exemple, en mai 2004, les membres du groupe punk Sum 41 ont été pris entre des tirs croisés lors du conflit en République démocratique du Congo.

Mme Nutt et les membres du groupe se sont cachés dans le sous-sol d’un hôtel alors que les mortiers explosaient de tous côtés et que le plafond menaçait de s’écrouler. « À ce moment précis, j’ai pensé que c’était la fin, que c’était comme ça que nous allions mourir », se souvient un membre du groupe, Deryck Whibley, dans la vidéo.

Les caméras ont capté des images parfois floues et instables du groupe et de l’équipe fuyant l’immeuble pour se réfugier dans des véhicules blindés.

Lors d’une autre mission de War Child, Raine Maida, le membre principal du groupe Our Lady Peace, et sa femme, la chanteuse Chantal Kreviazuk, se sont rendus en Irak en 2001 pour participer au documentaire Musicians in the War Zone. Depuis ce séjour en Irak, ils sont devenus les plus ardents défenseurs de cet organisme, et ont recueilli plus d’un million de dollars pour cette cause.

« Chaque jour, nous avons une tâche à accomplir pour War Child », affirme Raine Maida, qui est toujours ébranlé par son voyage dans la région du Darfour, au Soudan, en 2004, où il a été témoin des répercussions du génocide. Il a rencontré des enfants dont la mère a été violée, et le père exécuté, sous leurs yeux.

« Entendre tous ces récits provoque une douleur

Ci-dessus : Les membres du groupe Sum 41 en République démocratique du Congo en mai 2004.

À gauche : Chantal Kreviazuk parlant avec des écolières irakiennes en 2001.

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« À ce moment précis, j’ai pensé que c’était la fin, que c’était comme ça que nous allions mourir »

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paralysante, presque insupportable, et que l’on ne parvient jamais à oublier. »

D’autres artistes canadiens ont créé leur propre organisme de bienfaisance international. La Bryan Adams Foundation a été fondée dans la foulée du tsunami de 2004 qui a dévasté le sud de l’Asie. Et le groupe de Montréal Arcade Fire a récemment cofondé l’organisme KANPE, qui appuie la reconstruction en Haïti. Le groupe a versé un million de ses propres fonds en contrepartie des dons de ses admirateurs.

Les conséquences du tremblement de terre d’une magnitude de 7, survenu en Haïti le 12 janvier 2010, ont touché de très nombreux Canadiens. Un mois

après le désastre, alors que les Canadiens se préparaient à fêter les Jeux olympiques de Vancouver, la situation semblait empirer. Les secours étaient mal distribués, et le pillage et la violence prenaient de plus en plus d’ampleur.

Randy Lennox comprit rapidement qu’avec la présence de tant d’artistes dans la ville pour les Jeux olympiques, le moment était idéal pour faire un geste concret.

Le premier à accepter fut K’naan, un rapper canado-somalien dont la chanson Wavin’ Flag avait été inspirée à l’origine par les conflits qui agitaient son pays. Le message d’espoir que véhicule sa chanson n’avait qu’à être légèrement adapté pour s’appliquer à la situation en Haïti.

Ensuite, Randy Lennox appela le producteur canadien Bob Ezrin, reconnu pour son travail avec de grands talents du monde musical, comme Peter Gabriel, Pink Floyd et Alice Cooper. Bob Ezrin était enthousiaste, mais les grands

noms que lui proposait Randy Lennox, soit Justin Bieber, Nelly Furtado, Avril Lavigne, Drake (certains des artistes les plus populaires de la planète), le laissèrent assez sceptique.

En tenant compte des impératifs des Jeux olympiques, ils avaient environ une semaine pour réaliser cet exploit. « Bob Ezrin a éclaté de rire, se souvient Randy Lennox, et il m’a dit : “tu ne pourras jamais avoir tous ces artistes-là en une semaine!” »

Mais Randy Lennox, qui s’est fait connaître dans le milieu de la musique au cours des années 1980, savait que c’était possible. Les concerts Live Aid et ceux d’Amnesty International lui ont appris que les artistes sont souvent prêts à s’engager dans des causes humanitaires et que leur influence auprès du public est immense.

« Mais regrouper tous ces artistes n’a pas été une sinécure, avoue-t-il. Le soir avant l’enregistrement, il manquait encore beaucoup de monde à l’appel », affirme Randy Lennox. Cependant, le 18 février, ils arrivèrent tous au studio Warehouse de Vancouver : Lavigne, Furtado, Sam Roberts, Emily Haines de Metric, City and Colour et Broken Social Scene, pour n’en nommer que quelques-uns.

« Une fois la séance d’enregistrement commencée, l’esprit de la chanson s’est répandu comme une traînée de poudre, explique Randy Lennox. J’ai entendu un artiste téléphoner à un de ses collègues absents et lui dire : “Il faut que tu t’amènes ici! L’ambiance est exceptionnelle.” »

En tout, cinquante-sept artistes ont participé à cet enregistrement. La chanson, lancée le 12 mars 2010, s’est immédiatement hissée au sommet des palmarès.

Tout comme la chanson Tears Are Not Enough de la génération précédente, Wavin’ Flag montre le pouvoir que peut avoir une chanson populaire pour venir en aide à ceux qui sont dans le besoin.

« Nous avons accompli notre mission : sensibiliser la population et recueillir des fonds. Que pouvons-nous demander de plus? », ajoute Randy Lennox.

« Ce fut un grand moment pour nous tous, un grand geste d’humilité. »

Heath McCoy est chroniqueur aux arts et spectacles pour le Calgary Herald

et PostMedia News.

Les artistes du concert Live Aid, à Londres,

le 13 juillet 1985. Cet événement, ayant pour but

d'amasser de l’argent pour lutter contre

la famine en Éthiopie, s’est tenu simultanément

à Philadelphie.

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Les concerts Live Aid et ceux d’Amnesty International ont montré que les artistes sont souvent prêts à s’engager dans des causes humanitaires et que leur influence auprès du public est immense.

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L’esprit de l’ACDI s’est façonné pendant les années 1960, une période de liberté où l’appui au développement international était important. Par Judith Ritter

le CanadaNotre ami,

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L’année 1968 changea la scène politique et sociale du Canada à tout jamais. Pierre Elliott Trudeau devenait le premier ministre du pays, le Parlement autorisait le divorce sans égard à la faute, un régime national d’assurance maladie voyait le jour et l’Agence canadienne de

développement international, l’ACDI, était créée. Depuis l’idée de créer un Bureau de l’aide extérieure,

lancée par le gouvernement Diefenbaker en 1960, jusqu’à la naissance officielle d’une agence de développement à part entière en 1968, l’ACDI a été le visage canadien du travail de développement. Cette nouvelle incarnation de l’engagement du Canada envers les plus pauvres de la planète faisait écho aux changements observés sur la scène mondiale : les déshérités commençaient à faire entendre leur voix.

Cette transformation remonte à 1955, à Bandung, en Indonésie, où eut lieu la première grande conférence réunissant des représentants des États d’Afrique et d’Asie. Parmi les vingt-neuf pays représentés, certains tentaient de se libérer du colonialisme, d’autres étaient indépendants depuis peu, mais sans ressources. Ensemble, ils représentaient 1,5 milliard de personnes, soit plus de la moitié de la population mondiale de l’époque. La moitié la plus pauvre de la planète osait enfin parler. Et le Canada, qui cherchait lui-même son identité hors du Commonwealth, était à l’écoute.

L’idée pour les nations riches de venir au secours des nations pauvres n’était pas nouvelle, mais les efforts déployés en ce sens avaient des relents de colonialisme. Dans un grand geste magnanime, les pays riches s’entendirent pour aider les pays prétendument « arriérés ».

L’ACDI, de son côté, voulait faire les choses différemment.

Le Canada n’a jamais été un pays colonisateur. En fait, il avait la réputation d’être un intermédiaire honnête, comme le prouve l’intervention du premier ministre Lester Pearson pour désamorcer la crise de Suez. Il remporta d’ailleurs le prix Nobel de la paix en 1957 pour avoir, selon les membres du comité de sélection, « sauvé le monde ».

L’esprit de l’ACDI reflétait celui du Canada, qui fêtait son centenaire. L’Agence valorisait la compréhension interculturelle, un peu à l’image de cette nation où Autochtones et immigrants de toutes les régions du monde se côtoyaient, dans un esprit de collaboration.

On pourrait avancer que l’ACDI est un pur produit des années 1960, mais, disons plus simplement que l’Agence était motivée par le désir d’agir en « bon voisin », une qualité propre aux Canadiens. Le public appuyait sa mission. Non seulement

les Canadiens étaient fiers des efforts de leur gouvernement pour aider les populations pauvres du globe, mais les particuliers et les petites organisations voulaient également apporter leur contribution. Comme le mentionna un cadre de l’Agence, « il y avait une certaine effervescence au Canada, à cette époque ».

Depuis ses débuts, l’ACDI travaille avec des organismes bénévoles comme le Service universitaire canadien outremer (CUSO) et Jeunesse Canada Monde. Ces organismes, ainsi que d’autres organisations non gouvernementales (ONG) sans but lucratif, forment un solide partenariat avec l’ACDI pour veiller à ce que les Canadiens puissent non seulement faire des dons, mais également mettre à profit leur temps et leur expertise.

L’Afrique de l’Est bénéficia longtemps de l’aide humanitaire des pays du Commonwealth. Mais, en créant l’ACDI, le Canada affirmait sa propre

identité bilingue et biculturelle, et tendait la main aux pays francophones d’Afrique de l’Ouest et, plus tard, d’Afrique

du Nord. Sous la direction de son premier directeur, Maurice Strong, un homme d’affaires qui commença sa carrière dans les champs de pétrole de l’Alberta pour se hisser ensuite à la tête de Petro-Canada, les entreprises financées par l’ACDI menèrent de grands projets d’aide technique qui exigeaient d’importants travaux. Ces entreprises construisirent des barrages, des centrales électriques, des routes, des chemins de fer et des aéroports, des infrastructures qui devaient ouvrir la voie au développement économique.

Même si bon nombre de ces ambitieux travaux produisirent des résultats louables, d’autres furent un échec. Il apparaissait évident que la simple application de nos modèles du progrès occidentaux n’était pas

toujours efficace. Par exemple, vers le milieu des années 1970, le Canada fit construire une énorme boulangerie automatisée à Dar Es-Salaam, en Tanzanie, et aménagea d’immenses cultures de blé pour alimenter l’usine. Cependant, la culture de ce pays reposait essentiellement sur le sorgho, et la longue saison sèche ne convenait pas à la culture du blé. Le caractère inadéquat de ce projet est depuis ce temps cité en exemple.

L’ACDI comprit rapidement que l’approche unique du développement devait être repensée. Sous la présidence de Paul Gérin-Lajoie, un homme d’avant-garde, l’Agence s’employa à chercher de nouvelles façons d’apporter son aide.

Avant que M. Gérin-Lajoie n’apparaisse sur la scène nationale à titre de président de l’ACDI de 1970 à 1977, il avait été ministre de l’Éducation du Québec. Il réussit d’ailleurs la modernisation du réseau éducatif québécois et fit preuve d’un grand esprit d’innovation. Il était convaincu de l’importance

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le CanadaPage de gauche : Des jeunes filles égyptiennes, en classe, en 1985. Cette photo, lauréate d’un prix au concours World Press Photo, fut prise par David Barbour lors de l’un de ses reportages pour l’ACDI.

Au centre : Des bénévoles du CUSO posent avec enthousiasme avant leur départ pour les Caraïbes en 1961. L’ACDI a formé depuis longtemps un partenariat solide avec des ONG comme le CUSO.

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d’éduquer les pauvres, et les projets de l’ACDI reflétèrent rapidement cette volonté. Dans les années 1970, de très nombreux enfants africains bénéficièrent des programmes de l’ACDI, axés sur la construction d’écoles et la formation d’enseignants, surtout au niveau primaire.

Bien sûr, le mandat de l’ACDI dans les années 1970 ne s’arrêtait pas à l’éducation. Il fallait améliorer l’approvisionnement alimentaire, protéger les sources

d’eau potable, aider les femmes et alléger la dette de certains pays. En 1974, l’Agence intervint dans le cadre de sa première sécheresse en Afrique, en offrant une aide d’urgence à court terme et en instaurant des programmes d’aide alimentaire à long terme dans les pays du Sahel. En 1976, l’Agence, qui était de plus en plus consciente du rôle essentiel que jouent les femmes pour sortir leur famille de la pauvreté, accorda son soutien à la Décennie des Nations unies pour la femme et versa des fonds qui permirent à Norma Walmsley et à Suzanne Johnson-Harvor de créer le Centre international MATCH, la première organisation non gouvernementale vouée au développement dirigée par et pour des femmes. Cet événement marqua le début d’un partenariat de trente ans visant à favoriser l’inclusion des femmes et leur pleine participation à la vie de leur société.

L’allégement de la dette se révéla cependant plus complexe. En 1977, le gouvernement canadien décida d’intervenir pour aider douze pays en voie de développement que la crise pétrolière de 1973 avait laissés lourdement endettés. Des prêts furent convertis en subventions, mais, même si la mesure fut bien accueillie, elle ne suffit pas. L’idéalisme des années 1960 et 1970 était confronté à de bien dures réalités. L’ACDI devait innover et évoluer, avec Margaret Catley-Carlson maintenant à sa tête.

Mme Catley-Carlson devient vice-présidente de l’ACDI en 1978 puis présidente de 1983 à 1989. Selon ses propres mots, ce fut son « emploi préféré, sans conteste! ». Sa principale motivation était de fournir l’accès à l’eau potable, mais elle lança également des programmes liés à la déforestation, à la santé, à la surpopulation et à la sous-utilisation du capital humain (c’est-à-dire des femmes).

En 1984, l’ACDI publia sa politique en matière d’égalité

entre les sexes. L’Agence était d’ailleurs à l’avant-garde dans ce dossier. D’autres pays prirent l’ACDI comme modèle, et envoyèrent même des représentants suivre une formation au Canada, comme la Nouvelle-Zélande et la Corée l’ont fait récemment.

Alors que l’ACDI se dotait de bases solides pour s’attaquer aux problèmes des femmes, d’autres difficultés firent surface. En 1984, au sommet de la sécheresse en Éthiopie, des images d’enfants mourants assaillirent nos écrans de télévision, incitant les Canadiens à donner généreusement. Selon David R. Morrison de l’Institut Nord-Sud, l’aide alimentaire fournie par le Canada et ses ONG fut supérieure à celle de tous les autres donateurs occidentaux. L’esprit de cette collaboration ONG-ACDI de 1984 est toujours vivant dans le Partenariat Afrique Canada, une ONG qui a soutenu des centaines de projets en Afrique subsaharienne.

Au début des années 1990, le programme mis en œuvre par le gouvernement canadien pour réduire le déficit national entraîna des réductions dans

le budget du développement international. Il fallut donc simplifier les procédures et viser l’amélioration des résultats, malgré les nouvelles crises apparaissant à l’horizon.

En Europe, l’effondrement de l’Union Soviétique donna lieu à une réorientation du mandat de l’ACDI : l’Agence devait maintenant promouvoir la démocratisation et la croissance économique dans les anciens pays du bloc soviétique. La douzaine de conflits provoqués par l’instabilité qui suivit la fin de la guerre froide poussa également l’ACDI à créer des programmes de maintien de la paix, de promotion des droits de la personne et de reconstruction.

Mais avant même de penser à rebâtir, il fallait débarrasser les anciens champs de bataille des mines terrestres qui y étaient enfouies. Les mines antipersonnel devinrent un enjeu important dans les années 1990; en effet, des millions de personnes étaient tuées ou blessées chaque année en travaillant dans les champs ou autour de leur maison. Grâce au Fonds canadien contre les mines terrestres, créé en 1997, l’ACDI et ses organismes partenaires purent entreprendre de dangereux projets de déminage.

Ce travail se poursuit encore aujourd’hui. L’ACDI a récemment investi 10 millions de dollars sur cinq ans (2011 à 2016) dans le Programme des Nations unies pour le développement afin de soutenir les activités de déminage dans un seul pays, le Cambodge.

Mais l’environnement devint également une source de préoccupation croissante. La Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement, connue sous le nom de Sommet de la Terre, se tint à Rio de Janeiro en 1992. Le président de la Conférence était Maurice Strong, l’ancien directeur de l’ACDI. Ce fut un événement déclencheur pour la centaine de chefs d’État présents à la Conférence, et les millions de personnes partout dans le monde qui étaient à l’écoute : seule une action concertée et rapide de tous les pays permettrait de résoudre les problèmes environnementaux. Certains de ces problèmes nécessitaient une intervention immédiate, soit la croissance démographique, la pénurie d’eau potable, la déforestation, les changements climatiques,

Ci-dessus: À Sainte-Lucie,

en 1984, des travailleurs forestiers reçoivent des

conseils de plantation d’un spécialiste de

l’ACDI.

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les besoins énergétiques et la disparition de certaines espèces.

L’ACDI répondit à cet appel en adoptant sa politique environnementale en matière de développement durable. En vertu de cette politique, l’ACDI doit tenir compte de l’environnement dans toutes ses politiques et dans tous ses programmes et projets.

Les attaques terroristes du 11 septembre 2001 eurent une profonde influence sur les politiques du Canada en matière d’aide étrangère. On venait alors de

comprendre que la stabilité du monde pouvait être menacée par ces mêmes États fragiles qui avaient le plus besoin d’aide. Ce constat mena à l’adoption, au Canada, de l’approche 3D — défense, diplomatie et développement —, mais également à un nouveau mandat pour l’ACDI. L’Agence devait maintenant collaborer étroitement avec d’autres ministères afin d’atteindre les objectifs d’aide humanitaire du Canada et de favoriser la stabilité.

C’est en Afghanistan que l’ACDI fut appelée à jouer ce nouveau rôle. L’ACDI versa plus de 1,7 milliard de dollars sur une période de dix ans dans le cadre d’une intervention multinationale dirigée par les Nations unies. Cet argent fut investi dans des projets variés, des campagnes visant à éradiquer la poliomyélite à l’éducation des filles, en passant par la mise en place de bases démocratiques.

Un des projets phares fut la remise en état du deuxième barrage afghan en importance. La restauration du barrage Dahla, envahi par le limon et endommagé par des années de négligence, fut un des plus importants projets entrepris dans ce pays. Aujourd’hui, après quatre années de travail avec les Forces canadiennes et 50 millions de dollars versés par l’ACDI, les habitants de Kandahar qui vivent le long du système d’irrigation d’Arghandab ont accès à une source d’eau.

Pour que l’aide apportée à un pays soit efficace, il faut que les bénéficiaires participent aux décisions. La Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide au développement de 2005 traite de cette question et engage les pays donateurs et les organismes de développement à laisser aux bénéficiaires de cette aide le soin de déterminer leurs propres besoins. L’ACDI a joué un rôle prépondérant dans l’élaboration de cette déclaration et l’a brillamment mise en pratique en Afghanistan, dans le cadre du Programme national de solidarité. Ce programme accorde aux villageois le pouvoir de choisir eux-mêmes les types de projets que l’ACDI devrait financer.

On presse toujours les organismes d’aide humanitaire de produire des résultats rapides et même spectaculaires. Mais il faut voir les choses à long terme. Depuis les deux dernières décennies, on accorde beaucoup plus d’attention au recensement des besoins, au suivi des projets et à l’évaluation des résultats. Même des projets modestes peuvent avoir d’immenses répercussions. Par exemple, un petit projet de recherche universitaire soutenu par l’ACDI au Vietnam sur les effets de l’agent Orange a permis d’établir des bases juridiques pour étayer des poursuites éventuelles devant les tribunaux. En outre, il a mené à une vaste campagne contre l’utilisation de cette substance meurtrière, lancée par l’émission 60 Minutes de CBS News.

Au cours de ses quarante années d’existence, l’ACDI a acquis énormément de connaissances et une solide expérience. L’Agence n’est plus la jeune

rebelle idéaliste qu’elle était dans les années 1960. Il s’agit aujourd’hui d’un organisme d’aide humanitaire chevronné, pour qui l’efficacité, la vision et la responsabilité sont des valeurs fondamentales.

Ses programmes sont universels. Tout en poursuivant sa collaboration avec de nombreux partenaires partout dans le monde, l’Agence continue de faire entendre la voix du Canada lors des conférences internationales. Elle est aussi respectée à l’échelle mondiale pour sa capacité à prodiguer des conseils tout en conservant sa neutralité.

Bien sûr, l’ACDI n’est pas parfaite. Les récentes restrictions budgétaires, la réorganisation des priorités et un nouveau système de financement plus intensif ont semé la confusion au sein de certaines ONG, et donné lieu à quelques critiques. D’autres attribuent ces difficultés à des problèmes de croissance. Pour sa part, l’Agence espère que ces nouveaux processus favoriseront la transparence, l’opportunité et la constance. En bref, son objectif est d’optimiser l’investissement des contribuables.

Forte de sa longue expérience, l’ACDI sait que le développement compte de multiples facettes. Tous les pays auxquels l’ACDI vient en aide souhaitent une croissance économique viable au sein d’une démocratie qui garantit les droits de chacun, favorise l’égalité des sexes et protège l’environnement. Ce sont des valeurs qui contribuent à créer un monde plus sécuritaire, plus équitable et plus sain pour tous ses habitants.

Judith Ritter est une auteure à la pige. Cet article a été écrit avec le con-

cours de l’Agence canadienne de développement international (ACDI).

Ce graphique chiffre l’aide financière apportée en 2011 par les programmes de l’ACDI aux vingt pays ciblés.

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Répartition géographique des programmes-pays : pays ciblésAfghanistan

HaïtiMozambique

ÉthiopieTanzanie

MaliGhana

SénégalCisjordanie et Gaza

BangladeshSoudan

CaraïbesPakistanVietnamUkraine

HondurasColombieIndonésie

PérouBolivie

en millions de dollars canadiens

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La Croix-Rouge canadienne

La Croix-Rouge canadienne est une des plus anciennes organisations d’aide internationale du Canada. Ses origines

remontent à 1862, lorsque le travailleur humanitaire suisse Henry Dunant publia un petit ouvrage intitulé Un souvenir de Solférino dans lequel il décrivait les horribles souffrances dont il avait été témoin sur un champ de bataille italien. Henry Dunant réclamait la formation de sociétés de secours formées de volontaires afin de prodiguer des soins aux blessés en temps de guerre. Un an plus tard, la Société d’utilité publique de Genève forma un comité pour concrétiser ce souhait.

Une conférence internationale fut organisée peu après et, le 2 août 1864, douze nations signèrent la Convention de Genève, qui accordait la neutralité aux travailleurs humanitaires lors de conflits.

On décida que l’on reconnaîtrait ces travailleurs au symbole qu’ils arboreraient, soit une croix rouge sur fond blanc.

Au Canada, la croix rouge apparut pour la première fois lors de la Rébellion du Nord-Ouest, en 1885. Le docteur George Sterling Ryerson cherchait quelque chose qui permettrait de distinguer les attelages tirant les wagons de blessés et les wagons ordinaires. Il assembla donc deux bandes de tissu rouge sur une pièce de coton blanc. Il venait de fonder la section canadienne de la Croix-Rouge britannique, en 1886.

La Croix-Rouge devint une société canadienne à la suite de l’adoption d’une loi au Parlement, en 1909. Quelques années plus tard, la Première Guerre mondiale éclata et, partout au pays, des volontaires de la Croix-Rouge se mirent à tricoter des chaussettes et des chandails, et à coudre des bandages et des draps pour les soldats et les civils à l’étranger. Ils recueillirent également des fonds pour acheter du matériel et ouvrir des hôpitaux.

La Croix-Rouge se mobilisa encore une fois pendant la Seconde Guerre mondiale. Vers la fin de la guerre, près de trois millions de Canadiens étaient des membres actifs de la Croix-Rouge et occupaient diverses fonctions.

Aujourd’hui, le volet international de la Croix-Rouge canadienne est présent partout dans le monde, lors de conflits et de catastrophes naturelles. Il offre une aide à plus de quarante pays et administre directement des projets dans plus de quinze pays.Sources : croixrouge.ca, nobelprize.org, veterans.gc.ca

Entraide universitaire mondiale du Canada (EUMC)

Les origines d’Entraide universitaire mondiale du Canada (EUMC)

remontent à la fin de la Première Guerre mondiale, alors qu’une

organisation appelée le Service international aux étudiants (SIE) fournissait aux étudiants de l’Europe d’après-guerre des livres, des vêtements et d’autres articles de première nécessité.

Le SIE poursuivit son œuvre dans les années 1930, en aidant les juifs et d’autres réfugiés qui fuyaient l’oppression en Allemagne et en Tchécoslovaquie. Le premier comité canadien du SIE vit le jour à l’Université de Toronto en 1939. En 1950, le SIE changea de nom pour Entraide universitaire mondiale.

Des générations de Canadiens connaissent les séminaires internationaux d’EUMC, qui ont débuté en 1948. Chaque année, pendant les vacances d’été, des étudiants partent vers un pays en voie de développement où ils collaborent à des projets en compagnie d’étudiants du pays hôte. Maintenant organisés par Uniterra, un programme créé conjointement par EUMC et le Centre d’étude et de coopération internationale, les séminaires internationaux permettent aux étudiants de vivre une expérience concrète dans un pays en voie de développement.

Avec l’accroissement du nombre de réfugiés dans le monde, EUMC a élargi son mandat afin de créer en 1978 un programme s’adressant aux étudiants réfugiés. Dans le cadre de ce programme, des étudiants canadiens parrainent des réfugiés afin qu’ils puissent étudier au Canada.

EUMC a lancé Étudiants sans frontières en 2005. Dans ce programme, des étudiants canadiens qualifiés passent

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Les organisations non gouvernementales canadiennes jouent un rôle important dans le développement international. Les quatre ONG présentées ici sont parmi celles qui ont exercé la plus grande influence à l’étranger.

Un bon coup de main

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six mois ou plus en Afrique, en Asie ou en Amérique latine pour étudier et travailler avec un organisme partenaire local. Un autre programme, Congé solidaire, permet à des professionnels de travailler comme bénévoles dans un pays en voie de développement pendant leurs vacances annuelles.

Aujourd’hui, plus de quatre-vingts collèges et universités ont leur propre comité d’EUMC, ce qui en fait le plus grand réseau de groupes d’étudiants de cette nature au Canada. Source : eumc.ca/fr

USC Canada

Les Canadiens de la génération du baby-boom et des générations précédentes se

souviendront sans doute des appels à l’aide internationale lancés sur les ondes par Lotta Hitschmanova qui, en 1945, fonda le Comité du service unitaire du Canada.

« Docteure Lotta », comme on l’appelait, devint la porte-parole d’une des premières ONG canadiennes à vocation internationale. À une époque où il y avait beaucoup moins d’organisations ayant le mandat d’aider les populations à l’étranger, elle invitait les Canadiens, à la radio et à la télévision, à envoyer leurs dons au 56, rue Sparks, à Ottawa, une adresse maintenant connue de tous.

Mme Hitschmanova avait créé cette organisation pour fournir de la nourriture, des vêtements et d’autres articles de première nécessité aux populations désespérées de l’Europe d’après-guerre. Elle-même réfugiée, elle connaissait bien la faim et la privation. Née à Prague en 1909, elle perdit ses parents lors de l’Holocauste et dut traverser de nombreux pays. Elle atterrit à Montréal en 1942, souffrant de malnutrition, seule et avec seulement 60 $ en poche.

À titre de journaliste multilingue et qualifiée, détentrice d’un doctorat, Mme Hitschmanova s’employa non seulement à améliorer son propre sort, mais également à faire du monde entier un endroit plus accueillant pour tous. Dans ses messages, elle apparaissait toujours vêtue du même uniforme de style militaire, avec sa casquette, en train de parcourir des pays en difficulté. Elle a inspiré des générations de Canadiens, qui ont donné généreusement afin de soutenir des causes humanitaires à l’étranger.

« La charité commence par soi-même, disait la docteure Lotta, et elle s’étend à tous ceux qui ont besoin d’aide. »

Au fil des ans, USC Canada, qui n’est plus affilié à l’Église

unitarienne, a délaissé l’Europe d’après-guerre pour se tourner vers l’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine.

Aujourd’hui, sa mission est de promouvoir des fermes saines et dynamiques, de solides communautés rurales et des écosystèmes viables partout dans le monde. USC Canada appuie les programmes, les initiatives de formation et les politiques qui enrichissent la biodiversité et qui protègent les droits des femmes, des populations indigènes et des petits agriculteurs.

L’organisation est toujours située au 56, rue Sparks.Source : usc-canada.org

L’Association québécoise des

organismes de coopération internationale (AQOCI)

L’AQOCI est une association du Québec qui regroupe soixante-cinq organismes de coopération internationale,

œuvrant tous pour un développement durable et humain.La mission de l’Association est d’éliminer la pauvreté

et de bâtir un monde qui repose sur les principes de justice, d’inclusion, d’égalité et de respect des droits de la personne.

Ses membres ont des mandats variés. Par exemple, CARE Canada, qui a été créée après la Seconde Guerre mondiale, est aujourd’hui l’une des plus importantes organisations d’aide humanitaire et de développement au monde. Alternatives, un autre membre, a été formé en 1994 et a mené des projets dans trente-cinq pays afin d’encourager l’action citoyenne et de lancer des mouvements sociaux pour soutenir des communautés viables.

Le Comité québécois femmes et développement est également un membre important de l’AQOCI. Il a été formé en 1984 pour se pencher sur des questions qui touchent les femmes et le développement international. Il fait la promotion d’une vision féministe du développement et favorise la solidarité entre les groupes de femmes du Nord et du Sud.

Depuis 1996, l’AQOCI organise des journées de solidarité internationale au Québec. En 2011, l’événement a eu lieu du 3 au 13 novembre et a proposé des activités visant à informer et à mobiliser les Québécois sur des enjeux liés au développement équitable. Source : aqoci.qc.ca

— Nelle Oosterom

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Une banane qui vaut son pesant d’or

La banane, la quatrième denrée alimentaire du monde en importance, après le riz, le blé et le lait, est un produit de base pour de nombreuses populations dans le monde. Mais sa culture à grande échelle dans les plantations la rend très vulnérable aux maladies. Dans les années 1950, un champignon a totalement éradiqué la Gros

Michel, la variété de bananes la plus populaire du monde. Heureusement, une banane résistante au champignon, la Cavendish, a pris sa place depuis. Mais ce n’est qu’une question de temps avant que la Cavendish, elle aussi, ne succombe à l’assaut de la sigatoka et de la fusariose, qui menacent les cultures de bananes partout dans le monde. On poursuivit donc les recherches.

En 1994, le CRDI a dévoilé la banane Goldfinger. Ce cultivar résistant aux maladies a été créé au Honduras par la fondation hondurienne pour la recherche agricole, avec le soutien du CRDI. La tâche n’a pas été simple. Le cultivar a été élaboré par hybridation traditionnelle et il découle d’un long processus qui a commencé en 1959, lorsque la United Fruits Company a décidé de créer une banane capable de résister aux parasites. La première percée remonte à 1977, avec la création de la forme hybride FHIA-1. Cependant, sa saveur n’était pas comparable à celle de la Cavendish, la banane que l’on trouve dans les supermarchés du monde entier. Mais la « sœur » de la Goldfinger, l’hybride FHIA-18, créée avec le soutien du CRDI, se révéla plus savoureuse.

Depuis, les agriculteurs l’ont adoptée au Brésil, où il y a eu une éclosion de sigatoka noire, et à Cuba, où les cultivateurs n’ont pas les moyens d’acheter des fongicides pour protéger leurs bananes des maladies.

L’ingéniosité canadienne au service des peuples du monde entier. par André Pelchat Illustration : Michel Rouleau

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brillantes

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Droits de la personne et haute technologie

Human Rights Information and Documentation Systems International (HURIDOCS) est une ONG qui fournit des outils et une formation afin d’aider les organisations de défense des

droits de la personne, partout dans le monde, à se servir des technologies de l’information et des méthodes de documentation pour lutter contre les violations des droits de la personne. Pour que leur travail de défense soit efficace, les organisations ont besoin d’une information exacte et à jour sur divers actes criminels, comme les arrestations secrètes, la torture et les assassinats perpétrés par des escadrons de la mort.

Cette information provient de HurSearch, le seul moteur de recherche sur Internet spécialisé dans les droits de la personne. Commandité par le CRDI, HurSearch est offert en 77 langues et permet aux utilisateurs d’accéder à plus de dix millions de pages Web diffusées par près de 5000 groupes de défense des droits de la personne. Les résultats obtenus grâce à HuriSearch ne concernent que les droits de la personne, puisque ce moteur de recherche n’indexe que des sites connexes. Les résultats sont classés par pertinence, ce qui permet aux chercheurs d’avoir accès à de précieux renseignements produits par des organismes plus modestes et moins connus propres à un pays ou qui se consacrent à un dossier particulier, par opposition à ce qu’ils pourraient trouver si ces sites étaient classés par popularité, comme c’est le cas dans Google ou Yahoo.

Judith Dueck, une spécialiste de l’information canadienne et une défenseure des droits de la personne, affirme que cet outil « permet même de consulter les sites de très petites organisations… De gros moteurs de recherche, comme Google, ne nous permettraient jamais d’accéder à ce contenu. Mais HurSearch nous en donne la possibilité ».

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Le filtre BioSand sauve des vies

Un filtre à eau domestique simple et peu coûteux, inventé par un professeur de l’Université de Calgary, a permis d’améliorer la qualité de vie de centaines de

milliers de personnes dans le monde. L’ingénieur en techniques environnementales David Manz a créé le filtre BioSand (BS) après avoir été témoin des effets dévastateurs d’une contamination de l’eau potable en Afrique du Sud, dans les années 1980.

Sa technologie ne fait qu’améliorer un très vieux processus, appelé filtration lente sur sable. L’eau contaminée traverse plusieurs couches de gravier et de sable, qui filtrent les parasites, les bactéries et les toxines. La plupart des filtres BS, de catégorie domestique, peuvent purifier entre vingt et soixante litres d’eau à l’heure. Le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) est un partenaire de première heure qui a contribué à l’élaboration de cette technologie. Le CRDI a notamment commandé une étude, évaluée par un comité de lecture, révélant que le filtre était extrêmement efficace. Au Cambodge, 100 000 filtres ont été distribués, et des études épidémiologiques montrent que le taux de maladies diarrhéiques a diminué de 47 % dans les foyers équipés de ce filtre.

« Cela se traduit forcément par une baisse considérable du taux de mortalité infantile et par une productivité accrue; mais également, les familles pauvres n’ont plus à se procurer de coûteux médicaments lorsque leurs proches sont malades », affirme M. Manz. On estime qu’environ deux millions de personnes meurent chaque jour d’une maladie d’origine hydrique.

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La leçon des buveurs de brouillard

En 1987, un dispositif expérimental a vu le jour sur une crête, près de Chungungo, un village aride du nord du Chili où le brouillard est omniprésent, mais la pluie, beaucoup plus rare. Cet appareil, financé par le CRDI, est composé d’un grand

filet de polypropylène tendu entre deux poteaux et retenu par des câbles. Une cuve est installée sous le filet. Il s’agit d’un capteur de brouillard. L’eau que contient le brouillard se condense, forme des gouttelettes qui glissent sur le filet et sont recueillies dans la cuve.

L’expérience a connu un franc succès et, en 1992, des douzaines de capteurs de brouillard ont été installés. L’eau était ensuite dirigée vers un pipeline relié à un réservoir à Chungungo, sept kilomètres plus loin. Les capteurs permettaient de recueillir en moyenne 1500 litres d’eau par jour, pour un village de 300 personnes, une quantité suffisante pour s’abreuver, se laver et irriguer les terres. Des jardins ont fait leur apparition, et ce nouvel approvisionnement en eau a attiré plus de gens au village, triplant ainsi sa population. Mais les nombreux capteurs nécessitaient des travaux d’entretien, qui n’avaient pas été adéquatement planifiés à l’origine, et finirent par être abandonnés, en 2002, en raison de leur détérioration.

Les villageois, qui auraient préféré un « véritable » système d’approvisionnement, recommencèrent à se faire livrer l’eau en camion. Ce recul a servi de leçon aux planificateurs, qui ont compris l’importance de consulter la population locale pour déterminer si elle est prête à entretenir à long terme de telles installations. Des systèmes similaires ont depuis été installés avec succès dans d’autres régions du centre du Chili, ainsi que dans près de 25 pays partout dans le monde.

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Norman Bethune (1890-1939) : Le grand ami de la Chine

Presque inconnu au Canada de son vivant, le docteur Norman Bethune continue d’être vénéré en Chine, où son dévouement en tant que travailleur humanitaire

n’a jamais été oublié.

Né à Gravenhurst, en Ontario, en 1890, Norman Bethune semblait destiné à passer sa vie à proximité d’un champ de bataille ou carrément dans le feu de l’action. Il interrompit ses études de médecine pour être brancardier en France, pendant la Première Guerre mondiale. Blessé par des éclats de shrapnel, il revint au Canada et décrocha son diplôme de médecine à l’Université de Toronto, en 1916. La guerre n’étant pas terminée, il retourna en Angleterre, où il s’engagea à titre de lieutenant-chirurgien dans la Marine royale.

Après la guerre, Norman Bethune exerça son métier à Montréal où il ouvrit une clinique gratuite. Il militait également en faveur d’un régime universel de soins de santé. Mais il était de nature passionnée et, lorsque la guerre civile éclata en Espagne, en 1936, il partit pour Madrid où il créa la première clinique de transfusion sanguine mobile du monde.

On se souvient surtout de Norman Bethune pour ses deux années passées en Chine, pendant la guerre sino-japonaise. Au centre de combats acharnés, il soignait avec courage soldats et civils. Il construisit une « salle d’opération » portative qu’il transportait sur deux mules, et enseigna aux civils les pratiques chirurgicales et médicales de base.

Le 12 novembre 1939, Norman Bethune mourut d’une septicémie, après avoir opéré un soldat blessé. Les Chinois furent durement touchés par ce décès. Encore à ce jour, les enfants chinois apprennent à l’école la vie de « ce grand ami canadien du peuple chinois ».

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Des portraits de Canadiens qui ont accompli de grandes choses à l’étranger. Par Joanna Dawson et Beverley Tallon. Illustrations: Dushan Milic

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Médecins, enseignants, missionnaires ou défenseurs des droits de la personne, ils ont tous été motivés par une même quête : apporter leur contribution au reste du monde. Une multitude de Canadiens ont consacré leur vie à venir en aide aux autres à l’étranger. En voici quelques exemples.

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John Peters Humphrey (1905-1995) :Le père des droits de la personne

Avant l’âge de onze ans, John Peters Humphrey perdit ses parents des suites d’un cancer et il dut se faire amputer le bras gauche après avoir survécu à

un incendie. Au cours de son adolescence, il fut une proie facile pour les petits tyrans de son pensionnat, à cause de son handicap. Mais ces épreuves ne firent que renforcer son caractère. Il devint un pionnier des droits de la personne à l’échelle internationale et rédigea la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Après s’être distingué dans le domaine du droit privé et à titre de professeur à l’Université McGill, John Humphrey fut nommé directeur de la division des droits de l’homme au Secrétariat des Nations unies, en 1946. Il y travailla en étroite collaboration avec Eleanor Roosevelt afin de rédiger une Déclaration visant à garantir les droits fondamentaux de tous les peuples. La version définitive vit enfin le jour le 10 décembre 1948, après 187 réunions et 1400 résolutions. Roosevelt qualifia ce document de « Grande Charte de l’humanité ».

Pendant les vingt années suivantes, John Humphrey parcourut le monde pour s’assurer qu’il existait des mécanismes permettant de protéger les droits de l’homme, et pour les instaurer là où ils n’existaient pas. Il travailla avec acharnement pour promouvoir la liberté de la presse et le statut de la femme, et pour combattre la discrimination raciale.

Le rôle que joua John Humphrey dans la rédaction de la Déclaration universelle est méconnu et ne fut réellement révélé que de nombreuses années plus tard, lorsque l’on découvrit la version originale. En 1974, il fut nommé Officier de l’Ordre du Canada et, en 1988, il reçut le prix des Nations unies pour son travail de défense des droits de la personne.

George Atkins (1917-2009) :Fondateur de Radios rurales internationales

Bien avant l’arrivée d’Internet, un agriculteur d’Oakville, en Ontario, créa un réseau international visant à transmettre des connaissances en agronomie

à des cultivateurs pauvres de toutes les régions du monde. George Atkins, diplômé en agronomie du Collège

d’agriculture de l’Ontario, commença par créer une émission de radio et de télévision dans sa communauté pour prodiguer des conseils aux agriculteurs locaux. Quelques années plus tard, en 1955, il entama une carrière de vingt-cinq ans avec la CBC en tant que correspondant agricole.

En 1975, George Atkins se rendit en Zambie pour assister aux réunions de la Commonwealth Broadcasters’ Association. Pendant son séjour, il fut à même de constater que les agriculteurs des pays en voie de développement avaient besoin d’information sur des technologies pratiques et peu coûteuses, comme l’utilisation du fumier en guise d’engrais ou l’élevage des bovins.

George Atkins créa le Developing Countries Farm Radio Network (réseau radiophonique agricole des pays en voie de développement), qui transmettait de l’information aux radiodiffuseurs du monde agricole dans les pays en voie de développement. Son réseau, établi en 1979 à Ottawa, comptait sur la collaboration de vingt-quatre diffuseurs, dans vingt-six pays. Maintenant appelé Radios rurales internationales, son réseau compte trois cents diffuseurs dans plus de trente-neuf pays d’Afrique.

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Gustave Gingras (1918-1996) : Le pouvoir de la réadaptation

Son travail auprès des anciens combattants blessés lors de la Seconde Guerre mondiale lança la carrière du docteur Gustave Gingras en tant qu’expert

international en réadaptation des personnes handicapées.Gustave Gingras avait servi au sein du Corps de santé

royal canadien comme interne en neurologie pendant la guerre. Le fameux docteur Wilder Penfield lui demanda de superviser la réadaptation d’un groupe de cinquante anciens combattants de Montréal, que l’on croyait condamnés à rester invalides pour le reste de leur vie.

Gustave Gingras rassembla une équipe de thérapeutes, de travailleurs sociaux et de psychologues, et expérimenta de nombreuses techniques de réadaptation. À l’issue de ces interventions, de nombreux vétérans purent retourner chez eux et même occuper un emploi. Son succès suscita une forte demande pour ses services et, en 1949, il créa l’Institut de réadaptation de Montréal, qui fut heureusement pleinement opérationnel lors de l’épidémie de poliomyélite des années 1950.

D’autres pays firent également appel au docteur Gingras. Il se rendit en Amérique du Sud, dans le cadre d’une mission des Nations unies, afin d’aider des victimes d’accidents de travail dans l’industrie pétrolière. En 1959, au Maroc, il travailla à la réadaptation de dizaines de milliers de personnes soudainement paralysées après avoir consommé de l’huile de moteur vendue comme de l’huile de cuisson. Pendant la guerre du Vietnam, il ouvrit des centres de réadaptation et dirigea des ateliers où l’on confectionnait des prothèses.

À la fin de sa vie, il fut atteint de troubles neurologiques, mais resta fidèle à sa devise : « Ne jamais abandonner et se concentrer sur les capacités qu’il nous reste plutôt que sur celles que l’on a perdues. »

Lucille Teasdale-Corti (1929-1996) : Chirurgienne de guerre en Ouganda

À Montréal, alors que Lucille Teasdale n’avait que douze ans, sa vie fut transformée par la venue dans son école de sœurs missionnaires de retour de

Chine. Elle décida de suivre leur exemple et de venir en aide aux gens, partout dans le monde, en embrassant une carrière de médecin. Lorsqu’elle obtint son diplôme de l’Université de Montréal, en 1955, elle devint une des premières chirurgiennes du Québec.

En 1961, elle se rendit en Ouganda pour aider le docteur Piero Corti à transformer une petite clinique de quarante lits en véritable hôpital. Elle recevait jusqu’à 300 patients tous les matins et procédait à des interventions chirurgicales en après-midi. De son côté, Piero Corti, qui devint plus tard son mari, recueillait des fonds pour son projet, l’hôpital Lacor.

Lorsque la guerre civile éclata en Ouganda, en 1971, Lucille Teasdale, dont l’hôpital était souvent attaqué, n’hésita pas à devenir chirurgienne de guerre. Vers le milieu des années 1980, elle contracta le sida alors en opérant un soldat. Elle travailla encore onze ans, jusqu’à son décès.

L’hôpital est aujourd’hui une des plus belles réussites de l’Afrique de l’Est. Il compte près de cinq cents lits, trois cliniques satellites et accueille 300 000 patients chaque année.

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Kathy Knowles (1955) : Une conteuse d’exception

Parfois, de petits gestes provoquent de grands changements.

En 1989, Kathy Knowles et sa famille s’installèrent à Accra, au Ghana, où le mari de Kathy avait obtenu un poste dans une compagnie d’exploitation aurifère. Dans le jardin de sa maison d’Afrique de l’Ouest, Kathy Knowles commença à raconter des histoires à ses quatre enfants et à leurs amis. Son « heure du conte » fit rapidement le tour de la communauté, et son jardin devint le lieu de rassemblement de plus de soixante-dix enfants, qui l’écoutaient religieusement.

Kathy Knowles décida alors de convertir son garage en bibliothèque rudimentaire, afin d’accueillir tous ces enfants qui avaient réellement besoin d’un lieu adéquat et permanent pour s’adonner à la lecture. Le succès fut tel qu’elle décida de recueillir des fonds pour acheter un conteneur, qu’elle transforma en bibliothèque avec l’aide de la communauté. Elle remplit les étagères de la bibliothèque Osu avec 3000 livres provenant de sa collection personnelle ou de dons de parents et d’amis du Canada.

En 1993, Kathy Knowles et sa famille rentrèrent au Canada, mais, avant de partir, elle veilla à ce que la bibliothèque Osu poursuive ses opérations. Elle créa le fonds de la bibliothèque Osu en tant qu’organisme de bienfaisance enregistré au Ghana et au Canada, et forma des membres de la communauté afin qu’ils puissent prendre la relève.

Aujourd’hui, Kathy Knowles poursuit son travail avec le fonds de la bibliothèque Osu, depuis sa demeure de Winnipeg. Elle a aidé à construire sept bibliothèques à Accra et plus de deux cents en Afrique. On y offre maintenant des cours d’éducation aux adultes, des programmes sur l’alimentation des enfants et des événements culturels.

Craig Kielburger (1982) : Défenseur des droits des enfants

Craig Kielburger est bien connu des Canadiens pour avoir lancé un groupe de défense international, Free the Children, alors qu’il n’était âgé que de douze

ans. C’est en lisant l’histoire d’un jeune garçon pakistanais de douze ans qui avait été vendu à un marchand de tapis à quatre ans qu’il décida de lutter contre l’esclavage des enfants. À dix ans, Iqbal Masih réussit à s’échapper, mais il fut assassiné deux ans plus tard pour avoir dénoncé les conditions de travail épouvantables de milliers d’enfants ouvriers.

Le destin tragique de ce garçon poussa Craig Kielburger à l’action. Il lut cet article à ses camarades de classe et tous décidèrent d’agir sur-le-champ. Ils écrivirent des lettres aux dirigeants de plusieurs pays, ils lancèrent des pétitions, recueillirent des fonds et sensibilisèrent la population à l’esclavage des enfants.

Depuis, Free the Children a réussi à bâtir plus de 650 écoles, à ouvrir des centres de réadaptation pour aider d’anciens enfants-esclaves, à fonder des cliniques et à faire découvrir le sort de ces enfants à des millions de personnes.

Craig Kielburger continue de travailler avec Free the Children et a depuis cofondé deux autres organisations, Leaders Today et Me to We, avec son frère aîné, Marc Kielburger. Les deux frères rédigent également une chronique et sont des auteurs d’ouvrages à succès. Ils sont tous les deux membres de l’Ordre du Canada.

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À la fin des classes, en juin dernier, Jacklin, un petit garçon de six ans, du village de Mombin Crochu, dans le nord-est d’Haïti, a dit à son père :

« Papa, je ne sais pas comment tu as fait, mais j’ai pu assister à tous mes cours et je n’ai pas été renvoyé, comme les autres enfants dont les parents n’ont pas payé les frais à l’école. »

Si Jacklin a pu terminer son année scolaire, c’est grâce à une initiative novatrice de Développement international

Desjardins (DID), une société canadienne spécialisée en appui technique et en investissement dans le secteur de la finance de proximité dans plus de vingt pays du monde. Dans le cadre du projet de DID, le système scolaire travaille en partenariat avec les caisses populaires pour offrir des prêts destinés à financer les frais de scolarité.

Le programme permet présentement à 6000 enfants haïtiens d’aller à l’école.

« Timoun se lavni », dit le dicton créole. L’enfant, c’est DÉ

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Un programme de prêts innovateur permet à de nombreux enfants haïtiens d’aller à l’école malgré des frais de scolarité élevés. Par Andrée Poulin

L’éducationenHaïti

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Les élèves de 233 écoles haïtiennes, dont l’école Charlemagne Péralte (page précédente) et l’école Dumarsais Estimé (cette photo), toutes deux de la commune de Verrettes, bénéficient d’un programme spécial de prêts pour les frais de scolarité.

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l’avenir. La clé vers un avenir prometteur pour les enfants d’Haïti, c’est l’éducation. Elle est pourtant loin d’être à la portée de tous en Haïti, où plus de 500 000 enfants d’âge primaire ne vont pas à l’école. Dans un pays où le taux d’analphabétisme frise les 50 %, cela fait beaucoup de « timouns » qui errent, désœuvrés, dans les rues et qui deviendront des adultes ne sachant ni lire ni écrire.

Sacrifices énormes Une partie du problème tient au fait que la majorité des écoles haïtiennes sont privées. « Haïti est peut-être le seul pays où 70 % du secteur éducatif se trouve entre les mains du secteur privé. Donc l’éducation coûte cher, et certains parents n’ont pas assez de moyens pour envoyer leurs enfants à l’école », explique Prophète Fils-Aimé, directeur général de la Caisse populaire à Saint-Marc, une ville côtière de l’ouest d’Haïti.

Dans le pays le plus pauvre des Amériques, scolariser un enfant représente une charge énorme pour les familles. Selon le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle, pour une famille moyenne avec trois enfants en âge scolaire, les frais de scolarité représentent 45 % à 60 % des revenus annuels.

Karina Turgeon, conseillère chez DID, explique qu’un parent haïtien doit débourser, en moyenne, 150 $ par année par enfant pour l’uniforme, le matériel scolaire et les droits de scolarité. « En zone rurale, certains Haïtiens gagnent seulement 2 $ par jour. On comprend donc que les parents font des sacrifices énormes pour payer l’éducation de leurs enfants. »

En classe avec trois mois de retardPour bon nombre de familles, la rentrée scolaire est donc synonyme de soucis financiers et, parfois, de décisions déchirantes, explique Jacques Durocher, un employé retraité de DID.

« Quand septembre arrive, les Haïtiens courent après l’argent. Les familles sont obligées de se serrer la ceinture ou d’attendre d’avoir l’argent pour envoyer les enfants à l’école. Parfois, la rentrée s’étire jusqu’en décembre et les enfants arrivent en classe avec trois mois de retard. »

Un problème en entraînant un autre, la rentrée tardive des enfants en classe occasionne des retards importants sur le plan de l’apprentissage. Ainsi, de nombreux élèves doivent recommencer la même année deux ou trois fois, et ils finissent par dépasser d’au moins deux ans l’âge scolaire fixé pour leur niveau par le ministère de l’Éducation.

Et quand les parents sont à court d’argent, tout le système scolaire en pâtit aussi. Sans l’argent des frais de scolarité, les écoles ne peuvent embaucher les enseignants

ou acheter le matériel, ce qui a un effet négatif sur la qualité de l’éducation.

Une prime pour les bons payeurs Pour pallier ce problème, DID a conçu, en 2004, le « crédit écolage », un projet original, permettant aux familles d’avoir accès aux fonds nécessaires pour inscrire leurs enfants à l’école à temps, sans avoir à recourir aux usuriers.

Rachel Lemieux, conseillère technique du projet en Haïti, explique que le crédit écolage est octroyé par les caisses haïtiennes à des groupes constitués de quatre à six parents. Le regroupement des familles facilite le remboursement des prêts, tandis que la solidarité du groupe constitue la garantie du prêt.

« En moyenne, le crédit octroyé équivaut à 150 $ par enfant par année scolaire. Le prêt peut être remboursé en dix versements mensuels fixes, qui comprennent le capital et les intérêts. Si les familles emprunteuses respectent les conditions du prêt et n’ont aucun retard de remboursement, elles reçoivent une prime de 5 % de l’intérêt, après remboursement total du prêt. »

« Avoir les moyens d’envoyer ses enfants à l’école, ce que permet le crédit écolage, ça aide à respirer, à passer à autre chose et à envisager l’avenir de façon positive », affirme Germain Jacques Eddy, responsable du crédit à

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Les élèves de l’École de l’amour fraternel à Deschapelles, en Haïti, pendant leur cours de mathématiques.

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« L’impact des caisses sur les communautés, surtout en milieu rural, a été énorme » — Jacques Durocher

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la Caisse populaire Solidarité des Verrettes.L’aspect le plus novateur de ce projet? Amener le secteur

financier à travailler main dans la main avec le secteur de l’éducation. « C’est tellement évident après coup, mais il fallait y penser », lance Jacques Durocher.

Pendant trois ans, DID a testé ce nouveau produit financier avec trois caisses populaires et une trentaine d’écoles de l’Artibonite, un des dix départements d’Haïti. Des centaines de rencontres de sensibilisation ont été organisées afin de faire connaître le produit aux parents. L’expérience pilote a remporté un tel succès que, dès 2007, DID a décidé d’étendre l’initiative dans tout le pays. Grâce à l’appui financier de l’ACDI, le crédit écolage est désormais offert dans partout en Haïti, par l’entremise de 37 caisses participantes et 233 écoles. Mieux encore, le ministère de l’Éducation est maintenant impliqué, notamment par le truchement des inspecteurs de

zones, qui font la promotion du programme et apportent leur appui aux écoles.

On éduque les enfants… et les parents!Les résultats de ce partenariat caisses-écoles dépassent les attentes. Première réussite, la plus évidente : le crédit écolage permet à un plus grand nombre d’enfants haïtiens d’aller en classe... et d’y rester jusqu’à la fin de l’année scolaire. Le programme permet aussi d’améliorer les résultats scolaires et de réduire le nombre de décrocheurs. DID a constaté que

90 % des enfants dont les parents ont bénéficié d’un crédit écolage vont jusqu’au bout de leur année scolaire et passent dans la classe supérieure, comparativement à 60 % pour l’ensemble des enfants.

« Les meilleurs résultats sont un facteur motivateur pour les enfants autant que pour les parents », signale Karina Turgeon.

Autre bénéfice supplémentaire : en plus de faciliter l’accès à l’éducation des enfants, le crédit écolage favorise aussi l’éducation des parents. En effet, plus de 80 % des parents qui empruntent n’ont jamais eu de compte bancaire. Le crédit écolage permet donc de les initier à l’épargne et de faire leur éducation financière.

« Quand on allait dans les rencontres de parents, en juin, il fallait expliquer ce qu’étaient une caisse populaire et un crédit. Au début, les parents n’osaient pas trop, car, par le passé, des

fraudes financières avaient déjà échaudé de petits épargnants haïtiens. Mais le projet est vite devenu très populaire », ajoute Rachel Lemieux.

Les économies sous le matelasCe n’est pas d’hier que DID travaille à encourager l’épargne chez les Haïtiens, ainsi qu’à leur offrir l’accès au crédit. L’organisation a commencé à appuyer les caisses haïtiennes il y a plus d’une vingtaine d’années, à une époque où les services bancaires étaient à peu près inexistants au pays. Une pénurie qui obligeait les Haïtiens à garder leurs économies sous leur matelas.

Jacques Durocher, qui a travaillé pendant plus de 20 ans à appuyer les caisses en Haïti, explique qu’avant 1987, seulement 5 % des Haïtiens avaient un compte bancaire. Les banques étaient surtout réservées à des entreprises commerciales et exigeaient des frais élevés pour l’ouverture d’un compte. Sans compter qu’il n’y avait pas de succursales

en régions.« Autrefois, l’individu qui recevait 200 $ de son oncle de

Miami devait garder cet argent chez lui. Ou encore, le paysan qui vendait sa récolte pour 500 $ devait garder cette somme dans sa maison. Les gens n’étaient pas à l’abri du vol, ni des sollicitations. Dans un contexte comme Haïti, il est très difficile de résister à la sollicitation de la famille élargie. Avec l’arrivée des caisses, la première chose que les gens ont appréciée, c’était d’avoir enfin un endroit pour déposer leurs économies en toute sécurité », ajoute-t-il.

Le programme de prêts permet à davantage

d’enfants haïtiens de poursuivre leurs études

et de recevoir une bonne éducation.

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« Les parents font des sacrifices énormes pour payer l’éducation de leurs enfants »

— Karina Turgeon

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Au début, DID adopte une approche plus caritative dans son appui aux caisses, valorisant l’épargne et limitant le crédit. Puis, vers 1995, DID s’oriente vers une approche plus axée sur la viabilité financière.

« On a travaillé très fort à renforcer les caisses haïtiennes. On a formé le personnel, on a exigé plus de rigueur au niveau du système comptable et des vérifications. Cette nouvelle approche a fonctionné. Les caisses se sont professionnalisées. On a vu la différence dans la qualité, et les gens étaient fiers de leurs caisses », fait valoir Jacques Durocher.

Croissance remarquableEn peu de temps, les caisses d’Haïti ont connu une croissance remarquable. Aujourd’hui, la Fédération des caisses populaires haïtiennes compte 47 caisses, 23 points de service et plus de 394 000 membres. Doté d’un capital de 900 000 $, le Fonds de sécurité a permis de sauvegarder le réseau des caisses, ébranlé après le séisme de janvier 2010.

La situation des femmes étant difficile en Haïti, le réseau des caisses s’est efforcé de leur faire une place importante : 40 % des membres et 42 % des employés sont des femmes, et l’on compte 19 % de femmes chez les élus dirigeants.

Conscients que le développement durable est impossible

sur une courte période, DID et l’ACDI ont pris un engagement à long terme en Haïti. Lancé en 2001, le projet Appui aux coopératives d’épargne et de crédit haïtiennes se poursuivra jusqu’en 2013.

Pour Jacques Durocher, la plus grande réussite de DID est d’avoir offert à la population haïtienne des services financiers de base dans tout le pays.

« L’impact des caisses sur les communautés, surtout en milieu rural, a été énorme. Non seulement on a facilité l’accès au crédit, mais on a aussi fait baisser le coût du crédit. Aujourd’hui, quand une famille a besoin d’argent pour envoyer son enfant à l’école ou pour acheter trois poules pour son poulailler, elle peut faire un emprunt. La création des caisses a favorisé l’épargne et sécurisé les économies des gens. Cette épargne passe ensuite en crédit local, ce qui veut dire qu’on fait fructifier localement les économies des membres. »

« En 2002, la construction de la plus grosse école secondaire de Saint-Marc a été financée par la Caisse. C’est toute une contribution! », conclut fièrement Jacques Durocher.

Andrée Poulin est une auteure à la pige. Cet article a été écrit avec le concours

de l’Agence canadienne de développement international (ACDI).

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Les élèves de l’école Paul Pricien, à Camp Perrin, en Haïti, posent avec le directeur des prêts de la caisse populaire CAPOSAC, Abélard Clerger (à gauche), la conseillère technique de DID Rachel Lemieux (au centre) et le directeur général de la CAPOSAC, Patrice Denis (à droite).

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Un homme marche dans les décombres après le tremblement de terre de 2010 en Haïti.

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Le Canada a une longue tradition d’entraide avec ce pays troublé des Antilles. Par Kate Jaimet

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Au salon de coiffure Royal à Ottawa, des expatriés haïtiens viennent se faire couper les cheveux, envoyer de l’argent en Haïti et parler de leur pays. Depuis le tremblement de terre de janvier 2010, ils ne manquent pas de sujets de conversation : parents et amis toujours sans domicile, politiciens avides de pouvoir, reconstruction et rôle de l’aide étrangère.

Yvon Villarceau, un artiste qui a émigré au Canada en 1971, n’a pas la langue dans sa poche. Il passe beaucoup de temps en Haïti, où il détient des terres, plante des arbres et des herbes médicinales. Il a récemment construit une école pouvant accueillir vingt enfants.

Il est très critique envers certains pays étrangers, dont le Canada, et rêve d’un avenir meilleur, dont seuls les Haïtiens seraient les maîtres d’œuvre.

« Si les efforts de chacun pouvaient être concentrés et dirigés vers un seul but par un leader fort, nous pourrions y arriver, explique-t-il. Mais d’autres pays ne cessent d’intervenir en Haïti : ils doivent tous partir. »

D’autres, comme le copropriétaire du salon, Irvelt Toussaint, ont des opinions plus nuancées. « Nous avons besoin de la communauté internationale, affirme-t-il. Mais pour apporter de vrais changements,

il faut que chacun laisse ses intérêts personnels de côté. »Même les Haïtiens qui apprécient l’aide étrangère critiquent la façon dont elle a été distribuée au cours des

cinquante dernières années. Les pouvoirs politiques, économiques et même militaires ont souvent exercé une influence sur l’aide au développement. Historiquement, la présence du Canada et d’autres pays donateurs en Haïti s’est souvent révélée problématique, même si l’aide apportée était utile et bien intentionnée.

Les efforts des Canadiens pour venir en aide aux Haïtiens remontent au moins au début des années 1940, lorsque Jean-Louis Collignon, évêque du diocèse haïtien des Cayes, vint recruter des missionnaires au Québec.

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À l’époque, l’État haïtien faisait peu pour éduquer les enfants. Les écoles dirigées par l’Église comblaient cette lacune.

Le Québec, qui partageait la langue et la religion de ce petit pays des Antilles, répondit à l’appel de l’évêque en y dépêchant des religieuses, des moines et des prêtres de diverses congrégations catholiques.

« Les frères canadiens arrivèrent en Haïti, ils fondèrent des écoles et recrutèrent du personnel. De nombreux jeunes Haïtiens voulaient enseigner, et les frères ouvrirent des écoles normales afin d’y former de jeunes moines, et d’autres laïques », explique Jean-Paul Labrecque, membre de l’ordre des Frères du Sacré-Cœur, à Victoriaville, au Québec.

Les missionnaires furent les premiers travailleurs humanitaires et ils sont à l’origine de cette relation intime du Canada avec Haïti, qui se développera au cours des décennies suivantes.

Des tensions entre l’Église et l’État se firent sentir en 1957, après l’accession au pouvoir de François Duvalier, qui, voulant instaurer un « pouvoir noir », tenta de liguer le peuple d’Haïti contre l’Église catholique romaine étrangère. Comme les hommes d’Église étaient très estimés par les populations croyantes du pays, ils réussissaient généralement à éviter les persécutions du gouvernement, s’ils restaient discrets, rappelle M. Labrecque. Mais ceux qui osaient parler risquaient gros. En 1964, Duvalier expulsa toute la communauté jésuite du pays, et même s’il n’était pas aussi hostile envers les missionnaires protestants, eux aussi furent confrontés au durcissement du régime.

« Il fallait rester silencieux devant les abus, éviter toute critique, explique Jim Hodgson, coordonnateur de programme pour l’Amérique du Sud et les Antilles pour l’Église unie du Canada, étroitement liée à l’Église méthodiste haïtienne. Il a fallu faire des choix pour survivre dans ce régime dictatorial. »

En 1968, le gouvernement canadien créa l’Agence canadienne de développement international (ACDI). Comme Haïti était le pays le plus pauvre de l’hémisphère Ouest, et le seul autre pays francophone hors du Canada, il était tout naturel que la nouvelle agence s’y intéresse.

Dans un premier temps, l’ACDI vint en aide aux missions religieuses canadiennes déjà installées en Haïti afin de financer les écoles et les cliniques. L’école Canado Technique (ou Centre de formation professionnelle d’Haïti) est sans doute la plus connue du pays. Elle est située à Port-au-Prince et fut fondée par les Frères du Sacré-Cœur, avec le soutien de l’ACDI, en 1973. Aujourd’hui, 1200 étudiants la fréquentent chaque année, et elle est toujours financée par l’ACDI.

Roberto Carr-Ribeiro, un ancien gestionnaire de l’ACDI, travaillait en Haïti à cette époque.

« Je suis arrivé en Haïti en 1971, en mission pour la division des organisations non gouvernementales canadiennes (ONG) de l’ACDI, c’est-à-dire la division des organisations non gouvernementales, la seule section de l’ACDI qui venait en aide à Haïti à cette époque, affirme M. Carr-Ribeiro. Il n’existait pas alors d’entente officielle d’aide bilatérale entre les deux gouvernements. »

En 1973, le Canada signa une entente de coopération officielle avec Haïti, alors dirigé par le dictateur Jean-Claude Duvalier, dit « Baby Doc », qui avait succédé à son père en 1971. Même si de nombreuses ONG s’opposaient à cette entente avec Haïti pour des raisons éthiques, de telles ententes n’étaient pas inhabituelles. Pendant la guerre froide, les pays occidentaux et l’Union soviétique exerçaient leur influence en versant des fonds aux dictatures à des fins de développement. En outre, le jeune Duvalier paraissait moins despotique que son père et plus désireux d’améliorer le sort de son pays.

L’aide de l’ACDI à Haïti dans les années 1970 et 1980 prenait deux formes. Premièrement, l’ACDI continuait

Irvelt Toussaint, qui tient un salon de coiffure à Montréal,

envoie régulièrement de l’argent à sa famille et à

ses amis en Haïti.

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de soutenir les ONG et, quoique de moins en moins au fil du temps, les projets des missionnaires. Ensuite, l’ACDI permettait au gouvernement du pays d’acheter à crédit des véhicules fabriqués au Canada.

Le Canada et de nombreux autres pays donateurs ont fait crédit à Haïti pendant des décennies, mais la pratique était controversée. Le fait de lier cette aide à l’achat de produits canadiens avantageait le Canada, mais n’aidait pas Haïti à se doter de son propre secteur industriel.

Certains ministres s’appropriaient aussi ces biens pour leur usage personnel, ajoute M. Carr-Ribeiro.

« À une certaine époque, le Canada exportait en Haïti une sorte de jeep appelée “Scout”, mentionne-t-il. Le gouvernement haïtien en avait acheté des centaines. Elles étaient toutes identiques et de la même couleur. Il était facile de voir si elles étaient utilisées pour les travaux publics ou pour faire les courses. »

Malheureusement, le règne de Jean-Claude Duvalier, qui avait relativement bien commencé, se détériora par la suite. La corruption, l’incompétence, la malhonnêteté et l’oppression s’incrustèrent au sein de son gouvernement. Sa dictature fut finalement renversée en 1986, après trois décennies de règne de la famille Duvalier.

Sous la dictature de Duvalier, des milliers d’Haïtiens éduqués quittèrent le pays, et bon nombre d’entre eux s’installèrent au Canada.

« Certains partaient parce qu’ils étaient persécutés. D’autres, parce qu’ils craignaient, avec raison, de vivre un jour dans un pays où toute opinion divergente serait condamnée », affirme Irvelt Toussaint.

Plus de 15 000 Haïtiens s’installèrent au Canada dans les années 1970 et 14 000 dans les années 1980. Il en arriva encore 15 000 dans les années 1990, surtout pour des raisons économiques. Lors du recensement de 2006, un peu plus de 100 000 personnes d’origine haïtienne vivaient au Canada; près de 86 000 de ces Haïtiens résidaient à Montréal, formant une grande communauté d’expatriés très actifs.

De 1990 à 2000, le Canada versa 345 millions de dollars à Haïti, selon des représentants de l’ACDI. Certains projets individuels connurent un grand succès. Par exemple, vers la fin des années 1990, les résidants de onze quartiers de Port-au-Prince apprirent à faire pousser des légumes sur de petites parcelles de terre. Le projet, financé par le Centre de recherches pour le développement international et dirigé

par CARE Canada, permit d’améliorer l’alimentation et la santé des résidants et de resserrer les liens communautaires. Malgré ces petites victoires, d’autres forces, puissantes et complexes, contribuèrent à maintenir Haïti dans un état de pauvreté.

Après la chute des Duvalier, les élections démocratiques de 1990 (soutenues par le Canada et d’autres pays) portèrent Jean-Bertrand Aristide à la présidence. Mais un

coup militaire en 1991 le délogea de son poste et l’obligea à s’exiler aux États-Unis. La junte militaire prit le pouvoir et l’exerça de façon brutale pendant trois ans.

Afin d’exercer des pressions sur l’armée, l’Organisation des États américains imposa des sanctions commerciales à Haïti, mais elles affectèrent surtout les pauvres. Malgré les difficultés que créaient ces sanctions et la brutalité du régime en place, des organismes d’aide, comme le Centre d’étude et de coopération internationale (CECI) de Montréal, poursuivaient leur travail sur le terrain.

« Comme nous étions déjà à l’œuvre avec les cultivateurs, l’aide alimentaire passait par la production locale, explique le directeur général du CECI, Mario Renaud. Nous avons distribué du lait et de la nourriture provenant de producteurs locaux, grâce aux cantines en milieu scolaire. »

Toutefois, des forces plus puissantes semblaient constamment vouloir détruire ce travail sur le terrain.

En 1994, le président américain Bill Clinton menaça la junte d’une invasion militaire américaine afin de reporter Aristide à la présidence. Mais ce n’était pas désintéressé : les Américains exigeaient que le gouvernement haïtien libéralise le commerce, en réduisant notamment les droits sur les importations de riz, qui étaient de 50 % sous les Duvalier, à seulement 3 %.

Ce fut un désastre : le riz américain bon marché inonda le pays, et les cultivateurs, incapables de faire concurrence à cette production étrangère, firent faillite. Nombre d’entre eux s’installèrent dans les bidonvilles de Port-au-Prince. Le pays n’était plus en mesure de se nourrir lui-même. Bill Clinton, qui

Ci-dessus: Le peuple a souffert des effets de la sécheresse de 1959, en Haïti, mais a pu compter sur une aide alimentaire importante fournie par d’autres pays, dont le Canada.

Ci-contre : Le président haïtien Jean-Claude Duvalier, dit « Baby Doc », en 1975.

Ci-dessous : Le missionnaire et pasteur baptiste Wallace Turnbull distribue de l’aide alimentaire d’urgence en Haïti en mars 1959.

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fut plus tard envoyé spécial des Nations unies en Haïti, admit en mars 2010 que cette politique avait été une « erreur ».

Même si la politique sur les droits d’importation du riz n’était pas une initiative canadienne, elle permet de comprendre pourquoi les Haïtiens sont souvent sceptiques à l’égard de l’aide, souvent assortie de conditions, venant de pays capitalistes riches.

L’instabilité politique, les catastrophes naturelles, les politiques de libéralisation commerciale désastreuses et l’invasion de criminels et de trafiquants de drogue vers la fin des années 1990 et le début des années 2000 ont toutes contribué à déchirer le pays depuis vingt ans.

Pourtant, de nombreux experts accusent également l’État haïtien pour l’absence de progrès réalisés. Si les dirigeants d’Haïti ont en effet souvent fait preuve d’une grande efficacité pour s’enrichir et détruire leurs opposants, ils se sont en revanche révélés incapables de garantir à la population du pays les services les plus fondamentaux.

En conséquence, le Canada a depuis longtemps pris l’habitude d’acheminer une grande partie de son aide financière par l’entremise des ONG, ce qui permet de s’assurer que l’argent ne va pas dans les poches de politiciens corrompus. Mais, d’un autre côté, comme ce sont les nombreuses ONG présentes sur le terrain qui offrent des services de base à la population, le pays n’a jamais pu se doter de structures normales et efficaces.

En 2004, la communauté internationale est intervenue pour assurer des services de police et de sécurité dans le cadre de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH). Le Canada y a dépêché des soldats et des policiers, qui ont contribué à lutter contre les gangs et à former une police locale.

Cependant, la mission de la MINUSTAH a été ternie par des allégations de viols commis par des soldats sri-lankais en 2007 et par une éclosion de choléra propagée par des soldats népalais, en 2010.

« On peut avoir du ressentiment à l’égard de ces ONG. Elles dirigent presque tout : éducation, santé, alimentation. Mais sans cette “république des ONG”, il ne se passerait pas grand-chose, affirme Jim Hodgson de l’Église unie, et c’est vraiment malheureux. »

En 2004, une rébellion délogea Aristide du pouvoir et l’envoya en exil. Une force, soutenue par les Nations unies et dirigée par les États-Unis avec la participation du Canada et de la France, s’employa à rétablir l’ordre. Mais cette intervention était controversée, comme le sont souvent les interventions armées de puissances étrangères.

Depuis le coup militaire de 2004, le Canada s’est attaché à soutenir la tenue d’élections nationales et à renforcer l’État haïtien. En plus de l’aide que l’ACDI consent depuis des années aux écoles et aux cliniques, le Canada a investi des millions de dollars dans la formation d’une police nationale, dans la construction de prisons et de postes de police et dans l’amélioration des services frontaliers. Il a également contribué au recensement des électeurs et a offert son soutien au ministre haïtien de la Santé pour diverses initiatives, comme des programmes de vaccination.

Les chiffres fournis par l’ACDI indiquent que, de 2004 à 2009, le Canada a dépensé en moyenne 135 millions de dollars par année dans l’aide au développement en Haïti.

Mais, le 12 janvier 2010, un terrible tremblement de terre secoua le pays.

La dévastation causée par le séisme est bien documentée : la ville de Port-au-Prince fut presque entièrement détruite. Environ 230 000 personnes perdirent la vie, et des centaines de milliers d’autres se retrouvèrent sans toit.

L’aide humanitaire ne tarda pas à affluer : les Canadiens donnèrent 220 millions de dollars, et le gouvernement s’engagea à verser 400 millions de plus au cours des deux années suivantes. La communauté internationale promit de donner 1,7 milliard de dollars. Haïti devint le principal bénéficiaire de l’aide étrangère canadienne, passant devant l’Afghanistan. L’aide d’urgence canadienne permit de nourrir 4,3 millions de personnes et de distribuer de l’eau potable à 1,3 million de citoyens haïtiens.

Mais au-delà de ces premières interventions, une tâche titanesque attend maintenant Haïti : il faut reconstruire le pays et, idéalement, en mieux.

Il importe que cette reconstruction soit dirigée par les Haïtiens, pour qu’elle ait une certaine légitimité, mais le gouvernement, déjà affaibli, a également été durement touché par le séisme; en effet, un fonctionnaire sur six est mort lors du tremblement de terre, et de nombreux immeubles gouvernementaux ont été détruits. Les élections prévues pour le 28 février 2010 ont été reportées. Il est donc très difficile de travailler avec le gouvernement haïtien.

Même la question du déchargement des débris est complexe, car l’enregistrement des titres de propriété est déficient en Haïti, ce qui occasionne de nombreux litiges au sujet de la propriété des sites de déchargement potentiels. En octobre 2011, seulement la moitié des débris avaient été enlevés.

Alors que les politiciens essaient de régler leurs problèmes, la vie reprend son cours. Les organismes de développement déjà présents en Haïti, dont bon nombre sont financés par l’ACDI, poursuivent leur travail. Des Canadiens d’origine haïtienne, comme Irvelt Toussaint, envoient de l’argent à leurs parents et amis restés au pays, pour les aider à reconstruire leurs maisons.

La famille de M. Toussaint en Haïti a pris sous son aile deux jeunes cousins rendus orphelins par le séisme. L’argent qu’elle envoie en Haïti leur permet de survivre.

« Ce n’est peut-être pas la meilleure approche, mais certaines personnes sont si pauvres que nous n’avons pas d’autre choix que de les aider individuellement », explique-t-il.

M. Toussaint n’est ni optimiste ni pessimiste; il attend et il espère.

« Nous avons besoin d’un chef, affirme-t-il. Quelqu’un qui veut ce qu’il y a de mieux pour le pays. Quelqu’un qui a une vraie vision pour la communauté. Mais tout cela doit venir des Haïtiens eux-mêmes. »

Kate Jaimet est journaliste, romancière et auteure à la pige. Elle vit à

Ottawa.

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L’entente visant à interdire les mines terrestres est l’un des plus grands succès du Canada en politique

étrangère. Le Traité d’Ottawa, signé en 1997, a accordé au Canada un nouveau rôle et une voix distincte sur la scène internationale, et notre pays a alors prouvé sa capacité de négocier une entente internationale grâce à la diplomatie publique plutôt qu’aux tractations d’arrière-scène.

La campagne contre les mines terrestres antipersonnel remonte au début des années 1990, alors que la communauté internationale s’inquiétait du nombre de personnes blessées ou tuées par des mines, et ce, bien après la fin des conflits. Les mines terrestres furent utilisées à grande échelle pour la première fois pendant la Seconde Guerre mondiale, surtout pour protéger les zones stratégiques. Par la suite, elles furent employées pour terroriser les populations civiles locales. On ignorait souvent où elles se trouvaient, car elles avaient été oubliées ou déplacées par des inondations ou des glissements de terrain.

Un puissant groupe d’organismes humanitaires, dont la Croix-Rouge internationale, plusieurs ONG et de nombreux intervenants, décida en 1992 de lancer la Campagne internationale pour interdire les mines (CIIM). Jody Williams,

organisatrice communautaire au Vermont, devint sa directrice et reçut plus tard le prix Nobel de la paix pour son rôle dans le succès de ce traité.

La campagne connut des débuts difficiles. Après l’échec des négociations entourant la Convention sur les armes inhumaines, le Canada convoqua une réunion pour élaborer une stratégie de suivi. Le Canada avait hâte de faire progresser ce dossier, conforme

à la nouvelle orientation de sa politique étrangère, axée sur la sécurité humaine.

À l’automne 1996, à Ottawa, on lança officiellement des négociations visant à interdire l’utilisation, la distribution et la fabrication de mines terrestres. Grâce au travail acharné de la CIIM et d’un groupe d’États partageant les mêmes idées, l’appui à ce traité n’avait jamais été aussi fort. Cependant, la tension entre certains États et des groupes de la société civile semblait mener à une autre impasse.

Ministre des Affaires étrangères à l’époque, j’étais stimulé par le soutien du public à l’égard de ce traité, et cela renforça ma volonté d’éviter un autre échec. Lors de nos rencontres avec les hauts dirigeants, nous décidâmes de contourner les processus diplomatiques traditionnels.

À titre de ministre du pays hôte, on me demanda de prononcer l’allocution de

clôture. Je décidai que le moment était idéal pour lancer un défi aux délégués. Dans mon discours, je les invitai à revenir à Ottawa, un an plus tard, pour conclure les négociations et en venir à un résultat concret. À ce moment-là, je savais que je faisais courir au Canada le risque de perdre la face sur le plan diplomatique, mais cette cause était juste et le succès semblait à portée de main. Mon défi fut reçu avec une certaine incrédulité, mais aussi beaucoup d’enthousiasme.

L’année suivante, le traité fut rédigé lors d’une série de rencontres avec des États aux points de vue convergents. On consulta également les ONG impliquées depuis le début du processus. Lorsque les délégués retournèrent à Ottawa, en décembre 1997, 122 pays signèrent le traité, s’engageant ainsi à mettre fin à la fabrication, à l’utilisation et à l’exportation de mines terrestres antipersonnel.

Ce fut un grand jour. Le traité donna lieu au lancement d’une campagne mondiale concertée visant à éliminer le recours aux mines par les armées du monde entier, à détruire les stocks, à déminer les terrains et à soutenir la réadaptation des victimes.

Aujourd’hui, le Traité d’Ottawa compte 157 pays signataires, et témoigne de ce que peuvent accomplir les gouvernements qui travaillent de concert avec des groupes de la société civile et les ONG. Le Traité est une grande réussite, si l’on tient compte de ses objectifs, de son processus et de la rapidité de sa mise en œuvre.

Il a créé une nouvelle coalition politique, ayant elle-même lancé d’autres idées innovatrices, dont le Tribunal pénal international et l’Unité de la responsabilité de protéger. Le Canada s’est attaché à jouer un rôle de leader pour faire valoir les besoins des peuples et y répondre. C’est là l’objectif même de la sécurité humaine.

Lloyd Axworthy fut ministre des Affaires étrangères du

Canada de 1996 à 2000, et son rôle de leader dans le

dossier des mines terrestres lui valut une nomination

pour le prix Nobel de la paix. Il est aujourd’hui prési-

dent de l’Université de Winnipeg.

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Le Traité d’Ottawa

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Les milliers de personnes tuées ou blessées dans le monde ont incité le Canada à demander une interdiction des mines terrestres. Par Lloyd Axworthy

Signature du Traité d’Ottawa le 3 décembre 1997. De droite à gauche : le premier ministre Jean Chrétien, le secrétaire général des Nations unies Kofi Annan, le ministre des Affaires étrangères Lloyd Axworthy, le président du CICR Cornelio Sommaruga et le Prix Nobel de la paix Jody Williams.

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Un homme pieUx

Trudeau : Fils du Québec, père du CanadaTome 2 : La formation d’un homme d’État : 1944-1965par Max Nemni et Monique NemniÉditions de l’Homme, Montréal, 2011520 p., 34,95 $

Ce nouvel ouvrage de Max et Monique Nemni est le second volume d’une trilogie. Dans Les Années de jeunesse, le premier tome, les auteurs avaient choqué de nombreux lecteurs en révélant que le premier ministre Pierre Trudeau avait été, dans sa jeunesse, un ardent défenseur de la doctrine corporatiste, autoritaire et ultramontaine alors en vogue au sein de l’élite canadienne-française. Dans ce second volume, Max et Monique Nemni nous décrivent la conversion de Trudeau vers les valeurs de gauche démocratiques et antinationalistes, ainsi que sa montée en tant que personnage central de la défense du fédéralisme au Québec, avant son saut en politique fédérale, en 1965.

Nous voyons ce jeune Canadien français faire une volte-face complète dans les années 1940, au contact des penseurs et des intel-lectuels d’Harvard. Il y découvre le consti-tutionnalisme (on parlerait aujourd’hui de démocratie libérale), un concept qu’il n’avait jamais exploré auparavant. Selon les auteurs, cela expliquerait en grande partie pourquoi ses notes en sciences politiques étaient plus faibles qu’en économie : il était soudainement confronté à des concepts qui ébranlaient des idées alors profondément ancrées en lui.

Selon les auteurs, Trudeau, après cette « illumination politique », a commencé à se préparer à son rôle d’homme d’État. Toutes ses actions, même si elles nous ont parfois paru téméraires, doivent être interprétées dans ce contexte particulier.

De façon générale, le tome 2 est très bien documenté et même réellement pas-

sionnant. On y découvre le côté religieux de Trudeau, à ma grande surprise. Je savais qu’il était catholique et qu’il prenait la reli-gion au sérieux, mais je ne me doutais pas qu’il s’en remettait aux autorités de l’Église à de nombreux égards, « au point de demander la permission de lire des livres interdits figurant à l’index (Index Librorum Prohibito-rum). » Les auteurs précisent qu’à l’âge de trente et un ans, alors qu’il travaillait pour le Conseil privé, il demanda à monseigneur Vachon, archevêque d’Ottawa, la permis-sion de lire diverses publications interdites : « L’état de grâce me protégera des dangers dénoncés par le Saint-Père et la Sacrée Congrégation de l’Index… »

De telles paroles, venant d’un Québé-cois qui a connu la Révolution tranquille et qui a été témoin du déclin de l’Église, contribuent à faire de Trudeau un person-nage très particulier. Elles nous rappellent également qu’il a grandi dans un Québec très différent de ce qu’il est aujourd’hui. Le passé est, en effet, un pays étranger et, pourtant, les auteurs ne semblent voir aucune contradiction entre cette servitude devant les règles du Vatican et l’importance qu’accordait notre héros aux libertés per-sonnelles, un sujet sur lequel il a d’ailleurs abondamment écrit.

Et voilà où le bât blesse : si l’on se fie aux auteurs, Pierre Elliott Trudeau est un personnage quasi messianique. Il n’a jamais tort, et ceux qui osent le contredire ou le critiquer sont des séparatistes (il y en avait beaucoup), des gens qui ont des préjugés à son égard (le journaliste et politicien André Laurendeau) ou qui sont aveuglés par l’antipathie qu’ils ressentent pour lui (le jour-naliste et futur chef du Parti libéral du Qué-bec, Claude Ryan), des gens qui le haïssent de façon obsessionnelle (l’historien Michel Brunet), qui lui en veulent personnellement (la féministe et sénatrice Thérèse Casgrain) ou des gens souffrant carrément de maladie mentale (l’auteur Hubert Aquin).

Et, bien sûr, le héros est toujours présent là où il faut. Par exemple, on a toujours cru qu’un accident de ski avait empêché Trudeau de participer à la grève à Radio-Canada en 1958. Mais, selon les

Nemni, Trudeau y a pris part : il a même assisté à un concert pour les grévistes et, à une autre occasion, a fait la fête en leur compagnie jusqu’à six heures du matin… pour ensuite prendre le premier vol en direction de l’Asie. Peut-on parler d’un véri-table engagement?

Trudeau : La formation d’un homme d’État est une biographie agréable à lire sur un personnage historique d’envergure, mais elle tourne parfois à l’hagiographie.

Critique d’André Pelchat, auteur pigiste et conféren-

cier à L’Avenir (Québec).

FondateUr et visionnaire

Le Rêve de Champlainpar David Hackett FischerBoréal, Montréal, 20111008 p., 44,95 $

Dans cet imposant ouvrage, David Hackett Fischer propose une biographie de Samuel de Champlain (vers 1570–1635), certaine-ment la plus complète à ce jour. Le Rêve de Champlain porte évidemment sur ce grand navigateur et explorateur, le fondateur de la ville de Québec, qui a fêté son 400e anni-versaire en 2008.

Fischer, gagnant du prix Pulitzer pour son ouvrage Washington’s Crossing, publié en 2004, essaie de déterminer qui était Champlain et ce qu’il a fait en adoptant une approche exhaustive et empreinte de générosité. Dans cet ouvrage volumineux, contenant de nombreuses annexes, Fischer présente Samuel de Champlain comme un visionnaire irrésistible qui a non seulement été le père du Canada français, mais égale-ment l’inspiration derrière le développe-ment de l’Amérique du Nord française, où éthique et humanisme ont joué un rôle déterminant.

LECTURES

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Fischer situe son œuvre entre les deux pôles qui servent généralement à décrire ce personnage. Il cherche à compren-dre Champlain dans ce contexte et nous fournit de précieux renseignements sur ses origines, ses premières expériences et sa situation en tant que représentant des pouvoirs commerciaux et religieux, mais surtout des pouvoirs royaux, dans cette nouvelle colonie, la Nouvelle-France.

Pour Fischer, Champlain était un homme pacifique, à l’image des gens de son pays de Saintonge, sur la côte ouest de la France. Il grandit dans un univers dominé par l’océan Atlantique : il connaissait bien les ports français et espagnols et acquit une grande connaissance du Nouveau Monde au contact de marins anglais, hollandais, portugais et castillans. Champlain façonna ses propres techniques, en tant que navi-gateur et leader du Nouveau Monde, en s’inspirant de ces rencontres.

En plus de ses grands talents de navi-gateur (Champlain réussit plus de vingt-cinq traversées, souvent très rapides, de l’Atlantique, sans perdre un seul navire), Champlain représente le visage humain, tolérant et pluraliste du colonialisme, dans cette région du nord de l’Amérique du Nord. Ce n’est pas une idée nouvelle : John Saul, dans ses Réflexions d’un frère siamois (1998), décrit le concept d’une dynamique est-ouest reposant sur la tolérance et l’inclusion qui serait au cœur de l’expérience canadienne. Saul attribue cette dynamique à Champlain, comme le laissent supposer ses descriptions de la « tabagie », ou les rassem-blements de Montagnais, d’Algonquins et de Français sur la plage de Tadoussac, en 1603.

Fischer, qui décrit ces réunions de Tadous-sac comme le « siège de la nation », poursuit son développement en représentant Cham-plain comme un bâtisseur de nation tolérant, éclairé et doté d’une véritable vision. Cham-plain respectait ses homologues autochtones et voulait tisser des liens plus serrés entre ces derniers et les Français. Il savait s’imposer lorsque cela était nécessaire, mais n’agissait pas de façon arbitraire. Il déclencha des guerres, comme la campagne de 1609 contre les Mohawks, mais mena également de bril-

lantes négociations, comme la capitulation pacifique de la colonie de Québec en 1629. Il s’employait à condamner les abus dont étaient victimes les Autochtones aux mains des Français, mais également à adoucir les mœurs de certaines tribus autochtones, qui comprenaient parfois la torture et le canni-balisme rituel.

Cet ouvrage complet de Fischer, agrémenté de cartes, de tableaux et d’illustrations, brosse un portrait convain-cant d’un leader colonial idéal qui, ayant été témoin des brutalités de l’Inquisition en Nouvelle-Espagne, alors qu’il n’était qu’un jeune marin, s’est engagé à donner aux populations du Nouveau Monde un meilleur exemple de ce qu’est le gouverne-ment. Ce livre décrit les débuts solides, mais cependant tardifs, de la colonisation française qui, malheureusement, verra son avenir compromis.

Bien sûr, le rêve de Champlain est aussi le rêve canadien, celui d’une vision est-ouest pluraliste, tolérante, juste et multi-lingue. Fischer alimente par cet ouvrage l’imaginaire canadien et rend un superbe hommage à un de nos héros préférés, qua-tre fois centenaire.

Critique de Peter Goddard, qui a écrit sur les mission-

naires qui ont accompagné Samuel de Champlain en

Nouvelle-France.

vie de rebelle

Marie-Anne : La vie extraordinaire de la grand-mère de Louis Rielpar Maggie SigginsSeptentrion, Québec, 2011288 p., 27,95 $

Maggie Siggins a découvert l’histoire remarquable de Marie-Anne Lag i-modière, la grand-mère maternelle

de Louis Riel, alors qu’elle effectuait des recherches pour sa biographie à succès parue en 1997, Riel : Une vie de révolution. Sa source principale est une obscure publication de la Histori-cal and Scientific Society of Manitoba, intitulée The First Canadian Woman in the Northwest, or the Story of Marie Anne Gaboury, Wife of John Baptiste Lajimo-niere Who Arrived in the Northwest in 1807, and Died at St. Boniface at the Age of 96 years.

Maggie Siggins voulait décrire la personnalité de la grand-mère de Riel et, dans Marie-Anne, le lecteur découvre rapidement qu’elle était une véritable pionnière à l’esprit rebelle. L’auteure a réalisé plusieurs voyages, suivant de très près le chemin de portage emprunté par son héroïne au tournant du XIXe siècle, et qui lui a fait traverser le Québec, la vallée de la rivière Rouge et le Nord-Ouest.

En 1806, à l’âge de vingt-cinq ans, la belle bourgeoise Marie-Anne Gaboury, sur le point d’être reléguée au rang des vieilles f illes, rencontre Jean-Baptiste Lagimodière et tombe amoureuse de ce trappeur, vêtu des frustes vêtements de l’époque. Il était retourné dans son village natal du Québec et avait été invité à parler de ses aventures à l’école locale.

Après de courtes fréquentations et un extravagant mariage à la mode canadienne-française, Marie-Anne décida de suivre son mari vers l’Ouest, un voyage de 2800 kilomètres en canot. Cette décision choqua Lagimodière presque autant que sa propre famille.

Le dernier livre de Maggie Sig-gins est loin de la description linéaire de la vie des pionniers : il regorge d’anecdotes savoureuses et parfois amusantes. Par exemple, elle reprend la bénédiction du prêtre lors des mariages canadiens-français de cette époque, qui commence comme ceci : « N’oubliez pas que votre lit nuptial sera un jour votre lit mortuaire… »

Cette biographie, qui compte peu

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de sources primaires, propose de nom-breux faits historiques bien connus, par exemple l’importance du castor, « l’or noir » des débuts du Canada, et de nombreuses descriptions des guerres tribales. Cependant, l’auteure offre au lecteur des petits bijoux qui redonnent vie à l’époque. Elle décrit avec force détails la vie d’un voyageur et com-ment la courageuse Marie-Anne survé-cut aux conditions de voyage pénibles du XIXe siècle.

À Fort Pembina, maintenant situé dans le Dakota du Nord, Marie-Anne découvre la chasse au bison. Elle apprend les langues crie et ojibwée, et est presque empoisonnée par la « femme de campagne » de son mari, une femme crie qui a vu naître ses enfants. Marie-Anne donna naissance à Reine, le premier de huit enfants, avec l’aide de sages-femmes autochtones. L’auteure donne au lecteur une bonne idée de l’époque en décrivant les jou-ets accrochés au berceau des enfants, notamment une tête de canard séchée et une mâchoire d’écureuil.

Dans ce riche mélange de person-nages et de politique, il nous arrive de perdre Marie-Anne de vue. Mag-gie Siggins demeure vague lorsqu’elle explique que Louis Riel, qui aurait eu trente-quatre ans au moment du décès de Marie-Anne, était « un de ses petits-f ils préférés ». L’auteure ne propose aucune analyse de leur relation et ne nous permet pas de saisir la nature de leurs liens. La mère de Riel, Julie, est à peine mentionnée.

Maggie Siggins aurait pu ajouter quelques détails fascinants, notamment cette histoire bien connue de Marie-Anne qui assista à une nuit d’ivrognerie à Fort William, un événement qui a sans doute influé sur la position adoptée par Louis Riel contre l’alcool.

Sous la plume colorée de Maggie Sigg ins, Marie-Anne reste un dérivé passionnant de Riel et une lecture fort intéressante sur une aventurière et pionnière canadienne du XIXe siècle.

Critique d’Anne  Cimon, auteure de la biographie

Susanna Moodie : Pioneer Author.

Une rencontre inoUbliable 

La Vérité sur la bataille des plaines d’Abrahampar D. Peter MacLeodÉditions de l’Homme, Montréal, 2008496 p., 34,95 $

La phrase f igurant sur la couverture du nouveau livre de D. Peter MacLeod, « Les huit minutes de tirs d’artillerie qui ont façonné un continent », est sans doute volontairement trompeuse.

D. Peter MacLeod, l’historien spé-cialiste de la période pré-Confédéra-tion du Musée canadien de la guerre à Ottawa, sait très bien que le siège de Québec a duré plus de huit minutes, et qu’il est le point culminant d’une campagne de plusieurs mois marquée par des combats brutaux dans toute la région du Saint-Laurent, de Montréal jusqu’au golfe du Saint-Laurent, et bien au-delà.

Tous ceux qui connaissent un peu l’histoire du Canada savent quelles sont les grandes lignes de la bataille de Qué-bec. D’un côté, il y avait Louis-Joseph de Montcalm-Gozon, marquis de Saint-Véran, le commandant suprême des forces françaises en Amérique du Nord, convaincu que ce Gibraltar du Nouveau Monde ne pourrait jamais être pris. De l’autre, l’impitoyable, mais très efficace général britannique James Peter Wolfe, l’homme qui avait réussi à prendre la forteresse de Louis-bourg et à faire entrer ses troupes par la « porte arrière » de Québec, pour mourir au moment de sa plus grande

victoire. Ce terrible conflit emportera les deux hommes et, même 250 ans plus tard, il continue de provoquer des émotions intenses, tant du côté franco-phone qu’anglophone.

Tout cela est vrai, mais ce n’est qu’une petite partie de l’histoire. D. Peter MacLeod sait que les faits sont plus complexes, et qu’ils font intervenir des gens ordinaires, qui se sont retrouvés au cœur de ce grand événement de notre histoire.

Ce sont ces nombreux f ils nar-ratifs, tissés par l'auteur avec adresse, qui font de La Vérité sur la bataille des plaines d’Abraham un ouvrage si agré-able à lire.

Prenons, par exemple, l’histoire de ce commis anonyme qui travaillait pendant le siège au Magasin du Roy de Québec (l’entrepôt royal) et veillait à ce que les troupes françaises ne man-quent de rien pour gagner la guerre. À partir de son journal anonyme, D. Peter MacLeod nous raconte cette guerre à travers les yeux d’un fonctionnaire frus-tré; nous sommes tous interpellés par sa description de l’ineptie des bureau-crates et des chefs de l’époque qui ne pouvait mener les troupes françaises qu’à la défaite.

Nous découvrons également Wil-liam Hunter, un marin britannique qui espérait faire avancer sa carrière en accompagnant Wolfe lors de son assaut sur Québec.

L’auteur fouille dans les registres, les journaux intimes et les dossiers offi-ciels pour trouver des récits qui don-nent un visage humain à cette bataille. Ce sont ces petites « tranches de vie » qui nous rappellent que les guerres ne sont pas gagnées ou perdues par les seuls généraux, mais aussi par les troupes sur le terrain, les marins sur leurs navires et les milliers d’acteurs anonymes qui participent indirecte-ment à la bataille.

Peu après la publication de ce livre, on a annulé une reconstitution du siège de Québec, prévue depuis longtemps.

LECTURES

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Cet événement devait coïncider avec le 250e anniversaire de la bataille, en sep-tembre 2009.

Ceux qui ont lutté pour l’annulation de cette reconstitution historique auraient sans doute souhaité que l’on oublie également le conflit. Il serait utile aux deux parties de ce débat de lire ce livre, ne serait-ce que pour se rappeler qu’il y a bien plus, derrière notre histoire commune (dont le siège de Québec fait partie) que le résultat final.

Critique de Mark Reid, rédacteur en chef d’Histoire

Canada.

deUx hommes de principe

Louis-Hippolyte LaFontaine et Robert Baldwinpar John SaulBoréal, Montréal, 2011252 p., 19,95 $

L’éditeur en chef de la collection Extraor-dinary Canadians, chez Penguin, nous propose un récit passionnant qui jette un nouvel éclairage sur certains de nos personnages historiques les mieux con-nus. Doit-on s’en étonner? L’ouvrage de John Saul, Louis-Hippolyte LaFontaine et Robert Baldwin, atteint certainement son objectif.

À deux occasions au moins, John Saul affirme que LaFontaine et Baldwin, les pères fondateurs du système gouverne-mental canadien, furent les pionniers d’une politique axée sur la retenue et la résolution pacifique des conflits, ouvrant la voie à de grands leaders, comme M. K. Gandhi et Nelson Mandela. Ses argu-ments sont convaincants, mais tellement contraires à l’idée que l’on se fait de la place du Canada dans l’histoire, qu’ils

nous paraissent difficiles à croire.La plupart des élèves du secondaire

se souviennent vaguement du gouverne-ment responsable, un concept qui reflète le côté discret de notre histoire, truffée de paperasse et de déclarations constitu-tionnelles, mais totalement dépourvue d’audace et d’effusions de sang. Saul s’emploie à présenter aux Canadiens les personnages qui ont façonné cette période pivot de notre histoire d’une « manière nouvelle et inattendue ».

Son récit est plein de rebondisse-ments dramatiques. Le premier chapitre commence par une description de LaFontaine et de Baldwin qui attendent impatiemment l’arrivée de Lord Elgin, chargé de donner son assentiment à un projet de loi controversé venant tout juste d’être adopté par le premier Parle-ment démocratiquement élu du Canada. Les émeutiers, qui envahissent les rues de Montréal, s’en prennent à l’attelage du gouverneur général et lui lancent des œufs et des pierres.

Est-ce qu’Elgin — et l’Angleterre — tournera le dos au Parlement colonial? John Saul étudie les événements qui mènent à ce moment phare : les rébel-lions de 1837, le Pacte de famille, la clique du Château, le rapport de Lord Durham, l’Acte d’Union et la lutte pour une démocratie canadienne.

Ce livre suit plus particulièrement les vies parallèles de deux hommes de principe canadiens, un anglophone, un francophone, qui grandirent au cours d’une période mouvementée sur les plans politique et économique, période qui a influencé leur pensée ainsi que leur passion pour la justice et l’égalité. Tous deux en vinrent aux mêmes conclusions et entreprirent une carrière politique, à titre de réformateurs. Ils étaient détermi-nés à créer une version toute canadienne d’une nouvelle tendance mondiale axée sur la représentation populaire et l’imputabilité.

Ils devinrent des amis et survécurent à d’incroyables rebondissements élector-aux, notamment les campagnes (difficiles

à imaginer, mais néanmoins réussies) qui menèrent à l’élection de LaFontaine à Toronto, en 1841, et de Baldwin à Rimous-ki, au Québec, deux ans plus tard. Enfin, ils obtinrent la majorité des sièges lors des élections de 1848, et ce fut le début de leur « grand ministère ».

Les lecteurs qui connaissent Mon pays métis, publié par John Saul en 2008, recon-naîtront la passion qui habite l’auteur lorsqu’il décrit les réalisations de ces hommes et leur rôle dans l’établissement des fondations de la plupart des structures de gouvernance moderne du Canada. En effet, les percées qu’ils ont réalisées en trois courtes années solidifieront notre système de démocratie parlementaire, notre appareil judiciaire et nos établisse-ments d’enseignement laïques, lanceront la construction des routes et chemins de fer du pays, annuleront les restrictions frappant le commerce dans les colonies et donneront naissance au bilinguisme.

LaFontaine était convaincu que le sys-tème parlementaire britannique serait plus efficace pour protéger les aspirations cul-turelles des Canadiens français à l’intérieur d’un Canada uni, et Baldwin insistait sur l’importance de la justice et de l’égalité envers les populations francophones pour préserver l’union du Canada. Ces deux hommes étaient des visionnaires, mais leurs idées étaient peu populaires dans leurs communautés respectives. Le fait qu’ils aient réussi à guider notre jeune nation dans cette voie est véritablement remarquable. Qu’ils y soient parvenus sans recourir à la force une seule fois est encore plus extraordinaire.

Précurseurs de Gandhi et de Mandela? Cela paraît incroyable, mais c’est précisé-ment l’argument que veut faire ressortir ce livre. L’auteur condense deux vies complexes en trois cents pages, mais son texte ne se limite pas à une agréable lec-ture; il devient une source d’inspiration, tout comme ces deux personnages histo-riques l’ont été à leur époque.

Critique de Deborah Morrison, éditrice, présidente et

directrice générale d’Histoire Canada.

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Sur les traces d’Emily

Ébranlée. C’est ainsi que je me suis sentie la première fois que j’ai vu une œuvre d’Emily Carr, dans une

galerie. La peinture représentait une scène de forêt tourmentée, ou un « portrait » d’arbres, comme elle se plaisait à les appeler. Pendant quelques secondes, les vents qui balayaient les larges branches du pin sont sortis de leur cadre et sont venus souffler à mes oreilles et dans mon cou, me faisant vivre une expérience d’une grande intensité. Lorsque j’ai repris mon souffle, j’ai décidé de passer une journée en Colombie-Britannique pour retrouver le lieu qui avait inspiré Emily avec tant de force.

L’été dernier, j’ai finalement eu l’occasion de visiter la côte ouest et, même si je n’ai pas atteint les forêts éloignées peintes par Emily (c’est l’objectif de mon prochain voyage), j’ai quand même mis le pied sur l’île de Vancou-

ver, où j’ai eu le plaisir d’admirer certaines des œuvres les plus envoûtantes de cette grande artiste canadienne, et de découvrir sa vie et son esprit.

La ville de Victoria, où est née Emily, semblait livrer un témoignage d’amour à son enfant chérie lorsque je m’y suis rendue, au mois de juin dernier. L’année d’avant, ses admirateurs avaient dévoilé une statue d’Emily Carr, à Inner Harbour, à l’angle nord-est des rues Belleville et Govern-ment, devant le fameux Empress Hotel. L’œuvre de la sculptrice d’Edmonton Barbara Paterson représente Emily dans ses dernières années, un carnet de croquis sur les genoux, son singe Woo sur l’épaule et son chien Billie à ses côtés.

Tout près, une affiche géante représen-tant une Emily plus jeune recouvrait un mur du Royal BC Museum. L’exposition

The Other Emily offrait un intrigant regard sur la jeunesse fascinante d’Emily et sur certains des mystères de cette époque. On pouvait y voir de nouveaux portraits de la peintre, exécutés par l’artiste locale Manon Elder, ainsi que de nombreuses peintures et photographies d’Emily, des esquisses, des journaux personnels, des cahiers de notes, des lettres et d’autres articles tirés des archives de la province, qui possèdent une foule d’artefacts liés à sa carrière d’artiste. L’exposition s'est terminée en octobre 2011, mais il est toujours possible de voir la col-lection Carr aux Archives de la Colombie- Britannique (il faut toutefois s’inscrire à l’avance) ou d’admirer bon nombre de ses œuvres sur le site Web des Archives.

Pendant mon séjour à Victoria, j’ai également eu la chance de visiter une autre grande exposition consacrée à Emily à l’Art

ESCAPADE

Guylaine Spencer part à la recherche de la maison qui a tant inspiré l’artiste Emily Carr.

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La maison d’Emily Carr,

à Victoria

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Gallery of Greater Victoria. On the Edge of Nowhere tire son titre d’une description ironique que faisait Emily d’elle-même, « une petite vieille isolée, à l’extrémité de nulle part » et présente bon nombre de ses fameux paysages et de ses représentations de totems, tout en décrivant l’influence des tendances artistiques de son époque sur son œuvre. L’exposition, présentée durant trois ans, se terminera le 30 juin 2013.

J’ai également fait le pèlerinage jusqu’à la maison Emily Carr, celle où elle est née. La maison est ouverte aux visiteurs de mai à septembre. Vous découvrirez le style victorien du rez-de-chaussée, en vogue lorsqu’Emily était enfant, ainsi que de nom-breux objets qui ont appartenu à sa famille. Les conservateurs de la maison, et leurs deux chats, Misty et Whiskers, occupent l’étage du haut. Ces chats ont tout à fait leur place dans une maison où les animaux ont toujours été bien accueillis.

Dans un petit salon, j’ai regardé un document vidéo sur la vie d’Emily et sur sa carrière d’auteure. Même si elle s’est fait connaître par sa peinture, elle a amorcé, plus tard dans sa vie, un virage vers l’écriture. Elle a publié son premier livre à l’âge de 70 ans et a même gagné le Prix du Gou-verneur général pour Klee Wyck, un recueil d’esquisses littéraires sur la vie des Autoch-tones de la côte nord-ouest.

The House of All Sorts, un de ses autres ouvrages autobiographiques, s’inspire de la vie des locataires d’un immeuble d’habitation, situé juste au coin de la rue où elle a passé son enfance. La maison que j’ai visitée fut la pension d’Emily. Découragée par son incapacité à vivre de son art, Emily fit construire cette maison en 1913 et y vécut à titre de propriétaire pendant plus de vingt ans. Dans la cour arrière, elle faisait de la poterie, et élevait et vendait des chiens de berger, des griffons belges, des poules et des

lapins. L’été, elle campait dans sa cour afin de louer sa propre chambre et ainsi arrondir ses fins de mois.

Mais la véritable demeure spirituelle d’Emily à Victoria n’est pas la maison de son père, ni la pension qu’elle fit construire. C’est en fait l’espace vert que l’on retrouve juste en bas de la rue. Le parc Beacon Hill est l’endroit où elle a appris à aimer la nature. Pendant la majeure partie de sa vie, elle a dessiné et peint des scènes du parc et le détroit de Juan de Fuca qui le longe.

Par une belle journée d’été, je me suis promenée dans ce sanctuaire naturel pour y admirer ses étangs entourés de roseaux et ses petits sentiers sinueux. L’artiste aurait sans doute adoré la ferme pour enfants, où l’on retrouve une grande variété d’animaux. Si l’esprit d’Emily sur-vole encore Victoria, il s’arrête certaine-ment ici, parmi les cèdres, les érables et les sapins qu’elle aimait tant.

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Fierté méritée ?

Les Canadiens sont pour la plupart fiers de ce qu’ils ont accompli sur la scène mondiale et aiment se considérer comme des leaders

de la communauté internationale. Mais, dans les faits, ils ne déploient pas beaucoup d’efforts pour agir comme des citoyens du monde. Sur une planète où le commerce et les affaires sont de plus en plus inter-dépendants, tout comme le développement humanitaire et l’environnement, le Canada est étonnamment replié sur lui-même.

Par exemple, notre définition de la nation canadienne demeure étroite, nous sous-estimons nos expatriés et notre sys-tème d’éducation néglige de grands pans de l’histoire mondiale. Si le Canada veut maintenir sa réputation de leader interna-tional au XXIe siècle, il lui faut repenser sa façon de faire.

Nous célébrons des citoyens exem-plaires, comme John Peters Humphrey, qui a rédigé la Déclaration universelle des droits de l’homme, le premier ministre Les-ter Pearson, Prix Nobel de la paix, Stephen Lewis, un diplomate des Nations unies, Louise Arbour, procureure en chef dans le cadre de procès pour crimes de guerre internationaux, et Craig Kielburger, ardent défenseur des droits des enfants dans le monde. Ce sont quelques-uns des nom-breux Canadiens dont le leadership a eu une véritable influence sur les droits de la personne, la justice, la paix, la sécurité, la santé et les conditions sociales partout dans le monde.

Mais, en général, les 2,5 à 3 millions de Canadiens qui travaillent à l’étranger dans le cadre de projets de développement inter-national et dans d’autres domaines sont mésestimés, considérés au mieux comme des « paracitoyens », au pire comme un fardeau financier, surtout lorsqu’ils ont besoin d’aide pour quitter des zones de conflit.

Le budget que consacre le gouverne-ment du Canada à l’aide étrangère est d’environ cinq milliards de dollars par année. En plus de ces fonds, les citoyens font des dons privés, et des institutions canadiennes forment des partenariats avec des intervenants mondiaux d’importance qui, ces dernières années, ont incité les gou-vernements à tripler leurs investissements. Par exemple, le programme de santé mon-diale de la fondation Bill et Melinda Gates fait appel à l’Université du Manitoba dans le cadre de l’un des plus importants projets de recherche sur la prévention du VIH/sida dans le monde. Et un partenariat formé entre le philanthrope de Vancouver Frank Giustra et la fondation William J. Clinton permet de mener des projets de développe-ment durable en Amérique latine.

Cependant, pour bon nombre d’entre nous, ces initiatives ne sont pas réellement canadiennes. En fin de compte, nous en savons peu sur les pays où nous avons tant investi, et cela ne nous importe guère.

Dans un récent article de la Literary Review of Canada sur les expatriés canadiens, l’experte en relations internationales Jen-nifer Welsh affirme que nous nous préoc-cupons davantage de la façon dont d’autres diasporas façonnent le Canada que de la façon dont la diaspora canadienne influe sur le monde. Notre « connexion » avec le monde se réduit en fait à l’immigration, et nous nous intéressons peu aux pays d’origine de ces nouveaux citoyens. Pour nous, tout ce qui se passe hors de nos frontières ne concerne pas réellement le Canada.

Cette tendance transparaît dans notre approche de l’enseignement de l’histoire. L’histoire du monde est peu enseignée dans les écoles. Les élèves apprennent générale-ment l’histoire de l’Europe, puisqu’elle est au cœur du développement du Canada. Le Moyen-Orient et l’Asie sont relégués à

une brève exploration des « civilisations anciennes ». L’Afrique et l’Amérique du Sud, des régions où le Canada est présent depuis longtemps, sont parfois des sujets de projets dans le cadre de cours facultatifs au secondaire sur les enjeux mondiaux.

Encore faudrait-il commencer par connaître notre propre histoire, serait-on tenté d’objecter… Toutefois, selon de nom-breux historiens canadiens, une meilleure connaissance de l’histoire en général nous permettrait de mieux comprendre la place du Canada dans le monde. L’importance d’exposer nos jeunes à une perspective plus globale devient de plus en plus pressante.

Les citoyens de tous les pays sont de plus en plus mobiles. Les limites d’une nation dépassent maintenant ses frontières géographiques. La double citoyenneté, les services aux expatriés et les réseaux pro-fessionnels mondiaux en sont des signes patents. Pour de nombreuses personnes, cette « internationalisation » de nos vies et de nos expériences est une source d’enrichissement.

Les enjeux mondiaux complexes, comme l’environnement, les droits de la personne et la sécurité alimentaire, créent de nouvelles communautés d’intérêts et poussent les Canadiens à penser et à agir plus globalement afin de trouver des solu-tions utiles pour toute la planète. Nos jeunes, déjà présents dans le monde vir-tuel, sont impatients de jouer un rôle actif en tant que citoyens du monde. Mais en ce qui a trait à leur connaissance du monde, ils sont malheureusement à la remorque de leurs homologues d’autres pays. En fait, une solide connaissance de l’histoire établit des bases solides qui nous permettent d’agir efficacement sur la

scène mondiale.

Deborah Morrison est éditrice, présidente et

directrice générale d’Histoire Canada.

NOUVELLES DE LA SOCIÉTÉ

Nous devons accorder plus d’attention à notre place dans la communauté mondiale. Par Deborah Morrison

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De l’or dans les archives

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Il n’a jamais été perdu. Mais il a certaine-ment été redécouvert. Le petit carnet de notes noir dans lequel

Daniel George MacMartin, de Perth, en Ontario, a tenu son journal pendant deux mois au cours de l’été 1905, est en effet resté durant soixante ans bien rangé dans les archives de l’Université Queen de Kings-ton, en Ontario.

Presque jamais été consulté, il est soud-ain devenu célèbre, du moins dans certains cercles.

En juillet 1905, M. MacMartin était l’un des commissaires chargés de conclure un traité avec les Premières Nations du Grand Nord de l’Ontario. Pen-dant deux mois, ils voyagèrent en canot afin de rencontrer les chefs cris et ojibwés et de ratifier le Traité de la Baie James, neuvième d’une série de traités numérotés entre le gouvernement canadien et les Autochtones.

À la fin de l’été, M. MacMar-tin retourna à Perth, où il vécut la vie tranquille de shérif du comté de Lanark, sans plus jamais enten-dre parler de traités. N’étant pas un expert des questions autochtones, il prit, dans son journal, des notes très détaillées sur les négociations. Pour lui, tout était nouveau et étonnant.

Il y a quelques années, quand Google et les outils numériques permirent aux cher-cheurs de retrouver des pièces d’archives mineures, comme le journal de M. MacMar-tin, des faits nouveaux sur le Traité 9 prirent une grande importance. Le Traité 9 — trois pages ornées, présentant un texte très sim-ple — stipulait que les Premières Nations acceptaient de « céder, d’abandonner et de donner » une région du nord de l’Ontario grande comme la France et établissait le droit de la Couronne de s’approprier ce ter-ritoire, tout en soulignant l’obligation pour

les Autochtones d’obtempérer. Mais les chefs cris et ojibwés des terres

visées par ce traité ont toujours nié que leurs grands-pères aient accepté ces condi-tions. Dernièrement, les juges ont recon-nu qu’ils avaient sans doute raison et ont déclaré que le libellé des traités devait être révisé à la lumière de ce que l’on savait sur ce qui s’était réellement dit lors des négo-ciations.

Soudain, le carnet de M. MacMar-tin s'est mis à intéresser des chefs des Premières Nations, des avocats en droit autochtone, des chercheurs en revendica-

tions territoriales et des historiens. Dans un ouvrage intitulé Treaty No. 9, le professeur John Long, de l’Université de Nipissing, à North Bay, en Ontario, qualifie ce journal de « filon principal ».

Les notes de M. MacMartin indiquent que les commissaires n’ont jamais précisé aux chefs cris et ojibwés qu’ils devaient abandonner leurs terres. En outre, ils leur auraient promis qu’elles continueraient de leur appartenir et qu’ils ne seraient jamais confinés dans des réserves. Avec de telles preuves, les tribunaux et les négociateurs de traités pourraient fort bien aboutir à une nouvelle version du Traité 9, plus axée sur le partage que sur la renonciation.

Pour moi, cette histoire illustre bien la magie des archives, de vieux documents

bien protégés qui prennent soudain tout leur sens.

Aujourd’hui, cette magie est menacée. Les archives ont déjà été des lieux « histo-riques », gérés par des archivistes également historiens. De nos jours, les archivistes sont des scientifiques de l’information de haut niveau, devant répondre à des besoins cou-rants avant de préserver l’histoire. Ils sont souvent appelés à gérer les dossiers de leurs employeurs plutôt qu’à protéger les traces d’un passé obscur.

À Ottawa, la coalition Sauvons Biblio-thèque et Archives Canada exprime son

inquiétude à l’égard des archives principales du Canada. Ses mem-bres se plaignent des réductions de service, des restrictions budgé-taires et de la décentralisation des archives nationales. Ils craignent également qu’elles perdent leur mandat de préservation. Ils soulig-nent que Daniel Caron, directeur de Bibliothèque et Archives Can-ada (BAC), a récemment déclaré que le rôle principal de BAC « con-siste essentiellement à administrer

les dépôts légaux et à préserver les docu-ments du gouvernement fédéral ».

Il faut certes gérer la paperasse fédérale. Mais si BAC et d’autres archives officielles ne sont plus que des gestionnaires de docu-ments pour la fonction publique, alors qui protégera notre patrimoine documentaire?

Le carnet de M. MacMartin (qui ne s’est jamais retrouvé à BAC) est tout à fait le type de manuscrit privé qui ne fait plus partie du mandat des grandes archives pub-liques. Lorsque l’on tombera sur un autre document de ce genre, entendra-t-on les archivistes dire : « Désolé, ça ne relève pas

de nos services » ?

Vous pouvez lire les commentaires de

Christopher Moore dans chaque numéro.

CHRISTOPHER MOORE

Nous nous préoccupons fort peu de ce que contiennent les archives de notre pays… à tort.

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Signature du Traité de la Baie James à Fort Albany, en Ontario, en 1905.

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ALBUM

Rien ne se perd...

Les Canadiens ont toujours été vaillants, comme le montre cette photo des années 1920, représentant Alfred Mueller

Rasmussen sur son lieu de travail, l’atelier de réparations OK.M. Rasmussen travailla dans son atelier, à Lethbridge, en

Alberta, jusqu’à sa mort, en 1939. Il était le réparateur officiel des vélos CCM, mais pouvait aussi redonner vie à tout ce qu’on lui confiait : gramophone, appareil photo, jouet, raquette de tennis…

Rien n’était perdu dans son atelier. Si une pièce ne servait

pas immédiatement, elle était soigneusement conservée. Il lui arrivait même de construire un nouvel objet avec ces pièces détachées.

Quand on ne pouvait le payer comptant, l’argent étant rare à l’époque, M. Rasmussen acceptait de la nourriture ou d’autres objets en échange de son travail. En plus d’être réparateur, il se produisait comme magicien lors d’événements spéciaux pour quelques sous, ou même gratuitement.

Avez-vous une vieille photo témoignant d’un moment, important ou pas, de l’histoire canadienne? Si vous voulez nous la proposer pour une possible publication, faites-en une copie (n’envoyez pas d'originaux) et postez-la à la rubrique « Album » à l’attention de : Histoire Canada, Bryce Hall, rez-de-chaussée, 515, avenue Portage, Winnipeg, Manitoba R3B 2E9, ou par courriel à [email protected]. Rédigez une courte description de votre photo, avec la date et le lieu. Si possible, fournissez-nous de l’information concernant le sujet de la photo et indiquez le nom des personnes qui y figurent. Si vous désirez que l’on vous renvoie votre document, veuillez inclure une enveloppe-réponse affranchie.

Photographie fournie par M. Fred Holberton, de Calgary, gendre d’Alfred Rasmussen. Texte de Beverley Tallon.

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