histoire de la médecine au maroc antique. [antique moroccan

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Histoire de la médecine au Maroc antique par B. BELKAMEL ** INTRODUCTION La médecine naturelle a commencé en même temps que l'Humanité dans tous les pays. Elle a été en usage de tous temps, ce qui a fait dire à Pline l'Ancien (naturaliste latin du 1er siècle av.J.C.) cité par Cumston : "S'il y a eu des peuples n'ayant pas de médecins, ils n'en avaient pas moins une médecine" (1). La difficulté consiste à déterminer l'époque où la médecine, considérée comme un art ou une science, a fait son apparition au Maroc antique. Celle-ci peut se définir comme étant l'époque où les hommes ont eu, ou cru avoir, une collection suffisante de descriptions de cas de maladies, de remèdes et de moyens de guérison pour chercher à en dégager des règles de santé et de traitement, que ces règles fussent fausses ou vraies, bonnes ou mauvaises. Nous ne saurions citer précisément toutes les phases, car nous ne possédons que peu de renseignements sur les débuts de la médecine au Maroc antique. Des découvertes pourront à l'avenir venir ajouter à notre connaissance ou la modifier complètement. Nous donnons à ce travail d'ensemble un plan élémentaire qui est le suivant : I. Phase préhistorique II. Phase historique : 1) Pré-romaine 2) Romaine et tardive. I. La phase préhistorique Les squelettes sont les éléments majeurs et bien souvent exclusifs de la connaissan- ce en paléopathologie. Ils existent sur un grand nombre de sites, mais ils ne couvrent pas tous les âges car, à mesure qu'on remonte les millénaires, ces vestiges humains se font de plus en plus rares ; ils sont même inexistants pour certaines périodes (2) * Communication présentée à la séance du 28 mars 1992 de la Société française d'Histoire de la Médecine consacrée à l'Histoire de la Médecine au Maroc. ** Département d'Histoire, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Université Mohamed V, Rabat, Maroc. HISTOIRE DES SCIENCES MÉDICALES - TOME XXVI - № 4 - 1992 271

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Page 1: Histoire de la médecine au Maroc antique. [Antique Moroccan

Histoire de la médecine au Maroc antique

par B. BELKAMEL **

I N T R O D U C T I O N

La médec ine naturel le a c o m m e n c é en m ê m e temps que l 'Humani té dans tous les

pays . El le a été en usage de tous t emps , ce qui a fait dire à Pline l 'Ancien (naturaliste

latin du 1er siècle av.J.C.) cité par Cumston : "S'il y a eu des peuples n 'ayant pas de

médec ins , ils n 'en avaient pas moins une m é d e c i n e " (1).

La difficulté consiste à déterminer l 'époque où la médec ine , considérée c o m m e un art ou une sc ience , a fait son appar i t ion au M a r o c an t ique . Cel le -c i peut se définir c o m m e étant l 'époque où les h o m m e s ont eu, ou cru avoir, une collect ion suffisante de descript ions de cas de maladies , de remèdes et de moyens de guérison pour chercher à en dégager des règles de santé et de trai tement, que ces règles fussent fausses ou vraies , bonnes ou mauvaises .

Nous ne saurions citer préc isément toutes les phases , car nous ne possédons que peu de rense ignements sur les débuts de la médec ine au Maroc ant ique. Des découver tes pourront à l 'avenir venir ajouter à notre connaissance ou la modifier complè tement .

Nous donnons à ce travail d 'ensemble un plan é lémentaire qui est le suivant :

I. Phase préhistor ique

II. Phase his tor ique :

1) Pré- romaine

2) Roma ine et tardive.

I. La phase préhistorique

Les squelettes sont les é léments majeurs et bien souvent exclusifs de la connaissan­ce en paléopathologie . Ils existent sur un grand n o m b r e de sites, mais ils ne couvrent

pas tous les âges car, à mesure qu 'on remonte les mil lénaires , ces vest iges humains se font de plus en plus rares ; ils sont m ê m e inexistants pour certaines périodes (2)

* Communication présentée à la séance du 28 mars 1992 de la Société française d'Histoire de la Médecine consacrée à l'Histoire de la Médecine au Maroc.

** Département d'Histoire, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Université Mohamed V, Rabat, Maroc.

HISTOIRE DES SCIENCES MÉDICALES - TOME XXVI - № 4 - 1992 271

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Ainsi , les maigres restes des t emps paléol i thiques marocains ne nous permet tent pas d 'avancer des hypothèses probantes sur l'état sanitaire de la société à cette époque .

O n peut supposer qu 'une médec ine rudimenta i re s'est établie du j ou r où l 'homme préhis tor ique a c o m m e n c é à réagir contre les changements a tmosphér iques ; de là ont

dû venir ses premières not ions d 'hygiène et ses premières prat iques curat ives (1). Ces efforts, selon Saintyves (3), n 'ont p resque aucun besoin d'être dir igés. Fauvet (4), de son

côté , assure que le primitif avec son habileté manue l le est capable de faire correctemenl des choses assez difficiles : réduct ions , cautérisat ions, voire m ê m e amputat ions .

Les squelettes exposés au M u s é e archéologique de Rabat nous montrent , d 'une part, les diverses muti lat ions ri tuelles, et d'autre part nous révèlent les compétences de l 'hom­m e préhistorique. Les primitifs actuels , qui par leur habitat , leur a rmement , leur art en

sont encore à l'âge de pierre, nous laissent aussi deviner c o m m e n t était la médec ine pré­

historique au Maroc . D 'une façon générale , pour tout primitif, la maladie et la mor t ne sont pas des faits no rmaux : elles sont dues à l ' intervention de forces occul tes , d'esprits, de démons qu'il faut chasser par des paroles mag iques , ou dont il faut se préserver par

des amulet tes et des ta touages (4).

Les d iverses mut i la t ions é ta ient-e l les faites par des p rê t res -médec ins ou par des

médec ins sorciers ? Les études spécial isées révéleront p robablement des données nou­

velles sur ces prat iciens. Pour le moment , on peut dire que ces opérateurs étaient doués

d'une habileté remarquable , m ê m e si leurs prat iques se rat tachaient à la mag ie .

Peut -on faire des dist inct ions entre les diverses prat iques préhis tor iques ? A vrai dire les prat iques ne se sont pas succédées ne t tement ; la magie n'a pas cédé la place à la médec ine rat ionnelle : on re t rouve des prat iques magico-médic ina les à des époques

h i s t o r i q u e s . Il y ava i t auss i de s o p é r a t i o n s ch i ru rg i ca l e s r éus s i e s fai tes d u r a n t les

époques immémor ia les .

Le gisement épipaléol i thique de Taforalt, dans le Maroc Oriental , est le lieu de ces opérat ions mil lénaires réussies , ce g isement datant d'à peu près 10 000 ans. Les fouilles dans ce point ont livré les restes d'au moins 80 adul tes , 6 adolescents et 100 enfants. Et sur 86 squelettes d'adultes et d 'adolescents , 52 étaient pa thologiques , dont 32 atteints de spondylose , et 20 par diverses autres maladies (5). La spondylose est favorisée par les t roubles s tat iques qu ' engendre le séden ta r i sme et en par t icul ier l 'abus de la posi t ion assise. Les mêmes chercheurs déclarent que Taforalt consti tuait un isolât endogame . Ce petit g roupe ibéro-maurusien a m e n é une vie paisible, ne chassai t que peu et se nourr is­sait pour beaucoup d'escargots.

Les détails pathologiques importants signalés dans ce site sont : deux trépanat ions

crâniennes, l 'une complè te et l 'autre incomplè te , et un squelette de f emme polytraumat i ­

sée.

Les exemples de t répanat ion sont connus ; celle-ci était pra t iquée antér ieurement aux temps dits "néol i th iques" ; les h o m m e s de Taforalt savaient ouvrir un crâne au lieu d'élection, et avec assez d'adresse pour que le sujet survive et répare les bords de l'orifi­ce. En second lieu, ces gens n'étaient pas des brutes inintel l igentes, car l 'ouverture crâ­n ienne suppose une réflexion déjà é laborée, et l 'existence entre l 'opérateur et le patient de rapport de consentement ou de subordinat ion. Les préhistoriens maroca ins affirment que la t répanation crânienne de Taforalt était pra t iquée sans anesthésie. Ceci est bien

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entendu à p rendre au condi t ionnel , car nous ne savons pas s'ils n 'ut i l isaient pas des

plantes à vertu sédative ou antalgique.

Quant aux buts de la t répanation, les hypothèses se scindent en trois catégories : les

unes leur donnent un caractère myst ique , les autres une finalité thérapeut ique, et la der­

nière hypothèse adjoint les deux catégories à la fois (6). Depuis cette lointaine t répana­

tion de Taforalt, qui est la plus ancienne à notre connaissance, la tradit ion chirurgicale a

connu un essor considérable aux époques suivantes , néol i th iques et protohis tor iques .

El le s'est ma in tenue dans d'autres rég ions d'Afrique du Nord , en part iculier chez les

Chaouias de l 'Aurès algérien (7). Les praticiens de ces diverses opérat ions, d 'après les

vest iges archéologiques exposés au M u s é e de Rabat , disposaient de peu de matér iaux

pour intervenir. Parmi leurs ins t ruments : un éclat d 'obsidienne tranchant, une dent de

requin , une coqui l le a igu isée . Les rac loi rs et les cou teaux de si lex des néo l i th iques

étaient aussi de bons instruments .

Le second point important re levé à Taforalt est le squelette de la femme poly t rauma­

tisée, et c'est encore Das tugue qui décrit le cas en détail (5). El le était atteinte d 'une

fracture de la clavicule et des deux avant-bras . El le a pu survivre assez longtemps à ses

b lessures pour consol ider ses fractures et ensui te déve lopper une ar throse cervicale .

D'après Das tugue , la survie prolongée de cette blessée suppose non seulement qu 'on ne

l'a pas suppr imée c o m m e bouche inutile, mais encore qu 'on l'a soignée et assistée pen­

dant longtemps , signe de solidarité tribale ou familiale déjà bien développée au Maroc

préhistor ique.

II. La phase pré-romaine et romaine

Les au teurs c lass iques nous a ident à r econs t i tue r l 'his toire de la m é d e c i n e p ré ­

romaine au Maroc . Le plus ancien fut Hérodote (auteur grec du Ve siècle av. J .C.) , cité

par Neveu (8), qui assure que les Libyens sont les plus sains des h o m m e s qui lui soient

connus . Il les classe m ê m e avant les Égypt iens et en parle en ces termes :

" . . .d 'a i l leurs après les Libyens , il n'y a point d 'hommes si sains et d'un t empérament

q u e les É g y p t i e n s . . . " . N o u s s avons q u e le t e r m e " l i b y e n s " s ' appl iqua i t à t ous les

peuples de l 'Afrique du Nord , depuis le delta du Nil à l'est jusqu 'au cap Spartel à l 'ouest.

Salluste (auteur latin du 1er siècle av. J.C.), éga lement cité par Neveu (8), vante lui

aussi l 'é tonnante santé des habi tants de l 'Afrique du Nord : " les h o m m e s , dit-il , sont

doués d 'une vigoureuse consti tut ion, agiles et rompus à la fatigue. Ils meurent tous de

vieil lesse, à moins que leur vie ne soit abrégée par le fer ou par les dents des an imaux,

car si la maladie les frappe rarement , en revanche , ils sont à la merci de quanti té de

bêtes ma l fa i san tes . . . "

Strabon (géographe grec du 1er siècle av. J .C.) , cité par Roget (9), avance ceci : " les

Maures (ce t e rme sert à dés igner selon les Roma ins les habi tants du Maroc ant ique,

appelés aussi Maurus iens par les Grecs) est un peuple libyen grand et r i che . . . " . Il ajou­

te : " les Maurus iens a iment beaucoup une certaine recherche. Ils tressent leurs cheveux,

leurs barbes , portent des bijoux, se soignent les dents et les ongles . Il est rare de les voir

s 'aborder dans les p romenades pour conserver intacte la belle o rdonnance de leur che­

velure" .

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Ces diverses assert ions sont, sans nul doute , fort exagérées . Il y a cer tainement eu des nonagénai res . Les inscriptions funéraires de l 'Afrique du Nord nous fournissent un grand nombre de cas de longévi té (10) , mais en cherchant dans ces documents on note la présence des décédés de tous âges et de tous sexes ; il y a m ê m e des décédés jeunes ou de bas âge. On suppose donc que la malad ie était la cause principale de leur mort , et non les guerres ou les fauves.

Contra i rement aux assert ions flatteuses, nous l isons aussi dans l'écrit h ippocrat ique rapporté par Gsell (11) ce qui suit : "parmi les Libyens habitant l ' intérieur des terres, nul ne se porte bien, vu qu'ils couchent sur des peaux de chèvre , et qu'ils n 'ont ni man­teau ni chaussures qui ne viennent de cet an imal" . Ainsi , Hippocra te contredi t les pro­pos avancés par Hérodote , Salluste et Strabon.

Hé rodo te décri t des thé rapeu th iques , ma is nous ne p o u v o n s conc lure si ces pra­t iques se l imi ten t u n i q u e m e n t aux L i b y e n s n o m a d e s à l 'est du Gol fe de G a b è s (en Tunisie) , ou concernent tous les Libyens . Il rapporte les faits suivants : " la plupart des L ibyens font ceci : lorsque leurs enfants at teignent l 'âge de quatre ans, ils leurs brûlent avec la laine grasse de mouton les veines du haut de la tête, quelques-uns m ê m e celle des t empes , afin prétendent- i ls de les préserver pour toujours des écou lements de la pituite et de leur assurer une santé parfai te" (11).

Hérodote , cité par Gsel l (11), s'est montré cependant sceptique quant au résultat de pareilles prat iques, car il ajoute ceci : "et pendant qu'ils brûlent ainsi leurs enfants, ceux-ci sont pris de convuls ions. Ils ont un remède : ils les arrosent avec de l'urine de bouc" .

Ces pra t iques par lesquel les les L ibyens pré tendaient assurer à leurs enfants une bonne santé, la médec ine indigène en faisait encore grand usage au mil ieu du X I X e siècle. D'après Tissot (12) , tous les enfants berbères portent sur le crâne des cicatrices laissées par le fer. Il note que les fers sont de différentes formes et d imens ions , qu'ils sont appl iqués en toute c i rconstance, et que la nature se charge de faire le reste.

Si ces remèdes appart iennent au règne animal (la laine de chèvre pour cautériser et p r éven i r con t re la p i tu i te , l 'ur ine d e b o u c con t r e les c o n v u l s i o n s . . . ) , il y ava i t des remèdes à base de plantes . Les Maroca ins avaient cer ta inement une connaissance fine et é tendue des plantes qui les entouraient , ainsi que de leurs propriétés . Il y avait m ê m e un traité sur la plante médic inale appelée euphorbe . Ce traité avait été rédigé par le roi érudit des deux Mauré tanies (Maroc - Algérie) Juba II (1er s. av. J.C.) (13). Il l'a écrit p robab lement en grec , qui était la langue technique de l 'époque (14). Malheureusement , l 'œuvre a disparu, ma is les données sur les bienfaits de cet te p lante sont éparpi l lées dans d ive r ses sources c l a ss iques , la p lupar t c h e z P l ine l 'Ancien dans son Histoire Naturelle (livre V, VI et X X V à XXVII ) .

Pl ine l 'Ancien affirmait que c'est Juba II l u i -même qui découvri t une plante nouvel le à l 'endroit m ê m e ou s'arrête la nature au Mont-At las , dans le territoire des Autale les (ils habitaient autrefois la région qui s'étend entre Rabat et Essaouira) . Il ajoute que c'est Juba qui lui avait donné le n o m de son médec in Euphorbus ; mais dans une autre ver­s ion , il a t t r ibue la d é c o u v e r t e au m é d e c i n (13 ) . P l ine l 'Anc i en é n u m è r e p lu s i eu r s espèces d 'euphorbes : l 'euphorbe appelé myrt i tès ou caryitès évacue la pituite et la bile par l 'intestin et guéri t les ulcères de la bouche . Sa feuille se m a n g e avec du miel contre le n o m a de la bouche . La deux ième espèce est la graine du characias qui , bouil l ie avec du miel , sert à faire des pilules laxat ives. On l ' introduit avec de la cire dans la cavi té des

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dents cariées ; son suc donné en pot ion peut provoquer des vomissements et des selles purgat ives. La t rois ième espèce est le Ti thymall is ; b royée , elle sert aussi c o m m e purga­tif. Le phi l iscopios (ou quat r ième espèce) , mé l angé avec d'autres produi ts , évacue la bile ; il a d'autres propriétés semblables à celles du characias .

Juba II a cité d'autres propriétés (15) et d 'après lui il suffisait d'en ramasser pour mieux voir. C'est aussi un r emède contre les morsures de serpents , que lque soit le lieu de la morsure : on fait une incision au sommet de la tête et on y introduit la drogue . L ' euphorbe p répa rée dans l 'eau avec un peu d e sel , a u n e ver tu l axa t ive . M ê l é e au vinaigre, elle a la propriété de réveil ler les léthargiques par a t touchements des nar ines , toujours selon Juba II.

Tant de soins par des vomitifs et des clystères ! Hérodo te n'a-t-il pas dit que les Égypt iens se purgent tous les mois pendant trois jours consécutifs ; ils prennent grand soin d'entretenir et de conserver leur santé par des vomitifs et des clystères, persuadés que tou tes les m a l a d i e s v i ennen t des a l iments q u e n o u s p r e n o n s . S é n è q u e c i té pa r Neveu (8), de son côté, assure que "de la mult ipl ici té des mets , est née la mult ipl ici té des malad ies" .

Cette plante typique qu'est l 'euphorbe a-t-elle été uti l isée après l 'époque de Juba II ?

Lec l e r c (16 , 17) dit qu ' e l l e fait pa r t i e de la m a t i è r e m é d i c a l e des G r e c s et de s Arabes , qu'el le se récolte encore au Maroc aux environs du Souss . Il l'a t rouvée dans des officines sous le n o m d 'euphorbia officinalis et elle donne un méd icament du m ê m e nom, qui se dit en berbère takart ou takoût , et en arabe farbioun. J'ai interrogé un herbo­riste sur le sujet et il m 'a affirmé que l 'euphorbia existe encore , ma is qu'elle diffère tota­lement de takaout. Cet te dernière n'est pas à redouter, elle est au contraire un bon traite­ment de la chevelure , et il m 'en fut donné un échanti l lon. Quant à l 'Euphorbion, il m 'a dit qu'el le contient du poison ; il m'a expl iqué que c'est une sorte de cactus à suc laiteux qui ne donne pas de fruits.

Les propos de Pl ine l 'Ancien relatifs à l 'euphorbe, nous permet tent de faire la dis­t i n c t i o n e n t r e le m é d e c i n du p a l a i s et l e s a u t r e s m é d e c i n s . C e q u e n o u s s a v o n s d 'Euphorbus est qu'il est issu d'une famille non romaine , qui a beaucoup servi les rois . Son frère Antonius M u s a était un médec in affranchi de l 'empereur romain Augus te . Il fut élevé grâce à ses capaci tés à la dignité d 'écuyer et comblé de r ichesse par Augus te et le Sénat romain . Il avait sa statue à R o m e à côté de celle du dieu de la santé Esculape . Ses appointements annuels se monta ient à 250 0 0 0 sesterces. En fait à R o m e , beaucoup de médec ins étaient des esclaves privi légiés, et les plus qualifiés étaient affranchis après une dizaine d 'années d 'exercice médica l .

D o n c E u p h o r b u s es t un m é d e c i n de pa la i s , d 'o r ig ine m a r o c a i n e ; son d o m a i n e débordai t sans doute de beaucoup celui de la médec ine générale , puisqu'i l a découver t p lus ieurs recet tes qui se font à part i r de l 'euphorbe. Il avait donc des conna i s sances sérieuses et fines en herbes officinales. En outre, c'est lui et son frère Antonius M u s a qui ont introduit pour la première fois la prat ique des douches d'eau froide après le bain pour "resserrer les co rps" (13).

Par a i l leurs , les ma té r i aux a rchéo log iques nous pe rmet ten t de décr i re les instru­ments utilisés durant cette phase his tor ique. Ils sont faits en bronze et on y t rouve des sondes à bout en forme d'olive, util isées à froid pour explorer les plaies , et à chaud pour appliquer les méd icaments et cautériser. Il existait aussi des spatules, des p inces , des

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Basilique de Volubilis

scalpels, des crochets et autres, qui avec les t répans , la tarière et la scie ont permis d'ef-

fectuer de délicates interventions chirurgicales.

Qu 'e l les é ta ient les ma lad ie s les p lus f réquentes en ces t emps lo in ta ins ? En se

basant sur les sources citées auparavant , on note l 'existence d'affections abdominales ,

de différentes ophta lmies , de t roubles causés par des parasi tes intest inaux, de maladies

concernant la tête, de maux de dents , de caries den ta i res . . .

On sait aussi qu 'en cette pér iode pré- romaine , et aussi durant l 'époque romaine , pré­

dominaient les c royances mytholog iques , certains dieux exerçant un contrôle direct sur

la santé des h o m m e s . On cite parmi ces divinités Isis, la divinité sidérale, qui fut consi ­

dérée c o m m e déesse des morts et c o m m e guérisseuse (3). Son culte parait avoir joui en

Tingitane d'une vogue except ionnel le (18) ; c'est ainsi qu 'on en a retrouvé une satuette

du plus pur style égypt ien dans un tombeau de Tanger. A Tocolosida, on en a re t rouvé

une autre en bronze . A Volubilis, nous possédons deux dédicaces proches du forum.,

montrant que ce culte jouissai t d 'une certaine considérat ion auprès des autori tés munici ­

pales . L 'Esculape découver t à Volubilis démont re que lui aussi avait ses adorateurs (19).

En outre , on sait qu 'Esculape, d 'après le Poète Pindare , cité par Fauvet (4), guérissait

par la mag ie , les b reuvages et le fer. Dans d 'autres sites ant iques de la Grèce ou de

R o m e , les malades se dir igeaient vers les temples d 'Esculape, et c'est pendant le som­

meil qu' intervient la guérison, souvent après appari t ion du dieu et du serpent ; les sujets

guéris suspendent alors aux colonnes du temple des ex-voto.

Au M a r o c , il n 'a pas été r e t rouvé de t emple consacré à Escu lape , ma i s la s tatue

d 'Esculape re t rouvée, serrant dans sa main droite le bâton médica l autour duquel s'en-

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roule le serpent, p rouve qu'il ne diffère guère des Esculapes d'autres pays du pour tour médi ter ranéen. Les prat iques médicales étaient p robablement aussi les m ê m e s .

A côté de ces deux divinités qui étaient chargées de veiller sur la santé et sur tous les actes de la vie phys io logique , l 'Hygie de Banasa (20) est la divinité de la santé par excel lence. El le soutient de sa main gauche la corne d 'abondance rempl ie de grappes de raisins, et un long serpent ondule sur ses genoux.

La c royance au mauva i s œil est connue chez tous les peuples depuis les t emps les plus reculés (21) . Les trouvail les dans des sites maroca ins d 'amulettes apotropaïques , phal l iques ou en croissant, et divers autres charmes , nous incitent à inclure le Maroc antique dans le cercle des peuples craignant l'œil de l ' indivus (22, 23) . Est-ce que ces prophylac t iques dé tournent le mauva i s œil ? I sodore et N y m p h e d o r e , cités par Pl ine l 'Ancien, lu i -même cité par Westermarck (24), ne sont pas d'accord. Ils rapportent qu'il y avait en Afr ique "cer ta ines famil les d 'enchanteurs qui , par le m o y e n de louanges , pouvaient faire périr le bétail , sécher les arbres, expirer les enfants" . On ne sait pas dans quelle contrée de l 'Afrique existaient ces enchanteurs . Les m ê m e s auteurs par lent de familles habi tant l 'Afrique dont les m e m b r e s avaient le pouvoir de fascination dans leur langue qui "s'ils se met ta ient c o m m e par hasard à louer outre mesure de beaux arbres, de r iches moissons , de charmants enfants, d 'excellents chevaux, du bétail gras et bien nourri , tout ce qu'ils louaient ainsi mourai t de mor t soudaine, par l'effet de leur é loge et pour nulle autre cause" .

Si ces enchanteurs provoquaient la mor t subite, les phylactères cités auparavant sont réputés donner la guér ison, mais n 'ont aucune efficacité contre les ép idémies telles que la pes te qu i para i t avo i r sévi de tous t e m p s au M a r o c , qu 'e l le r a v a g e a à p lus i eu r s reprises (25). Les pestes , dont on n ' indique pas en général les caractérist iques exactes , sont men t ionnées à plus ieurs reprises à cette époque ainsi qu 'à l 'époque romaine . La peste du I l l e siècle avant J .C. vint d 'Ethiopie et se répandi t dans tout le bassin de la Médi terranée. Il y avait des ép idémies désastreuses accompagnan t certains phénomènes naturels , mais on ne peut préciser ni leurs dates , ni les régions touchées (26).

Nous t rouvons éga lement diverses divinités et prophylact iques veillant sur la santé durant la pér iode romaine , mais nous n 'avons pas de source écrite qui nous éclaire sur l'état de santé des Maroca ins , et ce sont les vest iges archéologiques qui nous seront d'un grand secours . La posi t ion des villes et des petits bourgs , la répart i t ion des quart iers dans c h a q u e vi l le , et les a m é n a g e m e n t s h y d r a u l i q u e s n o u s m o n t r e n t à que l s soins s ' adonna ien t les M a r o c a i n s à ce t t e é p o q u e . Pa r e x e m p l e , c h a q u e m a i s o n ava i t son propre réservoir d'eau et ses canal isat ions qui se déversaient dans un grand égout-col-lecteur (27).

D'autres indices de l'état d 'hygiène et de prévent ion sont les é tabl issements de bains publ ics et p r ivés . O n d é n o m b r e ainsi trois ba ins publ ics et p lus ieurs ba ins pr ivés à Volubilis (28, 29 , 30) . Un nombre encore plus important de bains se trouvait à Banasa . Tout un quatier y était consacré et recevait non seulement les habi tants de la ville, mais aussi les habitants des environs . Les autres sites ant iques maroca ins avaient aussi d'im­portantes thermes .

On sait que chaque é tabl issement thermal contenai t une série de locaux spéciaux tels les palestres. Ce sont de grandes salles d 'exercice phys ique . Il y avait du sable utili­sé dans des soins corporels , ainsi que de l 'huile d'olive qui jouai t un grand rôle pour

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maintenir le corps ferme (31). Des masseurs étaient chargés de l 'entraînement et de la friction.

Les Anciens prenaient un bain chaud, mais depuis le 1er siècle av. J .C. , les m é d e ­

cins Anton ius M u s a et Euphorbus (13) conseil laient la prat ique des douches d'eau froi­

de après le ba in chaud pour " r e s se re r " le corps ; c'est p o u r q u o i on t rouve dans les

thermes romaines et les bains maures trois types de salles : le cal idar ium (salle chaude) ,

le tepidar ium (salle tempérée) et le frigidarium (salle froide).

En résumé, nous n 'avons pas pu exploi ter tous les documents archéologiques car ils sont éparpil lés et difficiles d 'accès. Cependant , il semble clair que l'état de la santé et la

médec ine au Maroc pendant la pér iode ant ique était similaire à ce qui existait autour du bassin médi ter ranéen, en particulier pendant la pér iode phénic ienne , romaine et byzan­tine. Nous manquons cruel lement de preuves archéologiques de cette pér iode , mais il

reste encore tant à découvir , m ê m e sur des sites bien connus c o m m e ceux de Volubilis ;

il es t d o n c à e s p é r e r q u e les d é c o u v e r t e s fu tures n o u s fou rn i ron t de p lus a m p l e s connaissances .

BIBLIOGRAPHIE

( 1 ) CUMSTON. Histoire de la médecine du temps des Pharaons au XVIIIe siècle. La Renaissance

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SUMMARY

Antique Moroccan medicine history

Our informations about prehistoric Moroccan medicine are, for the time being, limited to Taforalt site, 10 000 years old. Investigated skeletons reveal, among ritual maimings, traces of classical surgery involving patient's long survival. More recently, we must accent, with a pinch of salt the writer's tales elaborated by Herodotus, Sallust, Strabon and Pliny the elder. They seem to believe in people obstinate credulity to charms and, sometime, to an elementary phar­macy where euphorbia stood in the main place.

As a rule, that old days Morocco's medicine looked like the mediterranean circumference one, but it may be possible that further investigations could after this conception.

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Page 10: Histoire de la médecine au Maroc antique. [Antique Moroccan

Séance exceptionnelle

commune à l'Association Marocaine

et à la Société Française

d'Histoire de la Médecine

FÈS-29 mai 1993

La séance de mai de notre Société aura lieu à Fès, au

Maroc.

Un d é p l a c e m e n t o r g a n i s é es t p r é v u , a v e c à s o n

programme :

- Mercredi 26 mai : Paris - Fès.

- Jeudi 27 mai : Visite de Volubilis et Moulay Idriss.

- Vendredi 28 mai : Visite de Fès.

- Samedi 29 mai : Séance de la Société, autour du thème "Les ins t i tu t ions hosp i ta l iè res dans le m o n d e a rabo -musulman".

- Dimanche 30 mai : Fès - Paris.

Les m e m b r e s in té ressés peuven t con tac te r d 'u rgence M. Michel Roux-Dessarps, 35 avenue de la Motte-Picquet 7 5 0 0 7 Par is ou jo indre l 'agence K.T.I., 16 rue Fourc roy 75017 Paris - Tél . 47 66 34 66.

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