histoire des connaissances sur le bâillement

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La Vie, sous tous ses traits, a toujours donné lieu à réflexions et questionnements. De tous temps une explication aux phénomènes phy- siologiques a apporté un réconfort aux hommes. Comme le dit HL. Mencken: “Des explications existent; elles ont existé de tous temps, parce qu'il y a tou- jours une solution simple à chaque problème humain, une solution nette plausible et fausse”. L’histoire des connaissances sur le bâillement illustre à merveille ce précept. Phénomène intriguant, fascinant tout autant que le sommeil, ses causes et conséquences ont défié l’esprit humain au cours des siècles. Cette revue débouchera, inévitable- ment, sur les incertitudes encore nombreuses qui subsistent au XXI è siècle. La médecine est née dans l’antiquité, entre mythes et philosophie, en s’extrayant peu à peu des incertitudes attachées aux concepts magiques et religieux pour tenter un accès au rationnel. Ce parcours de quelques siècles illustre ce constat. Nous n’avons pas trouvé trace d’écrits évoquant le bâillement dans les tablettes, actuellement déchiffrées, de la médecine babylonienne. L’ethno- médecine, qu’elle se soit tournée vers l’Asie ou l’Afrique, ne s’y est pas intéressée non plus. L’antiquité, le Moyen-Age La philosophie grecque nous a laissé une combinaison des quatre éléments afin d’expliquer Le Monde (Eau, Feu, Air, Terre) aux quatre qua- lités physiques (Froid, Chaud, Sec, Humide) influant sur les “humeurs” (Sang, Bile, Pituite, Atrabile). Les premiers écrits médicaux consacrés au bâillement sont ceux d’Hippocrate dans “De Flatibus”, Les Vents, conçu 400 ans avant JC qui applique ces théories. Il observe: “Des bâillements se produisent avant les fièvres parce que de l'air, qui s'était amassé en grande quantité, remontant en masse, soulève à la manière d'un levier et ouvre la bouche; car par cette voie, l'air peut sortir faci- lement. En effet, de même que de la vapeur s'élè- ve des chaudrons en grande quantité quand l'eau bout, de même aussi, quand le corps s'échauffe, l'air qui s'était rassemblé et qui est violemment expulsé s'élance par la bouche”. Cette conception perdurera jusqu’au XVII è siècle, comme nous allons le constater. Loin de sa physique appliquée à l’hom- me, Hippocrate traite avec précision des luxations de la mâchoire favorisées par les bâillements dans “Des Articulations”, les assimilant aux autres dérangements articulaires traumatiques et conçoit la réduction avec une manœuvre qui ne date donc pas de Nélaton au XIX è siècle: “Si la mâchoire se luxe rarement, toutefois elle éprouve, dans les bâillements, de fréquentes déviations, telles que celles que produisent beaucoup d'autres déplace- ments de muscles et de tendons. Voici les signes principaux qui manifestent la luxation: la mâchoi- 1 Histoire des connaissances sur le bâillement Olivier Walusinski MD, F.28160 Brou [email protected] Le bâillement est un phénomène intriguant, fascinant tout autant que le sommeil. La compréhension de ses causes et de ses conséquences défie lesprit humain depuis des siècles. Hippocrate, Sennert, Boerhaave, de Gorter proposeront, chacun à son époque, une théorie. De lexhalaison dhumeur viciée, à lactivation des esprits animaux, à lamélioration de lhématose cérébrale, toutes ces métaphores sont caratérisées par le succès publique quelles rencontreront, perdurant peu ou prou jusquà JM.Charcot et à nos jours. Pourtant dès le début du XIX è siècle, la physiologie expérimentale de Broussais et Flourens propose une théorie neuro-musculaire que Dumpert, en Allemagne, après la première guerre mondiale explicite de façon précise. L éthologie et la pharmacologie expérimentale du XX è siècle ont permis de connaitre les neuromédiateurs et les structures sous corticales mises en jeu au cours du bâillement et de la pandiculation. Comportements moteurs, phylogénétiquement archaïques, ontogénétiquement précoces, remarquablement conservés au cours de lEvolution, quasi-uni- versel chez les vertébrés, ils sont plus proches dune stéréotypie émotionnelle que dun réflexe. Dorigine diencéphalique, ils semblent extérioriser des processus dhoméostasie des sys- tèmes déveil, de la satiété et de la sexualité. novembre 2008

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La Vie, sous tous ses traits, a toujoursdonné lieu à réflexions et questionnements. Detous temps une explication aux phénomènes phy-siologiques a apporté un réconfort aux hommes. Commele dit HL. Mencken: “Des explications existent;elles ont existé de tous temps, parce qu'il y a tou-jours une solution simple à chaque problèmehumain, une solution nette plausible et fausse”.L’histoire des connaissances sur le bâillementillustre à merveille ce précept. Phénomène intriguant,fascinant tout autant que le sommeil, ses causes etconséquences ont défié l’esprit humain au coursdes siècles. Cette revue débouchera, inévitable-ment, sur les incertitudes encore nombreuses qui

subsistent au XXIè siècle.

La médecine est née dans l’antiquité, entremythes et philosophie, en s’extrayant peu à peudes incertitudes attachées aux concepts magiqueset religieux pour tenter un accès au rationnel. Ceparcours de quelques siècles illustre ce constat.

Nous n’avons pas trouvé trace d’écritsévoquant le bâillement dans les tablettes, actuellementd é c h i ffrées, de la médecine babylonienne. L’ e t h n o -médecine, qu’elle se soit tournée vers l’Asie oul’Afrique, ne s’y est pas intéressée non plus.

L’antiquité, le Moyen-AgeLa philosophie grecque nous a laissé une

combinaison des quatre éléments afin d’expliquer

Le Monde (Eau, Feu, Air, Terre) aux quatre qua-lités physiques (Froid, Chaud, Sec, Humide)influant sur les “humeurs” (Sang, Bile, Pituite,Atrabile). Les premiers écrits médicaux consacrésau bâillement sont ceux d’Hippocrate dans “DeFlatibus”, Les Vents, conçu 400 ans avant JC quiapplique ces théories. Il observe: “Des bâillementsse produisent avant les fièvres parce que de l'air,qui s'était amassé en grande quantité, remontanten masse, soulève à la manière d'un levier et ouvrela bouche; car par cette voie, l'air peut sortir faci-lement. En effet, de même que de la vapeur s'élè-ve des chaudrons en grande quantité quand l'eau bout,de même aussi, quand le corps s'échauffe, l'air quis'était rassemblé et qui est violemment expulsés'élance par la bouche”. Cette conception perdurera

jusqu’au XVIIè siècle, comme nous allons leconstater.

Loin de sa physique appliquée à l’hom-me, Hippocrate traite avec précision des luxationsde la mâchoire favorisées par les bâillements dans“Des Articulations”, les assimilant aux autresdérangements articulaires traumatiques et conçoitla réduction avec une manœuvre qui ne date donc

pas de Nélaton au XIXè siècle: “Si la mâchoire seluxe rarement, toutefois elle éprouve, dans lesbâillements, de fréquentes déviations, telles quecelles que produisent beaucoup d'autres déplace-ments de muscles et de tendons. Voici les signesprincipaux qui manifestent la luxation: la mâchoi-

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Histoire des connaissances sur le bâillementOlivier Walusinski

MD, F.28160 Brou [email protected]

Le bâillement est un phénomène intriguant, fascinant tout autant que le sommeil. Lacompréhension de ses causes et de ses conséquences défie l’esprit humain depuis dessiècles. Hippocrate, Sennert, Boerhaave, de Gorter proposeront, chacun à son époque, unethéorie. De l’exhalaison d’humeur viciée, à l’activation des esprits animaux, à l’améliorationde l’hématose cérébrale, toutes ces métaphores sont caratérisées par le succès publiquequ’elles rencontreront, perdurant peu ou prou jusqu’à JM.Charcot et à nos jours. Pourtantdès le début du XIXè siècle, la physiologie expérimentale de Broussais et Flourens proposeune théorie neuro-musculaire que Dumpert, en Allemagne, après la première guerre mondialeexplicite de façon précise. L’éthologie et la pharmacologie expérimentale du XXè siècle ontpermis de connaitre les neuromédiateurs et les structures sous corticales mises en jeu au coursdu bâillement et de la pandiculation. Comportements moteurs, phylogénétiquement archaïques,ontogénétiquement précoces, remarquablement conservés au cours de l’Evolution, quasi-uni-versel chez les vertébrés, ils sont plus proches d’une stéréotypie émotionnelle que d’un réflexe.D’origine diencéphalique, ils semblent extérioriser des processus d’homéostasie des sys-tèmes d’éveil, de la satiété et de la sexualité.

novembre 2008

re inférieure prédomine en avant; elle est déviée versle côté opposé à la luxation, l'apophyse coronoïdefait saillie à la mâchoire supérieure, et le blessérapproche difficilement les mâchoires. Le modede réduction qui convient dans ce cas est mani-feste: Un aide maintiendra la tête la tête du bles-sé, un autre, embrassant avec les doigts la mâchoi-re inférieure en dedans et en dehors vers le menton,tandis que le patient ouvre la bouche autant qu'ilpeut sans se forcer, commencera par remuer lamâchoire inférieure pendant quelque temps, la por-tant avec la main en dedans et en dehors, et recom-mandant au blessé de la tenir relâchée, de la remuersimultanément, et de se prêter le plus possible à cesmouvements; puis soudainement, il la déplaceraen faisant attention à trois positions à la fois:d'abord il faut la ramener de sa position vicieuseà sa position naturelle, secondement, il faut larepousser en arrière; troisièmement, obéissant àces deux mouvements, le blessé doit rapprocherles mâchoires et ne pas ouvrir la bouche : telle estla réduction et on ne réussira pas par d'autres p o s i-tions”. Rien à ajouter.

Emile Littré qui a traduit Hippocrate au

milieu du XIXè siècle donne cette version du pas-sage consacré aux causes de l’apoplexie: “Lesbâillements continuels des apoplectiques prouventque l’air est la cause des apoplexies”. JacquesJouanna, dans sa traduction contemporaine réfutecette interprétation: “on ne voit pas pourquoi les para-lysés seraient pris de bâillements continuels. Onpeut y voir un autre sens et signifier avoir constam-ment la bouche ouverte, ce qui correspond à uneobservation dans certains cas de paralysie. L’ a u t e u r,Hippocrate, a inséré tant bien que mal cette obser-vation dans son système d’explication: la boucheest maintenue ouverte par la présence continuelled’une quantité excessive d’air dans le corps”. Et pour-tant, les observations médicales contemporainesindique combien Littré semble avoir raison !

Pline l’Ancien note, 40 ans avant JC, queles bâillements répétés, contemporains d’hémor-ragies importantes, signent la mort à cours terme.Ce sujet sera l’objet d’une thèse en latin: “De osci-tatione in enixu” soutenue par Johannes Lapehn,en 1758, sous la direction de Johannes Roederer àGöttingen. Les hémorragies de la délivrance onttué des milliers de femmes. La baisse tensionnel-le et le collapsus déclenchés par l’hémorragie sti-mule le système nerveux végétatifs dont les bâille-ments extériorisent la mise en jeu, comme au coursdu malaise vagal, et précédent la perte de connais-sance.

Dans sa lettre à Lucilius, Sénèque écrit,environ 50 après JC: “De même que chez les sujetsfaibles, la maladie s'annonce par des signes avant-coureurs: soit un relâchement des nerfs, soit de lalassitude sans travail qui l'ait provoquée, soit desbâillements, soit enfin un frisson qui parcourt lesmembres; ainsi une âme faible, longtemps avant d'êtreattaquée par le mal, en reçoit le choc; elle souffrepar anticipation, et succombe avant le temps”.Parle-t-il d’incubation, de début d’un état fébrile,de somnolence, d’état dépressif ?

Galien et Celse commenteront les proposd’Hippocrate en transposant aux muscles l’eff e tproducteur des vents du bâillement. Oribase, 450après JC, dans la même lignée de commentaires d’Hippocrate,rédige un chapitre intitulé “des causes, des symp-tômes”. Il y fait un amalgame entre convulsions,palpitations, hoquet, trismus, extensions desmembres et bâillements: “Ils se rapportent tous àun genre commun qui consiste en la perversion dumouvement des muscles.” [...] “Bâillements etextensions des membres sont des actes de la natu-re, forcée par quelque cause morbide, à se mouvoiravec violence.”

A partir du XVè siècle, l’enseignementmédical change. A la récitation de commentairesd’Hippocrate et de Galien se substitue la descrip-tion de cas cliniques assortis d’idées sémiologiques,d i ffusées grâce à l’apparition de l’imprimerie.L’Universa Medicina de Jean Fernel (1497-1558)en est l’illustration. Il est le premier à citer le bâille-ment comme prodrome d’états fébriles qu’il distingueen “fièvre éphémère”. Toujours influencé par lathéorie des humeurs, il prête aux bâillements un rôlefavorable “dans l’évacuation des vapeurs nui-sibles”. Dans la même lignée, en 1560, JodocusLommius publie un recueil d’oberservations:Medicinalium observationum libri tres, imprimé àAnvers chez Plantin. Traduit dans toutes les languesd’Europe, ce livre connaîtra plus de 30 éditionspendant 250 ans; on peut le comparer au ManuelMerck contemporain. Le bâillement y est décritcomme prodrome des fièvres.

En 1624, dans la même veine, PhilippeHechstetteri propose un recueil d’observationsmédicales commentées: “Rararum ObservationumMedicinalium”: “Une jeune fille de quatorze ansn'avait pas encore été réglée, et, tous les jours, à quatreheures de l'après-midi, elle éprouvait des bâille-ments très fréquents, très pénibles, et suivis dedivers accidents morbifiques”. Il semble être lepremier à considérer, en lointain prédécesseur de

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JM. Charcot, les bâillements répétés comme unsigne d’hystérie.

Scipion Dupleix, philosophe et historio-graphe de Henri IV puis de Louis XIII, publia, en1626, un merveilleux recueil: “La curiosité natu-relle rédigée en questions selon l’ordre alphabé-tique”. Non sans rappeler Les Propos d’Alain, aumot bâiller, il soumet à son lecteur curieux cette réflexionsi bien contée et proche de nos réflexions contem-poraines: “D'où vient cela que nous baaillons voiantbaailler les autres? C'est à cause de la commune dis-position des esprits ou air intérieur, lesquels ontentre nous tous une grande sympathie, consente-ment & affinité, qui les fait esmouvoir & affecterde mesmes par la seule souvenance. Et pour cettemesme raison oyant chanter les autres, nous chan-tons quelquefois à part nous mesmes sans enprendre garde, estant attentifs ailleurs”.

Le XVIIè siècle: naissance de la recherche

La première moitié du XVIIè siècle voitla naissance de la physique mathématique ouvrantà une nouvelle vision du Monde. Un nouvel espritscientifique nait avec Descartes dont découle leparadigme du mécanisme en physiologie. A p r è sGalilée et Newton, les découvertes en mécaniqueet en dynamique conduisent au concept de“l’Homme Machine”. Jusqu’à cette époque, le dog-matisme médical conduisit au défaut majeur d’uneindifférence à la recherche, comme si les connais-sances médicales étaient fixées et confinées. A p r è sque Harvey ait établie la circulation sanguine, l’es-prit expérimental introduit l’analyse quantitativedes phénomènes vitaux, en particulier grâce àSantorio.

Santorio Santorio (1561-1636), se faisantappelé Sanctorius de Padoue, médecin installé àVenise, élève et ami de Galilée, peut être considé-ré comme un des fondateurs de la physiologie expé-rimentale. Il tenta de quantifier des phénomènesphysiologiques et pathologiques à l'aide d'appa-reils de mesure tels que la balance, le thermomètreet le métronome. Avec une balance de son inven-tion, il mesura et compara les apports et les pertesde poids chez l'homme, notamment par la transpi-ration. Il bâtit toute une théorie médicale basée surles différences de poids liées à l'alimentation, auxpertes des émonctoires et à la transpiration: lamédecine statique. Le bâillement fut l’objet de sesaphorismes: “Les bâillements & l’extension desmembres après le sommeil, montrent que le corpstranspire beaucoup comme on le dit à l’égard ducoq qui bat des aîles avant de chanter. Les envies

de bâiller & d’étendre les membres lorsqu’ons’éveille, viennent de l’abondance de la matèretranspirable, parfaitement disposée à la transpira-tion. Dans les bâillements & l’extension desmembres, on transpire plus en une demi-heurequ’en trois heure d’un autre temps.”

Dans le Traité de L’Homme, RenéDescartes (1596-1650), en 1664, expose sa théo-rie des nerfs: “les esprits qui sont dans le cerveause présentent pour entrer dans quelques nerfs, ilsont la force de mouvoir au même instant quelquemembre. Puis, ayant touché un mot de la respira-tion, et de tels autres mouvements simples et ordi-naires, je dirai comment les objets extérieurs agis-sent contre les organes des sens”. Plus loin ilexplique la respiration par l’activité musculaire dudiaphragme et s’intéresse “Pour entendre aussicomment cette machine avale les viandes qui setrouvent au fond de sa bouche...”. Il termine sonexplication complexe du fonctionnement du carrefouraérodigestif en précisant: “A l'exemple de quoi,vous pouvez aussi entendre comment cette machi-ne peut éternuer, bâiller, tousser, et faire les mou-vements nécessaires à rejeter divers autres excré-ments”. Comme quoi, près de mille ans aprèsHippocrate, l’évacuation d’humeurs reste toujoursun effet primordial du bâillement.

Danieli Sennerti (1572-1637) continue luiaussi à assimiler éternuements et bâillements com-me mécanisme “d’exhalaisons morbifiques” tout ennotant la coïncidence d’apparition avec la fatigueet la somnolence, jamais notée antérieurement.

Jean Baptiste Van Helmont (1577-1644)traitant “Des principes de médecine et de physiquepour la guérison des maladies” en 1671, remet encause, pour la première fois, les conceptions hip-pocratiques. “Galien en dit que la cause du bâille-ment qui accompagne d'ordinaire le commence-ment des accez des intermittentes, est excité par laquantité des vapeurs fulgineuses qui enflent & fontdistention des muscles de la machoire, desquellesils tâchent de se défaire: mais comme ces matièresfuligineuses ne pourroient étre que des excrémentsinsensibles de la dernière digestion: pourquoy cesparties là seroient-elles plûtot excitées à leur expul-sion que les autres ? Et pourquoy se rencontrent-elles plûtôt aux fièvres qu'à la goutte, à l'apoplexie,&c. Pourquoy celuy qui bâille nous fait-il bâillermalgré nous? Cela fait bien voir que le bâillementne procède pas des vapeurs fuligineuses: mais cecette faculté qui suit l'imagination. L'Ecole deMédecine ne contreuient pas que la bouche de l'es-tomac ne soit facilement émeuë, & excitée à nau-

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sée par le dédain de quelque chose de sale aperceuëou imaginée: & qu'il y a des personnes qui envoyant manger des pommes aigres & austères, ontd'abord la bouche toute pleine de salive. Donc l'ori-fice supérieur de l'estomac s'émeut aisément parl'imagination: Et le sommeil, le Coma, le Catoche,la catalepsie, l'assoupissement, le vertige, & d'autresaccidens de ce genre, viennent de la bouche del'estomac. Le bâillement qui suit le sommeil, ouqui est son avant-courier, est par conséquent attri-bué à la même partie, puisque c'est là qu'habite laphantaisie & ce n'est pas en vain qu'on le surnommecoeur. Aussi lors qu'on est sensiblement affligé onpousse quantité de soupirs qui semblent soulagercet orifice supérieur de son oppression, de mêmelorsque l'estomac paresseux & non-chalant nousrend assoupis, l'ennui de bâiller ne donne point derelâche aux muscles de la bouche & de la trachéeartère qu'elle appelle aussi à son secours, de lamême manière que l'os ethmoide, ennuiron l'org a-ne de l'odorat, appelle aussi en aide les musclesde la poîtrine pour la sternutation. Et il ne faut paspour cela chercher la cause du bâillement dans lesmuscles qui se sont, non plus qu'à ceux qui s'émou-vent quand on éternuë la cause de l'éternuement”.

Remise en cause des théories hippocratiquesHerman Boerhaave (1668-1738) est

considéré comme le fondateur de la médecine cli-nique et de l'hôpital académique moderne. En 1680,dans “Praelectiones academicae”, il donne pour lepremière fois une explication originale au bâille-ment: “le bâillement et les pandiculations favori-sent la répartition équitable du spiritus dans tousles muscles et désobstruent les vaisseaux dont lesommeil avait ralenti la fonction. C’est encore pourfavoriser le cours du sang et rétablir l’influx ner-veux qu’ont lieu dans certains cas le bâillement etles pandiculations; leur action va lutter contre la pré-dominance trop marqués des fléchisseurs et remttrechaque chose en place”.[...] “Le bâillement se faiten étendant presqu'en même temps la plupart desmuscles qui obéissent à la volonté, en donnant auxpoumons une très grande expansion, en inspirantbeaucoup d'air lentement & peu à peu. Ensuiteaprès l'avoir retenu quelque temps, & qu'il a étéraréfié, on le rend insensiblement par l'expiration& enfin les muscles reprennent leur état naturel. Sone ffet est donc de mouvoir toutes les humeurs du corpspar tous les vaisseaux, d'en accélérer le cours, deles distribuer également, & par conséquent de don-ner aux organes des sens & aux muscles du corpsla facilité d'exercer leurs fonctions”. Les thèses deJohann Beutler (1685) et Gottlob Hermann (1720)reprendront ces théories en ajoutant un rôle pronosticaux bâillements, témoin de la gravité des fièvres.

Pierre Brisseau associe pour la premièrefois bâillement et épilepsie dans son “Traité desmouvements simpatiques” en 1692: “Les signesd'un paroxysme prochain d'épilepsie sont, untrouble de l'âme & des sens, une pesanteur & unedouleur de tête, le vertige, une insomnie facheuse,une lassitude dans les articles, un tremblement desmembres, un tintement d'oreille, bâillement, palpitationdu coeur, difficulté de respirer, nausée, cardialgie,&c. & tous ces signes paroissent tantôt plus, tan-tôt moins dans les Epileptiques. [...] De ce que leSang circule difficillement par les poumons, l'onpeut déduire facilement le bâillement de ceux, quisont sur le point d'être attaqués d'un paroxismed'Epilepsie”.

G e o rge Cheyne (1671-1743) rédige, en1733, “The English Malady or a treatise of ner-vous diseaes of all kinds” dans lequel il expose: “lebâillement & la pandiculation semblent être pro-duits par des concrétions dures, par des particulessalines, par quelques vapeurs nuisibles, âcres ou acri-monieuses; par la matière de la transpiration, pardes vents, &c. qui sont ou arrêtent dans les petitsvaisseaux, ou portés à quelque partie qui a beau-coup de nerfs, comme au canal alimentaire, dansles cavités du cerveau, sur l'épine, dans les inter-stices des muscles. Les nerfs de ces parties ou leursmembranes, étant irrités, il se forme dans toutesles fibres nerveuses ou sensibles un dérangementgénéral, qui en produit bientôt un semblable danstout le sytème musculaire”. [...] “Sous le nom devapeurs, ou de mal de rate, on entend communé-ment l'abattement, le découragement, le gonfle-ment de l'estomac, les rapports fréquents, le bruitdans le bas-ventre, le bourdonnement ou tintementsd'oreilles, les bâillements, le manque d'appétit,l'agitation, l'état inquiet, les anxiétés ou angoisses,la mauvaise humeur, la mélancolie, la tristesse,l'inconstance, l'insomnie, l'assoupissement, por-tées à l'excès, ou en un mot, tous les symptômesqui ne forment pas une maladie particulière; maisles vapeurs sont très souvent symptomatiques, &dépendent d'un autre mal.” Les prémices de l’hys-téro-épilepsie de Jean-Martin Charcot sont expo-

sés ici et ce n’est qu’au XXè siècle que seront sépa-rées épilepsie, pathologie corticale et hystérie,souffrance psychologique.

Le XVIIIè siècle, le bâillement “améliore l’oxy-gènation du cerveau”.

Johannes de Gorter (1689-1762), auteurhollandais prolifique dans tous les domaines de la

médecine du début du XVIIIè siècle, a une placeessentielle dans l’histoire des connaissances sur le

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bâillement. C’est en effet dans son livre “DePerspiratione insensibili” qu’en 1755, il attribueles bâillements à “un besoin de circulation plusrapide du sang et une anémie de l’encéphale”. Naitainsi un concept qui va perdurer pendant deuxsiècles, répétés par presque tous les auteurs: lebâillement améliore l’oxygénation du cerveau.

Albrecht von Haller (1708-1777), méde-cin et poète suisse, a écrit la première synthèse dela physiologie humaine (Elementa physiologiaecorporis humani en 8 volumes publiés de 1757 à1766). A la suite de Francis Glisson, il introduit lanotion “d’irritabilité” propriété des tissus d’êtrestimulés. Il en enregistra, le premier, la preuve etdistingua l’impulsion nerveuse (la sensibilité) de lacontraction musculaire (l’irritabilité): “Il y a une espè-ce d'harmonie entre le pouls & la respiration. Dansl'état naturel on compte ordinairement trois ouquatre pulsations pendant une respiration. S’il arri-ve plus de sang au coeur, le nombre des pulsations& des respirations augmente. C'est là d'où vient ladifficulté de respirer qu'ont ceux qui sont en mou-vement, parce qu'alors le sang veineux est fouetté& accéléré. S'il y a une plus grande distance dansles poumons, & que le sang ait de la peine à pas-ser du ventricule droit dans le gauche, le nombreet l'étendue des respirations seront plus grands pourfranchir le chemin. C'est là la cause des soupirs etdu bâillement”. Il décrit plus loin le sommeil: “Auxapproches de la nuit, on sent peu à peu un engour-dissement dans les muscles longs & dans leurs ten-dons, une inaptitude aux pensées sérieuses & un amourpour le repos. Alors les forces qui soutenoient lecorps, s'abbatent, les yeux se ferment, la machoi-re inférieure reste pendante, on est nécessairementforcé à bâiller”. Dans la lignée de de Gorter, il pro-pose: “ Pourquoi bâille-t-on, lorsqu'on a envie dedormir ? C'est pour débarrasser le poumon parlequel le sang passe plus lentement”.

David Hartley (1705-1757) médecinanglais, influencé par les découvertes de IsaacNewton va tenter d’expliquer la physiologie humai-ne par des lois de physiques adaptées de celles dela gravitation. Comme Hippocrate avait transposéles connaissances des éléments de la Natured’Aristote, en quatre humeurs, Hartley va propo-ser que les sensations perçues et les actes volon-taires dépendent de vibrations de particules com-posant les tissus humains, invisibles à l’oeil,parcourant les nerfs et donnant ainsi matérialité“aux esprits animaux” de Descartes. Il apparaîtainsi comme un précurseur du concept moléculai-re: “Les actions de bâiller, de s’étendre peuventpeut-être, en les considérant selon les circonstances,

se trouver dans les cinq classes des mouvementsvibratoires. Quand ils arrivent dans les attaques defièvre & autres maladies, la première semble devoirs’attribuer à des contractions subites et fortes dansles membranes de la bouche, du gosier, de la tra-chée artère & de l’oesophage, la seconde auxcontractions de la peau”.

Très étonnamment, fort peu d’auteursanciens ont évoqué le bâillement des animaux oucelui des enfants. Charles Porée (1685-1770), aucours d’une séance publique de l’Académie desBelles-Lettres de Caen,en 1756, disserta sur labâillement et nota “Les Oiseaux bâillent ainsi queles hommes & plusieurs autres animaux, mais leurbâillement diffère du notre. La partie inférieure dubec des oiseaux est stable, la supérieure est mobi-le par le moyen d'une charnière, qui unit les os dela tête de l'Oiseau à son bec. Notre mâchoire supé-rieure est fixe, l'inférieur est mobile & s'articuleavec les os des tempes. Dans le bâillement del'homme c'est la partie inférieure de a bouche quis'abaisse: le méchanisme diffère, l'intention de lanature est la même & arrive au même but. Au res-te cette remarque n'est que de simple curiosité.Nous bâillons en naissant: le premier enfant quivint au monde en donna l'exemple. Ce n'est pas àl'ennui que ce mouvement peut être attribué, lasociété dans laquelle entre un enfant lui est connue.La faim & le sommeil n'en sont pas la cause immé-diate; la nourriture va être administrée par un nou-veau canal; il faut donc le rapporter d'abord auchangement que produit en lui le jeu de la respi-ration qui commence; ensuite au conduit nouveauqui se fraye le sang. On peut le regarder encorecomme une marque de lassitude causée par lesfatigues de la naissance & par la nouvelle oscilla-tion des humeurs. Tous ces changement sont admi-rables & démontrent une providence digne de nosplus profondes adorations. Quelqu'un néanmoins pour-ra se plaindre qu'il y ait de la peine à naître com-me il y en a à mourir, & souvent est-il moinspénible de vivre”.

Joseph Raulin (1708-1784) tente, lui, declassifier les désordres nerveux des dames de lacour de Louis XV qu’il a à soigner. Dans son Tr a i t édes affections vaporeuses du sexe, il compare lesspasmes, les convulsions et décrit sous le terme del’époque, les vapeurs, ce qui deviendra l’hystériedécrite par Paul Briquet et Jean Baptiste Louyer-

Villermay au début du XIXè siècle: “Une femmea-t-elle des inquiétudes, des bâillemens, deshoquets, des spasmes, des mouvements irréguliersdans les nerfs, elle s'en plaint amérement; ses

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parents , ses amies, ses voisines lui répondent aveci n d i fférence, ce sont les vapeurs. Ces légèresvapeurs font insensiblement des progrès, la mala-de devient triste, elle verse des larmes, ou bien elleparoît enjouée, elle articule des termes qu'on entendpas, ou elle dit de jolies choses, elle rit, elle chan-te, ou elle pleure & rit alternativement, toujourssans se connoître; on rit comme elle, en disant quece sont des vapeurs”.

L’histoire n’a pas retenu le nom de Jean-Férapie Dufieu. Pourtant, il rédigea un Traité de Physiologie,publié à Lyon en 1763, à l’attention des étudiantset y colligea le savoir de son temps dans un stylelittéraire, bien oublié de nos manuels contemporains:“Quand on s'éveille on bâille, on étend les bras,on est plus agile, on a plus de vivacité d'esprit.Comme le suc nerveux n'a pas coulé dans lesmuscles durant le sommeil, toutes les fibres sontlanguissantes. Il faut donc les contracter tous, pourouvrir le passage au suc nerveux qui s'est filtrédans le cerveau, ou pour l'appeler dans ces parties.De plus, le mouvement du sang étoit languissantdans les muscles, il faut donc hâter son cours; orcela se fait par la contraction où ils entrent quandon étend les membres. Le bâillement vient de la mêmecause. Ce suc nerveux qui entre dans les muscles,& qui s'est ramassé en grande quantité, fait qu'onest plus agile; car l'âme peut en envoyer beaucoupdans les nerfs pour mouvoir les parties”. Cette des-cription imagée se rapproche de bien des concepts

de ce début du XXIè siècle!

Achille Le Vacher de la Feutrie compo-se, en 1767, un dictionnaire de chirurgie où ilrevient aux concepts hérités de Sanctorius et deGorter: “On rend insensiblement une grande quan-tité de matières perspirables lorsque la nature occa-sionne des bâillements et des extensions desmembres, pour s'en débarrasser. On est plus sujetà bâiller immédiatemment après le sommeil, qu'entout autre tems, parce qu'alors il s'échappe par lespores de la peau, une plus grande quantité de cet-te matiere, qu'en tout autre tems; l'accroissementde contraction, auquel cette affluence donne lieu,produit en même tems la rétention de la matiere pers-pirable dans les passages de la peau; & c'est de làque proviennent les irritations que suivent le bâille-ment & l'expansion des membres. Dans ces mou-vements les membranes de tout le corps sontsecoués leurs fibres sont écartées, & la matièreretenue peut s'échapper”.

Suivant Sydenham en A n g l e t e r r e ,François Boissier de Sauvages (1706-1767), célèbre

praticien de l’Université de Montpellier, s'essayaà une classification des maladies en empruntantune méthodologie inspirée de Linné en sciencesnaturelles, lequel incita l'époque à une véritablemanie taxonomique. Boissier publia beaucoup surtous les sujets mais sa “Nosologie Méthodique oudistribution des maladies en classes, en genres eten espèces” reste son ouvrage le plus célèbre: “Aumoyen de l’inspiration ample & profonde quiaccompagne le bâillement, toutes les vésicules pul-monaires se dilatent, la circulation du sang dans lespoumons s’accélère, les viscères du bas ventre sontcomprimés, les yeux larmoient, la salive coule enabondance, l’ouie s’émousse, on sent une espècede bourdonnement dans la tête, le conduitd’Eustache se dilate, la parole se perd, la perspi-ration augmente, l’âme éprouve une espèce devolupté, & l’homme devient plus dispos & plusalerte”. Boissier passe ensuite en revue les diffé-rents bâillements pathologiques: lors des hémorragies,comme lors des fièvres, ils annoncent une funes-te évolution alors que les “bâillements stoma-chiques” témoignent d’indigestion et de dégoût. Iln’oublie pas de décrire les vapeurs accompagnéesde bâillements qu’ils qualifient d’hystériques.

Samuel Tissot (1728-1797 revint exercerà Lausanne après avoir étudié à Montpellier.Médecin des grands de ce monde entre 1750 et1797, on le consultait de l'Europe entière, souventpar correspondance. Ses archives contiennent tou-te la correspondance médicale, ordonnances com-prises, qu'il a entretenue avec ses patients. L’ “ Av i sau peuple sur sa santé” fut un véritable bestselleravant l’heure, traduit en douze langues et rééditédix sept fois. C’est le premier ouvrage de vulgari-sation médicale destiné au grand public en languevernaculaire. Mais il reste surtout comme l‘auteurdu premier traité de neurologie “Traité des nerfs etde leurs maladies” (1728-1777) dont le derniertome porte le titre de “Traité de l’épilepsie”. Ilattribue la transmission d’une information d’une par-tie du corps à une autre à un fluide circulant dansles nerfs qu’il nomme “sympathies”: [...] “Telle estl'admirable constitution de l'homme et de l'animal,que ces parties dont les fonctions paroissent diffé-rentes sont cependant enchainées de façon qu'ellesinfluent toutes du plus au moins les unes sur les autres[...] Mais outre cette harmonie générale, il y a dif-férentes parties qui ont entre elles une liaison plusétroite, qui sont unies par différents moyens, defaçon que l'état de l'une influe d'une façon trèsmarquée sur l'autre, ou au moins est altérée par leschangements qu'elle éprouve; c’est la force du sym-pathia des Grecs & du consensus des Latins; &elle en souffre quelques fois au point que l’effet est

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beaucoup plus marqué sur la partie en sympathieque sur celle qui est primitivement affectée”. [...]“Les sympathies particulières dépendant des nerfsqui ont des connexions plus étroites, de légèrescauses peuvent les mettre en mouvement; il en fautde plus puissantes pour décider des effets bien mar-qués de la sympathie générale. Tous les hommesne sont pas également sujets aux sympathies, par-ce que le genre nerveux n'est pas également sen-sible chez tous; ainsi la même cause qui occa-sionnera les sympathies les plus marquées chezune personne, n'en produira aucune chez une autre,son action sera bornée à son siège, parce que sesnerfs sont moins sensibles. N'est ce point auconsensus général qu'il faut attribuer cette forceimitative qui obligeoit Monro à répéter tout ce qu'ilvoyait faire. M. Whytt lui attribue le bâillement &le vomissement involontaires; mais je ne saiscependant si le simple consensus physique ne peutpas opérer seul ces phénomènes”.

Robert Whytt (1714-1766) professeur demédecine à Edinburgh est connu pour avoir décritla meningite tuberculeuse. Son explication “dessensations” (la sensibilité) dans les mouvementsinvolontaires en fait le précuseur de la notion deréflexe, comme son intérêt pour l’effet des émotionsdans le cours des maladies en fait le père de lapathologie psychosomatique: “Les différentes par-ties de notre corps reçoivent des nerfs, non seule-ment la faculté de sentir & celle de se mouvoir,mais encore une sympathie très déterminée, quiest ou générale, & s'étendant à tout le système del'économie animale, ou particulière, c'est à dires'exerçant entre certaines parties principalement ...Nous fermons nos deux paupières, soit que nousle voulions, soit que nous ne le voulions pas, toutesles fois que quelque chose menace d'offenser un denos yeux. Une lumière éclatante qui frappe subi-tement nos yeux, occasionne quelquesfois l'aveu-glement. Hippocrate a remarqué que la vue inattendued'un serpent rend le visage pâle. Lorsque qu'unpersonne qui a faim voit un aliment qu'elle aime,elle a une excrétion de salive plus abondaate qu'el-le n'était avant d'avoir vu cet objet. Le bâillement& le vomissement se font souvent par cela seulqu'on voit ou qu'on entend quelqu'un bâiller ouvomir ... Dans cet ouvrage sur les maladies nerveuses,je traiterai principalement de celles de ces maladiesqui ont en grande partie l'effet de la constitution foible,délicate, & extaordinaire des nerfs; & je regarde com-me étant dans cette classe, la plûpart de ces symp-tômes que les médecins ont communément distin-gués par les noms de symptômes venteux,spasmodiques, hypochondriaques, hystériques,vaporeux. .... Des ceux qui se font sentir subitement

dans tout le corps ou qui le parcourent; des frissonements;un sentiment de froid dans certaines parties surlequelles il semble qu'on verse de l'eau; d'autresfois, un feu extraordinaire; ... Des palpitations decoeur; Le pouls très changeant, le plus souventnaturel, quelquefois extraordinairement lent, & ,d'autres fois prompt ou fréquent, plus souvent petitque plein, &, dans certains cas, irrégulier ou inter-mittent; ... Une toux sèche avec de la difficulté àr e s p i r e r, ou bien une convulsion ou un resserementdes bronches: accident qui revient quelquefoispériodiquement, le bâillement, le hoquet, les sou-pirs fréquents, un sentiment de suffocation oud'étranglement qui semble causé par une boule ouun corps fort gros engagé dans la gorge, des cris& des ris convulsifs qui prennent par accès.....”

Erasmus Darwin (1731-1802) est célèbrepour être le grand père de Charles et l’auteur de “Zoonomiaou les lois de la vie organique” (1794). Il est lepremier à y décrire le mouvement du bras paraly-sé quand un hémiplégique bâille: “ Yawning andpandiculation of the limbs is produced either by along inactivity of the muscles now brought intoaction.... These involuntary motions are often seenin paralytic limbs, which are at the same time com-pletely disobedient to the will”.

“ L’art de connaître les hommes par la phy-sionomie” (1775-1778) de Gaspard Lavater (1741-1800) est l’aboutissement d’un courant philoso-phique né dans l’antiquité consistant à décrypter lapersonnalité d’un individu en fonction des traitsde son visage. Le chapitre qu’il consacre au bâille-ment est particulièrement original: “Dans les ins-tans les plus vifs des passions, la machoire a sou-vent un mouvement involontaire, ainsi que dansles momens où l’ame n’est affectée de rien; la dou-l e u r, le plaisir, l’ennui font également bâiller, maisil est vrai qu’on bâille vivement et que cette espè-ce de convulsion est très prompte dans la douleuret le plaisir, au lieu que le bâillement de l’ennui enporte le caractère, par la lenteur avec lequel il sefait”.

Le XIXè siècle, le bâillement et l’hystérie.François Magendie (1783-1855) démon-

tra les découvertes de Charles Bell distinguant lesracines antérieures de la moelle comme motriceset postérieures comme sensitives. Il soutint sa thè-se le 27 mars 1808: “Essai sur l’usage du voile dupalais” dans laquelle il consacre un chapitre originalau bâillement: “Le bâillement, placé par les phy-siologistes au nombre des phénomènes inspira-toires, ne me paraît pas avoir été suffisamment étu-

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dié. On le considère généralement comme unelongue inspiration nécessitée par le ralentissementde la circulation au moment du réveil, auxapproches du sommeil et dans les passions tristes,comme l'ennui, etc. Mais, si l'on examine avecattention le bâillement, on reconnaîtra que souventil se compose de plusieurs inspirations et expira-tions; que d'autres fois il arrive après l'inspiration,par conséquent lors de l'expiration; qu'enfin, danscertains cas plus rares, on bâille sans inspirer niexpirer; ce qui ma fait fortement présumer que labâillement consiste principalement dans la pandi-culation des muscles masséters temporaux ptéry-goïdiens, et dans la contraction prolongée desmuscles sous-maxillaires. Je ne prétends pointexclure entièrement le but donné au bâillement parles physiologistes; mais je pense qu'il doit êtreregardé comme accessoire. Une autre raison mefait persister dans cette idée: c'est que le bâille-ment est presque toujours accompagné de la pan-diculation des autres muscles du corps, et que desmuscles aussi importants que les masséters et lesptérryoïdiens doivent nécessairement participer aubien-être résultant de cet état d'allongement.N'observe-t-on pas d'ailleurs pour les muscles dela mâchoire les deux espèces de pandiculation desmuscles du tronc et des membres? Dans l'une, etc'est la plus fréquente, on étend les membres, onrenverse le tronc en arrière, les fléchisseurs sont allon-gés, les extenseurs contractés; dans l'autre, lecontraire arrive, c'est à dire, que le tronc et lesmembres sont dans la plus grand degré de flexionpossible: alors les extenseurs sont allongés, les flé-chisseurs fortement contractés. On retrouve cesdeux espèces de pandiculation dans les musclesde la mâchoire inférieure, quand le bâillement ordi-naire a lieu: les élévateurs sont allongés, les abais-seurs en contraction; dans un état particulier, et quin'a pas encore été décrit, les muscles élévateurs, ain-si que tous les muscles de la face, entrent dans uneviolente contraction, et l'on éprouve alors une sen-sation parfaitement analogue à celle ressentie dansle bâillement”.

Auguste Landre-Beauvais (1772-1840)inaugure un nouveau genre en proposant un despremiers livres de sémiologie médicale: “Tr a i t édes signes des maladies” (1815). Il décrit le bâille-ment associé à divers états pathologiques: “ Lebâillement survient ordinairement avant le frissonfébrile ; il se rencontre quelquefois dans les fièvresataxiques; il précède fréquemment les éruptions etles hémorrhagies. Les attaques de goutte, d'hysté-rie, d'hypochondrie s'annoncent, assez souvent parun bâillement continuel. Des bâillemens fréquensse remarquent quelquefois chez les femmes nou-

vellement enceintes. Le bâillement est un des phé-nomènes qui se manifestent après de grandes bles-sures, des évacuations excessives, des inflamma-tions internes: s'il est accompagné de mauvaissymptômes, il devient un signe très fâcheux. Dansles fièvres ataxiques, le bâillement fréquent devientun signe très dangereux, particulièrement s'il est jointà d'autres phénomènes qui annoncent la foiblesse.Il en est de même dans la fièvre jaune, dans la pes-te, dans les phlegmasies compliquées de fièvreataxique. Des bâillements fréquens surviennentquelquefois chez les femmes qui sont dans le tra-vail de l'enfantement : ils indiquent que l'accouchementsera difficile et que les forces sont opprimées ouaffoiblies. Un sentiment de lassitude et de pesan-teur dans les membres, et des sensations moinsvives, précèdent immédiatement le bâillement ; ilest suivi de plus de gaieté et de vivacité; le poulsacquiert de la fréquence, et souvent la chaleur aug-mente; la sécrétion des larmes et de la salive est plusabondante. Si on rapproche ces phénomènes de cequi a eu lieu avant le bâillement, la fatigue, l'en-nui, un froid extérieur, il paroît que le but de cete ffort est de favoriser la circulation dans le poumon,où elle éprouve quelques obstacles produits soitpar un état de spasme, soit par la pléthore”.

Le premier dictionnaire médical ency-

clopédique du XIXe siècle, en 60 volumes paru de1812 à 1822, est l'œuvre de Charles-Louis-FleuryPanckoucke (1780-1844) pour lequel il fit appelaux plus grandes signatures de l'époque, comme lesAlibert, Pinel, Esquirol, Laënnec, Desgenettes ouLarrey. En plus de 4.000 notices et un peu plus de200 illustrations, ce dictionnaire tente de faire lasynthèse du savoir médical de l'époque, à la nais-sance de la clinique et de l'anatomo-pathologie. Ilrencontra un grand succès commercial qui arron-dit la fortune de son promoteur et assura une lar-ge promotion de la pensée médicale française. Larubrique “Bâillement” est novatrice car elle évoquele bâillement des animaux et décrit le bâillementfœtal jamais signalé précédemment: “Bâillement,s.f. oscitatio, action de bâiller : on fait dériver cemot de balare, bêler. Le bâillement consiste dansune grande inspiration qui se fait lentement et ordi-nairement avec écartement considérable desmâchoires, et qui est suivie d'une expiration pro-longée, souvent accompagnée d'un bruit sourd. Oncroit généralement qu'il est occasionné par unembaras de la circulation pulmonaire: cette opi-nion, qui n'est appuyée sur aucun fait positif, ne manquecependant pas de vraisemblance: en effet, presquetoutes les causes qui déterminent le bâillementcoïncident avec une certaine débilité de tout le sys-

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tème, qui paraît très propre à produire l'embaras dontnous parlons; ces causes sont l'ennui, l'envie dedormir, la fatigue, la faim, le malaise qui précèdel'invasion de certaines fièvres intermittentes, etc.Les animaux que l'ont met sous le récipient de lamachine pneumatique, ceux qu'on place dans un airnon respirable, bâillent à plusieurs reprises avantde perdre la vie: les fœtus qu'on tire vivans du seinde leur mère par opération césarienne, bâillent éga-lement : enfin il paraît qu'une altération quelconquedans le tissu pulmonaire peut donner lieu à fré-quens bâillemens. Dans beaucoup de cas, ce phé-nomène semble plutôt lié à l'état de l'esomac qu'àcelui des poumons qui ne sont affectés, en quelquesorte, que d'un manière sympathique; c'est ainsiqu'une digestion laborieuse ou une simple douleurd'estomac, quelle qu'en soit la cause, est accompagnéede bâillemens répétés : cet accident peut aussi êtrepurement spasmodique, comme on l'observe chezles femmes affectées d'hystérie, ou chez les indi-vidus qui sont sujets aux maladies convulsives. Lebâillement est, jusqu'à un certain point, un acteinvolontaire : on peut bien surmonter l'action desmuscles qui tendent à abaisser la mâchoire, encontractant leurs antagonistes; on peut modérerl'expiration qui le temine et prévenir le bruit dontelle est accompagnée; mais la longue inspiration qui,à proprement parler, constitue le bâillement, nepeut être réprimée, sans doute parce que le dia-phragme, qui en est l'agent, reçoit en partie sesnerfs du système des ganglions, ainsi que M. Rouxl'a fort bien remarqué. Bichat soupçonnait que l'ob-jet de cet acte involontaire était de renouveler pluscomplètement l'air contenu dans les poumons qu'ilne l'est dans une inspiration ordinaire, et de don-ner lieu, par là, à une une plus grande absortion d'oxy-gène.”

François-Joseph Double (1776-1842),célèbre à son époque et membre fondateur del’Académie de Médecine, publie, lui aussi, un trai-té de “Séméiologie générale ou traité des signeset de leur valeur dans les maladies” en 1817. Il yrécapitule les mêmes données que Landre-Beauvais: “Des considérations rapides sur le méca-nisme du bâillement, laissent facilement entrevoirle degré d'influence qu'il doit avoir sur l'économie.Quelle idée ne prendra-t-on pas de son importan-ce, si l'on réfléchit à l'état général de l'économie quile précède et qui le termine, et par exemple à l'es-pèce de stupeur et d'engourdissement qui le prépare,au sentiment de lassitude et de faiblesse qui ledevance, et au contraire à la sensation agréable quile suit, au délassement et au bien-être qu'il procu-re. C'est dans la méditation ce ces divers objets, quel'on retrouve l'indication de la plupart des signes

que l'expérience a attaché au bâillement [...] Unedistenion successive de tous les muscles avec unesensation agréable assez ordinairement suivie de bâille-ment, constituent les pandiculations. [...] A u xapproches des convalescences, les pandiculationssont un signe très-avantageux; mais si elles se pro-longent et si elles persistent avec trop d'opiniatre-té, on doit craindre une rechute. Dans le cours desmaladies, les pandiculations sont toujours salu-taires; elles constatent l'état favorable des forces vitaleset la résistance que la nature oppose à l'action dela maladie”.

A la même époque, Anthelme Richerand(1779-1840), connu pour ses querelles avecDupuytren, publia, à 22 ans, “Nouveaux élémentsde physiologie”, large compilation des écrits del’époque et sans originalité mais dans un style à l’ori-gine d’un réel succès pédagogique comme cetémoignage l’atteste: “Nos années dites scolairesont été comme embellies et charmées par la lecturede cet ouvrage. C'était pour nous comme une sédui-sante introduction à l'étude austère de la Médecine;lecture un peu légère si l'on veut, mais qui semblaitparsemer de fleurs ses premiers sentiers”. L’ a r t i c l esur le bâillement en fait foi: “On bâille égalementquand on s'éveille, afin de monter les muscles duthorax au degré convenable à la respiration, toujoursplus lente, plus rare et plus profonde durant le som-meil que pendant la veille. C'est par un besoin ana-logue que l'instant du réveil est marqué chez tousles animaux par des pandiculations, action mus-culaire dans laquelle les muscles semblent se dis-poser aux contractions que les mouvemens exi-gent. C'est à la même utilité que l'on doit rapporterle chant du coq et l'agitation de ses ailes; enfinc'est pour obéir à la même nécessité, qu'au lever dusoleil, les nombreuses tribus des oiseaux qui peu-plent nos bocages gazouillent à l'envi et font reten-tir les airs de chants harmonieux. Le poète croitentendre alors l'hymne joyeux par lequel le peupleailé célèbre le retour du dieu de la lumière” !

Nicolas Adelon (1782-1862) est l’auteurdu long article consacré au bâillement dans leDictionnaire de Médecine paru en 1821. Il déve-loppe largement la théorie ventilatoire du bâillement,lui assurant plus de 150 ans de succès: “Ainsi, dansl'état de santé, le bâillement éclate par le séjourdans le vide, par la situation dans un air non renou-velé, parce que dans ces cas l'air manque ou estpeu riche en oxygène, et qu'on cherche à suppléeren en introduisant beaucoup, a ce qui manque à siqualité. C'est par la même raison que le bâillementest un phénomène précurseur de toutes lesasphyxies graduelles. On bâille aux approches du

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sommeil, parce que la paralysie momentanée, quiva saisir tous les muscles du corps semble vouloirsaisir aussi ceux de la respiration, d'où résulte unediminution passagère dans les inspirations; et com-me cependant la circulation a continué de même,et par conséquent a amené dans le poumon la mêmequantité de sang veineux à changer en artériel, onconçoit qu'il n'y a plus eu assez d'air pour eff e c t u e rcette conversion, et qu'un peu de sang veineux res-tant dans le poumon, il s'est fait un léger embar-ras dans la circulation pulmonaire: alors des bâille-ments surviennent automatiquement pour introduireune plus grande masse d'air, toute la quantité néces-saire pour artérialiser le sang veineux restant, etrétablir l'équilibre. C'est parce que le bâillementéclate dans toutes les circonstances où existe cet-te accumulation de sang veineux dans le poumon,cet embarras dans la circulation pulmonaire, qu'ona considéré ce phénomène comme un remède phy-siologique destiné à dissiper cet engorgement; etil est sûr en effet que son entier accomplissementest suivi d'un sentiment de bien-être. A juger parce sentiment, on croirait que l'air extérieur que lebâillement introduit dans le poumon a vaincu danscet organe l'obstacle qui y entravait la circulation.On bâille aussi premiers instants du réveil, parceque, pendant le sommeil, l'inspiration s'est faitedans un mode autre que pendant la veille et que,lors du passage d'un de ces modes à l'autre, il a yeu momentanément diminution dans les inspira-tions, défaut d'équilibre entre la quantité d'air intro-duite et la quantité de sang veineux à charger ensang artériel, d'où est résulté un léger engorg e m e n tpulmonaire qui a appelé à sa suite le phénomènepropre à le dissiper”.

Ala même époque, en Angleterre, John M. G o o d(1764-1827) détaille bâillements et pandiculationsdans The Study of Medicine with a PhysiologicalSystem of Nosology. De façon très différente desexplications ayant cours sur le continent, iln’évoque jamais le mécanisme ventilatoire maisn’y voit qu’un travail musculaire nécessaire àl’équilibre entre extenseurs et fléchisseurs. Cesnotions s’approchent des constats physiologiquescontemporains.

En 1861, dans les Annales de SciencesNaturelles, Adolphe Dureau de la Malle (1777-1851) propose un mémoire sur le développementdes facultés intellectuelles des animaux sauvageset domestiqués. Il assure avoir créé un lien si procheavec son chien, que celui-ci bâille en le voyantbâiller! Un auteur contemporain A. Senju a publiéen 2008 une recherche aboutissant à des conclusionscomparables.

François Broussais (1772-1838) sedémarque complètement de ses prédécesseurs etcontemporains, dans son Traité de physiologieappliqué à la pathologie, paru en 1834: “Si l'onveut rechercher le mécanisme des bâillemens, quel'on peut considérer comme le premier signe et leprincipal phénomène de l'ennui, soit moral, soitphysique, on rencontrera de grandes diff i c u l t é s .On l'a considéré comme produit par le besoin derespirer, ou comme destiné à renouveler l'air stag-nant dans les poumons, lorsque la respiration a étéquelque temps ralentie. C'est une erreur - il suffitd'être praticien pour avoir la certitude que jamaisla dyspnée ne produit seule le bâillement.” [...]“Les poumons me paraissent beaucoup moinsinfluencés que l'estomac par l'acte du bâillement”[...] “si le besoin d'air n'est pas l'objet principal decette grande aspiration, à quoi peut-elle servir?Serait-ce pour obtenir une déglutition d'air, et fai-re par là cesser un malaise de l'estomac ?” Cetteréflexion originale n’eut pas d’écho et la théorie ven-tilatoire perdura.

John Abercrombie (1780-1844), médecinécossais, publie en 1828, Pathological and practi-cal researches on the diseases of the brain and spi-nal cord, traduit en français en 1832. Il décrit avecune grande précision ce curieux phénomène ren-contré chez certains hémiplégiques qui voient leurbras paralysé venir vers la bouche pendant qu’ilsbâillent; il signale la simultanéité et précise sa dis-parition lors de la récupération de la paralysie.

En 1842, Pierre-Marie Flourens (1794-1867) donne une explication claire des automa-tismes moteurs et de leur coordination (Recherchesexpérimentales sur les propriétés et les fonctionsdu système nerveux dans les animaux vertébrés):“Quant à la moelle épinière, elle se borne à lier lescontractions musculaires, premiers éléments detout mouvement, en mouvements d'ensemble; et,bien que d'elle partent presque tous les nerfs qui déter-minent et ces contractions et ces mouvements, cen'est pourtant point en elle que réside l'admirablefaculté de coordonner et ces contractions et cesmouvements en mouvements déterminés, saut, vol,marche, coure, station, etc.; ou inspiration, cri,bâillement, etc.: cette faculté réside dans le cerve-let, pour les premiers; dans la moelle allongée,pour les seconds. Il reste une dernière considéra-tion à rappeler. Communément, les mouvements dela respiration, du cri, du bâillement, etc., sont appe-lés involontaires, par opposition aux mouvementsde locomotion, qu'on appelle alors volontaires”.

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Louis Delasiauve (1804-1893) etThéodore Herpin (1799-1865) ont leurs noms asso-ciés aux descriptions précises de différents typesd’épilepsie, distinguant les crises généralisées descrises partielles. Ils décrivent des prodromes aver-tissant le malade de la survenue d’une crise, notam-ment des bâillements réitérés. Ces symptômes sontactuellement attribués à des crises partielles tem-porales.

Fin du XIXè siècle, le bâillement est-il unréflexe?

Jean-Louis Brachet (1789-1858), éminentphysiologiste lyonnais, conteste, le premier, le rôlerespiratoire du bâillement: “On fait, en général,consister le bâillement dans une grande et profon-de inspiration qui se fait lentement et avec abais-sement considérable de la mâchoire inférieure, del'os hyoïde et du larynx, et à laquelle succède uneexpiration prolongée et accompagnée d'un bruitsourd particulier; on l'attribue soit au besoin derenouveler l'air des poumons, soit au besoin d'enintroduire une plus grande quantité pour fournirplus d'oxygène au sang, dont le cours était gêné,et qui, par conséquent, en a besoin, soit enfin à unsentiment de malaise qui se manifeste dans le fondde la gorge, à la partie supérieure du cou. Te l l en'est pas notre manière de voir. Ce n'est pas seu-lement à cette contraction convulsive des musclesde la face et du cou, ce n'est pas à cette colonne d'airplus large qu'elle promène dans les voies aériennes,que nous restreignons l'action de ce phénomène. Lebâillement n'est pas un phénomène purement localappartenant exclusivement, à la respiration : c'estun phénomène général appartenant à l'économietout entière” [...] “Ainsi, nous pensons que lebâillement a lieu, de même que les pandiculations,lorsque le cerveau, averti de l'engourdissementdans lequel tombe l'économie, cherche à en prévenirles suites en sollicitant des actes d'excitation et deréveil; alors tous les muscles de l'économie secontractent, aussi bien ceux de la locomotion queceux de la respiration. Cette contraction généraleest déjà un moyen de stimulation”.

Almire Lepelletier de la Sarthe (1790-1880) adepte de la physiognomonie, développéepar Johann-Casper Lavater en 1775, dépasse lar-gement son maître en des propos attristants quinous répugnent: “Lors que le bâillement est habi-tuel, on peut supposer chez le sujet: intelligence bor-née, sans initiative, esprit lent paresseux, inactif;caractère mou, faible indolent, craintif, indiff é r e n t ,mélancolique, ennuyeux, incapable d'une résolutioné n e rgique, d'une entreprise longue, difficile ou

périlleuse; quelque fois astucieux, rusé, méditantle vol et la fraude, au cours des affaires”.

Jules-Bernard Luys (1828-1897) publieen 1865 “Ses recherches sur le système nerveux céré-bro-spinal, sa structure, ses fonctions et ses mala-dies”. Il y décrit les noyaux gris centraux donnantson nom à l’un d’eux et envisage leur rôle physo-logique complètement ignoré avant lui. Il déve-loppe des idées novatrices également concernant lebâillement: “Pour peu qu'on y réfléchisse en effet,il est d'observation vulgaire qu'au moment où lescellules cérébrales commencent à passer à l'étatd'inactivité, les régions bulbaires de l'axe spinalqui tiennent sous leur dépendance immédiate lejeu des appareils respiratoires, sont modifiés dansleur mode de fonctionnement. Toute le monde saiten effet que le bâillement est le signe prémonitoi-re qui indique que les conditions de l'activité fonc-tionnelle diurne du système nerveux ont cessé d'êtrece qu'elles étaient précédemment. Qu'est-ce, eneffet, que le bâillement, si ce n'est une inspirationinvolontaire indiquant par elle même que l'inner-vation de la sphère de l'activité automatiqueacquiert à la région bulbaire une influence pré-pondérante, par la suite de la rétrocession de l'in-flux cérébral, et qu'il se passe en ce point limité del'axe spinal, une sorte d'interrègne et de perturba-tion du stimulus incitateur? D'autre part, le rhyth-me si particulier que prennent les mouvements ins-piratoires pendant la période de collapsus ducerveau, leur succession si mesurée, leurs caractèressi franchement automatiques, nous portent pareille-ment à penser qu'ils ont cessé d'être régis par lesmêmes foyers d'innervation que ceux qui les sus-citent pendant l'état de veille”.

La fin du XIXè siècle que nous abordonsmaintenant est dominée par les travaux de Jean-MartinCharcot (1825-1893) et de ses élèves Charles Féré(1852-1907) et Georges Gilles de la Tourette (1857-1904). La plus célèbre observation de bâillementspathologiques a été présentée par JM. Charcot lemardi 23 octobre 1888. Sa jeune patiente de 17ans bâille 8 fois par minute soit 480 fois par heu-re sans s’arrêter sauf pendant le sommeil; elle ades crises épileptiques généralisées, une anosmiecomplète, une amputation binasale des champsvisuels. Gilles de la Tourette, reprenant cette obser-vation dans la Nouvelle Iconographie de laSalpêtrière, en 1890, précise qu’elle a une amé-norrhée depuis près d’un an, sans indiquer si unegalactorrhée avait été recherchée. Et pourtant,J M . Charcot poursuit: « Vous avez sans doute pré-vu, après ce que je viens de vous dire, que nous sommes

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ici dans le domaine de l'hystérie ». S’il est per-mis, 120 ans plus tard, de critiquer le maître,J M . Charcot avait très probablement devant lui unejeune fille porteuse d’une adénome hypophysaireà prolactine comprimant son chiasma optique etson hypothalamus. Etonnament, JM. C h a r c o treprend sans aucune critique: “Physiologiquement,on assure que c'est un acte automatique nécessitepar un certain degré d'anoxémie, un besoin d'hé-matose des centres nerveux”. Dans le tome 3 de LaNouvelle Iconographie de la Salpêtrière (1890),Gilles de la Tourette ajoute à ce cas quatre autresobservations où se mêlent mouvements anormauxet convulsions rapportés à l’hystérie. Il est biendélicat de porter un diagnostic précis mais unepathologie organique est probable au niveau tha-lamique ou hypothalamique comme une tumeuravec hypertension intra-crânienne ou une maladiede tics chroniques. Gilles de la Tourette reprendraces cas et les commentera à nouveau dans sonTraité de l’hystérie en trois volumes de 1895 jus-tifiant, à ses yeux, leur origine hystérique. Enfin en1905, Ch. Féré publie une note sur le bâillement àla Société de Biologie rendant compte de ses eff o r t spour mesurer la force musculaire, notant sa dimi-nution après les bâillements (?).

Paolo Mantegazza (1831-1910) est unpsychologue italien auteur de “La physionomie etl’expression des sentiments”. Il est le premier àrapporter: “Le bâillement exprime les choses les plusvariées telles que la faim, la soif, et, surtout chezla femme, le besoin de l'amour physique; mais dansla mimique de la douleur, c'est un élément carac-téristique de l'ennui”.

En 1891, l’américaine Henrietta Russell,de New York, décrit, dans son livre “Yawning”, lagymnastique naturelle, comparable à la relaxationconempraine, montrant tout l’intérêt du bâillementinduit par la relaxation source d’une sensation dedétente et de bien-être. Elle a largement fait écoledepuis et une thèse a été consacrée à ce thème en2006 en France.

Le XXè siècle1901 est une année capitale dans l’étude

du bâillement. En effet, René Trautmann (1875-1956) soutient sa thèse de doctorat à Bordeaux pré-sidée par Paul Ve rgely: Le Bâillement. C’est lapremière thèse sur les trois soutenues en France

au XXè siècle sur ce thème, et de loin la plus inté-ressante. Trautmann, formé à l’école de santé mili-taire, deviendra médecin en Afrique pour toute sacarrière militaire, rédigeant quelques nouvelles deses séjours et des études éthnologiques marquées

par l’esprit colonisateur de l’époque. Cette thèse bros-se un historique très riche et encore bien utile.Trautman décrit en détail, plus loin, comme aucunde ses prédécesseurs, l’activation des muscles dela face et des voies respiratoires et en conclue aurôle d’amélioration de l’oxygènation du sang grâ-ce au bâillement. Il passe en revue les différentesthéories expliquant la contagiosité du bâillement etpropose: “le bâillement rentre dans la catégoriedes faits que l’habitude renforce, que la dépres-sion morale favorise. Lorsque l’esprit est tendu,lorsqu’on prête une grande attention à un récit, onne bâille pas., même si une ou plusieurs personnesaccomplissent cet acte. Le bâillement est un phé-nomène purement imitatif, au même titre que lesgestes et les mouvements involontaires de la faceexécutés par beaucoup d’individus assistant à undiscours ou une séance de déclamation.... La plusgrande fréquence du bâillement provoqué, selonles sujets, résulte d’une plus grande tendance àl’imitation instinctive chez eux”. Trautmann accep-te l’idée que bâiller est involontaire mais s’oppoeaux écrits historiques qu’il cite en proposant uneméthode pour le déclencher à volonté: “nous avionsremarqué depuis longtemps qu’il nous était possible,par un mécanisme particulier, de déterminer àvolonté un bâillement complet; plusieurs de noscamarades, étudiants en médecine, sont arrivés aumême résultat. Il suffit de tendre énerg i q u e m e n tles muscles sus-hyoïdiens en inspirant lentement etprofondément; le maxillaire inférieur est abaissé etprojeté en avant, un bourdonnement se produitdans l’oreille: le bâillement a lieu.” Trautmann pas-se longuement en revue toutes les formes de bâille-ments pathologiques en y apportant quelques obser-vations personnelles de salves de bâillements à laphase des frissons lors du début d’une fièvre. Unlong chapitre décrit les bâillements des femmesenceintes notamment lors d’accouchements hémor-ragiques ou de fièvres puerpérales, avec ses propresobservations. En sa conclusion, Trautmann écrit: “lebâillement, s’il se manifeste toujours de la mêmefaçon, en tant qu’acte musculaire, peut être consi-déré comme un réflexe d’ordre différent suivantles cas où il se produit: a) on peut l’envisagerd’abord dans quelques circonstances comme unréflex uniquement médullaire; b) dans d’autres,comme un réflexe mésencéphalique; c) enfin, ilnous paraît évident que souvent il est constitué parun réflexe cérébral et cortical, fort probablement”.Il remet en cause ainsi, à la fin de sa thèse, la théo-rie ventilatoire qui n’explique pas tous les cas cli-niques qu’il a présentés et suggère de découvrirles mécanismes neurologiques qui déclenchent lebâillement. Trautmann apparait ainsi comme le“premier des modernes”.

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André Vigouroux et Paul Juquelierconsacre en 1905 un livre à “La contagion menta-le”. Ils conçoivent le bâillement comme un réflexece qui le rendrait contagieux par nature. Ils émet-tent surtout l’hypothèse, qui fera succès sous lenom de théorie de l’esprit, qu’en mimant involon-tairement les gestes, actions, émotions d’autruinous en acquérons la capacité de décoder le ressentide celui que nous observons. Cette théorie se renou-

velera à la fin du XXè siècle avec la découverte desneurones miroirs: “la vue d'actions coordonnées, ryth-miques et devenues réflexes chez ceux qui les exé-cutent, provoquent chez les spectateurs des réac-tions motrices, parfaitement inconscientes, maiségalement rythmiques, qui sont pour ainsi dire uneébauche de la reproduction, des actes perçus”.

FH. Pike, de l’Université Colombia, àNew York, propose en 1916 dans “Journal ofHeredity” une revue exhaustive où sont pris encompte le monde animal et la vie fœtale et renou-vèle les concepts sur l’origine du bâillement, quece soit sous l’emprise de la faim ou par la néces-sité de combattre un ennemi.

John Hughlings Jackson décrit dans lenuméro du 21 janvier 1905 du “Lancet” une obser-vation faite personnellement: alors qu’il réalise unfond d’oeil à un patient, il constate subitement unepâleur rétinienne attribuée à un spasme artériol-laire, aussitôt suivie d’un bâillement qui rétablitl’aspect antérieur de la rétine.

La période qui suit la première guerremondiale a été marquée par l’importante épidémied’encéphalite léthargique dite de von Economo. Acôté des formes léthargiques souvent fatales ouguérissant au prix d’un syndrome parkinsonnienet de mouvements anormaux (crises occulogyres),une forme plus rare, à l’inverse, se manifestait pasune insomnie rebelle et mortelle, très souventaccompagnée de salves de bâillements répétés.Jean Sicard et André Paraff ont publié en 1921 uncas, associé à des accès de rires, comparable à uneépilepsie gélastique. Gabrielle Lévy, élève de PierreMarie et Jean Lhermitte y consacra sa thèse enFrance en 1922, alors qu’aux USA, MacDonaldC r i t c h l e y, Smith E. Jelliffe, et en Suisse, Raymondde Saussure, Georges Guillain et Pierre Mollaret àParis, collectaient des observations où les bâille-ments peuvent s’interpréter comme des mouve-ments anormaux, proches de tics et de comporte-ments de relaxation au décours d’épisodesd’hyperventilation involontaire.

Edouard Claparède (1873-1940) médecinet psychologue genevois se consacra, entre autres,à la psychologie de l’enfant. Dans une revue des-tinée aux enseignants, L’ E d u c a t e u r, en 1924, ils’inspire de travaux allemands de Valentin Dumpert(1921) précisant que l’inspiration du bâillementest la conséquence d’une contraction massive dudiaphragme, part de la pandiculation et non d’uneorigine ventilatoire propre. Il est le premier à ren-verser le paradigme du bâillement ventilatoire et inau-gure la théorie actuelle d’un phénomène neuro-musculaire d’origine diencéphalique: “Lebâillement n'est incompréhensible que lorsqu'onle considère isolément. Tout s'éclaire au contrairesi on le regarde comme n'étant qu'une portion d'unréflexe plus général, le réflexe d'étirement. Noussavons tous en effet que le bâillement ne va guè-re sans un étirement général du corps; le fait est frap-pant chez certains animaux, comme le chien ou lechat. Il est manifeste aussi chez les petits bébés, etbien souvent chez l'adulte lui-même. Dumpert aconstaté chez lui que le fait de s'étirer volontaire-ment déclenche involontairement le bâillement.(Cette observation est facile à répéter.) Il a notéaussi que, chez les hémiplégiques, le bâillementsuscite des mouvements associés: chez eux, lesmembres paralysés présentent des mouvementsd'extension qui persistent pendant toute la duréedu bâillement. Il n'y a pas de doute, pense-t-il, queces mouvements associés n'appartiennent au réflexetotal d'étirement”. [...] “ Lorsqu'un de nos auditeursbâille, pouvons-nous vraiment croire non pas qu'ildésire ne plus nous entendre, mais au contrairequ'il s'efforce de nous écouter ?” Le bâillementdevient un stimulant de la vigilance, une vraie révo-lution !

Paul Delmas-Marsallet présente, en 1937,dans la revue Oto-Neuro-Ophtalmologie un articletitré « Le signe du bâillement dans les lésions ducerveau frontal ». Il y décrit cinq observations debâillements incoercibles révélant soit des héma-tomes frontaux soit des tumeurs frontales. Il pro-pose de retenir le bâillement incoercible commesigne clinique d’hypertension intra-crânienne, ce quireste vrai.

Paul Heusner établit en 1946 dansPhysiological Review, la première synthèse enanglais. Les notions de phylogenèse émergent pourla première fois. Une description précise des dif-férents temps du bâillement et les horaires quoti-diens sont scientifiquement mesurés. Le tronc céré-bral et les noyaux gris centraux apparaissentcomme à l’origine du bâillement, après des obser-vations de bâillements chez des nouveau-nés anen-

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céphales, où lors de parakinésie brachiale chezl’hémiplégique.

Jean Barbizet publi en 1958, en françaiset en anglais, une vaste compilation des donnéeset concepts historiques, enrichie par les premièresmesures, réalisées par l’auteur en radioscopie, del’expansion pharyngo-laryngée au cours des bâille-ments. Il montra ainsi qu’à l’acmé d’un bâillementle diamètre pharyngo-laryngé est multiplié parquatre. Il décrit les premiers travaux de P. P a s s o u a n tqui, par électrostimulation de l’hypothalamus,déclenche des bâillements expérimentaux chez lechat. Alors que la parakinésie involontaire du brasparalysé d’un hémiplégique est rappelée, il signa-le l’observation insolite de D. F u r t a d o : le mou-vement passif du bras paralysé d’un malade atteintde poliomyélite déclenche des bâillements, casjamais retrouvé depuis.

A. Montagu écrit, en 1962, un article dansle JAMA, fréquemment cité depuis , où il proposepour la première fois le concept du bâillement sti-mulant la vigilance, tout en attribuant la baisse decelle-ci à un déficit d’oxygènation cérébrale.

J. Boudouresque essaie, en 1965, une syn-thèse des connaissances pour l’EncyclopédieM é d i c o - C h i r u rgicale. Reprenant le concept anciende bâillement équivalent d’un acte respiratoiremodifié, il indique clairement le diencéphale et letronc cérébral comme lieu d’origine. Après un cata-logue complet des causes d’excès de bâillements,il conclut par « Le bâillement représente le signele plus évocateur d’une souffrance méso-diencéphalique ;sa valeur pronostique est considérable : il est un syno-nyme de gravité ».

S’ouvre alors, en 1963, l’ère des phar-macologues qui publient les premiers travaux de déclen-chement expérimental du bâillement qui se révèleconstamment associé à l’érection et souvent desétirements des membres chez le rat, le chat, le sin-ge Mongabé. W Ferrari et GL.Gessa et al. publientdans Les Annales de l’Académie des Sciences deNew York les résultats de l’injection intra-céré-brale d’ACTH, hormone hypophysaire stimulant lasécrétion de cortisol et d’autres stéroïdes du cor-tex surrénalien. L’ACTH, peptide de 41 acides ami-nés, est produite à partir d’un précurseur (pro-opio-mélanocortine ou POMC) et agit au niveaudu noyau paraventriculaire de l’hypothalamus. Orla POMC est également précurseur d’autres protéineshormonales comme l’alpha MSH, hormone sti-mulant la mélanogénèse, qui se révèleront induc-trices de bâillements après injections corticales.

Le rôle central du noyau paraventriculai-re de l’hypothalamus est précisé, en 1980, par lestravaux de W. Ferrari, A. Argiolas, et MR. Melisen Italie, R. Urba-Holmgren et B. Holmgren auMexique, renouvelant l’approche des systèmesdopaminergiques et cholinergiques cérébraux.

Dans les années 80-90, les psychologuesaméricains R. Provine, et R. Baenninger publientles premiers travaux scientifiques d’étude com-portementale du bâillement en prenant leurs étudiantscomme population d’observation. Sans qu’il sembley avoir lien ou concertation, l’éthologie avecBL. Deputte en France et F. Troisi aux Pays-Bas,décrit les différents type de bâillements observéschez les primates non humains, notamment l’exis-tence de bâillements testostérone dépendants chezles mâles dominants d’un groupe.

En ce début du XXIè siècle, les méca-nismes neuro-hormonaux semblent établis, faisantdu bâillement un marqueur de l’activité des récep-teurs D3 à la dopamine. L’étude de “la contagion”du bâillement offre un exemple de langage nonverbal s’intégrant dans la théorie de l’esprit. Sadéficience chez les enfants autistes, son imageriecérébrale renouvèlent la manière de concevoir lesmécanismes neuropsychologiques du décodageinvolontaire des émotions, rapprochant le bâillementde l’empathie.

Après avoir été un phénomène assimiléà une ventilation forcée pendant des siècles, lebâillement est devenu une stéréotypie émotion-nelle extériorisant des phénomènes d’homéostasiedes systèmes d’éveil, de la satiété et de la sexua-lité.

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