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1 COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE DES ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (CEDEAO) SIEGEANT A ABUJA AU NIGERIA CE 13 JUILLET 2015 AFFAIRE NO°ECW/CCJ/APP/19/15 Jugement N° ECW/CCJ/JUG/16/15 Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) & Autres REQUERANT CONTRE L’Etat du Burkina DEFENDERESSE COMPOSITION DE LA COUR - Hon. Juge Yaya Boiro Président - Hon. Juge Hamèye Founé MAHALMADANE Membre - Hon. Juge Alioune SALL Membre ASSISTES DE Me Aboubacar DIAKITE Greffier COMMUNITY COURT OF JUSTICE, ECOWAS COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, CEDEAO TRIBUNAL DE JUSTICA DA COMMUNIDADE DA CEDEAO 10, DAR ES SALAAM CRESCENT, OFF AMINU KANO CRESCENT, WUSE II, ABUJA NIGERIA

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    I-

    COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE DES ETATS DE

    LAFRIQUE DE LOUEST (CEDEAO)

    SIEGEANT A ABUJA AU NIGERIA

    CE 13 JUILLET 2015

    AFFAIRE NOECW/CCJ/APP/19/15

    Jugement N ECW/CCJ/JUG/16/15

    Congrs pour la Dmocratie et le Progrs (CDP) & Autres REQUERANT

    CONTRE

    LEtat du Burkina DEFENDERESSE

    COMPOSITION DE LA COUR

    - Hon. Juge Yaya Boiro Prsident

    - Hon. Juge Hamye Foun MAHALMADANE Membre

    - Hon. Juge Alioune SALL Membre

    ASSISTES DE Me Aboubacar DIAKITE Greffier

    COMMUNITY COURT OF JUSTICE,

    ECOWAS

    COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, CEDEAO

    TRIBUNAL DE JUSTICA DA COMMUNIDADE DA CEDEAO

    10, DAR ES SALAAM CRESCENT,

    OFF AMINU KANO CRESCENT,

    WUSE II, ABUJA NIGERIA

    TEL/FAX: 234-9-6708210/09-5240781

    www.eccj.net

    http://www.eccj.net/

  • 2

    I Les parties et leur reprsentation

    1. La requte a t prsente au Greffe de la Cour le 21 mai 2015 par un

    groupe de partis politiques et de citoyens de lEtat du Burkina.

    Au titre des premiers, il ya :

    - Le Congrs pour la Dmocratie et le Progrs (CDP), reprsent par son

    prsident, Komboigo Wend-Venem Eddie Constance Hyacinthe ;

    - Le Rassemblement pour le Sursaut Rpublicain (RSR), reprsent par son

    prsident, Kabor Ren Emile ;

    - LUnion Nationale pour la Dmocratie et le Dveloppement (UNDD),

    reprsent par son prsident, Yamogo Hermann ;

    - Le Rassemblement des Dmocrates pour le Faso (RDF), reprsent par son

    prsident, Yamogo Salvador Maurice ;

    - LUnion pour un Burkina Nouveau (UBN), reprsent par son prsident

    national, Oudraogo Yacouba ;

    - Nouvelle Alliance du Faso (NAFA), reprsent par son prsident,

    Oudraogo Rasman ;

    - LUnion pour la Rpublique (UPR), reprsent par son prsident, Coulibaly

    Toussaint Abel.

    Au titre des seconds, on relve :

    - Kon Lonce ;

    - Tapsoba Achille Marie Joseph ;

    - Sampebre Eugne Bruno ;

    - Sawadogo Moussa ;

    - Nignan Frdric Daniel ;

    - Sankara Sidnoma ;

    - Yamogo Noel ;

    - Daboue Badama ;

    - Dicko Amadou Diemdioda ;

    - Barry Yacouba ;

    - Traor Amadou ;

    - Sanogo Issa ;

    - Kabor Sadou.

    Les requrants sont reprsents par les avocats suivants :

    - Matre Moussa Coulibaly, avocat au barreau du Niger ;

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    - La Socit Civile Professionnelle dAvocats (SCPA) Ouattara-Sory et

    Salambr, avocats au barreau du Burkina Faso ;

    - Matre Flore Marie Ange Toe, avocat au barreau du Burkina Faso.

    2. Le dfendeur est lEtat du Burkina reprsent par Matre Savadogo

    Mamadou et par la SCP davocats Kam et Some , tous avocats inscrits

    au barreau du Burkina Faso. LEtat du Burkina a produit un mmoire en

    dfense enregistr au greffe de la Cour le 29 juin 2015.

    II Prsentation des faits et procdure

    3. A la suite de violentes manifestations qui ont eu lieu au Burkina Faso les

    30 et 31 octobre 2014, qui se sont soldes par quelques morts et la

    destruction de biens publics et privs, le prsident de la Rpublique jusque-

    l en place, dont le projet de modification de la Constitution tait ainsi

    dsavou par les manifestants, a dmissionn de ses fonctions. Des

    tentatives de coup dEtat ont immdiatement suivi la vacance du pouvoir,

    avant quune transition politique, appuye par la communaut

    internationale en gnral et la CEDEAO en particulier, se mette en place,

    pour pacifier le pays et conduire celui-ci des lections dmocratiques et

    transparentes.

    4. Le Forum national, qui a runi les forces vives de la nation burkinab, a,

    dans cette perspective, adopt le 13 novembre 2014, une Charte de la

    Transition politique, et mis en place un Conseil National de la Transition

    (CNT). Ce Conseil, dot de pouvoirs lgislatifs, a alors engag un certain

    nombre de rformes, dont celle de la loi lectorale. Cest dans ce cadre quil

    a adopt, le 7 avril 2015, la loi n 0 05-2015 portant modification de la loi

    n014-2001/AN du 03 juillet 2001 portant code lectoral. Au titre des

    personnes frappes dinligibilit, cest--dire inaptes se prsenter aux

    lections, le nouvel article 135 ajoutait, en sus des :

    - Individus privs par dcision judiciaire de leurs droits dligibilit en

    application des lois en vigueur ;

    - Personnes pourvues dun conseil judiciaire ;

    - Individus condamns pour fraude lectorale ;

    une nouvelle catgorie forme par toutes les personnes ayant soutenu un

    changement anticonstitutionnel qui porte atteinte au principe de lalternance

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    dmocratique, notamment au principe de la limitation du nombre de mandats

    prsidentiels ayant conduit une insurrection ou toute autre forme de

    soulvement .

    5. En pratique, ladoption dune telle modification de la loi a eu pour

    consquence, semble-t-il, dexclure de la comptition lectorale les

    partisans du pouvoir dchu, les dispositions prcites ayant t interprtes

    comme les visant. Cest dans ces conditions que des formations politiques

    et un certain nombre de citoyens du Burkina Faso ont saisi la Cour de

    justice de la CEDEAO, leffet de voir celle-ci constater la violation de

    leurs droits par les nouvelles autorits, et, en consquence, dordonner

    labrogation de la disposition litigieuse.

    6. Les demandeurs ont dpos deux requtes au Greffe de la Cour, la mme

    date le 21 mai 2015 - : une requte principale et une requte aux fins de

    soumettre laffaire une procdure acclre, conformment larticle 59

    du Rglement de la Cour.

    7. Une demande en intervention a t galement formule devant la Cour la

    veille de laudience le 29 juin 2015-. Cette demande mane du cabinet

    Falana and Falanas Chambers .

    III Arguments des parties

    8. Les requrants estiment que la nouvelle loi adopte par le Conseil de

    Transition du Burkina Faso viole leur droit participer librement aux

    lections. Ce droit est notamment prvu par les textes suivants :

    - Article 2 alina 1er et 21 alinas 1 et 2 de la Dclaration universelle des

    droits de lhomme de 1948, qui disposent respectivement : Chacun peut

    se prvaloir de tous les droits et de toutes les liberts proclams dans la

    prsente Dclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de

    couleur, de sexe, de langue, de religion, dopinion politique ou de toute

    autre opinion, dorigine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou

    de toute autre situation ; Toute personne a le droit de prendre part la

    direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par

    lintermdiaire de reprsentants librement choisis ; Toute personne a

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    droit accder, dans des conditions dgalit, aux fonctions publiques de

    son pays ;

    - Article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de

    1966, adopt dans le cadre des Nations Unies : Toutes les personnes sont

    gales devant la loi et ont droit sans discrimination une gale protection

    de la loi. A cet gard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir

    toutes les personnes une protection gale et efficace contre toute

    discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de

    religion, dopinion politique et de toute autre opinion, dorigine nationale

    ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ;

    - Articles 2 et 13 alinas 1 et 2 de la Charte africaine des droits de lhomme

    et des peuples : Toute personne a droit la jouissance des droits et

    liberts reconnus et garantis dans la prsente Charte sans distinction

    aucune, notamment de race, dethnie, de couleur, de sexe, de langue, de

    religion, dopinion politique ou de toute autre opinion, dorigine nationale

    ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ; Tous

    les citoyens ont le droit de participer librement la direction des affaires

    publiques de leur pays, soit directement, soit par lintermdiaire de

    reprsentants librement choisis, ce, conformment aux rgles dictes par

    la loi ; Tous les citoyens ont galement le droit daccder aux fonctions

    publiques de leur pays ;

    - Articles 3.7, 3.11, 4.2, 8.1 et 10.3 de la Charte africaine de la dmocratie,

    des lections et de la gouvernance, qui disposent respectivement que les

    Etats parties sengagent pour promouvoir la participation effective des

    citoyens aux processus dmocratiques et de dveloppement et la gestion

    des affaires publiques ; le renforcement du pluralisme politique,

    notamment par la reconnaissance du rle, des droits et des obligations des

    partis politiques lgalement constitus, y compris les partis politiques

    dopposition qui doivent bnficier dun statut sous la loi nationale ;

    Les Etats parties considrent la participation populaire par le biais du

    suffrage universel comme un droit inalinable des peuples ; Les Etats

    parties liminent toutes les formes de discrimination, en particulier celles

    bases sur lopinion politique, le sexe, lethnie, la religion et la race, ainsi

    que toutes autres formes dintolrance ; Les Etats parties protgent le

    droit lgalit devant la loi et la protection gale par la loi comme

    condition pralable fondamentale pour une socit juste et

    dmocratique ;

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    - Article 1er i) du Protocole sur la dmocratie et la bonne gouvernance adopt

    en 2001 par la CEDEAO : Les partis politiques se crent et exercent

    librement leurs activits dans le cadre des lois en vigueur.

    Leur formation et activits ne doivent avoir pour fondement aucune

    considration raciale, ethnique, religieuse, ou rgionale. Ils participent

    librement et sans entrave ni discrimination tout processus lectoral. La

    libert dopposition est garantie (...)

    9. Dans son mmoire en dfense, lEtat du Burkina estime que la Cour est

    incomptente pour connatre de laffaire, que la requte introduite est

    irrecevable, et quelle est galement mal fonde.

    10. Sagissant de lincomptence, lEtat dfendeur avance que la Cour nest

    pas saisie dune violation concrte des droits de lhomme, mais tout au plus

    dune violation ventuelle ou hypothtique, hypothse dans laquelle elle

    sest toujours dclare incomptente.

    11. Au titre de lirrecevabilit du recours, lEtat du Burkina Faso estime que

    le droit en cause, qui est la participation la gestion des affaires publiques,

    est un droit individuel et subjectif et non un droit collectif . Devrait alors

    tre dclare irrecevable au moins la partie de la requte prsente par des

    partis politiques.

    12. Enfin, sur le caractre mal fond de la demande, le Burkina Faso fait valoir

    que le droit participer des lections nest pas un droit de caractre

    absolu et quun Etat peut y apporter des restrictions. Il rsulte de

    largumentation de lEtat dfendeur que lexclusion dun certain nombre

    dorganisations et de citoyens du processus lectoral en cours se justifierait

    par le soutien quils auraient apport aux anciennes autorits du pays dans

    leur projet de modification de la Constitution en vue de se maintenir au

    pouvoir. Ce projet, peru comme anticonstitutionnel dans la loi du 7

    avril 2015, a t lorigine des troubles ayant conduit la chute du

    gouvernement.

    IV Analyse de la Cour

  • 7

    13. En la forme, la Cour a dabord statu sur lexception souleve par les

    requrants, relativement au caractre prtendument tardif du dpt du

    mmoire en rponse du Burkina. En effet, selon les demandeurs, lEtat du

    Burkina, qui a reu la requte le 28 mai 2015, devait y rpondre au plus

    tard dans les trente jours, soit, de leur point de vue, avant la date du 27 juin

    2015. Cependant, en application des dispositions de larticle 75 alina 2 de

    son Rglement, la Cour a estim que tous les dlais de procdure sont

    francs, et que le dernier jour pour le dpt tant un jour non travaill, cest

    bien au plus tard le lundi 29 juin 2015 que lEtat dfendeur devait dposer

    son mmoire. Or, cest bien ce jour mme que le dpt a t effectu. Il en

    rsulte que lexception tire de la tardivet du dpt du mmoire en dfense

    doit tre rejete.

    14. La Cour a galement statu sur la demande en intervention formule par le

    cabinet Falana and Falanas Chambers . Elle a considr quen vertu de

    larticle 21 du Protocole de 1991 relatif la Cour, le droit dintervention

    nest ouvert quaux Etats. En consquence, elle a dclar irrecevable la

    demande dintervention qui lui tait soumise.

    15. Au sujet de lincomptence allgue par le Burkina Faso et tire du

    caractre non effectif des violations prtendues, la Cour a toujours

    considr quelle ne devait, en principe, sanctionner que des violations des

    droits de lhomme effectives, relles, avres, et non des violations

    possibles, ventuelles ou potentielles. Lon pourrait alors tre tent, dans le

    cas prsent, de sinterroger sur le bien-fond de son intervention puisquau

    moment o elle est saisie, aucune violation nest encore commise, aucun

    cas de rejet effectif de candidature ne lui a t rapport, aucune candidature

    individuelle na t carte en vertu des nouvelles dispositions, bref, il

    nexiste aucun prjudice rel.

    16. Ce serait oublier, comme elle a au demeurant eu le dire dans le pass,

    quelle peut valablement se proccuper de violations non encore ralises,

    mais trs imminentes. En lespce, la violation prtendue na pas encore t

    accomplie, mais elle pourrait ltre trs prochainement. Le processus

    lectoral, si lon se fie aux indications donnes la Cour, devrait souvrir

    prs de soixante dix (70) jours avant la date du scrutin, soit, pour des

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    lections prvues le 11 octobre 2015, la date fatidique du 1er aot 2015. La

    Cour est donc saisie dans lurgence. Dans la configuration prsente, si elle

    devait attendre que des dossiers de candidature soient ventuellement

    rejets pour agir, si elle devait attendre lpuisement des effets dune

    transgression pour dire le droit, sa juridiction dans un contexte durgence

    naurait aucun sens, les victimes prsumes de telles violations se

    retrouvant alors inexorablement lses dans la comptition lectorale.

    17. Au demeurant, cette position de la Cour, relativement aux caractristiques

    du prjudice allgu devant elle, a t clairement explique dans larrt

    Hissne Habr contre Etat du Sngal , rendu le 18 novembre 2010. La

    Cour y rappelle sa jurisprudence dans laffaire Hadidjatou Mani Koraou

    c/ Etat du Niger o elle affirmait que sa comptence nest pas dexaminer

    des cas de violation in abstracto mais des cas concrets de violations de

    droits de lhomme (). Ainsi donc, en principe, la violation dun droit de

    lhomme se constate a posteriori, par la preuve que cette violation a dj

    eu lieu (48). La Cour a cependant ajout quil se peut que dans des

    circonstances particulires, le risque dune violation future confre un

    requrant la qualit de victime (49). Il existe alors des indices

    raisonnables et convaincants de probabilit de ralisation dactions

    susceptibles de violer les droits de la personne (53). Dans une telle

    hypothse, quelle considre comme tant celle de lespce, la Cour peut

    parfaitement connatre de laffaire.

    18. Cest donc tort que lEtat du Burkina avance que la Cour ne peut se

    prononcer faute de violation dj commise des droits en cause.

    19. Au titre de sa comptence, la Cour doit galement prciser que sil est hors

    de question quelle assure la police des lections que les Etats membres

    organisent, elle peut tre valablement saisie lorsquil apparat que le

    processus lectoral est entach de violations de droits de lhomme,

    violations dont la sanction relve de sa comptence.

    20. Au sujet de lirrecevabilit du recours, tire de ce que le droit en cause

    droit de participer aux lections et la gestion des affaires publiques serait

  • 9

    un droit de lindividu et non dune formation politique, la Cour doit dabord

    rappeler quelle nest pas saisie que par des partis politiques, elle lest

    galement par des citoyens. Mais mme si elle ntait saisie que par des

    associations de type politique, la Cour estime que rien ne lempcherait

    den connatre, pour la raison quune restriction dun tel droit peut

    parfaitement lser une formation politique, structure dont la vocation

    consiste prcisment solliciter le suffrage des citoyens et participer la

    gestion des affaires publiques. Non seulement les textes qui rgissent la

    Cour nexcluent pas que celle-ci puisse tre saisie par des personnes

    morales la condition quelles soient cependant victimes- (article 10 d)

    du Protocole de 2005), mais ce serait de faon purement artificielle et

    draisonnable que la Cour refuserait des partis politiques le droit de la

    saisir ds lors que des droits lis leur vocation de comptiteurs lectoraux

    taient viols.

    21. Il sensuit que la thse de lirrecevabilit, soutenue par lEtat du Burkina,

    doit tre rejete.

    22. Sur le fond, le problme soumis la Cour est relativement simple. Il sagit,

    pour lessentiel, de savoir si la modification de la loi lectorale burkinab,

    compte tenu de lapplication qui en est faite, mconnat le droit de certains

    partis politiques et citoyens concourir au suffrage, participer aux

    lections.

    23. Pour rpondre cette question, la Cour doit dabord rappeler un certain

    nombre de principes dgags des textes qui la rgissent ainsi que de sa

    jurisprudence.

    24. Le premier de ces principes, qui revt une porte singulire dans le cas qui

    lui est soumis, est son refus de sinstituer juge de la lgalit interne des

    Etats. La Cour, en effet, a toujours rappel quelle ntait pas une instance

    charge de trancher des procs dont lenjeu est linterprtation de la loi ou

    de la Constitution des Etats de la CEDEAO. Deux consquences en

    dcoulent.

  • 10

    25. La premire est quil faut carter du dbat judiciaire toute rfrence au droit

    national, quil sagisse de la Constitution du Burkina Faso, ou de normes

    infra-constitutionnelles quelles quelles soient. Dans leurs critures, les

    requrants se sont en effet rfrs aussi bien la Constitution nationale

    (article 1er) qu la Charte de la Transition (article 1er galement). La Cour

    doit considrer de telles rfrences comme inappropries dans son prtoire.

    Juridiction internationale, elle na vocation sanctionner que la

    mconnaissance dobligations rsultant de textes internationaux

    opposables aux Etats.

    26. La seconde consquence est quil ne saurait tre question, dans la prsente

    affaire, de spancher sur le sens quil faut donner au nouvel article 135 du

    Code lectoral du Burkina Faso. La tentation peut exister, devant la relative

    ambigut du texte incrimin, de se livrer lexgse de celui-ci, ou de lui

    confrer un certain sens, dorienter son interprtation dans une direction

    donne.

    27. La Cour ne saurait bien entendu entreprendre une telle dmarche, qui serait

    aux antipodes de sa position de principe qui a t rappele plus haut. Elle

    continue considrer que, pas plus dans cette affaire que dans dautres qui

    lont prcde, sa fonction ne consiste dcouvrir lintention du lgislateur

    national, ou de concurrencer les juridictions nationales sur leur propre

    terrain, qui est celui de linterprtation des textes nationaux prcisment.

    Mais la Cour retrouve sa comptence ds lors que linterprtation ou

    lapplication dun texte national a pour objet ou pour effet de priver des

    citoyens de droits tirs dinstruments internationaux auxquels le Burkina

    Faso est partie.

    28. Pour la Cour, il ne fait aucun doute que lexclusion dun certain nombre de

    formations politiques et de citoyens de la comptition lectorale qui se

    prpare relve dune discrimination difficilement justifiable en droit. Il peut

    certes arriver que dans des conjonctures particulires, la lgislation dun

    pays institue des impossibilits daccder des fonctions lectives

    lencontre de certains citoyens ou de certaines organisations. Mais la

    restriction de ce droit daccs des charges publiques doit alors tre

    justifie, notamment, par la commission dinfractions particulirement

  • 11

    graves. Il ne sagit donc pas de nier que les autorits actuelles du Burkina

    Faso aient, en principe, le droit de restreindre laccs au suffrage, mais cest

    le caractre ambigu des critres de lexclusion, et lapplication expditive

    et massive qui en est faite, que la Cour juge contraire aux textes. Interdire

    de candidature toute organisation ou personne ayant t politiquement

    proche du rgime dfait mais nayant commis aucune infraction

    particulire, revient, pour la Cour, instituer une sorte de dlit dopinion

    qui est videmment inacceptable.

    29. Il convient donc de donner au droit de restreindre laccs la comptition

    lectorale sa porte exacte. Un tel droit ne doit pas tre utilis comme un

    moyen de discrimination des minorits politiques.

    30. A cet gard, largument de lillgalit des changements anti

    constitutionnels de gouvernement, que lon pourrait, sur la base du nouveau

    code lectoral opposer aux requrants, ne tient pas. Sans entrer dans une

    discussion sur la qualification mme des conditions dans lesquelles le

    prcdent rgime a voulu modifier la Constitution, la Cour rappelle

    simplement que la sanction du changement anticonstitutionnel de

    gouvernement vise des rgimes, des Etats, ventuellement leurs dirigeants,

    mais ne saurait concerner les droits des citoyens ordinaires. Ni lesprit des

    sanctions des changements anti constitutionnels de gouvernement, ni

    lvolution gnrale du droit international tendant faire des droits de

    lhomme un sanctuaire soustrait aux logiques des Etats et des rgimes,

    nautorise une application brutale et indiscrimine des mesures coercitives

    que lon pourrait cet gard concevoir.

    31. Si donc le principe de lautonomie constitutionnelle et politique des Etats

    implique sans conteste que ceux-ci aient la latitude de dterminer le rgime

    et les institutions politiques de leur choix, et dadopter les lois quils

    veulent, cette libert doit tre exerce en conformit avec les engagements

    que ces Etats ont souscrits en la matire. Or, il ne fait aucun doute que de

    tels engagements existent, limpressionnante liste des textes invoqus par

    les requrants en atteste amplement. Dans le cadre particulier de la

    CEDEAO, on se contentera de renvoyer aux dispositions suivantes du

    Protocole sur la dmocratie et la bonne gouvernance, conclu en 2001 :

  • 12

    - Article 1er g) : LEtat et toutes ses institutions sont nationaux. En

    consquence, aucune de leurs dcisions et actions ne doivent avoir pour

    fondement ou pour but une discrimination () ;

    - Article 1er i) : Les partis politiques () participent librement et sans

    entrave ni discrimination tout processus lectoral. La libert dopposition

    est garantie ;

    - Article 2.3 : Les Etats membres prendront les mesures appropries pour

    que les femmes aient, comme les hommes, le droit de voter et dtre lues

    lors des lections, de participer la formulation et la mise en uvre des

    politiques gouvernementales et doccuper et de remplir des fonctions

    publiques tous les niveaux de lEtat .

    32. La Cour est davis que lexclusion en cause dans la prsente affaire nest ni

    lgale ni ncessaire la stabilisation de lordre dmocratique,

    contrairement aux allgations du dfendeur. La restriction opre par le

    Code lectoral na au demeurant pas pour seul effet dempcher les

    requrants se porter candidats, elle limite galement de faon importante

    le choix offert au corps lectoral, et altre donc le caractre comptitif de

    llection.

    33. Enfin, la thse avance par lEtat dfendeur, suivant laquelle la mesure

    litigieuse ne serait pas discriminatoire eu gard au fait que des acteurs de la

    Transition eux-mmes seraient concerns par cette restriction du droit de

    participer aux lections, ne saurait videmment tre accepte par la Cour.

    Il va de soi, en effet, que les raisons de la restriction ne sont pas les mmes

    pour les uns et pour les autres. Alors quil sagit dviter que les acteurs de

    la Transition mconnaissent le principe dgalit des candidats en usant de

    leur prsence et de leur position dans lEtat pour prendre lavantage sur

    leurs concurrents, il est question, sagissant des proches du rgime dfait,

    de sanctionner leurs prises de position passes. Dans leur cas prcis, la

    restriction revt un caractre quelque peu stigmatisant, infmant, qui

    nexiste videmment pas pour les acteurs de la Transition. La dfense de

    lEtat du Burkina Faso, sur ce point, ne peut donc tre accepte.

  • 13

    34. La position dgage par la Cour semble, au surplus, tre celle dautres

    instances juridictionnelles ou quasi-juridictionnelles, lorsquelles ont eu

    traiter de cas similaires.

    35. Dans son Observation gnrale 25, adopte au titre du paragraphe 4 de

    larticle 40 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le

    Comit des droits de lhomme des Nations Unies dclare : Lapplication

    effective du droit et de la possibilit de se porter candidat une charge

    lective garantit aux personnes ayant le droit de vote un libre choix de

    candidats. Toute restriction au droit de se porter candidat doit reposer sur

    des critres objectifs et raisonnables. Les personnes qui, tous gards

    seraient ligibles ne devraient pas se voir prives de la possibilit dtre

    lues par des conditions draisonnables ou discriminatoires. Nul ne devrait

    subir de discrimination ni tre dsavantag en aucune faon pour stre

    port candidat (publi le 27 aot 1996).

    36. Quant la Cour europenne des droits de lhomme, elle a, dans un arrt du

    6 janvier 2011 ( Aff. Paksas c. Lituanie ), rappel qu elle juge

    comprhensible quun Etat considre quune violation grave de la

    Constitution ou un manquement au serment constitutionnel revtent un

    caractre particulirement srieux et appellent une rponse rigoureuse

    lorsque son auteur est dtenteur dun mandat public (). Cela ne suffit

    toutefois pas pour convaincre la Cour que linligibilit dfinitive et

    irrversible qui frappe le requrant en vertu dune disposition gnrale

    rpond de manire proportionne aux ncessits de la dfense de lordre

    dmocratique. Elle raffirme cet gard que la libre expression de

    lopinion du peuple sur le choix du corps lgislatif doit dans tous les cas

    tre prserve (104 et 105, v. galement CEDH, 22 septembre 2004,

    aff. Aziz c. Chypre).

    37. Pour lensemble de ces raisons, et sans quil soit besoin de statuer sur le

    caractre consensuel ou non du changement de la loi lectorale

    intervenu avant les lections, la Cour estime que les formations politiques

    et les citoyens burkinab qui ne peuvent se prsenter aux lections du fait

    de la modification de la loi lectorale (loi n 005-2015/CNT portant

    modification de la loi n 014-2001/AN du 03 juillet 2001) doivent tre

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    rtablis dans leur droit. Elle prcise en outre que les instruments

    internationaux invoqus au soutien de la requte lient bien lEtat du

    Burkina Faso.

    38. La Cour estime quil est logique, dans ces conditions, que lEtat du Burkina

    Faso supporte les dpens.

    PAR CES MOTIFS :

    La Cour, statuant publiquement, contradictoirement en matire de violations

    de droits de lhomme, en premier et dernier ressort,

    En la forme

    Rejette les exceptions dincomptence et dirrecevabilit souleves par lEtat

    du Burkina;

    Se dclare comptente pour examiner la requte qui lui est soumise ;

    Dclare recevable la requte qui lui est soumise ;

    Dclare galement recevable le mmoire en dfense de lEtat du Burkina;

    Dclare irrecevable la demande en intervention prsente par le cabinet

    Falana and Falanas Chambers ;

    Au fond

    - Dit que le Code lectoral du Burkina Faso, tel que modifi par la loi n 005-

    2015/CNT du 07 avril 2015, est une violation du droit de libre participation

    aux lections ;

    - Ordonne en consquence lEtat du Burkina de lever tous les obstacles

    une participation aux lections conscutifs cette modification ;

    - Condamne lEtat du Burkina aux entiers dpens.

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    Ainsi fait, jug et prononc publiquement par la Cour de justice de la

    CEDEAO Abuja, les jour, mois et an susdits.

    Et ont sign,

    Hon Juge Yaya BOIRO

    Hon Juge Hamye Foun MAHALMADANE

    Hon Juge Alioune SALL

    Assists de Me Aboubacar DIAKITE Greffier