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Tramor Quemeneur Formation académies Guadeloupe – Guyane Novembre 2013 1. Une société sous tension : de la colonisation à l'insurrection I. Les tensions coloniales a. Les deux mondes Constitution du 18 novembre 1848 : Chapitre IV — Du pouvoir législatif : Article 21. — Le nombre total des représentants du peuple sera de sept cent cinquante, y compris les représentants de l'Algérie et des colonies françaises. Chapitre X — Dispositions particulières : Article 109. — Le territoire de l'Algérie et des colonies est déclaré territoire français, et sera régi par des lois particulières jusqu'à ce qu'une loi spéciale les place sous le régime de la présente Constitution. Sénatus-consulte sur l'état des personnes et la naturalisation en Algérie Article premier. L'indigène musulman est Français ; néanmoins il continuera à être régi par la loi musulmane. Il peut être admis à servir dans les armées de terre et de mer. il peut être appelé à des fonctions et emplois civils en Algérie. Il peut, sur sa demande, être admis à jouir des droits de citoyen français ; dans ce cas il est régi par les lois civiles et politiques de la France. Article 2. L'indigène israëlite est Français ; néanmoins il continue à être régi par son statut person- nel. Il peut être admis à servir dans les armées de terre et de mer. il peut être appelé à des fonctions et emplois civils en Algérie. Il peut, sur sa demande, être admis à jouir des droits de citoyen français ; dans ce cas il est régi par la loi française. Article 3. L'étranger qui justifie de trois années de résidence en Algérie peut être admis à jouir de tous les droits de citoyen français. Article 4. La qualité de citoyen français ne peut être obtenue, conformément aux articles 1, 2 et 3 du présent sénatus-consulte, qu'à l'âge de vingt et un ans accomplis ; elle est conférée par décret im- périal rendu en conseil d'Etat. Article 5. Un règlement d'administration publique déterminera : 1° Les conditions d'admission, de service et d'avancement des indigènes musulmans et des indi- gènes israëlites dans les armées de terre et de mer ; 2° Les fonctions et emplois civils auxquels les indigènes musulmans et les indigènes israëlites peuvent être nommés en Algérie ; 3° Les formes dans lesquelles seront instruites les demandes prévues par les articles 1, 2 et 3 du pré- sent sénatus-consulte. 14 juillet 1865 1

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Tramor Quemeneur Formation académies Guadeloupe – Guyane Novembre 2013

1. Une société sous tension : de la colonisation à l'insurrection

I. Les tensions coloniales

a. Les deux mondes

Constitution du 18 novembre 1848 :Chapitre IV — Du pouvoir législatif :Article 21. — Le nombre total des représentants du peuple sera de sept cent cinquante, y compris les représentants de l'Algérie et des colonies françaises.Chapitre X — Dispositions particulières :Article 109. — Le territoire de l'Algérie et des colonies est déclaré territoire français, et sera régi par des lois particulières jusqu'à ce qu'une loi spéciale les place sous le régime de la présente Constitution.

Sénatus-consulte sur l'état des personnes et la naturalisation en AlgérieArticle premier. L'indigène musulman est Français ; néanmoins il continuera à être régi par la loi musulmane.Il peut être admis à servir dans les armées de terre et de mer. il peut être appelé à des fonctions et emplois civils en Algérie.Il peut, sur sa demande, être admis à jouir des droits de citoyen français ; dans ce cas il est régi par les lois civiles et politiques de la France.Article 2. L'indigène israëlite est Français ; néanmoins il continue à être régi par son statut person-nel.Il peut être admis à servir dans les armées de terre et de mer. il peut être appelé à des fonctions et emplois civils en Algérie.Il peut, sur sa demande, être admis à jouir des droits de citoyen français ; dans ce cas il est régi par la loi française.Article 3. L'étranger qui justifie de trois années de résidence en Algérie peut être admis à jouir de tous les droits de citoyen français.Article 4. La qualité de citoyen français ne peut être obtenue, conformément aux articles 1, 2 et 3 du présent sénatus-consulte, qu'à l'âge de vingt et un ans accomplis ; elle est conférée par décret im-périal rendu en conseil d'Etat.Article 5. Un règlement d'administration publique déterminera :1° Les conditions d'admission, de service et d'avancement des indigènes musulmans et des indi-gènes israëlites dans les armées de terre et de mer ; 2° Les fonctions et emplois civils auxquels les indigènes musulmans et les indigènes israëlites peuvent être nommés en Algérie ; 3° Les formes dans lesquelles seront instruites les demandes prévues par les articles 1, 2 et 3 du pré-sent sénatus-consulte.14 juillet 1865

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Décret du 24 octobre 1870 qui déclare citoyens français les Israélites indigènes d'AlgérieLe Gouvernement de la défense nationale,Décrète :Les israélites indigènes des départements de l'Algérie sont déclarés citoyens français ; en consé-quence, leur statut réel et leur statut personnel seront, à compter de la promulgation du présent dé-cret, réglés par la loi française, tous droits acquis jusqu'à ce jour restant inviolables.Toute disposition législative, tout sénatus-consulte, décret, règlement ou ordonnances contraires, sont abolis.Fait à Tours, le 24 octobre 1870. Ad. Crémieux, L. Gambetta, Al. Glais-Bizoin, L. Fourichon.

Décret sur la naturalisation des Indigènes musulmanset des étrangers résidant en AlgérieLe Gouvernement de la défense nationale,Décrète :Article premier. La qualité de citoyen français, réclamée en conformité des articles 1er et 3 du sé-natus-consulte du 14 juillet 1865, ne peut être obtenue qu'à l'âge de vingt et un ans accomplis.Les indigènes musulmans et les étrangers résidant en Algérie qui réclament cette qualité doivent justifier de cette condition par un acte de naissance ; à défaut, par un acte de notoriété dressé, sur l'attestation de quatre témoins par le juge de paix ou le cadi du lieu de la résidence s'il s'agit d'un in-digène, et par le juge de paix, s'il s'agit d'un étranger.Article 2. L'article 10, paragraphe premier du titre III, l'article 11 et l'article 14, paragraphe 2 du titre IV du décret du 21 avril 1866, portant règlement d'administration publique, sont modifiés comme il suit :« Titre III, article 10, paragraphe premier : L'indigène musulman, s'il réunit les conditions d'âge et d'aptitude déterminés par les règlements français spéciaux à chaque service, peut être appelé, en Al-gérie, aux fonctions et emplois de l'ordre civil désigné au tableau annexé au présent décret. « Titre III, article 11 : L'indigène musulman qui veut être admis à jouir des droits de citoyen fran-çais doit se présenter en personne devant le chef du bureau arabe de la circonscription dans laquelle il réside, à l'effet de former sa demande et de déclarer qu'il entend être régi par les lois civiles et po-litiques de la France. « Il est dressé procès-verbal de la demande et de la déclaration. « Article 14, paragraphe 2 : Les pièces sont adressées par l'administration du territoire militaire du département au gouverneur général. »Article 3. Le gouverneur général civil prononce sur les demandes en naturalisation, sur l'avis du co-mité consultatif.Article 4. Il sera dressé un bulletin de chaque naturalisation en la forme des casiers judiciaires. Ce bulletin sera déposé à la préfecture du département où réside l'indigène ou l'étranger naturalisé, même si l'individu naturalisé réside sur le territoire dit Territoire militaire.Article 5. Sont abrogés les articles 2, 4 et 5 du sénatus-consulte du 14 juillet 1865, les articles 13, titre IV, et 19, titre VI, intitulé : Dispositions générales du décret du 21 avril 1899. Les autres dispo-sitions desdits sénatus-consulte et décret sont maintenus.Fait à Tours, en Conseil de Gouvernement, le 24 octobre 1870. Ad. Crémieux, L. Gambetta, Al. Glais-Bizoin, L. Fourichon.

Code de l’indigénatARRÊTÉ GÉNÉRAL SUR LES INFRACTIONS DE L’INDIGÉNAT (Préfecture d’Alger, 9 février 1875)Art. 1. – Sont considérés comme infractions spéciales à l’indigénat et, comme telles, passibles des

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peines édictées par les articles 465 et 466 du code pénal, les faits et actes ci-après déterminés, savoir :1) Omission ou retard de plus de huit jours, dans les déclarations de naissance et de décès, dans les  circonscriptions territoriales où cette mesure est prescrite par l’autorité administrative, en attendant que les dispositions des chapitres ii et iv du livre premier du code civil soient rendus applicables aux indigènes.2) Négligence par les agents indigènes de toute catégorie (adjoints, gardes, cheikhs, oukaffs, kebirs  de douars) à prévenir des crimes ou délits commis dans leur circonscription, le juge de paix de leur canton ou le procureur de la République lorsque le siège du tribunal est au chef-lieu du canton.3) Négligence à fournir des renseignements sur un crime ou un délit dont les auteurs soupçonnés ne  sont point de ceux à l’égard desquels la déposition du témoin n’est pas reçue en justice, et qui sont énumérés dans les cinq premiers paragraphes de l’article 322 du code d’instruction criminelle.4) Négligence à comparaître sur simple invitation, même verbale, devant le juge de paix procédant  à une information.5) Négligence à se présenter devant l’administrateur ou le maire de la commune, après convocation  remise par un agent de l’autorité administrative.6) Acte irrespectueux ou propos offensants vis-à-vis d’un représentant ou agent de l’autorité, même  en dehors de ses fonctions, et alors même que cet acte ou ce propos ne réunirait pas les caractères voulus pour constituer un délit ou la contravention d’injure.7) Propos tenus en public dans le but d’affaiblir le respect dû à l’autorité. 8) Refus ou inexécution des services de garde, patrouille et poste-vigie, placés en vertu d’un ordre  de l’autorité, abandon d’un poste ou négligence dans les mêmes services.9) Refus à l’égard des prestations de transport et des gardes de camp autorisées pour les  commissaires-enquêteurs chargés de l’application de la loi du 26 juillet 1873.10) Refus de fournir, contre remboursement, aux prix du tarif établi par arrêté du préfet, les vivres,  les moyens de transport ou les agents auxiliaires (gardiens de nuit, jalonneurs, guides) aux fonctionnaires ou agents dûment autorisés.11) Refus ou manque d’obtempérer aux convocations des commissaires-enquêteurs, pour assister  comme témoins ou comme parties intéressées aux opérations relatives à l’application de ladite loi.12) Refus de fournir les renseignements statistiques, topographiques ou autres, demandés par des  agents de l’autorité française en mission, ou mensonge dans les renseignements donnés.13) Négligence habituelle dans le payement des impôts et dans l’exécution des prestations en  nature, manque d’obtempérer aux convocations des receveurs lorsqu’ils se rendent sur les marchés pour percevoir les contributions.14) Dissimulation et connivence dans les dissimulations en matière de recensement des animaux et  objets imposables.15) Infractions aux instructions portant règlement sur l’immatriculation des armes. 16) Habitation isolée sans autorisation en dehors de la mechta ou du douar, campement sur des  lieux prohibés.17) Départ du territoire de la commune sans avoir, au préalable, acquitté les impôts et sans être  munis d’un permis de voyage.18) Infractions aux instructions portant réglementation sur le mode d’émigration des nomades. 19) Asile donné, sans en prévenir le chef de douar, à des vagabonds, gens sans aveu ou étrangers  sans papiers.20) Réunions sans autorisation pour zerda, ziara ou autres fêtes religieuses  ; coups de feu sans autorisation dans des fêtes.21) Labour partiel ou total des chemins non classés, mais consacrés par l’usage. 22) Infractions aux règlements d’eaux et aux usages locaux pour l’affectation des fontaines. 

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23) Détention, pendant plus de vingt-quatre heures, d’animaux égarés, sans avis donné à l’autorité. 24) Abattage de bétail et dépôt d’immondices hors des lieux destinés à cet effet, abattage de vaches  ou de brebis pleines ; non-enfouissement des animaux (domestiques ou sauvages morts ou tués) au moins à 500 mètres d’un chemin ou d’une habitation.25) Inhumation hors du lieu consacré ou à une profondeur inférieure à celle déterminée par  l’autorité locale.26) Mendicité hors du douar, même pour les infirmes et les invalides, sauf cas d’autorisation. 27) Plainte ou réclamation sciemment inexacte ou réclamation renouvelée après solution régulière. 

Loi n°10.680 du 28 juin 1881 qui confère aux administrateurs des communes mixtes en territoire civil la répression, par voie disciplinaire, des infractions spéciales à l'indigénat, Journal officiel, 29 juin 1881.

LE SÉNAT ET LA CHAMBRE DES DÉPUTES ONT ADOPTÉ,LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE PROMULGUE LA LOI dont la teneur suit :ARTICLE PREMIER. — La répression, par voie disciplinaire, des infractions spéciales à l'indigénat appartient désormais, dans les communes mixtes du territoire civil, aux administrateurs de ces communes. — Ils appliqueront les peines de simple police aux faits précisés par les règlements comme constitutifs de ces infractions.ARTICLE 2. — L'administration insérera sur un registre coté et parafé la décision qu'elle aura prise, avec indication sommaire des motifs. — Extrait certifié dudit registre sera transmis chaque semaine, par la voie hiérarchique, au gouverneur général.ARTICLE 3. — Le droit de répression par voie disciplinaire n'est concédé aux administrateurs que pour une durée de sept ans à compter du jour de la promulgation de la présente loi.La présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par la Chambre des députés, sera exécutée comme loi de l'État.Fait à Paris, le 28 juin 1881.Signé : JULES GRÉVY.Le Garde des sceaux, Ministre de la justice,Signé : JULES CAZOT.

Ordonnance du 7 mars 1944 relative au statut des Français musulmans d'AlgérieLe Comité français de la Libération nationale,Sur le rapport du commissaire d'État aux affaires musulmanes et du commissaire à l'intérieur ; Vu l'ordonnance du 3 juin 1943 portant institution du Comité français de la Libération nationale ; Vu le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 ; Vu le décret du 24 octobre 1870 ; Vu la loi du 4 février 1919 relative aux collèges électoraux d'Algérie ensemble le décret du 7 février 1919 ; Le Comité juri-dique entendu ;Ordonne :Article premier. Les Français musulmans d'Algérie jouissent de tous les droits et sont soumis à tous les devoirs des Français non musulmans.Tous les emplois civils et militaires leur sont accessibles.Article 2. La loi s'applique indistinctement aux Français musulmans et aux Français non musul-mans. Toutes dispositions d'exception applicables aux Français musulmans sont abrogées.Toutefois restent soumis aux règles du droit musulman et des coutumes berbères en matière de sta-tut personnel, les Français musulmans qui n'ont pas expressément déclaré leur volonté d'être placés sous l'empire intégral de la loi française. Les contestations en la même matière continuent à être

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soumises aux juridictions qui en connaissent actuellement.Le régime immobilier reste fixé par les lois en vigueur.Article 3. Sont déclarés citoyens français, à titre personnel, et inscrits sur les mêmes listes électo-rales que les citoyens non musulmans et participent aux mêmes scrutins les français musulmans du sexe masculin âgés de 21 ans et appartenant aux catégories ci-après : - anciens officiers, - titulaires d'un des diplômes suivants : diplôme de l'enseignement supérieur, baccalauréat de l'en-seignement secondaire, brevet supérieur, brevet élémentaire, brevet d'études primaires supérieures, diplôme de fin d'études secondaires, diplômes des médersas, diplôme de sortie d'une grande école nationale ou d'une école nationale de l'enseignement professionnel industriel, agricole ou commer-cial, brevet de langue arabe et berbère, - fonctionnaires ou agents de l'État, des départements, des communes, des services publics ou concédés, en activité ou en retraite, titulaires d'en emploi permanent soumis à un statut réglemen-taire, dans des conditions qui seront fixées par décret, - membres actuels et anciens des Chambres de commerce et d'agriculture, - bachaghas, aghas et caïds ayant exercé leurs fonctions pendant au moins trois ans et n'ayant pas fait postérieurement l'objet d'une mesure de révocation, - personnalités exerçant ou ayant exercé des mandats de délégué financier, conseiller général, conseiller municipal de commune de plein exercice, ou président d'une djemaa, - membres de l'ordre national de la légion d'Honneur, - compagnons de l'ordre de la Libération, - titulaires de la médaille de la Résistance, - titulaires de la médaille militaire, - titulaires de la médaille du travail et membres actuels ou anciens des conseils syndicaux des syndi-cats ouvriers régulièrement constitués, après 3 ans d'exercice de leurs fonctions, - conseillers Prud'hommes actuels ou anciens, - outils judiciaires, - membres actuels et anciens des conseils d'administration des S.I.P. artisanales et agricoles, - membres actuels et anciens des conseils de section des S.I.P. artisanales et agricoles.Article 4. Les autres Français musulmans sont appelés à recevoir la nationalité française. L'Assem-blée nationale constituante fixera les conditions et les modalités de cette accession.Dès à présent, ceux d'entre eux qui sont âgés de plus de 21 ans et du sexe masculin, reçoivent le bé-néfice des dispositions du décret du 9 février 1919 et sont inscrits dans les collèges électoraux appe-lés à élire la représentation spéciale aux conseils municipaux, conseils généraux et délégations fi-nancières prévue par ledit décret.Cette représentation sera pour les conseils généraux et les délégations financières égale aux 2/5e de l'effectif total de ces assemblées. Pour les conseils municipaux, elle sera également des 2/5e sauf dans le cas où le rapport entre la population française musulmane et la population totale de la com-mune n'atteindra point ce chiffre. Elle serait alors proportionnelle au chiffre de la population musul-mane.Article 5. Tous les Français sont indistinctement éligibles aux assemblées algériennes, quel que soit le collège électoral auquel ils appartiennent.Article 6. Est réservé la statut des populations du M'Zab ainsi que des populations des territoires proprement sahariens.Article 7. Les modalités d'application de la présente ordonnance seront fixées par décret.Article 8. La présente ordonnance, qui sera publiée au Journal officiel de la République française, et insérée au Journal officiel de l'Algérie, sera exécutée comme loi.Alger, le 7 mars 1944.

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De Gaulle.Par le Comité français de la Libération nationale :Le commissaire à l'intérieur, Emmanuel d'Astier. Le commissaire d'État aux affaires musulmanes, Catroux. Le commissaire à la justice, François de Menthon

Loi n° 46-940 du 7 mai 1946, tendant à proclamer citoyens tous les ressortissants des territoires d'outre-mer. Article unique. À partir du 1er juin 1946, tous les ressortissants des territoires d'outre-mer (Algérie comprise) ont la qualité de citoyen, au même titre que les nationaux français de la métropole et des territoires d'outre-mer. Des lois particulières établiront les conditions dans lesquelles ils exerceront leurs droits de citoyens. La présente loi, délibérée et adoptée par l'Assemblée nationale constituante, sera exécutée comme loi de l'État. Fait à Paris le 7 mai 1946. Félix Gouin.

b. La révolte gronde

Manifeste du peuple algérien, 10 février 1943 (extraits)L'Algérie est depuis le 8 novembre dernier sous l'occupation des forces anglo-américaines.Cette occupation en isolant la colonie de la métropole a provoqué parmi les Français d'Algérie une véritable course au pouvoir. Républicains, gaullistes, royalistes, israélites, chaque groupe, de son côté, essaye de faire valoir sa collaboration aux yeux des Alliés et veille à la défense de ses intérêts particuliers.Devant cette agitation, chacun semble ignorer jusqu'à l'existence même des 8,5 millions d'indigènes.Cependant, l'Algérie musulmane, quoique indifférente à ces rivalités reste vigilante et attentive à son destin.Aujourd'hui les représentants de cette Algérie, répondant au vœu unanime de leurs populations, ne peuvent se soustraire à l'impérieux devoir de poser le problème de leur avenir.Ce faisant, ils n'entendent ne rien renier de la culture française et occidentale qu'ils ont reçues et qui leur reste chère. C'est au contraire en puisant dans les richesses morales et spirituelles de la France métropolitaine et dans la tradition de liberté du peuple français qu'ils trouvent la force et la justification de leur action présente.Conscients de leurs responsabilités devant Dieu, ces représentants traduisent ici sincèrement et fidèlement, les aspirations profondes de tout le peuple algérien musulman.Ce manifeste, plus qu'un plaidoyer, est un témoignage et un acte de foi.Il nous faut donc rechercher, en dehors des erreurs du passé et des formules usées, la solution rationnelle qui mettra fin à ce conflit séculaire.Nous sommes en Afrique du Nord, aux portes de l'Europe, et le monde civilisé assiste à ce spectacle anachronique : une colonisation s'exerçant sur une race blanche au passé de civilisation prestigieux apparentée aux races méditerranéennes , perfectible , et ayant manifesté un sincère désir de progrès.Politiquement et moralement, cette colonisation ne peut avoir d'autre concept que celui de deux sociétés étrangères l'une à l'autre. Son refus systématique ou déguisé de donner accès dans la cité française aux Algériens musulmans a découragé tous les partisans de la politique d'assimilation étendue aux autochtones. Cette politique apparaît aujourd'hui aux yeux de tous comme une réalité inaccessible, une machine dangereuse mise au service de la colonisation.L'heure est passée où un musulman algérien demandera autre chose que d'être un Algérien musulman. Depuis l'abrogation du décret Crémieux surtout, la nationalité et la citoyenneté

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algériennes lui offrent plus de sécurité et donnent une plus claire et plus logique solution au problème de son évolution et de son émancipation.Economiquement, cette colonisation s'est révélée incapable d'améliorer et de résoudre les grands problèmes qu'elle a elle-même posés. Or, l'Algérie, bien administrée, bien dirigée, bien équipée est susceptible de nourrir pour le moins 20 millions d'habitants dont elle pourrait assurer le bien-être et la paix sociale. Emprisonnée dans le cadre colonial, elle n'est en mesure ni de nourrir, ni d'instruire, ni d'habiller, ni de loger, ni de soigner la moitié de sa population actuelle.Son équipement, juste suffisant pour assurer le bien-être d'une caste qui représente le 1/8 de la population totale, restera superficiel et dérisoire, tant que l'Algérie n'aura pas un gouvernement issu du peuple et agissant au profit du peuple. La vérité historique est là et ne peut être nulle part ailleurs.Le Président Roosevelt, dans sa déclaration faite au nom des Alliés, a donné l'assurance que dans l'organisation du monde nouveau, les droits de tous les peuples, petits et grands, seraient respectés.Fort de cette déclaration, le peuple algérien demande dès aujourd'hui, pour éviter tout malentendu et barrer la route aux visées et convoitises qui pourraient naître demain :a) La condamnation et l'abolition de la colonisation, c'est-à-dire de l'annexion et de l'exploitation d'un peuple par un autre peuple. Cette colonisation n'est qu'une forme collective de l'esclavage individuel du Moyen Age. Elle est en outre une des causes principales des rivalités et des conflagrations entre les grandes puissances.b) L'application pour tous les pays, petits et grands, du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.c) La dotation de l'Algérie d'une constitution propre garantissant :- la liberté et l'égalité absolue de tous ses habitants sans distinction de race ou de religion- La suppression de la propriété féodale par une grande réforme agraire et le droit au bien être de l'immense prolétariat agricole.- La reconnaissance de la langue arabe comme langue officielle, au même titre que la langue française.- La liberté de presse et le droit d'association.- L'instruction gratuite et obligatoire pour les enfants des deux sexes.- La liberté du culte pour tous les habitants et l'application à toutes les religions du principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat.d) La participation immédiate et effective des musulmans algériens au gouvernement de leur pays ainsi que cela a été fait par le gouvernement de Sa Majesté britannique et le général Catroux en Syrie, et par le gouvernement du Maréchal Pétain et les Allemands en Tunisie. Ce gouvernement pourra seul réaliser, dans un climat d'unité parfaite, la participation du peuple algérien à la lutte commune.e) La libération de tous les condamnés et internés politiques, à quelque parti qu'ils appartiennent.La garantie et la réalisation de ces cinq points assurera l'entière et sincère adhésion de l'Algérie musulmane à la lutte pour le triomphe du droit et de la liberté.La conférence d'Anfa, bien que tenue sur le sol nord-africain, a été muette sur le problème de la colonisation. Le peuple algérien en a été profondément ému. La formule qui consiste à dire que nous devons d'abord faire la guerre n'a donné à la paix de 1918 que des déceptions. Elle ne peut satisfaire personne. Des peuples comme le nôtre, touchés par d'énormes sacrifices, ont été contraints, à la fin de la grande guerre, de subir encore de dures épreuves, sans même accéder à cette liberté pour laquelle leurs enfants sont morts.Le peuple algérien, connaissant le sort réservé aux promesses faites durant les hostilités, voudrait voir son avenir assuré par des réalisations tangibles et immédiates.Il accepte tous les sacrifices. C'est aux autorités responsables à accepter sa liberté.Fait à Alger, le 10 février 1943.

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Rapport du général Duval, commandant la division de Constantine, sur l’insurrection du 8 mai 1945, daté du 30 mai 1945

L’insurrection1) Sur le territoire de la subdivision de SétifLe mardi 8 Mai, un important rassemblement d'indigènes se formait aux abords de la

mosquée située au faubourg Nord de la gare, après avoir obtenu l'autorisation du Sous-Préfet de Sétif, et défilait en un cortège qui comprenait sept à huit mille personnes. A sa tête se trouvaient les scouts de la Kechafat El Hayat, puis apparaissaient le drapeau français, deux drapeaux aux couleurs du Prophète.

Derrière étaient portées des pancartes avec les inscriptions suivantes : « Libérez MESSALI HADJ - Nous voulons être vos égaux - vive l'Algérie indépendante - Vivent les nations unies ».

Alors que la tête du cortège arrivait à hauteur du café de France dans la rue de Constantine, il se trouvait en face d'un barrage de police et le Commissaire Central sommait les manifestants, conformément aux ordres reçus et communiqués au préalable aux organisateurs du mouvement, de faire disparaître les pancartes séditieuses. Sur le refus qui était opposé, la police essayait de s'en emparer. Immédiatement des coups de feu éclataient, les européens assis à la terrasse des cafés ou se promenant dans les rues de la ville, assaillis, simultanément à coups de feu, à coups de couteau, à coups de bâton. C’était une mêlée générale. On entendait le cri : « N'katlou Ennessara » (tuons les européens).

Les you-you des femmes qui excitaient leurs maris et les encourageaient à l'action quand ils reculaient en leur disant « ouïn rahihine (où allez vous ?) ». Les cafés et des magasins se fermaient. Les européens cherchaient à se réfugier à l’intérieur des maisons. Au marché arabe, les européens étaient également assaillis. Des émeutiers débouchaient de la rue Sillègue et faisaient feu sur Monsieur DELUCA, président de la Délégation Spéciale de Sétif qui se trouvait sur le trottoir de la Banque de la Compagnie . Algérienne, à l'angle de la rue Sillègue et de la rue de Constantine.

Déjà la veille vers 20 heures, un groupe de 300 jeunes indigènes avait parcouru la ville en criant « MESSALI, MESSALI ». Quelques légers incidents s'étaient produits mais la police avait dispersé facilement les manifestants.

La troupe attendait, faisceaux formés, dans la cour de la caserne du 7° RTA Réquisitionnée, elle intervenait aussitôt et nettoyait les rues de la ville, la place du marché et les faubourgs. A onze heures du matin, le calme était rétabli en ville.

Les milices de Guelma

Mercredi 9 maiDès le matin, la ville recouvra son aspect habituel. Chacun racontait à sa manière les événements de la veille et pronostiquait les sanctions futures. La nouvelle de l'arrestation des onze membres dirigeants des « Amis du Manifeste » n'étonna personne. Cet acte paraissait juste.Cependant, un petit fait n'avait pas échappé à certains observateurs au cours de cette matinée apparemment calme. Un à un, des civils européens se rendaient à la caserne et y prenaient chacun un fusil, puis descendaient les déposer à la gendarmerie, ce qui a laissé supposer que déjà existait le Comité de salut public, composé tout d'abord de ceux qui, à la Caisse régionale agricole, avaient pris de nombreux contacts, bien avant les événements douloureux que nous relatons.

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[…] Dès mercredi 9 mai à midi, un comité de vigilance était constitué pour mater ce qu'on appelait, pour les besoins de la cause, la « révolte intérieure des Arabes ». L'équivoque redoutable, selon laquelle les musulmans guelmois étaient solidaires des crimes commis sur les Européens, dont deux prisonniers de guerre, par des musulmans étrangers à la région, allait servir de base à tout un fantastique échafaudage pour rendre vraisemblable le mythe du « complot arabe ». La calomnie et l'imagination s'épaulèrent pour envenimer les rapports franco-algériens et, au détriment de la vérité et au mépris de l'honneur musulman, le sous-préfet et ses complices cachèrent à toute la population guelmoise sans distinction les actes magnifiques de générosité de musulmans protégeant des Européens aux quatre coins de la région, à Lapaine, à Héliopolis, à Duvivier, à Millésimo, à Petit, à Souk-Ahras, à Tébessa et ailleurs (…).C'est la naissance de ce « comité de vigilance » qui provoquera les maux dont souffrira longtemps encore la conscience algérienne. Au sein de ce comité vont se faire jour les haines personnelles et c'est sous leur impulsion que la répression connaîtra des proportions démesurées si l'on veut bien se souvenir qu'à Guelma même aucun Européen ne fut molesté. C'est à ce comité que nous devons la mort de toute la jeunesse musulmane de Guelma. L'âme damnée de ce comité, et qui a secondé la machiavélique machination d'Achiary, c'est le commissaire de police Tocquard, âme fielleuse et hypocrite, qui cherchait à se faire pardonner ses accointances patentées avec Vichy. Entre Achiary et lui se tramait le plus ignoble massacre d'innocents que l'histoire de l'Algérie, pourtant fertile en horreurs, ait vécu !(…) Jeudi 10 maiLa ville avait perdu son aspect quotidien. L'atmosphère était tendue. En effet, le sous-préfet avait installé son quartier général à la caserne, en accord avec la préfecture, le général Duval et le commandant d'armes. Conformément aux instructions officielles, Achiary concentre entre ses mains tous les pouvoirs locaux. Pour ceux qui connaissent la ville, la disqualification de l'honorable maire de Guelma, M. Maubert, est déjà un funeste présage. L'on devine que la violence occupe la place de la clémence. Au sang innocemment versé par des bandes fanatiques va succéder le sang innocemment versé par des miliciens organisés. A la spontanéité d'une action barbare limitée et unanimement réprouvée va succéder une action réfléchie, étendue et cyniquement approuvée par la majorité de la population européenne. A une émeute sporadique et dirigée contre de pauvres gens va succéder une répression odieuse, méthodique et visant les éléments prometteurs d'une population longtemps exploitée. D'un côté, des tueurs sauvages, incultes, insensibles ; de l'autre côté, des êtres haineux, farouches et implacables.C'est donc une véritable organisation de combat qui était sous les ordres du sous-préfet. Tous les électeurs inscrits furent convoqués à prendre les armes. Rares furent ceux qui purent échapper à ce service désormais obligatoire. La milice civique était constituée. […]Toute la journée, de nouvelles arrestations venaient augmenter le nombre des prévenus, prochaines victimes d'un sacrifice qui allait durer toute une semaine sanglante. Après avoir épuisé la liste des « Amis du Manifeste », on se rabattit sur le plus banal prétexte. Il suffisait à un milicien de désigner un musulman pour que celui-ci soit aussitôt appréhendé et envoyé à la gendarmerie. Là, les prévenus étaient battus copieusement par les miliciens de service. Les hitlériens avaient enfin leurs émules.Nous avons entendu de la bouche de témoins qui ont miraculeusement échappé à la boucherie des récits qui ne cèdent en rien à ceux que la presse ou les ouvrages nous ont rapportés des enfers germaniques. Notre plume est trop pauvre pour les décrire comme il convient. Ceux qui ont vécu ces scènes atroces ne veulent plus en entendre parler. L'ami socialiste, à qui je demandais le rôle des corps de garde, m'a prié de lui faire grâce lorsque je l'interrogeais sur la réception réservée à la gendarmerie aux musulmans arrêtés sous n'importe quel prétexte. Les femmes de gendarmes elles-

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mêmes en furent tellement rassasiées que la nausée les prend sitôt qu'on fait allusion aux horreurs qu'elles ont vues, aux cris inhumains qu'elles ont entendus, aux râles douloureux qu'elles ont perçus.Marcel Reggui, Les massacres de Guelma. Algérie, mai 1945 : une enquête inédite sur la furie des milices coloniales, préface de Jean-Pierre Peyroulou, La Découverte, Poche, 2006.

Les milices civilesIl a été signalé au Général Commandant la Division Territoriale que des milices auraient été

levées dans certains centres par les autorités civiles locales.Il est rappelé qu'aucune unité supplétive ne peut être organisée, par les autorités

militaires locales, sur le territoire sans un ordre écrit du Général Commandant la Division Territoriale.

La constitution des milices civiles, à la disposition du Général, fait l'objet d'une étude actuellement en cours. Des ordres seront donnés ultérieurement à ce sujet.

Toute organisation de ce genre qui aurait été créée à ce jour sur l'initiative des Commmandants de Subdivision ou des Commandants d'Armes, sera immédiatement dissoute.Note de service du général Duval, commandant la division de Constantine, 7 juin 1945.

Le regard de CamusJe voudrais rappeler que le peuple arabe existe. Je veux dire par là qu’il n’est pas cette foule anonyme et misérable, où l’Occident ne voit rien à respecter ni à défendre. Il s’agit au contraire d’un peuple de grandes traditions et dont les vertus, pour peu qu’on veuille l’approcher sans préjugés, sont parmi les premières. Ce peuple n’est pas inférieur, sinon par la condition de vie où il se trouve, et nous avons des leçons à prendre chez lui, dans la mesure même où il peut en prendre chez nous. Trop de Français, en Algérie ou ailleurs, l’imaginent comme une masse amorphe que rien n’intéresse. (…)

L’Algérie de 1945 est plongée dans une crise économique et politique qu’elle a toujours connue, mais qui n’avait jamais atteint ce degré d’acuité. (…) Si grave et si urgente que soit la pénurie économique dont souffre l’Afrique du Nord, elle n’explique pas, à elle seule, la crise politique algérienne. Mais à la vérité, le malaise politique est antérieur à la famine. (…) J’ai lu que 80 % des Arabes désiraient devenir des citoyens français. Je résumerai au contraire l’état actuel de la politique algérienne en disant qu’ils le désiraient effectivement, mais qu’ils ne le désirent plus. Quand on a longtemps vécu d’une espérance et que cette espérance a été démentie, on s’en détourne et l’on perd jusqu’au désir. C’est ce qui est arrivé avec les indigènes algériens, et nous en sommes les premiers responsables. (…) Les massacres de Guelma et de Sétif ont provoqué chez les Français d’Algérie un ressentiment profond et indigné. La répression qui a suivi a développé dans les masses arabes un sentiment de crainte et d’hostilité. Dans ce climat, une action politique qui serait à la fois ferme et démocratique voit diminuer ses chances de succès.

Persuadons-nous bien qu’en Afrique du Nord comme ailleurs on ne sauvera rien de français sans sauver la justice. (…) Le monde aujourd’hui sue la haine de toutes parts. Partout, la violence et la force, les massacres et les clameurs obscurcissent un air que l’on croyait délivré de son poison le plus terrible. Tout ce que nous pouvons faire pour la vérité, française et humaine, nous avons à le faire contre la haine. À tout prix, il faut apaiser ces peuples déchirés et tourmentés par de trop longues souffrances. Pour nous, du moins, tâchons de ne rien ajouter aux rancœurs algériennes. C’est la force infinie de la justice, et elle seule, qui doit nous aider à reconquérir l’Algérie et ses habitants.

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II. L’entrée en guerre

a. Le déclenchement de la rébellion

Appel au peuple algérienPEUPLE ALGÉRIEN,MILITANTS DE LA CAUSE NATIONALE,A vous qui êtes appelés à nous juger (le premier d'une façon générale, les seconds tout particulièrement), notre souci en diffusant la présente proclamation est de vous éclairer sur les raisons profondes qui nous ont poussés à agir en vous exposant notre programme, le sens de notre action, le bien-fondé de nos vues dont le but demeure l'indépendance nationale dans le cadre nord-africain. Notre désir aussi est de vous éviter la confusion que pourraient entretenir l'impérialisme et ses agents administratifs et autres politicailleurs véreux.Nous considérons avant tout qu'après des décades de lutte, le mouvement national a atteint sa phase de réalisation. En effet, le but d'un mouvement révolutionnaire étant de créer toutes les conditions d'une action libératrice, nous estimons que, sous ses aspects internes, le peuple est uni derrière le mot d'ordre d'indépendance et d'action et, sous les aspects extérieurs, le climat de détente est favorable pour le règlement des problèmes mineurs, dont le nôtre, avec surtout l'appui diplomatique de nos frères arabo-musulmans. Les événements du Maroc et de Tunisie sont à ce sujet significatifs et marquent profondément le processus de la lutte de libération de l'Afrique du Nord. A noter dans ce domaine que nous avons depuis fort longtemps été les précurseurs de l'unité dans l'action, malheureusement jamais réalisée entre les trois pays.Aujourd'hui, les uns et les autres sont engagés résolument dans cette voie, et nous, relégués à l'arrière, nous subissons le sort de ceux qui sont dépassés. C'est ainsi que notre mouvement national, terrassé par des années d'immobilisme et de routine, mal orienté, privé du soutien indispensable de l'opinion populaire, dépassé par les événements, se désagrège progressivement à la grande satisfaction du colonialisme qui croit avoir remporté la plus grande victoire de sa lutte contre l'avant-garde algérienne.L'HEURE EST GRAVE !Devant cette situation qui risque de devenir irréparable, une équipe de jeunes responsables et militants conscients, ralliant autour d'elle la majorités des éléments encore sains et décidés, a jugé le moment venu de sortir le mouvement national de l'impasse où l'ont acculé les luttes de personnes et d'influence, pour le lancer aux côtés des frères marocains et tunisiens dans la véritable lutte révolutionnaire.Nous tenons à cet effet à préciser que nous sommes indépendants des deux clans qui se disputent le pouvoir. Plaçant l'intérêt national au-dessus de toutes les considérations mesquines et erronées de personnes et prestige, conformément aux principes révolutionnaires, notre action est dirigée uniquement contre le colonialisme, seul ennemi et aveugle, qui s'est toujours refusé à accorder la moindre liberté par des moyens de lutte pacifique.Ce sont là, nous pensons, des raisons suffisantes qui font que notre mouvement de rénovation se présente sous l'étiquette de FRONT DE LIBÉRATION NATIONALE, se dégageant ainsi de toutes les compromissions possibles et offrant la possibilité à tous les patriotes algériens de toutes les couches sociales, de tous les partis et mouvements purement algériens, de s'intégrer dans la lutte de libération sans aucune autre considération.Pour préciser, nous retraçons ci-après, les grandes lignes de notre programme politique :BUT :L'indépendance nationale par :

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1) La restauration de l'État algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques.2) Le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de races et de confessions.OBJECTIFS INTÉRIEURS :1) Assainissement politique par la remise du mouvement national révolutionnaire dans sa véritable voie et par l'anéantissement de tous les vestiges de corruption et de réformisme, cause de notre régression actuelle.2) Rassemblement et organisation de toutes les énergies saines du peuple algérien pour la liquidation du système colonial.OBJECTIFS EXTÉRIEURS :- Internationalisation du problème algérien.- Réalisation de l'Unité nord-africaine dans le cadre naturel arabo-musulman.- Dans le cadre de la charte des Nations unies, affirmation de notre sympathie à l'égard de toutes nations qui appuieraient notre action libératrice.MOYENS DE LUTTE :Pour parvenir à ces fins, le Front de libération nationale aura deux tâches essentielles à mener de front et simultanément : une action intérieure tant sur le plan politique que sur le plan de l'action propre, et une action extérieure en vue de faire du problème algérien une réalité pour le monde entier avec l'appui de tous nos alliés naturels.C'est là une tâche écrasante qui nécessite la mobilisation de toutes les énergies et toutes les ressources nationales. Il est vrai, la lutte sera longue mais l'issue est certaine.En dernier lieu, afin d'éviter les fausses interprétations et les faux-fuyants, pour prouver notre désir de paix, limiter les pertes en vies humains et les effusions de sang, nous avançons une plate-forme honorable de discussion aux autorités françaises si ces dernières sont animées de bonne foi et reconnaissent une fois pour toutes aux peuples qu'elles subjuguent le droit de disposer d'eux-mêmes.1) La reconnaissance de la nationalité algérienne par une déclaration officielle abrogeant les édits, décrets et lois faisant de l'Algérie une terre française en déni de l'histoire, de la géographie, de la langue, de la religion et des moeurs du peuple algérien.2) l'ouverture des négociations avec les porte-parole autorisés du peuple algérien sur les bases de la reconnaissance de la souveraineté algérienne, une et indivisible.3) La création d'un climat de confiance par la libération de tous les détenus politiques, la levée de toutes les mesures d'exception et l'arrêt de toute poursuite contre les forces combattantes.EN CONTREPARTIE :1) Les intérêts français, culturels et économiques, honnêtement acquis, seront respectés ainsi que les personnes et les familles.2) Tous les français désirant rester en Algérie auront le choix entre leur nationalité et seront de ce fait considérés comme étrangers vis-à-vis des lois en vigueur ou opteront pour la nationalité algérienne et, dans ce cas, seront considérés comme tels en droits et en devoirs.3) Les liens entre la France et l'Algérie seront définis et feront l'objet d'un accord entre les deux puissances sur la base de l'égalité et du respect de chacun.Algérien ! nous t'invitons à méditer notre charte ci-dessus. Ton devoir est de t'y associer pour sauver notre pays et lui rendre sa liberté ; le Front de libération nationale est ton front, sa victoire est la tienne.Quant à nous, résolus à poursuivre la lutte, sûrs de tes sentiments anti-impérialistes, nous donnons le meilleur de nous-mêmes à la patrie.Le Secrétariat national.

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Messali Hadj dénonce la répression

Le 8 novembre 1954Dès l’annonce des événements survenus en Algérie dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, la surveillance exercée autour de ma personne est gravement renforcée.Trois jours après, on me plaça au régime du secret, m’empêchant de recevoir qui que ce soit et me privant de communication avec l’extérieur.Cette aggravation des conditions de ma résidence a été suivie d’une perquisition et de la dissolution du MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques).En Algérie, des perquisitions et des arrestations ont été opérées avec une grande brutalité et souvent en violation des droits. (…) Partout l’administration fait appel à une répression énergique et exemplaire. Cette frénésie reprend les méthodes de mai 1945.Nous avons, en d’autres temps, déclaré que la répression, sous quelque forme quelle soit, n’a jamais été une solution au problème algérien, qui, de plus en plus, s’impose au gouvernement comme à l’opinion internationale. Toutes les méthodes de la France n’ont pas empêché le peuple algérien de revendiquer ses biens, ses droits, sa liberté. Cette politique de force a fait faillite parce qu’elle est contraire aux véritables aspirations du peuple algérien, qui reste fidèlement attaché à son passé historique et à sa tradition islamique.Ces explosions en Algérie sont les résultats désastreux de la politique coloniale qui persiste obstinément à ignorer les réalités algériennes. Soumis à une forte expropriation et réduit au régime du silence, le peuple algérien est devenu une armée errante de guenillards, de tuberculeux et d’intouchables. (…) Nous l’avons dit en d’autres temps, et nous le répétons, c’est en mettant fin à ce régime, en faisant droit aux aspirations de notre peuple que l’on mettra fin à des explosions qui ne sont, en vérité, que des réactions humaines et des actes de désespoir. C’est là qu’est le remède. Il faut avoir le courage de le regarder en face pour apporter une solution juste, humaine, logique aux réalités algériennes. Telle a été notre lutte dans le passé, telle elle sera demain et toujours. (…)Messali Hadj, proscrit politique

b. La réponse de la France

Déclaration de François Mitterrand, ministre de l'Intérieur, à l'Assemblée nationale, 12 novembre 1954.

Je prétends qu'actuellement certains doivent cruellement méditer sur le déclenchement hâtif de l'émeute, qui les a précipités dans une aventure qui les conduira à leur perte. Voilà donc qu'un peu partout, d'un seul coup, se répand le bruit que l'Algérie est à feu et à sang.De même que le Maroc et la Tunisie ont connu ce phénomène de terrorisme individuel dans les villes et dans les campagnes, faut-il que l'Algérie ferme la boucle de cette ceinture du monde en révolte depuis quinze ans contre les nations qui prétendaient les tenir en tutelle ?Eh bien ! Non, cela ne sera pas, parce qu'il se trouve que l'Algérie, c'est la France, parce qu'il se trouve que les départements de l'Algérie sont des départements de la République française. Des Flandres jusqu'au Congo, s'il y a quelque différence dans l'application de nos lois, partout la loi s'impose et cette loi est la loi française ; c'est celle que vous votez parce qu'il n'y a qu'un seul

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Parlement et qu'une seule nation dans les territoires d'outre-mer comme dans les départements d'Algérie comme dans la métropole. (…)Tous ceux qui essayeront, d'une manière ou d'une autre, de créer le désordre et qui tendront à la sécession seront frappés par tous les moyens mis à notre disposition par la loi. Nous frapperons également tous ceux qui y contribueront, même indirectement. Il n'est pas supportable que, par voie de presse, d'écrits, de discours ou sous quelque forme que ce soit, à plus forte raison par les armes, un citoyen s'oppose à la nation, au risque de la déchirer. En tout cas, s'il le fait, le gouvernement n'a qu'un devoir, et vous pouvez compter sur le ministre chargé de cette mission, au nom de ce gouvernement, pour décider des mesures qui s'imposeront. Il y a, dans l'histoire de la République, assez d'exemples, de grands exemples, vers lesquels notre volonté doit se reporter dans les moments difficiles. L'Algérie, c'est la France. Et qui d'entre vous, mesdames, messieurs, hésiterait à employer tous les moyens pour préserver la France ?

Loi N° 55-385 du 3 avril 1955 instituant un état d'urgence en déclarant l'application en AlgérieL'Assemblée nationale et le Conseil de la République ont délibéré, L'Assemblée nationale a adopté,Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit:TITRE 1er. Article 1er. L'état d'urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, de l'Algérie ou des départements d'outre-mer, soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique.Article 2. (Ordonnance n° 60-372 du 15 avril 1960, art. 1er) L'état d'urgence est déclaré par décret en Conseil des ministres. Ce décret détermine la ou les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles il entre en vigueur.Dans la limite de ces circonscriptions, les zones où l'état d'urgence recevra application seront fixées par décret.La prorogation de l'état d'urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi.Article 3. (Ordonnance n° 60-372 du 15 avril 1960. art. 1er) La loi autorisant la prorogation au-delà de douze jours de l'état d'urgence fixe sa durée définitive.Article 4. (Ordonnance du 15 avril 1960, art. 1er) La loi portant prorogation de l'état d'urgence est caduque à l'issue d'un délai de quinze jours francs suivant la date de démission du Gouvernement ou de dissolution de l'Assemblée nationale.La déclaration de l'état d'urgence donne pouvoir au préfet dont le département se trouve en tout ou partie compris dans une circonscription prévue à l'article 2:1° D'interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté;2° D'instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé;3° D'interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics.Article 6. Le ministre de l'intérieur dans tous les cas et, en Algérie, le gouverneur général peuvent prononcer l'assignation à résidence dans une circonscription territoriale ou une localité déterminée de toute personne résidant dans le zone fixée par le décret visé à l'article 2 dont l'activité s'avère dangereuse pour la sécurité et l'ordre publics des circonscriptions territoriales visées audit article.(Loi n° 55-1080 du 7 août 1955, art. 3.) L'assignation à résidence doit permettre à ceux qui en sont l'objet de résider dans une agglomération ou à proximité immédiate d'une agglomération. En aucun cas, l'assignation à résidence ne pourra avoir pour effet la création de camps où seraient détenues les

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personnes visées à l'alinéa précédent. L'autorité administrative devra prendre toutes dispositions pour assurer la subsistance des personnes astreintes à résidence ainsi que celle de leur famille.Article 7. Toute personne avant fait l'objet d'une des mesures prises en application de l'article 5 (3°), ou de l'article 6 peut demander le retrait de cette mesure. Sa demande est soumise à une commission consultative comprenant des délégués du Conseil général désignés par ce dernier et comportant, en Algérie, la représentation paritaire d'élus des deux collèges. La composition, le mode de désignation et les conditions de fonctionnent de la commission seront fixés par un règlement d'administration publique.Les mêmes personnes peuvent former un recours pour excès de pouvoir contre la décision visée à l'alinéa 1er ci-dessus devant le tribunal administratif compétent. Celui-ci devra statuer dans le mois du recours. En cas d'appel, la décision du Conseil d'Etat devra intervenir dans les trois mois de l'appel.Faute par les juridictions ci-dessus d'avoir statué dans les délais fixés par l'alinéa précédent, les mesures prises en application de l'article 5 (3°) ou de l'article 6 cesseront de recevoir exécution.Article 8. Le ministre de l'intérieur. pour l'ensemble du territoire où est institué l'état d'urgence, le gouvernement général pour l'Algérie et le préfet, dans le département, peuvent ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature dans les zones déterminées par le décret prévu à l'article 2. Peuvent être également interdites, à titre général ou particulier, les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre.Article 9. Les autorités désignées à l'article 6 peuvent ordonner la remise des armes de première, quatrième et cinquième catégories définies par le décret du 18 avril 1939 et des munitions correspondantes et prescrire leur dépôt entre les mains des autorités et dans les lieux désignés à cet effet. Les armes de la cinquième catégorie remises en vertu des dispositions qui précèdent donneront lieu à récépissé. Toutes dispositions seront prises pour qu'elles soient rendues à leur propriétaire en l'état où elles étaient lors de leur dépôt.Article 10. La déclaration de l'état d'urgence s'ajoute aux cas visés à l'arrêté 1er de la loi du 11 juillet 1938 sur l'organisation générale de la nation en temps de guerre pour la mise à exécution de tout ou partie des dispositions de ladite loi en vue de pourvoir aux besoins résultant de circonstances prévues à l'article 1er.Article 11. (Ordonnance n° 60-372 du 15 avril 1960, art. 1er) Le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence peuvent, par une disposition expresse:1° Conférer aux autorités administratives visées à l'article 8 le pouvoir d'ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit;2° Habiliter les mêmes autorités à prendre toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales.Les dispositions du paragraphe 1° du présent article ne sont applicables que dans les zones fixées par le décret prévu à l'article 2 ci-dessus.Article 12. Lorsque l'état d'urgence est institué, dans tout ou partie d'un département, un décret pris sur le rapport du garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre de la défense nationale, peut autoriser la juridiction militaire à se saisir de crimes, ainsi que des délits qui leur sont connexes, relevant de la cour d'assises de ce département.La juridiction de droit commun reste saisie tant que l'autorité militaire ne revendique pas la poursuite et, dans tous les cas, jusqu'à l'ordonnance prévue à l'article 133 du code d'instruction criminelle. Si, postérieurement à cette ordonnance, l'autorité militaire compétente pour saisir la juridiction militaire revendique cette poursuite, la procédure se trouve, nonobstant les dispositions de l'article 24, dernier alinéa, du code de justice militaire, portée de plein droit soit devant la chambre des mises en accusation prévue par l'article 68 du code de justice militaire , lorsque la

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chambre d'accusation saisie n'a pas encore rendu son arrêt, soit devant la juridiction militaire compétente ratione loci lorsqu'un arrêt de renvoi a été rendu. Dans ce dernier cas, les dispositions de l'alinéa ci-après sont applicables, et il n'y a pas lieu pour la Cour de cassation de statuer avant le jugement sur les pourvois qui ont pu être formés contre cet arrêt. Le tribunal militaire est constitué, et statue, dans les conditions fixées aux deux dernier alinéas de l'article 10 du code de justice militaire .(Loi n° 55-1080 du 7 août 1955, art. 1er.) "Lorsque le décret prévu à l'alinéa du présent article est intervenu, dans les circonscriptions judiciaires précisées audit décret et pour toutes les procédures déférées à la juridiction militaire, il ne pourra être exercé aucune voie de recours contre les décisions des juridictions d'instruction, y compris l'arrêt de renvoi, à l'exception de l'opposition contre les ordonnances statuant sur une demande de mise en liberté provisoire devant la chambre des mises en accusation qui statuera dans la quinzaine. Une nouvelle opposition ne pourra être élevée que contre une ordonnance rendue plus de deux mois après une précédente décision de rejet de la chambre des mises en accusation.Les pourvois en cassation contre les décisions des juridictions d'instruction ne peuvent être formés qu'après jugement statuant au fond et s'il y a lieu, en même temps que le pourvoi élevé contre celui-ci. Ils sont portés devant un tribunal militaire de cassation établi par décret en se conformant aux articles 126 à 132 du code de justice militaire et statuant dans les conditions de forme et de fond prévues aux articles 133 à 155 dudit code. Aucune voie de recours, même en cassation, ne pourra également être exercée contre les décisions des juridictions d'instruction de droit commun statuant sur des faits prévus audit décret à l'exclusion de l'appel devant la chambre des mises en accusation qui statuera dans la quinzaine contre une ordonnance statuant sur une demande de mise en liberté provisoire et du pourvoi en cassation contre un arrêt de renvoi devant la cour d'assises. Un nouvel appel ne pourra être élevé que contre une ordonnance rendue plus de deux mois après une précédente décision de rejet de la chambre des mises en accusation.Article 13. Les infractions aux dispositions des articles 5, 6, 8, 9 et 11 (2°) seront punies d'un emprisonnement de huit jours à deux mois et d'une amende de 5000 à 200000 F ou de l'une de ces deux peines seulement. L'exécution d'office, par l'autorité administrative, des mesures prescrites peut être assurée nonobstant l'existence de ces dispositions pénales.Article 14. Les mesures prises en application de la présente loi cessent d'avoir effet en même temps que prend fin l'état d'urgence. Toutefois, après la levée de l'état d'urgence, les tribunaux militaires continuent de connaître des crimes et délits dont la poursuite leur avait été déférée.

L’Algérie, c’est la France

L'urgence justifie pleinement que je commence par le plus pressant [des problèmes], par le plus douloureux d'entre eux : l'Algérie.C'est bien celui auquel le gouvernement doit donner la première place. Il domine tous ceux que la France doit résoudre. C'est à lui que le Président du Conseil consacrera ses premiers efforts en s'y attachant personnellement.L'envoi à Alger d'un ministre résidant, charge qui a été confiée à une personnalité éminente, à l'abnégation de laquelle je veux rendre hommage, la présence à ses côtés de deux secrétaires d'État, témoignent de la volonté du gouvernement d'agir promptement et de faire rigoureusement respecter ses décisions.Au cours des récentes semaines, et plus particulièrement durant ces tout derniers jours, je me suis livré à une enquête que j'ai voulue scrupuleuse. Elle m'a conduit d'abord à penser qu'il faut bannir

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du débat tout querelle sur les mots : assimilation, intégration, association, fédération, etc. D'autant que, lorsque l'on va plus loin dans l'examen, on s'aperçoit que les mesures seraient pendant longtemps les mêmes, quelle que fût l'option théorique choisie. Elles correspondraient toutes à la même préoccupation : créer davantage de liberté et d'égalité.Ce qui importe donc aujourd'hui, ce n'est pas d'opposer des théories, c'est d'affirmer une volonté, de fixer des objectifs, des intentions et, si possible, des méthodes.L'objectif de la France, la volonté du gouvernement, c'est, avant tout, rétablir la paix, libérer de la peur les esprits des uns et des autres et, pour cela, obtenir que cessent le terrorisme et la répression aveugle.C'est ensuite promouvoir l'évolution démocratique des institutions, organiser la coexistence des deux éléments de la population que l'Histoire à associés et que nous ne permettrons pas de voir séparer, et assurer le développement économique et social du pays.C'est donc maintenir et renforcer l'union indissoluble entre l'Algérie et la France métropolitaine.Est-il besoin d'insister sur ce que deviendrait la France sans l'Algérie et l'Algérie sans la France ? Entre elles, l'Histoire, les contacts humains et les échanges économiques ont tissé des liens indispensables et profitables à l'une comme l'autre.C'est, en même temps, reconnaître et respecter la personnalité algérienne et réaliser l'égalité politique totale de tous les habitants de l'Algérie.A qui nous adresserons-nous ? Deux groupes principaux forment l'Algérie :Une minorité importante d'origine européenne, elle-même divisée. A côté de quelques hommes dont l'égoïsme à courte vue est, pour une lourde part, responsable de la situation, elle est composée aussi de personnes d'origine modeste, de travailleurs consciencieux et dévoués à leur pays. C'est par eux, c'est à travers eux que la France est présente en Algérie.D'autre part, une population autochtone, chaque jour plus nombreuse. Si elle contient, hélas, une minorité de forcenés et de criminels, son immense majorité n'aspire qu'au maintien des liens avec la France. Encore faut-il que celle-ci assure une égalité totale de droits à ces Musulmans dont personne n'a jamais contesté l'égalité des devoirs.Les données connues, les objectifs fixés, essayons de définir des méthodes.Il doit être solennellement affirmé par l'Assemblée nationale aujourd'hui que le sort futur, définitif, de l'Algérie ne sera en aucun cas déterminé unilatéralement.Il sera ensuite affirmé sans équivoque - et cela découle de notre premier principe - que nous n'accepterons pas qu'une solution de force soit imposée ou qu'un élément de la population prétende seul dicter ses conceptions à l'autre.Pour l'essentiel, c'est donc dans la confrontation et la discussion que sera défini le statut futur de l'Algérie et trouvée une solution qui assure à chacun le respect total de ses droits en même temps qu'elle exige de lui l'accomplissement rigoureux de ses devoirs.Comment organiser cette discussion ?Le gouvernement entend que, dans les plus brefs délais, il soit procédé à une véritable consultation populaire par de libres élections au collège unique, ce qui implique une réforme électorale. Je ne veux pas me prononcer aujourd'hui sur l'ordre chronologique dans lequel devront se dérouler les élections à envisager : représentation au Parlement français, à l'Assemblée algérienne, qui devra alors être dissoute, aux assemblées locales.Le gouvernement soumettra à bref délai à l'Assemblée les textes qui lui donneront les pouvoirs nécessaires pour réaliser certaines réformes préalables, notamment la réforme de l'organisation municipale, la réforme de la fonction publique et celle de l'administration en Algérie.Les décisions fondamentales que je viens d'énumérer amèneront un changement de climat.Si, dans l'immédiat, le potentiel militaire des forces déployées en Algérie ne peut encore être diminué, leur efficacité, par contre, sera accrue par des réformes simples de leur structure et de leur

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utilisation, qui les adapteront mieux aux conditions de leur emploi local. Les besoins des troupes seront satisfaits et leur relève assurée.Dans le même temps qu'il garantira ainsi la sécurité des personnes et des biens, le gouvernement entend que soit rendue évidente la volonté de la France de réaliser l'apaisement nécessaire des esprits.Outre les indispensables réformes de l'administration et de la fonction publique que j'ai déjà mentionnées, il procédera à la libération des détenus politiques, sans confusion possible cependant avec ceux qui ont fait l'objet de procédures pénales régulières.Il prendra également une série de mesures urgentes et indispensables d'ordre économique et social, tout spécialement pour poursuivre et développer le programme de grands travaux et pour combattre la misère par des distributions de vivres et de textiles.Le gouvernement attache aussi la plus grande importance à la réalisation de la réforme agraire.Dans ce drame algérien où la France joue son destin, le gouvernement a le devoir de dire la vérité au pays et d'agir. Sans cela, les événements risqueraient de conduire à l'irréparable, ce que peuvent et que doivent éviter l'initiative et la volonté française.

Tract du 6 février 1956 de la délégation en France de Présence française Algérie, intitulé « Contre les capitulards ».

L'arrivée du général Catroux, Grand Chancellier de la Légion d'Honneur et « grand spécialiste de la capitulation », dévoile nettement les intentions d'un gouvernement de démission en Algérie.Non contents des abandons successifs de l'Empire français consentis avec ou sans profits par certains gouvernements, non contents de fouler aux pieds l'Honneur et les intérêts de la France Eternelle, ceux qui nous dirigent entrent aujourd'hui de plain-pied dans l'ère des derniers reniements et des dernières renonciations.La reprise du terrorisme en Tunisie, les honteux assassinats de Français au Maroc montrent indiscutablement que les soldes-capitulations, prônés par M. Mendès, ne servent à rien.Nous ne pouvons oublier que l'armée française, comme en Indochine, n'a pas été battue en rase campagne. Que l'oeuvre accomplie en Algérie par nos pionniers est un titre de gloire. Que la prétendue soif de nationalisme ne s'est exprimée que par un honteux bain de sang. Dans ces conditions, rien ne nous oblige à une capitulation signée Mollet-Catroux.Si par le mot répression, on entend la condamnation des innombrables sauvages qui depuis le 20 août ont égorgé, tué, pillé, violé des civils, femmes et enfants, si l'on entend leur exécution impitoyable (c'est-à-dire la plus stricte application de la justice), alorsOui, nous sommes pour la répression impitoyable et immédiate.Français métropolitains qui ne voulez pas voir les assassins au pouvoir à Alger, qui ne voulez pas voir la France se morceler, qui refusez d'exposer votre pays au démembrement et à la faillite, soutenez l'action de vos concitoyens d'Algérie. Rejoignez les rangs de « présence française Algérie ».Délégation en France de Présence française Algérie.12, rue Mounet-Sully, Paris.

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2. Une guerre aux multiples visages

I. L'insurrection algérienne s'organise

a. Dans les maquis algériens

Consignes aux maquisards– Ne jamais sortir seul.– Ne rien demander, ne rien exiger, être effacé et discret. Il faut manger ce qu’on te donne, ne pas demander plus ou autre chose– Pendant les repas, manger discrètement, ne pas être gourmand, ne jamais choisir les meilleurs morceaux ou les plus beaux fruits. Au contraire, il faut savoir offrir aux autres ce qui est meilleur ; savoir se priver, souffrir et se taire– Ne pas trop parler, savoir surtout écouter, se garder de faire des critiques– Étouffer ses sentiments, quels qu’ils soient– Ne jamais lever les yeux au passage des femmes. Tout regard malveillant, tout geste déplacé équivaut à une condamnation à mort. C’est une des raisons pour laquelle il faut toujours avoir un compagnon pour être témoin et une conscience pour te rappeler à l’ordre si tu es tenté de t’égarer.– Être toujours propre, bien rasé et se peigner les cheveux à la brosse. Avoir toujours une brosse à dents et du savon sur soi. Si tu meurs, l’ennemi doit te trouver propre, avec une tenue impeccable. Chacun doit laver son linge– Ne jamais enlever ses chaussures, sauf pour prendre un bain, et sous bonne garde.– Quand on fait ses besoins, il faut toujours les camoufler, comme le chat. Sinon, ce serait une trace intéressante pour l’ennemi– Tu es moudjahid ; ton objectif, est le combat sous toutes ses formes, jusqu’à la mort.– Ici, nous vivons en équipe, comme une famille. Chacun doit être prêt à mourir pour l’autre. Il y a une seule et unique chose qui prime : c’est l’intérêt suprême de la lutte armée.

– Les rapports entre moudjahidins doivent être empreints de fraternité et de respect mutuel. Nous sommes tous des frères et sœurs, aussi bien entre les Moudjahidin, qu’avec les civils. Aucun écart de langage n’est toléré. Tu dois t’abstenir des grossièretés, des paroles obscènes. Les querelles et les chamailleries sont interdites et sévèrement réprimées.

Plate-forme de la Soummam[…] II) LES PERSPECTIVES POLITIQUESLa preuve est faite que la Révolution Algérienne n’est pas une révolte de caractère anarchique, localisée, sans coordination, sans direction politique, vouée à l’échec.La preuve est faite qu’il s’agit au contraire d’une véritable révolution organisée nationale et populaire, centralisée, guidée par un état-major capable de la conduire jusqu’à la victoire finale.La preuve est faite que le gouvernement français, convaincu de l’impossibilité d’une solution militaire, est obligé de rechercher une solution politique.Voilà pourquoi le FLN, inversement, doit se pénétrer de ce principe :La négociation suit la lutte à outrance contre un ennemi impitoyable, elle ne la précède jamais.Notre position à cet égard est fonction de trois considérations essentielles pour bénéficier du rapport des forces :

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1°) Avoir une doctrine politique claire ;2°) Développer la lutte armée d’une façon incessante jusqu’à l’insurrection générale ;3°) Engager une action politique d’une grande envergure.

A) POURQUOI NOUS COMBATTONS !La Révolution Algérienne a la mission historique de détruire de façon définitive et sans retour le régime colonial odieux, décadent, obstacle au progrès et à la paix.

I. Les buts de guerre ;II. Le cessez-le-feu ;III. Négociations pour la paix.

I. LES BUTS DE GUERRELes buts de guerre, c’est le point final de la guerre à partir duquel se réalisent les buts de paix. Les buts de guerre, c’est la situation à laquelle on accule l’ennemi pour lui faire accepter nos buts de paix. Ce peut être la victoire militaire ou bien la recherche d’un cessez-le-feu ou d’un Armistice en vue de négociations. Il ressort que, vu notre situation, nos buts de guerre sont politico-militaires. Ce sont :1°) L’affaiblissement total de l’Armée française, pour lui rendre impossible une victoire par les armes ;2°) La détérioration sur une grande échelle de l’économie colonialiste par le sabotage, pour rendre impossible l’administration normale du pays ;3°) La perturbation au maximum de la situation en France sur le plan économique et social, pour rendre impossible la continuation de la guerre;4°) L’isolement politique(de la France) en Algérie et dans le monde ;5°) Donner à l’insurrection un développement tel qu’il la rend conforme au droit international(personnalisation de l’armée, pouvoir politique reconnaissable, respect des lois de la guerre, administration normale de zones libérées par l’ALN) ;6°) Soutenir constamment le peuple devant les efforts d’extermination des Français. II. LE CESSEZ- LE-FEUConditions

a. Politiques :1°) Reconnaissance de la Nation Algérienne indivisible.Cette clause est destinée à faire disparaître la fiction colonialiste de « Algérie française ».2°) Reconnaissance de l’indépendance de l’Algérie et de sa souveraineté dans tous les domaines, jusque et y compris la défense nationale et la diplomatie.3°) Libération de tous les Algériens et Algériennes emprisonnés, internés ou exilés en raison de leur activité patriotique avant et après l’insurrection nationale du 1er novembre 1954.4°) Reconnaissance du FLN comme une seule organisation représentant le peuple algérien et seule habilitée en vue de toute négociation. En contre-partie, le FLN est garant et responsable du cessez-le-feu au nom du peuple algérien.

b) MilitairesLes conditions militaires seront précisées ultérieurement.

III. NEGOCIATIONS POUR LA PAIX 1°) Les conditions sur le cessez- le- feu étant remplies, l’interlocuteur valable et exclusif pour l’Algérie demeure le FLN. Toutes les questions ayant trait à la représentativité du peuple algérien sont du ressort exclusif du FLN (gouvernement, élections, etc….). Aucune ingérence de ce

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fait de la part du gouvernement français n’est admise.2°) Les négociations se font sur la base de l’indépendance(diplomatie et défense nationale incluses).3°) Fixation des points de discussions :- Limites du territoire algérien(limites actuelles y compris le Sahara algérien) ;- Minorité française(sur la base de l’option entre : citoyenneté algérienne ou étrangère - pas de régime préférentiel - pas de double citoyenneté algérienne et française) ;- Biens français: de l’Etat français, des citoyens français ;- Transfert des compétences(administration) ;- Formes d’assistance et de coopération françaises dans les domaines économiques, monétaire, social, culturel, etc.…. ;- Autres points.Dans une deuxième phase, les négociations sont menées par un gouvernement chargé de préciser le contenu des têtes de chapitre. Ce gouvernement est issu d’une assemblée constituante, elle-même issue d’élections générales. La Fédération Nord-africaineL’Algérie libre et indépendante, brisant le colonialisme racial fondé sur l’arbitraire colonial, développera sur des bases nouvelles l’unité et la fraternité de la Nation Algérienne dont la renaissance fera rayonner sa resplendissante originalité.Mais les Algériens ne laisseront jamais leur culte de la Patrie, sentiment noble et généreux, dégénérer en un nationalisme chauvin, étroit et aveugle.C’est pourquoi ils sont en même temps des Nord-Africains sincères attachés, avec passion et clairvoyance, à la solidarité naturelle et nécessaire des trois pays du Maghreb.L’Afrique du Nord est un TOUT par : La géographie, l’histoire, la langue, la civilisation, le devenir.Cette solidarité doit donc se traduire naturellement dans la création d’une Fédération des trois Etats nord-africains.Les trois peuples frères ont intérêt pour le commencement à organiser une défense commune, une orientation et une action diplomatique communes, la liberté des échanges, un plan commun et rational d’équipement et d’industrialisation, une politique monétaire, l’enseignement et l’échange concerté des cadres techniques, les échanges culturels, l’exploitation en commun de nos sous-sols et de nos régions sahariennes respectives.Les tâches nouvelles du FLN pour préparer l’insurrection générale.L’éventualité de l’ouverture des négociations pour la Paix ne doit en aucun cas donner naissance à une griserie du succès, entraînant inévitablement un dangereux relâchement de la vigilance et la démobilisation des énergies qui pourrait ébranler la cohésion politique du peuple.Au contraire, le stade actuel de la révolution algérienne exige la poursuite acharnée de la lutte armée, la consolidation des positions, le développement des forces militaires et politiques de la Résistance.L’ouverture des négociations et leur conduite à bonne fin sont conditionnées d’abord par le rapport des forces en présence.C’est pourquoi, sans désemparer, il faut travailler avec ensemble et précision pour transformer l’Algérie en un camp retranché, inexpugnable. Telle est la tâche que doivent remplir avec honneur et sans délai le FLN et son Armée de Libération Nationale.Dans ce but, reste valable plus que jamais le mot d’ordre fondamental :Tout pour le Front de la Lutte Armée.Tout pour obtenir une victoire décisive.L’indépendance de l’Algérie n’est plus la revendication politique, le rêve qui a longtemps bercé le peuple algérien courbé sous le joug de la domination française.

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C’est aujourd’hui un but immédiat qui se rapproche à une allure vertigineuse pour devenir, très bientôt, une lumineuse réalité.Le FLN marche à pas de géants pour dominer la situation sur le plan militaire, politique et diplomatique.Objets nouveaux : préparer dès maintenant, d’une façon systématique, l’insurrection générale, inséparable de la libération nationale.a) Affaiblir l’armature militaire, policière, administrative et politique du colonialisme ;b) Porter une grande attention, et d’une manière ininterrompue, aux cotés techniques de la question, notamment l’acheminement du maximum de moyens matériels ;c) Consolider et élever la synchronisation de l’action politico-militaire.Faire face aux inévitables manœuvres de division, de divergence ou d’isolement lancé par l’ennemi, par une contre-offensive intelligente et vigoureuse basée sur l’amélioration et le renforcement de la Révolution populaire libératrice.a) Cimenter l’union nationale anti-impérialiste ;b) S’appuyer d’une façon plus particulière sur les couches sociales les plus nombreuses, les plus pauvres, les plus révolutionnaires, fellahs, ouvriers agricoles ;c) Convaincre avec patiente et persévérance les éléments retardataires, encourager les hésitants, les faibles, les modérés, éclairer les inconscients ;d) Isoler les ultra-colonialistes en recherchant l’alliance des éléments libéraux, d’origine européenne ou juive, même si leur action est encore timide ou neutraliste.Sur le plan extérieur, rechercher le maximum de soutien matériel, moral et psychologique.a) Augmenter le soutien de l’opinion publique ;b) Développer l’aide diplomatique en gagnant à la cause algérienne les gouvernements des pays neutralisés par la France ou insuffisamment informés sur le caractère national de la guerre d’Algé-rie.

b. Une guerre civile algérienne

Plate-forme de la SoummamI) LA SITUATION POLITIQUE ACTUELLEA) L’ESSOR IMPETUEUX DE LA REVOLUTION ALGERIENNE (…) c. La faillite des anciennes formations politiques.La Révolution Algérienne a accéléré la maturité politique du peuple algérien. Elle lui a montré, à la lumière de l’expérience décisive du combat libérateur, l’impuissance du réformisme et la stérilité du charlatanisme contre-révolutionnaire.La faillite des vieux partis a éclaté au grand jour.Les groupements divers ont été disloqués. Les militants de base ont rejoint le FLN. L’UDMA dissoute et les Oulama se sont alignés courageusement sur les positions du FLN ; l’UGEMA groupant tous les universitaires et lycéens, a proclamé par la voix de son congrès unanime le même sentiment.Le Comité central du M.T.L.D. a complètement disparu en tant que regroupement ex-dirigeants et en tant que tendance politique.

Le Messalisme en déroute L e M.N.A., en dépit de la démagogie et de la surenchère, n’a pas réussi à surmonter la crise mortelle du M.T.L.D. Il conservait une assise organique seulement en France du fait de la présence de Messali en exil, de l’ignorance totale des émigrés de la réalité algérienne.

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C’est de là que partaient les mots d’ordre, les fonds et les hommes en vue de la création en Algérie de groupes armés ou de maquis dissidents, destinés non à la participation à la lutte contre l’ennemi exécré des opérations de provocation et à saboter par le défaitisme, le désordre et l’assassinat, la Révolution Algérienne et ses dirigeants militaires et politiques.L’activité sporadique et brève du M.N.A. s’était manifestée publiquement, dans les rares villes telles Alger, comme une secte contre-révolutionnaire dans des opérations de division (campagne antimozabite), de gangstérisme(racket de commerçants), de confusion et de mensonges (Messali, soi-disant créateur et chef de l’Armée de Libération Nationale).Le messalisme a perdu sa valeur de courant politique. Il est devenu de plus en plus un état d’âme qui s’étoile chaque jour.Il est particulièrement significatif que les derniers admirateurs et défenseurs de Messali soient précisément les journalistes et intellectuels proches de la présidence du gouvernement français. Ils prétendent dénoncer l’ingratitude du peuple algérien qui ne reconnaîtrait plus «les mérites exceptionnels de Messali, le créateur, il y a trente ans, du nationalisme algérien ».LA PSYCHOLOGIE DE Messali s’apparente à la conviction insensée du coq de la fable qui ne se contente pas de constater l’aurore, mais proclame « qu’il fait lever le soleil ». Le nationalisme Algérien dont Messali revendique effrontément l’initiative est un phénomène de caractère universel, résultat d’une évolution naturelle suivie par tous les peuples sortant de leur léthargie.Le soleil se lève sans que le coq soit pour quelque chose, comme la Révolution Algérienne triomphe sans que Messali y ait aucun mérite.Cette apologie du messalisme dans la presse française était un indice sérieux de la préparation psychologique d’un climat artificiel favorable à une manœuvre de grande envergure contre la Révolution Algérienne.C’est la division, arme classique du colonialisme.Le gouvernement français a tenté en vain d’opposer au FLN des groupements modérés, voire même le groupe des «61». Ne pouvant plus compter sur les Sayah ou Farès, le béni-oui-ouisme étant discrédité d’une façon définitive et sans retour, le colonialisme français espérait utiliser le chef du MNA dans son ultime manœuvre diabolique pour tenter de voler au peuple algérien sa victoire.Dans cette perspective, Messali représente, en raison de son orgueil et de son manque de scrupules, l’instrument parfait pour la politique impérialiste.Ce n’est dons pas par hasard que Jacques Soustelle pouvait affirmer en novembre 1956 au professeur Massignon : « Messali est ma dernière carte ».Le ministre résidant Lacoste ne se gêne pas pour confier à la presse colonialiste algérienne sa satisfaction de voir le MNA s’efforcer uniquement d’affaiblir le FLN.L’hebdomadaire socialiste «Demain», dévoilant les divergences tactiques divisant les gouvernants français, pouvait écrire que certains ministres étaient disposés, pour empêcher le renforcement du FLN à accorder à Messali sa liberté totale, «le seul problème étant de protéger la vie du leader algérien».Quand on se rappelle que Messali s’est livré à une violente attaque contre les pays arabes, ce qui ne peut que réjouir les Soustelle, Lacoste et Borgeaud, son déplacement d’Angoulême à Belle-Isle justifie la thèse du journal «Demain».Lorsque la vie de Messali est si précieuse pour le colonialisme français, faut-il s’étonner de le voir glisser vers la trahison consciente. Le Communisme AbsentLe P.C.A., malgré son passage dans l’illégalité et la publicité tapageuse dont la presse colonialiste l’a gratifié pour justifier la collusion imaginaire avec la Résistance Algérienne, n’a pas réussi à

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jouer un rôle qui mériterait d’être signalé.La direction communiste, bureaucratique, sans aucun contact avec le peuple, n’a pas été capable d’analyser correctement la situation révolutionnaire. C’est pourquoi elle a condamné le «terrorisme» et ordonné dès les premiers mois de l’insurrection aux militants des Aurès, venus à Alger chercher des directives, DE NE PAS PRENDRE LES ARMES.La sujétion au P.C.F. a pris le caractère d’un Béni-oui-ouisme avec le silence qui a suivi le vote des pouvoirs spéciaux.Non seulement les communistes algériens n’ont pas eu suffisamment de courage pour dénoncer cette attitude opportuniste du groupe parlementaire, mais ils n’ont pas soufflé mot sur l’abandon de l’action concrète contre la guerre d’Algérie : manifestations contre les renforts de troupes, grèves de transports, de la marine marchande, des ports et des docks, contre le matériel de guerre.Le P.C.A. a disparu en tant qu’organisation sérieuse à cause surtout de la prépondérance en son sein d’éléments européens dont l’ébranlement des convictions nationales algériennes artificielles a fait éclater les contradictions face à la résistance armée.Cette absence d’homogénéité et la politique incohérente qui en résulte ont pour origine fondamentale la confusion et la croyance en l’impossibilité de la libération nationale de l’Algérie avant le triomphe de la révolution prolétarienne en France.Cette idéologie qui tourne le dos à la réalité est une réminiscence des conceptions de la S.F.I.O., favorable à la politique d’assimilation passive et opportuniste.Niant le caractère révolutionnaire de la paysannerie et des fellahs algériens en particulier, elle prétend défendre la classe ouvrière algérienne contre le danger problématique de tomber sous la domination directe de la «bourgeoisie arabe», comme si l’indépendance nationale de l’Algérie devait suivre forcément le chemin des Révolutions manquées, voire même de faire marche arrière vers un quelconque féodalisme.La C.G.T., subissant l’influence communiste, se trouve dans une situation analogue et tourne à vide sans pouvoir énoncer et appliquer le moindre mot d’ordre d’action.La passivité générale du mouvement ouvrier organisé, aggravée dans une certaine mesure par l’attitude néfaste des syndicats F.O. et C.F.T.C., n’est pas la conséquence du manque de combativité des travailleurs des bras croisés, les directives de Paris.Les dockers d’Alger en ont donné la preuve en participant à la grève politique anniversaire du 1 er

novembre 1956.Nombreux furent les travailleurs qui ont compris que cette journée d’action patriotique aurait revêtu un caractère d’unanimité nationale, plus démonstrative, plus dynamique, plus féconde, si les organisations ouvrières avaient été entraînées intelligemment dans la lutte générale par une véritable centrale syndicale nationale. Cette appréciation juste se trouve entièrement confirmée dans les succès complets de la grève générale patriotique du 5 juillet 1956.Voila pourquoi les travailleurs algériens ont salué la naissance de l’U.G.T.A., dont le développement continu est irrésistible, comme l’expression de leur désir impatient de prendre une part plus active à la destruction du colonialisme, responsable du régime de misère, de chômage, d’émigration et d’indignité humaine.Cette extension du sentiment national, en même temps que son passage à niveau qualificatif plus élevé, n’a manqué de réduire, comme une peau de chagrin, la base de masse du P.C.A., déjà rétrécie par la perte des éléments européens hésitants et instables.On assiste cependant à certaines initiatives émanant à titre individuel de certains communistes s’efforçant de s’infiltrer dans les rangs du F.L.N. et de l’A.L.N. Il est possible qu’il s’agisse là de sursauts individuels pour retourner à une saine conception de la libération nationale.Il est certain que le P.C.A. essaiera dans l’avenir d’exploiter ces « placements » dans le but de cacher son isolement total et son absence dans le combat historique de la Révolution Algérienne.

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Le drame des villages de Beni Ilmane et de MelouzaDéposition du capitaine Si Arab, Armée de libération nationale, wilaya IIIJ’avais été à plusieurs reprises informé par différents chefs régionaux que la situation ne cessait de se détériorer au douar Beni Ilmane. J’ai écrit au chef Si Nasser pour l’en informer et lui demander son avis.Quelques jours après, j’ai reçu l’ordre d’exterminer « cette vermine ». En exécution de l’ordre reçu, je me suis rendu moi-même en région où se trouve le douar réfractaire messaliste de Beni Ilmane. Les sections ont été rassemblées et ont reçu l’ordre d’encercler les villages dudit douar, de mesurer les réactions de la population et, en cas de riposte par coups de feu de la part de celle-ci, d’abattre les habitants.Il est à noter que ce douar a toujours été messaliste, a des mœurs relâchées et ne veut pas se soumettre à l’autorité du FLN, et que plusieurs djounoud ont tués par les civils.

Déposition de l’adjudant Hocine, soldat de l’ALNL’attaque débuta à 8 heures et dura environ une heure. A 9 heures, nous avons commencé à rassembler les civils.Nous avons commencé à les abattre, d’abord au couteau. Les sections avaient réuni plus de quatre-vingts personnes. À 9 h 30, nous avons fini avec les Béni-Ilmanais. Ma section avait capturé trois messalistes, parmi lesquels un militaire et un civil étaient armés d’un fusil à broche. Le civil a été relâché. Les deux militaires furent interrogés, l’un fut relâché, étant fils d’un membre du FLN tué par les messalistes ; l’autre fut abattu. Le civil et le militaire relâchés ont été rendus à l’ennemi.Le lendemain, Melouza fut bombardé. Deux jours après, c’était le massacre.

La justification de Mohammed Saïd, officier de l’ALN-FLN, responsable de la Wilaya IIIMelouza, 28 mai 1957Il fallait le faire, il fallait en finir. C’étaient des traîtres. Ils voulaient laisser l’Algérie à la France pendant qu’une autre partie de l’Algérie se battait pour leur liberté, leur indépendance, leur dignité. C’était un devoir sacré à tout Algérien que de faire la guerre aux traîtres. L’ennemi numéro 1 était le traître, le soldat français venait après.

La réaction de Mouloud Feraoun 31 mai 1957 La radio annonce que les rebelles ont massacré tous les hommes d’un village de Melouza, qui voulait demander la protection de la troupe. Dans les milieux autorisés, « ce massacre sans nom » a provoqué une grande émotion. Il y a de quoi s’émouvoir en vérité, mais la nouvelle était sue hier et les journaux d’aujourd’hui ne lui accordent qu’une petite place parmi tous les autres communiqués : hier, on croyait que c’était un règlement de comptes entre bandes rivales, alors on a haussé les épaules en se frottant les mains. Aujourd’hui qu’on a une autre interprétation, on crie à la sauvagerie. Pourtant, hier comme aujourd’hui, il s’agit des mêmes morts.

3 juin 1957 Les massacres de Melouza, hélas! Tous les journaux en parlent et d’horribles photos s’étalent aux premières pages, et l’opinion mondiale alertée commence à manifester sa colère et sa désapprobation. Une honte ! Une honte, un acte imbécile par quoi tout un peuple se condamne et

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découvre avec impudence sa barbarie. Désormais, au nom de quoi pourront parler ceux qui en ont assuré la responsabilité ? Qui pourra les croire ? Qui, au contraire, hésitera à croire d’autres crimes, tous les crimes qu’on n’a pas manqué, qu’on ne manquera pas, de leur imputer ? Peut-être y aurait-il une explication psychologique ou politique, en tout cas cela n’aurait rien à voir avec l’humaine nature ou l’humain comportement. En tout cas, le sang des victimes n’a besoin d’aucune explication et aucune excuse ne séchera les larmes des enfants ni ne fera disparaître des yeux hagards des femmes l’indicible épouvante qu’une nuit infernale y a imprimée pour toujours.Journal de Mouloud Feraoun

c. La guerre des nationalistes en France

Plate-forme de la Soummam

III) MOYENS D’ACTION ET DE PROPAGANDE4°) L a recherche des alliances.C) L’Action du FLN en France1°) Développer l’appui de l’opinion libéraleL’analyse de l’éventail politique chez les libéraux en Algérie peut être valable pour saisir les nuances de l’opinion publique en France, sujette à des fluctuations rapides en raison de la sensibilité populaire.Il est certain que le FLN attache une certaine importance à l’aide que peut apporter à la justice cause de la Résistance Algérienne la partie éclairée du peuple français, insuffisamment informé des horreurs indicibles perpétrées en son nom.Nous apprécions la contribution des représentants du mouvement libéral français tendant à faire triompher la solution politique, pour éviter une effusion de sang inutile.La Fédération FLN en France, dont la direction est aujourd’hui renforcée à Paris, a une tâche politique de premier plan pour annuler l’effet négatif de la pression réactionnaire et colonialiste.1°) Contacts politiques avec les organisations, mouvements et comités contre la guerre coloniale.

- Presse, meetings, manifestations et grèves contre le départ des soldats, la manutention et le transport du matériel de guerre.

2°) Soutien financier par la solidarité aux résistants et aux combattants pour la liberté. 2°) Organiser l’émigration algérienneLa population algérienne émigrée en France est un capital précieux en raison de son importance numérique, de son caractère jeune et combatif, de son potentiel politique.La tâche du FLN est d’autant plus importante pour mobiliser la totalité de ces forces qu’elle nécessite, en même temps, la lutte à outrance contre les tentatives de survivance du messalisme.1°) Eclairer l’opinion publique française et étrangère en donnant informations, articles de journaux et revues. Grouper à cet effet les militants expérimentés, les intellectuels et les étudiants.2°) Dénoncer d’une façon infatigable et patiente la faillite du messalisme comme courant politique, sa compromission avec les milieux proches du gouvernement français ce qui explique l’orientation dirigée non contre le colonialisme, mais contre le FLN et l’ALN.

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Une vie de militantOn posait les voies de la gare de l'Est jusqu'à Bondy. J'avais pour habitude de faire la lecture à mes collègues illettrés tard dans la soirée dans les trains. On écoutait aussi l'émission radiophonique tunisienne La voix des Arabes et on pleurait. Je cotisais comme tout le monde et je donnais 30 francs. Comme j’étais lettré, le FLN me proposa de devenir chef de file, El Messoul. J'obéissais aux ordres de trois chefs kabyles. J'avais douze personnes sous ma responsabilité. Ils ignoraient les noms des chefs et des militants des autres groupes pour éviter de dénoncer tout le réseau en cas d' « interrogatoire forcé » de la police. Je leur lisais les directives, les nouvelles, les journaux et les ouvrages du FLN que l'on cachait dans des sacs à provisions. Je me rappelle leur avoir lu le premier numéro du El Moudjahid en 1955. Nous étions organisés ; nous communiquions grâce à des messages que nous introduisions dans des cigarettes… Nous distribuions aussi des tracts dans les cafés, les gens n'osaient pas broncher, ils les acceptaient en silence.On subissait constamment des contrôles et des fouilles. C'était étouffant et humiliant. Une fois, gare Saint-Lazare, je portais encore mon bleu de travail, deux policiers m'arrêtèrent brusquement : « Les mains sur la tête ! Montre tes papiers, bougnoule ! » Ils se trouvaient dans la poche arrière de mon pantalon, à l'intérieur de mon bleu. Il fallait bien que je baisse les mains, alors ils pointèrent leur mitraillette sur ma tempe. Une femme française avait assisté à la scène, elle criait : « Mais vous n'avez pas honte ! C'est scandaleux ! » Un soir, la police procéda à une rafle à la gare de Bondy. Mon patron, M. Largeot, un communiste, qui me prêtait régulièrement des journaux, courut pour m'indiquer une sortie spéciale. « Vous avez raison de demander votre indépendance ! » me confia-t-il. Une autre fois, alors que je me promenais dans Paris, il y eut un grave accident de voiture. Un « panier à salade » s'arrêta brutalement. Tous les policiers se sont jetés sur moi au lieu de faire l'état des lieux et de s'occuper des accidentés. Heureusement que j'avais sur moi un bulletin de paie et 150 francs. Ils me demandèrent si c'était l'argent de la cotisation, je répondis que non. Ils me le volèrent. J'étais contrarié, 150 francs c'était une somme énorme.

La violence de la répressionRapport d’un militant algérien auprès du FLN en France.La répression a été intense sur l'ensemble de la Zone ces dernières semaines. Le XVe et le Ve en particulier ont été les plus touchés par les fouilles et les perquisitions multipliées jour et nuit. Cette répression est dirigée souvent par les harkis qui sont constamment dans les quartiers des deux régions citées. (…) Plusieurs frères ont été arrêtés et frappés sauvagement. Quelques-uns ont été l'objet de graves brutalités qui les ont contraint à arrêter le travail étant bien malmenés et même blessés. Des plaintes ont été faites auprès de la fameuse commission de sauvegarde de M. Patin avec des certificats médicaux à l'appui. Mais ces plaintes comme des centaines d'autres déjà faites, n'ont eu aucune suite car voilà plus d'un an déjà que les harkis séquestrent, torturent et assassinent en toute tranquillité dans les caves parisiennes sous les yeux de M. Patin et de la commission de sauvegarde. [...] Dans tous les cafés et hôtels du XVe, V et XIV des frères ont été frappés, des portes des chambres cassées, sans parler des vols d'argent et d'autres objets ayant de la valeur faisant ainsi le travail de gangstérisme. Le vendredi 21, le samedi 22 et le dimanche 23 juillet, la répression s'est abattue intensivement sur toute la Zone par les harkis encadrés des policiers français, de 8 heures du matin à minuit, visant ainsi les jours de la perception. Quant aux autres jours, des rondes sont effectuées du matin au soir, suivies de fouilles et vérification d'identité. [...] Une réaction unanime est constatée chez tous les militants, c'est celle de reprendre les actions contre la police, principalement les harkis du moins en se défendant légitimement. Oui, nous savons que l'ordre donné par notre gouvernement d'arrêter les opérations offensives en France a une signification politique vis-à-vis de l'opinion française et internationale. Notre gouvernement en ordonnant l'arrêt de ces opérations a voulu

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déjouer les manœuvres du gouvernement français et démentir par les faits la propagande que ne cesse de faire la presse française, selon laquelle la Fédération de France est extrémiste et échappe au contrôle du gouvernement algérien. (...) Cependant, l'arrêt des opérations offensives en France ordonné par notre gouvernement est interprété par le gouvernement français, en particulier Papon et ses harkis, comme faiblesse de notre organisation. C'est pourquoi la répression est redoublée ces dernières semaines afin de nous provoquer et voir notre réaction. Nous devons dire à l'organisation que l'arrêt des opérations offensives ordonné par notre gouvernement n'a pas satisfait nos militants et que leur réaction est unanime pour reprendre les actions afin de démontrer à Papon et ses valets quennotre organisation n'est pas faible et ne s'affaiblira jamais quelle que soit la force de sa police. Du moins nous demandons à l'organisation de dénoncer par un communiqué à la presse l'activité des harkis et le geste d'apaisement dont le gouvernement français fait la publicité. Nous attendons avec courage et le maximum de sang-froid la réponse l'organisation, soit pour la reprise, même provisoire, des actions contre les harkis ou nous expliquer d'une manière détaillée par voie de tracts la raison pour laquelle nous avons suspendu ces actions et que nous ne pouvons reprendre. C'est l'avis de tous les militants et responsables de la 121.

Mohamed Ghafir dit « Moh Clichy », responsable du FLN en FranceLe 26 novembre 1961Monsieur le Ministre de l’intérieur, Le 12 octobre 1959, j’ai subi une grande intervention chirurgicale à l’hôpital de Fresnes où on m’a extrait plusieurs kystes hydatiques sur le côté droit du ventre. Le 5 février 1960, j’ai subi une deuxième opération à Châlons-sur-Marne en m’enlevant deux hernies. Récemment encore, le 4 novembre dernier, j’étais opéré à l’hôpital de Rodez pour une éventration. Pour renforcer le muscle qui soutient mon estomac, il a fallu me mettre une plaque de nylon à l’intérieur, entre le muscle et la peau. Après ces trois grandes opérations et trois années de prison, mon état de santé est très compromis. Aussi depuis mon transfert au camp du Larzac au début du mois de septembre, mon état physique est détérioré par le climat qui ne me convient pas et auquel je ne parviens pas à m’habituer. Sur le conseil du service social du camp et sur l’avis du médecin, je me permets de demander à votre haute autorité en vue de me renvoyer dans un centre de rééducation, une maison de repos ou de me changer de camp.Je suis toujours à l’hôpital de Rodez où je poursuis ma convalescence, dans quelques jours on me ramènera au camp où le froid et le mauvais temps commencent à sévir.Dans l’espoir que vous voudriez bien examiner favorablement ma demande, je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’assurance de ma haute considération. Mohamed Ghazy

II. Une guerre française qui ne dit pas son nom

a. Les rappelés

Décret du 24 août 1955 portant rappel des disponibles des classes 1952/4 et 1953/1, Journal officiel, 25 août 1955, p. 8514.

Le président du conseil des ministres,Sur le rapport du ministre de la défense nationale et des forces armées,

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Vu la loi du 31 mars 1928 relative au recrutement de l'armée;Vu le décret-loi du 20 mars 1939 modifiant la loi du 31 mars 1928 en ce qui concerne le rappel des réservistes;Le conseil des ministres entendu,Décrète :Art. 1er. Les hommes de la disponibilité appartenant à la quatrième fraction de mobilisation 1952 et à la première fraction de la classe de mobilisation 1953 seront rappelés sous les drapeaux dans les conditions fixées par le ministre de la défense nationale et des forces armées.Art. 2. Le ministre de la défense nationale et des forces armées est chargé de l'exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.Fait à Paris, le 24 août 1955.Par le président du conseil des ministres : Edgar Faure.Le ministre de la défense nationale et des forces armées : Pierre Koenig.

Décret du 28 août 1955 tendant au maintien sous les drapeaux des hommes du premier contingent 1954, Journal officiel, 30 août 1955, p. 8641.

Le président du conseil des ministres,Sur le rapport du ministre de la défense nationale et des forces armées,Vu la loi du 31 mars 1928 relative au recrutement de l'armée;Vu le décret du 20 mars 1939 tendant au maintien sous les drapeaux d'hommes libérables et modifiant la loi du 31 mars 1928 en ce qui concerne le rappel des réservistes;Vu le décret n°54-206 du 27 février 1954 fixant la composition, les dates d'appel et les obligations d'activité du premier contingent 1954;Le conseil des ministres entendu,Décrète :Art. 1er. Les militaires du premier contingent 1954 dont la composition a été fixée par le décret n°54-206 du 27 février 1954, seront maintenus sous les drapeaux à l'expiration de leur service actif dans les conditions fixées par le ministre de la défense nationale et des forces armées.Art. 2. Dans les mêmes conditions, les militaires de la deuxième fraction de la classe de mobilisation 1953 qui ont été placés par anticipation dans la disponibilités seront rappelés sous les drapeaux.Art. 3. Le ministre de la défense nationale et des forces armées est chargé de l'exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.Fait à Paris, le 28 août 1955.Par le président du conseil des ministres : Edgar Faure.Le ministre de la défense nationale et des forces armées : Pierre Koenig.

Tract « Silence pour la paix. Ce que signifie la présence des rappelés à l'Eglise Saint Séverin », distribué le 29 septembre 1955 à Paris.Nous sommes des soldats de tous contingents - appelés, maintenus, rappelés - qui devons partir incessamment pour l'Afrique du Nord.

Croyants et incroyants, chrétiens et communistes, juifs et protestants, nous voulons nous recueillir pour la paix et la fraternité en Afrique du Nord. Tous, de conditions, de professions et d'opinions diverses, nous sommes ici pour témoigner solennellement au nom de tous nos camarades de notre angoisse et de notre honte à servir, par la violence, une cause qui n'est pas celle de l'ensemble des Français. Notre conscience nous dit que cette guerre que nous avons à porter contre nos frères

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musulmans, et dont beaucoup sont morts pour défendre notre pays, est une guerre contraire à tous les principes chrétiens, à tous les principes de la Constitution française, au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, à toutes les valeurs dont notre pays s'enorgueillit justement. C'est parce que cette guerre est contraire à tous les enseignements que nous avons pu tirer pendant notre jeunesse, qui s'est déroulée sous une occupation étrangère, que nous avons appris le dégoût d'une armée installée chez un peuple étranger.Nos leçons de courage et de dignité, nous les avons reçues de nos frères aînés qui ont fait la résistance. Ils nous ont donné précocement le goût des causes justes et la volonté de les défendre sans faiblesse.Nous serions prêts, demain, à prendre les armes contre toute armée qui viendrait jouer ici le rôle que l'on veut nous faire jouer aujourd'hui en Afrique du Nord. Nous ne sommes pas des objecteurs de conscience, mais si nos bras tremblent en tirant sur nos frères musulmans, il faut que tous les Français le sachent, c'est parce que notre conscience se soulève.Nous n'appelons pas les soldats au refus de désobéissance (sic) individuelle aux ordres du gouvernement, mais le peuple français doit savoir que si nous obéissons, ce sera la mort dans l'âme. A lui de comprendre où est son devoir à l'égard de ses propres enfants et d'agir pour que cesse cette guerre qui le déshonore.Que ceux, parmi les Français, qui sont prêts à nous taxer de défaitisme ou de lâcheté, aillent dans les casernes interroger librement et honnêtement les soldats sur la conscience qu'ils peuvent avoir de leur devoir à défendre la France, ils sauront que nous ne sommes ni des lâches, ni des défaitistes, et qu'il y a parmi nous une immense soif de vraie justice et de justice pour tous les hommes, qui nous a créé un devoir impérieux de savoir ce que nous défendons et qui nous défendons, sans contradiction et sans remords.

Eglise Saint SéverinJeudi 29 septembre 1955.

Décret n°56-373 du 12 avril 1956 tendant au maintien sous les drapeaux des hommes du premier contingent 1955 et des militaires qui auront satisfait à leurs obligations légales d'activité entre le 31 juillet 1956 et le 30 janvier 1957, Journal officiel, 13 avril 1956, p. 3574.

Le président du conseil des ministres,Sur le rapport du ministre de la défense nationale et des forces armées,Vu la loi du 31 mars 1928 relative au recrutement de l'armée et notamment son article 40 ;Vu le décret -loi du 20 mars 1939 ;Vu le décret n°55-10 du 5 janvier 1955 fixant la composition, les dates d'appel et les obligations d'activité du premier contingent 1955 ;Le conseil des ministres entendu,Décrète :Art. 1er. Les militaires du premier contingent 1955 dont la composition, les dates d'appel et les obligations d'activité ont été fixées par le décret n°55-10 du 5 janvier 1955, et ceux dont les obligations d'activité se terminent entre le 31 juillet 1956 et le 30 janvier 1957, ces dates incluses, sont maintenus sous les drapeaux à l'expiration de leur service actif, dans les conditions fixées par le ministre de la défense nationale et des forces armées.Art. 2. Le ministre de la défense nationale et des forces armées est chargé de l'exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.Fait à Paris, le 12 avril 1956.Par le président du conseil des ministres : Guy Mollet.Le ministre de la défense nationale et des forces armées : Maurice Bourgès-Maunoury.

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Décret n°56-374 du 12 avril 1956 portant rappel de disponibles et de certains officiers de réserve, Journal officiel, 13 avril 1956, p. 3574.

Le président du conseil des ministres,Sur le rapport du ministre de la défense nationale et des forces armées,Vu la loi du 31 mars 1928 relative au recrutement de l'armée, et notamment son article 40 ;Vu le décret du 20 mars 1939 modifiant la loi du 31 mars 1928 en ce qui concerne le rappel des réservistes;Vu le décret du 24 août 1955 portant rappel des classes 1952/4 et 1953/1 ;Vu le décret du 28 août 1955 portant maintien sous les drapeaux du contingent 1954/1 ;Vu le décret n°55-1497 du 21 novembre 1955 portant maintien sous les drapeaux du contingent 1954/2 ;Vu le décret n°56-373 du 12 avril 1956 portant maintien sous les drapeaux du contingent 1955/1 ;Le conseil des ministres entendu,Décrète :Art. 1er. Les hommes de la disponibilité appartenant à la troisième fraction de la classe de mobilisation 1951 et aux première, deuxième et troisième fractions de la classe de mobilisation 1952 peuvent être rappelés sous les drapeaux dans les conditions fixées par le ministre de la défense nationale et des forces armées.Art. 2. Dans les mêmes conditions, peuvent être rappelés :a) Les disponibles appartenant à la quatrième fraction de la classe de mobilisation 1952 et à la première fraction de la classe de mobilisation 1953, qui n'auraient pas fait l'objet d'une mesure de rappel individuel au titre du décret du 24 août 1955 ;b) Les disponibles appartenant à la deuxième fraction de la classe de mobilisation 1953, qui n'auraient pas fait l'objet d'une mesure de rappel individuel au titre du décret du 28 août 1955 ;c) Les disponibles appartenant à la classe de mobilisation 1953 et aux première et deuxième fractions de la classe de mobilisation 1954, qui n'ont pas été maintenus sous les drapeaux par les décrets portant maintien des contingents 1954/2 et 1955/1.Art. 3. Dans les mêmes conditions, peuvent être rappelés les officiers et sous-officiers de réserve nécessaires à l'encadrement, à quelque classe qu'ils appartiennent.Art. 4. Les opérations de rappel seront échelonnées dans le temps, en fonction des besoins.Art. 5. Le ministre de la défense nationale et des forces armées est chargé de l'exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.Fait à Paris, le 12 avril 1956.Par le président du conseil des ministres : Guy Mollet.Le ministre de la défense nationale et des forces armées : Maurice Bourgès-Maunoury.

b. Dans les paras

L'engagement de Gilles PerraultEn 1955, je choisis les paras à cause des paras de 1944. En 1944, j’ai 13 ans, c’est la libération de la France et pour moi, les dieux vivants ce sont les paras de la France libre, les bérets rouges, qui m’apparaissent comme les Français qui se sont battus, qui ont tenu le coup, qui ont sauté sur la France (…). Le garçon de 13 ans que j’étais s’est dit : « Un jour je serais parachutiste. » Et puis une guerre de raccroc arrive, bien sûr ce n’est pas une guerre mondiale mais je me dis que c’est l’occasion à saisir, que ça ne se représentera pas.Et je m’engage.

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Quand on arrivait chez les paras, les officiers nous disaient : « Vous n’êtes pas fait pour être des paras. » Nous on avait 18 ou 19 ans moi j’étais le plus vieux, j’avais 24 ans. Et quand des types pas beaucoup plus vieux que nous mais qui avaient un passé nous traitaient comme cela, on se disait : Mon bonhomme je vais te montrer. Tes histoires de para ça m’intéresse pas, surhomme ou pas surhomme, j’en ai rien à foutre, mais je vais te montrer que ce que tu sais faire je suis capable de le faire. » Et c’est comme cela qu’on marchait, tous. Dans mon équipe j’avais un souteneur, un maquereau de Toulouse et un Strasbourgeois qui ne croyaient ni l’un ni l’autre au mythe para. Mais à partir du moment où on les a traité de larves on s’est dit on va leur montrer et on est devenu d’excellent paras. Comme on disait à l’époque on s’était fait « niquer ». la mécanique était parfaitement huilée. Les officiers paras étaient des types qui croyaient à la bande. Ce qu’ils nous disaient ce que tout est pourriture partout mais qu’on était une bande et qu’on devait croire en nous-même, en la solidarité. Ce que j’ai appris chez les paras, c’est qu’en prenant le meilleur chez des jeunes, ce qu’il y a de plus généreux, on leur fait faire le pire.

c. Les disparus

Avant la disparitionLettre de Michel Clabaux à ses parents un mois avant son enlèvement.Les Abdellys, le 21 septembre 1956Chers parents, frères, sœurs, Je prends la plume pour vous donner un pu de mes nouvelles qui j’espère vous trouverons en bonne santé, tant qu’à moins ça va toujours bien. J’ai reçu un colis intact, tout est bon. Je vous demanderai dans les jours suivants de bien vouloir m’envoyer deux paires de chaussettes, car celle de l’armée pas moyen de les changer et je n’en trouve pas à en acheter ; sinon des fines elles m’intéressent pas, pour mettre avec des gros souliers, c’est surtout pour aller en opérations. Mais attention à la longueur des pieds. Ce soir, encore, je viens de rentrer, depuis deux jours j’étais dehors, l’on passe les trois-quarts du temps à marcher au travers la nature, sans trouver grande amélioration ; espérons que ce sera pour bientôt car j’en ai marre de ce métier. Tu me demandes pourquoi j’aurai besoin d’argent, mais c’est pour faire le voyage car si je peux avoir le bateau le jour voulu, plutôt que d’attendre à Oran plusieurs jours, je pourrai prendre l’avion, mais pour aller Oran, Orly, il faut 24 000 francs, cela me paraît d’ailleurs beaucoup. J’ai changé mon bracelet de montre, vu qu’il s’est trouvé allongé au cours d’une opération, j’ai été heureux de ne pas être obligé de l’abandonner sur place, enfin…)J’ai eu aussi le malheur de perdre la petite Sainte que tu m’as confiée durant mon séjour en Algérie, je me demande ce qu’il y a en ce moment, la chance n’est pas pour moi, j’aurais préféré perdre ma montre que la petite Sainte qui ne m’appartient pas. C’est dur pour moi d ene pas chicaner avec les Musulmans, car endurer leurs imbécillité il faut avoir de la patience. Je termine pour ce soir ne vous embrassant bien fort de loin en espérant bientôt de plus prèsAu revoirVotre fils et frère qui ne cesse de penser à vousMichelEncore 207 jours

L’ALN s’adresse aux famillesNous avons l’honneur de vous informer que le soldatCLABAUX Michel Mle. 684, entré en service le 17-10-55

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se trouve actuellement dans un de nos camps de PGConnaissant pour l’avoir éprouvé pendant plus d’un siècle la mauvaise foi de nos adversaires, qui, pour dresser l’opinion métropolitaine contre le nationalisme algérien, n’hésitent pas à recourir aux pires méthodes de propagande en usage dans les pays totalitaires et colonialistes, nous avons tenu en vue de donner tout apaisement aux parents privés de nouvelles à faciliter toute correspondance entre ces derniers et les militaires tombés vivants entre nos mains. Nonobstant le sort inhumain réservé à nos soldats, auquel le gouvernement refuse de reconnaître le statut légal de combattant, et qui sont traités comme des prisonniers de droit commun, nous pouvons vous assurer que nous ne sommes animés d’aucun sentiment de vengeance, pourtant légitime de la part d’hommes sur lesquels s’est acharné pendant longtemps un sort injuste ; l’esprit de revanchard et haineux dont aime à nous parer la propagande du ministre-résident Lacoste est le seul fait de nos adversaires. Il est pourtant de notre devoir de vous signaler, que parmi les nombreux militaires pris vivants et internés dans le camp des PG plus de 980 % sont uniquement composés de métropolitains arrachés à leurs foyers et contre lesquels nous ne nourrissons aucun ressentiment. Vous voudrez bien trouver, ci-joint, une lettre autographe de votre fils, dont une photo paraîtra dans le bulletin d’information du Front de libération nationale, intitulé La Résistance algérienne. En formulant l’espoir que le gouvernement de M. Guy Mollet, se décide enfin à dévoiler à l’opinion publique française l’ampleur du désastre de sa politique algérienne et arabe, et en souhaitant une issue prompte à nous souffrances communes, je vous prie de croire, Monsieur, à ma considération distinguée.

La dernière lettre Lettre de Michel Clabaux à ses parents, envoyée par le FLNMercredi 7 novembre 1956Chers parents, frères et sœursJe viens par la présente vous donner un peu de mes nouvelles qui sont toujours bonnes et en parfaite santé espérant qu’il en est de même pour vous tous. Je dois vous apprendre que je suis prisonnier depuis le 1er novembre, mais je vous assure que je suis très bien traité. Il ne nous manque rien, ne vous inquiétez surtout pas pour moi, et comme vous voyez je pourrai vous donner de mes nouvelles de temps en temps. Déjà avant je comprenais la pauvre vie des familles algériennes mais maintenant c’est encore d’avantage, et j’approuve que ce pays veuille sa liberté, c’est honteux de voir ces gens vivre dans une telle situation. Malgré les mauvais traitements que la France inflige aux civils, partout où nous sommes passés, l’accueil a toujours été bon ; bien nourris, bien logés. Je m’arrête là pour aujourd’hui en vous embrassant de loin.Maman, je te demanderai de bien vouloir avertir Paulette pour la rassurer, soit par lettre ou autre, de façon qu’elle en s’inquiète pas non plus.Bonjour à tousBons baisersVotre fils et frèreMichel

d. Réfractaires et déserteurs

Le choix de Noël FavrelièreLettre de Noël Favrelière à ses parents écrite de TunisChers parents

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Nous sommes saufs !Cette nuit nous avons traversé la frontière à dos de chameaux. Nous sommes maintenant chez les parents du jeune que j’ai libéré. Il a vingt ans et s’appelle Mohammed. La joie qu’ont eu les siens à le revoir alors qu’il le croyait mort m’a payé au centuple pour tout ce que l’avenir me réserve de mal. Quoiqu’il me réserve je ne regretterai pas ce que j’ai fait car je ne me suis jamais senti aussi en paix avec moi-même et aussi libre. Jaurès disait : « L’Homme libre c’est celui qui va jusqu’au bout de ses convictions. Je suis allé jusqu’au bout et je suis décidé à y rester. On y dort bien. Pa, tu sais bien que je n’ai jamais trahi mon pays mais que bien au contraire c’est maintenant que je le sers en empêchant les Algériens de haïr cette France qu’ils ont aimée. Parmi eux, je suis la preuve que tous les Français ne sont pas de colonialistes et tous les paras des SS. Si j’avais agi autrement, si j’avais laissé assassiner Mohammed je crois bien que je n’aurais jamais osé te regarder en face, le résistant qui m’a crié : « Ne deviens pas un boche ! » Je sais que tu es avec moi, j’en suis sûr mais j’aimerais que tu me le dises. Après ça quoique l’on me dise quoique l’on me fasse rien ne pourra entamer ma joie. La joie de te savoir à mon côté et celle qui procure la certitude d’avoir raison ; dans les temps à venir nous aurons raison.Je vous écrirais très prochainement et peut-être alors aurais-je une adresse à vous donner. Je vous aime et je vous embrasseNoël PS : Celle qui vous fera parvenir cette lettre est une gentille fille en qui j’ai une totale confiance.

Refuser de se battre Jean Le Meur, 26 ans, fils de paysans bretons catholiques, professeur de lettres et politiquement intellectuel défaitiste. J’ai fait l’EOR (école des officiers de réserve) de Cherchell, d’où je suis sorti sous-lieutenant (122e sur 400), le 15 juin 1958. À la fin du stage, on nous a proposé différentes garnisons où fonctionner et aussi cinquante places dans les Affaires algériennes. Le colonel Marey, commandant de l’école, a vivement encouragé ses ouailles à choisir cette exaltante mission de pacificateurs. Je pouvais choisir un centre d’instruction en France ou en Allemagne, et voir venir. Par atavisme, masochisme, candeur, idéalisme, parce que je me sentais solidaire et responsable de l’Algérie, j’ai choisi l’encadrement (chantiers, centres de formation de jeunesse) en me jurant bien d’y réserver ma liberté, de ne pas m’asservir à l’Algérie française, et avec le secret espoir, combien clairvoyant! d’échapper ainsi à l’emprise militaire. À notre retour de permission, pour un stage de « jeunes bâtisseurs » de l’Algérie nouvelle et française, on nous annonce la bonne nouvelle : d’abord bâtir, c’est entendu, mais faut quand même au préalable exercer un commandement de section pendant trois ou six mois. Après quoi, on aura encore besoin de vous ; s’il en « reste ». D’un point de vue militaire, cette exigence était plausible : on peut demander, sans abus de pouvoir, aux officiers de réserve d’avoir effectivement commandé une section. Ce qui était moins justifiable, c’était l’entourloupette de nos chefs, de Salan je crois, qui nous engluait comme des alouettes.Pour moi, ça me mettait au pied du mur. Il me fallait enfin résoudre un problème que j’avais jusque-là relégué dans les coulisses des restrictions mentales : « Pouvais-je en conscience, sans me contredire, faire la guerre aux fellaghas ? » Poser ainsi la question, c’était y répondre, et pourtant ça n’a pas été si facile. C’est qu’on hésite à affronter l’imposante machine, à sacrifier son confort, sa solde, et même la vie militaire, avec ses aventures et ses amitiés, et son expérience. J’ai quand même réussi à être logique et j’ai envoyé ma démission.

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e. Des Algériens aux côtés de l'armée française

Paroles de harkisQu’est-ce que j’ai trahi ? demande Ali. J’avais dix-sept ans lorsque l’officier français nous a réunis, tous les jeunes du village de Chiffa près de Blida et il nous a dit : « La France a besoin de vous. Aidez-nous à ramener la paix dans le pays. Engagez-vous dans la harka. Vous n’êtes pas obligé. Vous faites ce que vous voulez. Quand l’officier m’a dit : Vous faites ce que vous voulez, on ne fait pas ce qu’on veut, on fait ce qu’il veut, lui.- Et toi qu’est-ce que tu voulais ?- Moi, je voulais un fusil. Quand il y a la guerre, pour vivre tranquille, il faut avoir un fusil. C’est pas le militaire, c’est toujours le civil qui a peur et qui souffre. Mes trois cousins, ils étaient montés dans la montagne avec le FLN pour avoir un fusil. Mon frère et moi on a manqué l’occasion, on était pas là quand ils sont montés avec le FLN.- Mais enfin, Ali, tu savais bien que tu allais te battre contre ton peuple ?- On parlait pas de peuple à La Chiffa, on parlait de Chiffa, c’est tout. Il n’y avait pas de journaux, il n’y avait pas de radio. On ne savait rien à La Chiffa. On savait seulement qu’il y avait la guerre. - Et tu as fait la guerre contre le FLN.- J’ai fait de mal à personne. Jamais, j’ai tiré avec mon fusil, sauf deux ou trois fois à l’instruction. Je ne savais pas tirer. Il y en avais des harkis qui ont fait du mal. Ils prenaient l’argent, le bétail et les femmes. Ceux qui ont fait du mal tous le monde les connaissait. A La Chiffa il y en a neuf qui ont fait du mal. Tous les neuf le FLN les a tué après l’indépendance. Mais ils m’ont rien fait, le FLN. Les militaires, ils m’ont dit : le FLN va te tuer. Vien en France et tu seras français. Moi, j’ai pensé : Qu’est-ce que je vais faire en France ? Je ne connais pas la France. J’ai dit à l’officier français : Moi, j’ai pas fait de mal, on me fera rien. » Je suis resté à La Chiffa avec ma femme et mes deux enfants. Mais, le FLN, il m’a pris et m’a obligé à travailler sur la route. Ça a duré huit jours. La nuit, ils m’attachaient les deux mains et les pieds avec des cordes. Après ils m’ont dit : « Tu peux rentrer chez toi. » Moi, la vérité, j’ai eu peur. Il y avait encore des Français à la caserne de Blida, je suis allé revoir l’officier et je lui ai dit : « Mon capitaine, j’ai changé d’avis. Je veux devenir français. » Alors le capitaine, il m’a dit : Allez viens, Ali tu seras français. » Et il m’a pris dans ses bras et il a pleuré.

Témoignage d’Ahmed (le prénom a été changé)Tu te réveilles un matin et tu découvres que ton voisin a été égorgé pendant la nuit. Toi, tu le connais, ton voisin, depuis toujours. Tu ne comprends pas pourquoi il a été tué. Tu comprends simplement qu’il ne faut pas poser de questions, pas trop chercher à comprendre. Tu apprends ensuite qu’Untel à été tué, Untel aussi. Alors, au début, tu te dis pour te rassurer : « C’est étonnant, mais les Moudjahidin savent sans doute ce qu’ils font. Ces gars tués faisaient peut-être le double jeu. » Et puis après, avec tous ces morts, des vieillards, des gamins de quinze ou seize ans, tu te dis qu’il y a quelque chose qui ne va pas, que demain ce sera peut-être ton tour, comme ça, pour rien. »

Témoignage de Youssef (le prénom a été changé)J’habitais dans une ferme près de Sidi Bel-Abbès. Je suis devenu harki en 1958. Avec le déplacement des populations et le quadrillage de certaines régions, il était de plus en plus difficile de trouver du travail. À la suite de réunions organisées par des responsables du FLN, deux de mes frères sont montés au maquis. Je voulais les suivre, mais mon père s'y est opposé. Il s'inquiétait de savoir qui allait nourrir toute la famille très nombreuse. Il m'a conseillé de rejoindre l'armée française pour être tranquille des deux côtés, Pour me convaincre, je me souviens qu'il m'avait montré une photo de mon grand-père pendant la Première Guerre mondiale, qui était beau et fier

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dans son uniforme de l'armée française.

Témoignage de Kader (le prénom a été changé)Au départ, tous les êtres que Dieu a créés dans ce village étaient pour l’indépendance : filles, garçons, femmes, hommes. Tous, toutes, en Algérie voulaient l’indépendance. On étaient pauvres, on voyait que nos enfants n’allaient pas à l’école, on n’avait rien à perdre. On espérait tous l’indépendance.

Témoignage de Mustapha (le prénom a été changé)On était pris entre deux feux. Des deux côtés on prenait des coups. Alors à la fin t’en a marre, tu te sauves d’un côté ou de l’autre. Et c’était souvent la France parce que c’était plus facile que d’aller au maquis. Et on avait plus du tout confiance dans le FLN quand on voyait que ceux qui les avaient aidés avaient été égorgés, comme ça, sans preuve.

III. Une population sous contrôle

a. Une politique de répression : déplacements de population et tortures

Le nouveau village de Ain-Mimoun (département de Batna)Rapport de l’inspection générale des regroupementsLà aussi la population a dû quitter son habitat dispersé des montagnes, qui n’était possible qu’en temps de paix – les habitants ont compris peu à peu que réunis, ils seraient plus efficacement protégés.Ils ont été installés sur des terres plus riches, à l’abri d’un poste, ils se sont éloignés de la forêt devenue hostile. Non loin des bâtiments de la SAS, ils ont d’abord planté leurs tentes de nomades, puis ont construit de petites maisons, d’autres ont pu emménager dans des maisons plus modernes.Tous travaillent maintenant à la construction de leur nouveau village et à l’enrichissement des terres qui l’entourent : ils préparent déjà le retour à la paix.

Les villages de regroupements vus par Pierre BourdieuA la façon du colonisateur romain, les officiers chargés d’organiser les nouvelles collectivités commencent par discipliner l’espace comme si à travers lui ils espéraient discipliner les hommes. Tout est placé sous le signe de l’uniforme et de l’alignement : construites selon des normes imposées en des emplacements imposés, les maisons se disposent, tirées au cordeau, le long de larges rues qui dessinent le plan d’un castrum romain ou d’un village de colonisation. Au centre, la place avec la triade caractéristique des villages français, école, mairie, monuments aux morts. Et l’on peut penser que si les temps et les moyens ne leur avaient pas manqués, les officiers des SAS (sections administratives spécialisés), amoureux de la géométrie, auraient soumis aussi le terroir à la centuriation.(…) Partout, les femmes ont eu particulièrement à souffrir du regroupement. Elles restent

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enfermées, à longueur de journée, dans des gourbis humides. Ce sont les hommes et les enfants qui font les courses et vont chercher de l’eau à la fontaine : à Kerkera, les hommes vont prendre de l’eau dans des seaux ou dans des tonneaux chargés sur des ânes, parfois même dans des jarres que les femmes viennent déposer et reprendre au coin de leur maison, sans traverser la rue. (…) La nostalgie de l’ancienne demeure et de la vie sociale d’autrefois s’exprime autrement : les femmes vont en groupe passer l’après-midi dans leurs anciennes maisons situées à un quart d’heure de marche pour les plus proches, une demi-heure pour les plus éloignées. Ces efforts (…) témoignent de l’ampleur du désarroi éprouvé par les femmes dans les regroupements. (…) Le regroupement empêche les femmes d’accomplir la plus grande partie de leur tâche traditionnelles. C’est d’abord que l’interventionnisme des autorités s’est en quelques sorte concentré sur elles parce que, aux yeux des militaires, comme de la plupart des observateurs naïfs, la condition de la femme algérienne était le signe le plus manifeste de la « barbarie » qu’il s’agissait de combattre par tous les moyens. (…) Ils se sont efforcés d’abattre brutalement tout ce qui leur paraissait faire obstacle à la « libération de la femme » : à Kerkera les maisons furent privées de cours ; la fontaine et les lavoirs furent placés, à peu près partout au centre du quadrivium.

Des cris dans la nuitÀ son retour en France, le témoignage de Stanislas Hutin est publié anonymement dans la brochure que fait paraître Témoignage chrétien, Des appelés témoignent.

26 janvier 1956 Un gosse de 14 ans est prisonnier à la cuisine depuis deux jours. Un groupe en patrouille l'a soi-disant surpris s'enfuyant pour prévenir des fellaghas. Il était avec d'autres bergers. Dès qu'il a aperçu les soldats, il s'est enfui vers un bois d'où sont sortis quelques types. Les soldats ont tiré : la mitraillette qui visait le gosse s’est enrayée. On a réussi à le saisir ainsi que le vieux qui semblait lui aussi fuir.

28 janvier 1956Les hurlements de cochon qu'on égorge, entendus hier soir vers 9 heures, venaient bien du gosse. On l'a passé à la magnéto. La méthode est simple : un fil sur un testicule, un autre sur l'oreille et on fait passer le courant. Sur le gosse, ils n'ont pas employé la méthode habituelle ; ils lui ont mis le fil au poignet et à l'oreille. Le gamin – paraît-il· a avoué qu’il était allé prévenir quatre types armés do fusils de chasse qui attendaient les soldats. C’est ce que le lieutenant S.. m'a annoncé ce matin triomphalement. Hier au soir, j'ai d'abord cru que c'étaient les chacals. Mais cela durait. Je suis donc sorti en pyjama et j’ai écouté. Des bruits de voix et des gémissements sortaient de la guitoune des lieutenants. Je me suis raisonné : « Il est impossible qu’ils osent passer le gosse à la magnéto ; c'est le vieux qu'ils veulent faire cracher", Je suis rentré, une fois de plus, brisé par l’écœurement et je pensais au gamin que j’imaginais terroriser au fond de la remorque qu'on torturait. Ce matin, je suis complètement brisé... Impossible d’aller vers le gosse, de lui parler, de le consoler. Il ne me comprendra pas puisqu'il ne parle pas français. Il a fallu que je prenne sur moi pour aller le photographier : ce sera une photo à montrer en France, c'est pourquoi je l'ai fait.En voyant C... sortir, j'ai été pris de haut-le-cœur, j'aurais craché dessus. C'est une brute, un sadique. Il est blindé maintenant, après tous ceux qu'il a vus gueuler dans ses mains. C'est l'officier de renseignement : " un dur... "

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29 janvier 1956Aujourd'hui, c'est Ali qu'ils ont arrêté : Bridja Ali, le petit kawaji d'en bas, qui m'apprenait l'arabe, avec lequel j'ai joué au ballon et discuté si souvent. Il doit avoir seize ou dix-sept ans. Son père est en prison à Constantine : les fellaghas l’avaient forcé à rendre la la justice quand ils étaient maîtres du coin (c'est ce que Ali m'a raconté). Son frère est prisonnier à Tamazer. Sa vieille maman reste seule chez elle. Elle habite à 100 mètres du camp, une petite maison au milieu des oliviers. Ali était le seul à rester avec elle. Elle passe souvent sur la colline et regarde son fils nettoyer les plats ou casser le bois. Ali était déjà un ami pour moi et le voici maintenant, accroupi auprès de la cuisine, sanglotant. Pourquoi est-il là ? Je le lui ai demandé : il n'en sait rien. Mais le lieutenant, ce matin, racontait qu'on avait trouvé 50.000 francs sur lui et que dix millions étaient passés entre ses mains pour les fellaghas. II était, dit-on, la boîte aux lettres des rebelles. Qu'y a-t-il de vrai dans tout cela? Ali pleure en pensant à sa mère et aussi à son troupeau mal gardé par un gosse, Messaoud. Si les vaches ne sont pas rentrées ce soir, les soldats tireront dedans: amélioration de l'ordinaire, c'est un ordre; il faut tirer contre tout animal en liberté dans la nuit. Ali a déjà perdu son âne ainsi.

Lettre de Stanislas Hutin, appelé en Algérie, à ses frères26 décembre 1955C’est épouvantable de faire l’expérience de la haine : je vis au milieu d’une haine réciproque entre Arabes et Français, et j’ai l’impression de vivre exactement, mais en sens contraire, ce que nous avons vécu pendant la Résistance en 1943, 1944. Je fais, nous faisons, ce qu’ont fait les boches qui se tenaient continuellement sur le qui-vive, redoutant les embuscades, les étranglements ou coups de couteau aux sentinelles, considérant chaque habitant comme un ennemi, puisque partisan des rebelles. (…)Notre principal boulot, ces jours-ci, est de rechercher les fusils de chasse que les Arabes cachent et qui sont les armes principales des fellaghas : ils tirent à coups de chevrotine ou de cartouche renforcée. On arrête les suspects, on les tabasse, on leur fait passer des nuits entières ficelés comme des saucissons et ils avouent posséder un fusil. C’est ainsi que, ce matin, ma compagnie a découvert son premier fusil de chasse, car il faut te dire, pour que tu comprennes la joie de l’andouille qui a découvert l’engin, que c’est la course à la prime : à la compagnie qui aura récupéré le plus d’armes. Je suis épouvanté de l’attitude de la plupart de mes camarades ; je les croyais pacifistes et plus humains; pour un rien ils se laissent monter le bourrichon et, en groupe, ils sont capables de tout, par fanfaronnade évidemment. Leur plus gros grief envers les Arabes : « C’est à cause de ces fumiers-là qu’on a passé un si triste Noël. » De plus, pour eux tous, les fellaghas ont tué femmes et enfants. Il faut du temps, du calme pour les raisonner, les fondements de cette guerre idiote sont trop loin d’eux. Ils se laissent révolter par les visages haineux ou simplement méfiants des Arabes qu’ils rencontrent.Stanislas

b. Une politique de pacification

Les Sections administratives spécialisées (SAS)« La population meurtrie et malheureuse dans les campagnes, terrorisée partout, se trouve en difficulté de faire les premiers pas vers un rapprochement avec la communauté française de souche. Il convient d'aller au-devant d'elle. Je désire que partout soit recherché le contact individuel et humain avec les Français musulmans et particulièrement avec les anciens combattants ».

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Robert Lacoste, directive lue aux appelés

Dans les SASSerge Jaubertie, secrétaire du Contrôle militaire de la SAS de Sidi-Merrouane de juin 1957 à décembre 1958Le bureau des contrôles SAS est un bureau secret. Chaque bureau a son secrétaire, un soldat français aidé d’un harki interprète. Tout papier, laissez-passez individuel, pour aller d’une commune à l’autre, pour aller en France, carte de contrôle, passeport, transport de céréales, certificat d’hébergement, est revêtu de la signature de l’autorité militaire. Le secrétaire possède la liste des suspects qu’il devait les arrêter s’ils se présentaient. Validité d’un laissez-passez - Un à huit jours pour un laissez passez individuel- Un jour pour moins de vingt kilomètres- Deux jours de 20 à 50 kms- Pour aller en France : huit jours- Pour le transport des marchandises vers une grande ville Alger, Oran, Constantine, Bône… jusqu’à deux mois- Certificat d’hébergement validité deux mois, renouvelable. Hébergé et hébergeur ne devaient faire l’objet d’aucune recherche. Ils devaient se présenter un e fois par semaine au bureau des Contrôles.Les familles où se trouvait un rebelle n’avait droit à aucun laissez-passez. Toute personne avait droit à partir de dix ans à 10 kilos d’orge par mois, pour faire la galette. Pour le blé le poids ne devait pas excéder les 100 kilos par famille, ainsi que la farine de blé. Un père de famille pouvait prendre le laissez-passez céréales de son frère malade ou parti travailler en France. Il ne fallait pas qu’un membre fut suspect, parti avec les rebelles. Toute personne arrêtée avec une trop grande quantité de sucre, café, huile ou sardine et qui n’était pas épicier ou marchand, devait faire l’objet d’une enquête… Les propriétaires des cafés maures devaient avoir un laissez-passez pour l’achat du café ou autre boisson…Le Bureau des contrôles, ainsi que la gendarmerie, possédait une fiche signalétique de chaque personne de la commune, uniquement pour les hommes à partir de 18 ans. Il y avait une sorte de crainte de se rendre au bureau de SAS. Certains se faisaient accompagner par un notable, un marabout ou un taleb, ancien combattant avec ses médailles, l’instituteur ou un Européen qui était leur ami. Toute personne qui venait au Bureau était fouillée. Dans les communes rurales, le secrétaire faisait la connaissance des notables. Certains devenaient même des amis. Toutes les conversations commencent par des formules de politesse. Il est interdit de poser des questions sur les femmes. Ne pas être grossier. Dire « vous ». Ne pas prononcer les mots « bicot », « raton ».

La soif d’apprendreJean Poussin, jeune militaire appelé en Algérie, se transforme en instituteur.J’étais là pour ouvrir une école à l’intérieur de la SAS et accueillir les enfants non scolarisés, leur apprendre à lire, écrire et compter en français, je n’étais pas là pour obtenir du renseignement. De juillet 1960 à décembre 1961, je fis la classe pratiquement sans interruption : pas de jeudi ni vacances, les élèves avaient une telle soif d’apprendre et nous avions pris tellement de retard. Les effectifs évoluèrent de 30 à 60 puis 90 élèves, de 6 à 12 ans, dont trois enfants français du couple de secrétaires de mairie (Les Dureng) et le fils du sergent Faure. Avec le surnombre, on me nomma un aide, jeune algérien appelé qui avait été scolarisé, Ali Rahmani. La plupart des élèves étaient des enfants de harkis ou autres habitants du bled. Mon collègue Chachoua Kuider, instituteur normalien algérien prenait les grands dans une école construite en dehors du poste militaire, près de la mairie.

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Un bâtiment en parpaing et en cours de construction me fut affecté pour en faire l’école et me loger.L’aménagement de ma classe se fit avec les moyens du bord : tables à tréteaux, bancs avec planches et parpaings, les abreuvoirs devinrent des lavabos collectifs, un petit et ancien château d’eau fut transformé en douche, la dotation militaire de savon de Marseille fut en partie « détournée » pour l’école, ainsi que le projecteur 16 mm du cinéma aux armées, avec le film Crin blanc, quelques Charlot et des Laurel et Hardy.Je faisais la classe dans une tenue discrète et le moins possible militaire, c’est ainsi que je reçu le colonel Puech dans ma classe avec un pantalon militaire et un pull rouge, alors qu’il venait me féliciter, sans prévenir, et m’annoncer que, malgré-moi, il me nommait caporal-chef, afin que, maintenu sous les drapeaux, je puisse continuer avec une solde vitale.Je faisais la classe avec la méthode « Ali et Omar », manuel de lecture et de calcul à la fois, outil de travail moderne pour l’Algérie, après l’antique méthode « nos ancêtres les Gaulois ». A cause du grand nombre, j’utilisais la répétition : après la leçon, j’interrogeais quelque dix élèves qui me semblaient avoir mieux compris et ils devenaient les répétiteurs. C’est ainsi qu’une de mes répétitrices Khadra Belfedhal, fille du Caïd devint la référence de la classe. Elle nous servait d’interprète et de garde-fou. Si un élève parlait, imprudemment, de ce qui s’était passé chez lui, la veille, elle se levait et haranguait la classe sans me demander mon avis ; ensuite me menaçant de son index, elle me disait « Maître, tu n’as rien entendu», j’acquiesçais volontiers et le cours reprenait.

Une école sans fenêtreJournal de Stanislas Hutin3 janvier 1956Le commandant de compagnie ouvre une école et un dispensaire dans l'ancienne épicerie. Je suis nommé instituteur ainsi que Jean C. Le premier jour, j'enregistre une cinquantaine de présences. Nous irons jusqu'à 65, tous à peu près fidèles. Les conditions d'installation sont des plus précaires. L'école étant détruite, nous nous installons dans une maison sans fenêtres. Il faut donc laisser les portes ouvertes si l'on veut avoir de la lumière ; résultat, impossible de chauffer. Le feu que nous faisons dans un vieux poêle qui fume n'a guère qu'un effet psychologique. Certains jours, nous claquons des dents et c’est pitié que de voir les mignonnes frimousses qui me regardent avec de grands yeux désespérés : « M'sié, je suis froid ; la main écrit pas. » Nous allongeons les récréations pendant lesquelles nous les faisons remuer le plus possible. Hier, ils m'ont appris à poser un piège pour les oiseaux. Les gosses sont délicieux, absolument pas craintifs. Ça piaille, ça remue, mais très bonne volonté et sourire perpétuel. Cependant, beaucoup de bagarres entre eux et pour trois fois rien, ce qui dénote un sang très chaud. En dépit du froid, ils restent donc très vifs. Au physique, la plupart n'ont pas de type particulier, mis à part leurs grands yeux noirs. Teint souvent maladif.(…) Un jour, en pleine classe, la lumière tout à coup s'assombrit. Je regarde vers sa seule source, la porte, et, dans l'embrasure, j'aperçois deux grands gaillards en djellabas foncées qui me regardent et me font signe de continuer. J'ai cru mon heure venue et que ces deux fellaghas, tout de suite imaginés comme tels dans ma peur, étaient là pour régler leur compte avec la culture française. Après m'avoir écouté, quelques instants, ils sont repartis, dans le plus grand silence. Quelques jours après, un tract maladroitement écrit et accroché non loin de l'école à un tronc d'arbre nous remerciait de faire de ces gosses « de bons petits fellaghas »...(…) Moustefa, gosse pieds nus dans la boue et tout nu sous la blouse et le cachabia blanc. Le capuchon sur la tête rasée et ces deux splendides yeux noirs, deux grands yeux sauvages. Où cours-tu Moustefa ? Ce genre de gosse ne sait pas marcher. Il court vers les oiseaux, comme tous les gosses. Il court cacher son piège au pied d'un olivier; il se cachera lui-même derrière un oranger,

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prêt à sauter sur la grive qui se sera laissé prendre... « Où cours-tu Moustefa ? Moustefa... Arouah menna... - J'ai deux grives sous le cachabia. » Deux pauvres oiseaux gris, pantelants et saignants. Il me les apporte : il ne me les propose pas, il me les montre ; sans me regarder, il les caresse et tire à petits coups secs quelques plumes. Son beau visage sale comme ses deux victimes.Je les lui ai achetés 40 francs : « Le couteau, Msié, donne... ». Il les plume et les vide. Je les mangerai demain, sans grand appétit, mais Moustefa aura 40 francs à lui. Il est parti en courant, serrant son trésor dans sa petite main fine. Où va-t-il ? Je n'en sais rien... Il y a toujours une vache à garder quelque part et des grives à piéger. Que va-t-il faire de ses 40 francs? Acheter un piège en fer...(…) « Alors Rabah, tu ne dis pas bonjour ? - J' ai oublié... bonjour. » Rabah approche, l'air un peu bougon tout simplement timide. Sa vieille gabardine en dentelle, des pataugas en ruine chaussant des pieds mouillés, trop petits pour eux. « Où vas-tu comme ça, Rabah ? - Je vais garder la vache... » Evidemment, je le sais fort bien ; je le lui ai· demandé tant de fois ! « Quel âge as-tu ? - treize ans - Tu sais déjà lire, « écrire, parler français ; pourquoi ne viens-tu plus à l'école ? - Avant, makkache vache... » , et inutile de poser d'autres questions.Rabah est déjà grand et c'est un des plus jolis. Cheveux noirs bouclés, teint jaune clair, grands yeux noirs, nez et bouche parfaitement dessinés. Une tête de petit prince. Son rire coule comme une harpe. « Rabah, pourquoi ne veux-tu pas venir m'apprendre l'arabe ? » Il vient, pendant dix minutes : regarde les livres, écrit et dessine au tableau, répond à peine aux questions que je lui pose, s'évertue, deux ou trois fois, à bien me faire prononcer un mot, mais je suis un élève à l'oreille dure et Rabah se décourage vite. Il rit et veut fuir dans les champs. « Rabah, reste là : tu vois bien que les soldats sont en train de ramasser tous ceux qui ne font rien. Attends un peu : tu partiras ensuite ». Rabah risque un œil inquiet parla porte et se cache derrière moi en riant.

Je travaille pour ma vie27/6/61Lieutenant, J’ai l’honneur de vous écrire ces quelques lignes pour vous faire savoir de mes nouvelles qui sont en bonne santé, et parfaite également. Je vous donne un grand bonjour et vous souhaite bien. J’espère qu’un jour vous viendrez nous voir. Vous avez nous fait des progrès. J’accepte avec plaisir vos offres si flatteuses pour moi..Je suis très content de vous connaître. Mais quand vous êtes partis, nous sommes pas très contents car le lieutenant Jorno n’es pas comme vous. Maintenant, je fais des progrès. Cette année je passerai le CEP.J’aurai un bon métier. Je travaille pour ma vie.J’ai rien à vous dire. A bientôt mon lieutenantAurevoirBoukahous

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3. De l’enlisement à l’indépendance

I. Le tournant

a. Le « putsch » du 13 mai 1958

Je sais ce qui s’est passé ici. Je vois ce que vous avez voulu faire. Je vois que la route que vous avez ouverte en Algérie, c’est celle de la rénovation et de la fraternité. Je dis la rénovation à tous égards. Mais très justement vous avez voulu que celle-ci commence par le commencement, c’est-à-dire par nos institutions, et c’est pourquoi me voilà. Et je dis la fraternité parce que vous offrez ce spectacle magnifique d’hommes qui, d’un bout à l’autre, quelles que soient leurs communautés, communient dans la même ardeur et se tiennent par la main.Eh bien! de tout cela, je prends acte au nom de la France et je déclare, qu’à partir d’aujourd’hui, la France considère que, dans toute l’Algérie, il n’y a qu’une seule catégorie d’habitants : il n’y a que des Français à part entière ! des Français à part entière, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs.Cela signifie qu’il faut ouvrir des voies qui, jusqu’à présent, étaient fermées devant beaucoup. Cela signifie qu’il faut donner les moyens de vivre à ceux qui ne les avaient pas.Cela signifie qu’il faut reconnaître la dignité de ceux à qui on la contestait.Cela veut dire qu’il faut assurer une patrie à ceux qui pouvaient douter d’en avoir une.L’armée, I’armée française, cohérente, ardente, disciplinée, sous les ordres de ses chefs, l’armée éprouvée en tant de circonstances et qui n’en a pas moins accompli ici une œuvre magnifique de compréhension et de pacification, l’armée française a été sur cette terre le ferment, le témoin, et elle est le garant du mouvement qui s’y est développé.Elle a su endiguer le torrent pour en capter l’énergie. Je lui rends hommage. Je lui exprime ma confiance. Je compte sur elle pour aujourd’hui et pour demain.Français à part entière, dans un seul et même collège ! Nous allons le montrer, pas plus tard que dans trois mois, à l’occasion solennelle où tous les Français, y compris les dix millions de Français d’Algérie, auront à décider de leur propre destin.Pour ces dix millions de Français, leurs suffrages compteront autant que les suffrages de tous les autres.Ils auront à désigner, à élire, je le répète, en un seul collège leurs représentants pour les pouvoirs publics, comme le feront tous les autres Français.Avec ces représentants élus, nous verrons comment faire le reste.Ah! puissent-ils participer en masse à cette immense démonstration tous ceux de vos villes, de vos douars, de vos plaines, de vos djebels ! Puissent-ils même y participer ceux qui, par désespoir, ont cru devoir mener sur ce sol un combat dont je reconnais, moi, qu’il est courageux – car le courage ne manque pas sur la terre d’Algérie –, qu’il est courageux mais oui, moi, de Gaulle, à ceux-là, j’ouvre les portes de la réconciliation.Jamais plus qu’ici et jamais plus que ce soir, je n’ai compris combien c’est beau, combien c’est grand, combien c’est généreux, la France !Vive la République !Vive la France !Général de Gaulle, Alger, 4 juin 1958.

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b. Rallier les femmes algériennes

Instructions aux femmes algériennes pour le vote du 28 septembre 1958Dans quelques jours vous allez votez pour la première fois.Ce vote consacre votre égalité avec les hommes.Les femmes en métropole votent toutes. Vous devez faire comme elles.Vous devez être fières du nouveau rôle qui vous échoit, puisque maintenant vous avez votre mot à dire dans la gestion du pays, puisque l’ALGERIE nouvelle ne se fera pas sans vous.L’Algérie nouvelle sera ce que vous en ferez.C’est vous-mêmes qui ferez votre avenir et celui de vos enfants en faisant entendre vos voix.Au cours des manifestations, des milliers de femmes musulmanes viennent se mêler aux hommes et prouvent qu’elles veulent jouer un rôle dans la vie du pays. C’est le signe du renouveau.

Vous devez voter pour affirmer votre volonté du renouveau.Dans une période aussi grave où c’est votre avenir qui se joue et celui de vos enfants, vous n’avez pas le droit de vous abstenir : vous êtes responsable de votre futur.Allez toutes aux urnes

Votez « oui »a. Pour accepter les nouvelles institutionsb. Pour reconnaître l’ALGERIE française

Votez « oui »- C’est vouloir la prospérité, le bonheur de vos enfants- C’est vouloir que vos enfants s’instruisent- C’est le travail assuré pour tous- C’est vouloir une ALGERIE moderne et riche- C’est vouloir le renouveau

Votez « oui »I. Pour prouver votre désir de renouveauII. Pour dire votre profond désir d’émancipationIII. Pour vivre libres et heureusesIV. Pour vivre française comme vos sœurs de métropoleV. Pour affirmer que vous êtes égales des hommesVI. Pour affirmer que vous voulez un changement dans votre existence, une réforme dans

vos mœurs

Votez c’est simple. Mais vous voyez quelle responsabilité ce simple petit bout de papier peut décider du sort de l’Algérie, de votre sort.Alors réfléchissez bien, pensez à la chance que vous donne la France.

Votre réponse ne peut être que OUIC’est la réponse de tous les gens sensés et raisonnables aux généreuses propositions de la France et du général de Gaulle

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c. L’autodétermination

Discours du général de Gaulle du 16 septembre 1959Notre redressement se poursuit. Certes, il ne faut pas nous vanter. Dans le domaine technique, par exemple, nous n'en sommes pas encore au point de lancer des fusées dans la lune. Cependant, depuis quinze mois, nos affaires ont avancé.L'unité nationale est ressoudée. La République dispose d'institutions solides et stables. L'équilibre des finances, des échanges, de la monnaie, est fortement établi. Par là même, la condition des Français et, d'abord, celle des travailleurs industriels et agricoles, échappe au drame de l'inflation et à celui de la récession. Sur la base ainsi fixée et à mesure de l'expansion nouvelle, on peut bâtir le progrès social et organiser la coopération des diverses catégories dont l'économie dépend, poursuivre la tâche essentielle de formation de notre jeunesse, développer nos moyens de recherche scientifique et technique. D'autre part, la Communauté est fondée, entre la France, onze États d'Afrique et la République malgache. Enfin, au milieu d'un monde où il s'agit tout à la fois de sauvegarder la liberté et de maintenir la paix, notre voix est écoutée.Pourtant, devant la France, un problème difficile et sanglant reste posé : celui de l'Algérie. Il nous faut le résoudre. Nous ne le ferons certainement pas en nous jetant les uns aux autres à la face les slogans stériles et simplistes de ceux-ci ou bien de ceux-là qu'obnubilent, en sens opposé, leurs intérêts, leurs passions, leurs chimères. Nous le ferons comme une grande nation et par la seule voie qui vaille, je veux dire par le libre choix que les Algériens eux-mêmes voudront faire de leur avenir.A vrai dire, beaucoup a été fait déjà pour préparer cette issue. Par la pacification, d'abord. Car rien ne peut être réglé tant qu'on tire et qu'on égorge. A cet égard, je ne dis pas que nous en soyons au terme. Mais je dis qu'il n'y a aucune comparaison entre ce qu'était, voici deux ou trois ans, la sécurité des personnes et des biens et ce qu'elle est aujourd'hui. Notre armée accomplit sa mission courageusement et habilement, en combattant l'adversaire et en entretenant avec la population des contacts larges et profonds qui n'avaient jamais été pris. Que nos soldats, en particulier les 120 000 qui sont musulmans, aient fléchi devant leur devoir, ou bien que la masse algérienne se soit tournée contre la France, alors, c'était le désastre ! Mais, comme il n'en a rien été, le succès de l'ordre public, pour n'être pas encore imminent, se trouve désormais bien en vue.La deuxième condition du règlement est que tous les Algériens aient le moyen de s'exprimer par le suffrage vraiment universel. Jusqu'à l'année dernière, ils ne l'avaient jamais eu. Ils l'ont, à présent, grâce à l'égalité des droits, au Collège unique, au fait que les communautés les plus nombreuses, celles des Musulmans, sont assurées d'obtenir dans tous les scrutins la grande majorité des élus. Ç'a été là un changement de la plus vaste portée ; littéralement une révolution.Le 28 septembre dernier, les Algériens ont, par référendum, adopté la Constitution et marqué leur intention que leur avenir se fasse avec la France. Le 30 novembre, ils ont élu leurs députés ; le 19 avril, leurs Conseils municipaux ; le 31 mai, leurs sénateurs. Sans doute ne manque-t-il pas de gens pour prétendre que, dans la situation on se trouvaient les électeurs, pressés par les forces de l'ordre et menacés par les insurgés, ces consultations n'ont pu être sincères que dans une mesure limitée. Cependant, elles ont eu lieu, dans les villes et dans les campagnes, avec une grande masse de votants. Et même, lors du référendum, le concours fut général, spontané et enthousiaste. En tout cas, la voie est ouverte. Dès que viendra l'apaisement, elle pourra être utilisée encore plus librement et encore plus largement. L'an prochain, aura lieu l'élection des Conseils généraux, d'où seront tirés, par la suite, certains grands Conseils administratifs, économiques et sociaux, qui délibéreront, auprès du Délégué général, du développement de l'Algérie.Car, résoudre la question algérienne, ce n'est pas seulement rétablir l'ordre ou donner aux gens le droit de disposer d'eux-mêmes. C'est aussi, c'est surtout traiter un problème humain. Là végètent des populations qui, doublant tous les 35 ans, sur une terre en grande partie inculte et dépourvue de

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mines, d'usines, de sources puissantes d'énergie, sont, pour les trois quarts, plongées dans une misère qui est comme leur nature. Il s'agit que les Algériens aient de quoi vivre en travaillant, que leurs élites se dégagent et se forment, que leur sol et leur sous-sol produisent bien plus et bien mieux. Cela implique un vaste effort de mise en valeur économique et de développement social. Or, cet effort est en cours.En l959, la France aura dépensé en Algérie, pour ne parler que des investissements publics et des frais de gestion civile, environ 200 milliards. Elle en dépensera davantage durant chacune des prochaines années à mesure que se réalisera le plan de Constantine. Depuis dix mois, une centaine d'usines ont demandé à s'installer. 8000 hectares de bonnes terres sont en voie d'attribution à des cultivateurs musulmans. 50 000 Algériens de plus travaillent dans la métropole. Le nombre de Musulmans occupant des emplois publics s'est augmenté de 5 000. A l'actuelle rentrée, les écoles reçoivent 860 000 enfants, au lieu de 700 000 lors de la rentrée précédente et de 560 000 l'année d'avant. Dans six semaines, le pétrole d'Hassi-Messaoud arrivera sur la côte, à Bougie. Dans un an, celui d'Edjelé atteindra le golfe de Gabès. En 1960, le gaz d'Hassi R'Mel commencera d'être distribué à Alger et à Oran, en attendant de l'être à Bône. Que la France veuille et qu'elle puisse poursuivre avec les Algériens la tâche qu'elle a entreprise et dont elle seule est capable, l'Algérie sera dans quinze ans un pays prospère et productif.Grâce au progrès de la pacification, au progrès démocratique, au progrès social, on peut maintenant envisager le jour où les hommes et les femmes qui habitent l'Algérie seront en mesure de décider de leur destin, une fois pour toutes, librement, en connaissance de cause. Compte tenu de toutes les données, algériennes, nationales et internationales, je considère comme nécessaire que ce recours à l'autodétermination soit, dès aujourd'hui, proclamé. Au nom de la France et de la République, en vertu du pouvoir que m'attribue la Constitution de consulter les citoyens, pourvu que Dieu me prête vie et que le peuple m'écoute, je m'engage à demander, d'une part aux Algériens, dans leurs douze départements, ce qu'ils veulent être en définitive et, d'autre part, à tous les Français d'entériner ce que sera ce choix.Naturellement, la question sera posée aux Algériens en tant qu'individus. Car, depuis que le monde est le monde, il n'y a jamais eu d'unité, ni, à plus forte raison, de souveraineté algérienne. Carthaginois, Romains, Vandales, Byzantins, Arabes syriens, Arabes de Cordoue, Turcs, Français, ont tour à tour pénétré le pays, sans qu'il y ait eu, à aucun moment, sous aucune forme, un État algérien. Quant à la date du vote, je la fixerai le moment venu, au plus tard quatre années après le retour effectif de la paix ; c'est-à-dire, une fois acquise une situation telle qu'embuscades et attentats n'auront pas coûté la vie à 200 personnes en un an. Le délai qui suivra étant destiné, à reprendre la vie normale, à vider les camps et les prisons, à laisser revenir les exilés, à rétablir l'exercice des libertés individuelles et publiques et à permettre à la population de prendre conscience complète de l'enjeu. J'invite d'avance les informateurs du monde entier à assister, sans entraves, à cet aboutissement décisif.Mais le destin politique, qu'Algériennes et Algériens auront à choisir dans la paix, quel peut-il être ? Chacun sait que, théoriquement, il est possible d'en imaginer trois. Comme l'intérêt de tout le monde, et d'abord celui de la France, est que l'affaire soit tranchée sans aucune ambiguïté, les trois solutions concevables feront l'objet de la consultation.Ou bien : la sécession, où certains croient trouver l'indépendance. La France quitterait alors les Algériens qui exprimeraient la volonté, de se séparer d'elle. Ceux-ci organiseraient, sans elle, le territoire où ils vivent, les ressources dont ils peuvent disposer, le gouvernement qu'ils souhaitent. Je suis, pour ma part, convaincu qu'un tel aboutissement serait invraisemblable et désastreux. L'Algérie étant actuellement ce qu'elle est, et le monde ce que nous savons, la sécession entraînerait une misère épouvantable, un affreux chaos politique, l'égorgement généralisé et, bientôt, la dictature belliqueuse des communistes. Mais il faut que ce démon soit exorcisé et qu'il le soit par les

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Algériens. Car, s'il devait apparaître, par extraordinaire malheur, que telle est bien leur volonté, la France cesserait, à coup sur, de consacrer tant de valeurs et de milliards à servir une cause sans espérance. Il va de soi que, dans cette hypothèse, ceux des Algériens de toutes origines qui voudraient rester Français le resteraient de toute façon et que la France réaliserait, si cela était nécessaire, leur regroupement et leur établissement. D'autre part, toutes dispositions seraient prises, pour que l'exploitation, l'acheminement, l'embarquement du pétrole saharien, qui sont l'oeuvre de la France et intéressent tout l'Occident, soient assurés quoi qu'il arrive.Ou bien : la francisation complète, telle qu'elle est impliquée dans l'égalité des droits ; les Algériens pouvant accéder à toutes les fonctions politiques, administratives et judiciaires de l'État et entrer dans tous les services publics, bénéficiant, en matière de traitements, de salaires, de sécurité sociale, d'instruction, de formation professionnelle, de toutes les dispositions prévues pour la métropole ; résidant et travaillant où bon leur semble sur toute l'étendue du territoire de la République ; bref, vivant à tous les égards, quelles que soient leur religion et leur communauté, en moyenne sur le même pied et au même niveau que les autres citoyens et devenant partie intégrante du peuple français, qui s'étendrait, dès lors, effectivement, de Dunkerque à Tamanrasset.Ou bien : le gouvernement des Algériens par les Algériens, appuyé sur l'aide de la France et en union étroite avec elle, pour l'économie, l'enseignement, la défense, les relations extérieures. Dans ce cas, le régime intérieur de l'Algérie devrait être de type fédéral, afin que les communautés diverses, française, arabes, kabyle, mozabite, etc., qui cohabitent dans le pays, y trouvent des garanties quant à leur vie propre et un cadre pour leur coopération.Mais, puisqu'il est acquis depuis un an, par l'institution du suffrage égal, du Collège unique, de la représentation musulmane majoritaire, que l'avenir politique des Algériens dépend des Algériens ; puisqu'il est précisé formellement et solennellement qu'une fois la paix revenue, les Algériens feront connaître le destin qu'ils veulent adopter, qu'ils n'en auront point d'autre et que tous, quel que soit leur programme, quoi qu'ils aient fait, d'où qu'ils viennent, prendront part, s'ils le veulent, à cette consultation, quel peut être le sens de l'insurrection ?Si ceux qui la dirigent revendiquent pour les Algériens le droit de disposer d'eux-mêmes, eh bien ! Toutes les voies sont ouvertes. Si les insurgés craignent qu'en cessant la lutte ils soient livrés à la justice, il ne tient qu'à eux de régler avec les autorités les conditions de leur libre retour, comme je l'ai proposé en offrant la paix des braves. Si les hommes qui constituent l'organisation politique du soulèvement entendent n'être pas exclus des débats, puis des scrutins, enfin des institutions, qui régleront le sort de l'Algérie et assureront sa vie politique, j'affirme qu'ils auront, comme tous autres et ni plus ni moins, l'audience, la part, la place, que leur accorderont les suffrages des citoyens. Pourquoi donc les combats odieux et les attentats fratricides, qui ensanglantent encore l'Algérie, continueraient-ils désormais ?A moins que ne soit à l'oeuvre un groupe de meneurs ambitieux, résolus à établir par la force et par la terreur leur dictature totalitaire et croyant pouvoir obtenir, qu'un jour, la République leur accorde le privilège de traiter avec eux du destin de l'Algérie, les bâtissant par là même comme gouvernement algérien. Il n'y a aucune chance que la France se prête à un pareil arbitraire. Le sort des Algériens appartient aux Algériens, non point comme le leur imposeraient le couteau et la mitraillette, mais suivant la volonté qu'ils exprimeront légitimement par le suffrage universel. Avec eux et pour eux, la France assurera la liberté de leur choix. Au cours des quelques années qui s'écouleront avant l'échéance, il y aura beaucoup à faire pour que l'Algérie pacifiée mesure ce que sont, au juste, les tenants et les aboutissants de sa propre détermination. Je compte moi-même m'y employer. D'autre part, les modalités de la future consultation devront être, en temps voulu, élaborées et précisées. Mais la route est tracée. La décision est prise. La partie est digne de la France.

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d. La guerre continue de plus belle

Les rapports militaires

Bulletin mensuel, secteur de Saïda (colonel Bigeard)20 février-25 mars 1959Les rebelles ont désormais renoncé à toute action offensive. Seule une activité de survie est enregistrée, activité qui se manifeste par un éparpillement des katibas. Le moral est tombé très bas.

Rapport récapitulatif 1959, corps d’armée d’Oran Abandonnant dès le début de l’année leurs positions défensives déprimantes pour une offensive payante, nos unités ont connu d’emblée les succès importants qui leur ont permis de déloger l’adversaire des zones refuges et l’ont amené à refuser le combat. De plus, en accroissant l’efficacité du barrage, sur les plans technique et tactique, elles enlevaient à la rébellion en Oranie tout espoir de se renforcer par des apports extérieurs. Cadres et troupe, fiers des résultats obtenus, ont pu alors se consacrer plus complètement aux tâches constructives de la pacification.

Rapport sur l’offensive Challe en wilaya IV(printemps 1959)Pour ainsi dire, la région devient dangereuse et martyrisée. La totalité de la zone souffre d’un acharnement continuel de l’ennemi et subit plusieurs offensives consécutives. L’effectif actuel régresse fortement à chaque fois.

e. Les enjeux du Sahara

Les richesses du Fezzan10e Région militaire, Etat-major – 3e Bureau, Rapport du général Kientz Commandant la Xe Régionamilitaire à M. le général inspecteur des FTMA/AFN, Alger, le 21 septembre 1954.Objet : Surveillance et délimitation future de la frontière Saharo-Libyenne.Le territoire du Fezzan recèle vraisemblablement des richesses minérales dont l’importance commence seulement à être soupçonnée. C’est ainsi que le Wali Seif en Naceur dans une interview récente a affirmé qu’il y avait au Fezzan du fer, du charbon et de l’or et que la Coronada Petroléum Corporation, la Compagnie Française des Pétroles et la Socony Vacuum Oil Compagny ont commencé une prospection systématique du Fezzan dont les premiers résultats autorisent de gros espoirs.Ces espoirs qui paraissent particulièrement prometteurs dans la zone frontière Saharo-Libyenne me conduisent à vous soumettre le problème posé par cette frontière dont la délimitation et la garde ne semblent pas avoir retenu jusqu’à présent l’attention des Hautes Autorités Françaises.Fixée par l’accord extrêmement vague de 19191 cette frontière n’a jamais en effet été définie sur le terrain et jusqu’à présent seuls les Libyens ont été bénéficiaires des possibilités d’interprétation que cet accord laisse subsister.En effet jusqu’à ce jour la frontière en cause a été considérée par nous du seul point de vue humain, c’est-à-dire que pour nous il s’est toujours simplement agi de conserver à nos tribus leurs zones de parcours traditionnelles, leurs points d’eau et leurs régions de culture.Il ne doit plus en être ainsi aujourd’hui et le souci des intérêts de la France doit nous inciter à obtenir une délimitation précise de la frontière de cette région et, comme préliminaire, à affirmer

1 Accord franco-italien du 12.9.1919.

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notre souveraineté partout où nous pouvons la justifier afin de conserver les zones indispensables pour assurer la liberté de nos voies de communication et qui paraissent de plus en plus intéressantes du point de vue géologique. (…)Signé : Kientz.

Le rapport du colonel Clavert sur l’accident de BérylLes prévisions rnétéorologiques annonçant des conditions favorables dans la nuit du 1er au 2 mai 1962 on fit donner l’ordre d’exécuter les derniers préparatifs avant le lever du jour. L’heure H étant en principe fixée à 7 h 00 TU. L’explosion déclenchée par le général Thiry se produisit à 7h20. Sous l’effet de l’onde de choc, les flancs de la montagne se mirent à moutonner. Ces moutonnements étaient dus à la propagation de l’onde de choc qui détachaient des poussières des flancs de la colline.En même temps sur le PC opérationnel le sol se mit à trembler, semblant se dérouler sous nos pieds pendants quelques secondes. Alors que chacun s’affairait et observait, un nuage de couleur blanche violette apparut soudain à l’entrée de la galerie. Sa belle couleur initiale, dus à la présence d’éléments radioactifs à base d’iode, de courte période, s’assombrit rapidement à cause des poussières qu’il entraînait. Le nuage devint très vite noirâtre car se mêlèrent des fumées provenant de la combustion du gazole des groupes électrogènes provoqué par le flux thermique. L’ordre de repli de tous les personnels fut donner au dernier moment et on assista à une véritable panique. L’accès au PC n’était accessible que par une seule route si bien que le départ en catastrophe produisit un embouteillage monstre, alors que le nuage qui s’étendait sur un front d’environ 800 mètres. On se serait cru dans les ténèbres et il fallut allumer les phares des véhicules. Sur les vingt kilomètres de la route goudronnée menant à la base une véritable course automobile s'était engagée : chacun n'avait qu'une hâte, rejoindre la base. La chaleur aidant, les véhicules malmenés ne tardèrent pas à tomber en panne pour cause de « vapor-look ». Certains abandonnèrent leur véhicules : ils partirent en courant sur la piste malgré la chaleur, mais se ravisant, ils firent de l'auto-stop. D'autres, qui avaient mis leurs masques avec précipitation sans les ajuster, éprouvèrent une gêne respiratoire et des maux de tête intolérables si bien qu'ils les jetèrent n'importe où. Cette véritable débandade fit que les premiers éléments du PC opérationnel n’atteignirent l’en de la base qu’une heure après que fut donnée l’ordre de repli. Tous furent soumis à un contrôle radiologique puis dirigé sur les douches de décontamination. Mais, le service de santé de l'infirmerie ne disposait en tout et pour tout que de trois pommes de douche pour décontaminer environ 250 personnes porteuses de poussières radioactives.

II. Les déchirements

a. La guerre divise les Français

Le Manifeste des 121Un mouvement très important se développe en France, et il est nécessaire que l'opinion française et internationale en soit mieux informée, au moment où le nouveau tournant de la guerre d'Algérie doit nous conduire à voir, non à oublier, la profondeur de la crise qui s'est ouverte il y a six ans. De plus en plus nombreux, des Français sont poursuivis, emprisonnés, condamnés, pour s'être refusés à participer à cette guerre ou pour être venus en aide aux combattants algériens. (…) Il est insuffisant de dire que cette résistance aux pouvoirs publics est respectable. Protestation d'hommes

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atteints dans leur honneur et dans la juste idée qu'ils se font de la vérité, elle a une signification qui dépasse les circonstances dans lesquelles elle s'est affirmée et qu'il importe de ressaisir, quelle que soit l'issue des événements. Pour les Algériens, la lutte poursuivie (…) ne comporte aucune équivoque. C'est une guerre d'indépendance nationale. Mais, pour les Français, quelle en est la nature ? Ce n'est pas une guerre étrangère. Jamais le territoire de la France n'a été menacé. Il y a plus : elle est menée contre des hommes que l'Etat affecte de considérer comme Français, mais qui, eux, luttent précisément pour cesser de l'être. Il ne suffirait même pas de dire qu'il s'agit d'une guerre de conquête, guerre impérialiste, accompagnée par surcroît de racisme. Il y a de cela dans toute guerre, et l'équivoque persiste. (…)Ni guerre de conquête, ni guerre de « défense nationale », ni guerre civile, la guerre d'Algérie est peu à peu devenue une action propre à l'armée et à une caste qui refusent de céder devant un soulèvement dont même le pouvoir civil, se rendant compte de l'effondrement général des empires coloniaux, semble prêt à reconnaître le sens. C'est, aujourd'hui, principalement la volonté de l'armée qui entretient ce combat criminel et absurde, et cette armée, par le rôle politique que plusieurs de ses hauts représentants lui font jouer, agissant parfois ouvertement et violemment en dehors de toute légalité, trahissant les fins que l'ensemble du pays lui confie, compromet et risque de pervertir la nation même, en forçant les citoyens sous ses ordres à se faire les complices d'une action factieuse et avilissante. (…)C'est dans ces conditions que beaucoup de Français en sont venus à remettre en cause le sens de valeurs et d'obligations traditionnelles. Qu'est-ce que le civisme, lorsque, dans certaines circonstances, il devient soumission honteuse ? N'y a-t-il pas de cas où le refus est un devoir sacré, où la « trahison » signifie le respect courageux du vrai ? Et lorsque, par la volonté de ceux qui l'utilisent comme instrument de domination raciste ou idéologique, l'armée s'affirme en état de révolte ouverte ou latente contre les institutions démocratiques, la révolte contre l'armée ne prend-elle pas un sens nouveau ? Le cas de conscience s'est trouvé posé dès le début de la guerre. Celle-ci se prolongeant, il est normal que ce cas de conscience se soit résolu concrètement par des actes toujours plus nombreux d'insoumission, de désertion, aussi bien que de protection et d'aide aux combattants algériens. Mouvements libres qui se sont développés en marge de tous les partis officiels, sans leur aide et, à la fin, malgré leur désaveu. Encore une fois, en dehors des cadres et des mots d'ordre préétablis, une résistance est née, par une prise de conscience spontanée, cherchant et inventant des formes d'action et des moyens de lutte en rapport avec une situation nouvelle dont les groupements politiques et les journaux d'opinion se sont entendus, soit par inertie ou timidité doctrinale, soit par préjugés nationalistes ou moraux, à ne pas reconnaître le sens et les exigences véritables. Les soussignés (…) déclarent :

II. Nous respectons et jugeons justifié le refus de prendre les armes contre le peuple algérien. III. Nous respectons et jugeons justifiée la conduite des Français qui estiment de leur devoir

d'apporter aide et protection aux Algériens opprimés au nom du peuple français. IV. La cause du peuple algérien, qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial, est

la cause de tous les hommes libres.

Le Manifeste des intellectuels français du 7 octobre 1960Le public français a vu paraître ces temps derniers un certain nombre de déclarations scandaleuses. Mis en présence de ces faits, les signataires du présent manifeste estiment qu’un plus long silence de leur part vaudrait à une véritable complicité. Ils dénient, d’autre part, aux apologistes de la désertion le droit de se poser en représentants de l’intelligence française. Ils font, en conséquence, la déclaration suivante :

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- C’est une imposture de dire que la France combat le peuple algérien dressé pour son indépendance ». La guerre en Algérie est une lutte imposée à la France par une minorité de rebelles fanatiques, terroristes et racistes conduits par des chefs dont les ambitions personnelles sont évidentes – armés et soutenus financièrement par l’étranger.- C’est commettre un acte de trahison que de calomnier systématiquement l’armée qui se bat pour la France en Algérie. Nul n’ignore, au surplus, qu’à côté des taches qui lui sont propres, cette armée accomplit depuis des années une mission civilisatrice, sociale et humaine à laquelle tous les témoins de bonne foi ont rendu publiquement hommage.- C’est une des formes les plus lâches de la trahison que d’empoisonner, jour après jour, la conscience de la France et de faire croire à l’étranger que le pays souhaite l’abandon de l’Algérie et la mutilation du territoire.

b. Malaise dans l’arméeDe Gaulle réagit au « putsch des généraux »Un pouvoir insurrectionnel s'est établi en Algérie par un pronunciamiento militaire.Les coupables de l'usurpation ont exploité la passion des cadres de certaines unités spécialisées, l'adhésion enflammée d'une partie de la population de souche européenne qu'égarent les craintes et les mythes, l'impuissance des responsables submergés par la conjuration militaire.Ce pouvoir a une apparence : un quarteron de généraux en retraite. Il a une réalité : un groupe d'officiers, partisans, ambitieux et fanatiques. Ce groupe et ce quarteron possèdent un savoir-faire expéditif et limité. Mais ils ne voient et ne comprennent la nation et le monde que déformés à travers leur frénésie. Leur entreprise conduit tout droit à un désastre national.Car l'immense effort de redressement de la France, entamé depuis le fond de l'abîme, le 18 juin 1940, mené ensuite jusqu'à ce qu'en dépit de tout la victoire fût remportée, l'indépendance assurée, la République restaurée ; repris depuis trois ans, afin de refaire l'État, de maintenir l'unité nationale, de reconstituer notre puissance, de rétablir notre rang au-dehors, de poursuivre notre œuvre outre-mer à travers une nécessaire décolonisation, tout cela risque d'être rendu vain, à la veille même de la réussite, par l'aventure odieuse et stupide des insurgés en Algérie. Voici l'État bafoué, la Nation défiée, notre puissance ébranlée, notre prestige international abaissé, notre place et notre rôle en Afrique compromis. Et par qui ? Hélas ! Hélas ! par des hommes dont c'était le devoir, l'honneur, la raison d'être, de servir et d'obéir.Au nom de la France, j'ordonne que tous les moyens, je dis tous les moyens, soient employés pour barrer partout la route à ces hommes-là, en attendant de les réduire. J'interdis à tout Français et, d'abord, à tout soldat d'exécuter aucun de leurs ordres. L'argument suivant lequel il pourrait être localement nécessaire d'accepter leur commandement sous prétexte d'obligations opérationnelles ou administratives ne saurait tromper personne. Les seuls chefs, civils et militaires, qui aient le droit d'assumer les responsabilités sont ceux qui ont été régulièrement nommés pour cela et que, précisément, les insurgés empêchent de le faire. L'avenir des usurpateurs ne doit être que celui que leur destine la rigueur des lois.Devant le malheur qui plane sur la patrie et la menace qui pèse sur la République, ayant pris l'avis officiel du Conseil constitutionnel, du Premier ministre, du président du Sénat, du président de l'Assemblée nationale, j'ai décidé de mettre en oeuvre l'article 16 de notre Constitution. A partir d'aujourd'hui, je prendrai, au besoin directement, les mesures qui paraîtront exigées par les circonstances. Par là même, je m'affirme, pour aujourd'hui et pour demain, en la légitimité française républicaine que la nation m'a conférée, que je maintien quoi qu'il arrive, jusqu'au terme de mon mandat ou jusqu'à ce que me manquent, soit les forces, soit la vie, et dont je prendrai les moyens d'assurer qu'elle demeure après moi.

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Françaises, Français ! Voyez où risque d'aller la France, par rapport à ce qu'elle était en train de redevenir. Françaises, Français ! Aidez-moi !

c. La nuit noire du 17 octobre 1961

La décision du couvre-feuCirculaire n°43-61 du directeur général de la police municipale concernant la « circulation des Français musulmans algériens », 10 octobre 1961.

1. Couvre-feu.Le couvre-feu est applicable pour les Français musulmans algériens de 20 h 30 à 5h 30 du matin. Ceux qui seront interpellés pendant ces heures sur la voie publique devront être conduits au poste (…) Toutefois, ceux d'entre eux qui seraient obligés, pour des raisons professionnelles, de se trouver dehors pendant la durée du couvre-feu doivent représenter une attestation de leur employeur. (…)

La réponse du FLNCirculaire du comité fédéral de la Fédération de France du FLN.10 octobre 1961Cher frère,Après étude de la situation créée par les nouvelles mesures répressives prises (couvre-feu, transferts en Algérie, exécutions sommaires de compatriotes), le comité fédéral a pris les décisions suivantes :- Les Algériens boycotteront le couvre-feu. À compter du samedi 14 octobre 1961, ils devront sortir en compagnie de leurs femmes et de leurs enfants, en masse. Ils doivent circuler dans les grandes artères de Paris. Exemple : Champs-Élysées, boulevards Saint-Michel, Saint-Germain, Montmartre…- Une manifestation aura lieu devant la préfecture de police le troisième ou le quatrième jour après le déclenchement du boycott du couvre-feu. Faites votre possible pour faire participer le maximum de femmes algériennes, faites en sorte que la manifestation soit encadrée par des militants expérimentés, évitez les provocations de tous bords.

III. Vers l’indépendance

a. L’arrêt des combats

Cessez-le-feuAlger, le 19 mars 1962Ordre du jourÀ toutes les forces de l’ordreLe cessez-le-feu qui vient d’intervenir met fin à plus de sept années de combats au cours desquelles notre armée avait la mission de s’opposer aux actes de force d’un adversaire souvent exalté, mais toujours courageux.Elle a combattu les bandes armées des djebels. Elle les a réduites à de petits groupes acculés à la défensive. Elle a tenu à distance les forces rebelles de l’extérieur. Elle a étouffé la menace d’une guérilla généralisée. Ainsi ont été assurées les conditions militaires nécessaires à la solution d’un

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très grave problème politique. La mission est donc remplie.L’armée peut être fière des succès remportés par ses armes, de la vaillance et du sens du devoir déployés par ses soldats, réguliers et supplétifs, de son œuvre d’aide aux populations si durement éprouvées par les événements.Son rôle ici n’est pas terminé. Elle doit, par sa présence et, si cela est nécessaire, par son action, contribuer à empêcher que le désordre l’emporte, quels que soient ceux qui tenteraient de le déchaîner à nouveau. Aujourd’hui comme hier, dans la paix comme dans les combats, l’armée française reste fidèle à la tradition du devoir. Signé : Charles Ailleret

b. L’abandon des harkis

Le choix de la FranceTélégramme n° 125 IGAA du 16 mai 1962Ultra secretStrit. confidentielMinistre État Louis Joxe demande à haut-commissaire rappeler que toutes initiatives individuelles tendant à installer métropole Français musulmans sont strictement interdites. En aviser urgence tous chefs SAS et commandants d’unités. Signé Louis Joxe

Allocution du Bachaga Saïd Boualam devant l’Assemblée nationale française, 5 juin 1962

Mesdames, Messieurs, Depuis 18 ans, ma place était parmi les miens en Algérie. Pendant ce temps, vous arrêtiez notre destin. Je reviens aujourd’hui vous demander : qu’avez-vous fait de nous ?J’ai servi la France, après mon père pendant 56 ans. J’ai donné au pays un de mes fils. J’ai été loyal jusqu’au bout. J’ai engagé tous les miens. Nous avions choisi, nous nous étions déterminés et vous nous exterminez. Le choix était alors simple : ou nous laisser égorger ou fuir vers la métropole pour sauver nos enfants. Nous laissions notre sol natal, mais aussi combien d’hommes qui s’étaient battus avec nous. C’est au nom de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants que je veux vous parler.Ces hommes qui depuis 7 ans sont en Algérie l’instrument de la France, l’instrument vivant, l’instrument de chair, ces hommes sans lesquels aucun succès de la France n’aurait été possible, la France et son chef ont eu pour politique de les compromettre de façon irrévocable. Ils constituaient récemment encore, la moitié des forces armées françaises. On leur avait juré pour toujours et à la face du monde la fraternité. Vous leur avez demandé, tout le pays leur a demandé de poursuivre le combat jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la victoire, car celle-ci n’était possible que grâce à eux, grâce à leur sacrifice.Ils ont répondu, ils se sont battus. Ils ont cru qu’ils avaient gagné. Beaucoup sont morts. Aujourd’hui dans toutes les villes et les villages d’Algérie, terrés et angoissés, ceux qui demeurent attendent que vous décidiez de leur sort. Oui de leur sort et de celui de leur famille, car c’est pour eux une question de vie ou de mort. Depuis les accords d’Evian, le silence est tombé sur ces soldats d’hier, comme si leur existence même était un remords ou peut-être une gêne pour mener à bien une politique qui est, j’aurai le courage de le dire, une politique d’abandon. (…)

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Pourquoi n’avez-vous rien prévu depuis des mois alors qu’il était encore temps et que l’abandon était décidé ? Pourquoi n’avez-vous pas depuis des mois regroupé et protégé tous ceux qui sont désarmés ? Pourquoi avez-vous refusé en Algérie les autorisations de sortie vers la métropole ? Pourquoi avez-vous décidé de refouler hors de notre patrie ceux qui individuellement parviennent jusqu’à Marseille ?Pourquoi menacer de sanctions les officiers qui se sentent jusqu’au bout responsables de la vie de leurs hommes et organisent leur retour vers la France ? (...) Il est encore temps. La France sait être grande et généreuse. Il ne s’agit pas seulement de sauver des hommes, il s’agit dans ce désastre de sauver l’honneur de notre patrie.

c. L’exil des pieds noirs

Loi n° 61-1439 du 26 décembre 1961 relative à l'accueil et à la réinstallation des Français d'outre-mer

Article 1 Les Français, ayant dû ou estimé devoir quitter, par suite d'événements politiques, un territoire où ils étaient établis et qui était antérieurement placé sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France, pourront bénéficier de la solidarité nationale affirmée par le préambule de la Constitution de 1946, dans les conditions fixées par la présente loi.Cette solidarité se manifeste par un ensemble de mesures de nature à intégrer les Français rapatriés dans les structures économiques et sociales de la nation.Ces mesures consisteront, en particulier, à accorder aux rapatriés des prestations de retour, des pres-tations temporaires de subsistance, des prêts à taux réduit et des subventions d'installation et de re-classement, des facilités d'accès à la profession et d'admission dans les établissements scolaires, des prestations sociales, ainsi que des secours exceptionnels.Les programmes de construction de logements bénéficiant de l'aide de l'Etat seront complétés par l'adjonction de contingents supplémentaires de logements pour les rapatriés. Le financement de ces contingents sera imputé sur les ressources dégagées par la loi de finances visée à l'article 4 ci-des-sous.Des indemnités particulières pourront en outre être attribuées aux rapatriés les plus défavorisés qui ne peuvent se reclasser dans l'activité économique, notamment en raison de leur âge ou de leur inva-lidité.Des délais et des aménagements de taux d'intérêt seront accordés aux débiteurs de bonne foi pour le remboursement des prêts déjà consentis par les organismes ayant passé des conventions avec l'Etat.Article 2 Le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, dans les conditions prévues par les alinéas 2 et 3 de l'article 38 de la Constitution et avant le 24 avril 1962, celles des mesures men-tionnées à l'article 1er qui sont du domaine de la loi et relatives aux règles concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l'Etat ainsi qu'aux principes fon-damentaux du droit du travail et de la sécurité sociale.Les ordonnances prises en vertu du présent article seront déposées devant le Parlement pour ratifi-cation au plus tard deux mois après l'expiration du délai fixé à l'alinéa précédent.Article 3 Par décret, le Gouvernement pourra étendre en totalité ou en partie les mesures prises en application de la présente loi à des Français ayant dû ou estimé devoir quitter, par suite d'événements politiques, un territoire non visé à l'article 1er.Un décret en Conseil d'Etat fixera les conditions selon lesquelles pourront bénéficier de certaines ou

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de la totalité des mesures prévues par la présente loi, des étrangers dont l'activité ou le dévouement justifient cette extension et qui s'établissent sur le territoire de la République française.Article 4 Une loi de finances, dont le projet devra être déposé au plus tard le 30 juin 1962, dégagera les ressources complémentaires nécessaires à l'application des mesures prises en vertu de la présente loi et déterminera les procédures selon lesquelles ces ressources seront affectées au financement de ces mesures.La défense des biens et des intérêts des personnes visées aux articles 1er et 3 ci-dessus ainsi que les opérations financières qui en résultent seront assurées par un organisme dont la composition, le fonctionnement et les attributions seront fixés ultérieurement par une loi.Une loi distincte fixera, en fonction des circonstances, le montant et les modalités d'une indemnisa-tion en cas de spoliation et de perte définitivement établies des biens appartenant aux personnes vi-sées au premier alinéa de l'article 1er et au premier alinéa de l'article 3.Le Président de la République : Ch. DE GAULLE.Le Premier ministre, Michel DEBRE.Le ministre délégué auprès du Premier ministre, Pierre GUILLAUMAT.Le ministre des affaires étrangères, Maurice COUVE DE MURVILLE.Le ministre de l'intérieur, Roger FREY.Le ministre des finances et des affaires économiques, Wilfrid BAUMGARTNER.Le ministre du travail, Paul BACON.Le ministre de la construction, Pierre SUDREAU.

d. L’indépendance

Déclaration portant reconnaissance de l’indépendance de l’AlgériePar le référendum du 8 janvier 1961, le peuple français a reconnu aux populations algériennes le droit de choisir leur destin politique par rapport à la République française.Par le référendum du 8 avril 1962, le peuple français a approuvé les déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 qui prévoient le cas où les populations algériennes consultées en vertu de la loi du 14 janvier 1961 choisiraient de constituer l’Algérie en Etat indépendant coopérant avec la France.Par le scrutin d’autodétermination du 1er juillet 1962, le peuple algérien s’est prononcé pour l’indépendance de l’Algérie coopérant avec la France.En conséquence, les rapports entre la France et l’Algérie étant désormais fondés sur les conditions définies par les déclarations gouvernementales du 19 mars 1962, le Président de la République française déclare que la France reconnaît solennellement l’indépendance de l’Algérie.Fait à Paris, le 3 juillet 1962.C. de Gaulle.JORF, 4 juillet 1962, p. 6483.

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4. Mémoires de la guerre

ETUDE : La mémoire de la torture dans la guerre d'Algérie.

Doc 1Des paras allaient et venaient autour de moi, curieux de connaître le « client » de Lo… L’un d’eux, blondinet à l’accent parisien, passa la tête à travers le cadre sans vitre de la porte : « Tiens, c’est un Français ! Il a choisi les ratons contre nous ? Tu vas le soigner, hein, Lo...! »Lo… installait maintenant sur le sol une planche noire, suintante d’humidité, souillée et gluante des vomissures laissées sans doute par d’autres « clients ».[…] « Écoutez, dit-il avec un accent d’Oranie, le lieutenant vous laisse réfléchir un peu, mais après vous allez parler. Quand on pique un Européen, on le soigne mieux que les “troncs”. Tout le monde parle. Faudra tout nous dire et pas seulement un petit morceau de la vérité, hein, mais tout » (…)Brusquement, Ir… me releva. Il était hors de lui. Cela durait trop. « Écoute, salaud! Tu es foutu! Tu vas parler! Tu entends, tu vas parler! » Il tenait son visage tout près du mien, il me touchait presque et hurlait : « Tu vas parler! Tout le monde doit parler ici ! On a fait la guerre en Indochine, ça nous a servi pour vous connaître. Ici, c’est la Gestapo! Tu connais la Gestapo ? » Puis, ironique : « Tu as fait des articles sur les tortures, hein, salaud ! Eh bien ! maintenant, c’est la 10e DP qui les fait sur toi. » J’entendis rire derrière moi l’équipe des tortionnaires. Ir… me martelait le visage de gifles et le ventre de coups de genou. « Ce qu’on fait ici, on le fera en France. Ton Duclos et ton Mitterrand, on leur fera ce qu’on te fait, et ta putain de République on la foutra en l’air aussi ! Tu vas parler, je te dis. » Sur la table, il y avait un morceau de carton dur. Il le prit et s’en servit pour me battre. Chaque coup m’abrutissait davantage, mais en même temps me raffermissait dans ma décision : ne pas céder à ces brutes qui se flattaient d’être les émules de la Gestapo.

Henri Alleg, La question, Minuit, 1958.

Doc 2 : Affiche réalisée par le Comité pour le procès au général Massu, diffusée au début des années 1970, à l'occasion de la parution du livre Ma bataille d'Alger du général Massu, commandant la 10e Division parachutiste pendant la « bataille d'Alger » (© les arts décoratifs/Jean Tholance/akg-images)

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Doc 3Un policier, qui avait compris que le problème de la torture ne me laissait pas indifférent, trancha soudain :- Imagine un instant que tu sois opposé par principe à la torture et que tu arrêtes quelqu’un qui soit manifestement impliqué dans la préparation d’un attentat. Le suspect refuse de parler. Tu n’insistes pas. Alors l’attentat se produit et il est particulièrement meurtrier. Que dirais-tu aux parents des victimes, aux parents d’un enfant, par exemple, déchiqueté par la bombe, pour justifier le fait que tu n’aies pas utilisé tous les moyens pour faire parler le suspect ?Une brève méditation sur cette parabole m’enleva mes derniers scrupules. J’en conclus que personne n’aurait jamais le droit de nous juger et que, même si mes fonctions m’amenaient à faire des choses très désagréables, je ne devrais avoir jamais avoir de regrets.La quasi-totalité des soldats français qui sont allés en Algérie eurent plus ou moins connaissance de l'existence de la torture, mais ne se posèrent pas trop de questions car ils ne furent pas directement confrontés au dilemme [torturer un « suspect » ou laisser se perpétrer des attentats]. Une petite minorité2 d'entre eux l'a pratiquée, avec dégoût, certes, mais sans regrets. Ceux qui contestaient l’usage de la torture étaient évidemment les sympathisants du FLN et quelques idéalistes de métropole ou d’ailleurs qui, s’ils avaient été chargés de faire parler les terroristes, seraient peut-être devenus les inquisiteurs les plus acharnés.

Général Paul Aussaresses, Services spéciaux. Algérie 1955-1957, Perrin, 2001.

Doc 4Au bout de tant d’années, parler de la torture me délivre et me soulage. Mon témoignage3 a provoqué aussitôt un tollé parmi les officiers français qui avaient servi en Algérie. Certains ont reconnu leurs méfaits ; d’autres continuent à les nier, tel Bigeard. C’est finalement le général Massu qui, tout en affirmant ne pas se souvenir de moi, a du moins confirmé la mort de mon sauveur. Il était même prêt à me mettre en contact avec les membres de la famille du docteur Richaud. Ses deux filles se sont manifestées d’une manière fort réservée.Par ce livre, qui fait suite à mon témoignage, je souhaite que la vérité éclate. Je souhaite que les Français sachent qu’en Algérie, entre 1954 et 1962, il ne s’est jamais agi d’une opération de « maintien de l’ordre » ni d’une « pacification ». J’écris pour rappeler qu’il y a eu une guerre atroce en Algérie, et qu’il n’a pas été facile pour nous d’accéder à l’indépendance. (…) Je le dis sans haine.Car les jeunes générations ne savent pas. La grande majorité se fie à l’histoire officielle, actuellement filtrée et aseptisée. Or on ne peut plus éluder ces années tragiques, continuer de mentir par omission à leur sujet. On ne peut plus cacher qu’il y a eu de trop nombreuses exactions, des exécutions sommaires, des « corvées de bois ». Plusieurs milliers d’hommes y ont participé ; d’aucuns n’acceptaient pas ce qu’ils ont vu. Le souvenir en est trop lourd à porter. Athées ou croyants, il les taraude. Je souhaite ne plus jamais entendre parler de tortures morales et physiques.

Louisette Ighilahriz, Algérienne, Fayard Calmann-Lévy, 2001.

2 Beaucoup d’officiers d’active n’ont jamais torturé, tout simplement parce qu’on ne les a jamais mis en situation de le faire. Quant aux appelés, il n’était pas question de leur confier ce genre de besogne.

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Publié dans Le Monde du 20 juin 2000

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Doc 5La guerre d’Algérie présente le cas très exceptionnel d’une armée de conscrits massivement et longuement engagés dans une guerre outre-mer. Toutes les ambiguïtés de la situation de l’Algérie, dans le droit et dans l’imaginaire français, s’y trouvent mêlées. En Algérie, c’est la nation en guerre qui se bat, mais contre un ennemi intime. L’Etat engage ses citoyens dans une lutte contre d’autres membres de la communauté politique : en souverain, il décrète un état d’exception où la frontière entre la violence et le droit se brouille, fruit d’un flottement perpétuel dans la définition de l’ennemi (…).C’est en effet de la caractérisation de l’agression que découlent les modalités des affrontements. L’Etat élabore, dans un même mouvement, la légalité et la légitimité nécessaires pour mener une guerre à l’image de l’ennemi considéré (…). Le risque de désintégration de l’Etat est réel, puisqu’une faille peut toujours intervenir entre légalité et légitimité. Or, avec la torture, on est au centre d’une réalité explosive où l’Etat accepte de se mettre lui-même en danger, pour tenter de se protéger.Raphaëlle Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie. 1954-1962, Gallimard, 2001.

L'émergence des mémoires

Doc 1 : Carte du Service psychologique du commandement des forces armées françaises en Algérie, contenue dans une brochure intitulée Connaissance de l’Algérie, non datée (IHTP, fonds documentaire)

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Doc 2 : Appel pour la manifestation pour commémorer la répression de la manifestation au métro Charonne le 8 février 1962 (http://www.humanite.fr/fil-rouge/le-8-fevrier-50eme-anniversaire-de-charonne)

Doc 3Décret n°62-327 du 22 mars 1962 portant amnistie des infractions commises au titre de l’insurrection algérienne.Art 1er – En vue de permettre l’autodétermination des populations algériennes prévue par la loi du 14 janvier 1961, sont amnistiés :

- Toutes infractions commises avant le 20 mars 1962 en vue de participer ou d’apporter une aide directe ou indirecte à l’insurrection algérienne, ainsi que les infractions connexes ;

- Toutes infractions commises avant le 30 octobre 1954 dans le cadre d’entreprises tendant à modifier le régime politique de l’Algérie ;

- Les tentatives ou complicités de ces mêmes infractions.Journal officiel, 23 mars 1962.

Décret n°62-328 du 22 mars 1962 portant amnistie de faits commis dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre dirigées contre l’insurrection algérienne.Art. 1er – Sont amnistiées les infractions commises dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre dirigées contre l’insurrection algérienne avant le 20 mars 1962.Journal officiel, 23 mars 1962.

Doc 4LOI no 99-882 du 18 octobre 1999 relative à la substitution, à l'expression « aux opérations effectuées en Afrique du Nord », de l'expression « à la guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc »

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Article 1er. L'article L. 1er bis du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre est ainsi rédigé :« Art. L. 1er bis. - La République française reconnaît, dans des conditions de stricte égalité avec les combattants des conflits antérieurs, les services rendus par les personnes qui ont participé sous son autorité à la guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962.« Elle leur accorde vocation à la qualité de combattant et au bénéfice des dispositions du présent code. »Article 2. Le deuxième alinéa de l'article L. 243 du même code est ainsi rédigé :« Ces dispositions sont également applicables aux membres des forces supplétives françaises ayant participé à la guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962 ainsi qu'à leurs ayants cause lorsque les intéressés possèdent la nationalité française à la date de présentation de leur demande ou sont domiciliés en France à la même date. »Article 3. Dans le premier alinéa de l'article L. 253 bis du même code, après les mots : « caractère spécifique », les mots : « des opérations effectuées en Afrique du Nord » sont remplacés par les mots : « de la guerre d'Algérie ou des combats en Tunisie et au Maroc ».

ETUDE : Les mémoires pieds noires

Doc 1 :

« Nous sommes arrivés sur le quai. Une multitude de pieds-noirs attendent l'embarquement. La population qui attend d'accéder au navire est digne et plutôt silencieuse. Enfin, vers midi, nous avons gravi la passerelle les uns après les autres, avec l'allure de personnes endeuillées qui suivent un enterrement ».Lucienne, Alger, 27 juin 1962 citée in Benjamin Stora et Tramor Quemeneur, Algérie 1954-1962. Lettres, carnets et récits des Français et des Algériens dans la guerre, Les Arènes, 2010.

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Doc 2Un ouvrier indigène me mena au nouveau propriétaire, un Arabe de mon âge, long et sec, et d’allure indolente, à qui j’expliquai le but de ma visite et qui me reçut avec amitié. […] Je me disposais à aller chercher mon frère et ma belle-sœur quand ils arrivèrent, timidement. Hé oui! cet Arabe était le propriétaire, le raton qui avait acheté la férule aux fils de l’oncle Jules. Le raton s’exprimait parfaitement en français et offrait de prendre le café chez lui.[…] Pour moi, je m’amusais beaucoup. Tous, les représentants de la race supérieure, les descendants des colons qui avaient retourné, engraissé et fécondé ces terres pour la première fois, nous devions admettre que le destin de la famille foutait le camp, et que les petits-fils des défricheurs étaient devenus cheminots, conducteurs de car, réparateurs de montres, militaires ou écrivains. Les derniers responsables des terres avaient disparu. Les fils de l’oncle Jules s’étaient établis à Alger parce que leurs femmes n’aimaient pas la campagne, et que la campagne n’est plus sûre. Les vrais successeurs des défricheurs étaient les Arabes. Colons, descendez au tombeau : Louise n’en revenait pas. René paraissait accablé. Ces bons ratons achetaient, on leur avait laissé gagner de l’argent, et ils commençaient à rouler sur les routes en voiture, à présent. « Ils achètent toutes les anciennes tractions », m’avait dit René. Je m’en réjouissais parce que les routes dont nous avions tant parlé (« Nous vous avons fait des routes ») leur servaient enfin, comme à nous. Évidemment, René ajoutait qu’ils ne savaient pas conduire et embouteillaient la circulation.

Jules Roy, Mémoires barbares, Albin Michel, 1989.

Doc 3Invariablement me revient en mémoire toujours la même image : l’école de Blad Touaria. Un minuscule village en Oranie où allaient les enfants des fermes alentour. C’était la guerre. Nous nous y rendions dans des voitures à chevaux. Tous les enfants dans une seule classe, depuis la maternelle jusqu’au certificat d’études. (…) Oui, je pense toujours à cette école quand je suis à l’étranger. Je pense à l’instituteur. Il serait fier de moi. Je ne sais même plus son nom. J’ai mis vingt-cinq ans à trouver le courage de retourner là-bas. J’avais peur des fantômes. J’avais peur de me comporter comme une enfant, une de ces petites filles qui ne veulent pas prêter leurs jouets et qui ne s’amusent pas tant elles sont occupées à veiller sur leur propriété : « ça, c’est à moi, c’est à moi, c’est à moi… » Et puis un jour j’ai pris l’avion, j’y suis allée. De la fenêtre de mon hublot, j’ai vu Alger. Les larmes me sont montées aux yeux. On a touché le sol. On roule, on s’arrête, je descends. Tout est différent et pourtant tout est pareil. Je suis chez moi. Quoi qu’il arrive, je serai toujours chez moi ici. C’est une certitude. Une euphorie s’empare de mon être tout entier. Je suis bien, je suis heureuse.Marie Cardinal, L’Inédit, Grasset / Annika Parance éditeur, Paris, 2012.

Doc 4Les membres fondateurs de l’ANPNPA ne se reconnaissent pas dans les associations de rapatriés existantes. (…) Faute de contradiction organisée à l’action de ces associations, les pieds-noirs ont trop longtemps été présentés comme une communauté uniforme qui, après avoir profité du système colonial, serait animée d’une vaine nostalgie de l’Algérie française, et serait hostile à tout rapprochement des deux peuples.L’APNPA a une vision radicalement différente et entend le faire savoir. Ses membres fondateurs sont issus de familles généralement installées de longue date en Algérie, et ont pour la plupart vécus les derniers temps du colonialisme et de la guerre d’indépendance. Ils s’estiment porteurs d’une mémoire qu’ils tiennent à faire partager et dont ils demandent la prise en compte par l’histoire.L’ANPNPA souhaite contribuer à une réconciliation sincère et durable entre français et algériens et inciter les responsables des deux états à adopter une politique d’entente et de coopération fondée sur

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la spécificité des relations franco-algériennes marquées par 130 années de domination coloniale et d’affrontements, mais aussi par une longue fréquentation des peuples.Déclaration d’intention des membres fondateurs de l’Association nationale des pieds noirs progressistes et de leurs amis (ANPNPA)

Doc 5LOI n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriésArt. 1 La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'oeuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française. Elle reconnaît les souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens membres des formations supplétives et assimilés, les disparus et les victimes civiles et militaires des événements liés au processus d'indépendance de ces anciens départements et territoires et leur rend, ainsi qu'à leurs familles, solennellement hommage.Art 4 (supprimé). Les programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite.Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit.La coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l'étranger est encouragée. Journal officiel, 24 février 2005.

Doc 6La guerre d’Algérie continue d’influer sur les attitudes politiques de ce groupe (les pieds-noirs), distinguant les pieds-noirs du reste des Français. Aujourd’hui, le rapport des pieds-noirs à la politique est contrasté. La perte de l’Algérie a eu des conséquences sur leur participation politique. Le traumatisme du rapatriement aurait conduit certains Français d’Algérie a davantage voter, afin de peser sur le jeu politique. D’autres, probablement minoritaires, auraient eu une attitude rigoureusement inverse. Dégoûtés de la politique, ils ne se rendraient plus aux urnes. Les pieds-noirs sont encore nombreux à voter ou à s’abstenir pour des raisons étroitement liées à la guerre d’Algérie.(…) Le passé traumatique exerce aussi une influence sur l’orientation politique des rapatriés. Pour autant, il n’a pas eu pour conséquence d’orienter les rapatriés vers un parti en particulier. Leur vote est multiforme. Il l’était déjà en Algérie. Il continue de l’être aujourd’hui, malgré le rapatriement.Emmanuelle Comtat, Les pieds-noirs et la politique. Quarante ans après le retour, Presses de FNSP,

2009.

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Les groupes porteurs de mémoire

Doc 1 : Daniel Blancou, Retour à Saint-Laurent des Arabes, Delcourt, 2012.

Doc 2On était venu, je crois, par le même bateau.Il m’a précédé à Kimono (une harka).il y resta très peu de temps.Blessé en opération, Carrot.Ce fut mon premier accrochage,quelques jours après mon arrivéedans les rochers de Rivetappelé aujourd’hui Meftah, la clé- souvent cité aussi quand de mauvaises nouvellesnous viennent encore de là-bas.Il était en première ligneil a tout pris,moi j’étais à l’arrièreen bouclagesur un rocher, au-dessus, presque en face.Nous n’avons pas eu à intervenir.Je n’ai pas quitté les jumelles et la radio…

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pour voirpour savoir,c’était la première foiset c’était Carrot.Un hélicoptère est venu le chercherje n’ai plus eu de nouvelles après.C’est là, dans ces rochersc’est ce jour-làque j’ai d’un coup réaliséce qu’était la guerre.C’était donc vrai,cette fois j’y étais bel et bien,on avait fini d’en causerfallait maintenant la faire.J’étais donc bien parti là-basmoi aussi comme les autres.Bernard Gerland, Ma guerre d’Algérie, Golias, 2003.

Doc 3LOI n° 2012-1361 du 6 décembre 2012 relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au MarocArt. 1 La République française institue une journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.Art. 2 Cette journée, ni fériée ni chômée, est fixée au 19 mars, jour anniversaire du cessez-le-feu en Algérie.La présente loi sera exécutée comme loi de l'Etat.Journal Officiel, 7 décembre 2012.

Doc 4La guerre d’Algérie fait bien partie de ces grands drames fondateurs, et cela doublement : de façon ouverte en Algérie, où elle a été présentée pendant trente ans comme l’essence même de la légitimité du pouvoir ; de façon cachée en France, où elle structure en profondeur la culture politique française contemporaine.D’un côté, elle appartient à ce registre des affrontements franco-français, où l’imaginaire national prend l’habitude de confier ses blessures ou ses légendes. Mais à la différence de l’affaire Dreyfus ou de l’épisode vichyssois, si propices à la représentation d’un passé toujours inachevé, la séquence algérienne ne semble pas fonder une légitimité de circonstance. Ici, point d’hypothèses réconciliatrices, de reconstructions consensuelles, aucune généalogie d’une culpabilité collective. Dans ce pays, où les guerres de Vendée sont encore des discordes contemporaines, on cache ce passé tout récent. Tout un ensemble subtil de mensonges et de refoulements organise la « mémoire algérienne ». Et cette dénégation continue à ronger comme un cancer, comme une gangrène, les fondements mêmes de la société française.De l’autre côté de la Méditerranée, un refoulement symétrique mine la société algérienne : l’histoire officielle oublie toujours des pans entiers de la guerre de libération. En Algérie, le mot « révolution » est utilisé pour caractériser cette période-fracture. Mais il s’agit d’une révolution sans visage, puisque les noms des principaux acteurs du nationalisme algérien ont été effacés : on donne

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à voir un peuple anonyme, unanime derrière le FLN, appuyant une armée victorieuse sur le terrain militaire.Pour les Français, une « guerre sans nom » ; pour les Algériens, une « révolution sans visage » : un des plus durs conflits de décolonisation de ce siècle n’a vraiment jamais été « assumé » des deux côtés.

Benjamin Stora, La gangrène et l’oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, La Découverte, 1991.

ETUDE : La mémoire des bidonvilles et de l’immigration

Doc 1 : Le bidonville de La Folie à Nanterre le 21 octobre 1961 © Guy Aguiraud

Doc 217 octobre18 h 30. Je me trouve à La Folie. Je vois hommes, femmes et enfants partir en masse, comme si toutes les baraques s’embrasaient. Cependant, les familles sortent du bidonville sans affolement, les unes derrière les autres, d’un pas résolu. Les regards sont impressionnants, on y discerne l’appréhension. (…)Les habitants de La Folie s’en vont manifester contre le couvre-feu. Certes, chaque Algérienne, chaque Algérie mesure la gravité de la situation. Qui ne redouterait une réaction, en prenant un tel risque, dans le climat qui règne déjà ? Mais ils n’en peuvent plus. (…)A Nanterre, avenue de la République, le cortège prend forme au fur et à mesure qu’il s’achemine en direction de Paris et que viennent s’y joindre les Algériens des autres bidonvilles. Rond-point de La Défense, je regarde cette marée humaine qui débouche de partout. Des artères arrivent toujours plus de manifestants, venant de Courbevoie, Puteaux, La Garenne, Bezons, Colombes… (…) D’un pas rapide que rien ne semble pouvoir endiguer, scandant par instants des slogans mais, le plus souvent, défilant dans un impressionnant silence, par vagues successives, d’innombrables Algériens marchent, impavides. Ils sont des milliers et des milliers qui avancent, raides de détermination. Ils veulent faire savoir au peuple de Paris qu’ils conquerront, coûte que coûte, leur indépendance. Sur les bas-côtés, j’entrevois les membres du service d’ordre FLN qui canalisent cette immense foule empreinte d’une très grande dignité. Elle déferle, en rangs serrés, vers l’entrée de la capitale. Vision saisissante

Monique Hervo, Chronique du bidonville. Nanterre en guerre d’Algérie, préface de François Maspero, Le Seuil, 2001.

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Doc 3 : Laurent Maffre, Demain, demain. Nanterre. Bidonville de La Folie. 1962-1966, Acte Sud / Arte éditions, 2012.

Doc 4La particularité des bidonvilles de Nanterre tient à la forte présence des familles, encore peu nombreuses dans l’immigration algérienne à cette date. Une partie d’entre elles, originaires de Khenchela dans les Aurès, de Kessabia dans le Constantinois ou de Maghnia en Oranie, ont fui la guerre et les camps de regroupement dans la précipitation. D’autres, en provenance d’El Oued dans les Territoires du Sud, d’Oujda et de Casablanca au Maroc, viennent rejoindre le « chef » de famille parti quelques années plus tôt travailler en France et qui n’a pu trouver d’autre logement. Les premières familles sont arrivées au milieu des années 1950. En 1961, 2 000 « isolés » (beaucoup ont déjà été relogés dans les foyers Sonacotral) et quelque 800 familles sont répartis dans la dizaine de bidonvilles de cette commune de la banlieue rouge.(…) Les terrains sont envahis par la boue qui stigmatise les habitants en collant à leurs chaussures ; les fontaines qui ne fonctionnent plus sont remplacées au compte-gouttes et avec réticence par la

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municipalité, obligeant les habitants à faire la queue parfois deux heures pour remplir leurs bidons (…). Le bidonville de La Folie – le plus grand – est le plus isolé et le moins équipé. Le ramassage des ordures n’y est pas assuré. On y trouve cependant, comme dans d’autres bidonvilles, des commerces alimentaires, des cafés et quelques artisans coiffeurs. Les hommes travaillent dans les usines et les entreprises de construction de la région, voire comme cantonniers pour la municipalité ou la préfecture de la Seine. Les enfants sont scolarisés dans les écoles voisines. Les femmes, pour la plupart, connaissent un grand isolement.

Muriel Cohen : « Les bidonvilles de Nanterre » in Benjamin Stora et Linda Amiri (dir.), Algériens en France. 1954-1962 : la guerre, l’exil, la vie, Autrement, Cité nationale d’histoire de

l’immigration, Paris, 2012.

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