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PERSPECTIVE ÉCOSSAISE BULLETIN DU SUPRÊME CONSEIL GRAND COLLÈGE R É A A G O D F 33 148/149 AMHG

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PERSPECTIVE ÉCOSSAISE

B U L L E T I N D USUPRÊME CONSEILGRAND COLLÈGER ∴ É ∴ A ∴ A ∴G ∴ O ∴ D ∴ F ∴

33

148/149A M H G

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PERSPECTIVE ÉCOSSAISE

148— PAGE 5 —

PERSPECTIVE ÉCOSSAISE

149— PAGE 181 —

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http://sog1.free.fr/

vous découvrirez la page ci-contre qui est le site du Suprême Conseil,Grand Collège du Rite Écossais Ancien Accepté – Grand Orient de France.

Très fréquenté, ce site est la base d’une information constamment actualisée, à la disposition de tous ceux qui apportent une attention soutenue

au Rite Écossais Ancien Accepté et à ses activités.

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Tubaldin, Pythagore et Philolasd’après la Theorica musicale de Franchino Gaffurio

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B U L L E T I N D USUPRÊME CONSEILGRAND COLLÈGER ∴ É ∴ A ∴ A ∴G ∴ O ∴ D ∴ F ∴

148A U T O M N E 2 0 0 7P R I N T E M P S 2 0 0 8

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Crédits photographiques :Couverture : Archives départementales, Bordeaux.Pages 74-80 : Collection particulière, D.R.

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01

SOMMAIRE N° 148

GRAND CONSEIL D’AUTOMNE ET GRAND CHAPITRE D’AUTOMNE 2007

• État des Officiers du S∴C∴ pour l’année 2007-2008.......................... 11

• Questions mises à l’étude 2008-2009................................................... 12

Grand Conseil d’Automne du 4 septembre 2007

• Colonne d’harmonie........................................................................... 15

• Discours d’ouverture du T∴P∴S∴G∴C∴ Alain de Keghel, 33e......... 17

• Synthèse des rapports sur la question posée : « La vie en société se nourrit d’exigences éthiques et morales. Dans une époque où « tout se vaut », comment est-il possible de proposer une morale ? »Rapporteur le T∴Ill∴F∴ Jean-Claude Rauch, 33e M∴A∴S∴C∴ .... 23

• Discours du Grand Orateur adjoint, Yves Le Bonniec, 33e M∴A∴S∴C∴ ............................................................................. 31

Grand Chapitre d’Automne du 4 septembre 2007

• Colonne d’harmonie........................................................................... 39

• Discours d’ouverture du T∴P∴S∴G∴C∴ Alain de Keghel, 33e......... 41

• Synthèse des rapports sur la question posée : « Si l’on considère l’ensemble des degrés maçonniques du 15e au 18e inclus, quel enseignement cohérent peut-on y trouver ? »Rapporteur le T∴Ill∴F∴Yves Hivert-Messeca, 33e M∴A∴S∴C∴ ............................................................................. 47

• Discours du Grand Orateur Pierre Piovesan, 33e .................................. 61

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La vie du S∴C∴, G∴C∴R∴E∴A∴A∴ – G∴O∴D∴F∴

• Rapport d’activité 2006-2007 ............................................................. 69

• Rapport financier de l’année 2006 du Grand Trésorier le T∴Ill∴F∴ Gérard Filippi, 33e M∴A∴S∴C∴ ................................ 77

• Nécrologie : T∴Ill∴F∴ Octave Germany .............................................................. 82T∴Ill∴F∴ Maurice Zavaro................................................................ 85

Fenêtre ouverte : un regard sur le monde

• Discours du T∴P∴S∴G∴C∴ Alain de Keghel en clôture du R.M.I. à Strasbourg........................................................................ 89

• Traité d’amitié entre le Suprême Conseil du R∴E∴A∴A∴du Luxembourg et le Suprême Conseil, Grand Collège du R∴E∴A∴A∴ - G∴O∴D∴F∴ .................................................. 103

• Traité d’amitié entre le Suprême Conseil du R∴E∴A∴A∴de Belgique et le Suprême Conseil, Grand Collège du R∴E∴A∴A∴ - G∴O∴D∴F∴ .................................................. 104

• Traité d’amitié entre le Suprême Conseil du R∴E∴A∴A∴de Hongrie et le Suprême Conseil, Grand Collège du R∴E∴A∴A∴ - G∴O∴D∴F∴ .................................................. 105

Dialogues

• Modernisme, relativisme et Franc-maçonnerie par Bernard Moisy, 33e .......... 109

• Morale et éthique : du Juge au Juste par Marc Tapie, 33e............................. 115

• La parole du Maître Secret par Alain Frederick, 32e.................................. 121

• Qu’est-ce que la connaissance ? par Jacques Narbonne, 32e ........................ 127

GRAND CHAPITRE DE PRINTEMPS 2008

• État des Officiers du Suprême Conseil pour l’année 2007-2008........... 137

• Questions mises à l’étude des Ateliers pour l’année 2008-2009 ............ 138

Grand Chapitre de Printemps mars 2008

• Colonne d’Harmonie.......................................................................... 139

• Discours d’ouverture du T∴P∴S∴G∴C∴ Alain de Keghel, 33e......... 141

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• Rapport de synthèse sur la question posée : « Comment le Chevalier Rose-Croix peut-il assurer le triomphe de la justice sans susciter la haine ? » par le T∴Ill∴F∴ Jean-Paul Fardet, M∴A∴S∴C∴ ............................ 151

• Discours du Grand Orateur du Suprême Conseil, le T∴Ill∴F∴ Pierre Piovesan.............................................................. 157

Dialogues

• Un 12 e degré paradoxal par R. Morel-Chevillet...................................... 165

• Le Pélican, étude d’un symbole par Dimitri Arsenakis............................... 171

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01

OFFICIERS DU SUPRÊME CONSEIL 2007-2008

Très Puissant Souverain Grand CommandeurAlain de KEGHEL

1er Lieutenant Commandeur Jean-Robert RAGACHE 2e Lieutenant Commandeur Francis ALLOUCH

Grand Orateur Pierre PIOVESAN Grand Chancelier - Garde des Sceaux Christian DANIOU

Grand Trésorier - Grand Hospitalier Gérard FILIPPI Grand Capitaine des Gardes Jean-Pierre CORDIER

1er Grand Maître des Cérémonies Jacques OREFICE 2e Grand Maître des Cérémonies Alain NATALI

Grand Orateur Adjoint Yves LE BONNIEC Grand Chancelier Adjoint Jacques RAMBAUD

Grand Trésorier Adjoint,Grand Hospitalier Adjoint

Hervé NORA

Grand Capitaine des Gardes Adjoint Pierre NABET

11

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QUESTIONS MISES À L’ÉTUDE DES ATELIERSPOUR L’ANNÉE 2008

Grand Chapitre de Printemps 2008 :Samedi 15 mars 2008

« Comment le Chevalier Rose Croix peut-il assurer le triomphe de la Justice sans susciter la haine ? »

Envoi des travaux à la Chancellerie pour le 31 décembre 2007.

_____________

Grand Chapitre d’Automne 2008 :Mardi 2 septembre 2008

« Les valeurs qui sous-tendent l’Ordre sont Universelles, estimons-nous. Dans notre culture les rituels permettent de les activer, pensons-nous.

Comment le rituel de Chevalier Rose-Croix en particulier pourrait-ilse transformer pour servir toutes les cultures ? »

Envoi des travaux à la chancellerie pour le 31 mai 2008.

_____________

Grand Conseil d’Automne 2008 :Mardi 2 septembre 2008

« Trois couronnes symbolisent trois pouvoirs dont le Chevalier Kadosh doit surveiller, stigmatiser et combattre les moindres abus et déviances.

Ces trois symboles sont-ils nécessaires et suffisants aujourd’hui ? »

Envoi des travaux à la Chancellerie pour le 31 mai 2008.

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GRAND CONSEIL D’AUTOMNES A L O N S D E L’ AV E Y RO N • 4 S E P T E M B R E 2 0 0 7

Aigle bicéphale

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COLONNE D’HARMONIE

Prélude à la cérémonie et musiques d’attente :• Jean-Sébastien Bach (1685-1750) : Concertos Brandebourgeois

Entrée du T∴P∴S∴G∴C∴ et du S∴C∴ :• Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Der Weihe des Hauses (Ouverture)

Ouverture des Trav∴ (Déambulation des GG∴JJ∴) :• Ottorino Respighi (1879-1936) : Adagio con variazione pour violoncelle et orchestre

Après l’allocution du T∴P∴S∴G∴C∴ : • Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n o 3 (3e mouvement – Lustig)

Après le rapport sur la question d’Automne :• Henry Purcell (1659-1695): Funeral music for the Queen Mary (Canzona)

Après les conclusions du Grand Orateur :• Cinquantième anniversaire de la mort du F∴Jean Sibelius (1865-1957) : Le Roi Christian II (Sérénade)

Sortie du T∴P∴S∴G∴C∴ et du Suprême Conseil :• Modeste Moussorgski (1839-1881) : Boris Godounov (Couronnement de Boris)

Pour tout renseignement concernant l’œuvre, le compositeur ou les références d’enregistrement, s’adresser au F∴ Jean-Claude JACQUET,Bibliothèque André Doré, 16 rue Cadet, 75009 Paris

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Gaffurio dissertant, d’après Franchino Gaffurio de harmonia musicorum instrumentorum, 1518

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DISCOURS D’OUVERTURE DU T∴P∴S∴G∴C∴

DU GRAND CONSEIL D’AUTOMNE 2007

Dignitaires qui siègez à l’Est,TT∴Ill∴ et BB∴AA∴FF∴,Vous tous mes BB∴AA∴FF∴ Chevaliers Kadosh,

Pour cette rentrée de notre Grand Conseil d’automne, j’ai choisi de vousentretenir des mutations des idées et de nos idéaux : Ambition réaliste contredémesure.Les mutations intervenues, et en cours chaque jour plus vite, dans les idéescomme dans nos sociétés ont-elles enlevé toute valeur au legs et donc à ladémarche maçonnique ?Les pistes de réflexion entendues ici ou là, faisant volontiers fi du passé commede l’architecture traditionnelle de l’Ordre maçonnique en revendiquant enparticulier, pour les systèmes de hauts grades, le rôle et la posture de « laboratoired’idées » de la République n’exposent-elles pas les responsables des Juridictionsqui prennent ce pari au grief de l’intrusion anachronique prétentieuse ouprésomptueuse dans une sphère qui ne leur appartient pas ? Ou autrementformulé, quelle légitimité aurions-nous collectivement à devenir les « Maîtres àpenser » de l’Obédience ? Serait-ce bien sain et raisonnable ? Même si l’habillageprésente avantageusement la démarche, ne devons-nous pas nous interroger surla vocation collective des Maçons ayant choisi de cheminer dans leur progressionau-delà de la Maîtrise à se mettre activement au service de la politiqueobédientielle dans ses domaines régaliens traditionnels ?N’y a-t-il pas là un risque d’intervention, sinon d’intrusion, qui rende lesfrontières floues et les concepts élastiques ? L’outrecuidance ferait-elle partie dela mutation non pas des idées mais de mœurs ?Car enfin, il est patent que le champ obédientiel est clairement circonscrit etqu’il relève de la légitimité conventuelle alors que les systèmes des Hauts Grades

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auraient tout à perdre en mélangeant les genres. L’histoire du GODF nousenseigne à quelles conséquences ces postures ont pu conduire dans le passé.J’ouvre une parenthèse à ce sujet, rappelant au passage et au titre de notreexigence de clarté, que nous demeurons fondamentalement hostiles aux défilésde dignitaires des Hauts Grades en Tenue de clôture des Convents du GrandOrient de France et que nous l’avons écrit au Président du Convent. Seul lesouhait de ne point paraître insultants, ni de nous exposer à une exploitationhostile nous a conduits, à regret, à nous plier à un nouvel usage déplorable quirelève de la gesticulation à rapprocher du sujet qui nous occupe aujourd’hui.C’est Kierkegaard qui écrivait déjà en 1835 : « Ce qui me manque au fond, c’est devoir clair en moi, de savoir ce que je dois faire, et non ce que je dois connaître, sauf dansla mesure où la connaissance précède toujours l’action »... Et le philosophe de pour-suivre : « Quel profit aurais-je de dénicher (une vérité) soi-disant objective, de me bourrerà fond des systèmes des philosophes et de pouvoir, au besoin, les passer en revue : quelprofit... de pouvoir développer une théorie de l’État, et avec des détails tirés de toutes parts,de combiner une totalité – allusion évidente à HEGEL – pour construire un monde ».Si l’idéalisme est mensonger, alors serait à entreprendre une révision desévaluations qu’il est parvenu à s’imposer : l’échelle des valeurs est à renverser.Nietzsche avait établi la distinction entre deux morales ; d’un côté la morale deshommes et des races nobles, dit-il, celle des forts, des « maîtres », celle qui a régnéaux grandes époques de la Grèce et de Rome puis a fait une réapparition sous laRenaissance ; de l’autre, la morale des êtres faibles, la morale judéo-chrétienne,la morale humaniste égalitaire des démocraties modernes, bref la morale que les« esclaves » ont réussi finalement à faire adopter par leurs Maîtres eux-mêmespour se protéger contre eux. Démarche philosophique pour le moins osée. Il y a fort à parier que si Nietzsche avait pu voir les charniers et les horreurs des camps d’extermination, sorte d’aboutissement ou d’exploitation de salogique philosophique dont se sont réclamés les nazis – une logique diaboliquesi finement analysée par Jonathan Littell dans son roman « Les Bienveillantes » –il aurait dit à l’instar d’Einstein et de la bombe A : « Je n’ai pas voulu cela ».D’ailleurs, dans son adieu à Zarathoustra, ne laisse-t-il les esprits libres de choisirleur chemin lorsqu’il dit à ses disciples : « Il y a mille sentiers qui n’ont jamais étéparcourus. L’homme et la terre des hommes n’ont pas encore été découverts et épuisés ».Et il leur ordonne de perdre le chemin tracé pour se retrouver eux-mêmes.Cette philosophie de la vie humaine aussi différente, ô combien différente decelle de l’Ordre maçonnique et de notre voie « écossaise » n’a-t-elle pas, pournous, cependant un relent initiatique qui nous interpelle ? C’est Albert Camusqui estimait que si le monde est absurde, il ne dépend que des hommes de seconstruire, au sein de ce monde absurde, un monde humain, qui soit vivable

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pour tous. En somme, un humanisme actif et généreux auquel il a donné dansLa Peste une expression où son art atteint à la vigueur et perfection classiques.Si, comme nous Maçons le pensons collectivement et je dirai consubstantiel-lement, la liberté est fondement de toutes les valeurs, ne devons-nous pasreconnaître que des principes trop abstraits échouent lorsqu’il s’agit de définirl’action ? Car la liberté n’est pas une affirmation vide et gratuite. Penser, c’est prendre la responsabilité totale de ce que l’on pense. Dans notre démarche,nous ne devons avoir aucun mal à faire notre cette sentence d’Alain : « Touteconnaissance est bonne au philosophe, autant qu’elle conduit à la Sagesse ».En un temps où l’intelligence collective est non seulement objet de recherchesuniversitaires et scientifiques, mais sans doute aussi en ce XXIe siècle mondialisénotre plus grande richesse, il est évident que, nous Maçons, avons vocation à être, non seulement auteurs, mais aussi prescripteurs, organisateurs de lamémoire. Médiateurs en somme. Plutôt que de s’égarer dans des constructions et débats où l’on est en droit de s’interroger sur notre compétence comme sur notre vocation à le faire, n’avons-nous pas, en revanche, une chance nouvelleà saisir qui est celle de nous inscrire dans cette accélération mondiale del’intelligence collective active? Notre capital principal – et il s’agit bien là d’unemutation majeure des idées, mais aussi des capacités de communication sansprécédent – ce capital c’est qu’on est capable de faire et que l’on fait. Le dévelop-pement, bien qu’encore modeste de notre site du Suprême Conseil est la priseen compte d’une réalité importante : la valeur ajoutée est dans la connaissancepartagée. C’est pourquoi nous disions il y a un instant que nous sommes, avecd’autres et sans quelque autre prétention, prescripteurs et organisateurs de lamémoire. Car nous avons pris conscience de l’importance des métadonnées quiconstituent l’un des grands enjeux de notre temps en permettant d’augmenterl’intelligence collective.Nous sommes en effet habités par la conscience humaniste et la volonté decommuniquer nos expériences les plus difficiles à partager. Notre Chaîned’Union universelle écossaise, riche et forte de ses diversités, nous place toutnaturellement au cœur de ces défis de la pensée qui ambitionne de créer unsystème de coordonnées de l’espace sémantique permettant, comme le dit PierreLevy, Professeur à l’Université d’Ottawa, de « repérer l’inconnu, de calculer desdistances entre significations ». Cela ne fabriquera pas des idées nouvelles, maisindiquera des rapports inaperçus et des virtualités. L’intelligence collectivecoordonnera l’espace sémantique comme a été coordonné l’espace terrestre.Cette approche nous est familière puisqu’il n’y a pas de point de vue privilégié,les idéologies, les dogmes, les doctrines devenant de simples projectionsparticulières. Ce qui nous a toujours prioritairement importé se retrouve dans

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cette nouvelle approche : connecter la société du savoir avec le développementhumain.Il s’agit de nous mettre plus que jamais au service du développement del’Homme et de la Société pour un développement intégral qui englobe tous les aspects de la société. Ainsi conçue, l’intelligence collective, fruit d’uneglobalisation du village planétaire, est bien source de développement humain.Une transmission féconde de la connaissance qui ne se réduit pas seulement àla tradition consciente, ni à l’éducation, mais qui passe par une grande variétéde voies et de vecteurs en s’inscrivant dans une trame idéale. Nous retrouvonsici l’idéal de Perfection ambitionné dès le XVIIIe siècle par nos ancêtrespionniers du Rite Ecossais.Il est bien connu que nul n’est prophète en son pays... Et nous pourrionsdécliner cet adage en le parodiant au niveau obédientiel. C’est que contrairementà ce que l’on croit trop souvent, les mots étant bien la dernière chose sur quoil’on parvienne à s’entendre... chez les Maçons, à l’évidence, la situation est parfoismême pire qu’ailleurs.Les divergences entre les significations qu’ils attribuent à un même terme selonle rite auquel ils ont choisi d’appartenir, constituent non seulement une cause principale de leurs altercations, mais aussi la source même de bon nombrede leurs réflexions, si j’en juge par les postures des contempteurs duR∴E∴A∴A∴. C’est qu’en réalité nous nous situons résolument dans deschamps de réflexion, des perspectives et des objectifs profondément dissem-blables, alors même que le point de départ était le même. Au point que l’onserait en droit de s’interroger sur ce qui demeure commun une fois énoncés lesprincipes fondateurs de l’Ordre. Dans ces conditions l’observateur ne sera guèresurpris de constater que le titre de Maçon, auquel s’adjoignent des qualificatifs,finit par s’apparenter à un oxymore, c’est-à-dire une alliance de mots contra-dictoires. Ce qui conduit le terme, à force d’être mis à toutes les sauces, à devenirle référent majeur d’une assez terrifiante psychologie des conduites. Ne disais-je pas ici même, il y a un an : « les apparences seraient-elles une promesse ? Ou aucontraire recèleraient-elles des illusions ? » Aujourd’hui, je crains que nous en soyonsencore à cette deuxième hypothèse et que donc il soit opportun de dire : « Encore un effort mes FF∴ ».Il ne vous aura pas échappé que si j’ai choisi de partager avec vous quelquesrapides réflexions sur les mutations des moyens, des idées et nos idéaux, j’ai prisgrand soin de ne point tomber dans le travers des idées à la mode comme j’euspu le faire en citant André Comte-Sponville, au hasard. En réalité, ceux d’entrevous qui avez la chance ou la malchance de vivre à Paris, savez d’expériencecombien de débats, de colloques de haut niveau ont été consacrés ces dernières

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années sous les auspices du Suprême Conseil à la confrontation des idées avecl’univers profane qui nous baigne. Cet univers il ne s’arrête pas à nos positionsnationales, ni même européennes. Nous sommes devenus tout naturellementarpenteurs inlassables d’un monde en perpétuelle mutation, mais d’une mutationen accélération toujours plus rapide. Confrontés à ces bouleversements, nousaurions pu être de simples naufragés anonymes face à ce qui aurait aussi pu nousapparaître comme un grand puzzle désassemblé. Dans l’âpreté d’un mondeimpitoyable, nous ne souhaitons pas nous exonérer des interrogations intimes,filles de notre pensée libre. Notre exigence est celle des Chevaliers Kadosh qui,ayant le goût de la connaissance, l’aspiration à la Sagesse et vocation à l’action,n’ont de cesse de cerner l’indicible et ne baissent pas la garde dans un perpétueleffort de veille toujours sous-tendu par la probité morale. À ce titre, nousrefusons avec la dernière énergie la fatalité d’une transformation des relationsinterhumaines en liens naturels ou mécaniques. Ce qui dans le contexte de lapensée marxiste consisterait à considérer les faits sociaux comme des faits denature : la « RÉIFICATION », traduction de l’allemand « Verdinglichung »s’accompagnerait d’une dévalorisation et d’une instrumentalisation d’autrui, toutsouci d’humanité finissant par se perdre pour déboucher sur une « pathologiesociale » pour reprendre une définition du sociologue allemand Axel Honneth.Quelle est l’originalité de notre démarche donc ? J’oserai affirmer ici, sans recoursexcessif à la mythologie maçonnique, que tout en préservant la consciencecollective d’un héritage remontant à la nuit des temps dans l’inconscienthumain, nous voulons mettre notre pensée, nos pensées, à l’épreuve du « tempsprésent ». Nous le faisons en nous penchant sur l’avenir avec le concours d’unepédagogie éclairante de détenteurs d’un savoir qui nous accompagnent dansnotre propre effort d’appréhension des modes de pensée nouveaux. Nous avonsla qualité d’écoute qui n’est pas seulement une question d’oreille, mais surtoutnotre disponibilité intellectuelle et philosophique à entendre. Ainsi, réalisons-nous chaque jour un peu mieux qu’il n’y a plus dans le monde d’aujourd’huide modèle dominant, mais une multiplication de modèles. La nécessité des’adapter aux changements de plus en plus rapides, exige des temps de latencede plus en plus courts et rapides, mais gardons-nous, et ce sera le mot de la fin,de faire nôtres les modèles qui émergent mais ne résistent pas à l’examen de laprobité morale.

Alain de Keghel, 33e

T∴P∴S∴G∴C∴

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01

GRAND CONSEIL D’AUTOMNE 2007 RAPPORT DE SYNTHÈSE

« La vie en société se nourrit d’exigences éthiques et morales. Dans une époque où « toutse vaut », comment est-il possible de proposer une morale ? »

Très Puissant Souverain Grand Commandeur, Très Illustres Frères, et vous, mes Bien Aimés Frères Chevaliers Kadosh,

J’avais, à l’origine, rédigé une synthèse dans un esprit assez différent, mais une catastrophe informatique l’ayant anéantie la semaine dernière, j’en ai profitépour suivre les recommandations de notre Très Puissant Souverain GrandCommandeur, qui préférait que fût présenté un rapport suivant au plus près les travaux exécutés par nos Conseils philosophiques et, par là même, plus fidèleà tous les arguments avancés.Je ne m’arrêterai ni aux étrangetés rédactionnelles, ni aux sempiternellesquestions sur la question, ne gratifiant pas celles-là du jugement de Baudelaire– qui qualifie « cet élément inattendu, l’étrangeté, de condiment indispensable de toutebeauté » – et sachant, concernant celles-ci, que les ratiocineurs préfèrent sedemander, sans fin, « pourquoi la question », en dilatoire réponse au « pourquoi » dela question. En revanche, je consacrerai un instant à l’expression du regret den’avoir reçu que quarante contributions de nos soixante-cinq Aréopages ; 40%d’abstentionnistes, le premier semestre de l’année 6007 ne nous avait pas préparésà une aussi faible participation. Fort heureusement, le pourcentage de travaux de qualité est incomparablementsupérieur, ce qui a facilité l’exécution du devoir de vacances, que constitue,annuellement, la rédaction du rapport mais, également, accentué le regret den’en avoir pas reçu davantage, même si nous avons attendu jusqu’au mois dejuillet pour en terminer le récolement.

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Je suivrai donc fidèlement, dans mon rapport, le plan retenu, de façon quasiunanime, par nos Ateliers et reprenant l’énoncé mot à mot : « La vie en société senourrit d’exigences éthiques et morales. Dans une époque où « tout se vaut », commentest-il possible de proposer une morale ? »

Après avoir défini la société et décrit la vie à l’intérieur de celle-ci, les Conseilsphilosophiques n’ont pas résisté à l’envie de disserter longuement sur « moraleet éthique », et il faut, au passage, souligner que, s’il n’appartient pas à notreJuridiction, le lexicographe, Alain Rey, exerce une influence significative sur nostravaux avec, parfois, le concours de notre vieux Frère Littré et, plus rarement,celui de Larousse et Universalis. Heureusement, Furetière est passé de mode etl’Académie française, qui n’est peut-être pas encore parvenue à la lettre M, n’estpas une référence forte dans nos temples.D’Aristote à Comte-Sponville, de Saint-Paul à Ricœur, de Spinoza à Nietzche,de Descartes à Hannah Arendt, on trouve de riches développements sur lesconvergences et les différences, l’étymologie et l’histoire, les définitions et lesfinalités de la morale et de l’éthique.L’expression «dans une époque où tout se vaut » a suscité des interprétationsextrêmement différenciées, voire divergentes.Certains Conseils, négligeant volontairement les guillemets, ont traité la formuleau premier degré et ont alors débattu de la justesse de l’assertion.Les conclusions sont, fort heureusement, unanimes : « tout ne se vaut pas », unedictature de type nazi ne vaut pas une démocratie même imparfaite, le dernierrap à la mode ne se juge pas à l’aune de La Flûte enchantée.Dans la grande majorité des cas, cependant, la proposition a été retenue commel’expression d’un certain désenchantement à combattre, un relativisme à étudierde près, pour en tirer les conclusions compatibles avec les valeurs que nousdéfendons, c’est-à-dire pour proposer une morale, avec toutes les interrogationsqui surgissent alors et enrichissent les conclusions de tous les travaux.

LA VIE EN SOCIÉTÉ

La littérature n’est pas avare des exploits de naufragés, volontaires ou non, vivanten solitaires des aventures d’autant plus passionnantes qu’elles représententl’exacte antithèse de ce que l’homme vit en société.De tout temps, en effet, l’homme a vécu en groupes organisés et hiérarchisés ; ilvit en société, dans une société au sein de laquelle la famille, l’école, la religionont véhiculé des valeurs humaines et spirituelles, qui constituaient une basepermettant à l’homme de faire des choix « en son âme et conscience ».

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Un Aréopage donne cette définition excellente, même si elle est un peupessimiste : « Qu’est-ce que la vie en société sinon, a priori, l’établissement et le maintiende liens qui font, qu’au-delà des contraintes (Sartre ne disait-il pas : « l’enfer, c’est lesautres »), les humains peuvent se reconnaître comme tels ? Or, cette notion du lien,actuellement compris comme condition de cohésion (est symptomatique, à cet égard, lacréation d’un ministère de la cohésion sociale) semble revêtir les oripeaux d’un compromis. Sans noircir le trait, où trouver ces exigences éthiques et morales dans un monde où lesinnombrables outils de communication sont conçus pour incorporer le lien à la sociétémarchande ? » Pessimiste mais pas erroné !

ET QUE SONT CES EXIGENCES ÉTHIQUES ET MORALES ?

La question a engendré des débats d’une richesse incommensurable, c’estmanifestement un domaine de dilection des Chevaliers Kadosh, dans lequel ilest difficile de tracer le chemin médian où tous se retrouveraient. Cependant, les positions ne sont jamais éloignées au point de devenir incompa-tibles, et c’est dans ce contexte que je vous propose deux séries de définitions,au demeurant assez nuancées pour donner une vision stéréoscopique du paysageoù nous évoluons.Pour un Conseil, la morale serait l’ensemble des actions et des valeurs, quifonctionnent comme norme dans une société ; toutes les règles de conduiteétablies, proposées ou imposées aux hommes appartenant à une même commu-nauté de destin. Elle demanderait un effort de volonté pour les réaliser.La mise en pratique de ces règles conduit à une organisation sociale, qui seconcrétise par l’établissement d’un ordre. Cependant, cet ordre est essentiel-lement énergétique, il est issu de la pensée, il procède de l’esprit et se fonde surl’intelligence et la raison. Il serait l’énergie de cohésion de la société.Pour ce même Conseil, l’éthique serait le besoin, le souci, l’exigence et laréflexion philosophique individuels, qui pourraient amener l’homme à accepter,légitimer, définir et proposer aux autres des règles et des principes moraux. Ce serait la partie théorique de la morale.Pour un autre Conseil, la morale, tout d’abord, en tant que science du bien etdu mal, est le fondement d’un certain nombre de règles de conduite, ques’impose une société donnée, à un moment donné de son histoire, en fonctionde sa propre conception de la morale. Il n’existe pas de morale universelle etintemporelle. La morale est contingente. Chaque organisation humaine, quelque soit son fondement politique, philosophique, social ou religieux, définit son champ de compréhension et d’application de sa morale. Et cette définitionest variable dans le temps : le Frère Voltaire a écrit le traité de tolérance dans le

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cadre de l’affaire Calas, mais son sens de la morale n’a pas été choqué de fairefortune, grâce à la traite des noirs.Notons encore que, par éthique, certains entendent tout ce qu’on fait par désirou par amour, autrement dit, spontanément et sans aucune contrainte des’adapter au réel. L’éthique peut alors se définir comme la doctrine du bonheurdes hommes et des moyens d’accès à cette fin.L’éthique est une doctrine du bonheur, tandis que la morale est une doctrinedu devoir.Nous est offerte une élégante sentence en forme d’adage de Loisel : « Le droitdécide, la morale commande, l’éthique recommande ».

DANS UNE ÉPOQUE « OÙ TOUT SE VAUT »

Ainsi, notre vie en société se nourrit-elle d’exigences éthiques et morales. Peut-on dire, par ailleurs, que nous vivons « dans une époque où tout se vaut » ?Pour quelques Frères, la locution « tout se vaut » peut signifier : tout mériteconsidération, tout vaut la peine qu’on en parle, qu’on s’y arrête. Il est alorspossible de regarder de façon objective, voire tolérante, ce qui se passe dans lasociété, de se poser des questions sans renoncer, d’avance, à agir pour contribuerà l’amélioration de la dite société.Mais la grande majorité des Frères n’ont pas cette vision idyllique. Ils s’accordentà reconnaître une crise des valeurs. Or, des référents éthiques, des repères moraux ne peuvent s’accepter que s’ilssont fondés sur des valeurs communes, impliquant la reconnaissance de devoirsassumés par chacun. Et nous constatons bien, à l’échelle sociale, le repli, le retourà une attitude contraire au désir d’universalisme, manifesté par les phénomènesde communautarisme, d’intégrisme et de tribalisme, selon la formule de RégisDebray : « il y a mondialisation des objets et tribalisation des sujets ».« Tout se vaut » ressortit au relativisme, fort bien commenté par de nombreuxConseils. Un relativisme ambiant conduirait même parfois au nihilisme, avancel’un d’entre eux, qui poursuit :Le relativisme est une philosophie très souvent spontanée, qui a pour effet defaire équivaloir toutes les opinions et, par conséquent, toutes les valeurs. Onentend souvent dire que tout est relatif, pour signifier que toutes les opinions sevalent, car toutes s’expliquent du point de vue d’une personne, en fonction deson éducation, de son époque, de sa culture.Une vérité n’est pas une vérité dans l’absolu, mais seulement du fait de lapersonne qui l’énonce et y croit.Ce relativisme sévit dans tous les domaines, esthétiques, culturel, moral, etc.

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Ainsi la conception sociologique de la culture a pris le pas sur la conceptionphilosophique. Pour Alain Finkielkraut, cité par un Conseil, « ce dont la culture est en train de périr,c’est de n’exister qu’au sens que lui donnent les sciences humaines : plus de valeurs maisdes phénomènes culturels, tous dignes du même intérêt (ou d’une égale incuriosité) ; plusd’universel, mais des univers homogènes et séparés, des styles nationaux, ethniques ougénérationnels, entre lesquels il serait malséant et rétrograde de faire le tri. Bref, ce n’estpas la servitude qui menace la culture en occident, c’est l’indifférenciation : le remplacementde la beauté et de la vérité comme valeurs suprêmes par le principe, en apparence tolérantmais en réalité mortel, du TOUT SE VAUT. » Féroce mais pas erroné et justifiantcette phrase de Jacques Julliard, dénonçant dans une de ses récentes chroniques« le primat généralisé de la dérision, à l’image d’une époque qui voit dans l’avilissement desêtres et l’abaissement de l’aventure humaine, le dernier mot de la lucidité ».Au sein de ces sombres pensées, jaillit une petite lueur bienfaisante d’un Conseilqui écrit : « Il convient de remarquer que, si la place de la morale et son respect ne sontplus aussi déterminants que par le passé, pour bâtir les échelles de valeur, si les notions debien et de mal, qui fondent la morale, varient selon les circonstances, variation ne signifie pasforcément nivellement et, s’il y a nivellement, il n’est pas obligatoirement régressif,notamment quand il s’agit d’affirmer qu’une vie d’homme vaut n’importe quelle autrevie d’homme ». Mais la lueur est trop faible pour dissiper les ténèbres. La crainte, l’angoisse, lapeur du lendemain, la violence favorisent l’émergence de nouveaux mythes.Beaucoup ne font plus la distinction entre le monde tel qu’ils le voient, lemonde tel qu’il leur apparaît ou tel qu’il leur est présenté. La loi de la jungle estdevenue, pour certains, une règle commune de vie. Il faut donc concevoir unemorale partageable par tous les hommes, donc universelle mais compatible avecune éthique de libération de l’individu, une morale laïque, qui se garde à la foisdu manque de repères moraux et des ordres moraux religieux. Cela relève de lagageure, tous les Aréopages le reconnaissent mais sont prêts à relever le défi.Cependant, tous posent la question :

COMMENT EST-IL POSSIBLE DE PROPOSER UNE MORALE ?

L’enjeu est d’importance, car l’humanité navigue aujourd’hui entre les Charybdeet Scylla de la vie en société : • sur une rive, le relâchement qui conduit à toutes les exactions, au nom d’uneprétendue liberté, qui ravive la force de l’avertissement de Lacordaire : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, c’est la liberté qui opprime, c’est la loi quilibère » ;

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• sur l’autre rive, tous les extrêmes qui, au nom de lois civiles, militaires oureligieuses, provoquent les oppressions, contre quoi doit toujours se dresser leChevalier Kadosh.Si la prévention du risque n’est pas une de ses obligations premières, celui-ci a,cependant, tout intérêt à contribuer à l’élaboration d’un monde qui permette àl’humanité de s’épanouir dans la sérénité.Ici, les flots d’interrogations sont totalement convergents et charrient toutes nos questions, celles qui se posent, en permanence, sur nos colonnes, à quelque degré qu’on travaille : devons-nous proposer une morale ? une morale à vocationuniverselle ? le peut-on ? le doit-on ? Les Chevaliers Kadosh sont bien de vraisMaçons, mais qui en aurait douté ? Un point de vue semble partagé par tous : il s’agit de proposer, non d’imposer.Oui, mais toujours, quelle morale ?« Chaque collectivité a sa morale, nous appartenons à une collectivité, nous héritons de samorale ; il y avait une morale des Gaulois, une morale des Aztèques » rappelait leprofesseur Marcel Conche.Mais dans ses Dialogues sur les contes de fée, Anatole France constatait, il y a unsiècle déjà, que « la morale change avec les mœurs. Elle diffère dans tous les pays et nereste nulle part dix ans la même ».À un moment où la mondialisation devient une réalité prégnante, qui s’imposeà tous et dans tous les domaines, à un moment où la valeur des idées, des choseset des gens tend, sinon à se niveler, du moins à ne plus s’estimer qu’en termesmarchands, pire mercantilistes, devant l’érosion des reliefs, que représentent cesexigences éthiques et morales, dans une époque « où tout se vaut », commentnous est-il possible de proposer une morale, à nous qui prétendons à l’universelet à la durée ?« Si la Franc-maçonnerie a pour objet, entre autres, l’étude de la morale, si elle travaille àl’amélioration morale de l’humanité, pour autant est-il dans son rôle de proposer unemorale ? » lance un Conseil philosophique. Il poursuit : ce n’est pas parce que lamorale est un de ses sujets de prédilection, qu’elle se trouve, face aux dérives dessociétés, dans l’obligation d’en proposer une. Cela supposerait que l’ensemblede l’Humanité fonctionnât sur un seul et même modèle, celui-ci étant le modèleproposé par les Francs-maçons.Cette hypothèse d’universalisme accompli est-elle réaliste, peut-on lire encore,alors que tant de différences, pour ne pas dire de divergences, subsistent dansl’univers maçonnique lui-même ?Est-ce que cette attention particulière à tout ce qui touche à la morale, exclutd’emblée l’interrogation sur ce que doit faire la Franc-maçonnerie dans cedomaine, avant de se préoccuper du comment ?

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La Franc-maçonnerie doit rappeler qu’une société ne peut fonctionner qu’enrespectant les valeurs qui fondent la morale, et quelles sont ces valeurs, enprécisant celles qui peuvent avoir un rôle plus important, dans une époquecaractérisée par certaines dérives. Si elle a un message à faire passer, c’est celui de l’existence de valeurs de naturesdifférentes et qu’il existe une hiérarchie entre elles.Mais ce rappel ne l’autorise pas à s’ériger en défenseur de la pratique de lamorale ; c’est aux institutions, qui régissent les sociétés humaines, de fairerespecter les règles sociales, qui découlent de cette morale qui les inspire.La Franc-maçonnerie peut, en revanche, par le travail serein et studieux dans sesloges, identifier les carences, les inadaptations, voire l’obsolescence de certainesrègles, par rapport aux évolutions de la société, repérer les dérives et les porterà la connaissance de tous.Au mieux, la Franc-maçonnerie est un témoin privilégié des mœurs de sonépoque et porte son regard au travers d’un filtre constitué de valeurs universelleset intemporelles.Ayant établi le constat, il appartient, alors, aux Francs-maçons de prendre leursresponsabilités dans la société profane.

CONCLUSION

Je ne suis pas sûr que les sept mille Frères du Grand Orient de France, qui ont la faveur de travailler au Rite Écossais Ancien Accepté, dans les Ateliers duSuprême Conseil, évaluent, avec mesure et humilité, la force de proposition etde persuasion qu’ils peuvent représenter, tant au sein de notre Obédienceprimordiale qu’au sein de la société profane.Non qu’il s’agisse de brandir cordons et étendards, mais simplement,humblement, de peser, à tout moment, du poids de notre volonté de travailler àl’amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social de l’humanité,bref de répandre au-dehors les vérités acquises à l’intérieur de nos Temples.Dans Les Misérables, Victor Hugo prête à Marius, réagissant à son désespoir, cepropos : « Il vient une heure où protester ne suffit plus ; après la philosophie il faut l’action ; la force vive achève ce que l’idée a ébauché ; Prométhée enchaîné commence,Aristogiton finit ; l’Encyclopédie éclaire les âmes, le 10 août les électrise. Après Eschyle,Thrasybule ; après Diderot, Danton ».Le Chevalier Kadosh ne peut rester dans la seule spéculation philosophique, il lui faut montrer son courage et sa volonté de faire bouger le monde, tant il aconscience que celui-ci part dans une direction qui s’éloigne de valeurs qu’ildéfend.

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Mais nos mythes, nos symboles, nos outils sont-ils ceux de l’action ? Quelle est lanature de notre courage ? Découvrant ce grade, à un âge où la rigueur mentale, nourrie d’expérience,supplée la vigueur physique, parfois altérée par les ans, le Chevalier Kadosh nesaurait exciper de son ancienneté pour faire prévaloir ses vues. C’est parl’exemple, par l’exemplarité de ses comportements, qu’il contribue àl’amélioration de l’humanité, par la diffusion d’une culture civique, laïque,support des hautes valeurs républicaines, qu’il peut redonner plus de sens à notrevie de tous les jours.Francs-maçons, nous sommes solidaires et avons le culte de la chaîne d’union,qui nous vient du passé et tend vers l’avenir. L’amour fraternel nous permet de n’être pas ces sédentaires du cœur, quefustigeait, dans La Citadelle, Saint-Exupéry, quand il affirmait : « Ceux-là quin’échangent rien ne deviennent rien ».Mais veillons à traduire, dans la société, ces idéaux et ces valeurs, qui nourrissentnotre vie de Franc-maçon.« L’homme est créé pour agir et non pour ratiociner, mais précisément à cause de cela, ilpréfère la ratiocination à l’action » écrivait notre Frère Lessing qui ajoutait, dans sesDialogues maçonniques : « Les raisons d’agir sont comme les rouages d’une machine. Plusil y en a, plus la machine est fragile ».Ce n’est certainement pas une raison pour renoncer à l’action, bien au contraire.Il faut savoir agir sans toujours prétendre voir aboutir.

« Fais ce que dois, advienne que pourra ».

Jean-Claude Rauch, 33e

M∴A∴S∴C∴

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DISCOURS DU GRAND ORATEUR ADJOINT DU SUPRÊME CONSEIL

Les Grandes Tenues d’automne telles qu’aujourd’hui, ont, entre autres avantages,celui de nous permettre de nous ressourcer, ensemble, de reprendre, ensemble,certains des aspects de nos principes, de nos valeurs. Le R∴E∴A∴A∴ est telque, quel que soit le grade auquel nous travaillions, chaque tenue est l’occasiond’ouvrir une fenêtre sur un aspect de ce qui forme au total tout simplementnotre vie d’homme.Vivre, c’est philosopher nous a-t-on déjà dit plusieurs fois. Sans doute. Quel bienbeau mot que celui-ci : philosopher ! Encore faut-il s’entendre vraiment sur cequ’il représente : au moins réflexion, recherche, notamment de la sagesse...Le 30e degré a ceci de particulier, c’est qu’il nous intime l’ordre de vivre dansce monde et d’y accomplir une mission, d’être des « chevaliers », preux et vaillantsdéfenseurs de la liberté, et de la vérité...Il y a deux ans, dans un rapport de Grand Chapitre sur la « Parole perdue », jem’étais attardé sur ce passage :« (La quête de la Vérité doit passer par le) dire vrai, contre les dogmes étouffants et lesempirismes falsificateurs.Le problème du langage en loge est extrêmement important, et il est essentiel de ne pas yparler la langue, convenue et biaisée, du monde profane. Il faut s’ouvrir en employant un langage vrai qui corresponde à l’authenticité des sentiments, à la limite de l’intime. Sile langage vrai n’est pas employé, la Parole est perdue... Ne pouvant être ni de purs esprits,ni des anges, ni des dieux, essayons au moins de devenir des hommes vrais. »J’ai l’impression que les temps que nous vivons nous éloignent de plus en plusde ce « dire vrai ». De quelque coté que je me tourne, je ne vois que duplicité,mensonge, tromperie.Pardonnez-moi cette question qui peut vous sembler saugrenue dans notrecontexte d’aujourd’hui, mais croyez-vous un seul instant aux tonnes de publicitédéversées chaque jour dans notre entourage ? Sans doute non, me direz-vous.Autrefois on appelait cela « la réclame ». En fait, il est clair que tout n’y est quefaux semblant, duperie, voire appel à la magie. C’est sans doute nécessaire pour

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le « Marché » ! Mais, allons ! Personne n’y croit ! En sommes-nous sûrs ? Car sipersonne n’y croyait cela ferait beau temps qu’on serait passé à autre chose...Anecdote, direz-vous, je ne le pense pas ; car l’exploitation de la crédulitéhumaine n’est finalement qu’un avatar de l’obscurantisme – religieux ou non –que dénonçaient les Lumières il y a trois siècles. Le matériel ayant pris le pas surle spirituel, la société de consommation étant devenue ce qu’elle est, même sitout cela peut nous paraître bien dérisoire, nous ne pouvons l’accepter car c’estla manifestation d’une véritable gangrène moderne de notre société. Par la magiedes medias, n’importe quel gourou – qu’il soit religieux, politique, économique– peut proclamer sa vérité. Manipulation, conditionnement, voilà les maîtresmots. Nous sommes bien loin de la recherche de la Vérité que nous noussommes assignés en pénétrant dans ce temple.Les problèmes de cette planète, petits ou grands, mondiaux ou régionaux quiont été portés à notre connaissance dans les dernières semaines ne sont, chaquejour, que de nouveaux exemples de cette dérive de la communication entre leshommes, qui n’est plus que la justification permanente de pouvoirs, que ceux-ci soient politiques, économiques, ou financiers. Alors que la mondialisation de la communication, la volatilité et l’immédiatetéde l’information reposent en fait sur la confiance, tout simplement, nous nepouvons que constater que ce monde en fait marche sur la tête car chaque jour,cette confiance est trompée, agressée, violentée. Et cette duperie s’exerce aumoins à deux niveaux : une première fois au niveau des acteurs eux-mêmes, unedeuxième fois à celui des médias ensuite.Car la communication, ceci n’est une révélation pour personne, a depuislongtemps remplacé l’information.J’ai cherché, sans le retrouver, un des propos d’Alain où il parlait (dans les années30 déjà !) du « ministère de la persuasion »... Occuper la place, empêcher lesesprits de se reprendre, de réfléchir, les empêcher d’analyser, de comprendre ; lesbousculer au nom d’une soi-disant efficacité.Tout cela n’est encore une fois que mensonge, tromperie, hypocrisie, manipu-lation, conditionnement. Le mal absolu n’est jamais que le bien qu’on veutimposer à l’autre.

C’est donc tous les jours que les C∴K∴S∴ que nous sommes sont interpellésdans leurs convictions, leurs principes et leur raison d’être. Car nous ne pouvonsnous soustraire de ce monde, même si parfois la tentation est grande, au moins,de « couper le son ». Mais ce serait là évidemment une fuite, pour oublier ladéception, échapper au monde et en fait, le nier. Cette attitude de refus, denégation, me paraît incompatible avec celle du Maçon qui «adhère» (au sens

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strict) pleinement au monde, quitte parfois à le transformer (du moins à essayer).L’attitude du C∴K∴S∴ face à cela peut se résumer, comme toujours enquelques mots : Savoir, Comprendre, Agir. Résister à tout asservissement de lapersonne, de la pensée, de l’esprit. Combattre l’oppression et l’injustice. Celapeut paraître simple a priori.Simple sans doute de dénoncer, après coup, les manquements aux principesproclamés par ailleurs, les défis à l’éthique, politique ou non, voire l’abandon detoute morale au profit d’un cynisme à peine récusé officiellement.Il convient certes d’être lucide et de se poser, entre autres, d’abord, la questionde la distance entre information et connaissance. Celle-ci est approfondissement,réflexion, analyse. Mais, comme le dit Paul Ricœur, l’information elle-mêmen’est jamais innocente; raconter, c’est déjà expliquer. Par ailleurs, le monde, danssa complexité, est loin d’être ce grand western auquel certains souhaiteraientnous faire croire, avec des beaux forcément bons et des affreux forcémentméchants.Dans mon introduction, en rappelant ces propos de Grand Chapitre, je disais : « essayons au moins de devenir des hommes vrais ». Qu’est-ce qu’un homme vrai ?L’enseignement maçonnique nous apparaît, dès l’origine, comme un appel aulibre examen, une volonté de mise en question, fondamentale. Le but ultimeétant la recherche de la Vérité.Mais, la Vérité, c’est d’abord voir les choses telles qu’elles sont et non commeelles apparaissent, ni comme on voudrait qu’elles soient. Permettez-moi mes frères, à ce stade de citer saint Augustin. Ne craignez rien,je n’ai jamais été attiré par la patristique. Néanmoins il dit ceci : « Il ne s’agit pastant de chercher la vérité que de se faire vrai (verum facere se ipsum) ». Rousseau ne dit pas autre chose : « S’il faut être juste pour autrui, il faut être vrai poursoi. C’est l’hommage de l’honnête homme à sa propre dignité ».

Je pense que nous sommes au cœur de la question.Dans une perspective maçonnique et plus particulièrement celle duR∴E∴A∴A∴, la recherche de la vérité est liée à une attitude de moraleindividuelle. Avant d’exiger la vérité chez les autres, encore faut-il se faire soi-même vrai.Se faire vrai, c’est d’abord miser sur la sincérité, l’authenticité, la transparence.Nous ne sommes peut-être pas (pas encore !) dans le réel. Nous ne cherchonspas à convaincre de notre vérité. Nous apportons seulement notre témoignagede maçon C∴K∴S∴, éventuellement notre exemple, contribution à l’évolutiondu monde. Par ailleurs, se faire vrai implique une action sur soi-même : effort etvolonté. Nous n’avons rien à proclamer, sinon notre recherche de la vérité et

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notre refus de tout asservissement de l’esprit. Et ce n’est pas facile, car nous ne serons jamais sûrs d’être suffisamment authentiques, d’être suffisamment « transparents ».La Maçonnerie tout entière, et plus particulièrement celle des Hauts Grades, estd’abord une prise de conscience des problèmes fondamentaux qui se posent àl’homme, et notamment ici, aujourd’hui, des problèmes de société, de viecollective.Un illustre ancien Grand Commandeur, E.F. Chabannes disait : « Il n’y a pas dedevoir plus immédiat pour l’homme que celui qui consiste à faire de son comportement à l’égard des autres une source de paix ». Comment être source de paix sans se fairevrai ?Le 30e degré est tout entier un appel à la responsabilité, personnelle, duC∴K∴S∴. La sainteté étant écartée, le but ultime est : Connaissance et Sagesse.Celui qui ne s’efforce pas d’être vrai, ne peut rechercher la vérité, et, s’il leprétend, il se ment à lui-même et aux autres. Contre l’illusion, le mensonge, latricherie, l’important, pour le C∴K∴S∴, c’est la vérité éprouvée comme vie,donc comme exigence perpétuellement renouvelée pour lui-même.Notre Frère Bernard Besret, écrivain et philosophe, notait, il y a quelques temps,au début d’un de ses livres : « Je suis en quête d’une plénitude de sens pour ma vie etnon de règles à observer ».Nous pourrions la compléter par cette pensée de Confucius : « Sois maître de toi-même et tu ne connaîtras pas l’erreur ».Se faire vrai n’est sans doute pas facile. Cela implique une connaissance et unemaîtrise de soi, qui a su sinon éliminer, du moins assumer cette part d’ombreque nous portons tous: erreurs de nos sens, défaillance de l’intellect, mais aussiet surtout, tendance à modifier notre propre vérité pour la faire coïncider avecnotre idéal, ou plutôt ce que nous voudrions qu’il soit. La tentation estpermanente et il est souvent difficile d’y échapper. Où finit la ruse et oùcommence le mensonge ? Est-il toujours aussi facile qu’il le paraît de distinguerle rêve de la réalité ? Je pense à ce philosophe chinois qui rêve qu’il est unpapillon, « Le papillon que je suis, dit-il, volette en toute liberté, butinant de ci de là sansplus de contrainte que l’air lui-même. Mais au moment où je me réveille est-ce toujoursle philosophe qui rêve qu’il est un papillon, ou le papillon qui se croit philosophe ? ».La raison d’être du maçon n’est pas une foi irréfléchie et indémontrable maisau contraire une évidence immédiate et incontournable : le besoin que leshommes ont les uns des autres. Vérité première qui fait que je suis d’autant plusun être humain que j’établis de relations avec les autres êtres humains. J’ai déjàdit en d’autres lieux que, si je considérais Robinson Crusoë comme un boningénieur, j’estimais qu’il n’était redevenu un homme véritable que le jour où

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il avait rencontré Vendredi. D’où la trahison fondamentale que représentent lebiais et la duperie dans les relations humaines.La confiance (strictement, l’échange commun de la foi) ne peut reposer que surla sincérité des relations, sur l’authenticité des échanges.Etablir une relation authentique, sans ambiguïté, avec les choses, les autres,l’univers, Dieu éventuellement, à partir d’une relation authentique avec soi-même, tel est le seul but de notre présence en ce monde.La sincérité intégrale est-elle une folie ? Elle est sans doute comme la vérité unbut dont on n’est jamais vraiment sûr de l’avoir atteint. Encore une fois c’estuniquement dans l’évaluation du rapport avec l’autre qu’on peut juger de sapropre sincérité.Il est certain que le dire vrai comporte des limites : car l’énoncé tend à fixer et àjuger, sans appel. Tel n’est pas notre but. Au contraire, se faire vrai, essayer d’êtrevrai, est comme nous l’avons dit plus haut, le résultat d’une volonté, voire d’unelutte contre soi-même, en tout cas d’une perpétuelle remise en question. Carnous savons que l’absolu, surtout en matière de comportement et de morale,n’existe pas. Permettez-moi, à nouveau, de faire appel à Paul Ricœur. Il a développé uneformule : celle de « l’agir éthique » qu’il divise en trois temps :– Le moment (interne) de l’éthique, c’est-à-dire la visée de la vie « bonne »– Le moment (externe) de la morale, recherche de normes à caractère obligatoire– Le moment de la sagesse pratique qui articule la seconde sur la première sousforme d’une dialectique de soi, et de l’autre. « Viser la « vraie vie » avec et pourl’autre dans des institutions justes ».D’où la fragilité du politique, lien entre la responsabilité de l’homme et larecherche de la justice. Etant donné la vulnérabilité essentielle de l’humain et lafragilité des institutions de la justice, le politique (« milieu d’accomplissement de la viebonne ») ne peut être sauvé que par la vigilance du citoyen, pur produit, pourtant,du politique. Même si nous ne saurions résumer cet aspect de la pensée de Ricœur en troislignes, j’estime qu’elle peut être source de méditation pour les C∴K∴S∴ quenous pensons être.Enfin, penser vrai, dire vrai, se faire vrai, être vrai, n’est-ce pas finalement essayerde s’accorder avec ce qui est. Essayer de rechercher, dans nos relations commedans l’accomplissement de notre mission d’homme sur cette terre, l’harmonie,la jonction entre l’Amour de la Vérité et l’Amour de l’Humanité ?Le C∴K∴S∴ est sans illusion mais sans faiblesse. Même si l’action n’est pasfacile elle doit être engagée et menée. Il ne peut oublier sa mission de mainte-neur et propagateur des acquisitions successives de l’esprit qu’il a incorporé par

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un effort persévérant et progressif. Enfin et surtout, il doit prêcher l’exemple.Sans oublier que la sagesse se vit, et que vivre, c’est se mesurer au monde...

Yves Le Bonniec, 33e

Orateur adjoint

D’un pôle à l’autre, l’homme est une respiration permanente, Engagement dans l’histoire des hommesRecentrage sur l’intériorité de l’être,De la tension entre les deux pôlesSurgit l’homme,En plénitude.

(Bernard Besret. Esquisse d’un évangile éternel )

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Le PélicanEmblème de Jacob Boschius, Symbolographia, 1702.

GRAND CHAPITRE D’AUTOMNEZ É N I T H D E P A R I S • 4 S E P T E M B R E 2 0 0 7

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01

COLONNE D’HARMONIE

Prélude à la cérémonie et musique d’attente :• Joseph Haydn (1732-1809) : Symphonies Parisiennes

Entrée du T∴P∴S∴G∴C∴ et du S∴C∴ :• Georg-Philipp Telemann (1681-1767) : Passion selon saint Marc (Sinfonia)

Pendant la reprise des travaux (déambulation des 2 GG∴GG∴) :• Piotr-Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Symphonie n o 1« Rêve d’hiver » Andante)

Entre chaque accueil de délégations (musique d’attente)∴ :• Ottorino Respighi (1879-1936) : Villanelle• Marin Mersenne (XVIIe siècle) : Aria

Entrée des délégations :• Ludwig van Beethoven (1770-1857) : Triple Concerto pour violon, violoncelle et piano (Larghetto)• Henry Purcell (1659-1695) : Ode pour l’anniversaire de la Reine Mary• Jacques Offenbach (1819-1880) : Duos pour violoncelles

Entrée du Président du Conseil de l’Ordre et de la délégation du G∴O∴D∴F∴ : • Roland de Lassus (1532-1594) : Beatus Vir

Après l’allocution du T∴P∴S∴G∴C∴ :• W.-A. Mozart (1756-1791) : Lucio Silla (Ouverture)

Remise de la patente au T∴Ill∴F∴ du S∴C∴ d’Espagne :• Anonyme espagnol (XVIIe siècle – arrgt J. Savall) : La Folia (par Jordi Savall)

Après le rapport sur la question d’automne :• Anatole Liadov (1855-1914) : Danse (extraite des « Huit Chansons russes »)

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Pendant la remise des médailles :• Heinrich Biber (1644-1704) : Rosarium Sonaten (Chaconne)

Après l’allocution du porte-parole des délégations étrangères :• Luigi Boccherini (1743-1805) : Passa Calle

Après l’allocution du Président du Conseil de l’Ordre du G∴O∴D∴F∴ :• Joseph Haydn (1732-1809) : Trio no 43 en Ut Majeur (Presto)

Après les conclusions du Chev∴ d’Eloq∴ :• Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : Les Indes Galantes (Air des Sauvages)

Sortie du Président du Conseil de l’Ordre et de la délégation du G∴O∴D∴F∴ ainsi que des délégationsétrangères et des différents rites :• L. van Beethoven : Quintette pour hautbois, trois cors et basson (Adagio)

Sortie du T∴P∴S∴G∴C∴ et du S∴C∴, puis, sortie générale :• Piotr-Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) : Symphonie no 5 en mi mineur (Finale)

Pour tout renseignement concernant l’œuvre, le compositeur ou les références d’enregistrement, s’adresser au F∴ Jean-Claude JACQUET,Bibliothèque André Doré, 16 rue Cadet, 75009 Paris

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DISCOURS D’OUVERTURE DU T∴P∴S∴G∴C∴

DU GRAND CHAPITRE D’AUTOMNE 2007

T∴R∴G∴M∴ Président du Conseil de l’Ordre et mon T∴C∴F∴ Jean-Michel,Et vous mes TT∴CC∴FF∴ Membres de la délégation du Conseil de l’Ordre,TT∴PP∴SS∴GG∴CC∴ etDignitaires des Juridictions amies qui siégez au Sanctuaire,Vous tous mes BB∴AA∴FF∴ Chev∴Rose+Croix,

Il a été beaucoup question ces derniers temps de « rebond ». Comme si après lavague de la « déclinologie » et par phénomène d’osmose entre la vie politiqueet ses environnements, dont le nôtre, une porosité, sinon une fongibilité quasiinévitables faisaient en sorte que des processus contagieux se déclenchent. Sinous devons nous garder des modes éphémères par définition – et de celles depenser en particulier, qui nous départiraient de notre bien le plus précieux, celuide la liberté de pensée – ne devons-nous pas néanmoins être attentifs à desévolutions des modes de faire qui, avec ou sans nous, s’imposent ? Combien defois faudra-t-il rappeler que nous sommes, et combien, confrontés à unenvironnement planétaire en pleine mutation ? Oui, nous ne pouvons nier lamondialisation. Nous n’avons guère d’autre choix que d’ouvrir nos regards, nosesprits et nos cœurs, comme notre entendement, à un monde qui n’est assuré-ment pas et définitivement plus seulement celui de notre petit Hexagone ? Maisjusqu’où cela doit-il nous y conduire ? Voilà le véritable questionnement. Nous avons des options qui sont fondamentales et il ne saurait être question d’yrenoncer sauf à y perdre notre âme.Si nous devions pêcher par incapacité à conduire une réflexion collectiverénovée, mais qui ne renie pas pour autant, tout au contraire, les valeurs qui

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fondent la démarche humaniste, généreuse et fraternelle, nous en paierionsbientôt le prix fort. Ce dont il s’agit ici, c’est d’avoir l’ouverture à l’appréhensionde nouveaux enjeux. Il nous faut savoir inventer une voie pour le XXIe sièclerépondant aux défis de la globalisation tant de la Société Civile que de l’universmaçonnique. En comprenant cela, nous retrouverons, espérons-le, cette part audialogue qui nous obligera à sortir de notre monologue, que nous l’admettionsici ouvertement, trop franco-français et, osons le dire, autocentré depuis troplongtemps sur des certitudes doctrinales dont nous devons bien admettre qu’ellesn’ont pas de portée universelle. Pas plus que n’en n’ont ailleurs celles d’institu-tions maçonniques qui dans d’autres périmètres se considéraient perpétuellementinvesties d’une vocation à régenter l’univers maçonnique. Nous pourrions direen simplifiant les choses : à chacun son credo ! Eh bien, non, nous n’avons pas ànous réclamer d’un credo.Ce n’est pas en récitant avec ou sans frénésie, mais avec conformisme spirituel,les principes qui nous ont permis aux XIXe et XXe siècles d’avoir une certainepart aux avancées sociétales, que nous nous ancrerons dans notre siècle. Ni quenous nous positionnerons pour prendre part à celles qui se préparent ou sontdéjà en gestation. Il ne suffit pas de nous poser en militants d’idéaux qui ontattesté de leurs vertus dans la République, que nous consoliderons ce qu’il nousappartient aujourd’hui, dans une société en quête de sens, de conforter les idées.Les marchandises, les capitaux, les hommes circulent plus librement que jamais !Le monde s’en trouve nouvellement façonné et nous ne pouvons feindre del’ignorer. La noblesse de notre obligation est bien de prendre ces bouleverse-ments en compte pour proposer notre part de réponse, je dirai ici avec FOI,Espérance et Charité. Que cela nous plaise ou nous déplaise, il en est bien ainsi.En paraphrasant André Malraux et en transposant son aphorisme, d’ailleurscontesté, sur le XXe siècle, risquons-nous aujourd’hui à affirmer que : « LaMaçonnerie du XXI e siècle sera véritablement ouverte et planétaire ou ne sera plus ». Il ne suffit plus de se réfugier dans une mythologie, même si elle a ses vertus, etde confondre héritage de la tradition et finalité de la démarche initiatique. Notreobligation est bien de nous investir dans la construction d’un nouveau monderéel avec les outils qui sont les nôtres et en sachant reléguer là où elles méritentde l’être les médiocres, subalternes et mesquines attitudes qui lestent et lèsentun Ordre initiatique méritant mieux que cela. Il faut, au contraire, rendre àchacun la légitime fierté d’avoir, au travers de l’initiation, sa part à un effortd’élévation de l’Homme et de la Société. Nous n’avons de cesse d’exalter cesprincipes dans nos rituels du R∴E∴A∴A∴ qui s’avèrent être des outils inoxy-dables pour ceux qui font leurs les vertus d’un Rite dont la lente progressionest certes exigeante et même si exigeante que certains s’en détournent. Mais

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c’est aussi un gage d’excellence vers laquelle nous ne devons jamais désespérerde tendre.Il ne nous faut surtout pas perdre de vue que l’imprécation péremptoire ne faitrien avancer et qu’elle discrédite au contraire ceux qui en sont porteurs.L’humilité doit aussi guider chacun de nos pas ambitieux pour inventer uneapproche toujours plus chaleureuse et fraternelle de ceux qui ne pensent pasnécessairement comme nous. Et ils sont les plus nombreux. Ayons-en la totalelucidité. Affirmer cette volonté relève d’ailleurs de la tautologie car, par définition« réunir ce qui est épars » suppose une vision ouverte et tolérante ; une capacitéd’écoute respectueuse et de véritable dialogue qui devraient être emblématiquesde notre démarche initiatique. Dès lors raisonner en maçonnerie en termes depouvoir, au sein même de ce bel Ordre, plein de noblesse, n’est-ce pas le premierpêché d’orgueil fatal ? Notre Ordre ne rassemble pas de tels bataillons et encoremoins de divisions pour se permettre très longtemps de survivre dans l’ignorancefeinte de réalités têtues d’un monde multipolaire et mais globalisé tantmaçonnique que profane.Notre ambition doit être clairement d’être une caisse de raisonnement et pas derésonance. Nous devrons être l’un des pôles de référence de cet univers et nousle pouvons comme en atteste la politique annoncée depuis quelques années par notre Suprême Conseil et nos Ateliers du Grand Collège du R∴E∴A∴A∴du G∴O∴D∴F∴. Les Tenues Blanches Fermées auxquelles nous convions desintervenants faisant autorité dans la Société civile constituent un courant deconvergences et d’échanges qui nous prémunissent d’un nombrilisme stérile. J’aiune pensée ici en particulier pour notre ami, le philosophe Delacampagne,récemment passé à l’Orient éternel, qui nous a souvent soutenus dans notrepolitique et qui était venu présenter en Tenue sa thèse sur « L’invention duracisme ».Si certains s’en offusquent de notre ambition, c’est qu’ils ont une singulièreconception de notre Ordre. Car en agissant de la sorte, nous nous enrichissonsde l’expertise de ceux qui ont la connaissance avérée d’une parcelle de ce savoirde plus en plus pointu et segmenté, indispensable à l’appréhension des enjeuxcontemporains les plus significatifs.Par-delà, nous sensibilisons ces acteurs, philosophes, penseurs, économistes,écologistes, scientifiques et responsables de l’action publique aussi, à l’utilité qu’ils ne percevraient pas nécessairement, sans cela, à se frotter à notre démarchephilosophique.Pour faire dans l’expression contemporaine, je dirai : c’est du « gagnant gagnant ». Les enjeux écologiques, ceux du changement climatique, mais aussi ceux sociaux, médicaux, scientifiques, de la bonne gouvernance, du

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développement équitable comme des flux migratoires et économiques, bref toutce qui interpelle notre Société face au futur et à des incertitudes peut-être plusfortes que jamais. Confrontés à cela, nous devons avoir le réalisme de penserautrement, d’agir autrement, de mesurer l’espace, le temps aussi autrement, maissi une constante doit demeurer, c’est bien celle-ci la méthode d’approche sansa priori, sans certitude, généreuse et fraternelle. Notre démarche écossaise libreet interrogative, en un mot.Le Rassemblement Maçonnique International qui a eu lieu début juin àStrasbourg et auquel nous avons été associés a déjà été pour notre SuprêmeConseil l’occasion d’ouvrir tout grand la fenêtre planétaire. Nous y avons dresséen quelque sorte un bilan d’étape. Mais en posant des jalons, nous y avons aussiaffirmé notre vocation, par définition universelle et internationale, à porter lesvaleurs auxquelles nous sommes viscéralement attachés. La capacité à concevoirdes stratégies géopolitiques contemporaines est au cœur de notre réflexionphilosophique. C’est notre lecture du huitième grade qu’énonce notre rituel ences termes : « Les constructions édifiées par les successeurs d’Hiram doivent être conservéeset embellies ».L’appartenance primordiale de chacun d’entre nous au G∴O∴D∴F∴ ne nousconfère aucun titre autre que l’impérieux devoir de porter le débat maçonniquepluriel que nous rencontrons en franchissant les frontières nationales. Nous lefaisons avec une conviction, un style et un engagement qui, pour autant nemanquent jamais de respect pour ceux des Maçons – et ils sont les plusnombreux sur la planète – qui ont souvent fait des choix différents. Nous lesrespectons. Le plus important ne nous semble pas être de les « convertir ». à notrefaçon de vivre la franc-maçonnerie au quotidien, mais bien plutôt de lesconvaincre que de nos efforts conjugués résultera l’effet espéré d’une coalitionfédérée autour d’objectifs partagés. Déjà, nous constatons qu’à l’échelle del’Union Européenne, cette vision n’est pas totalement utopique à en juger parce que nous observons à Bruxelles. En effet, des maçons du R∴E∴A∴A∴ ontcompris cela et se sont attelés au travail en plaçant l’intérêt général au-dessus decelui particulier y compris des Obédiences et Juridictions. Il n’y a aucune raisonpour que ce qui fonctionne à Bruxelles ne puisse pas être transposé ailleurs. Au Parlement Européen, à l’UNESCO, à l’O.N.U., à la Commission des Droitsde l’Homme à Genève, au B.I.T. et où sais-je encore ?Nous le voyons bien, tout est question de volonté et d’équilibre. Et bien entendude la capacité au passage à l’acte. Ici, l’idée de rebond prend toute sa valeur. Cerebond, il ne peut être le seul fait des institutions. Il ne peut être que le fruitmême de nos efforts à chacun d’entre nous, portés individuellement par nosvaleurs collectives, par notre prise de conscience, par notre élan individuel

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débouchant sur un grand fleuve tranquille écossais qui grossisse par la confluencedes apports dans une nouvelle prise de conscience. Oui, nous devons nous laréapproprier en adaptant ce rêve de pouvoir construire aujourd’hui un mondenouveau, plus juste, plus fraternel.Nous ne le ferons pas contre les réalités têtues d’un univers impitoyable dontnous pouvons et devons ambitionner qu’il devienne chaque jour meilleur maisdont nous devons accepter avec réalisme qu’il est complexe, exigeant, souventhostile et qu’il nécessite de notre part un engagement sans faille et sanscomplaisance ni compromission. Cet engagement-là concerne chaque F∴,chaque Atelier, chaque Secteur de notre Juridiction.Nous devons, j’y insiste, cesser de considérer que l’action internationale seraiten quelque sorte un luxe superfétatoire ou pire, l’affaire de « sphères parisien-nes » qui auraient subitement découvert les vertus d’un gadget au fond sansgrand intérêt. Le temps est venu du sursaut, du rebond et d’une large mobili-sation de l’ensemble de notre Grand Collège. Si nous manquions ce rendez-vousavec l’histoire, nous serions relégués aux oubliettes de l’histoire que celle-ciréserve impitoyablement à ceux qui ratent les échéances. C’est, vous l’aurez bien compris, un vibrant appel qui vous est lancé aujourd’hui,à chacun d’entre vous. Écoutez-le, entendez-le, faites-vous-en l’écho et tirez-ensurtout les leçons au quotidien car le monde appartient à ceux qui savent se leverà l’heure.En paraphrasant un éditorial paru au lendemain de l’investiture présidentielledu 16 mai 2007, j’oserai ajouter : Toute opposition pavlovienne serait condamnéeà l’échec... et condamnerait à la marginalisation. Sachons échapper à l’étroitessepartisane, aux particularismes gaulois, aux pesanteurs d’antan et osons nousengager avec lucidité, ambition et vigueur.Première puissance écossaise après celles des États-Unis, ayons conscience denotre force de frappe, de notre capacité à nous affirmer, à affirmer des valeurs età rallier d’autres, non pas à nous, mais en alliés avec nous, à des projets porteurs.Cet appel s’adresse à tous les FF∴ qui partagent nos Espérances, notre Amouret le souhait d’une Charité bien partagée.Nous ne faisons aucun choix tactique. Ce qui importe est la stratégie de l’Ordretout entier et non de la suprématie supposée ou ambitionnée bien vainementpar tel ou tel organe de cet Ordre. Notre obligation à nous Maçons écossais de ce XXIe siècle est de rénover, mais certainement pas d’entrer dans une logique de rupture prônée et pratiquéeailleurs. Nous nous inscrivons bien dans la lignée de nos Ancêtres vénérésMaîtres qui nous ont légué ce précieux héritage sur lequel est fondée aujour-d’hui notre ambition de rebond collectif, solidaire et fraternel pour œuvrer

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aux avancées que nous devons viser. Faillir à cette exigence serait renier nosengagements solennels et rater notre rendez-vous avec l’Histoire. Mais dans notrerebond ne perdons jamais de vue cette sentence du Rituel de Rose Croix : « Que le courage enflamme ton cœur ; que l’Amour de l’humanité dicte ta conduite ; que laScience t’éclaire ».

Alain de Keghel, 33e

Très Puissant Souverain Grand Commandeur

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GRAND CHAPITRE D’AUTOMNE 2007 RAPPORT DE SYNTHÈSE

« Si l’on considère l’ensemble des degrés maçonniques du 15e au 18e inclus, quelenseignement cohérent peut-on y trouver ? ».

À cette question automnale, 82 rapports, d’inégale longueur, de 1 à 15 pages,ont tenté d’y répondre. Parmi les plus prolixes, trois chapitres ont poussé laconfraternité jusqu’à annexer au texte intégral, un résumé, un autre, une annexefort savante sur le symbolisme des couleurs, un troisième, une analyse trèscirconstanciée sur le contenu du grade de Rose-Croix. Quelques rapports ontmême joint une iconographie en couleur. L’ensemble des textes constitue ungros livre de vacances, d’environ six cents pages, et malgré les inévitables reditesd’un rapport à l’autre, l’ensemble est de bonne tenue, avec des pistes originales,une grande érudition et des réflexions diversifiées.Contrairement à la tradition, aucun chapitre n’a trouvé la question absconse.Néanmoins, un atelier a cru devoir ajouter que la question n’avait pas soulevél’enthousiasme. Un autre ajoute qu’il s’agit d’une question « fermée », et cettefermeture n’incite pas toujours à répondre. Inversement, une trentaine dechapitres ont souligné l’intérêt de ladite question, l’un d’entre eux dit majeur, unautre fondamental. Globalement, le questionnement des divers rapports s’articule autour de troispoints :

1. Y a-t-il une cohérence dans les grades capitulaires, et plus largement dansl’ensemble de l’imaginaire maçonnique ?2. Si logique il y a, quelle cohérence ?3. Si cohérence il y a, quel enseignement y trouver ?

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1. D’ABORD, Y A-T-IL UNE COHÉRENCE DANS LES GRADES CAPITULAIRES, ET PLUS LARGEMENT DANSL’ENSEMBLE DE L’IMAGINAIRE MAÇONNIQUE ?

D’emblée, force est de noter que, peu ou prou, de manière évidente ou suggérée,a priori ou en se fondant sur une analyse, la quasi-totalité des rapports, àquelques rares exceptions près, a répondu oui à la question posée. En réalité, ilserait plus judicieux de constater que si une très large majorité a réponduexplicitement oui, un seul texte a cru devoir répondre ouvertement non, touten proposant une conclusion positive. Un autre exposé se termine par uneconclusion ad libitum, encore que son dit choix se situe dans l’intelligibilité dudiscours. Un troisième atelier opte pour la rupture et la continuité, sans seprononcer sur la cohérence. Un quatrième chapitre semble également pencherpour une réponse négative puisqu’il affirme ne voir aucune cohérence dans desgrades d’origines diverses, aux influences multiples, et amalgamés avec plus oumoins de bonheur, mais il nuance largement son propos en précisant qu’à lanotion de cohérence perceptible, il préfère parler de « coexistence intéressante ».Quelques ateliers soulignent que l’incohérence n’est pas absente du corpusmaçonnique, mais ils s’empressent d’ajouter qu’elle porte sur la forme, lesapparences, l’écume ; en revanche le fond, l’essence, la substantifique moelle, nepeuvent être que cohérents et porteurs de sens. En résumé, personne n’osa uneréponse négative totalement explicite comme si cela risquait d’être maçon-niquement incorrect, puisque comme le dit un chapitre, la question induit un « oui supposé ou attendu ».Bien plus, la réponse positive s’impose immédiatement pour une majorité dechapitres. L’un d’entre eux déplore même que la question soit posée « sous uneforme dubitative », comme si on s’excusait d’affirmer d’entrée de jeu quel’initiation maçonnique ne peut pas ne pas être cohérente, progressive, dévoilante,démonstrative et enseignante. Un atelier fait remarquer malicieusement que siles maçons utilisaient un corpus incohérent, inintelligible et sans signification,ils auraient sans doute fini par s’en apercevoir. Cependant de nombreux chapitresnotent en introduction que la cohérence des grades capitulaires, comme audemeurant celle d’autres grades ou d’autres classes de grades, n’est pas évidenteau premier abord, n’est pas immédiatement donnée, comme si le corpusmaçonnique avait comme première fonction de déstabiliser celui qui le découvreou le redécouvre. Puisque la question y invitait, les chapitres ont tenté d’expliciter leurs analysesen se référant aux grades capitulaires. Néanmoins, nombreux sont les chapitresqui se sont également attardés sur l’étude des grades dits de perfection, voire sur

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les degrés dits bleus, suggérant ainsi une continuité implicite ou affirmée entreces diverses « familles » de grades.Pour approcher les grades capitulaires, c’est-à-dire ceux pratiqués par unSouverain Chapitre, une douzaine d’ateliers ont préféré un résumé plus ou moinslong, en se référant le plus souvent au mémento et à l’actuel rituel des ditsgrades. En revanche, une trentaine de chapitres ont opté pour une analyse plusou moins approfondie, en s’appuyant sur les « classiques » de la littérature maçon-nique, mais également en se livrant à des exégèses innovantes. En réalité, lamajorité des ateliers a, volontairement ou non, fait une présentation des gradescapitulaires en combinant résumé et analyse, abrégé et étude, sommaire etdissertation. Surtout la totalité des textes a cherché à montrer les cohérences, lescontinuités, les fils conducteurs existant entre les grades capitulaires, et pour unevingtaine de rapports entre lesdits grades capitulaires et les degrés antérieurs.À ce propos, divers ateliers ont regretté la brièveté avec laquelle les trois premiersdegrés capitulaires sont « expédiés ». Plusieurs autres (et parfois les mêmes)s’interrogent sur la difficulté de disserter sur des grades que nous pratiquons, « àla va-vite » dit un atelier, « par simple communication » dit un autre. Un chapitrepropose même que le futur Rose-Croix s’arrête six mois sur chacun d’eux, unautre irait jusqu’à un an.L’abondance du discours sur la nature des quatre grades capitulaires rend difficilel’élaboration d’un résumé fidèle.Au Chevalier d’Orient ou de l’Épée, versions autrefois disjointes, sont associésla thématique de l’Exil à Babylone, la couleur verte, le chiffre soixante-dix etl’édification du second Temple. Ses vertus sont la confiance en soi, l’altruisme,la conscience éveillée, l’humilité, la vigilance et le courage à reconnaître et àcombattre ses véritables ennemis, « les ténèbres et les passions ». Il associe la truelledu bâtisseur et l’épée du chevalier. Le thème central en est le passage, enrésonance dialectique avec la notion de liberté. Aussi divers chapitres voient enlui le pont, l’arche, « l’arc-en-ciel » dit poétiquement un rapport, entre les degréssalomonico-hiramiques (3e au 14e) et les grades capitulaires. Au demeurant, unchapitre a concentré toute son analyse sur le seul passage du 14 au 15.Au Prince de Jérusalem sont dévolus la couleur jaune et le chiffre soixante-douze. Ses qualités sont la faculté de discernement, la responsabilité, la lucidité,le courage, la justice et la constance ferme. En réalité, les 15e et 16e degrésforment un tout, une classe, celle des degrés de l’Exil, le temps de la reconstruc-tion du second Temple, le moment de la foi dans la vision d’une C(c)réation endevenir, la séquence où chaque humain est confronté à l’apprentissage de laliberté. Au duo des degrés de l’Exil succède le duo des degrés johanniques.

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Au Chevalier d’Orient et d’Occident sont attribués le chiffre sept, l’heptagone,la couleur blanche. Les rituels anciens lui confèrent sept qualités, à savoir lafraternité, l’union, la soumission, la discrétion, la fidélité, la prudence et latempérance. Le thème central du grade est l’accès à l’éternel présent, parl’exercice de la liberté complété par la connaissance de soi et d’autrui. Bref, la quasi-totalité des chapitres a mis en évidence l’entrée dans un mondenouveau, celui des grades chevaleresques dont les 15, 16 et 17 constitueraient,selon un rapport, « la propédeutique ». Comme il a été dit, certains rapportsréservent ce rôle au seul 15e degré, d’autres aux deux degrés de l’Exil, d’autresenfin au trio évoqué ci-dessus. Bien sûr, le Rose-Croix est à la fois le cœur, laclé de voûte et le couronnement du système capitulaire. Les trois premiers gradescapitulaires s’inscrivent dans l’Ancienne Loi que de nombreux chapitres tententd’expliciter hors de son sens original biblique alors que celui de Rose-Croixinaugure la Nouvelle Loi, la Nouvelle Alliance, celle de la Bonne nouvelle (en grecevvagelion), du Royaume, de l’Amour (agapè et philanthropia), de la solidaritéuniverselle. Un chapitre remarque que dès le 15e grade, dans l’instruction, à laquestion « où construisez-vous votre temple ?, l’impétrant répond « dans mon cœur ».Aussi un autre chapitre peut-il dire que du 15e au 18e degré, « la progression estmagistrale : on passe de l’esclavage des passions à la plénitude de la volonté d’amour ».D’une certaine manière, c’est donc le Rose-Croix qui donne cohérence auxtrois grades capitulaires qui le précédent, et même aux degrés dits de perfection.Comme l’écrit un chapitre, tous les grades depuis celui d’apprenti « convergentvers la loi d’Amour, sublimation de la Fraternité ». Un autre renchérit en faisant dudit grade « la clé de voûte de la franc-maçonnerie moderne ». Un troisième affirme que,peu ou prou, les 17 premiers grades annoncent et se subliment dans celui de R+ considéré comme le nec plus ultra. Plusieurs chapitres pensent que philo-sophiquement, spirituellement et/ou symboliquement, aucun autre degré nedépassera ce qu’un rapport définit comme la « force génératrice et évocatrice » duRose-Croix. Pour un chapitre, le grade de Rose-Croix est en soi tellement richede significations qu’il est impossible de l’appréhender sans la transition queconstituent les trois degrés capitulaires qui le précèdent. Inversement, un autreaffirme qu’il porte en lui sa propre cohérence et se suffit à lui-même. Quelquesateliers croient en d’autres ouvertures, sans nécessairement envisager un sautqualitatif dans les grades suivants. En revanche, d’autres postulent que le gradede Rose-Croix n’est qu’une étape et comme le dit un rapport « que le cheminparcouru n’est rien à côté de celui qu’il faut encore suivre ». Enfin, quelques chapitresencore rappellent qu’il est nécessaire d’associer quête spirituelle individuelle etaction collective dans la société. Un chapitre ose une formule percutante : le Rose-Croix doit être « chevalier du ciel et fantassin du forum ».

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Bien sûr, une réflexion sur la nature du grade de Rose-Croix ne pouvait pasfaire l’impasse sur son origine, son caractère et sa signification. Même si cela estprésentement en partie hors sujet, les rapports reflètent le séculaire débat entre lestenants du Rose-Croix hermétiste, alchimiste ou gnostique, voire anticlérical,et ceux qui reconnaissent sa spécificité « christique » disent les uns, « chrétienne »écrivent les autres, sans compter un rapport fort érudit qui décrit le milieu danslequel est né le rosicrucisme, à savoir de jeunes étudiants luthériens allemands,nourris de paracelsisme, d’alchimie et de théosophie, opposés à la dogmatiquede leur Église, et aspirant à un christianisme régénéré. Grosso modo, cettealternative semble en partie dépassée puisque une majorité significative derapports prône une lecture symbolique, distendue, revisitée, une « hermé-neutique », dit un texte, des rituels dont un seul chapitre demande explicitementla déchristianisation.

2. SI LOGIQUE IL Y A, QUELLE COHÉRENCE ?

Puisqu’il y a cohérence, de quelle cohérence parle-t-on pourrait-on dire en parodiantles situationnistes. Avant de tenter de donner une réponse, plusieurs chapitresont essayé de déblayer le terrain, en dégageant des questions annexes.Ainsi divers chapitres se sont interrogés pour savoir en quoi les grades capitulairesforment entre eux une « classe », un groupe spécifique. Un autre questionne : « pourquoi occupent-ils cette place précise au sein du corpus écossais ? » Un autre sedemande si les trois premiers degrés capitulaires sont indispensables. Unquatrième s’enquiert de savoir s’il « faut vraiment chercher un enseignement cohérentpropre à cette séquence de degrés ». Un autre encore, exprime une idée qui revientdans de nombreux travaux : « l’enseignement maçonnique peut-il être cohérent s’il n’estpas vécu ? » Un dernier enfin s’interroge pour savoir si les grades ne sont pas quede « simples jeux de rôles » que le maçon, comme l’enfant, ferait durer à plaisir.Pour terminer ces prolégomènes de la deuxième partie, il faut dire que plusieurschapitres ont rappelé que la cohérence des quatre grades capitulaires ne pouvaitse comprendre que dans et par l’ensemble du parcours initiatique. La franc-maçonnerie et sa floraison écossaise constituent ce qu’un chapitre nomme une« dynamique spirituelle progressive, destinée à faire prendre conscience des problématiquesde la condition humaine et des voies de la construction personnelle ». Aussi chaque gradeou groupe de grades, chaque symbole ou groupe de symboles, chaque thèmequi peut s’exprimer dans et par divers grades et dans divers et par symboles, sontporteurs d’un enseignement à la fois « spécifique et homogène » dit un chapitre,l’ensemble formant un corpus cohérent. À ce titre-là, l’ensemble des grades

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capitulaires est cohérent car il est à la fois une forme particulière et un élémentd’un ensemble cohérent qui l’inclut, le légitime et l’irrigue, à savoir le corpusmaçonnique. Cependant un chapitre nous met en garde contre la tentation detrop idéaliser cet imaginaire maçonnique, et plus encore d’être trop littéralisteface aux rituels, par nature, contingentsCe travail de déblaiement n’arrive cependant pas à masquer les approchessouvent divergentes sur la nature de la cohérence du discours maçonnique. Pourdes raisons de présentation, nous les avons regroupées en trois alternatives :a) Cohérence visible ou cohérence cachée ?b) Cohérence thématique ou cohérence cyclique ?c) Cohérence philosophico-morale ou cohérence symbolico-initiatique ?Précisons avant d’aller plus loin, que pour de nombreux chapitres, ces différentesalternatives ne s’excluent pas nécessairement. De nombreux chapitres en ontretenues plusieurs, et quelques-uns les ont toutes admises.

a) D’abord, cohérence visible ou cohérence cachée ?Si de nombreux rapports affirment comme un a priori la cohérence, la logiqueet la cohésion du corpus maçonnique, peu d’entre eux osent dire que cettecohérence saute aux yeux. D’ailleurs, plusieurs chapitres parlent plutôt decontinuum.Cette cohérence visible et lisible à l’œil nu se situe donc, pour une minorité dechapitres, dans un continuum historico-légendaire. Les mythes racontent unevraie fausse histoire aussi vraie que la réalité historique, et en tout cas qui produit des effets sociaux évidents. Il en est ainsi du temps des trois temples(Salomon, Zorobabel, Hérode), des trois confréries auxquelles se réfèrent lesgrades capitulaires (les bâtisseurs du temple de Salomon, les ordres des moineschevaliers et l’estimable Fraternité de la Rose-croix), ou des trois « époques capitu-laires », l’antiquité biblique de l’Exil juif à Babylone, le Moyen Âge des croisadeset les Temps modernes de la Renaissance, de la Réforme et de la raisoncartésienne. Un chapitre ne voit-il pas dans ces ternaires les trois fonctions chèresà Georges Dumézil, la fécondité, la force et la souveraineté spirituelle ? Mais là,nous sommes déjà passés dans la cohérence voilée.Remarquons, avant d’analyser les arguments suivants, que le processus chro-nologique historico-légendaire des uns apparaît incohérent à d’autres. Cultivantle paradoxe, un rapport affirme que l’hétérogénéité incohérente des gradescapitulaires participe à la cohérence de son enseignement.En effet, à l’imitation d’Anaxagore qui prétend que « le visible ouvre nos regardssur l’invisible », la majorité des rapports penche pour la cohérence à décrypter età reconstruire, cachée, dissimulée, « volontairement masquée » affirme un rapport.

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Un chapitre parle d’un « chemin balisé au marquage incertain ». Au demeurant, troisrapports précisent qu’enseigner signifie étymologiquement faire connaître par un signe. Le corpus maçonnique ne délivre pas un enseignement livresque,immédiatement logique et compréhensible, mais il est un dévoilement, uneinvitation à chercher une réalité cachée, à regarder nous dit un rapport « ce queLacan nomme les dessous », à décrypter un message, et par touches, progres-sivement, s’approprier une éthique. Un chapitre a également insisté sur ce qu’ilnomme la cohérence « environnementale », qui se décrypte par les lieux historico-légendaires (de Babylone à la Jérusalem Céleste), par les couleurs (du vert aurouge), par les titres ou les âges (de 7 à 33). Ce propos est à rapprocher del’analyse d’un autre chapitre qui développe une « cohérence basée sur l’alchimie »,celle comme l’exprimaient les anciens rituels de « la pierre cubique qui sue sang eteau ». Un autre précise qu’il est vain de chercher une cohérence exotérique, unenseignement explicite, un discours linéaire au corpus maçonnique. Lacohérence maçonnique ne peut être qu’ésotérique, progressive, personnelle,paradoxalement discontinue, toujours difficile, lente au marcheur trop pressé.Un autre chapitre a fait remarquer que c’est l’enseignement qui est cohérent etnon les degrés. Enfin divers chapitres soulignent combien cette cohérencecachée est en rapport avec la littérature johannique, notamment en liaison avecle sens étymologique d’Apocalypse (Apokaluptikos : qui révèle).

b) Ensuite, cohérence thématique ou cohérence cyclique ?À la différence des précédents, divers chapitres pensent qu’il est vain de chercherune cohérence dans le légendaire capitulaire, mais qu’il est préférable de retenirune cohérence thématique dont chaque élément court, de manière plus oumoins prégnante, à travers les divers grades. Les travaux en ont mis en évidencequatre :– l’imaginaire chevaleresque, à l’imitation d’un chapitre qui précise que « l’on ne

naît pas chevalier, [mais] qu’on le devient » ;– la construction (ou plutôt les reconstructions historico-légendaires) du

temple ;– la construction du temple intérieur largement évoquée par ailleurs dans la

présente synthèse ;– la quête de la Parole perdue, et concomitamment la polysémie de la formule

INRI.Beaucoup d’ateliers se sont consacrés à analyser cette intelligence du caché, cetteobscure clarté maçonnique, ce qu’un travail nomme « le secret des secrets » et lamultiplicité des réponses traduit la grande qualité interrogative de très nombreuxtextes.

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À la cohérence thématique, d’autres chapitres ont préféré la cohérence cyclique,celle donnée par le rite, répétitif dans son rythme, producteur d’un souffle capable de régénérer l’être humain, reproducteur du cycle naturel et culturel de la naissance et de la mort, expérience concrète de la relation fondamentaleentre Eros et Thanatos. Cette cohérence cyclique est une sorte de remake del’initiation primordiale « jouée » par l’apprenti entrant, et reprise une première foisavec la mort d’Hiram, et une deuxième fois avec celle du crucifié du Golgotha.Ainsi pour un chapitre, « la cohérence qui relie le 15e au 18e est semblable aux degrésd’une loge symbolique où l’initié passe de l’ombre du cabinet de réflexion à la lumière,pour retomber dans l’ombre de la mort d’Hiram ».

c) Enfin, cohérence symbolico-initiatique ou cohérencephilosophico-morale ?Divers textes affirment que mythes, symboles et rites ne sont que des moyenspour exprimer un enseignement moral et/ou philosophique. Derrière lesfadaises des uns et des autres, la cohérence « idéologique » de la maçonnerie està chercher dans la morale et la philosophie qu’elle porte, qu’elle suggère ouqu’elle enseigne. On délaissera l’éternel débat entre la morale transcendante etcollective et l’éthique immanente et personnelle, pour remarquer que la plupartdes chapitres dégage des grades capitulaires marquée par la liberté, une éthique deresponsabilité, c’est-à-dire une morale qui met en avant les conséquences de seschoix, alors que les grades dits de perfection, axés autour de la notion de devoir,tiraient vers l’éthique de conviction, pour reprendre le dilemme posé par MaxWeber. De même, les rapports convergent pour dégager des grades capitulairesune philosophie de l’esprit, s’interrogeant sur le rapport entre le neuronal, le mental, l’intellect et le spirituel, et même pour trois chapitres, le divin. Au demeurant, un autre chapitre a cru devoir se focaliser, non sur la cohérenced’un enseignement tiré des grades capitulaires, mais sur l’alternative entre lanaturalisation de l’esprit, l’autonomie des idées et la nature spirituelle.Inversement, divers chapitres ont cru bon de rappeler que la franc-maçonnerieest d’abord une société initiatique qui utilise la méthode symbolique et pratiquedes rites. C’est cette nature spécifique qui donne sens à l’ensemble du corpusmaçonnique. Un chapitre affirme que la cohérence se situe au seul plan initia-tique. C’est dans cette optique qu’il faut chercher la cohérence des gradescapitulaires. Solidaire mais ferme, un chapitre remarque que si « l’universalité dessymboles génère la richesse de son enseignement, il n’en garantit pas pour autant lacohérence ». Néanmoins, une forte proportion d’ateliers voit dans le symbolisme,la source principale d’un enseignement cohérent, et les grades capitulaires nefont pas exception à la règle. Mais le symbolisme est une méthode et le rite un

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outil. In fine, la logique et la cohérence sont données par l’initiation (cursus),aussi bien celle qui met sur la voie que celle qui donne le sens ultime et qu’unchapitre définit comme « l’accès à une spiritualité faite de fraternité humaniste ». Pourun autre chapitre, la cohérence apparaît avec le chemin parcouru, idée reprisepar un autre travail qui précise que « ce sont les pas, parfois désordonnés », ducherchant, qui donne cohérence à chaque étape. Pour plusieurs ateliers, c’est ladialectique initiation/symbole/rite qui assure pleinement la cohérence du corpusmaçonnique. L’objet de l’initiation est de retrouver par un psychodrame quiemprunte obligatoirement beaucoup pour faire sens à la culture dominante,l’essence, l’essentiel, l’ésôthen, l’intérieur. Un chapitre résume parfaitement cetteposition dominante : « L’initiation c’est aujourd’hui par l’accès aux connaissances plurielles, le chemin sans fin de la Connaissance au singulier, avec en route le perfectionnement de soi et de la société ». Le symbole qui littéralement signifie mettre ensemble est l’élément quirenvoie à un autre sens indirect, figuré, caché, abstrait, refoulé ou inconscientque plusieurs textes ont assimilé à la Parole perdue. Le rite est créateur d’unévénement et d’un avènement, l’érection du temple comme analogie de laconstruction du temple intérieur, ce qui est en haut étant comme ce qui est en bas.Néanmoins quelques chapitres mettent en garde contre le risque d’une mauvaiseutilisation de ces concepts, contre le littéralisme, le dogmatisme maçonnique, la dérive mystificatrice ou la fascination malsaine pour la toute puissante « symbolocratie ». Beaucoup de rapports rappellent que le grade « n’est pas un buten soi, mais un passage obligé ». Un chapitre déplore la pauvreté du discoursmaçonnique, à quoi un autre semble répondre que « cette rédaction naïve a le mérited’exister ». Et un troisième de conclure que les mythes, les légendes et lessymboles sont, comme la poésie, « chargés de futur ».

3. SI COHÉRENCE IL Y A, QUEL ENSEIGNEMENT Y TROUVER ?

Cette partie de la question a fait, si l’on peut dire, couler beaucoup d’encre.D’entrée de jeu, un chapitre se demande s’il existe consubstantiellement un enseignement maçonnique, un deuxième, un enseignement maçonniquespécifique. Un autre chapitre laisse chacun choisir, car il existe, selon lui, un tropgrand décalage entre la « gentillesse » des textes maçonniques, à l’enseignementun tantinet naïf, et la terrible réalité du passé et du présent. À travers la recherched’un enseignement cohérent, plusieurs chapitres se sont questionnés sur lacontingence des rituels. L’un s’interroge sur l’intérêt qu’il y aurait à réécrire lerituel avec des idées et des mots d’aujourd’hui, un autre réclame un toilettage

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idéologique et linguistique, mais une majorité préfère une relecture, unerevisitation, une nouvelle mise en scène de textes qu’il faut bouleverser le moinspossible.Notons également que beaucoup d’ateliers n’ont pas cherché à définir le motenseignement, ni l’adjectif cohérent, comme si leur signification allait de soi. Or la lecture des rapports montre qu’il existe des nuances, voire des divergencesdans le compréhension de l’expression enseignement cohérent. En revanche, unedouzaine de chapitres ont tenté ce travail d’analyse en précisant que du choix des définitions retenues ou proposées dépendaient largement les réponses à laquestion posée.Enfin, quelques chapitres ont donné au mot d’enseignement, la signification de méthode : dans cette optique, la cohérence est donnée par le cherchant.Rechercher une cohérence, c’est mettre ou donner du sens (dans sa doubleacception) de signification et de direction. La franc-maçonnerie n’a pasd’enseignement programmé. À l’image d’Enoch, l’initié s’initiant lui-même, le cherchant s’enseigne par lui-même.De la cohérence du corpus capitulaire à la déduction d’un enseignementcohérent, il n’y avait qu’un ruisseau plus ou moins large que la quasi-totalité deschapitres a franchi. Aussi les rapports tentent-ils de dégager, dudit corpus, avecplus ou moins de force, de bonheur et clarté, une pédagogie structurée, uneleçon rationnelle, un discours ordonné. Quelques chapitres semblent néanmoinsun peu réservés. L’un parle « d’enseignement cohérent qu’on devrait trouver », un autrepostule avec réticence que l’enseignement ne peut être que cohérent : commentimaginer une institution initiatique, symbolique et humaniste prônant unenseignement confus, désagrégé et illogique ?C’est dans le processus initiatique, la quête spirituelle, la démarche personnelleque va se révéler la cohérence de l’enseignement, la vitalité d’un enseignementcohérent. De l’alpha à l’oméga, de l’ordo ab chao, il y a continuité dans lacohérence, cohérence dans la continuité, cohérence et continuité dans l’ensei-gnement qui en découle, enseignement cohérent et continu. Les gradescapitulaires sont un segment de cette chaîne causale. Ils sont à la fois porteursde la cohérence globale et expression d’un enseignement cohérent spécifique.La cohérence des grades capitulaires s’exprime à la fois, dans le passage, par lepont de Gandhara, du matériel, du fugace, du destructible à l’esprit, à l’essentiel,et dans la mise en œuvre d’un nouveau regard vers l’autre par l’amour. Alorspeut se comprendre le triptyque Foi, Espérance et Charité, vertus théologales quel’unanimité des chapitres a tenté de définir comme « anthropologales » si je peuxoser ce néologisme, disons plus simplement humanistes, philanthropiques et «mélioristes ».

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Bref, c’est un nouveau départ, une renaissance, ni tout à fait une autre, ni tout àfait la même, un éveil, une autre manière de voir le monde. En ce sens, les gradescapitulaires sont une étape comme celles qui ont précédé et comme celles quisuivront. Après l’initiation-initium, celle du commencement, de la mise enchemin, et dans la longue quête de l’initation-teleté, celle de la fin ultime,l’initiation que l’on pourrait dire eschatologique, se situe, se développe ets’exprime, dans mille et une potentialités, la succession des grades, des groupesde grades, des thèmes dans un vaste remake, sorte d’initio in initium, éternellereprésentation d’une marche toujours nouvelle. En effet, presque tous les ateliersont montré qu’une cohérence succède à une autre cohérence, l’une donnant dusens à l’autre, celle de l’apprenti entré et celle du compagnon de métier, celledes grades capitulaires et celle des grades salomonico-hiramiques, toutes faisantenseignement, sens et balise. Cependant divers chapitres sont allés plus loin dans la finesse de l’analyse. L’un souligne la continuité de la maîtrise, 3e degrépost-andersonien, considéré comme une sorte de haut grade qui s’ignore, au 14e degré, un autre note que l’épée chevaleresque est présente en loge bleue dèsla réception du néophyte et que le maître maçon porte déjà l’épée en signe toutà fois d’affirmation sociale et d’égalité entre pairs. Sans revenir sur les pointsdéveloppés dans les deux premiers chapitres du présent texte, notons, à nouveau,l’importance de la thématique de construction du temple soulignée par denombreux travaux, notamment le récit de la destruction du premier temple deJérusalem ou temple de Salomon, ruiné en – 587, le désir d’en reconstruire unsecond, celui dit de Zorobabel, projet qui sera réalisé après le retour de captivitéde Babylone et l’évocation du troisième temple, celui érigé par Hérode le Grandet fréquenté par un certain Jésus. Ce sont ces trois temples qui assureraient ainsila cohérence des quinze premiers degrés post-magistraux. Au demeurant, ils sonten liaison avec trois figures sacrificielles rencontrées du 3e au 18e degré : Hiram,Zorobabel et Jésus. Un autre chapitre encore, prouvant la curiosité et la perspi-cacité des frères, affirme qu’il existe un autre temple, complètement légendaire,celui d’Enoch, évoqué dans certains rituels de Royal Arche. Si l’on s’égare parfoisun tantinet dans ces diverses constructions, une majorité d’ateliers voit unenseignement cohérent fort dans le passage, dans le transfert, dans la sublimationd’un temple détruit à un temple reconstruit (ou à reconstruire). Ce pont passé,ce gué franchi, cette étape vaincue, le maçon n’a plus besoin de murs, de toitsde tuile, de poutres en cèdre du Liban, plus besoin de temple de pierre, deciment et de bois, pour avancer sur la voie de la lumière. De la Jérusalemterrestre, on passe à la Jérusalem Céleste, vision de paix, de justice et d’amour.Un rapport synthétise l’opinion dominante : le vrai temple, celui du cœur et de l’esprit, le temple personnel, intérieur, spirituel n’est pas détruit, ne peut

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être détruit, puisqu’il est transmissible, puisqu’il est « transmis » dans et par « lamystérieuse alchimie de la rose et de la croix ». Qu’importe les apparentes incohérences des légendes, les emprunts plus oumoins douteux à la réalité historique, les contradictions entre les divers récits,les réécritures plus ou moins malheureuses des rituels, pour presque tous les chapitres, l’enseignement des grades capitulaires réside dans la quête d’un nouveau saut qualitatif, dans l’accession à un nouveau palier, dans unchangement de plan : c’est le passage à la spiritualité autre ou un passage autre àla spiritualité ou comme le dit un chapitre, c’est « le passage du combat contre aucombat pour ».Les chapitres ont fait assaut de formules imagées, de métaphores accrocheusesou de descriptions osées pour cerner cette quête spirituelle.Pour l’un, c’est l’accès à un ultime temple, « havre de paix et de réflexion [...]dépassant la raison [et ]conduisantt vers une recherche métaphysique, personnelle, intimeet secrète ». Pour un autre, c’est « la quête spirituelle, la chevauchée fantastique qui nousmène vers les noces du Ciel et de la Terre … »Pour un autre encore, c’est « donner du champ à son esprit, comme élévation, [c’est]faire plus de place à la raison, comme sagesse, [c’est] donner du cœur, comme amour... ».Pour un quatrième, c’est mieux qu’une transcendance, c’est une « trans-ascensionmaçonnique conduisant à une spiritualité laïque ».Pour un dernier enfin, c’est la Cène et le Graal : « cette sorte de conjugaison du sacrifice du pélican et du combat du chevalier, ce refus du destin qui donne un sens àl’action du héros, action du héros qui se tourne vers l’autre [...] ou qui se nourrit de soipour mieux nourrir les autres ».

Que conclure de tout ce questionnement sinon par de nouvelles questions, desaventures à venir, des pèlerinages à entreprendre ? Il faudra chercher d’autres filsd’Ariane, et comme nous y invite un atelier « se détourner des idoles humaines, refuserles croyances toutes faites et se forger sa propre opinion », mais comme le dit un autrechapitre : ne trouvons-nous pas dans le corpus maçonnique « que ce que noussommes capables d’y apporter ? » à quoi un troisième chapitre semble répondre encitant la pensée 553 de Pascal : « Console-toi, tu ne me chercherais pas si tu ne m’avaisdéjà trouvé ». Il faudra « se faire jardinier de son jardin intérieur » selon la belle formuled’un rapport, « éviter les hochets du paraître » selon un autre. Il faudra laisser dutemps au temps car le cherchant doit, selon la devise d’Octave Auguste, « se hâterlentement ». Tous les degrés maçonniques et les capitulaires ne font pas exception,rappellent que la politique, au sens aristotélicien, est l’art de construire et deconduire la cité. Cet Art royal est confraternel non utilitariste, éthique, nonmercantile, philanthropique, non individualiste, innovant, créateur, artistique, non

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standardisé. Les pieds sur terre, la tête dans des champs d’étoiles, la truelle d’unemain, l’épée dans l’autre, le compagnon du Pélican et du Phoenix mettra ses pasdans ceux de l’Homme juste, celui qui le premier a dit la vérité et pour laquelledit la chanson, « il doit être exécuté ». Tout cela est-il bien logique ? Raisonnable ?Conforme ? Pédagogique ? Moral ? Juste ? Cohérent ? Mais y a-t-il un enseigne-ment cohérent dans le requiem de Mozart ? Et pourtant qui peut affirmerl’inutilité de cet opus KV 626 ? Alors comme le dit Jean l’évangéliste, dont lepropos est repris par divers chapitres : « Que celui qui a des oreilles entende ce quel’Esprit dit aux communautés ».

Yves Hivert-Messeca, 33e

M∴A∴S∴C∴

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DISCOURS DE CLÔTURE DU GRAND ORATEUR DU SUPRÊME CONSEIL

T∴P∴S∴G∴Comm∴,T∴R∴F∴Grand Maître, Président du Conseil de l’Ordre,TT∴PP∴SS∴GG∴CC∴ à l’Est,Dignitaires, TT∴Ill∴FF∴,Et vous tous, mes BB∴AA∴FF∴ Chevaliers Rose-Croix,

« Mon père et les pères de mes amis d’enfance ont fait venir le vieux sage de la tribu,l’ingcibi, avec sa lance courte en bois pour faire de nous des hommes...Tous les garçons deseize ou dix-sept ans se sont couverts de boue blanche de la tête aux pieds. Peints en blanc,nous resterions invisibles aux esprits maléfiques qui guettent les garçons pendant leur trajetvers la maturité. Pendant un instant, j’ai failli rire en voyant mes amis d’enfance noirstransformés en fantômes blancs, mais je ne l’ai pas fait en me souvenant de la douleur quim’attendait. Le temps des plaisanteries enfantines était révolu... Nous avons couru poursemer les esprits maléfiques qui essaient de vous attraper juste avant que vous n’atteignezl’extrémité de ce monde de l’entre-deux. »

Dans son roman Karoo Boy, Troy Blacklaws dessine ce monde de l’entre-deuxdans l’ethnie des Xhosa d’Afrique du Sud, monde de la traversée, transitioninitiatique entre l’abandon de la tribu et, plusieurs mois après, le retour triomphalparmi les siens. Monde de l’entre-deux, mois d’épreuves, dit-il, période solitaireet douloureuse.Je ne veux en rien revenir sur les initiations tribales qui ont souvent suggéré desanalogies maçonniques, pas toujours décisives, mais plutôt rester dans cette imagede l’entre-deux, me demander avec vous quelle peut être l’influence de cesliminarités dans notre cheminement initiatique mais également dans notre projetde vie, comment les assumer et faire en sorte qu’elles nous soient propices etpositives.

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Il serait un peu rapide de souligner que toute notre vie est placée sous le signede l’entre-deux puisque notre destin est d’abord mouvement et mutation. Il faut aussi compter avec les régressions, les abandons et les échecs. Il n’y a bienque le trépas qui viendra mettre un terme à ces marges incessantes. Et encore,certains n’ont-ils pas imaginé des Limbes ou un Purgatoire comme passage deservitude avant une immortalité tant espérée ? Mais il est tout autant importantde s’interroger sur l’entre-deux vécu en maçonnerie, et pour nous, aujourd’hui,sur cette série d’escales et de stades qu’offre la progression dans les grades dePerfection.L’ethnologue Arnold van Gennep a déjà marqué que la période de la liminaritéest le moment crucial où s’organise l’efficacité du rituel, qu’elle est fondamen-talement le lieu de rituel. C’est par excellence un instant, qui sans être parfoistotalement perçu ou senti, reste le moment de la mutation, de la re-naissance.Toute notre aventure maçonnique est habitée par ces marges, ces quêtes, quiautorisent les tensions, les « arrêts sur l’image » pourrait-on dire, et nousconduisent plus sûrement vers les frontières et les limites de notre conditionhumaine. En regardant de plus près ces seuils à franchir, on saisit que ce sont souvent des moments de questionnements, voire de crises, de remise en cause, danslesquels l’être lui-même peut être désarçonné, dérouté. S’il y a une part dedéconstruction intime que nous pouvons nous permettre, dans un mouvementde clairvoyance personnelle, c’est bien celle des éventuels démantèlements etremaniements qui vont permettre une architecture rénovée avec des fondationsplus sûres, un édifice conforme au projet, lui-même revu et reformulé. Il y a desbarrages qu’il faut détruire, des réflexes qu’il faut oublier, ces obstacles intérieursque situait un rapport conventuel de notre Obédience (Question C – 1964).Puis, et parce que cela est inscrit dans la logique de notre histoire et de notreculture, reviennent inéluctablement les moments de la restauration, du réajuste-ment, de la reconstruction : le Chevalier Rose-Croix se tient bien toujours avecune truelle à la main.« Vivre, c’est sans cesse se désagréger et se reconstituer, changer d’état et de forme, mourir etrenaître. C’est agir puis s’arrêter, attendre et se reposer, pour recommencer ensuite à agir,mais autrement. » (Van Gennep). Cette transition qui crée le mouvement, quiengendre le dynamisme car il faut bien que la chrysalide devienne papillon,génère aussi une aptitude aux découvertes étonnantes : savoir qu’il y a en nousd’étranges paysages qu’il faudra bien un jour explorer pour vivre avec consciencenotre condition. C’est à nous de faire en sorte que dans l’entre-deux de la Logeet forts de notre expérience maçonnique, nous soyons de lucides voyageurs,perspicaces pour vivre d’autres liminarités, entre signes et sens, silence et parole,

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entre la rigidité du quotidien et les fulgurations du symbolique, entre l’équerreet le compas… à l’image de cette Gabrielle, héroïne d’un roman de Anne-MarieGarat qui « muait vers une autre qu’elle ne connaîtrait pas, encore trop meurtrie de lamétamorphose qui s’opérait en elle pour la comprendre, sans que les changements profondsqui bouleversaient sa vie disent leur nom, et elle s’éloignait de cette rue de son enfancecomme on arrache de soi la peau ancienne pour s’offrir au soleil ».Si l’on veut se saisir d’exemples connus de chacun – car la plupart sont intimeset relèvent du secret singulier – il faut se souvenir du Cabinet de réflexion,marge essentielle du monde des ténèbres, première rencontre avec la Terre oùl’on abandonne les vieux habits profanes, entre-deux de l’engloutissement et dela résurgence, et qui inaugure d’autres intermèdes voulus par la vocation de laLoge. Ainsi, rien n’est jamais définitif, tout évolue, notre vie n’est que mouvance,à l’image de ces tableaux de Bonnard auxquels il fallait sans cesse ajouter ouretrancher pour qu’ils s’installent dans une humanité espérée.Nous sommes des êtres de re-commencement, les voyageurs de l’aventurehumaine, comme ce Chevalier qui dans les degrés de l’exil que figurent les 15e et 16e grades, au seuil d’une étape décisive, nous conduit sur le chemin del’Espérance, du connu à l’inconnu, de la société à la solitude, puis, à l’inverse, de la glorification du travail, à l’amour et au sacrifice, en fait vers tout ce quiconstitue notre apprentissage de la liberté.Mais il faut donc aller sur l’autre rive, traverser les marais de l’inquiétude... Je nerejette pas les pères et les vieux sages de la tribu à une époque où le parti priset l’air du temps autorisent chacun à croire que l’on peut tout savoir sur tout et tout de suite, mais il faut aussi se dire que nous avons besoin, au moins, de « passeurs ». Problème fondamental de la transmission et de notre responsa-bilité ! Transmettre, ce n’est pas inculquer, imprimer, calquer,... c’est seulement,et surtout, permettre la réappropriation par chacun des valeurs fondamentales,et l’aider à les ajuster à son projet, à son comportement, ses qualités, ses espé-rances. Ce n’est donc pas un discours, des palabres, des négociations, des séancesde catéchisme, c’est un exemple, un acte vécu ensemble, un projet partagé dansune sorte de porosité fraternelle, qui commande un vrai accompagnement etune réelle proximité. En ayant aussi l’humilité de reconnaître que le passeur estégalement souvent, très souvent, lui aussi... « passant ». Il faut encore souligner l’importance – j’allais dire « de la tribu » – l’importancedu collectif, de la Loge, de la Juridiction, de l’Obédience car une valeur, un enseignement, une éthique deviennent vite prescriptions ou norme, s’ils nesont véritablement vécus, authentifiés, intégrés, non seulement dans l’affect dechacun mais dans l’ensemble des relations fraternelles ; c’est aussi en cela, que « passeur », le maçon doit être aussi « médiateur ».

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Chacun sait bien que l’on ne part jamais du néant et que nous avons besoin desautres pour nous construire, pour nous re-construire, qu’il serait vain deconfronter individualisme et collectif dans le jeu savant de l’édification person-nelle : le « mes FF∴ me reconnaissent pour tel » va bien plus loin que le simpletuilage ; la re-connaissance de l’autre est à l’orée de ma propre connaissance. J’aitoujours appréhendé cette très sérieuse sentence du 14e degré qui me conseille« de relier le Fini à l’Infini », comme l’impérieuse nécessité de construire, avanttoute entreprise, une relation authentique avec l’autre, une relation vraie, avecmon Frère, avec ma Loge.Ce passage, cet entre-deux, ne concerne donc pas seulement chaque Frère danssa biographie intime, son cheminement, car l’Initiation, en le conduisant versl’autre, – après l’avoir déjà conduit à lui-même, – vers les autres, va actualiser etpréciser son engagement dans un champ social encore plus vaste que celui de laLoge. Notre Rite, en tant que parfaite illustration et paradigme de touteinitiation maçonnique, s’affirme en cela comme un extraordinaire vecteurnaturellement tourné vers l’Humanité. Ce n’est pas sa seule autorité : le RiteÉcossais, parce qu’il a su sédimenter toutes les exaltations philosophiques etspirituelles, par la richesse de ses arguments, offre de nombreuses opportunitéspour la perpétuelle visite de soi-même, sa maîtrise, la réappropriation de sonêtre. Au moment où tous les savoirs se sont déplacés, sa générosité stabilisanteest des plus bénéfiques, parce qu’il donne à penser, et que c’est là, fondamen-talement, notre indispensable nourriture. Déjà, le Compagnon glorifiait le travailet saluait les bienfaiteurs de l’Humanité, le Maître devait instruire et rassembler,mais songeons également au Maître Secret, qui avec une liberté et un devoirmieux signifiés va tout naturellement se tourner vers une citoyenneté efficienteet réfléchie, pensons au Grand Élu de la Voûte Sacrée qui va trouver endescendant en lui-même les raisons essentielles d’être au service d’autrui. Quantau Rose-Croix, c’est vers toute l’Humanité qu’il œuvre dans un geste apaiséd’amour, de respect et de reconnaissance.Si nous avons des sages et des pères, nous avons nous aussi nos cortèges decraintes et de doutes, nos veillées d’armes et nos « trajets vers la maturité », nousvoulons nous aussi grandir et comprendre, maîtriser notre destin, mais,cependant, nous ne sommes pas une « tribu ».La structure initiatique maçonnique n’a rien à voir avec les tribus d’aujourd’hui,qu’elles soient religions, mouvements de pensée ou partis politiques, associationsde la mémoire ou de l’idéologie. Les religions forgent et découvrent tropsouvent des phénomènes d’exclusion, de mise à l’écart et de schisme. On voitmême, par exemple, dans certaines confessions issues du protestantisme laproximité du rite rendre les adeptes concurrents : plus les pratiques sont proches,

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plus les hommes se veulent autres, différents, donc finalement détracteurs,antagonistes, rivaux… Les autres mouvements profanes conduisent le plussouvent aussi, soit à l’enfermement, à l’autarcie, soit à la surenchère, toujoursproche de la démagogie et du jugement rapide et définitif.Nos pères le disaient, nos Sages le disaient, la Maçonnerie doit rassembler. Nenous abîmons donc pas dans des attitudes qui ne sont pas les nôtres, le devoir duRose-Croix est de dépasser ces risques de défaillances et de regarder vers sonIdéal, l’Idée dépasse la vulgarité des situations, la morale maçonnique n’est pasun code virtuel…Et puis, il y a l’œuvre à accomplir, en tant que Maçons du Grand Orient deFrance, en tant que membres de notre Juridiction, où que l’on soit, dans la margeou la certitude, dans la solitude ou la Loge, l’œuvre à créer, à façonner, àconforter, en épousant au plus près ce que nous transmet le sage Emile Zolaquand il écrivait : « Vous entendez ! Jamais on n’abandonne une œuvre. S’il faut vingtannées, trente années, s’il faut des vies entières, on les lui donne ; si l’on s’est trompé, onrevient sur ses pas, on refait autant de fois qu’il le faut le chemin déjà parcouru ; lesempêchements, les obstacles ne sont que des haltes, les difficultés inévitables de la route.Une œuvre, c’est notre enfant sacré. Elle est notre sang, nous lui devons toute notre force,toute notre âme, notre chair et notre esprit. Nous devons être prêts à mourir de notre œuvre,si elle nous épuise. Et, si elle ne nous a pas coûté la vie, eh bien ! Nous n’avons encorequ’une chose à faire, lorsqu’elle est achevée, vivante et forte : c’est d’en recommencer uneautre, et cela sans nous arrêter jamais, toujours une œuvre après une œuvre, tant que noussommes debout, dans notre intelligence et notre virilité. »

Pierre Piovesan, 33e

Bibliographie :• Troy BLACKLAWS, Karoo boy, Flammarion, 2006.• Question C, Convent 1964.• Arnold van GENNEP, Les Rites de passage, Picard, 1981.• Anne-Marie GARAT, Dans la main du diable, Actes Sud, 2006.• Emile ZOLA, Travail, Ed. Fasquelle.

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LA VIE DU SUPRÊME CONSEILS ∴ C ∴ G ∴ C ∴ R ∴ E ∴ A ∴ A ∴ G ∴ O ∴ D ∴ F ∴

S ∴ C ∴ G ∴ C ∴

R ∴ E ∴ A ∴ A ∴

G ∴ O ∴ D ∴ F ∴

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01

RAPPORT D’ACTIVITÉ DU SUPRÊME CONSEIL, GRAND COLLÈGE DU RITE ÉCOSSAIS ANCIEN ACCEPTÉ

GRAND ORIENT DE FRANCE 2006-2007

PAR LE TRÈS ILLUSTRE FRÈRE GRAND CHANCELIER

Cette année a été riche en événements qu’il est inutile de commenter.Néanmoins, il convient de souligner l’intensité et la richesse des travaux duSuprême Conseil.

Les effectifs de notre juridiction dépassent les 7 000 membres répartis en 373ateliers dont :– 165 Ateliers de Perfection– 115 Chapitres– 66 Aréopages– 27 Consistoires

L’année maçonnique 2006-2007 a vu la création de nouveaux Ateliers,témoignage d’une croissance régulière. Ainsi ont été allumés les Feux :Des Ateliers de Perfection :– « L’intimité » à l’Orient de Niort, le 28.08.06– « Union et Tradition » à l’Orient d’Elbeuf, le 9.09.06– « Espoir » à l’Orient de Washington, le 10.10.06– « Le Sceau de Salomon » à l’Orient de Grasse, le 14.01.07– « L’Olivier du Devoir » à l’Orient du Cannet des Maures, le 20.01.07– « Etienne Morin » à l’Orient de Bordeaux, le 10.02.07– « Le Clef d’Opale » à l’Orient de Montreuil sur Mer, le 31.03.07– « Devoir et Sagesse » à l’Orient de Valenciennes, le 5.04.07Des Chapitres :– « Le Feu et la Rose », Vallée du Perreux-sur-Marne, le 30.09.06– « Lumière du Pacifique », Vallée de Los Angeles, le 10.10.06

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– « Gabriel Narutowicz », Vallée de Cracovie, le 11.09.06– « Devoir et Conscience », Vallée de Saint-Quentin, le 04.02.07– « La Rose et le Pélican », Vallée de Cambrai, le 13.05.07Et de l’Aréopage :– « La Sentinelle d’Artois », Camp d’Arras, le 01.05.07

I – Nécrologie

Le Suprême Conseil a eu la profonde tristesse de perdre les TT∴Ill∴FF∴Maurice Zavaro, Pierre Souquès et Jean-Jacques Célérier respectivement les02.04.07, 23.04.07, 29.06.07.Ainsi que les TT∴Ill∴FF∴ Roméo Dupuis et Aloïs Lamm, membresd’honneur de notre Juridiction, les 05.01.07 et 17.03.07.

II – Grande Chancellerie

Pour des raisons personnelles le Grand Chancelier, Max Padol, a démissionnéde son office fin septembre 2006. Au cours de la Tenue Solennelle du 27 avril2007, le Suprême Conseil a nommé le T∴Ill∴F∴ Christian Daniou, membreactif du Suprême Conseil.À cette même Tenue, ce T∴Ill∴F∴ a prêté serment devant le Suprême Conseilet a été élu à l’office de Grand Chancelier. D’autre part le T∴Ill∴F∴ JacquesRambaud a été élu Grand Chancelier, Adjoint du S∴C∴.

III – Activités propres au Suprême Conseil

1. RéunionsLe Suprême Conseil a tenu ses réunions mensuelles, soit huit Tenues Solennelleset deux Tenues Plénières.Deux Tenues Solennelles ont eu lieu à Lille où le Suprême Conseil a tenu sontraditionnel séminaire de stratégie réparti sur 3 jours : les 27, 28 et 29 avril.

2. Collège des OfficiersLe Collège des Officiers a été renouvelé lors de la Tenue Solennelle du 2 juin2007. Ont été élus ou réélus pour l’année 2007-2008 :Très Puissant Souverain Grand Commandeur Alain de Keghel1er Lieutenant Commandeur Jean-Robert Ragache2e Lieutenant Commandeur Francis AllouchGrand Orateur Pierre Piovesan

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Grand Chancelier Christian DaniouGrand Trésorier Gérard FilippiGrand Capitaine des Gardes Jean-Pierre Cordier1er Grand Maître des Cérémonies Jacques Oréfice2e Grand Maître des Cérémonies Alain NataliGrand Orateur adjoint Yves Le BonniecGrand Chancelier adjoint Jacques RambaudGrand Trésorier adjoint Hervé NoraGrand Capitaine des Gardes adjoint Pierre Nabet

3. Présidents de SecteurOnt été cooptés :Président du 9e secteur Gérard Bouquignaud renouvelé pour cinq ansPrésident du 16e secteur Gilbert Krakovinsky en remplacement

de Bernard RivièrePrésident du 17e secteur Serge Breuzin en remplacement

de Yves Le BonniecPrésident du 26e secteur André Filliger en remplacement

de Bernard Axelroude

4. Grands JugesOnt été élus :Grand Juge en zone 2 Pierre Germain, le 04.03.2007Grand Juge en zone 7 Christian Beuselinck, le 20.01.2007Grand Juge en zone 9 Erol Eliezer, le 10.02.2007

5. Commissions Comme à l’accoutumée, les Commissions ont été actives et ont fourni destravaux de grande richesse et de forte densité. Au cours de la Tenue Solennelledu 2 juin 2007 ont été élus ou réélus présidents, les TT∴Ill∴FF∴ :Jean-Pierre Donzac Commission permanente des Règlements et StatutsBernard Gillard Commission des promotionsGeorges Odo Commission des Affaires extérieuresHervé Nora Commission des Finances et de l’InformatiqueYves Hivert-Messeca Commission des RituelsBernard Moisy Commission de la Bibliothèque

de la Documentation et des Archives Jean Guglielmi Commission des Publications et Comité de lecture

Assisté de Claude Faivre et Jean-Paul Fardet

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Jean-Robert Ragache Commission Débats d’idées et questions à l’étudePierre Piovesan Commission de l’ÉcossismeAlain Marville Commission de la Prospective des Secteurs

6. Promotions aux grades blancs – Au 31e, 158 sur 170 propositions– Au 32e, 83 sur 83 propositions– Au 33e, 54 sur 58 propositions

7. MédaillesPromotion « Robert Andrieu » : Serge Blancart, Georges Fréchin, FrançoisHeller, Jacques Rambaud, Paul Rival, François Vigneron.

IV – Relations inter-obédientielles

• Commission paritaire Suprême Conseil – Conseil de l’Ordre du Grand Orientde France : Les Bureaux du Conseil de l’Ordre du G∴O∴D∴F∴ et duSuprême Conseil se sont réunis en commission paritaire le 29 janvier 2007, leprincipal point de débat a traité du Rassemblement Maçonnique Internationaldes 2 et 3 juin à Strasbourg. (Le PV est en attente du Conseil de l’Ordre,puissance invitante).• Suprême Conseil Féminin de France : Afin d’assurer la continuité desexcellentes relations que nous entretenons avec le Suprême Conseil Féminin deFrance, le Très Puissant Souverain Grand Commandeur Alain de Keghelaccompagné du Grand Chancelier Jacques Rambaud a participé le 10 décembre2006 à la Fête de l’Ordre de la Grande Loge Féminine de France.• Enfin, dans le cadre des accords inter-rites, une réunion sommitale a eu lieuentre le Suprême Conseil et le Grand Chapitre Général du Rite Français, le 15 février 2007.

V – Colloques

Des Ateliers de notre Juridiction ont organisé, avec le soutien du SuprêmeConseil, des colloques ouverts aux MM∴ du G∴O∴D∴F∴ ainsi qu’aux FF∴et SS∴ des Obédiences amies. L’un de ces colloques a été conjointement placésous les auspices du Suprême Conseil et du G∴O∴D∴F∴ :

• Conseils Philosophiques : « L’Effort » et les « Zélés Philanthropes »« Portraits de Dieu » le 25 novembre 2006

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• Souverain Chapitre « La Croix du Sud »« Prendre soin de la terre » le 20 janvier 2007• Consistoire « Paris Ile de France no 3 « Penser le futur, c’est aussi penser autrement »

Les actes de ces trois colloques seront à la disposition des FF∴ de notreJuridiction sous forme de souscriptions et seront consultables sur notre site.

VI – Relations internationales

Le Projet est clairement d’être, le plus largement possible, en rapport avec lesJuridictions étrangères pour y faire entendre notre message Maçonnique – celuide la F∴M∴ libérale – comme notre lecture de l’enseignement du R∴E∴A∴A∴ sans méconnaitre les postures et les choix d’autres Juridictions, mais sansjamais affadir notre propre discours. Cette stratégie, conjuguant attachement auxprincipes et plein respect des différences, fait appel à plusieurs registres complé-mentaires. Le premier consiste à engager le dialogue via des relations officiellesde reconnaissance réciproque. L’effet premier est la libre circulation des FF∴ denotre Juridiction dans de nouveaux espaces lorsqu’ils visitent les Ateliers desjuridictions Amies à l’étranger. C’est une politique de désenclavement face à laposture « Impérialiste » des Juridictions de la mouvance anglo-saxonne commecelles de certaines Obédiences nostalgiques de temps définitivement révolus.Le Suprême Conseil depuis 2002 conclut des Traités d’Amitié et de Coopérationavec plus de dix suprêmes Conseils ce qui leur confère un cadre institutionnelet les codifie. Notre stratégie a, par ailleurs, visé à établir des liens avec desJuridictions émergentes et à favoriser, le cas échéant la création de celles-ci. Ainsiavons-nous délivré des Patentes aux nouveaux S∴C∴, Grands Collèges duR∴E∴A∴A∴du Luxembourg, du Canada, de la Tchéquie et de la Slovaquie.

Tour d’horizon global :

En Europe Centrale et Orientale – Les efforts déployés par notre Juridictionont eu des effets contrastés et certainement pas en rapport avec ce que nouseussions pu en attendre, dans un contexte postcommuniste qui a privé ces paysde la transmission initiatique et donc des références de la tradition Maçonniquequi reste parfois à reconstruire. La Tchéquie, la Slovaquie et la Hongrie ont vu renaître un R∴E∴A∴A∴ autonome. En Pologne, en Roumanie commeen Serbie, ce sont des Ateliers de notre Juridiction qui se sont développés sur place en synergie avec les loges bleues du G∴O∴D∴F∴ en attendant leur

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émancipation souhaitable. Dans l’ensemble de cet espace postcommuniste, il faudra beaucoup de temps, de persévérance et de continuité dans l’action.

En Afrique – Dès les indépendances, en 1960, le Grand collège des Rites avaitchoisi pour ligne de conduite de faciliter l’émergence de structuresMaçonniques Nationales en s’appliquant à répondre à leurs propres attentes etdemandes. Aujourd’hui, c’est en s’inscrivant toujours dans cette même perspec-tive, accordant la priorité aux liens fraternels dénués de tout européanisme, quele Suprême Conseil est présent de façon constante et suivie à la grande réunionannuelle des « RÉFRAM » (Rencontres Humanistes et Fraternelles Africaineset Malgaches) comme aux réunions de la « CPMAM » (Conférence desPuissances Maçonniques Africaines et Malgaches). Deux lieux de rencontres etde dialogue qui permettent un échange direct entre les Puissances Maçonniquesdu Sud et celles du Nord. Notre présence conforte la démarche de nos FF∴Africains, soucieux d’établir des liens durables avec les structures Maçonniques del’Ordre dans les pays du Nord. Ceci, il importe de le souligner, dans le pleinrespect réciproque du principe de « Souveraineté ».À cet égard, et en s’inscrivant de façon emblématique dans cet esprit, le Traitéd’Amitié signé le 17 mars 2007 entre notre Juridiction et le S∴C∴ du Marocconstitue une avancée qui concrétise une volonté partagée de conduire etd’approfondir un dialogue permanent dans le plein respect des options dechacun, tout en s’inscrivant ensemble dans la tradition et la liberté de penser.

En Amérique du Nord – Et singulièrement les États-Unis demeurent à biendes égards à la fois la clé et le verrou de toute politique Mondiale. Notredialogue avec le Suprême Conseil Américain, fût-ce dans le domaine de larecherche et son association à notre bicentenaire à PARIS, est bien de la natured’une clef car il ouvre un verrou jusqu’à présent fermé à tout contact. C’est ladisparition de l’inhibition des Juridictions se soumettant avant à la disciplinestricte imposée par Washington qui progressivement autorise de plus en plusd’entre elles à oser franchir le pas en notre direction, sans pour autant renoncerà maintenir des liens avec le grand Frère américain.De même, la participation répétée de notre Juridiction, au travers de son GrandCommandeur, à des colloques maçonniques de recherche outre-Atlantique,occasions d’interventions devant des auditoires « réguliers » qui n’avaient jamaisrien vécu de tel, conduit à faire bouger les curseurs. Il nous appartient néan-moins de rester fermes sur les positions qui constituent le socle de notre doctrineinitiatique Écossaise indissociablement inscrite dans la famille de pensée duG∴O∴D∴F∴.

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En Amérique Latine – Les contacts étroits établis via le secrétariat du CIMASà Montevideo (Uruguay) et avec le Grand Commandeur de la Juridictionécossaise Uruguayenne ont grandement joué en faveur de relations avec lesSuprêmes Conseils Équatoriens, Colombiens, (y compris OMEGA Colombie)du Chili et du Venezuela.

En Extrême Orient – Pour tenter de ne rien omettre, notre alliance avec leSuprême Conseil du Portugal nous offre une nouvelle « fenêtre » à Macao, maiscet espace est globalement bien verrouillé tant en Chine Continentale – par lerégime – qu’au Japon ou à Taipeh – cette fois par les Américains.

Dans le cadre institutionnel multilatéral et dans le droit fil de la déclarationde Genève de mai 2005, notre S∴C∴ n’a rien négligé pour concourir à la miseen œuvre d’un projet ambitieux et indépendant de toute structure Juridic-tionnelle, la « Société d’Études et de recherches Écossaises » (S∴E∴U∴R∴E∴).Cette société de droit Belge ayant le statut d’une Organisation Non Gouver-nementale a établi son siège à Bruxelles et réunit des Maçons et Maçonnes detous horizons, conformément à la philosophie d’ouverture que nous-mêmesprivilégions pour aborder le futur.

Enfin, à la 19e réunion Internationale du R∴E∴A∴A∴, les Juridictions ontadhéré à l’idée et soutenu le projet de tenir une « Conférence Méditerranéennedes Hauts Grades Écossais » en avril 2008 à l’Or∴ de Marseille, en vue d’étudierles instruments et les propositions de nature à favoriser l’ouverture, le dialogue etle dépassement des différences idéologiques et spirituelles. Les Juridictions ontdécidé de tenir la prochaine et 20e rencontre Internationale, au Royaume duMaroc, dans un Or∴ restant à définir.Il importe que chacun, à sa place, c’est-à-dire chaque Atelier et chaque Frère dela Juridiction, se sente désormais partie prenante de ce grand dessin qui renoueavec la Tradition véritablement et concrètement Universelle de notre Rite.Notre Histoire comme la position géographique de notre pays nous y invitent etles enjeux nous y engagent. Alors OSONS !!!

VII – Grande Loge de Printemps

– Le samedi 17 mars 2006, les présidents des Ateliers de Perfection ou leursreprésentants ont été réunis et répartis en quatre ateliers de réflexion.– À 14 h 30 : le T∴P∴S∴G∴C, assisté des membres du Suprême Conseil, aouvert les Travaux de la Grande Loge de Printemps en présence des délégations

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des Juridictions amies avec la participation du T∴Ill∴F∴ Claude Vaillant qui alu le discours du Grand Maître Jean-Michel Quillardet.– Le T∴Ill∴F∴ Roger Southon a présenté le rapport de synthèse de la questionà l’étude des Ateliers de Perfection.– À 16 h 30 : les Présidents de Secteur ont été conviés à l’habituel échanged’informations avec les Officiers et membres du Suprême Conseil.

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01

RAPPORT FINANCIER DU SUPRÊME CONSEIL,GRAND COLLÈGE DU RITE ÉCOSSAIS ANCIEN ACCEPTÉ

GRAND-ORIENT DE FRANCE 2006-2007

PAR LE TRÈS ILLUSTRE FRÈREGRAND TRÉSORIER

Rapport financier du trésorier sur l’exercice 2006

Après arrêt des comptes de l’exercice 2006 (bilan, comptes de résultat etannexes) par le bureau notre Président a convoqué l’Assemblée générale de notreAssociation AMHG, le 2 juin 2007, laquelle a approuvé les comptes après avoirentendu le rapport du commissaire aux comptes.Il faut rappeler que notre commissaire aux comptes a procédé à la certificationdes comptes, sachant que notre association n’est pas contrainte légalement, depar ses statuts de recourir à un commissaire aux comptes. Dans un souci de précaution et de transparence financière, nous avonsnéanmoins fait appel aux services de Monsieur Raymond Launay, commissaireaux comptes, qui a certifié que nos comptes sont réguliers et sincères et qu’ilsdonnent une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice écoulé, ainsique de la situation financière et du patrimoine de notre association AMHG au31 décembre 2006.Au titre de notre association loi 1901 « AMHG », nous vous présentons lerapport financier pour l’année 2006 :Le montant de la capitation est relativement stabilisé avec un taux nettementinférieur au taux d’inflation, comme en témoignent les chiffres suivants :

Année 2002 2003 2004 2005 2006 2007Capitation 51,25 51,4 52 52,2 52,4 53,4

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Les comptes

1. Le compte de résultat :

Au niveau des charges d’exploitation :Les charges s’élèvent à 496096 € en 2006 contre 454350 € en 2005.• Cette augmentation s’analyse de la façon suivante :• Le poste achats et charges externes est en baisse très sensible 223799 € contre275985 €. • Les impôts et taxes sont de 4376 € en 2006 contre 11625 € en 2005.• Les salaires et charges sociales augmentent : 143332 € contre 111683 €. Cela s’explique par :La provision sur indemnité départ en retraite d’une secrétaire. L’embauche desa remplaçante et un effectif de 3 salariés sur le dernier trimestre 2006 ; cettesituation devrait s’inverser sur l’exercice 2007. • Les dotations aux provisions sont de 70983 € contre 0 en 2005 ; cette sommea été provisionnée pour les actes du bicentenaire et les bulletins Perspectivescommandés.• Le poste « autres charges » est de 21239 € contre 0.

Au niveau des recettes :Les produits s’élèvent à 588635 € contre 508052 € et nous relevons notam-ment :• Les ventes de marchandises et de services passent de 36067 € en 2006 contre2831 € en 2005.• Une quasi stabilité des capitations 436029,9 € en 2006 contre 422209,06 €. • Une hausse légère des augmentations de salaires 96 273 € en 2006 contre73340 € en 2005.• Les produits financiers sont de 9100 € en 2006 contre 0 €.

L’exercice se solde avec un excédent de 101638 € en 2006 contre 53702 € en2005.

2. Le bilan :

À l’actif : Il convient d’attirer l’attention sur le poste créances clients et comptesrattachés qui s’élève à 55 819 € contre 98 493 € il s’agit de retards dans lerecouvrement des capitations et augmentations de salaires 10,5% en 2006 contre19,8% en 2005.

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Ce poste reste très élevé et il pénalise notre gestion avec les relances qu’il rendnécessaires ; il est souhaitable que les Ateliers honorent les factures d’AMHG leplus tôt possible.Au passif : Il n’y a pas d’emprunt mais simplement les dettes enregistrées fin 2006qui n’ont pas été réglées au 31.12.2006 et qui s’élèvent à 132 108 € contre129192 € en 2005.

Ébauche du Budget 2008

Le budget prévisionnel sur l’exercice 2008 a été validé par le bureau et parl’assemblée générale du 2 juin 2007 à partir des éléments financiers qui ont étécommentés et il ressort notamment la fixation d’une capitation de 54 €/an quia été approuvée.

Gérard Filippi, 33e

M∴A∴S∴C∴

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NÉCROLOGIE

FRÈRES DU RITE ÉCOSSAIS PASSÉS

À L’ORIENT ÉTERNEL

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OCTAVE GERMANY1923-2008

Le 17 janvier 2008, en cours de matinée, nous apprenions le passage à l’OrientÉternel de notre Très Illustre et Bien Aimé Frère Octave GERMANY. Il avait84 ans.

Il s’en est allé très discrètement, sans faire de bruit, comme il a vécu. Bien quele sachant affaibli depuis quelques temps, nous avions peine à admettre cetteréalité.Ses nombreuses qualités nous ont marqués, nous ses Frères. Pondéré et bref dans ses propos, discret, affable, tolérant, il savait capter l’attention et mettre enconfiance. Respectueux de l’autre et de lui-même, il se faisait remarquerdavantage par ses actions que par ses paroles, appliquant ce dicton chinois : «Ceuxqui savent ne parlent pas ; ceux qui parlent ne savent pas. ». Nous retrouvons cesqualités dans ses activités profanes (professionnelles, mutualistes, sociales,sportives) et ses implications maçonniques. Et, nous nous demandions souventcomment il s’y prenait pour concilier toutes ces activités sans altérer sa viefamiliale.Né le 2 décembre 1923 à Fort-de-France, notre Frère Octave a poursuivi ses études primaires à Villeneuve-le-Roi (Val de Marne) et au Gros-Morne(Martinique) devenu sa commune d’adoption, secondaires au Lycée Schœlcherde Fort-de-France où il obtint le baccalauréat série Mathématiques Élémen-taires, et supérieures à l’École de Droit où il obtint la licence validée par laFaculté de Droit de Paris en 1946.Recruté dans la fonction publique (Service des Contributions Directes) en 1942en qualité de surnuméraire, y gravissant tous les échelons, il termina sa carrièrele 28 février 1989, comme Chef des Services fiscaux, Directeur des ServicesFiscaux, sommet de la hiérarchie, grâce à un travail opiniâtre et une conscienceprofessionnelle exemplaire. Dans toutes ses affectations, il a laissé le souvenir d’unChef de Service affable, humain, compétent, intègre, juste et toujours à l’écoutede ses collaborateurs.

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Très tôt, il s’est impliqué dans la vie de la Cité, tant au sein d’associationssportives, sociétés mutualistes et dans la vie municipale. C’est ainsi qu’il aura étéfondateur, membre actif, puis Président de nombreux clubs, associations, sociétésculturelles, indépendamment des activités liées à sa profession. Une telleimplication lui valut de recevoir de nombreuses distinctions honorifiques, dontla plus importante est celle de Commandeur dans l’Ordre National du Mérite.

Un homme de cette envergure se devait être franc-maçon. Initié le 19 décembre1948, il accède au 33e degré le 11.09.1984. À tous les degrés, il a porté sa pierreà l’édifice en occupant des Offices importants. Les derniers offices occupés sont ceux de Grand Orateur du Conseil Philosophique « Droit et Justice » etMinistre d’Etat du Consistoire « Antilles – Guyane », dont il fut un des membresfondateurs en 1985. Apprécié pour le sérieux de son travail il est nommé Membre d’Honneur duSuprême Conseil du Grand Collège du R.E.A.A. du GODF, le 11 septembre1994.Président du 21e Secteur pendant 12 ans, il en assura avec zèle, dévouement etcompétence l’animation.Pionnier dans le monde profane, il le fut également en Maçonnerie ; il a, en effet,été fondateur de la R∴L∴ « La Ruche » du GODF en 1971. Plus de 59 ans de maçonnerie attestent ainsi de sa fidélité à l’Ordre et del’expression de la Foi qu’il portait chevillée au corps. Sa Foi, « c’est la confiancedans nos principes et dans notre idéal, l’ardeur dans la recherche du Vrai, du Juste, duBeau, du Bien. C’est la foi qui nous arme de courage pour affronter les épreuves etsurmonter les difficultés. » C’est, en définitive, la confiance en l’homme.Muni d’armes pures, notre B∴A∴F∴ Octave, devant nous en position deguide, savait distinguer l’autorité personnelle de la puissance des institutions ;conformément à notre enseignement, il nous conseillait d’être toujoursrespectueux de toutes les opinions, mais de ne les déclarer justes ou faussesqu’après en avoir fait soi-même un examen approfondi. C’est là, le cadre et lamarque de son esprit de tolérance.Avec lui, nous avons appris à intérioriser le concept de Chevalier, mieux, l’idéalchevaleresque comme élément de la culture universelle qu’il avait, lui-même,intériorisée, nous permettant de nous accrocher à un type d’humanité oùs’expriment un certain nombre de valeurs dont l’ensemble constitue les règlesde la Civilisation. En sa qualité de chevalier de notre Ordre, il croyait que notreChevalerie, en se consacrant à la défense du faible, en se mettant au service dela générosité, témoignait d’un grand raffinement par rapport aux mœurs dutemps. Il employait des moyens nobles pour défendre la cause supérieure d’une

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société d’élite. Ainsi armé, il se consacrait au combat, dans le monde matérialisé,dans le monde réel et visible, pour l’édification d’une société plus juste et plushumaine. En tout, il voyait primordialement un devoir à accomplir et non unintérêt à satisfaire. Et nous comprenons les mobiles de la noblesse de ses actions,reflets de sa noblesse de cœur et de raison. « Le sage sait penser, sentir, agir, vivre en utilisant sa raison et son jugement ». Le sageest celui qui allie dans ses actions, dans ses comportements l’expression des vertusqui organisent l’intelligence et la raison. Il est alors un homme de haute moralitéau sens le plus large, un homme hautement civilisé. C’est le cas de notre TrèsIllustre et Bien Aimé Frère Octave Germany. Alors, quelles vertus lisait-on enlui ? Pourquoi et comment est-il devenu, pour nous, ce pôle attracteur au pointqu’il vit et vivra encore et toujours dans nos esprits, dans nos mémoires et dansnos actions ? Toute sa vie, profane et maçonnique s’exprimait par « son Désir de Perfection, parla Patience, la Persévérance, le Courage, le sens de l’Équité, la Prudence, un ensemblecohérent indispensable conduisant à la Sagesse ».Voilà l’ensemble vivant des vertusqui nous attiraient, tous à sa suite.Notre T∴Ill∴F∴Octave Germany s’en est allé dignement, dans la sérénité etsans fracas tout comme il a vécu. Il laisse une épouse éplorée et trois filles, dontl’une appartient à l’Ordre International du Droit Humain. Il nous laisse face ànous-mêmes, à nous interroger sur ces notions de vie et de mort, cette mortinéluctable que nous n’arrivons pas à admettre. Nous ne pourrons plus profiterde ses conseils et de ses encouragements à dégrossir notre pierre brute, à poursuivre notre initiation sur le chemin interminable et cahoteux qui yconduit…Le GODF et le Suprême Conseil du REAA en particulier, viennent de perdreun valeureux Frère, défenseur de nos valeurs et de cette laïcité si controverséeactuellement, en faisant preuve d’humanisme et en pratiquant la tolérance danstous les domaines de son activité. Comme a pu le dire un Frère, s’il n’est plusparmi nous physiquement, il est et demeure notre Lumière, notre Phare, nousayant enseigné à nous élever au-dessus des passions vulgaires, et à nous détacherde tous les sentiments intéressés ou ambitieux, de toutes les facilités.

Marcel Nogard

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MAURICE ZAVARO(08.06.1915 – 02.04.2007)

Maurice ZAVARO est passé à l’Orient éternel le 2 avril 2007.Initié à la Grande Loge en 1947 puis intégré au Grand Orient de France le 28 octobre 1958 à l’Orient de Paris, il avait eu une vie maçonnique très activejusqu’à la fin des années 90. Il avait été coopté au Suprême Conseil, enseptembre 1980, et y a laissé le souvenir d’un Frère passionnant, lettré et cultivé.Habité par le désir de transmission initiatique et doué d’un intérêt avéré pourla recherche, il assuma un moment les fonctions de bibliothécaire au GrandCollège des Rites. Son travail pertinent d’historien le conduisit au travail duretour à certains rituels anciens. C’est ainsi qu’il a participé notamment un brefmoment à la réactivation du Rite Français des Hauts Grades dans le cadre duGrand Collège des Rites. Il entreprendra à ce titre aussi de créer de toutes piècesun rituel du Ve Ordre qui n’existait pas. Dans un tout autre domaine il avaitengagé des recherches inachevées sur la maçonnerie anglo-saxonne.Le parcours profane de Michel Zavaro, juriste de formation, l’avait conduit, aprèsdes faits de résistance durant l’occupation nazie et un début de carrière en tantqu’officier des Forces Françaises Libres, à devenir finalement avocat.Il s’était retiré à Narbonne et son état de santé ne lui permettait plus aucuneactivité en Loge depuis plusieurs années déjà.

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Vieillard à grande barbe blancheRembrandt

UNE FENÊTRE OUVERTE :UN REGARD SUR LE MONDE

S ∴ C ∴ G ∴ C ∴

R ∴ É ∴ A ∴ A ∴

G ∴ O ∴ D ∴ F ∴

Le dessinateur de la femme couchée, 1525Albert Dürer

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DISCOURS DU T∴P∴S∴G∴C∴EN CLÔTURE DU R.M.I. À STRASBOURG

(DIMANCHE 3 JUIN 2007)

T∴R∴G∴M∴, mon Très Cher Frère Jean-Michel, Mes TT∴CC∴FF∴ Conseillers de l’Ordre, Dignitaires des Obédiences et Puissances maçonniques siégeant à l’Est, Vous tous et toutes mes TT∴CC∴FF∴ et TT∴CC∴SS∴en vos grades et qualités,

Alors que nous voici réunis à Strasbourg sur le thème « Construire l’Europe,construire le monde » ayons ensemble un rêve... « Let us have a dream » commele lança un jour Luther Martin King ! Cet appel à l’utopie, à l’espoir de construire ensemble dans la Fraternité, retentitaujourd’hui ici à Strasbourg comme un élan au partage généreux de ces idéauxmaçonniques qui nous portent toujours plus loin, toujours plus haut. Eh bienoui !, mes TT∴CC∴FF∴, laissons-nous tous ensemble aller à ce rêve auquelnous invite la Chaîne d’Union universelle, celle qui en ce jour se forme àl’invitation du Grand Orient de France, notre Obédience, là même où, en 1961,ce fameux appel de Strasbourg fondateur du CLIPSAS fut lancé par des Maçons visionnaires et pétris d’une culture Maçonnique, fraternelle capable de transcender les frontières nationales et aussi celles des options doctrinales dont la diversité doit nous enrichir et non nous diviser. Nourrissons-nous de cette ambition généreuse et puissante qui est au cœur du projet initiatiquemaçonnique. Souvenons-nous mes TT∴CC∴FF∴ et TT∴CC∴SS∴et faisons un petitexercice de mémoire avant de nous projeter vers l’avenir. Car notre ambition,celle de notre école de pensée maçonnique libérale n’est-elle pas d’améliorerl’Homme et la Société ? Alors, sachons aujourd’hui d’abord rendre hommage ànos Anciens, ceux-là qui nous ont montré la voie. Sachons nous en montrer dignes aussi par l’ambition de nos projets et par nosattitudes, comme par notre capacité conjuguée à un dialogue fructueux car

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n’imposant rien. Comme nous tous ici présents, j’ai entendu le GM∴ Jean-Michel QUILLARDET proclamer hier soir au banquet le refus de toutehégémonie qui serait contraire à notre école de pensée et je m’en réjouis, car c’est un point fondamental. Oui, mes TT∴CC∴FF∴ et SS∴ en ce jour jene peux ne pas penser, ni faire l’économie d’une référence au précédentRassemblement Maçonnique International à Paris voulu et porté par RogerLeray, notre Grand Maître d’alors que j’avais le privilège déjà de conseiller en raison de mon expérience diplomatique et dans le domaine de la commu-nication, mais aussi de ma place auprès de lui, tout comme mon premierLieutenant Commandeur ici présent, Jean-Robert RAGACHE. Ce grand élangénéreux et respectueux des sensibilités diverses avait été l’un des moments fortsde la vie internationale du Grand Orient de France du 13 au 17 mai 1987. Cerassemblement, le premier du genre depuis 1889, avait suscité une adhésion siforte, que des délégations y avaient alors participé que rien ne prédisposaitpourtant à cela, si l’on s’en était tenu à certains critères qui visent à exclure, ilfaut bien l’admettre, plutôt qu’à additionner les différences pour les fédérer. Je pense, comme vous ici bien sûr, aux fameuses et funestes règles de « régularité »ou de « reconnaissance » ou encore à cette « exclusivité juridictionnelle territo-riale » découlant de principes tardifs attestant d’une déviance de la démarched’ouverture et de rassemblement préconisée par James Anderson et le Chevalierde Ramsay. C’était, pour utiliser un terme auquel les diplomates ont eu souventrecours dans un autre domaine, l’époque flamboyante du glacis. Oui, alors quel’une des importantes missions fondamentales de l’Ordre maçonnique est defavoriser la Fraternité et de transcender les options particulières, sans néces-sairement les méconnaître, eh bien ! notre Ordre avait réussi le tour de forceparadoxal d’ériger son rideau de fer ou son mur de Berlin sous forme de corpusdoctrinaire. Il était alors parfaitement établi que la Grande Loge Unied’Angleterre régnait universellement et sans partage ou si peu, grâce à uneinvention géniale, celle des funestes et fameux Landmarks de 1929 aux termesdesquels elle s’arrogeait seule le droit et la prérogative de reconnaître, selon sescritères, une seule Obédience par pays. Géniale invention indéniablement! Maistelle le rideau de fer et le mur de Berlin elle a inéluctablement vocation à céderun jour la place à l’irrésistible poussée de ceux qui s’inspirent des préceptespremiers de la Franc-maçonnerie. Il n’est point polémique d’affirmer ceci. Etcomme j’ai maintes et maintes fois eu l’occasion de le déclarer, il n’y a aucuneraison pour que l’Ordre maçonnique universel n’obéisse pas aux mêmes règlesque celles du processus diplomatique d’Helsinki dont chacun connaît les effets :l’effondrement d’un bloc avec la disparition du mur de Berlin le 9 novembre1989. Certes nous n’en sommes pas là. Mais j’ai des nouvelles à vous apporter

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qui sont un signe annonciateur du mouvement qui est en marche. En effet, à l’occasion de la conférence qui vient de se tenir à Edimbourg, la GLUA a clairement indiqué son intention d’inviter les Obédiences à Londres, ennovembre, en axant sa démarche autour de cinq critères les distinguant : cellesreconnues, celles régulières, les féminines, les « historiques » et enfin les « autres »,cette dernière catégorie semblant réunir les organes posant des problèmeséthiques graves. Eh bien, mes TT∴CC∴FF∴ et SS∴, ne nous y trompons pas,cette annonce constitue un véritable mouvement des plaques tectoniques de laplanète maçonnique. Le tout sera de voir où se placent les curseurs. Le paysage maçonnique international a donc amorcé une mutation lente maiscertaine. Si le mur de Berlin est tombé, les certitudes des Obédiences s’affirmant« régulières » et disputant cette qualité aux autres et en premier lieu au GODF,première et plus ancienne Grande Loge d’Europe continentale, ces certitudesont subi, elles aussi, les effets d’une érosion dont il convient de bien prendre lamesure. Nous devons en apprécier les effets sur le moyen/long terme. Nousdevons considérer ce qu’il nous appartient de faire dans un contexte qui nousengage moins que jamais à nous comporter en assiégés. C’est même tout lecontraire. Nous devons être fers de lance du progrès. Si nous prenons le cas de l’Angleterre pour illustrer ce propos, la désaffectionaiguë dont y souffre l’Ordre maçonnique y est véritablement dramatique. Faut-il s’en réjouir pour la simple raison que les instances obédientielles d’outre-Manche nous ignorent encore, du moins dans leur posture officielle ? Certesnon. D’ailleurs le pragmatisme légendaire de nos Amis britanniques aidant, ilsont bien conscience de l’intérêt qui est le leur d’amorcer par touches et avecprudence des évolutions dont nous commençons à percevoir les prémiceslorsque nous les fréquentons à titre individuel dans les grands colloques derecherches et d’études, véritables creusets de la Franc-maçonnerie du futur. Cescénacles et lieux d’érudition sont pour la plupart pilotés par des instancesjuridictionnelles du Rite Écossais Ancien Accepté pour la simple et bonne raisonque c’est à l’évidence là que se recrutent des élites pensantes de l’Ordremaçonnique universel. Le constater n’a rien d’arrogant, ni de désobligeant caril ne s’agit pas d’une exclusive. C’est tout simplement faire droit à une réalitéincontestable dont, sous toutes latitudes, la production des sociétés savantesatteste. Pour autant, et nous le verrons dans un instant, la géographie maçonniqueest un corpus virant qui permet des porosités favorables aux ouvertures ycompris aux Sœurs et aux universitaires profanes qui ont tous et toutesbeaucoup à nous apporter par leurs connaissances et leur rigueur scientifique. Alors, mes FF∴ oui, ayons ce rêve du futur : il n’est plus utopique. Mais il nel’est pas, à la condition corollaire que nous aussi ayons nous-mêmes le courage

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de faire notre aggiornamento et notre propre examen de cette conscience.N’affirmons-nous pas trop volontiers et si fort qu’elle est totalement libre. L’est-elle vraiment et ne sommes-nous pas, nous-mêmes, parfois prisonniers de notrepassé, de notre histoire nationale, de notre héritage et des convulsions qui ontmarqué notre maçonnerie française ? Lorsque je dis cela je sais bien que je sorsde l’épure classique du discours convenu et que je me hasarde sur un terrain quireste sensible pour ceux que la pensée unique hante encore. Comme GrandCommandeur du Suprême Conseil du Grand Orient de France, n’ai-je pasproclamé lors de mon accession à mes fonctions voici cinq années accomplies :mes FF∴, osons ! Car oui, nous assumons notre héritage, mais nous distinguonsclairement la sphère dans laquelle nous avons vocation à œuvrer : c’est celle dela Maçonnerie éclairée du XXIe siècle et il importe de ne pas se tromper desiècle. Et si à l’instant je faisais référence à Roger Leray, ce n’est pas parcoquetterie, mais parce qu’il nous a enseigné ce courage et cette déterminationà nous engager sans frilosité, ni a priori dans des voies nouvelles sans être figésdans des postures d’antan. Nous aussi nous disons, depuis plus longtemps sansdoute que certains qui en ont fait aujourd’hui leur slogan : n’ayez pas peur, mesTT∴CC∴FF∴. Pour autant notre Grand Maître Roger savait, comme nous le savonsaujourd’hui, que ce n’est pas en nous plaçant en donneurs de leçons, ni encorebien moins en croyant à notre hypothétique rôle messianique, que nous feronsavancer les choses. Ceci s’applique aussi bien à la liberté absolue de consciencequ’à la laïcité dont l’essence n’est pas identique en tous points du globe et nousl’oublions parfois. En revanche, la laïcité demeure essentielle dans notre propredémarche et dans notre pays, mais aussi dans des pays amis comme la Turquieou le Portugal où l’Ordre maçonnique porteur de ces valeurs constitue unrempart solide contre les débordements des clercs dans la sphère publique. Dansun système des hauts grades du GODF, dans lequel nous nous inscrivons etauquel nous adhérons par choix personnel, par engagement, par conviction,comme par fidélité, notre rôle est certes circonscrit et nous tenons au respectstrict de ces sphères dont les actions peuvent et doivent être complémentaires,chacun jouant en quelque sorte sa partition musicale dans des registres distincts.Mais l’Ordre maçonnique a tout intérêt à cette polyphonie pleine de bon sens.Puisque l’occasion m’en est offerte ici à Strasbourg en ce jour de réunionsolennelle, je tiens, en dehors de tout discours convenu qui n’est pas dans monstyle, vous le savez bien, à dire que ces complémentarités sont de plus en plussouvent mises à contribution par le Grand Maître Jean-Michel QUILLARDETet son Conseil de l’Ordre. Ma présence à Strasbourg au RMI avec une fortedélégation du Suprême Conseil en atteste. Je m’en réjouis, non pas simplement

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parce que cela traduit la prise en compte d’une réalité du Rite Écossais AncienAccepté, à savoir qu’il est à l’échelle de l’univers le seul rite couvrant tous lescontinents et qu’il est devenu en un peu plus de deux siècles un élément dedialogue et de libération de la parole que rien n’a jamais, ni ne peut remplacer.Non, je pense qu’il y a une autre dimension importante. Le Grand Orient de France est légitimement fier, je le crois et je le ressens ainsi, d’être uneObédience qui ne repose pas, à la différence de certaines autres sur un système « mono rite » ou d’un rite officiel toujours réducteur car synonyme d’enfer-mement doctrinaire, intellectuel, culturel et géopolitique. Notre grande chance,la nôtre, à nous tous FF∴ du GODF et quel que soit le cheminement que nousayons pu choisir au-delà de la Maîtrise, c’est que notre Obédience soit un creusetoù prospèrent à égalité et dans une fédération de rites et de Loges, des traditionsdiverses qui enrichissent pareillement la pratique maçonnique en conséquence.Moi qui ai eu, si je puis dire, le privilège de vivre une vie de nomade profes-sionnel toujours actif en maçonnerie sous toutes les latitudes et de goûter auxdélices exploratoires d’autres obédiences étrangères, je mesure, peut-être mieuxque bien d’autres, cette chance qui est la nôtre par rapport aux options plusrestreintes offertes ailleurs, ou disons plus modestement, dans la plupart des cas.Alors n’hésitons pas à dire et à affirmer ce que d’aucuns ignorent peut-être : le GODF est à part entière aussi une puissance maçonnique écossaise majeure. Il n’enrevendique aucune exclusive qui serait tout à fait contraire au respect que nousportons à ceux qui nous respectent. Ce ne serait du reste pas conforme à laréalité historique. Mais il faut bien réaliser qu’il est pourtant à ce jour, au traversde son Suprême Conseil et des Ateliers du Grand Collège du REAA-GODFla première puissance écossaise européenne, la plus ancienne aussi. Il se place immédia-tement après celle des États-Unis d’Amérique en termes d’effectifs avec, enprime, une incomparable ancienneté. Et à l’occasion, il lui incombe donc à cetitre de rappeler la règle, lorsque certains croient pouvoir s’accorder des libertésavec notre Tradition dont nous sommes conservatoire. Faut-il dès lors s’étonnerque, là aussi, la prise en compte de cette réalité ait modifié certaines postures ànotre égard? Les célébrations du Bicentenaire du Rite, d’abord à Charleston en2001 avec l’invitation faite à notre Juridiction, puis celle à Paris au Grand TempleArthur Groussier, rue Cadet, dans l’Hôtel du Grand Orient de France avec laparticipation en qualité d’orateur de marque, d’un des plus éminents membresdes instances de la Juridiction Sud des Etats-Unis, fait sans précédent, sont autantde signaux, parmi de nombreux autres, qui attestent d’un glissementincontestable des curseurs. Un phénomène qui ne trompe pas. Mais cetteévolution est aussi le fruit de nos propres capacités à conduire un dialoguerespectueux des différences. Ce ne fut pas toujours le cas, reconnaissons-le.

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Un bref regard en arrière nous permettra de prendre la mesure du cheminparcouru depuis le lendemain de la fin de la Deuxième Guerre Mondiale.Depuis au moins les négociations de 1946, en prélude à la signature duProtocole entre le T∴P∴S∴G∴C∴ Pourriau et le S∴G∴M∴ Viaud, ladimension internationale du R∴E∴A∴A∴, sa spécificité en tant que réseauet outil diplomatique, comme facteur de décloisonnement international, ont étédes arguments décisifs pour l’affirmation du Grand Collège des Rites puis plusrécemment du Suprême Conseil, sans jamais méconnaître ni négliger l’ancrageau G∴O∴D∴F∴, notre appartenance primordiale. Après les crises postérieures au Convent de 1995 et celles plus sourdes qui lesavaient précédées, le positionnement du Suprême Conseil s’est posé en termesd’affirmation d’un Rite dont la primauté de fait comme de forme dans les HautsGrades n’était, je dirai, heureusement plus, au sein du grand ensembleobédientiel pluriel qu’est le GODF. On assistait même à une profonde remiseen cause. La place de la Juridiction Ecossaise était expressément objet decontestation. Certains n’hésitèrent même pas à flirter un moment avec deschimères conjoncturelles en entendant privilégier un Rite et en abandonnantles équilibres. Si cette hypothèse mortifère avait prévalu, il est évident que leGrand Orient de France – outre la rupture du pacte constitutif d’une fédérationde rites dont j’ai fait les éloges précédemment – en aurait rapidement payé leprix fort, c’est-à-dire l’isolement international. Nous en serions en quelque sorterevenus à la situation qui nous avait confinés après le Convent de 1877, dont leseffets sur la scène maçonnique internationale demeurent de nos jours encoreperceptibles à l’échelle planétaire, même si nos options concernant la libertéabsolue de conscience ont fait des émules. L’instrumentalisation de 1877demeure, admettons-le au passage, une machine de guerre diabolisante assezefficace. À chaque fois que la question de la « légitimité » particulière du R∴E∴A∴A∴et de la « plus-value » apportée par le Suprême Conseil et les Ateliers du GrandCollège de R∴E∴A∴A∴ a été posée dans notre Obédience, nous avons pumesurer les hauts risques encourus tant par le GODF lui-même, dès lors menacéde repli identitaire dans l’Hexagone, que par notre Juridiction des Hauts grades.Et ceci paradoxalement en dépit de la place de choix que nous occupons dansle spectre international par l’héritage d’Etienne Morin, comme d’Alexandre deGrasse-Tilly. La question formulée par le G∴M∴ de l’époque était à rapprocherde celle posée par Staline au Vatican : « Combien de Divisions ? », formulée en cestermes : « Quel réseau international, le R∴E∴A∴A∴ apporte-t-il au GODF en plusde celui entretenu par l’Obédience et dès lors quelle est sa légitimité singulière qui seraitsupposée fonder la place particulière qui lui est faite ? ».

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Nous n’avons eu aucun mal à faire valoir que de tout temps, le R∴E∴A∴A∴avait été synonyme de réseau transcendant les problèmes de « régularité » et « reconnaissance » dans un dialogue pragmatique qui avait cependant été mis àmal par les crises internes traversées par l’Obédience avec des conséquencesgraves, au CLIPSAS notamment. C’est précisément là que le R∴E∴A∴A∴pouvait aider à reconstruire une confiance et des réseaux et influences perduespar lui-même, comme par le GODF ou pour le moins fortement amoindriessur la scène internationale. Il importait donc de ne pas de surcroît affaiblir plusencore le Suprême Conseil et de conduire une véritable réflexion prospectivesur le long terme. Depuis 1998, le Suprême Conseil, sans jamais sortir de son périmètre decompétences, ni de son rôle spécifique, s’est à nouveau fortement investi dans lareconstruction d’une politique internationale d’affirmation identitaire attachéeà la liberté absolue de conscience, tout en respectant les options des autresJuridictions. Libéré du poids des convulsions internes à l’Obédience et des dégâtscollatéraux inévitables, il a résolument entrepris la reconstruction de la confiancefraternelle et toujours veillé à ne pas se substituer au rôle qui revient au seulConseil de l’Ordre. Car le Conseil de l’Ordre est le seul à tirer sa légitimité duConvent et que nous sommes profondément respectueux de cette réalité. Unancien Grand Maître, après avoir envisagé un moment l’abaissement du SuprêmeConseil et la réduction de la place du R∴E∴A∴A∴ au GODF a fini parréaliser avec intelligence, où était l’intérêt bien compris de l’Obédience dont ilprésidait aux destinées. Et il a su opérer un rétablissement habile pour, endéfinitive, faire usage de cette diplomatie maçonnique à deux voix, ne faisantqu’une, en dernière analyse. Les célébrations du bicentenaire ont fait le reste, comme je l’indiquais il y a uninstant. Nous l’avons réalisé en tirant le meilleur parti de cette échéancehistorique pour affirmer aussi la place du GODF et de notre Suprême Conseil,au titre d’un rite des hauts grades qui n’a jamais cessé d’exister dans la continuitéparfaite et sans faille depuis plus de deux siècles. Joyaux par excellence de notreObédience, le R∴E∴A∴A∴ apparaît tel qu’il est et n’a jamais cessé d’être :une voie d’excellence, exigeante et dont l’accès par voie de cooptation échoit àceux qui veulent se reconnaître dans cette démarche qui ne connaît, ni nereconnaît ni les impatiences, ni les futiles apparences. Avec l’Amérique, point de passage et levier incontournables, tant sur le planmaçonnique que profane, l’effort de notre suprême Conseil a porté sur ledialogue pragmatique dans les domaines neutres des sociétés savantes, de larecherche et de l’histoire. Cela a autorisé l’établissement progressif d’un processussubtil reposant sur des rapports personnalisés et suivis avec constance.

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Progressivement une confiance pragmatique, largement fondée par l’authentiquelégitimité maçonnique du GODF, a pu s’établir. Ce « verrou » ayant sauté,l’inhibition des FF∴ des Juridictions dites « régulières » du continent n’a pastardé à s’estomper partout où nos FF∴ n’attendaient que cela : au Brésil, auMexique, en Uruguay, au Chili, au Pérou, en Colombie, en Equateur, auVenezuela et ailleurs. Il n’est pas déraisonnable de penser aujourd’hui que ceprocessus, parfois rapproché de celui d’Helsinki déjà cité, et des « mesures deconfiance » dont il fut assorti, est appelé à faire tache d’huile pour autant queconstance et persévérance demeurent inspiratrices de notre géopolitique. Les Sociétés savantes transversales qui sont nées depuis 2004 en France et enEurope – j’y reviendrai – ont retenu notre attention car elles répondaientprécisément à ce « New Age » permettant de transcender les options doctrinalesjugées intangibles aussi longtemps qu’elles se situent dans le champ initiatique.Alors que notre Atelier de recherches SOURCES, Aréopage de notre Juridictionfête ses trente années d’existence mais a vocation à ne recevoir que desChevaliers Kadosh des Ateliers de notre Grand Collège, des FF∴ et SS∴ detoutes Juridictions ont trouvé dans la Société Française de Recherches etd’Etudes sur l’Ecossisme présidée par un universitaire connu, le ProfesseurPierre-Yves Beaurepaire, un lieu de travail ouvert à tous. Depuis deux ans, la SFERE enrichit l’offre en proposant aux FF∴ et SS∴ – sans distinction dedegré initiatique – comme à des profanes, de travailler ensemble dans le cadrede colloques de haute tenue. C’est une évolution heureuse et pourquoi pas le début d’une révolution copernicienne, si l’on observe d’où sont partis lesinitiateurs du modèle et vers quoi ils tendent. Il nous revient d’ailleurs que la formule fait à ce point recette qu’à Bruxelles, etdonc cette fois au niveau européen, puis à Budapest des initiatives s’en inspirantont vu le jour cette année. La Société Européenne d’Études et de RecherchesEcossaises recrute ses adhérents dans l’ensemble du bassin de l’Union Euro-péenne et l’une des clefs essentielles de son succès résulte du choix d’échapperpar sa configuration statutaire, comme c’est le cas pour la SFERE, aux démonsdes structures lourdes et lestées du poids d’institutions et d’hommes qui placent, nous le savons d’expérience, leurs intérêts particuliers ou leurs ego tropsouvent au dessus des objectifs comme des idéaux. Et puis, en avril dernier, lesJuridictions écossaises des pays slaves ont à leur tour créé un centre régional derecherches comparable tandis que les Américains du Nord et d’Amérique latines’orientent dans une semblable direction. Nous assistons donc à une tendancelourde et universelle. Mais je souhaite revenir un instant sur ma vision du rôle de notre Juridictiondans l’univers écossais international et sans doute au-delà de l’Écossisme, c’est-à-

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dire en dépassant les rites et ce qui les distingue. L’objectif international duSuprême Conseil en tant qu’institution doit viser, nous l’avons vu plus haut, àconduire une action pérenne. Il en a les moyens en raison de la durabilité desmandats et notamment de celui de son Grand Commandeur. Singulièrementdans le domaine des relations internationales, les fluctuations d’orientationstratégiques ont les plus lourdes conséquences pour une action continue et doncpour le rayonnement des idées et valeurs humanistes dont nous sommes, parexcellence, des vecteurs à l’extérieur. Les Suprêmes Conseils du R∴E∴A∴A∴dans le monde ont besoin d’une lisibilité et d’une continuité dans la relation,comme dans les politiques et alliances, sans que celles-ci soient soumises auxaléas des mandats des Grands Commandeurs, ni de ceux qui, sous leur conduite,gèrent les relations extérieures. C’est à ce prix que notre sphère d’influencemondiale s’est construite et perdurera. La recette n’a rien d’original. Elle estuniverselle et de simple bon sens. Les stratégies et les enjeux d’une politique extérieure durable, ambitieuse et dynamique sont parfaitement identifiés : nous nous sommes assigné pourobjectif d’être, le plus largement possible, en rapport avec des Juridictionsétrangères pour y faire entendre avec elles, et sur la base de nos échanges, notremessage maçonnique – celui de la FM∴ libérale comme notre lecture del’enseignement du R∴E∴A∴A∴. Nous agissons sans jamais méconnaître, nimésestimer les postures et choix d’autres juridictions. Mais ce choix est assortid’une conditionnalité : ne jamais affadir notre propre discours, ni céder à unefacilité complaisante ou à quelque ambiguïté. Cette stratégie conjuguant clarté,attachement aux principes et plein respect des différences, fait appel à plusieursregistres complémentaires. Le premier, le plus traditionnel aussi, consiste àengager le dialogue via des relations officielles de reconnaissance réciproque.L’effet premier de ceci est la libre circulation des FF∴ de notre Juridiction dansde nouveaux espaces lorsqu’ils visitent les Ateliers des Juridictions amies àl’étranger. C’est une politique de désenclavement qui prend toute sa significationdans un monde devenant « village planétaire » et dans lequel la posture « impé-riale » des Juridictions de la mouvance anglo-saxonne, comme celle de certainesObédiences nostalgiques de temps définitivement révolus, constitue toujours unfrein. Ce frein est de plus en plus douloureusement ressenti par des FF∴ quivoyagent à titre profane et entendent pouvoir concilier cela avec des visites enTenues dans des pays tiers. Et cette aspiration légitime existe aussi bien chez nosFF∴ des pays du Sud dont nous avons vocation à être proches. Le ton du changement de cap avait été donné dès le 17 avril 2000 dans lediscours prononcé à Washington par le Deuxième Lieutenant Commandeurd’alors – votre serviteur – devant un parterre de nombreux FF∴ américains et

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étrangers invités par la R∴L∴ « Potomac No 5 » à l’Or∴ de Washington, DCen suggérant de laisser de côté les vieilles querelles sur la question de « régularité »,en se reportant vers des échanges plus gratifiants tels que la recherche. L’accueilalors réservé à cette proposition avait dépassé toutes les espérances et comme apu le relater récemment Alain Bauer, ancien Grand Maître introduit par notreSuprême Conseil auprès de nos interlocuteurs américains du R∴E∴A∴A∴1 :« les Américains ont alors commencé à accepter le principe selon lequel entretenir desrelations historiques et culturelles et lancer des débats sur l’histoire était possible. C’estainsi donc que (le 20 juillet 2002), pour la première fois dans l’histoire moderne, lesAméricains, par l’intermédiaire de la Grande Loge de Californie, ont invité un GrandMaître du GODF à Sacramento (en même temps que le Souverain Grand Commandeurde notre Suprême Conseil, tout fraîchement élu par ses pairs en juin 2002, jouant le rôlede « grand introducteur »), le traitant comme un frère et lui rendant les honneurs dus àson rang. Tel fut le premier rétablissement officiel de la relation avec les Américains »... Lefruit de l’action conduite par notre Suprême Conseil certes, mais le résultatsurtout d’un travail en réseau « écossais » et aussi d’une approche concertée. Ladonne avait changé et c’est un changement dont il importe que nous sachionstirer tous les enseignements pour notre chaîne universelle. 2

Mais revenons-en au bilan : Au titre de cette activité dite de « l’extérieur », leSuprême Conseil a souhaité, en particulier depuis 2002, conclure des Traitésd’Amitié et de Coopération afin de structurer et stabiliser les rapports en leurconférant un cadre institutionnel qui les codifie. Il s’agissait, dans un premiertemps, de consolider les acquis des années 1970, époque où la relation étaitcirconscrite à l’Europe proche et latine avec un noyau dur initial franco-belgo-helvétique. En toute logique, le Traité d’Amitié et de Coopération signé avec leSouverain Collège du Rite Écossais de Belgique, notre plus ancien partenaire,ouvrit le ban. Ont bientôt suivi une série de Traités élargissant le spectre ensortant de l’épure européenne à commencer par celui avec le Suprême Conseildu Cèdre du Liban. Nous verrons plus loin toute l’étendue de cette politiquede la main tendue, mais la signature d’un pacte des juridictions de l’espace latin– rédigé en langue latine – le 28 mars dernier à Lisbonne suffit à lui seul àindiquer tout le poids et l’effet fédérateur d’un rite Écossais Ancien Accepté enplein essor, tant au plan national qu’international.

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1. Cf. Géopolitique No 97 Février-Avril 2007 (Revue de l’Institut International de Géopolitique,PUF), « Les francs-maçons, les loges et le monde » : « La franc-maçonnerie et ses « Affaires étran-gères » par Alain Bauer. 2. Cf. ibid. « La franc-maçonnerie américaine : un acteur méconnu des enjeux de pouvoirgéopolitiques » par Alain de Keghel.

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Notre stratégie internationale a, par ailleurs, visé à établir des liens avec desJuridictions émergentes et à favoriser, le cas échéant, la création de celles-ci. Ainsiavons-nous délivré des patentes aux nouveaux Suprêmes Conseils, GrandsCollèges du R∴E∴A∴A∴ du Luxembourg, du Canada ainsi qu’à celui pour laTchéquie et la Slovaquie, comme nous l’avons fait un peu plus tard avec leCongo Brazzaville.La recomposition du paysage maçonnique international s’est opérée encohérence avec notre souhait de l’accompagner par des initiatives s’inscrivantdans la logique du respect de la pleine et totale indépendance et souverainetédes Juridictions nationales. Forts des enseignements tirés des postures impéria-listes d’autres et dont nous avions subi les effets nous-mêmes, nous avons pris leplus grand soin de ne poser aucun préalable, ni d’exiger quelque règle d’exclusi-vité qui eut été d’ailleurs contraire à notre approche fondamentale. C’est ainsique nous avons à ce jour pu signer des Traités d’Amitié et de Coopérationavec dix des principales Juridictions, en plus de celles énoncées plus haut, ouparfois concomitamment.

En Afrique, à laquelle je souhaite ici rendre un hommage particulier, dès lesindépendances, en 1960, le Grand Collège des Rites avait choisi pour ligne de conduite de faciliter l’émergence de structures maçonniques nationales ens’appliquant à répondre à leurs propres attentes et demandes. Aujourd’hui, c’esten s’inscrivant toujours dans cette même perspective accordant la priorité aux liens fraternels dénués de tout européocentrisme, que le Suprême Conseilest présent de façon constante et suivie à la grande réunion annuelle des « REHFRAM » (Rencontres humanistes et fraternelles africaines et malgaches)comme aux réunions de la CPMAM (Conférence des Puissances, Maçonniquesafricaines et malgaches). Deux lieux de rencontres et de dialogue qui permettentun échange direct entre les puissances maçonniques du Sud et celles du Nord.Notre implication dans ces structures n’est autre que l’expression concrète denotre volonté de rester à l’écoute des nos FF∴africains et malgaches qui ontpour soucis, en ce domaine, de renforcer les liens inter obédientiels et interjuridictionnels, de prendre en compte les problèmes transversaux auxquels sontconfrontés leurs pays et de chercher un positionnement de la Franc-maçonnerieface à ces défis en s’appuyant sur nos valeurs communes.Notre présence conforte, par ailleurs, la démarche de nos FF∴ africains, soucieuxd’établir des liens durables avec les structures maçonniques de l’Ordre dans lespays du Nord. Ceci, et il importe de le souligner, dans le plein respect réciproquedu principe de « souveraineté » qui demeure un principe intangible. Le Traitéd’Amitié signé le 17 mars 2007 entre notre Juridiction et le Suprême Conseil

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du Maroc constitue une avancée qui atteste d’une volonté partagée de conduireet d’approfondir un dialogue permanent dans le plein respect des options dechacun, mais en s’inscrivant ensemble dans la tradition de la liberté de penser.L’annonce à Rome le 27 mai dans le cadre de la 19e Rencontre Internationaledes Hauts Grades Écossais, que le Maroc accueillera dans deux ans la prochaineRencontre, se passe de tout commentaire, tant elle est révélatrice d’une prise encompte et d’une prise de conscience de la place de la Franc-maçonnerie enAfrique et dans le dialogue Méditerranéen. À cet égard, en s’inscrivant de façonemblématique dans cet esprit, une réflexion s’est engagée à Rome au mois demai 2007 entre partenaires du R∴E∴A∴A∴ du pourtour méditerranéen pourétablir un dialogue et une coopération renforcée entre Juridictions de la Régionet en y incluant notamment l’Italie, le Maroc, l’Espagne, le Portugal, La France,la Turquie, la Grèce et le Liban. Ainsi, dans quelques mois, en avril 2008, serons-nous réunis à Marseille dans le sillage des rencontres des Obédiences de l’UnionMaçonnique Méditerranéenne.

L’Amérique et singulièrement les États-Unis demeurent, j’y insiste à nouveau,à la fois la clé et le verrou de toute politique mondiale. Le verrou pour la bonneraison que la disposition de l’exclusivité juridictionnelle est un outil d’uneefficacité jusqu’à ce jour imparable, mais qui se fissure avec la reconnaissancedans certains États des USA des Grandes Loges noires de « Prince Hall », avecaussi la délivrance discrète, depuis peu, de patentes à des Grandes Logesféminines hors des Etats-Unis pour tenter de garder la haute main et en espérantfaire obstacle aux Loges mixtes. Notre dialogue avec le Suprême Conseilaméricain, fût-ce dans le domaine de la recherche et son association à notrebicentenaire en 2004 à Paris, est bien de la nature d’une clé. Car en ouvrant unverrou jusqu’à présent fermé à tout contact, c’est l’inhibition des Juridictions sesoumettant à la discipline stricte imposée par Washington qui, progressivement,autorise des Juridictions de plus en plus nombreuses du Continent américain àoser franchir le pas en notre direction, sans pour autant renoncer à maintenirdes liens avec le grand Frère américain. La participation répétée de notreJuridiction, au travers de son Grand Commandeur, à des colloques maçonniquesde recherche outre-Atlantique, son implication dans la Société des Philalèthesnotamment, sont autant d’occasions d’interventions devant des auditoires sedéclarant « réguliers » qui n’avaient jamais rien vécu de tel. La politique du toutou rien n’est bien entendu pas pensable tant les rapports de force nous sontobjectivement défavorables et il nous faut donc avancer avec pragmatisme et sansfanfaronnades. Veillons à rester fermes sur les positions qui constituent le soclede notre doctrine écossaise indissociablement inscrite dans la famille de pensée

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du GODF. Une véritable stratégie géopolitique assortie d’une posture d’humilitésera, c’est notre avis, le meilleur garant d’une progression de notre rayonnementallant de pair avec les idéaux humanistes qui sont les nôtres. À l’inverse toutearrogance – et notamment celle d’un néo-colonialisme maçonnique rampantd’un autre temps – compromettrait irrémédiablement l’entreprise et favoriseraità terme nécessairement des acteurs plus avertis. C’est dans cet esprit de dialogueouvert qu’est né le projet canadien de première conférence des Juridictionslibérales du R∴E∴A∴A∴ en Amérique du Nord qui vient d’avoir lieu avecla participation du S∴G∴C∴ de notre Juridiction au mois de mai 2007 àMontréal.

Par ailleurs, dans le cadre institutionnel multilatéral et dans le droit fil desDéclarations de Lausanne de 1875 et de Genève de mai 2005, notre SuprêmeConseil n’a rien négligé pour concourir à la mise en œuvre des grands chantiersauxquels il prend une part importante sans pour autant concourir à des projetspharaoniques qui seraient voués à l’échec, du type de mastodontes communau-taires. La « Société d’Etudes et de Recherches Écossaises » à laquelle il a été faitréférence précédemment, est un exemple emblématique de la dynamique dontl’Ecossisme européen sait collectivement tirer pleinement bénéfice sans être lestépar des superstructures lourdes et bureaucratiques, il n’est ni inféodé à aucuncourant maçonnique. Déjà des profanes qualifiés ont rejoint la structure duComité des experts et se sont mis au travail. Ils ont déjà déposé un rapport à laCommission Européenne et la SEV.RE peut escompter désormais un mandatpour piloter la préparation d’un projet « Communication-Développement-Gouvernance ». Quant à l’aspect maçonnique de recherche et d’études, il faitl’objet de propositions conceptuelles et d’organisation qui sont les meilleursgarants d’une activité bien structurée. Le groupe de chercheurs placé sous laprésidence du professeur italien Aldo MOLA s’est mis au travail après la 19e

Rencontre Internationale des Hauts Grades Écossais à Rome (24-27 mai 2007).

Ce panorama, incomplet et trop sommaire pour prétendre à l’exhaustivité, a tenté d’illustrer devant vous tous mes TT∴CC∴FF∴ et dans le cadre de ceRassemblement Maçonnique International de Strasbourg, l’importance querevêtent aujourd’hui plus que jamais la concertation et l’action internationaledans le cadre du REAA. Nous nous inscrivons dans une logique de cohérencedes stratégies qui intéressent l’Ordre maçonnique dans son ensemble par latournure de plus en plus concrète que prennent les politiques mises en œuvre.Comme j’espère avoir réussi à le faire apparaître, cette politique maçonniqueinternationale est aujourd’hui un enjeu majeur, non seulement pour le dialogue

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entre Maçons d’horizons différents, mais aussi pour l’apport que nous pourronsfaire dans la conception des politiques institutionnelles internationales. Toutesles forces en présence y ont et doivent y avoir leur place. Notre Ordre, vivier si riche en talents, en a trop souvent été le grand absent. L’heure n’est ni aurenoncement, ni au déclin si nous le voulons tous ensemble. Il appartient àchacun d’entre nous d’agir aujourd’hui pour qu’il en soit autrement.

L’heure est au rebond ! Alors, osons et agissons mes TT∴CC∴FF∴ ! LesJuridictions du REAA sont à l’œuvre.

J’ai dit.

Alain de Keghel, 33e

T∴P∴S∴G∴C∴

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TRAITÉ D’AMITIÉ ENTRE LE SUPRÊME CONSEIL DU R∴E∴A∴A∴ DU LUXEMBOURG

ET LE SUPRÊME CONSEIL, GRAND COLLÈGE DU R∴E∴A∴A∴ - G∴O∴D∴F∴

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TRAITÉ D’AMITIÉ ENTRE LE SUPRÊME CONSEIL DU R∴E∴A∴A∴ DE BELGIQUE

ET LE SUPRÊME CONSEIL, GRAND COLLÈGE DU R∴E∴A∴A∴ - G∴O∴D∴F∴

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TRAITÉ D’AMITIÉ ENTRE LE SUPRÊME CONSEIL DU R∴E∴A∴A∴ DE HONGRIE

ET LE SUPRÊME CONSEIL, GRAND COLLÈGE DU R∴E∴A∴A∴ - G∴O∴D∴F∴

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Pablo PicassoSuite Vollard

D I A L O G U E SC ∴ S ∴ G ∴ C ∴ R ∴ E ∴ A ∴ A ∴ G ∴ O ∴ D ∴ F ∴

LES TEXTES QUI SUIVENTN’ENGAGENT QUE LEURS AUTEURS

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Façade de l’église Sant’Andrea de MantoueAlberti, 1470

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MODERNISME, RELATIVISME ET FRANC-MAÇONNERIE

Le relativisme est souvent présenté comme une conséquence de « la crise de lapensée moderne » ou de « la faillite du modernisme ou de la modernité » ou du« désenchantement du monde ».

De quoi s’agit-il ?

Jusqu’à la fin du Moyen Âge, en Occident et au Moyen-Orient du moins, leDieu des Chrétiens, des Juifs et des Musulmans assure la Création et le maintiendu monde et il en est, en lui-même, la fin dernière. Mais dès le XVIe siècle enOccident, Copernic, Galilée, Giordano Bruno et quelques autres, commencentà avoir des doutes sur le fonctionnement du monde tel qu’il est décrit dans laBible. Galilée, lors de son procès, aurait dit : « La Bible nous dit comment on va auCiel et non comment va le ciel ». Le modernisme est ce courant d’idées quicommence à poindre à la Renaissance, se développe au XVIIe siècle, s’épanouitau XVIIIe, se sclérose au XIXe et s’effondre au XXe. Ce courant se caractérisepar sa croyance au Progrès et au Pouvoir de l’homme sur la nature ; il magnifiecette poussée irrésistible du Progrès scientifique et technique vers une sociétémeilleure et plus éclairée. Grâce à la Science conduite par la Raison, les maladiesseront vaincues, la pauvreté disparaîtra, l’ignorance reculera, et, dans une sociétéd’abondance, les guerres n’auront plus de raison d’être.Cette marche triomphale pourra emprunter deux voies parallèles (c’est-à-direqui ne se rencontrent pas) :– Soit grâce à « la main invisible» du marché, la Société trouvera son équilibre

et chacun recevra selon ses mérites ;– Soit grâce au moteur de la lutte des classes, nous atteindrons la société

communiste, société sans classes, où chacun recevra selon ses besoins.Ce qui caractérise le modernisme, c’est son rationalisme et son finalisme : animésde notre Raison, nous pouvons non seulement comprendre le monde mais letransformer comme le recommandait Marx.

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Malheureusement, cette histoire radieuse s’est heurtée à une géographie sinistrequi a pour noms Verdun, Auschwitz, Hiroshima, Berlin :• Verdun : 1re guerre mondiale et boucherie mécanisée.• Auschwitz : l’impensable, la destruction systématique de tout un peuple

uniquement pour ce qu’il est.• Hiroshima : la possibilité pour l’humanité de se détruire elle-même, grâce aux

progrès de la Science.• Berlin : la chute du mur et du système communiste, la fin du cauchemar

pour ceux qui le subissaient mais aussi la fin de l’espérance pour des millionsd’opprimés.

Le modernisme trouve là son aboutissement. Les valeurs et le messianisme desreligions du Livre, du Siècle des Lumières ou du Marxisme ont disparu de notrequotidien. Nous avons vécu la fin de la modernité, nous vivons désormais dansun monde sans finalité. Si nous ajoutons aux quatre catastrophes déjà décrites,la mondialisation sauvage, le pillage de la planète, les guerres pour la maîtrise dessources d’énergie et bientôt de l’eau, nous voyons bien que le modernisme dontle moteur est le progrès continu et la finalité une société heureuse, conduit àune impasse. Et comme disait Woody Allen : « Dieu est mort, Marx est mort, et moi-même, je ne me sens pas très bien ». Cet effondrement du modernisme au XXe siècle et le « désenchantement dumonde » qui lui est concomitant entraînent l’absence de repères, de transcen-dance et de règle générale qui puissent nous guider dans le quotidien. Nouspassons d’une situation d’hétéronomie (de « hétéro » autre, différent et de nomosla loi) où nous trouvons la loi, la règle de notre action hors de nous dans uneréalité qui nous est extérieure (puissance transcendante ou projet collectif) à unesituation d’autonomie où nous devons trouver en nous-mêmes la loi de notreconduite. Cette autonomisation de l’individu signe le déclin de la religion, desgrandes idéologies comme puissances structurantes de la Société. Cela ne signifiepas la disparition du sentiment religieux, des croyances et de la foi, mais c’estmaintenant affaire personnelle d’individus autonomes. La religion a glissé del’espace public à l’espace privé. L’apparition de divers fondamentalismes musulmans, juifs ou chrétiens ne sontque des tentatives pour retrouver ce temps où la vie individuelle et sociales’ordonnait selon la religion. Le monde postmoderne est sans finalité, lacaractéristique essentielle de notre temps est l’individualisme et le relativisme.Sans cadre religieux, sans loi morale, sans impératif catégorique ni valeursabsolues nous avons à décider nous-mêmes du Bien et du Mal, du Juste et del’Injuste, du Vrai et du Beau.

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Nous avons à décider sans nécessité inscrite dans un ciel intelligible, mais dansla contingence, le délaissement, la liberté et la responsabilité. Les valeursn’émanent plus d’une transcendance extérieure supérieure à l’homme : Dieu, leProgrès ou le Matérialisme dialectique, et elles ne gisent pas davantage dans unehypothétique nature humaine qui précéderait l’existence. « La postmodernité, écritAndré Comte-Sponville, c’est ce qui reste de la modernité quand on a éteint lesLumières ». Une modernité qui ne croit plus ni à la Raison ni au Progrès, c’est-à-dire à elle-même. Cet individualisme conduit au relativisme qui ne concernepas seulement la réflexion philosophique mais aussi la Science, l’Art, le langage,la littérature et bien d’autres domaines encore. S’il n’y a plus de règles, plus denormes, plus d’absolu alors tout se vaut et si tout se vaut tout est permis. Prenons quelques exemples dans le domaine artistique où le relativisme s’estmanifesté en premier, à partir des propos de Baudelaire (1848) sur la liberté decréation de l’artiste. Si on récuse les règles de l’art classique, les critères du beau, de l’harmonie et de l’œuvre d’art, alors on peut peindre en faisant destaches comme les impressionnistes, peindre des pommes comme Cézanne, destournesols comme Van Gogh, des femmes comme Picasso, et des carrés blancssur fond blanc comme Malevitch. La suite... eh bien, c’est la roue de bicyclette et la pissotière de Marcel Duchamp ou ce que nous appelons maintenant des « installations » ou des « performances » quand un tas de pierre dans un muséedevient un « sans titre » ou « Intifadafuture ». Dépêchons-nous d’en rire, lescontemporains de Manet et de Munch ont lacéré leurs tableaux à coups decanne et leurs arrière-petits-enfants font la queue pendant deux heures pouraller les admirer. Dans un autre domaine, une porte qui grince fait un bruitdésagréable, mais quand Pierre Henry en fait le thème de ses « Variations pourune porte et un soupir », on le joue en concert et on l’écoute avec plaisir. Dans le monde contemporain tout est relatif au temps, au lieu, à la culture, à l’économie, aux individus... etc. Il y a autant de morales que d’individus et toutse vaut. Et comme disait Léo Strauss : « Si tout se vaut, le cannibalisme n’est qu’unequestion de goût ». Sommes-nous, comme le prétend l’existentialisme « infinimentresponsables... même de ce que nous n’avons pas pu empêcher » selon Sartre qui, de cefait, rendait Flaubert responsable des massacres de la Commune, comme tous lesbourgeois de son temps. Ou sommes-nous « infiniment irresponsables » commepourraient le prétendre les structuralistes qui vont jusqu’à nier l’existence d’un« sujet » conditionné et absorbé par des structures qui lui préexistent. Et c’est là qu’apparaît Benoît XVI. En effet, comme je l’ai rappelé au début dema planche, il a condamné à plusieurs reprises le relativisme. La première fois,et la presse d’alors s’en était émue, lors de la messe qui a précédé l’entrée descardinaux en conclave, alors qu’il n’était que le cardinal Ratzinger.

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Dans son homélie, il condamne le relativisme en termes brefs, mais nets. Je cite : «... on est en train de mettre sur pied une dictature du relativisme qui ne reconnaîtrien comme définitif, et qui donne comme mesure ultime uniquement son propre ego et sesdésirs. Nous possédons en revanche une autre mesure; le Fils de Dieu, l’homme véritable.C’est lui la mesure du véritable humanisme ». Il y a de nouveau fait allusion lors desJournées Mondiales de la Jeunesse à Cologne, et lors de son voyage en Pologne. Ce que condamne l’Église dans le relativisme c’est, bien sûr, l’individualisme, la seule référence à soi et l’absence de transcendance. Mais c’est peut-être plusencore, l’indifférence religieuse. Dire que toutes les religions se valent, qu’il estindifférent de choisir l’une ou l’autre ou de n’en choisir aucune, est inacceptablepour l’Eglise catholique, apostolique et romaine. Benoît XVI a rappelé récem-ment aux musulmans que toutes les religions ne se valaient pas. Et c’est sansdoute, plus que le secret, la raison de la condamnation de la F∴ M∴ par le PapeClément XII en 1738, bien avant donc la loi de 1905.Sommes-nous englobés dans la condamnation... et peut-être la damnation, durelativisme? La Franc-maçonnerie est-elle relativiste ? Il faut d’abord distinguer la Franc-maçonnerie anglo-saxonne qui est unmouvement religieux à caractère caritatif, de la maçonnerie que nous vivonscomme une société de pensée à caractère initiatique et préoccupée de perfec-tionnement personnel et social. Notre maçonnerie est relativiste dans la mesureoù elle affiche une indifférence quant à l’appartenance à une quelconquereligion et où elle assure une entière liberté de conscience. Elle est relativisteaussi dans la mesure où elle n’a ni dogme, ni textes sacrés. Son enseignementtransparaît au travers de ses rituels, de ses mythes et de ses symboles, en laissant àchacun sa libre interprétation. Le relativisme enseigne qu’il n’y a pas d’absolu etque les valeurs sont relatives aux individus, aux lieux, aux époques et auxcultures. La Franc-maçonnerie comprend ces affirmations comme des opinionset les englobe dans ce qu’elle appelle la Tolérance. La maçonnerie enseigne lerespect et même l’amour du prochain. Elle croit en la perfectibilité de l’individuau moyen de l’initiation qui, par une succession de morts et de renaissances,permet de se libérer de ses conditionnements et de ses pesanteurs.Que les valeurs soient relatives, n’empêche pas qu’elles existent et qu’ellesvaillent. Elles valent non par rapport à un absolu posé a priori et comme teltoujours contestable, mais par rapport à l’ensemble des croyances et des conduitesqui assurent la pérennité du genre humain. Le respect de l’autre, la coopération,la compassion sont mieux à même d’assurer la pérennité du groupe et la surviedes individus que la haine, la violence et le mépris. C’est sans doute cettesélection de valeurs tout au long de l’évolution humaine qu’on appelle lamorale, et cet ensemble de valeurs qu’on appelle l’humanisme. La morale est ce

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que l’individu se prescrit à lui-même et en tout premier lieu le respect del’humanité en lui-même et en l’autre. Que l’on considère un instant les enseignements des prêtres égyptiens etassyriens, des prophètes hébreux, des sages hindous, de Zarathoustra, Lao-Tseu,Confucius et Boudha, des philosophes grecs et de Jésus mais aussi des philo-sophes des Lumières de Spinoza, de Marx, Freud et Nietzche : ne voit-on pas làune convergence vers un certain nombre de valeurs communes qu’on pourraitappeler les « droits de l’homme» qui sont en réalité surtout des devoirs. La Franc-maçonnerie récuse tout à la fois le dogmatisme (l’imposition d’unabsolu) et le nihilisme (la négation de toute valeur). Elle vise l’être humain, nipour déifier, ni pour le réifier, mais pour l’humaniser pleinement en le faisantprogresser par la démarche initiatique.

Alors en définitive moderniste ou relativiste, la Franc-maçonnerie ? Les deuxprobablement. Moderniste assurément par son aspiration au progrès de l’individuet de la Société et par la mise en place de ces moyens que sont l’initiation et la Fraternité. Moderniste aussi par cet espoir d’une Société plus juste et plus éclairée. Mais, relativiste également par son refus du dogmatisme, sonattachement à la liberté individuelle et à la liberté de conscience.

Mais... qu’Einstein me pardonne, elle est peut-être tout simplement d’unerelativité restreinte.

Bernard Moisy, 33e

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MORALE ET ÉTHIQUE : DU JUGE AU JUSTE

Au 32e grade, on nous dit : « Juge, tu deviens désormais juste ». La justice impliquele respect des règles morales dérivant de la loi, expression de l’éthique. Toutesces notions sont liées. En effet, la problématique de la Justice a été le pointcentral de notre activité depuis le 4e grade. Bien sûr, en loge symbolique, nous avions à l’Orient le triangle équilatéral pointeen haut, symbole alchimique du Feu. Son expression est typiquement exotériquesous l’acception Liberté-Égalité-Fraternité ou Force-Sagesse-Beauté au R∴E∴A∴A∴. L’œil en son centre est tourné vers le soleil. Au grade de Maître, nousavons tous les droits maçonniques. La Justice maçonnique est exercée au G∴O∴par tout maître spécifiquement élu par les Loges. Un Maître peut être juge. Maisest-on arrivé au stade de conscience nécessaire pour pouvoir juger en logebleue ?Les grades, réputés à tort Hauts Grades, sont là pour nous inviter à l’humilité,paradoxalement. Au 4e grade, il n’y a plus de triangle à l’orient. Il est remplacépar une combinaison géométrique cercle-carré et simple triangle inscrit. Maisil y a un triangle, c’est la bavette du tablier de Maître Secret. Il est pointe en bas(symbole alchimique de l’eau. Mort et résurrection). Ce triangle a aussi en soncentre un œil, mais il regarde en face comme l’œil pinéal, 3e œil du shaman ouchakra du plexus. C’est l’œil en rapport avec l’âme et l’intime. Nous sommesinvités à nous perfectionner : pour apprécier la Force, la Sagesse la Beauté et lesrépandre dans le monde profane, nous avons à rentrer dans notre for intérieuret à travailler sur les joints de notre nouveau triangle : Justice-Équité-Pardon.Pour effectuer cette ascèse, il faut être obéissant et fidèle ! Cela peut paraîtrecontradictoire avec la notion de Maçon libre des loges bleues. On ne peut levercette contradiction qu’en proclamant notre liberté d’adhérer ou pas à un certainnombre de valeurs que nous définirons comme notre Éthique.La Maçonnerie s’est, dès le début, appuyée sur un couple Éthique-Morale,qu’elle a mis en parallèle avec cet autre couple : Obéissance-Raison. Elle a définiune Éthique basée sur la Raison, et non plus sur la Révélation.

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Kierkegaard classifiait trois domaines pour la pensée humaine : l’Esthétique,l’Éthique et la Foi.La Maçonnerie, formée essentiellement au XVIIIe siècle de croyants, a voulu,pour dépasser les guerres de religion, pas si loin historiquement, être le centred’Unions entre croyants, agnostiques et athées. Elle a insisté sur l’Éthique et n’apas abordé le problème de la Foi. En cela, d’ailleurs, elle a institué une laïcitéqui, paradoxalement, a servi les religions en favorisant le dialogue inter-religieuxtentant de devenir un champ d’expériences. Le Croyant obéit à une Éthiqueparce que celle-ci est a priori aimable à Dieu et nous vient de Lui, mais nous,Maçons dans notre globalité, nous obéissons à une Éthique parce que celle-cinous met en harmonie avec le Cosmos, donc avec l’autre.Au 32e, le mot sacré est SHADDAI – toute puissance. Le Shaddai, c’est la forcequi régit l’Univers du kabbaliste qui, selon lui, depuis que Dieu s’est retiré delui-même pour laisser la place à l’Espace et au Temps, donne un sens, unedirection au Cosmos. En introduisant ce mot, Shaddai, dans son rituel, le maçondu R∴E∴A∴A∴ pose des postulats comme celui de l’astrophysicien HubertReeves : « Tout se passe dans l’Univers comme s’il avait été créé pour parvenir à cet êtrequi a conscience d’avoir conscience : l’Homme ». Et un deuxième : ce sens, depuis quel’Homme existe, c’est cette Éthique qui lui permet de rester dans le sens del’Histoire : l’Éthique sera le sens de l’Accomplissement. Cette notion d’Éthique,étymologiquement venant d’Ethos, est admise sans que nous ayons la prétentionde répondre à la question : « la Morale est-elle un attribut ou une invention nécessaireà l’Homme ? ». Le principe de la subjectivité du Bien et du Mal ou de soncontraire n’est pas traité en loge, on laisse cela à la philosophie pure. Nous ne répondons pas non plus sur le fond au problème : l’Éthique et la Moralerecouvrent-elles la même chose ?La Maçonnerie a trouvé seulement son Éthique dans les droits de l’Homme,codifiés en France au XVIIe siècle, mais extraits des valeurs bibliques par lesAnglais au XVIIe. Le R∴E∴A∴A∴ s’est fondé dès 1801 à Charleston sur cepostulat : « l’Éthique pour nous ce seront les valeurs de la Déclaration des Droits del’Homme. Elle donnera l’orientation générale de notre démarche. Notre Moralemaçonnique lui sera subordonnée puisqu’elle devra permettre dans toutes les époques àl’Homme de cohabiter avec son prochain. ».Nous avons admis deux définitions fondamentales de base :L’Éthique, ce sont des Valeurs définissant le Sens de la Vie.La Morale, étymologiquement mores, en latin les mœurs, articulera les rapportsde chaque individu avec autrui.Ce choix, cette dichotomie peut être artificielle, mais ce couple Éthique-Moraledans tous les cas a permis à la Maçonnerie d’assumer ses besoins d’universalisme

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par l’Éthique et de progressisme par la Morale. L’Éthique a permis un certainuniversalisme. Les Gouverneurs français des colonies, Francs-maçons pour la plupart au XIXe siècle, ont diffusé nos valeurs sur de nombreux continents.Leur mission « civilisatrice » nous a peut-être empêchés au XXe de décoloniserfacilement par rapport aux Anglo-Saxons, qui n’ont jamais eu la prétentiond’intervenir dans les cultures indigènes, mais la trace demeure dans les excolonies françaises des valeurs démocratiques.Les Nations Unies ont rédigé en 1947 une ébauche de déclaration des Droitsde l’Homme prétendue universelle, sous l’impulsion de Présidents AméricainsMaçons. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que les peuples issus d’autres civilisationsont été convaincus par ces démarches, mais cette déclaration existe. NotreMorale, par son adaptation permanente aux temps, a permis de faire du G∴O∴une puissance progressive.Nous avons fait passer le mot d’ordre jacobin teinté d’égoïsme bourgeois « Liberté-Égalité et Propriété » à la devise de la IIe République Liberté-Égalité-Fraternité. Des timides positions des Lumières sur l’esclavage, de nombreux FF∴hésitaient en 1801 à mettre en cause le Code Noir, nous sommes arrivés dansles années 1850 avec Schœlcher à sa mise hors-la-loi. Des prémices de l’Écolegratuite mais confessionnelle des maçons concordataires sujets de Napoléon,nous sommes arrivés à l’École gratuite, obligatoire et laïque de Jules Ferry.Les principes judéo-chrétiens mis en exergue déjà au Moyen Âge, sous laRenaissance puis au XVIIe siècle ont constitué notre Éthique qui fut en quelquesorte laïcisée au XVIIIe siècle.En 200 ans, en insistant sur les Droits mais aussi les Devoirs du Citoyen (jusqu’en1923 existait dans l’École de Jules Ferry une liste des Devoirs, dont les Devoirsenvers Dieu en application de la réflexion de Renan : « Tout est possible, mêmeDieu »), la Maçonnerie a su exalter le passé (temps coagulé peut- être mais quiconstitue la Tradition, base de l Éthique) et jouer sur l’Avenir, temps liquideencore qui, canalisé par l’ Éthique, n’ira pas à vau l’eau grâce aux applicationsmorales. Le Populaire sent la différence entre Éthique et Morale en vérifiantl’adage : « Malheur à celui qui a raison trop tôt ». Le Maçon n’est pas toujoursexemplaire dans ces deux derniers siècles mais il a eu le désir de demeurer surle chemin de l’Équité et dans le combat de l’Esprit contre l’Ego, et dans tous lescas il a contribué au XIXe siècle à ce que la Science prenne le pas sur lesdogmes. Le Maçon, pour un temps historiquement raisonnable, a pu, par sonÉthique et sa Morale, brider l’Avoir, le Savoir et le Pouvoir. Ce couple Éthique-Morale Maçonnique nous a permis de ne pas concevoir le pardon comme unerepentance unilatérale, nous ne restons jamais dans le simple compassionnel. Il n’y a pas chez nous de pardon sans justice et équité. Pour juger l’autre, nous

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le considérons comme partenaire. Le Pardon sera un effacement volontaire d’unefaute éventuelle par les deux parties en cause, mais jamais un oubli.Il est temps, toutefois, de nous demander pourquoi aujourd’hui nous assistons àune crise non conjoncturelle mais structurelle de ce couple Éthique-Morale quiavait permis à la Maçonnerie d’être en France un vecteur privilégié d’ajustemententre les temps des changements très rapides et des changements très lentspendant deux siècles. Le rêve d’Aristote et d’Averroès d’une Morale susceptiblede guider l’ensemble du genre humain est loin de notre réalité en ce début duXXIe siècle dit de progrès. Le syndrome d’Érostrate des media incitant les jeunesà n’avoir qu’un but, être célèbre, la fin ignorant les moyens, n’est plus un maltouchant quelques privilégiés, mais toute la population. L’excès d’informationactuel a un avantage : il ajoute la nécessité de transparence à la nécessité d’uneMorale allant dans le sens de la justice et de l’Équité, mais elle a accentué la contestation de notre Éthique. Plus on parle des Droits de l’Homme enoccultant ses Devoirs, moins on les applique au quotidien. Le conflit de 1914-1918 et ses millions de morts, la seconde guerre mondiale et la Shoah ont obligénos démocraties à se crisper sur des carcans. Les adultes se crispent sur les valeursmorales anciennes mais les jeunes sentent leur mauvaise conscience devant larichesse « des trente glorieuses » et le plan Marsall, d’où la révolte de 1968.La Morale n’a pas un rôle secondaire. Lorsque la Morale civique s’est effondrée,les marchands d’illusion et les sectes ont fleuri. Les slogans de 1968 (« Il estinterdit d’interdire », « jouissons sans entraves »...) n’ont été que la manifestationd’un désarroi profond qui a débuté à la fin du deuxième conflit mondial.Aujourd’hui où l’on veut réactualiser la loi de 1905, une réflexion sur l’Éthiqueet la Morale nous permet d’interroger les relations entre l’Église et l’État, Culteet Culture, Foi et Éthique. Il est temps de faire le point. La Morale devrait resterhors du champ de la Foi. Cette dernière dirige les regards du Croyant vers lesfins et les valeurs qu’il juge ultimes, alors que la première a simplement laprétention de regarder le comportement humain dans le journalier.Mais si cette réflexion ne débouche pas sur un réarmement Éthique (plutôtqu’un réarmement Moral), l’Homme métaphysicien, équilibriste génial, enjonglant à chaque instant avec sa double nature (Esprit et animal), risque commecela s’est passé en Allemagne pendant la dernière guerre ou en Russie au tempsdu Goulag, de se laisser aller vers la barbarie. En acceptant trop facilement lacondition humaine en ce qu’elle a d’imparfait, on s’est éloigné d’un Victor Hugovoyant la solidarité comme seule issue du destin commun de l’Homme, commed’ailleurs de la force de vivre du « Ainsi parlait Zarathoustra » de Nietzsche. Onavait critiqué avec juste raison l’Église du XIXe siècle qui, faisant des prêtres desprivilégiés échappant partiellement à la condition charnelle, leur a donné un

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supplément de prestige. Eux seuls possédaient la Vérité et leur infaillibilité a prisl’allure d’une domination. Peut-être n’avons-nous pas été assez clairvoyants faceà certaines déviations du socialisme marxiste qui, en créant au nom des pauvresune nomenklatura de privilégiés, l’ont remplacé avantageusement en termes dedomination. Dans tous les cas, force est de constater que la seule religion actuelleau sens de « religare » est le football.Nous avons donc, en ce début du XXIe siècle, l’impérieux devoir d’inventer unenouvelle Éthique si on estime celle de nos aînés obsolète. Peut-être que nosdérives ont débordé sur un orgueil occidental mal placé, peut-être, par nostentatives de rendre nos valeurs universelles, avons-nous méprisé d’anciennescivilisations orientales, peut-être que l’homo economicus, capitaliste américainou chinois, fausse la mondialisation, peut-être nous sommes-nous enfermés dansune tradition, peut-être que notre langage symbolique doit être revu car il n’aidepas suffisamment les Frères à interpréter constamment nos valeurs, mais de toutesmanières, nous devons mettre sur pied une Éthique permettant la poursuite del’épanouissement de l’Homme dans le respect absolu de la personne, de tous leshommes quelles que soient leur origine, leur race ou leur religion. AucuneÉglise, aucun parti ne peut accaparer la Morale. L’église de Saint-Bernard autemps des Croisades l’a fait. Certains islamistes extrémistes l’ont fait. Nous devonsréagir. La Morale doit toujours, par l’Éthique, déboucher sur la générosité, lecourage, la justice, l’équité et non la vengeance. Mais en outre, elle ne devra pasévacuer deux garde-fous, l’Humilité et l’Humour. La transparence absolue,obligée par l’arrivée de l’Internet, en fait une obligation absolue. La portéesymbolique du tablier maçonnique du M∴S∴ exaltant la Justice, l’Équité et lePardon doit être plus que jamais présente à notre esprit dans ce travail deréarmement.Nous avons toujours besoin de repères solides, d’appuis pour permettre auxhommes de s’humaniser davantage. Ne négligeons pas l’Histoire sous prétextede changement. Aucune secte, aucune Église moderne, aucun Parti ne devranous éloigner de ce but. Les élites ne peuvent plus mettre en adéquation leursactes avec leur Morale, le réseau Internet intervient à la vitesse de la lumièrepour les dénoncer. L’amour d’abord, la Morale après, est une propositionséduisante mais qui ne doit pas être sortie de son contexte. Elle n’annule pas lanécessité d’une Éthique. Il faudra de l’ambition et de la prospective pourcontrarier le laxisme et le malaise ambiants, mais il faudra aussi de l’empathie.À l’heure du pluralisme où chacun veut faire croire qu’il a des options originales,à l’heure où le socle des valeurs communes issues de traditions porteuses estremplacé par une seule obsession, celle du taux de croissance, il faudra que leHiram qui se perpétue en chaque Maître dépasse l’échec de ses communications

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avec certains Compagnons réputés mauvais, et fasse front pour endiguer le flotdes pseudo morales qui n’ont pas de sens. Il semble que triomphent aujourd’huides Morales, alors que le sens moral a été perdu. À nous de contribuer à leretrouver à l’orée de ce XXIe siècle.Quelques pistes pour ré enchanter le Monde nous ont été données par leTriangle local de Source : 1 – Introduire le couple Éthique et Connaissance. Pour concevoir les modèlesde pensée nouveaux et les concepts à mettre en avant. Au moment où l’effortest moqué, la neurobiologie ne peut plus être ignorée, par exemple. Lesneurobiologistes insistent sur la nécessité de l’effort pour développer la mémoire,ce qui rend la nécessité du contact physique entre le Maître et le disciple.2 – Introduire l’Art de Vivre dans les nouvelles exigences pour conjurer la peuren l’avenir. L’écologie ne pouvait être une exigence du XVIIIe siècle, elle l’estaujourd’hui avec les excès de la révolution industrielle et informatique.L’exigence du plaisir et du désir est introduite par la psychanalyse. Nous devonsen tenir compte.3 – Insister sur l’Harmonie comme nouvelle expression de l’Équilibre déjà tantvantée par les Lumières. Peut-être est-ce là le nouveau triangle, nécessaire pourcompléter Liberté-Égalité-Fraternité et Justice-Équité-Pardon. Cet apportpermettra le dialogue et l’écoute plutôt que la communication. Écouter est lepremier acte de la rencontre avec l’Autre.Les Philosophes invités par les grands communicateurs de la télévision commen-cent à s’excuser de penser par eux-mêmes. C’est regrettable. Il est utile que sousles trois triangles mis en avant ici, les loges restent le lieu où l’on s ‘écoute. Làest le point de départ de la conquête des temps nouveaux. Si nous voulonsretrouver le rayonnement que la France avait au Siècle des Lumières quand nossalons éblouissaient les Walpole, les Princes de Ligne, ou de futurs souverainscomme la Grande Catherine. Si nous voulons éduquer en instruisant à nouveaucomme à l’époque de Jules Ferry, nous devons refuser de démissionner devantles puissances médiatiques et leurs sondages qui contribuent à lisser les valeursindividuelles pour qu’elles s’estompent, nous devons refuser le politiquementcorrect, nous devons à nouveau nous tourner vers ce couple Morale Éthique.Nous devons penser la réforme éthique en nous maîtrisant nous-mêmes, enluttant contre la barbarie qui est en nous avec humilité.L’Homme a horreur de l’insignifiance et de l’indifférenciation. Il veut être etavoir un Sens. L’absence de l’Éthique peut le détruire. La Communication àoutrance actuelle peut déboucher paradoxalement sur l’uniformité de la pensée.À nous d’y remédier.

Marc Tapie, 33e

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LA PAROLE DU MAÎTRE SECRET

INTRODUCTION

Pascal disait tout le malheur de l’homme vient de ce qu’il sort de sa chambre.Pour le M∴ Secret, il viendrait de ce qu’il sort de la Chambre du Milieu.L’initiation dans un Atelier de Perfection lui fait prendre la mesure que tout està refaire, à repenser, qu’il lui faut entreprendre une véritable démarche gnostiqueintrospective pour émettre sa propre pensée et non plus celle des autres. C’esttout le sens du signe, du silence. Le silence a toujours eu une connotation à partdans la tradition initiatique, mais aussi dans la mythologie. Ses liens avec Sacréet Secret sont évidents, mais plus encore avec la Parole qui n’est jamais très loindu silence. Parole perdue, ne brûlons pas les étapes évoquons plutôt la spécificitéde la Parole du Maître Secret. Pour cela il convient d’abord de remonter les âgesde la tradition.

I. ANTHROPOLOGIE DE LA PAROLE

Levy-Strauss a rassemblé quelques exemples éclairants : il explique qu’en AfriqueNoire, les DOGONS distinguaient deux types de parole qu’ils nommaientparole humide et parole sèche. La parole sèche était l’attribut de l’esprit premieravant toute création, une parole indifférenciée sans conscience de soi. Elle existe dans toute chose comme dans l’Homme. Sur le plan personnel, c’estl’inconscient. La parole humide aurait commencé avec le principe même de laVie. C’est la parole donnée aux hommes celui du Monde manifesté. Pour lesBambaras nous dit Levy-Strauss, toutes les connaissances seraient contenues dansla symbolique des 22 chiffres. Le chiffre 1 étant celui de la Parole et du Maître dela Parole. Il y a là un parallèle à faire avec l’Aleph talmudique valeur guématrique 1

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1. Cet adjectif est dérivé du grec, signifiant géométrie.

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également « 1 » qui est le principe du verbe fondateur ou créateur. Parolefécondante, parole principe. Par contre, chez les Canaques de la NouvelleCalédonie, la parole serait un acte d’une puissance telle qu’ils la considéraientcomme une arme qui couperait le fil de la vie, les Hakas n’en seront qu’uneillustration symbolique. Les Grecs nommaient Logos, la parole et tout rôlequ’elle assure. Elle peut être aussi bien une opinion, qu’une rumeur, sacrée àtravers un oracle, ou profane selon contexte où elle était utilisée. C’est avecPlaton que la parole acquiert un caractère scientifique, elle devient raisonorganisatrice. Dans la tradition biblique, comme dans les évangiles de saint Jean,le Dabar hébreu ou Logos chrétien est parole de Dieu et de sagesse. Elle incarneune mission à accomplir et n’est jamais évoquée en vain.Comment entendre la Parole du Maître Secret ?

II. DU SILENCE À LA PAROLE

Faire silence, écouter la parole de l’Autre afin de travailler, de comprendre, d’êtreen harmonie, de la prendre avec l’assentiment de la Loge en accord avec soi-même. Le Silence se présente comme le point zéro à partir duquel s’inauguretout langage sans qu’on puisse y faire retour. La culture serait la rupture définitivedu silence. Le silence ne peut être objet de connaissance. Il s’agit là d’uneinversion complète de l’enseignement du rituel de grade d’apprenti en Logesymbolique. Il aura fallu tout ce cheminement pour découvrir que le silencen’est pas connaissance mais prédisposition au travail d’une prise de parole quiest devenue culture, pensée propre, apte à être enfin énoncée. Le Maître Secretplacé sous le signe du silence est tout à la fois écoute et verbe. Il doit savoir dequoi et comment l’on parle et plus encore de quel lieu nous parlons. Peut-êtredu désert comme Jean Baptiste qui y prêcha. Comme les Esséniens quiéchangèrent une tradition orale, comme Moïse sur le Sinaï au milieu du désertqui reçut la parole divine pour la transmettre. Il y a en hébreu une communautésémantique entre les termes Parole et Désert. DABAR et MIDBAR qui lesdésignent. N’avons-nous pas souvent l’impression de parler dans le désert, dansle vide ? La solitude dans l’échange ne vaut-elle pas plus que l’isolement dans lemépris mutuel. Une communication même imparfaite vaudra toujours mieuxqu’un silence hostile. Le signe du silence du M∴ Secret ne serait en définitivequ’une catharsis qui permettrait d’approcher le néant, envers inconnaissable dulangage. Chacun de nous M∴ Secret, fera en définitive du silence ce qu’il veutpuisqu’il s’expérimente mais ne se raconte pas et ne se transmet pas. Seulecompte la Parole comme lien à l’autre mais aussi à Soi.

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C’est d’ailleurs ce que dit le rituel après le premier voyage par la bouche du TroisFois Puissant Maître :« Ne vous payez pas de mot. N’accordez à quiconque une confiance aveugle, mais écouteztous les hommes avec attention et déférence.Respectez toutes les opinions mais ne les déclarez justes qu’après avoir fait vous-mêmeun examen approfondi. Ne profanez pas le mot vérité en acceptant le sens que donnent les hommes et lesinstitutions. »

III. LA PAROLE PERDUE

Il est temps après avoir cerné le signifiant du silence et le signifié de la Parole,d’aller plus avant comme nous y incite le rituel du grade dans le sens.

Le Trois Fois Puissant Maître après le 4e voyage demande :« Que cherchiez-vous donc dans vos voyages ? »Le Maître des Cérémonies répond :« La Vérité et la Parole perdue. ».

Comment comprendre cela ? La Parole Perdue ne serait pas la Vérité ?Les strates les plus profondes du langage sont constituées d’analogies, c’est lasource qui permet de symboliser. C’est-à-dire d’unir et d’établir des connexions.Vous les connaissez tous : Diviser, classer, ce qui est objectif, subjectif, réel,imaginaire... Cette opération est une phase de rationalisation. Elle permet uneavancée du savoir. Elle est pourtant insuffisante. L’intuition prend conscience deses limites. Il faut une phase supplémentaire, celle qui réunit ce qui est épars. Il nous faut découvrir la nature mythique du fait, établir la valeur du fait par ceque l’on peut en dire. La brisure signifiée par le mot substitué et le rétablissementde la parole perdue peut être lue ainsi. Il faut se souvenir de BABEL et de laconfusion des langues. L’interprétation littérale est celle du dogmatisme et dutotalitarisme. En effet, il n’y a pas de mot « juste » pour désigner une chose. Ellereste toujours à nommer. Le devenir et l’imprévisible qui l’instituent, effacentles mots et les remplacent. Chaque chose est un monde impossible à enfermer,à épuiser, à définir une fois pour toutes. C’est d’ailleurs pourquoi les mots sontvivants, comme ceux qui les prononcent. Ils se transforment et s’usent. Lesdictionnaires d’ailleurs réduisent les mots à des contenus et à des données, cequi explique qu’ils doivent être constamment refaits ; car ils ne donnent qu’unephotographie d’un mot au cours de sa vie dans une modalité de sa signification

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qui se transformera elle-même et nécessitera une nouvelle définition. EmmanuelLevinas dans son ouvrage Humanisme de l’autre homme, disait que le langage seréfère à la position de celui qui écoute et de celui qui parle. Il s’appuie sur leurhistoire commune. Les significations surgissent dans la référence des uns auxautres. Il n’est pas étonnant que nous attachions tant d’importance à la prise de parole et à l’écoute, à la manière d’intervenir en Loge, à la manière d’aborderles symboles comme outil conceptuel pour éclairer et lier. C’est ce que nouscommande, j’en ai la conviction, la méthodologie du travail en Loge de Perfec-tion. La définition d’un mot n’est jamais innocente et substituer un mot à unautre, c’est toujours faire œuvre de réduction de sens à une seule signification.C’est sacrifier à un enfermement. Consciemment ou non, nos prédécesseurs quiont imaginé d’utiliser la métaphore de la Parole Substituée comme Parole nondéfinissable, non assimilable à la parole perdue, ont si l’on peut dire mis dans lemille. En effet, ils ont permis l’ouverture du sens de la Parole Perdue. Alors quepour tout idéologue une seule définition est autorisée ou permise, l’ouverturedu sens permet au contraire mille lectures et partant la quête de la Parole Perduequi est notre voyage maçonnique, passe forcément par le combat contre lesidéologies closes. Les dévots, les fanatiques et autres sectaires s’agglutinent autourd’une seule signification pour masquer en définitive leur peur de découvrir queleur idéologie ne recouvre pas toute la Réalité.Le thème de la Parole Perdue nous garde de l’interprétation partiale et partielle.Gardons-nous aussi de l’assimiler à un retour conforme à un modèle du Passé !La Parole Perdue a plusieurs degrés de lecture. Grâce à elle quelque chose existe,il nous faut produire une Parole nouvelle. Comment y parvenir sans réunir ce qui est épars, sans reconstruire et sans réintégrer l’expérience du vécu par la médiation d’un modèle symbolique. La Franc-maçonnerie nous en fournit lapossibilité, à nous d’en saisir l’opportunité. La Kabbale qui visite si souvent lasymbolique maçonnique et nourrit nombre de ses mythes, nous en donne unedéfinition intéressante. Le premier verset de la Genèse Bereschit ou « commen-cement » rappelle qu’au début justement était le Verbe. Début se dit aussi enhébreu Rosch, et Rosch c’est toujours en hébreu la traduction de Tête. Le Verbeselon la Kabbale est aussi la tête ou dans la tête, c’est-à-dire au lieu même de lapensée. Ainsi pour le kabbaliste, l’absolu pensable, de l’impensable création, sesitue justement au moment précis où le monde n’est pas encore créé, mais estsur le point de l’être par le Verbe qui n’est déjà plus dans le néant, dans le chaos,mais déjà dans l’esprit, dans la pensée. La Parole ou le verbe président déjà au sens, à ce qui va être ordonné, à ce qui vacréer un ordre, bref organier la Vie. La symbolique maçonnique rejoint donc icila symbolique kabbaliste : la source de la vie serait donc le verbe et la tête, et par

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conséquent notre quête de la Parole Perdue est peut-être celle de notre quêted’Absolu. C’est par conséquent muni de la Parole substituée et animé du désirde retrouver la source absolue de la Parole que le Maître Secret se met en routeet va explorer les différents paysages proposés par les rites.Voyages à travers ces paysages faits de décors et de cérémonies que nous vivons.Aristote les nommait aussi Catharsis, un mot qui associe deux idées : purgationet purification. Une sorte de médecine de l’âme régénérative et stimulante. Toutpassage d’un degré à un autre crée une rupture stimulante avec l’habitude. Le voyageur est par excellence celui qui découvre, celui qui réclame sans cesseun mode inconnu, nouveau, c’est aussi celui qui sait qu’il n’est pas arrivé, qu’il setrouve toujours et encore sur les parvis d’un Temple qui lui reste encore fermé.On ne peut par conséquent se croire arrivé et se satisfaire de la parole substituée.Nous n’avons pas d’autre choix que de continuer encore et encore à chercherla Parole perdue. N’est-ce pas là l’incertitude qui est finalement créatrice ? N’est-ce pas la « Parole cherchée » qui est libératrice ? Celle qui nous pousse à nousdépasser, à déchirer le masque de la parole substituée, à enlever le voile pourdévoiler. Mais il peut aussi y avoir régression à procéder de la sorte. Saint-Paul,par exemple, promet que le voile tombera mais pour ceux qui se convertirontau christianisme. Pour les Soufis, le sens du voile est radicalement inversé. Ce sont les créatures qui sont voilées afin de ne pas voir. Le cherchant engagésur la voie de la quête de l’absolu doit apprendre à se dévoiler lui-même. Lesymbolisme reste ambigu. Révéler serait aussi bien ôter le voile que recouvrird’un voile. On constate alors que chaque degré franchi ne constituera jamais unsommet. Il ne permet au mieux que d’accéder à une compréhension supérieuresans démentir l’utilité du précédent degré. Il nous incombe également le devoiressentiel d’indiquer ce chemin à tout autre chercheur. C’est ce à quoi il faut seconsacrer au 4e grade avant d’espérer d’autres passages.

CONCLUSION

Le mot de la fin, au moins provisoire, doit aussi trouver sa juste place.J’en terminerai en vous disant que les travaux en Loge de Perfection n’ont paspour but de faire d’un Maître secret un érudit en ésotérisme et en symbolisme,ni en philosophie ou en histoire des religions et des spiritualités, mais de nouspermettre à nous, petite poignée de cherchants, de prendre conscience de laresponsabilité de la Vie de notre partie animale à servir notre partie spirituelle.Entre les deux, le chemin de la maturation de l’esprit, la conscience duchangement opéré à tenter de nous élever non plus verticalement comme nous

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l’avons fait dans les trois premiers degrés, mais maintenant horizontalement dansune nouvelle orientation où nous devons nous battre avec notre Moi profond.Rosch, la tête toujours, la Pensée-Parole qui nous aidera à construire le Templede notre accomplissement personnel doit rester notre symbolique guide.Voyagez donc encore et toujours, mes bien-aimés Frères Maîtres Secrets, etcomme écrivait Paul Nizan dans Aden-Arabie, ayez toujours présent à l’esprit : « qu’il n’y a qu’une sorte de voyage qui vaille la peine, qui soit valide, c’est celui qui est lamarche vers les autres hommes. »Tout voyage est un pari vers la générosité, une invitation à la bienveillance, il faut continuer en dépit des surdités, des défiances, des fanatismes, à marcher àla rencontre de l’autre vers l’est, vers le sud, vers le nord et vers l’ouest.

Alain Frederick, 32e

Bibliographie :• PASCAL Blaise, Pensées – (Fragment 168) « Divertissement »,

Ed. SELLIER, Bordas 1993.• LEVY STRAUSS Claude, Anthropologie structurale, Plon, 1958

citant Marcel GRIAULE (Masque DOGON 1938 et arts de l’Afrique noire, 1947 et Dieu d’eau 1948, Ed. Fayard 1966).

• LEVINAS Emmanuel, Humanisme de l’autre homme (1972),Ed. Poche Col. Essais 1987.

• NIZAN Paul, Aden Arabie (1931), Ed. Le Seuil 1990.

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01

QU’EST-CE QUE LA CONNAISSANCE ?

« Existe-t-il une connaissance qui ne soit pas déterminée par une connaissance anté-rieure ? », s’interrogeait le philosophe C.S. Peirce. « Qu’est-ce que la connaissance ? »

Ce n’est, sans aucun doute, pas la première fois, à notre grade, que l’on abordece sujet. L’induction, la déduction, l’apriorisme, l’apostériorisme, le détermi-nisme, l’empirisme..., toute théorie a ses limites. Qu’est-ce que la connaissancepour un athée, un agnostique, un croyant? Le temps, le lieu, la culture, le langagesont des facteurs incontournables, « la vraie connaissance échappe à la penséecompartimentée », rappelle justement Edgar Morin. Aussi, m’a-t-il semblé opportund’appréhender la question de façon moins traditionnelle et de tenter uneapproche plus contemporaine et plus maçonnique. Nous sommes, plus quejamais, en un temps sonnant « la fin des certitudes » comme l’explique IlyaPrigogine, Prix Nobel 1977, « l’Univers n’est ni totalement déterministe ni totalementaléatoire ». De prime abord, il peut paraître surprenant de découvrir cette réflexion émanantde Charles Sanders Peirce, philosophe mais également physicien. C’est unquestionnement dans la plus pure tradition de l’herméneutique de WilhelmDilthey décrivant la compréhension et la connaissance comme un processus dereconstruction, la recherche d’un sens déterminé préexistant et qu’il faudraits’attacher à se réapproprier. Un retour vers la pensée de Maimonide prônantque la connaissance des lois du monde serait une et intemporelle, son origineétant de source divine. En effet, l’américain C.S. Peirce (1839-1914) doit saprésence dans l’élaboration de la pensée contemporaine pour son systèmephilosophique appelé, plus tard, pragmatisme, affirmant que « la conséquence d’uneidée est plus importante que son origine et que le critère de vérité d’une proposition sesitue dans son utilité pratique, le but de la pensée résidant dans l’orientation de l’action ».Le problème est de savoir si l’être humain porte en lui la connaissance decertaines idées (Platon, Descartes, Leibniz) ou si les idées ne lui viennent que del’expérience (empirisme de Locke). Pour saint Augustin : « Je suis, je me connais,

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je me veux ». Être, connaître, faire, sont les trois domaines indifférenciés etintimement liés de la vie humaine. Ce n’est pas seulement l’être qui conditionnele connaître, c’est aussi le connaître qui conditionne l’être dans une perpétuellerécurrence. Pour Edgar Morin ( la méthode 3) : « La connaissance est un phénomènemultidimensionnel dans le sens où elle est de façon inséparable, à la fois physique, biolo-gique, cérébrale, mentale, psychologique, culturelle, sociale. » Connaître, c’est l’acte de la pensée qui pénètre et définit l’objet de saconnaissance. La connaissance parfaite d’une chose, en ce sens, est celle qui,subjectivement considérée, ne laisse rien d’obscur ou de confus dans la choseconnue ou qui, objectivement considérée, ne laisse rien en dehors d’elle de cequi existe dans la réalité à laquelle elle s’applique. TI semble que l’on puissedistinguer « connaître » au sens de savoir ce qui est, de comprendre, au sens des’expliquer pourquoi cela est ainsi. Gaston Berger propose d’adjoindre à la théorique, science du comprendre, la prospective, science du comprendre l’avenir, afin de passer du probable aupossible et du possible au réalisable, projet éminemment maçonnique. Le « connais-toi » est la science de la vérité spirituelle. La dualité constitutive de la conscience n’est pas celle du moi et de ses états,c’est celle du moi et de l’univers. Car c’est sur cet univers que nous agissons etnon pas sur nos propres états et comme nos états supposent toujours une réac-tion de l’univers sur nous-mêmes cela explique pourquoi le franc-maçon veuttransformer, améliorer le monde pour obtenir ces états auxquels il aspire. Il y aidentité pour le moi entre prendre conscience et acquérir la connaissance del’univers. Toute connaissance est dans une analyse de soi dont la perception dumonde est seulement l’instrument. Comme le souligne Einstein : « La connais-sance s’acquiert par l’expérience, tout le reste n’est que de l’information ». L’informationnourrit la connaissance mais ne saurait, à elle seule, en constituer le socle.Rechercher la connaissance, c’est se retrouver en individu purement raisonnable,face à la réalité, ne s’attacher qu’à la vérité qui est « le Tout » comme le souligneHegel, hors de la « question de l’homme » qu’apporteront Socrate et Platon, quicomme Xénophane exclut que l’on puisse avoir, sur la totalité des choses, unsavoir certain. « La connaissance, besoin inné de l’homme, transcende tous les savoirs qu’elle engendre. »C’est par cette phrase, entre autres, que le Trois Fois Puissant Grand Maîtreaccueille l’initié au 13e grade de Chevalier de Royal Arch, dont la vertuprincipale est de susciter plus de questions que de réponses. Dans l’approchemaçonnique de la question, la connaissance serait d’abord un besoin, lié de cefait à un manque, à un désir, à la satisfaction de ce désir et donc à la frustrationsi on ne l’obtient pas. De plus, ce besoin, étant inné, fait de l’homme un être à

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part dans l’univers. Il faut, dès à présent, noter dans notre formulation maçon-nique, que c’est le besoin de connaissance qui est inné et non la connaissance,renvoyant symboliquement, dos à dos Leibniz reprenant Platon qui estimait queles idées étaient innées, des entités éternelles et parfaites descendues d’un mondeintelligible et paradigmatique « que notre âme a vues quand elle cheminait avec l’âmedivine » (Phédon) que nous redécouvrons par la réminiscence et Locke qui défendla thèse qu’à la naissance, l’esprit est une page vierge sur laquelle l’expérienceinscrira la connaissance fruit des idées de réflexion découlant des idées desensation. Etienne de Condillac réaffirmera cette thèse par sa théorie, le « sensua-lisme ». (Traité des sensations) Une avancée considérable par rapport à la philoso-phie nihiliste critique du sophiste Gorgias (rien n’existe, rien n’est connaissable,rien n’est communicable), tempérée, plus tard, par le fondateur de l’Écolesceptique, Pyrrhon d’Elis, prônant la résignation, la suspension du jugement,voire l’indifférence, devant l’impossibilité de toute connaissance objective. La connaissance transcende tous les savoirs qu’elle engendre. « Tous » signifie-t-il l’ensemble d’un nombre de savoirs limités, que l’on pourrait décompter ? Ou « tous » implique-t-il une universalité quantitative et chronologique quisignifierait : tous les savoirs de tous les temps et de tous les lieux, en toutecirconstance, les savoirs qui existent réellement et de manière potentielle ? Ilserait hasardeux de déduire que la connaissance engendre tous les savoirs. Cen’est pas ce que dit le rituel. Il souligne seulement que tous les savoirs engendréspar la connaissance sont, sans exclusive, transcendés par notre connaissance. Quoi qu’il en soit, la connaissance serait avant les savoirs, serait leur génitrice etleur serait de la sorte supérieure. Toutefois, cela revient à affranchir la connais-sance de toute expérience. La hiérarchie : connaissance, savoirs, expérience, chèreà Descartes, Kant et Auguste Comte aurait la faveur de la vision philosophiquemaçonnique, tout au moins de la maçonnerie adogmatique. Le franc-maçon,homme initié, doit attendre le 30e grade pour « avoir accès à la porte étroite de laconnaissance », avec, pour viatique, les premiers jalons orientant sa quête :Perception, Intuition, Imagination, Raison. Il semble que soit promu le conceptd’a posteriori cher à David Hume, George Berkeley et aux empiristes pourlesquels, appréciation, jugements, savoirs ne peuvent se soustraire à l’expérience. Les jugements rationnels étant les fruits d’associations de sensations, d’expé-riences et les choses appréhendées, des « collections d’idées » perçues, dès lors,en combinant ces « associations », s’ouvre la voie consistant à aller du particulierau général et débouche sur le principe d’induction développé, entre autres parC.S.Peirce ce qui l’éloigne de la connaissance a priori, théorie de la connaissanceinnée chère à René Descartes, bien que celui-ci admettait des principes adven-tices et semble être en opposition avec sa réflexion, base de notre sujet d’étude.

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Ce besoin inné puiserait son origine dans la Genèse (Ch. 2/ V. 22) « de la côtequ’il avait tirée de l’homme, Yahvé Dieu façonna une femme ». Elle vit que l’arbre dela connaissance « était bon à manger et séduisant à voir et qu’il était, cet arbre, désirablepour acquérir le discernement ». (Ch. 3 1 V. 6). Bon, séduisant, désirable, la notionde satisfaction / frustration est bien déjà présente et ce dans l’unique butd’acquérir la disposition de pouvoir accéder à la clairvoyance, à la sagacité, aujugement donc à la connaissance de l’obscur et du complexe. « Et qui t’a apprisque tu étais nu ? Tu as donc mangé de l’arbre dont je t’avais défendu de manger ! » (Ch3/VII). Ce besoin inné de connaissance a donc comme première conséquence derévéler à l’homme son dénuement, moment clé, point de départ de l’aventurehumaine, car il y a, pour la première fois, porté un regard intelligent sur lui-même. Ce premier pas vers la connaissance place l’homme à l’orée d’un destinoù l’attendent le malheur, la grandeur, voire s’il en trouve et choisit le chemin,le sublime. A lui, désormais, de consacrer sa vie à découvrir ce qu’il y a derrière,mais surtout au-dessus, de ce qu’il aura appris. Ayant commencé par cueillir lefruit de l’arbre de la connaissance cela corrobore notre phrase du 13e degrédéclarant que la connaissance engendre les savoirs mais que celle-ci ne sauraitse résumer en leur simple collation. Si nous désirons acquérir des savoirs engendrés par la connaissance celle-ci doitprécéder aussi, paradoxalement, son propre besoin afin que nous en ayonsconscience. Mais cette connaissance ne révèlerait sa présence que par le biais dessavoirs qu’elle engendrerait et par son besoin. Notre connaissance ne serait dece fait qu’une « re-connaissance ». Pourquoi, puisque selon la Tradition, deux arbres se dressaient au milieu du jardind’Eden, l’arbre de la connaissance (ets ha daath) lié par ses racines à l’arbre devie (ets hayim) avoir choisi de goûter au fruit du premier ? Parce que c’est par laconnaissance que l’on appréhende la vie : « Je place en face de toi la vie et la mort,la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie ». (Deutéronome Ch. 30 V 19)

Accéder à la connaissance, ne serait-ce pas s’approprier une parcelle d’éternité ?

Dans la voie descendante des sephirot, à hokhmah (la sagesse) et à binah(l’intelligence) succède leur synthèse, non formulée, mais inhérente, daat (laconnaissance) aussitôt modulée par hesod (la miséricorde). L’homme est ainsi fait qu’il n’est capable de rien lorsqu’il ne ressent aucune émotion, mais qu’iln’est capable de rien non plus s’il s’attarde et se complait dans l’émotion, si ellen’évolue pas en une énergie dirigée vers l’accomplissement d’un acte. L’objet,également, n’est rien, lui est indifférent tant que son regard ne l’a pas pénétré etconféré un contenu, une valeur, une vérité car celui-ci n’est qu’une apparence

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qu’il lui faut traverser, abandonner puis retrouver afin de le dépouiller de cetteécorce qui, jusque-là, le dissimulait à son entendement. Un bref retour aux origines du monde et de l’humanité. À partir du verset 3traitant de la création du monde, il est écrit et répété : « Dieu dit : que la lumièresoit..., Dieu dit : que la terre verdisse... » ... et ainsi de suite jusqu’au verset 26 oùl’on remarque un changement sémantique. « Dieu dit : Faisons l’homme à notreimage... » Qui se cache derrière ce « faisons », sous-entendant un interlocuteur,un co-auteur au seuil de l’acte fondamental ? À qui Dieu s’adresse-t-il ? Est-cel’amorce d’un dialogue avec cet homme, encore sans existence propre, mais déjàtout en puissance, intégré dans l’ensemble, comme partenaire, comme acteur deson propre destin, puisque, avec son désir de connaissance, il sera à la fois sujetet objet ? La connaissance et la liberté étant indissolublement des corrélats, ilaura, ainsi et lui seul, le lourd dessein, le terrible destin, de devenir le facteurd’incertitude de la création. « Lorsqu’il y a trois mille ans fut conçue et rédigée laproposition universelle selon laquelle : « Dieu a créé l’homme à Sa ressemblance »...cette proposition contenait par avance toute la philosophie idéaliste de l’Occident, depuisPlaton jusqu’à Descartes et jusqu’à Kant... Sans aucun doute, avec la formulation de ceprincipe, l’idée prométhéenne fut élaborée jusqu’à des conséquences ultimes que lamythologie grecque eût été, à jamais, incapable d’atteindre. C’est une idée effroyable etfantastique, parce qu’elle place le feu de l’illimitée liberté divine dans le terrestre, avec unelogique aussi terrible et dure que l’est l’idée même du Dieu de l’Ancien Testament. Etpar cette logique rigoureuse, quelque chose de prométhéen est accordé à l’homme, qu’aucunêtre animal ne possède, la tension vers une liberté absolue qui le place au-dessus de lanature créée et de ses lois, quoique, par son être physique, il leur reste soumis sans pouvoirlui échapper et quoiqu’elles ne soient manifestes que par la vertu de sa connaissance. »(Hermann Broch, cité par André Neher, dans l’Exil de la parole) Tradition, mythe, les controverses se sont accumulées puisque soulevant unproblème de sens, de valeur, donnant libre cours à l’interprétation, éclairanttoutefois par leur nature multiforme des aspects de la vie individuelle, collective,intellectuelle, culturelle. À la notion de mythe, la tradition judéo-chrétienneoppose celle de l’histoire en y introduisant la raison. Deux aspects del’appréhension de la relation entre mythe et connaissance. Selon l’un, le mythe seconçoit comme un concept intellectuel et logique. Selon l’autre, sa substanceréside dans sa signification imaginative, intuitive, fonctionnant selon un modede connaissance antérieur à la connaissance rationnelle.Une synthèse de ces deux aspects, mêlant une interprétation à la fois rationnelleet intuitive, logique et imaginative se retrouve dans les textes de Mircea Eliadequi attribue au mythe une explication de la nature profonde de l’être. Ce thèmeest repris dans l’œuvre de Paul Ricœur qui estime l’existence du mythe

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nécessaire pour appréhender justement, de manière objective, les origines, lesprocessus et la profondeur de la pensée humaine. Toutefois, après une étude du« volontaire » et de « l’involontaire », il s’efforcera de développer la notion de « faillibilité » : « La limitation propre à un être qui ne coïncide pas avec lui-même est lafaiblesse originaire d’où le mal procède ». Il s’attache à réconcilier des points de vuedivergents tels que phénoménologie, existentialisme, herméneutique et mêmedéconstruction, ce besoin de repenser les concepts constituant le fondement de la pensée philosophique occidentale initié par Jacques Derrida dans le butessentiel de sauvegarder l’entière liberté de questionnement. Il apporte unenouvelle piste de réflexion afin de revisiter les oppositions historiques et parfoiscaricaturales entre poésie et philosophie, entre foi et raison entre intuition etcompréhension, en un mot entre la possibilité de se laisser interpeller par lesymbole tout en conservant une réflexion philosophique rationnelle. Et si l’intention première de la question, comme je l’ai évoqué en introduction,avait pour but de nous orienter vers une appréhension plus contemporaine dela connaissance ? Nous inciter à prendre un peu de recul par rapport aux coursde philosophie qui ont bercé nos années d’études d’il y a 40,50 ans ou plus.Tenter de mesurer le chemin que les hommes ont parcouru depuis que lespremiers philosophes se sont penchés sur la question et le destin de l’être. Ledéveloppement et les progrès considérables de la physique au début du XXe

siècle, en particulier les travaux de Werner Heisenberg débouchant sur sonprincipe des « relations d’incertitude» ont bouleversé nombre de notions, nonseulement d’ordre scientifique, mais également philosophique et métaphysique. Karl Popper s’est attaché à démontrer que la « vérification » se révélait insuffisanteà fonder la vérité de toute connaissance scientifique, que le « propre de la scientificitéd’une théorie était dans le « faillibilisme ». (Edgar Morin, La méthode 3) Toute remiseen question des fondements de la connaissance scientifique a des retentissementssur les approches philosophiques de l’être. Le futur ne serait, dès lors, qu’unfaisceau de probabilités comme le préconise Hans Reichenbach, d’où n’émer-gerait que le concevable. Et pourtant, selon Einstein : « Dieu ne joue pas aux désavec le monde ». Nous sommes invités à approcher une démarche initiée dans ce qui fut baptiséle « nouveau monde », là où le pragmatisme permettrait la conjugaison et nonplus l’opposition kantienne des deux pôles de la connaissance: l’a priori,antériorité logique, non chronologique au cœur de toutes les controversesrelatives à l’existence de Dieu et l’a posteriori de l’empirisme. Bertrand Russelapportera son importante contribution en actualisant l’empirisme dans ledomaine de la théorie de la connaissance par le développement du positivismelogique suivi par Ludwig Wittgenstein, préoccupé par le souci de « préciser le degré

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de certitude ou d’incertitude » des connaissances humaines en général. RudolfCarnap, autre membre éminent du positivisme logique du Cercle de Viennefondé par Moritz Schlick met en évidence les rapports d’interdépendanceaffaiblissant l’opposition rigoureuse, traditionnelle, entre transcendantal etempirique, mais les pensées n’ont de sens que si elles satisfont au « principe devérification » exigeant d’être vérifiables empiriquement ou analytiquement.George Santayana, dans le droit fil de l’illationisme et contrairement à l’intui-tionnisme de Bergson ou du concept d’inconscient développé par Hartmann,prône une réalité purement extérieure à la conscience, ne la rendant ainsi acces-sible à la connaissance que par inférence, reprenant la méthode de déductionsanalogiques de Francis Bacon, tout en accordant à l’objectivité désintéressée et àla contemplation esthétique la même importance qu’aux réalisations pratiques.Hilary Putnam s’écarte de son maître Willard Quine, qui propose de considérerl’empirisme comme la théorie de l’évidence, en se fondant sur le fait que lesdonnées fournies par nos sens n’ont aucun principe constant de vérification, ets’oppose à ceux qui, à travers un réalisme métaphysique, défendent le fait qu’ilpourrait exister une sorte de point de vue divin susceptible de nous fournir la seule et unique explication valable de l’univers, en un mot, UNE vérité, maisaffirme qu’il n’existe, en matière de connaissance, que des approches, desdescriptions objectivement justes. Richard Rorty est partisan, au nom d’unpragmatisme rigoureux, d’abandonner sans autre forme de procès, les vérités quine se sont pas révélées « payantes ». Pendant ce temps, en France, le philosophe Maurice Blondel, dans son ouvrageL’Être et les Êtres, amorce, pour sa part, une conclusion répondant par l’affir-mative à la question « en affirmant l’existence permanente en notre pensée d’une sortede connaissance indéterminée, d’une lumière que l’on peut appeler, avec les mystiques,obscure, quoique sans elle rien ne pourrait être connu ». Tout ceci n’est en fait qu’un rappel de la principale leçon de la Franc-maçon-nerie : Rassembler ce qui est épars, ne s’accorder aucune exclusive dans lesméthodes d’approche de la connaissance, surtout à notre époque où l’hommeserait plus enclin à démontrer qu’à comprendre, à commencer par la questiondu « comment » au détriment du « pourquoi ». Quel est celui qui possède la connaissance, celui qui proclame qu’il sait ou celuiqui, malgré ses savoirs réunis, continue de douter, en particulier de lui-même?La « nescience » socratique, antichambre de la sagesse. Revenons à la phrase de notre rituel. Affirmer que tous les savoirs sonttranscendés c’est appréhender l’homme comme un être rationnel, qui a uneconnaissance universelle et nécessaire. Il serait possesseur d’une connaissance quidépasserait les limites de l’expérience et qui irait jusqu’à en contester, voire en

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nier, les valeurs. Quel serait alors le but de l’expérience ? À quoi cela servirait-il de multiplier les savoirs si la connaissance est déjà en nous? L’expérience étantla valeur essentielle de la vie, connaître et vivre seraient-ils antinomiques ? C’estce qu’avance Auguste Comte lorsqu’il affirme qu’ « on ne peut pas être au balconet se regarder passer dans la rue. ». Ernest Nagel partage cette analyse, selon lui « ily a tension entre la vie individuelle et la réalité impersonnelle objective, entre le subjectif etl’objectif et s’interroge sur la possibilité de combiner le point de vue d’une personneparticulière à l’intérieur du monde avec une vue objective de ce même monde susceptibled’inclure la personne et son point de vue. En fait, la réalité se révèle quand nous nousdétachons des contingences du Moi ». Connaître le monde et en faire corrélativement l’expérience tout en demeurantlui-même serait-ce, pour l’homme, incompatible ? « Quel beau sujet de dispute sophiste tu nous apportes là, Menon ; c’est la théorie selonlaquelle on ne peut chercher ni ce qu’on connaît, ni ce qu’on ne connaît pas : ce qu’onconnaît parce que, le connaissant, on n’a pas besoin de le chercher, ce qu’on ne connaît pasparce qu’on ne sait même pas ce qu’on doit chercher. » (Platon) L’homme ne pourrait donc pas connaître sa place dans l’univers et appréhendercet univers dans sa totalité en en faisant partie. Serait-ce là que se situerait Laconséquence de sa consommation du fruit de l’arbre interdit ? On pourrait, de ce fait, en déduire que son besoin inné de connaissance seraitmotivé par le désir de renouer ce dialogue privilégié, d’égal à égal, maisbrutalement interrompu, la perte de La Parole qui commençait par : « Faisonsl’Homme... ». Depuis lors, en s’appropriant la faculté de connaître la marche de l’univers, leshommes, nantis de l’imposant fardeau de leur liberté, ont hérité l’impérieuxdestin et l’écrasante responsabilité d’être, à travers les siècles, les « aiguilleurs del’histoire ». (Selon la belle formule d’Ernst Bloch)

Jacques Narbonne, 32e

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GRAND CHAPITRE DE PRINTEMPSHÔTEL DU G∴O∴D∴F∴ (TEMPLE ARTHUR GROUSSIER)

15 MARS 2008

Le PélicanEmblème de Jacob Boschius, Symbolographia, 1702.

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01

OFFICIERS DU SUPRÊME CONSEIL 2007-2008

Très Puissant Souverain Grand CommandeurAlain de KEGHEL

1er Lieutenant Commandeur Jean-Robert RAGACHE 2e Lieutenant Commandeur Francis ALLOUCH

Grand Orateur Pierre PIOVESAN Grand Chancelier - Garde des Sceaux Christian DANIOU

Grand Trésorier - Grand Hospitalier Gérard FILIPPI Grand Capitaine des Gardes Jean-Pierre CORDIER

1er Grand Maître des Cérémonies Jacques OREFICE 2e Grand Maître des Cérémonies Alain NATALI

Grand Orateur Adjoint Yves LE BONNIEC Grand Chancelier Adjoint Jacques RAMBAUD

Grand Trésorier Adjoint,Grand Hospitalier Adjoint

Hervé NORA

Grand Capitaine des Gardes Adjoint Pierre NABET

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01

QUESTIONS MISES À L’ÉTUDE DES ATELIERSPOUR L’ANNÉE 2008-2009

Grand Chapitre d’Automne 2008 :Mardi 2 septembre 2008

« Les valeurs qui sous-tendent l’Ordre sont Universelles, estimons-nous. Dans notre culture les rituels permettent de les activer, pensons-nous.

Comment le rituel de Chevalier Rose-Croix en particulier pourrait-ilse transformer pour servir toutes les cultures ? »

Envoi des travaux à la chancellerie pour le 31 mai 2008.

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Grand Conseil d’Automne 2008 :Mardi 2 septembre 2008

« Trois couronnes symbolisent trois pouvoirs dont le Chevalier Kadosh doit surveiller, stigmatiser et combattre les moindres abus et déviances.

Ces trois symboles sont-ils nécessaires et suffisants aujourd’hui ? »

Envoi des travaux à la Chancellerie pour le 31 mai 2008.

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Grand Chapitre de Printemps 2009

« L’art vit de contraintes et meurt de libertés ». Le Maître Secret qui pratique l’Art Royal promet d’être obéissant et fidèle.

Dans quelle mesure est-il libre ?

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01

COLONNE D’HARMONIE

Prélude à la cérémonie :• Divers Quatuors des FF∴ Mozart et Chevalier de Saint-George

Entrée du T∴P∴S∴G∴C∴ et du S∴C∴ :• Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Concerto pour violon en ré majeur (Larghetto)

Ouverture des travaux (déambulation des GG∴GG∴) :• Anton Arenski (1861-1906) : Variations sur un thème de Tchaïkovski

Accueil des délégations :• Ludwig van Beethoven : Romance en sol majeur pour violon et orchestre

Mise en place des FF∴ :• J.-S. Bach (1685-1715) – Joachim Raff (1822-1882) : Chaconne en ré mineur

Musiques d’attente :• Edouard Lalo (1823-1892) : Symphonie espagnole pour violon et orch. (Finale)• Ludwig van Beethoven : Symphonie n o 4 (Adagio)

Entrée de la délégation du Conseil de l’Ordre du G∴O∴D∴F∴ :• Giovanni Paesiello (1740-1816) : Le Barbier de Séville (Cavatine)

Après l’allocution du T∴P∴S∴G∴C∴ :• Emmanuel Chabrier (1841-1894) : Suite Pastorale (Danse villageoise) ; Orchestre des Siècles (Dir. : François-Xavier Roth)*

Après l’intervention du représentant du Président du Conseil de l’Ordre du G∴O∴D∴F∴ :• Emmanuel Chabrier : Suite Pastorale (Scherzo-Valse)

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* Sur ce cd, Diapason d’Or 2007, figurent également deux œuvres de Bizet, sa célèbre Symphonie enUt et les Jeux d’Enfants.

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Après interventions successives des trois orateurs :• Luigi Boccherini (1743-1805) : Passacaille

Après le rapport sur la question à l’étude :• Nicolaï Rimski-Korsakov : Quintette pour piano et vents (Allegro molto )

Après la table burinée du Chevalier d’Éloquence• Franz Schubert : An die Musik (Lied) ; Orchestration Max Reger

Sortie des délégations : • Anton Dvorák (1841-1904) : Symphonie n o 5 (Finale – allegro…)

Sortie du T∴P∴S∴G∴C∴, du Suprême Conseil, puis sortie générale :• Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n o 2 (Finale)

Pour tout renseignement concernant l’œuvre, le compositeur ou les références d’enregistrement, s’adresser au F∴ Jean-Claude JACQUET,Bibliothèque André Doré, 16 rue Cadet, 75009 Paris

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01

DISCOURS D’OUVERTURE DU T∴P∴S∴G∴C∴

DU GRAND CHAPITRE DE PRINTEMPS 2008

TT∴PP∴SS∴GG∴CC∴,Dignitaires qui siégez à l’Orient, TT∴RR∴FF∴représentant le Conseil de l’Ordre, TT∴Ill∴FF∴,Vous tous mes BB∴AA∴FF∴ Chev∴ R+C∴,

Mes premières paroles seront celles de notre profonde gratitude et dechaleureuse bienvenue à vous tous qui avez bien voulu accepter l’invitation quivous avait été faite à un Grand chapitre de printemps placé sous le signe del’Europe. Signe des temps où nous transcendons les frontières nationales etjuridictionnelles pour nous réunir sous la bannière de la Fraternité européenne.Nous sommes donc aujourd’hui tels que nous sommes et nous affirmonsensemble : une force de pensée plurielle, pluriculturelle, plurilingue aussi, maisavant tout, oui, une force de pensée unie autour de l’idéal que partagent les FF∴du REAA, élément initiatique et patrimoine commun qui nous unit et réunitavec des Maçons répartis sur toute la surface du globe, en tous cas là où laMaçonnerie a droit de cité. Ainsi, après notre récente rencontre à Bruxelles pourl’installation du Grand Commandeur du SCRE, c’est au tour de Paris avantd’être bientôt celui de Turin, mais avant encore à Budapest à l’invitation duSuprême Conseil de Hongrie et avec les Juridictions d’Europe centrale etorientale, puis ce sera Bucarest. Ce brassage fraternel, ce dialogue entretenulibrement et dans la Liberté attestent de notre capacité au partage, mais aussid’une dynamique qui, en plus de 200 ans, n’a rien perdu de la fraîcheur de sesrepères, ni de ses valeurs fondatrices. Et je suis heureux de faire part ici de ladécision que nous avons arrêtée à Bruxelles, de retenir le principe d’un ConseilEuropéen des Grands Commandeurs. Nous évoluons ainsi avec notre temps etavec les espaces d’une construction continentale dont nous serions mal avisésde ne pas la prendre en compte. Mais plutôt que de créer des structuresartificielles, nous préférons ce confédéralisme maçonnique écossais qui déjà s’est

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manifesté par l’émergence de la S.EU.RE, creuset de dialogue et de recherchetranscendant les différences doctrinales.Mais déjà me voici rappelé à d’autres réalités que nous ne saurions ignorer carcertaines turbulences nous interpellent au niveau national. L’enjeu aujourd’huiest de conserver son intégrité et ses critères de vérité et de moralité dans unenvironnement où vérité et moralité n’ont plus d’expression visible. Ayonsconscience que lorsque les repères se perdent et que les boussoles s’affolent, ilnous appartient de raison garder et de rester ce pôle de sagesse et de sérénité, cecap vers lequel les FF∴ authentiquement engagés dans une démarche initiatiqueet épris des idéaux maçonniques les plus purs et les plus élevés tournent leursregards. Oui, nous ne nous lasserons jamais de le répéter : nous croyons résolu-ment à l’éthique maçonnique, à ses vertus qui ont fâcheusement tendance à êtreperdues de vue pour céder la place à l’instinct violent jusque dans ses formesd’expression les plus viles et humiliantes. Oui, il faut que la déontologie etl’éthique imprègnent les élites maçonniques. Il en va plus que jamais de leurautorité morale, nous le savons bien. C’est Voltaire qui disait : « La gentillesse estla première qualité de l’intelligence ». Certains, ils se reconnaîtront, feraient bien de méditer cette sentence du grand philosophe des Lumières. La dignité ne sedécrète pas plus que la respectabilité.Alors, mes BB∴AA∴FF∴, vous me pardonnerez en ce moment de rencontrede succomber à ma façon au charme très en vogue de la sociologie du présent etde la philosophie civilisationnelle d’Edgar Morin mise au goût du jour. Il nes’agit assurément pas de nous inscrire dans la mode d’un instant fugace, maisd’opposer un non très résolu à tout ce qui menace les fondamentaux de notrepatrimoine maçonnique « civilisationnel » du GODF. Un patrimoine qui est levôtre, le nôtre, celui de tous les Maçons initiés dans notre obédience et quiappartient collectivement à l’ensemble des Frères. Nous nous en sommesapproprié une parcelle dès notre initiation. Gardons-la et choyons-la comme unbien précieux. Le GODF est et doit rester cette fédération de rites et de Logesdans laquelle chacun trouve son propre espace de liberté. Ce devrait être uncreuset de fermentation des idées et de courants de pensée pluriels comme il enexiste trop peu aujourd’hui. Mais – je vais être très direct dans mon propos quine sera pas enrobé de prudences diplomatiques – cet espace est menacé d’uneconfiscation oligarchique de la représentation passant par un véritable verrouillageclientéliste d’assemblées et de structures ne servant que de faire valoir, sinon deleviers d’accession aux responsabilités avec pour but de s’imposer pour imposer.Nous voyons planer des relents idéologiques de pensée unique et de rite uniqueou officiel et que sais-je encore ? Ouvrons nos yeux tout grands tant qu’il esttemps, mes BB∴AA∴FF∴ Chev∴R+C∴. L’heure est venue d’un sursaut et

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c’est pourquoi je me départirai cette fois de ma réserve habituelle. Prenons biengarde que pureté ne soit pas synonyme de candeur, ni de naïveté. Cet appelsolennel doit retentir bien par-delà les murs de ce grand Temple ArthurGroussier. Il ne s’adresse pas aux seuls FF∴ du REAA ! Il vaut pour tous lesMaçons qui appartiennent et tiennent à notre Obédience dans toutes sescomposantes. Ils méritent individuellement notre attachement fraternel et notreégal respect. Faisons en sorte que notre appartenance matricielle commune auGODF, avec l’adhésion à ses idéaux élevés qu’elle implique pour chacun d’entrenous, ne puisse jamais nous valoir la marginalisation, voire l’exclusion,programmée par ceux qui nous considèrent dans leurs écrits, et déjà dans certainsde leurs actes, comme les représentants d’une hérésie de la libre pensée à bannirde notre Obédience. Ne les a-t-on pas entendus réclamer la destitution duGrand Commandeur ? Ne voyons-nous pas déjà notre REAA affublé, dans desconférences conjointes du Rite Français et de la GLNF – mariage des genrespour le moins surprenant – du quolibet créé sui generis de « rite carolinien »onaniste ? Nous nous interdisons pour notre part de nourrir une quelconquepolémique ni une « guerre des rites » qui n’a pas lieu d’être. Nous la condamnonsde la façon la plus ferme en dénonçant ceux, hiérarques dévoyés et pris devertige, qui croient pouvoir refonder notre Obédience en la mettant sous tutelled’un rite des hauts gardes tout en se parant des vertus d’une pseudo rénovation.Je m’abstiendrai, par charité maçonnique, de les qualifier. Fédération de rites etde Loges, le GODF n’à pas traversé les siècles pour en arriver à être ramené àune pétition qui deviendrait théorique seulement et viserait à réduire en sonsein les Hauts Grades du REAA en quelque sorte en une réserve ethniquedestinée à l’inexorable épuration. La fédération de rites n’est pas seulement unearchitecture, mais bien un espace de respiration de la Liberté dont je préféreraim’abstenir de reprendre à mon compte l’adverbe accolé d’absolu, tant il a étégalvaudé et dévoyé pour être finalement entendu trop souvent aujourd’huicomme l’affirmation d’une philosophie dogmatique restrictive de tout ce quiest « autrement pensant ». Ainsi parlent et pensent les nouveaux et très récentsinspirateurs militants d’une funeste doctrine d’exclusion. Eh bien ! Mes BB∴AA∴FF∴ il faut que les aventuriers demeurent isolés et sachent que noussommes tous, Frères sincères de tous rites, extrêmement déterminés à dire NONà cela. Ceux qui nourriraient des rêves irresponsables et chimériques decaporalisation mono rite doivent réaliser, ici et maintenant, qu’ils se heurterontà notre farouche attachement aux fondamentaux maçonniques du GODF. Et lorsque je dis « notre » attachement, je m’exprime bien entendu, je le sais, nonseulement par procuration au nom des plus de 7400 Frères du REAA quecompte le GODF dans nos hauts grades. Je veux croire que très nombreux – et

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même les plus nombreux - sont ceux qui, tous Rites confondus et bien quen’ayant pas choisi notre cheminement au-delà de la Maîtrise, partagent nosinquiétudes comme nos aspirations au redressement. On ne nous fera pasadmettre, en jouant des artifices d’une réécriture de l’histoire revisitée, que cesboutefeux seraient les uniques et seuls légitimes détenteurs d’une orthodoxiequelconque. Car le propre de notre philosophie, c’est bien qu’il n’y pasd’orthodoxie. Tout ce qui serait de nature à rompre les équilibres est appelé àrencontrer notre inconditionnel engagement collectif à défendre notre maisoncommune, le GODF. C’est Jean Jaurès auquel on prêtait la conviction quel’humanité a une sorte de conscience collective, supérieure et en suspens, quin’est pas soumise au désordre nihiliste des hommes. L’Ordre maçonnique étantle microcosme du macrocosme, pourquoi en irait-il autrement pour nous ? On nous parle de réforme. A la bonne heure ! Sans doute chacun d’entre nousressent-il la nécessité cyclique d’adapter certains modes de fonctionnement autemps présent, comme c’est le cas dans toute notre société pour qu’il n’y ait pasrupture mais évolution. Notre Rite n’a-t-il d’ailleurs pas lui-même mis enœuvre depuis 1946 de nombreuses réformes qui attestent de notre adhésion oude notre adaptation pragmatique aux principes d’évolution nécessaires ? Sicertains changements en rupture avec la tradition du REAA ont été contraints,nous en avons accepté encore récemment le principe par réalisme existentiel.Néanmoins, à ce stade de notre réflexion, il nous semble indispensable de direaussi une vérité dont nous espérons qu’elle aidera à redresser un discoursinvoquant à tort et à travers la démocratie en maçonnerie sous couvertd’engagement républicain. Evitons les mélanges de genres sémantiques. Il esttemps de dire que cette dialectique ne fait pas illusion. Elle travestit trop souventune vérité crue qui est bien différente. En effet, nous entendons des discours enapparence vertueux sur le thème de la démocratie. Ces propos recouvrent desréalités si complexes, qu’à y regarder de plus près, ils apparaissent bien loin deprincipes énoncés avec d’autant plus de force que ceux qui s’en prévalent n’ensont pas, dans leur pratique de la maçonnerie, les plus convaincants avocats.Chacun sait, pour commencer par le début, que l’acceptation de l’Apprenti enLoge n’a rien de démocratique. Il s’agit, ni plus ni moins, déjà d’une cooptations’inscrivant dans une démarche initiatique et d’une certaine façon élitiste, encorequ’il faille être prudent quant au sens du terme. C’est néanmoins tellement vraique la Loge n’a de compte à rendre à quiconque, lors du refus de candidature,sur les raisons ayant motivé le vote souverain des FF∴. C’est cette même logiquequi continue de s’appliquer tout au long du parcours initiatique dans tout ritemaçonnique. La réécriture fantaisiste de certains rituels dits « démocratiques etrépublicains » ne changera rien à la pertinence du jugement.

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En revanche, il est patent que dans notre tradition obédientielle, le fonction-nement institutionnel ambitionne de se dérouler dans un esprit de transparenceet de discipline démocratiques. C’est le cas dans la Loge à chaque fois que lesFF∴ votent sur les conclusions de l’Orateur, gardien de la Constitution. Au Suprême Conseil de notre rite qui est, après tout aussi une Loge, les chosesne se passent pas autrement. Alors au moment où certains se croient fondés àdonner des leçons en ce domaine, comme en tant d’autres, il est légitime quenous posions à notre tour un certain nombre de questions sur ce registre. Il fautaller jusqu’au bout de la logique du questionnement. Est-il bien « démocra-tique », et légitime donc, que des décennies durant des quasi professionnels dela parole, toujours les mêmes, l’accaparent dans des cénacles qui orientent etparfois décident du devenir de l’Obédience. N’est-il pas temps de dire clairementet à haute voix ce que d’aucuns pensent mais n’osent exprimer de peur dedéplaire aux tartuffes qui voudraient se faire passer pour des parangons de ladémocratie maçonnique ? Qui, minorité agissante, jouent aux faiseurs de roisdans les structures qui conditionnent notre fonctionnement collectif et imposentde la sorte un esprit artificiellement dominant qui menace nos espaces de libertésindividuelles? Le dérapage n’est pas seulement sémantique lorsqu’on confère des missions improbables pour les besoins de causes très conjoncturelles à des émissaires qui ne tiennent leur rôle d’aucun mandat électif. Nous savons bien qu’il y a chez tout détenteur de « pouvoir » une part d’imposture. Ce quidérange, chez nous plus qu’ailleurs, c’est qu’il n’y a ni pouvoir, ni véritabledémocratie nous venons de le voir. L’imposture de ceux qui se réclament de ladémocratie en apparaît d’autant plus totale. Cessons, dans ces conditions,d’invoquer des principes auxquels chacun de nous est certes attaché, mais ausujet desquels il y aurait tant à redire à l’épreuve d’un examen des modes defonctionnement. Nul n’est fondé ici à adopter la posture vertueuse du donneurde leçons sans s’exposer soi-même à la critique. Osons ! Osons le dire haut etfort, mes BB∴AA∴FF∴ !Le Suprême Conseil et ses ateliers du Grand Collège du REAA, chacun d’entrenous, avons non seulement subi, mais plus ou moins vaillamment surmonté lesaléas conjoncturels liés aux spasmes de notre Obédience et de ce qui graviteautour de son noyau dur. Vous connaissez la position jugée inflexible qui est lamienne, personnelle, lorsque j’estime que compromis et compromission secôtoient assez dangereusement pour devenir inacceptables. Mon propos de cejour en atteste. Nous avons aussi choisi, je le disais il y a un instant, de nousadapter solidairement à la manière du roseau pour satisfaire à l’aspirationprofonde que nous nourrissons tous, à pouvoir travailler à maçonner dans nos Ateliers à l’abri des petites ou grandes intrigues de hiérarques en mal

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d’accomplissement ou de parcelles d’un bien illusoire pouvoir lorsqu’ils nejouent pas aux généreux dispensateurs de cordons et d’offices. Pour autant nousn’abdiquons point. C’est ainsi qu’ont évolué nos protocoles et que depuis plusde deux siècles, et à la suite de nos Anciens les plus illustres, tels Camille Savoireet Arthur Groussier qui comptent parmi les plus grandes figures du REAA duGODF, nous avons surmonté les écueils en poursuivant notre chemin. Le REAAreste un point de départ et non d’arrivée. C’est aussi grâce à cette plasticité – et àcette continuité sans interruption aucune depuis la création des rites fondateursde l’écossisme à la moitié du XVIIIe siècle –, mais tout autant grâce à l’exigencerigoureuse de la démarche initiatique écossaise, que le GODF peut aujourd’huise targuer justement d’être, dans ses Hauts Grades du REAA, la premièrepuissance maçonnique de ce rite en Europe. Nous n’en tirons aucune gloire,mais il est bon et légitime que ce soit connu et reconnu. Et que tous les FF∴du GODF en prennent aussi conscience pour s’approprier ce patrimoine.Certains seraient-ils tentés de masquer honteusement cette réalité initiatiqueau point de la compromettre ?Nous ne nous sommes pas laissé entraîner sur un terrain de « profanisation » – j’entends même ici où là certains évoquer une « bolchevisation » – de ladémarche maçonnique. Car pour nous, elle est très clairement d’ordre initiatiqueet ne se confond donc pas avec celle de l’engagement de nature politique qued’aucuns croient pouvoir y substituer dans nos Loges et structures obédientielles.Peut-être faudrait-il d’ailleurs chercher à comprendre pourquoi des aspirationsnon assouvies dans l’espace partisan cherchent chez nous ce qu’elles ne trouventplus ailleurs. Serait-ce une part du prix que nous payons à des alternancespolitiques dans la société civile avec un phénomène de reflux chez nous ? Jelaisserai aux politologues, aux philosophes, aux psychologues et sans doute aussiaux pathologues le soin d’y répondre. La Loge, que je sache, n’est pas aujour-d’hui, cela se saurait, ce laboratoire de la République qu’elle fut peut-être unjour. En tout cas pas l’antichambre de la République, même si, nous dit-on, pourla première fois depuis 1932, son plus haut représentant s’y serait annoncé envisiteur insolite.Nous ne nourrissons pour notre part aucun fantasme, ni ne concevons notrerôle autrement que comme celui de médiateurs de la pensée, c’est-à-dire despensées plurielles et libres. C’est aussi ce qui explique la place centrale qu’occupechez nous la spiritualité, au sens fondamental et non fondamentaliste ni, bienentendu, religieux du terme. Les réflexions philosophiques qui, dans un passérécent, nous ont, vous ont tous mobilisés dans nos Ateliers autour des thèmes de travail : spiritualité maçonnique, morale, laïcité, vérité attestent de la qualitépropre au méta système écossais. Chaque Atelier et de nombreux FF∴ ont donc

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contribué progressivement à constituer ce corpus dans une herméneutiquesingularisant notre rite universel. Car c’est aussi la réalité universelle de notrerite qui nous distingue en ceci qu’il nous lie dans l’espace et le temps avec desFF∴ qui le partagent et le déclinent à leur façon avec nous dans notre vastemonde. Je le disais en introduction : la présence aujourd’hui dans ce Temple ànos côtés de représentants de juridictions amies européennes en est une preuveéclatante, dont nous nous réjouissons.Mais revenons au thème central de notre préoccupation du moment présentmes BB∴AA∴FF∴. Nous ne devons pas avoir à choisir entre cette voied’élévation de l’Homme au travers du travail individuel et collectif d’une part, etnotre engagement au service de l’Ordre par nos engagements additionnés dansce qui constitue le tissu nerveux de l’Obédience. Chacun d’entre nous estindividuellement un « veilleur de l’Ordre » et au titre de sa Loge symbolique,doit avoir le droit et même l’impérieux devoir de concourir au fonctionnementde l’Obédience par son action participative. Et ceci à tous les niveaux. Si nous ne faisons pas cela et abandonnons cet espace à des minorités militantesagissantes, les rudes réalités ne tarderont pas à se rappeler à notre souvenir. Leprix de notre liberté, de notre quiétude, de notre « volupté maçonnique » et,disons-le aussi, de sa poésie, celui de la préservation des valeurs de notre espaceglobal pluriel et multirite au GODF, il passe par là ! Hélas ! Les temps sont donc définitivement révolus, où nous pouvions nous consacrer entièrement etseulement aux doux et si agréables délices d’une progression initiatique etphilosophique que nous préférons naturellement aux sombres calculs tactiques.Le temps n’est plus à des précautions oratoires et c’est avec regret que je doisme départir de la posture traditionnelle du Commandeur. C’est sur ceux quiagissent dans la pénombre et pêchent en eaux troubles que nous devons d’ouvrirvos yeux. Les réalités sont devenues sordides. Nous visons ici les parjures quirenient leur signature, les petits intrigants de l’insignifiance politique et de petitscomplots ourdis dans les antichambres d’officines qui n’ont d’autre but que de seservir, de servir des aspirations personnelles ou sectaires. Que constatons-nous ?Eh bien tout simplement que certains mauvais compagnons n’ont d’autresdélices ni projets que ce qu’ils annoncent eux-mêmes sans détours avec uncynisme absolu : quadriller, contrôler, maîtriser, régenter, intégrer, manipuler,noyauter et finalement « tuer ». Car, oui, mes BB∴AA∴FF∴ ils n’hésitent pas à nous annoncer ce catalogue brutal, pour une fois avec une franchise quenous leur rendrons bien. Leurs cibles ce sont les « mal-pensants » de tous poils.Entendez : tous ceux, y compris dans leurs propres rangs, qui n’entreraient pasdans leur jeu, voire qui ne se convertiraient point. Et nous savons que certainsesprits faibles y succombent déjà au prix de petites promesses illusoires, de

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cordons et de prébendes! Il doit être clair aujourd’hui que nous n’entendons paslaisser ces prédateurs égarés, activistes en mal de « pouvoir », dépecer le GODFpour en accaparer tous les leviers et en faire une sorte de Ligue de l’absoluevérité : la leur. Notre devoir est d’être debout avec tous les FF∴ du GODFfidèles à notre serment maçonnique et de constituer avec tous les FF∴ de notreObédience un rempart qui nous épargne, à nous tous, de pénibles épreuves quiconduiraient à un déclin inexorable. Notre refus de transfert de mœurs quiprospèrent dans la vie profane est total ! Est-ce d’ailleurs pur hasard si au mêmemoment des hommes et femmes politiques de tous bords viennent de lancer, à l’identique, un appel au sursaut pour sauver les valeurs ? Une cote d’alerte estatteinte, mes BB∴AA∴FF∴ !Nous ne voulons pas assister demain au crépuscule annoncé. Sentinelles nousserons !... et plus encore puisqu’il le faut, pour faire en sorte de ne point êtreplacés devant un choix à deux options. Après avoir été les initiateurs d’unecoexistence pacifique et fraternelle au travers des codes de bonne conduite etde déontologie signés à avec les autres rites en 2004, nous sommes donc conviésaujourd’hui à une véritable révolution culturelle sans l’avoir voulue. Mais noustenons trop à ces codes, sources de paix et d’émulation, pour les voir remis encause. Devant l’importance des défis à relever, notre devoir est bien là. Pourautant nous ne nous lasserons point de dire que, portés par cette volonté résolue,nous ne devons jamais perdre de vue notre sens de la responsabilité. Uneresponsabilité qui nous engage à agir toujours avec conscience maçonnique,rectitude et grande fermeté mais aussi mesure et hauteur dans le propos commedans l’action. N’oublions jamais le sens du devoir fraternel qui doit guiderconstamment nos actes. Le REAA, rite libérateur, doit avoir la force, le courage,la détermination mais aussi la noblesse d’âme d’affirmer ici, aujourd’hui et tous les jours dans la vie de l’Obédience et de la Juridiction, que, attachés à ladémocratie, nous n’entendrons pas nous payer de mots, ni nous laisser berner.Dans les combats qui comptent, nous sommes aux avant-postes et c’est bien lecas en ces temps pour la défense de la laïcité dont le philosophe Bernard-HenriLévy énonçait, ici même le 19 février, ses « dix commandements ». Nous prenonstoute notre part au soutien indispensable des initiatives souvent prises par desFF∴ du GODF qui conjuguent cet engagement fort avec celui dans la voieécossaise. Ce débat intéresse aussi de nouveaux espaces géopolitiques en Europe,mais bien entendu dans tout le bassin méditerranéen. L’organisation à Turin, dansmoins d’un mois, sous l’égide du Suprême Conseil d’Italie, d’une rencontrerégionale de notre rite centrée sur le dialogue des cultures de cet espace decivilisations né en Mésopotamie, atteste de l’attention réelle que nos Juridictionsdu pourtour de la Mare Nostrum portent à ce débat crucial autour de la laïcité.

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Nous devons y voir aussi le témoignage de notre engagement à y apporter noscontributions conjuguées. La laïcité n’est-elle pas devenue, comme le dit si bienle sociologue protestant Paul Willaime, une sorte de « bien commun » de lanouvelle Europe et ne faut-il pas avoir la fierté d’affirmer qu’il s’agit d’uneavancée à laquelle notre Rite Écossais Ancien Accepté a eu et garde toute sa part ? Faisons en sorte que, dans l’union, la Fraternité et la concorde autour decette valeur fédératrice de tous les FF∴ du GODF, cette affirmation de la laïciténe soit pas bientôt vidée de son sens pour être sacrifiée sur l’autel d’un « communautarisme » d’inspiration néolibérale importé des États-Unis. Ne serait-ce pas là un combat véritablement fédérateur autour de nos valeurs deFoi, d’Espérance et de Charité ? Je veux le croire. Il n’est que temps de réin-troduire le débat au cœur de l’activité maçonnique. Les tactiques d’appareilsn’ont que trop duré et dénaturé la vie maçonnique. Notre projet, notre ambitionen réponse à ceux qui voudraient continuer à diviser sont clairs et fidèles auxvaleurs fondatrices de l’Ordre : Ensemble, tous ensemble, retrouvons le sens desvaleurs et agissons pour rassembler nos forces fraternelles autour de ces valeurs !Unis dans ce combat, nous les affirmerons avec d’autant plus de force.

Alain de Keghel, 33e

Très Puissant Souverain Grand Commandeur

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GRAND CHAPITRE DE PRINTEMPS 2008 RAPPORT DE SYNTHÈSE

« Comment le Chevalier Rose-Croix peut-il assurer le triomphe de la Justice sans susciterla haine ? »

La haine au grade d’Amour ? L’apothéose de la Justice ? Le Chevalier Rose-Croix otage du succès ? Il y a de quoi piquer ! Quelques Chapitres ont renducompte de leur surprise à la première lecture de la question et évoquent un « choc », une « gêne », un « décalage », un « paradoxe », toutes choses qui assuré-ment soutiennent l’intérêt car tous les rapports * manifestent une réflexionexigeante, et de nets points de convergence : 1. Le lien causal entre la « Justice » (avec un J majuscule bien sûr) et la « haine »,

n’est jamais contesté ;2. S’agissant, quand on évoque la haine, du « triomphe de la justice », il est

observé que la revanche du vaincu est en germe dans toute victoire et quel’emphase du ton n’y change rien !

3. Un accord très large se manifeste sur l’obligation d’être concret ; le premiermot de l’énoncé, – « comment » –, porte à préciser l’action dans le monde, cequ’un rapport résume ainsi : « la question nous incite à chercher la parole perdue,certes, mais il nous faut aussi chercher la boîte à outils ».

La grande majorité des Chapitres a préféré réfléchir d’abord à une définition desnotions et à leurs relations, puis rappeler l’outillage mental dont dispose leChevalier Rose-Croix et enfin exposer le programme d’actions. Le présent rapport de synthèse adopte donc ce plan, et comprend trois parties :1. Justice et haine : de l’idéal aux faits 2. Les enseignements de notre parcours maçonnique3. La mission du Chevalier Rose-Croix

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* 86 rapports (# les 3/4 des Ateliers) ont été reçus : 71 dans les délais et 15 en janvier ; tous ontété lus.

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1. JUSTICE ET HAINE : DE L’IDÉAL AUX FAITS

Les Chapitres s’accordent à considérer que l’enjeu est la « justice » au sens de laphilosophie morale, c’est-à-dire le respect du droit d’autrui. Les jurisconsultesanciens, pour qui elle était une des quatre vertus cardinales, la définissaientcomme « volonté constante de donner à chacun son droit ». Les devoirs dont elle estla réalisation sont d’ordinaire négatifs (« ne tue pas, ne vole pas ») mais ils peuventavoir une forme affirmative comme le devoir de s’opposer à ce qu’une injusticesoit commise, ou d’intervenir activement pour qu’une injustice soit réparée. La justice a une forme générale qui consiste à respecter en toutes circonstancestous les droits de chaque personne humaine : l’homme juste est celui qui respecteintégralement chacun de ses semblables, dans sa vie et son intégrité physique,dans son honneur et sa réputation, dans sa sensibilité, sa liberté ,son intelligenceet sa propriété. Elle a aussi des formes particulières : commutative, contractuelle, distributive,pénale dont le détail n’est pas le cœur de notre sujet mais qui appellent à préciserles approches contemporaines de la notion de justice :Pour le psychanalyste, la justice est à la convergence de deux axes, entre d’unepart pensée et sentiment, et d’autre part sensation et intuition : le jugement deSalomon, devenu référence de sagesse, est l’heureuse conjonction de la loi moraleet de la loi naturelle.Pour le juriste, le mot « justice » a deux sens : • premièrement « principe moral de conformité au droit positif » : les rapports entrecitoyens sont normés, en définir les règles est un acte de souveraineté, et s’y plierest un abandon de liberté au profit de l’harmonie générale, autrement dit : « ledroit chemin n’est autre que le chemin du droit ») ;• deuxièmement, la « justice » est aussi l’institution gardienne de la coercitionlégitime et l’on sait combien est instable l’équilibre entre la force et le droit.Pour le sociologue, la justice est le « juste partage » des richesses, ce qui ne va pasde soi dans une société qui entend que tout se compte et se mesure, mais nemesure pas ce qu’elle ne veut pas compter. Pour le philosophe, classiquement, le mot « justice » désigne à la fois un idéaluniversel et une vertu personnelle : il s’agit d’instituer entre les hommes uneégalité anonyme, indépendante de la situation sociale et de la personnalité desindividus, ce qui implique comme Aristote le notait déjà, de « réunir justice etjustesse » sous la forme de l’équité. C’est pourquoi il ne faut ni confondre ni séparer trop la justice et la charité. Lesdevoirs de charité sont des devoirs de conscience et ne sauraient être l’objetd’une obligation légale. On observe cependant que bien des devoirs qui étaient

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considérés jadis comme des devoirs de charité apparaissent aujourd’hui, sous une notion plus claire de la moralité, comme des devoirs de justice, « justice » qui d’ailleurs suppose elle-même un minimum d’amour et de sympathie (sansaffection pour autrui, on distingue malaisément ses droits),tout en s’avérant unedes conditions nécessaires de la charité (une charité qui ne respecterait pas laliberté serait oppressive). Pour Nietzsche, « la justice est une illusion que les hommes entretiennent sur leurspropres pouvoir et savoir ».Voltaire est un peu plus tendre : « il n’y aura jamais qu’unpetit nombre de justes sur la terre ». Au demeurant, quel que soit l’angle d’approche, la justice porte son ombre, lasouffrance qui naît de toutes les injustices susceptibles de sourdre des multiplescontradictions décelables entre absolu et relatif, fait et opinion, collectif etindividuel, public et privé, général et particulier, mesuré et ressenti, connu etinconnu, sans même évoquer l’écart entre le vrai et le faux…De cette souffrance naît la haine : contraire de l’amour, de l’affection, de latendresse, la haine s’applique à tout : si, heureusement, elle n’est pas toujours aussiviolente que les attentats-suicides, elle couve en chacun de nous. Lorsqu’unobjet, une personne ou un acte est, a été, ou paraît à notre imagination devoirêtre pour nous une cause d’impressions pénibles, nous sommes disposés à leséviter et à les écarter de nous. Les psychologues nomment cette disposition « aversion » ou « antipathie », affection qui peut rester bénigne, mais qu’elledevienne violente, qu’elle s’accompagne d’une idée fixe, qu’elle se manifeste parun besoin de faire du mal et de détruire, et nous « avons la haine ».

Pour Spinoza, « la haine est la tristesse accompagnée de l’idée d’une cause extérieure »et pour Comte-Sponvile « haïr, c’est s’attrister. Or c’est la joie qui est bonne : toutehaine est donc mauvaise, et c’est ce qui la rend mortifère ».De plus, notons-le, toute haine est injuste de par la réflexivité même de sonmobile : celui qui hait s’efforce de détruire la chose qu’il a en haine parce que,comme tout le monde, il préfère la joie. Il détruit par amour malheureux et enveut à l’autre de son propre échec : haïr, c’est peu ou prou se haïr.Si, comme Ernest Renan se plaisait à le répéter « la vérité n’est pas gaie », cepourrait même être la quête de vérité qui réveille la haine : « serait-ce d’ailleurs sigrave » avance un Chapitre, « que nous importe la haine des négationnistes si nous avonsfait condamner l’Holocauste ! ». Une part nécessaire de la rétribution du juste pourrait donc bien être la hainequ’il inspire aux malfaisants : « fais ce que dois, advienne que pourra » citent quelquesChapitres ; après tout, renvoyer le monde à ses vicissitudes c’est aider à débusquerles rusés, tels ces « charitables » que Jankélévitch fustige dans son Traité des vertus,

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ceux qui donnent au pauvre comme une gracieuseté ce qui lui est dû commeun droit, de sorte que, détroussé et reconnaissant, celui qui reçoit remercie sonvoleur…Mais, à l’opposé, on peut concevoir des haines saintes, comme celle dontSophocle pare l’âme douce et tendre d’Antigone, qu’il dit être « faite pour aimer etnon pour haïr » et qui, pourtant, consacre sa piété fraternelle par un suicide fondésur la haine que lui inspire le refus de Créon d’ensevelir Polynice.Devant toutes ces difficultés, que pouvons-nous apprendre de notre parcoursmaçonnique ?

2. LES ENSEIGNEMENTS DE NOTRE PARCOURS MAÇONNIQUE

Les trois premiers degrés de la Maçonnerie nous donnent à vivre la mort du « vieil homme » et sa re-naissance pourvu que ses pairs le reconnaissent commetel. Dès le seuil de la Chambre du Milieu, le Maître découvre l’objet de samission : le « Juste Milieu », dont le règlement général du GODF, en son livre VIII, « Justice Maçonnique », rappelle quelques éléments : la concorde, la conciliation...Dans nos Ateliers, le Maître Secret conçoit le devoir élargi par l’investigation desa propre spiritualité et ambitionne d’être parmi les « meilleurs, ceux qui le mieuxtravaillent et le mieux s’entendent avec les hommes » ; à partir du 5e degré, l’Écossaisapprend à dépasser le seul désir de faire le bien ; au 9e degré, Maître Élu desNeuf, à bannir la vengeance (« c’est la charité qui doit inspirer les arrêts de justice »)et au 10e degré, Illustre Elu des Quinze, à « aimer la justice et la servir d’un cœurpurifié de toute haine » ; au 12e degré ,le Grand Maître Architecte voit s’ouvrir laperspective de la nouvelle loi (« soyez charitables, même envers vos ennemis ») et au14e grade, le Grand Élu de la Voûte Sacrée s’instruit de la « juste punition ».La « nouvelle loi » est donc esquissée bien avant le 18e degré, mais c’est à l’entréeau Chapitre (15,16, puis 17e degré) que le caractère en est fixé (« l’autorité et lajustice seront tempérées et sanctifiées par l’amour ») et c’est au 18e degré qu’elle estpromulguée : des « hommes rebelles à la raison et à la justice » obligent le ChevalierRose-Croix à un combat qu’il n’aime pas mais ne refuse pas, ce par quoi sedénoue le paradoxe : libéré par l’assujettissement volontaire au devoir d’Amour,le Chevalier Rose-Croix entre dans un « autre » monde, le monde de « l’Autre», où la logique de la découverte complète celle de l’explication.

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3. LA MISSION DU CHEVALIER ROSE-CROIX

Pour que la justice ne suscite plus, ou suscite moins la haine, une seule solu-tion : que victime et coupable entendent, ressentent, comprennent et acceptentla décision de justice. Le Chevalier Rose-Croix peut exceller dans sa mise en œuvre car il sait quedevoir de Justice et devoir d’Amour doivent et peuvent coïncider, et sa foi enl’Homme lui donne la force pour persévérer dans un effort d’exemplarité et depédagogie qui ne peut être que très long, tant l’incompréhension des hommesest grande.Les Chapitres se sont attachés à préciser certaines modalités d’exécution, quel’on peut résumer ainsi qu’il suit : 1. L’écossisme ne s’autorise pas d’intervention directe dans le monde profane :

notre œuvre est fondée sur le perfectionnement individuel et la propagationdes vertus par l’exemple ;

2. Le Chevalier Rose-Croix n’est ni un troupier grégaire ni un ermite contem-platif : il est le Compagnon qui donne à manger à ceux qui ont faim, à boireà ceux qui ont soif, aussi doux avec les faibles et les opprimés qu’intransigeantface aux tyrans et aux pervers ;

3. Le Chevalier Rose-Croix n’est pas un juge. Il est un justiciable lucide quiconsacre sa vie à la traque de l’indifférence, et si parfois il songe à une justicetriomphante, c’est celle où le juge serait aimé ;

4. Lorsque le combat est inéluctable, le Chevalier Rose-Croix l’engage car il saitque le mal et ses manifestations ont leur place dans l’harmonie du monde. Ilen est donc ainsi pour l’injustice et la haine, ce qui n’empêche pas d’aimerl’Autre même quand il est dans l’erreur, même quand il est fautif.

Un Chapitre résume le programme d’actions en trois engagements clairs etsolennels, que ce rapport de synthèse propose d’adopter : le Chevalier Rose-Croix sera veilleur, résistant, éclaireur : • Veilleur, il ne laissera pas le droit dériver : la seule cause qui vaille est celle dufaible et de l’opprimé ;• Résistant, il s’opposera aux pouvoirs qui usent de la légalité pour bafouer lalégitimité : la désobéissance, la transgression sont parfois utiles et opportunes ;• Éclaireur, il dépassera les opinions pour comprendre les faits, propager lesidéaux et prévenir les injustices.

Nous sommes veilleurs, résistants, éclaireurs parce que dans le monde,

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contre l’indifférence et pour le respect des autres et de soi même, il y a toujours urgence.

C’est bien pourquoi le Chevalier Rose-Croix se projette dans l’action.C’est bien pourquoi aussi nos travaux ne sont jamais que suspendus.

J’ai dit.

Jean-Paul Fardet, 33e

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DISCOURS DE CLÔTURE DU GRAND ORATEUR DU SUPRÊME CONSEIL

T∴P∴S∴G∴C∴,T∴Ill∴F∴ Grand Orat∴ représentant le Conseil de l’Ordre du G∴O∴D∴F∴,Dignitaires à l’Est,TT∴Ill∴FF∴,et vous tous, Chevaliers R+C, mes BB∴AA∴ Frères,

« Les êtres humains, enveloppés dans les ténèbres, sont rebelles à la raison et à la justice ; la force règne partout. L’Ordre est dans la consternation. Et malgré les précautions quenous avons prises, nous sommes privés des moyens de nous reconnaître. Que pouvez-vousalors attendre de nous ? »« Que pouvez-vous attendre de nous ? ». Ainsi, cette question inquiète, au débutde l’initiation au 18e degré, nous atteint-elle également aujourd’hui et conduit à nous interroger notamment sur notre situation et notre attitude dans lesbouleversements que nous vivons depuis quelques années. Force est de constater que notre univers est victime d’un double mouvementqui amène, d’une part, l’intégration de toutes les économies au sein d’un systèmecapitaliste mondial qui s’accompagne d’une diffusion massive de l’idéologielibérale, et d’autre part, de la multiplication des États-nations, anciens ou nou-veaux, qui ont des influences diverses sur l’évolution du monde contemporainet offrent souvent des lieux de tensions et de crises. Ce double mouvement deglobalisation et de morcellement a créé de nouvelles hiérarchies, engendré desformes de communautarismes, donné des pouvoirs exorbitants et hégémoniquesà certains et dépouillé d’autres de leurs prérogatives. Dans cet univers troublé,l’énorme problème de la séparation du politique et du religieux allié à laprésence subite du terrorisme international vient ajouter aux problématiquesdénoncées.De cruelles conséquences naissent de tous ces bouleversements : l’opacité jetéesur des problèmes cruciaux touchant l’évolution et la survie de l’Humanité, les

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replis identitaires et les névroses sécuritaires, terrains de toutes les exacerbations,les restrictions touchant les libertés, les droits à la santé et à l’éducation… pourne citer que quelques exemples.« Les hommes sont rebelles à la raison et à la justice... Que pouvez-vous attendre de nous ? »Certes, en tant que Maçons, nous savons que les réponses initiales appartiennentà notre Obédience primordiale. Son histoire, sa culture, son expérience en fonttout naturellement l’esprit de la résistance. C’est en adulte responsable que l’onentre au Grand Orient de France ; c’est en citoyen averti que l’on agit au seinde notre famille philosophique.Mais le Chevalier Rose-Croix a aussi ses réponses et ses combats, car il sait, ques’il y a des choses qu’il faut savoir sacrifier, s’il y a des replis nécessaires, il y a desvaleurs fondamentales qu’il faut garder, non seulement parce qu’elles font partied’un héritage, mais parce qu’il faut les transmettre. En cela aussi, le Rose-Croixest un résistant.

Je souhaite, aujourd’hui, m’attarder sur deux nécessités qui relèvent particuliè-rement de notre présence en ces lieux, croyons-nous : la recherche de la vérité,et l’importance du collectif et du rituel.Lorsque je souligne la nécessité et la gravité de la recherche de la vérité, c’estsurtout, parce que dans un premier temps, tourné vers l’essentiel, j’entends : « qu’est-ce que ma vérité ? »Ce qui entraîne inéluctablement ces autres interrogations : Comment supporterma vérité ? Comment vivre avec ? Comment et avec qui mener cette quête ?Comment exister avec des hommes qui professent d’autres vérités, ou qui viventd’autres incertitudes ? Comment supporter ces instants dramatiques où chaquemaçon s’applique à comprendre que cette vérité est d’abord la recherche de lavérité, alors qu’il est partagé entre ses aspirations et ses déconvenues, entre sonEspérance de lumière et sa part d’ombres ?Le Chapitre – comme n’importe quelle structure maçonnique – n’est pas unlieu où l’on déverse recettes, prêt-à-penser et ficelles grossières, elle est le lieudu questionnement sincère, de la quête permanente, et la couleur du cordon,hélas, n’est en rien gage de solutions miraculeuses.Le premier danger est d’être comme ce Ponce Pilate qui se posait cette questioncruciale « Qu’est-ce que la vérité ? », tout en se lavant les mains, c’est-à-dire,vraisemblablement, en fuyant sa responsabilité...Cette recherche est d’abord un acte de lucidité dans ce que j’appellerai la libertéde l’esprit et la présence à soi. Ne faut-il pas étayer une exigence de sens à ses actes et à ses choix pour construire un projet cohérent ? Ne faut-il pas armer

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le respect de l’humanité en chacun de nous en reconnaissant comme absolumentnécessaires le courage, la force de caractère, la volonté de justice et l’esprit derésistance ?Le courage dont je parle, c’est celui de se questionner, d’évaluer sa vérité, devérifier sa probité et sa fidélité au Serment. « Que le courage enflamme votre cœur ! »Cette attitude vigilante et responsable nous conduit à penser notre propre vie,à construire un projet, à nous engager sur un chantier, à nous ausculter sansfaiblesses. Ah ! qu’il a raison le Trois Fois Puissant Maître quand il recommandeau néophyte de ne point « confondre les mots et les idées » et qu’il lui conseille : « ne vous payez pas de mots » ! Mais nous sommes tous des néophytes qui nousprenons pour un dieu en croyant qu’il suffit de dire pour faire, qu’il suffit deparler pour être, que l’intention vaut l’action, qui clamons l’importance de laparole vertueuse avec une curieuse amnésie concernant nos comportements etnos attitudes. Peut-être qu’au fond, ce qui fait peur, c’est que chacun puissepenser, un jour, que tout cela soit vrai, que cette transgression, cette régénération,cette métamorphose soit possible. Non seulement pour lui mais aussi pour lesautres. Que l’on soit capable de quitter les habits du vieil homme, de dominerson angoisse, d’envisager la mort. Cette chose intime qui a grandi et qui nousfait veilleurs... non pas guetteurs de je ne sais quelle orthodoxie, non pas senti-nelles de je ne sais quel retranchement, mais veilleurs de nous-mêmes, de notreessentiel, de la lecture personnelle de notre moi. Cette conquête de soi, gestuelle récurrente vers la vérité de soi, fait partie decette reconstruction si chère au Rose-Croix ; elle est une chose primordiale à protéger et à transmettre en ayant toujours présent à l’esprit que si le secret du bonheur, c’est la liberté, le secret de la liberté reste le courage. (D’aprèsThucydide)

Il est un autre aspect dont il faut parler, l’apprentissage du bonheur du vivreensemble et son ordonnancement symbolique et rituel. Là encore, le Très Sageguide nos pas en rappelant, après que la Parole a été retrouvée : « Le grade quenous allons vous conférer n’a pas pour objectif la seule personne du Franc-maçon, maisl’effort collectif de tous les Frères vers le progrès et le bonheur de l’Humanité tout entière.Vous vous consacrerez désormais à cette noble tâche ».À ceux qui dénigrent ce grade, cette simple exhortation suffit comme réponsedécisive puisqu’elle rejoint profondément les idéaux et les principes de notreObédience-mère. Mais là n’est pas, aujourd’hui, le sujet de mon propos ; ce quim’intéresse, c’est l’Autre, son acceptation, son accompagnement, son regard surmoi, notre volonté de cohésion, notre partage exigeant des valeurs qui fondentnotre Fraternité. Ce qui devrait aussi nous différencier des associations profanes,

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c’est que certains dérèglements n’ont plus leur place dans le cheminementcollectif, et que le goût du pouvoir, l’ego maladif, l’indifférence au Templeintérieur ou le quant-à-soi, appauvrissent l’énergie nécessaire et détournent leshommes des objectifs envisagés. Bien sûr, toutes ces dérives ont leurs expli-cations, leurs diagnostics, leurs histoires, mais elles restent insupportables car laconcorde et l’harmonie préludent à tout parcours commun. Le Rituel, partagépar les Frères, et notamment celui de Rose-Croix, en reste une illustrationéloquente.

LE RITUEL

Pour répondre à la question maintes fois posée « qu’est-ce qu’un rituel ? » ou « quelle est la fonction d’un rituel ? » je préfère m’attarder, là encore, sur l’attitudeindividuelle face à un rituel, aux échos qu’il réveille en chacun, à la liberté queson examen oblige.Viennent alors peu à peu d’autres questions : pourquoi suis-je fermé à telsymbole ? Pourquoi vais-je refuser telle mise en œuvre symbolique ? Qu’est-cequi au fond de moi tressaille et commande ma raison ? Mon souvenir est-il plusfort que le lendemain que je veux inventer ? Suis-je plus sensible à l’imageriequ’au message universel ? Qu’est-ce qui fait que mon histoire intime fragilisemon entendement ?Tout rituel est un objet culturel, et comme tel, il est, il doit être quelque chosequi dérange, qui questionne. Parfois même, il déroute et vient contredire ce quel’on avait patiemment édifié comme une protection. Mieux même, il provoque,il rappelle des souffrances, des blessures, parce qu’il m’interroge sur des problèmesque je ne voulais pas me poser…Tout rituel est un danger s’il veut rester rituel.« La « personnalité » d’un Rite n’est jamais induite par la lettre de ses rituels, mais parla manière dont il est culturellement investi et ensuite transmis par des générations deMaçons. » (Pierrick L’Hyver)Les uns et les autres l’avons mille fois expérimenté, tout rituel est aussi unvecteur de réconciliation, avec autrui, mais d’abord avec soi-même ; il est estuaire,échappée, regard vers l’imprévisible. Il n’est jamais achevé, toujours interrogateur.Parce que derrière les mots, les mises en œuvre rituelles, les couleurs et lesorganisations symboliques, il y a le sens, le sens que je reconstruis, mon sens quej’arrache, comme autant d’évidences qu’il a fallu éclairer. Comme je me retrouvedans cette explication de Roland Barthes quand je pense à notre rituel du Rose-Croix : « Le mythe ne nie pas les choses, sa fonction est au contraire d’en parler ;simplement, il les purifie, les innocente, les fonde en nature et en éternité, il leur donne

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une clarté qui n’est pas celle de l’explication mais celle du constat... C’est là toutel’ambiguïté du mythe : sa clarté est euphorique. ». Dans la mesure où il constitue unélément essentiel de l’identité du collectif maçonnique et des frères qui enreçoivent l’héritage, le rituel devient un ensemble de valeurs et de règles que leshommes se sont données pour vivre ensemble et qu’ils s’obligent à respecter.Ces règles, ces principes partagés de façon égalitaire, qui peuvent aussi êtreévolutifs, représentent un bien inaliénable.Pourtant, de grâce, ne lui confions pas plus qu’il ne peut porter. Même si noussavons qu’il est l’interprète des valeurs qui nous rassemblent, même si nousprofitons de son rôle structurant et des mises en œuvre symboliques pour étayernotre construction, même si nous sommes riches des émotions, des fulgurances,des réveils, des élans et des recherches qu’il génère, nous savons que nos Frèresont un rôle primordial dans notre histoire avec leur accompagnement, leur soucid’écoute et de partage, avec leur vie exemplaire et leur abnégation. Ce sont euxqui nous ont instruits ! Ce sont eux qui nous augmentent !Cette cohésion dont nous avons hérité, mes frères, il faut la protéger et la trans-mettre. Non seulement, parce qu’elle est un support fondamental à notre propreinitiation, mais également, parce que dans ce monde bouleversé et aliénant, elleest le lien et le lieu le plus sûr pour expérimenter le « vivre ensemble ». Sans nousprendre pour le centre du monde, sachons, sachons bien que nous sommes leCentre de l’Union dans un monde qui a besoin de nous.

Pierre Piovesan, 33e

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Pablo PicassoSuite Vollard

D I A L O G U E SC ∴ S ∴ G ∴ C ∴ R ∴ E ∴ A ∴ A ∴ G ∴ O ∴ D ∴ F ∴

LES TEXTES QUI SUIVENTN’ENGAGENT QUE LEURS AUTEURS

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UN 12e DEGRÉ PARADOXAL

Je place cette planche sous le signe du paradoxe. En effet, la sécheresse, lelaconisme de l’intitulé le 12e grade n’exposait pas, a priori, à l’errance rêveuse,à la promenade bucolique. C’est cependant ce qu’il advint, sans d’ailleurs que jem’en défende avec beaucoup de détermination. Le numéro de ce degré le reliaitévidemment aux précédents grades, comme aux suivants et me contraignait à lereplacer dans son contexte et donc d’envisager la lignée qui va du 5e au 14e.

Comme, en la matière, il n’existe guère de connaissance spontanée, je lusattentivement, mais avec quelque agacement, des extraits provenant des meilleursauteurs tels Naudon, Berteaux, Bayard, etc. J’imaginais d’ailleurs quelquecompagnon de galère s’évertuant à décrypter des tournures passablementabsconses. Ainsi de Paul Naudon, pardonnez-moi : « il découvre que la clef de laConnaissance, en tant qu’objet et vérité absolue, n’est pas dans la connaissance considéréecomme mode médiat d’appréhension de celle-ci, mais dans la participation directe etimmédiate au principe, lequel est immanent en l’initié ». Sagaces exégètes, éclairez-moi ! Du terme ne vois l’horizon, car ne suis qu’au 5e

degré. Pour contourner l’obstacle, je m’octrois une première digression. Le symbole, àmes yeux, reste avant tout un moyen de reconnaissance. Nous partageons lesmêmes représentations familières, nous sommes donc de connivence. Il mesemble aussi que la vertu du symbolisme, comme les récits mythiques, a été,avant la modernité, d’offrir des échappatoires à une condition humaine placéesous le chef du tragique. Le réel impose ses limites, contre lesquelles nous luttonsde façon incertaine. De là, peut-être le succès des gnostiques en maçonnerie. Mais revenons à notre sujet. Il existe dans les hauts grades du R∴E∴A∴A∴ plusieurs séries de grades : – les grades de perfection : ceux que nous traitons aujourd’hui ;– les grades capitulaires ;– les grades philosophiques ;– les grades administratifs.

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Les grades de perfection sont eux-mêmes divisés en trois classes : – La classe des maîtres ; – La classe des élus ;– Les degrés de consécration. Le 12e degré est un degré de consécration.

Pour éclairer ma lanterne – et j’espère la vôtre –, il me fallait vérifier si je puisdire la cohérence de cette échelle. Nous répétons à l’envi que la maçonnerieconsacre une démarche progressive. Un des éléments paradoxal réside dans larapidité avec laquelle nous franchissons, allègrement, ces étapes, sans les mettreen scène, cantonnés dans la seule expression livresque. Je me suis alors livré àl’élaboration d’une petite typologie des grades en retenant six modalités : lacouleur, l’âge, le nombre, le personnage principal, la vertu, l’objet. Rassurez-vousje ne vous l’inflige pas, mais je vous livre quelques éléments.

Petite typologie des grades

GRADES COULEUR AGE NBRE CHEF VERTU OBJET

Maître Blanc/noir/ 1 et 7 4 - 64 Adoniram Respect Construction du temple/parfait 5 vert mausolée

Secrétaire Bleu roi Ns 27 Jhaoben Fidélité Tractations entre Salomonintime 6 Noir et blanc et le roi de Tyr

Prévôt Rouge 4*16 5 Tito Justice Salomon nomme les jugeset juge 7

Intendant des Rouge 3*9 5 Les trois Ténacité Adoniram nommébâtiments 8 précédents chef des décorateurs

du saint des Saints

Élu des neuf Noir 8 et 1 9 Salomon et Liberté Vengeance9 et rouge l’inconnu vs excès

Élu des quinze Noir, rouge, Ns 15 Salomon Devoir Vengeance10 blanc

Sublime Noir 3*9 12 Salomon Humilité Les élus récompenséschevalier élu 11 et rouge

Grand maître Blanc 45 5 Salomon Volonté On reprend les travaux/Architecte 12 et rouge construction du 3

e étage

Royal arche Blanc 63 3 5 7 9 Salomon13

Grand Élu de la voûte sacrée14

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L’histoire est reprise là où nous l’avions laissée, en plein bouleversementprovoqué par la mort d’Hiram. Les grades de perfection suivent deux voies : – la construction du Temple ;– la vengeance exercée à l’encontre des assassins d’Hiram.

Autrement dit, la prédominance de l’action sur la contemplation. Ces différenteshistoires sont dominées par la figure tutélaire du roi Salomon, entre sagesse etexercice du pouvoir. À chaque grade correspond une ou plusieurs vertus : lerespect, la fidélité, la justice, le devoir, l’humilité, la volonté, parfois retournéeslorsque, par exemple, la fidélité se transforme en excès de zèle. Il y manquel’amour, mais c’est une autre histoire, celle du maçon assuré, accompli, qui troquel’amour de la sagesse contre la sagesse de l’amour. La symbolique des couleursest omniprésente sous diverses combinaisons du rouge, du blanc, du noirprincipalement mais aussi du vert, du bleu. Les diverses interprétations descouleurs qu’elles fassent appel à la mythologie, la psychanalyse, la nature,l’alchimie fonctionnent dans ce cadre maçonnique. Je ne résiste pas à noter lesâges divers et variés que nous endossons au fil de notre progression. Tantôt âgé,tantôt jeune, je concède volontiers que je m’y perds. Toutefois, les nombres parleur seule présence, loin de ces diverses interprétations un peu capillo-tractées,me fascinent : il y a les nombres amicaux, parfaits, transcendants, des carrésmagiques, parfaits, etc. Je m’égare ! Abordons enfin ce 12e degré : Le 12e grade clôt la lignée des maîtres commencéeau 4e degré, comme le 14e grade termine la lignée des Élus. Il occupe donc uneplace originale dans la série du 4-14.En premier lieu quelques détails du décor : Les couleurs dominantes sont le blancet le rouge, 3 lumières une à l’orient, une au sud, une à l’occident. De premièreimportance : sur les plateaux des officiers est placé un étui de mathématique :parmi les instruments de géométrie contenus dans cette boîte on trouve compasde proportion, compas à quatre branches. Le compas de proportion permet,entre autres, de tracer des fractions du nombre d’or. (1,618), nombre vous lesavez, symbole d’harmonie, de juste proportion. C’est-à-dire l’expression d’unecertaine loi intermédiaire entre les lois purement mécaniques de la physique etla Loi, spirituelle, quelque peu transcendante certes de fiction mais garante d’unordre symbolique qui assure peu ou prou, avec plus ou moins de bonheur et latransmission entre les générations et les modalités d’un vivre ensemble toujoursremis en question, toujours fragile, toujours préoccupant. Pour un maçon, il faut tenir les deux bouts de la chaîne i.e. préserver la liberté, la singularité desindividus et la prise en compte de la société, les valeurs inhérentes de fraternité,de solidarité, bref toutes les valeurs humanistes. J’y reviendrai dans le contexte

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strict du 12e degré, décidément plus important qu’il n’y paraît au premierexamen. Au milieu du temple est placée une planche à dessin avec papier etinstruments. J’oserai presque écrire « dessin », « D E S S E I N » puisque une autredes caractéristiques du grade est la volonté. Au nord est figurée une étoilelumineuse, l’étoile polaire (parfois la grande ourse). Le signe d’ordre : la maindroite placée sur le milieu de la gauche, pouce dans la paume : ainsi (montrer).La marche rappelle les trois pas d’apprenti, on travaille du lever de l’étoile dumatin au coucher du soleil ce qui est assez logique. Étoile du matin c’est Vénus,l’étoile du soir aussi. Citons enfin, le bijou très particulier ; c’est un carré parfait(c’est-à-dire le carré de deux nombres entiers) y sont gravées les cinq colonnesde l’architecture (Corinthien, dorique, toscan, ionique, composite).L’affaire : Le 12e degré revient, comme lassé des grades de vengeance, à la grandeaffaire qu’est la construction du Temple. Au 8e degré, Salomon a désigné unintendant des bâtiments. Mais les travaux n’avancent pas assez vite au gré duRoi. Je cite : « le peuple d’Israël était écrasé par les impôts, le trésor public était vide etles travaux du Temple furent arrêtés au moment de commencer l’édification du 3e étage ». Douze architectes, nommés par chacune des douze tribus furent soumis à unconcours dont l’issue est la désignation d’un Grand Maître architecte, chargé derétablir l’ordre et la justice. Remarques : – toute ressemblance avec une situation contemporaine est purement fortuite ;– dans les grades précédents, le hasard, sous la forme du tirage au sort, sert àdésigner des impétrants. Soit parce qu’en situation de crise, les stratèges, commechez les Grecs, sont cooptés et non tirés au sort ; soit pour maintenir lacohérence avec la vertu du grade la volonté, le Grand Maître architecte devrason statut à ses mérites. Salomon s’essaie à la politique ;– référence au 8e grade : la désignation du maître intendant n’a pas donnésatisfaction.

Pour la première fois, se dessine un contexte politique relatif à l’universalité deseffets de la franc-maçonnerie. On voit apparaître un nouvel acteur : le peuple. Ilne s’agit plus de régler les affaires entre soi, ni de postuler un accomplissementdans l’avenir il faut répondre au mécontentement. Ce qui signifie que le maçonn’ignore plus le monde profane. Autres particularités du grade : Dans le rituel de réception, le Grand Maître s’adresse à l’impétrant : Pour nous prouver que vous avez bien assimilé l’enseignement maçonnique,dites-nous ce que signifie cette lettre mystérieuse (la lettre G). « Le récipiendaire : géométrie, génération

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Le Grand Maître : ceci est bien répondu. Apprenez donc qu’elle signifie encore GNOSE. »

Je vous livre une définition du gnosticisme telle qu’elle figure dans un ouvragedont j’ai perdu la trace : Gnosticisme, mouvement religieux ésotérique qui sedéveloppa au cours des IIe et IIIe siècles apr. J.-C. et constitua un défi majeurpour le christianisme orthodoxe. La plupart des sectes gnostiques professaient le christianisme, mais leurs croyances divergeaient nettement de celles de lamajorité des chrétiens de l’Église primitive. Le terme de gnosticisme vient dugrec gnosis (« connaissance révélée »). À ses adeptes, le gnosticisme promettait uneconnaissance secrète du royaume divin. Des étincelles ou graines de l’Être divintombaient de ce royaume transcendant dans l’univers matériel, qui est tout entierla proie du mal, et étaient emprisonnées dans les corps humains. Réveillé par laconnaissance, l’élément divin de l’humanité peut retourner vers ce qui est saplace normale, le royaume céleste transcendant. Le mouvement gnostique peut être daté du IIe siècle de notre ère, postérieur entout cas au christianisme, à la destruction du temple de Jérusalem en 70. Lesmanuscrits de Nag Hammidi sont attribués au IVe siècle de notre ère. Pour lesgnostiques, le monde est mauvais, il est une erreur. Il a été créé par un démiurgequi l’a rendu méchant quoiqu’il puisse être d’une beauté fascinante et d’un ordrerigoureux. Il est œuvre du diable et l’homme est trop bon pour lui. La sagessedu gnostique est la connaissance du chemin qui permet d’échapper au monde.Le Christ y parvient. Là encore, une certaine ambiguïté du rituel : tout jusqu’àprésent visait à nous persuader que le monde, la nature, restaient bienveillants.Cette insistance sur la gnose paraît paradoxale. Le Temple révèle-t-il alors unmoyen de sortir du monde? Cité par Jean-Pierre Bayard, le rituel précise encore dans un dialogue : « Je balayais la chambre des dessins, je délayais l’encre de Chine, je collais les papiers surles planches. Que symbolise cela ? Que les connaissances élémentaires sont les bases de la science Et maintenant, que faites-vous ? Je veux ! Je construis. » Cette apologie de la volonté assez rare en F∴M∴ où ce sont plutôt les vertuschrétiennes qui sont mises en avant comme l’amour, la charité ou le devoirétonne. On ne s’attend pas à cette allégeance soudaine au prométhéisme. Lavolonté semblait jusqu’à lors toujours bornée par un ordre symbolique contrelequel on ne peut rien. Le gnosticisme, présent comme nous venons de le voirdans le rituel, ne prétend pas changer le monde, il veut permettre de lui

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échapper. Sommes-nous ici en présence d’un changement de stratégie plus enrelation avec l’esprit du XVIIIe siècle (pas grade) empreint de cartésianisme àtravers l’affirmation « devenons maîtres et possesseurs de la nature ». Salomon met sa confiance dans une autre équipe. Le rituel désigne les officiers, les place dansle temple à l’aide d’un étrange vocabulaire. L’Atelier s’appelle archiloge de Boulomie, l’orient est la mérogénie ou côté de la naissance, l’occident lamérithanatie ou côté de la mort. Le secrétaire est nommé « Aporète » inconnudu dictionnaire mais probablement sceptique, l’hospitalier est l’Evergète surnomd’un Ptolémée, dit le bienfaisant. Est-ce pour donner un second souffle à laconstruction du temple ? Je me perds en conjectures.

Selon Christian Godin, la volonté doit lutter contre quatre ennemis : la nature,dieu, le destin, le hasard, nous les avons tous rencontrés au cours des gradesprécédents celui-ci en ferait-il fi lançant les maçons dans une aventure incertaineque notre époque reflète assez bien? Enfin, dernier paradoxe, on ne s’assure pasau cours du rituel d’ouverture si le Temple est couvert. C’est que la science etl’art nous protègent. Un imposteur se découvrirait assez vite. Je le crois volontiersrien qu’en essayant de comprendre comment fonctionne le compas de propor-tion ! De surcroît, quelqu’un se présenterait pétri de toute la science requise,serait bien accueilli. Serait-ce la conviction que la possession du savoir, le travailpour y parvenir entraînerait, de fait, l’acquisition des vertus morales exigées dumaçon ? Le siècle dernier a malheureusement répondu. Curieux grade qui,décidément, penche du côté de la modernité.

R. Morel-Chevillet

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LE PÉLICAN, ÉTUDE D’UN SYMBOLE

Le pélican symbole essentiel du grade de Chevalier Rose-Croix, est le symbolequi, dans la littérature maçonnique, a fait couler le moins d’encre. Il est aussicelui dont la légitimité fut contestée -au sein du 18e grade. Les références dans lalittérature profane et religieuse restent également maigres et stéréotypées autourde la signification christique du symbole.Que ce soit en maçonnerie ou en religion, la notion du sacrifice et de la charitéy sont rattachées. Restent les questions : comment ce volatile de la famille desstéganopodes a atterri dans le tableau du grade du Chevalier Rose-Croix ?Pourquoi il se retrouve à symboliser les plus hautes qualités humaines ?Décidément, ce n’est pas un stéganopode pour rien que cet oiseau-là, car « stéganos » veut dire imperméable, impénétrable, mystérieux, secret, en d’autrestermes, hermétique. Il n’est pas entouré d’une riche mythologie comme lephénix ou l’aigle, point d’exégèse sur sa présence dans l’univers symbolique. Il me faut donc essayer d’appréhender par la connaissance ce symbole pourprétendre approcher son sens. Le début de la connaissance, disait Aristote, c’estl’étonnement à ce que les choses sont ce qu’elles sont, ainsi en premier il s’agitde rendre compte de sa présence dans le grade. Le pélican apparaît en tant que figure symbolique maçonnique, lors de lafondation du chapitre de Clermont par le chevalier de Bonneville, en 1756. À l’origine, il y est associé à la figure de l’aigle qui est son pendant. On trouvecette association sur l’avers et le revers du bijou du sautoir. Le grade porte alors le titre : « chevalier de l’aigle et du pélican, souverain prince rose-croix-d’Heredom ». Il faut se souvenir qu’il est le 18e grade dans un rite de perfectionqui en compte à l’époque 25. Lors de l’extension des hauts grades en 33 dansle Rite Écossais Ancien Accepté, l’aigle prendra son envol vers les cimes du rite,en devenant au passage bicéphale, laissant la place au phénix qui sera associédésormais au pélican dans le grade du « Chevalier Rose-croix ».Ce qui est remarquable au 18e, c’est l’apparition d’un bestiaire dans la symbo-lique maçonnique des grades. Jusqu’alors une succession d’objets et des végétauxont emmaillé les grades comme support figuratif des hautes valeurs symboliques

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véhiculées dans leur enseignement. On observe dans les grades précédents unesuccession de symboles qui se réfèrent par cycles, à deux grandes dimensions dela création. La dimension minérale (substances-outils-pierre-armes...), et ladimension végétale (blé-acacia-olivier...). Au 18e, pour la première fois la dimension animale apparaît à travers unefiguration à la fois réelle et imaginaire, comme si elle était l’aboutissement d’uncycle dans la symbolique visant l’ordonnancement des trois dimensions de lacréation. Elle place le Chevalier Rose-Croix devant un défi de maîtrise :couronner par sa dimension humaine la création à condition d’être capabled’amour et de sacrifice. Si la tradition maçonnique est peu loquace quant à l’origine et l’installation dupélican au 18e grade, on s’aperçoit vite que dans la tradition religieuse et profaneles surprises, contradictions, revirements, autour de cette figure ne manquentpas. Dans la Bible il y a une double référence. D’abord dans le Lévitique on estsurpris de voir catalogué le pélican parmi les animaux impurs. Vient ensuite laréférence dans le psaume de David (prière dans le malheur) : « Je suis semblable aupélican du désert, je suis pareil au hibou des ruines, je veille et je gémis... ». Ce passage esttrès important car il va conditionner la vision chrétienne du pélican par la suite,mais déjà un premier écueil se fait jour. Selon les exégètes modernes de la Bible,l’oiseau nommé « qâat » dans le texte d’origine, fut improprement traduit parpélican dans la Vulgate. Il désignerait en effet une sorte de rapace, ce qui d’ailleurstombe sous le sens, car que ferait un oiseau ichtyophage dans le désert ? Dans la tradition gréco-romaine, point de pélican, tant symbolique que profane.Par contre il existe une figure équivalente par son symbolisme le cygne. L’oiseauassocié à la lumière conduisant le char d’Apollon s’oppose à l’injustice par sonsacrifice. L’expression « le chant du cygne» qui était rattachée à l’apologie deSocrate lors de sa mise à mort est parvenue jusqu’à nous. Dans les Grandes Heuresde Jean de Berry/ les noces de Cana, il existe une enluminure montrant le cygneversant son sang par le cœur comme le pélican. Dans la mystique hindoue, le cygne est célébré en des termes que l’on peut sanshésiter adresser à notre pélican : « Le cygne sublime ne connaît ni froid ni chaud, nipeine ni plaisir, ni honneur ni déshonneur. Il a dépassé les six vagues : faim, soif, chagrin,illusion, déclin et mort en renonçant à la critique, l’orgueil, la jalousie, la cupidité,l’exaltation, l’envie et la colère. C’est ici que point l’aurore de la vraie Gnose ».(Ramakrisna Paramahamsa, Upanishad)En Occident, l’émergence du pélican dans le domaine religieux et symboliques’opère au IIe siècle en Alexandrie, à travers un ouvrage grec anonyme : « Physiologos ». Il s’agit d’un ouvrage religieux dont l’enseignement associe des

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citations de la Bible à une cinquantaine d’animaux, réels ou imaginaires. Leprincipe en est de juxtaposer une image animale et une idée christologique.C’est là qu’on voit pour la première fois dans la littérature symboliste, le pélicanqui verse son sang comme une allégorie du sang versé du Christ. Le succès dece livre est immédiat et important, il sera traduit de l’Éthiopie à l’Arménie etde Byzance à la Perse. Il est traduit en latin au IVe siècle et nourrira toute latradition du bestiaire qui va fleurir dans les objets liturgiques, l’iconographie etjusque sur les cathédrales. Que ce soit en religion ou en maçonnerie le pélican est un symbole cardinal. Il est identifié à la personne du christ pour les uns et à une vertu essentielle pourtout initié. Ces origines incertaines et contradictoires sont troublantes. Il ne peutpas être un artefact créé de toutes pièces par un anonyme du IIe siècle. C’est en Égypte comme souvent qu’il faut chercher des réponses. Des bas-reliefsde la 5e dynastie (vers – 2500) montrent sans conteste des figures de pélican maisrien ne permet d’affirmer qu’il avait une place symbolique dans la traditionégyptienne. Au contraire il était apprécié pour sa chair et ses œufs. Dans le texted’interprétation d’hiéroglyphes, d’un auteur non identifié connu sous le nomd’Horapollon, le pélican personnifie l’homme insensé car cet oiseau pond sesœufs sur le sol, mettant ainsi en danger la vie de sa progéniture. C’est peu dire,que nous sommes loin de l’idée de l’amour et du sacrifice. C’est le mêmeHorapollon qui nous donne la solution au mystère de l’oiseau qui ouvre sesentrailles pour sauver ses petits. À l’origine il s’agit du vautour, cet oiseau selonla tradition ne comportait que des femelles dans son espèce. La fécondation sefaisait de façon « pneumatique », littéralement par le souffle de l’esprit. Ce quin’est pas sans nous rappeler les circonstances d’une célèbre conception. Cevautour maternel montrait un tel dévouement envers ses petits que : « lorsqu’ellemanque de nourriture à donner à ses oisillons, la femelle vautour s’ouvre la cuisse puispermet à ses enfants de prendre son sang, pour éviter qu’ils ne meurent de faim », nousdit Horapollon. À cause de cet esprit de sacrifice, les déesses mères et les reinesd’Égypte étaient couronnées de la coiffure en forme de vautour. L’oiseaumaternel fécondé par le souffle de l’esprit va subir une transformation majeure,comme c’est souvent le cas lorsque le christianisme recouvre les anciennestraditions, afin qu’elles deviennent conformes au nouveau dogme. Par la vertu d’escamotage et de glissements successifs, le vautour mangeurd’entrailles et de charognes se vit remplacé par le pélican pourvoyeur de pois-sons... Et par la même occasion, de l’allégorie maternelle on passa à un emblèmepaternel incarné par le pélican, qui reprend à son compte les vertus du vau-tour : amour et sacrifice. Le vautour, féminin et maternel, « transmuteur »alchimique de la pourriture en vitalité, versant son sang vivifiant, fut écarté au

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bénéfice d’un pélican mâle, associé au poisson « ichtys » qui identifie le Christ. Il garde la dimension sacrificielle du sang versé pour la rédemption de ses fils et se débarrasse de la dimension « gênante» de la transmutation alchimique. Ladifférence sémantique est de taille. D’un côté un sacrifice extérieur à l’homme,celui du Christ-pélican, œuvre pour son salut. De l’autre, l’allégorie du vautour-pélican invite l’homme à un travail de transmutation de sa personne. Noussommes directement dans l’esprit du V∴I∴T∴R∴I∴O∴L∴ l’amour del’humanité en plus.La tradition du Moyen Âge ne s’est pas trompée sur l’origine de la véritablenature du pélican. Elle le représente sous forme d’un rapace au long cou, plutôtqu’avec le bec caractéristique du pélican. Elle donne également son nom à l’un des alambics alchimiques. La nature du pélican est d’origine alchimique ets’inscrit dès le début avec le vautour, dans le cycle qui va de la dissolution-putréfaction à la régénération-résurrection. C’est le principe que l’alchimie auMoyen Âge va cristalliser dans le précepte « solve et coagula » (cf. ci-après). Lamaçonnerie a suivi ce fil rouge de la tradition en plaçant le symbole du pélicanau tableau du 18e grade dont la filiation alchimique est manifeste. Comme on a vu le pélican puise son identification christique dans le « phy-siologos » du IIe siècle. Cette image va se confirmer jusque dans les écritsd’Augustin et de Thomas d’Aquin, où il se fixera comme symbole eucharistiquepersonnifiant le Christ que Thomas d’Aquin appelle « pieux pélican », (piepéllicane). Parallèlement dans la tradition orale et écrite la geste du pélican vaévoluer pour donner plusieurs variantes.En premier, la plus connue, celle du pélican qui nourrit de son sang, ou de sesentrailles ses petits pour les sauver de la famine. Elle va être à l’origine de l’imagede la charité associée au pélican. II existe deux autres versions, où la notion de lamort suivie de la résurrection est mise en avant, associée à la durée symboliquedes trois jours. Dans l’une, le pélican dans un geste de colère tue ses enfants etles ressuscite ensuite en les aspergeant de son sang. C’est une version mise enavant par le théologien Honorius d’Autun qui en son temps fut âprementdiscutée. Dans l’autre le nid du pélican est attaqué en son absence par le serpentqui soit pique ses petits, soit les empoisonne de son souffle. À son retour lepélican perce ses petits à la pointe de son bec pour les vider de leur sang etensuite il les arrose de son sang et les ressuscite. La légende du pélican fut également reprise dans la tradition cathare avec lesmêmes éléments de la mort-résurrection, dans la dialectique du dieu bon et dieu mauvais propre aux Cathares. Le pélican est ici un oiseau lumineux qui accompagne le soleil dans sa course (la proximité avec le cygne d’Apollon est évidente). Une bête vient

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régulièrement démembrer ses petits dans leur nid laissé sans surveillance. Lepélican les ressuscite chaque fois avec son sang. (Il y a proximité avec ledémembrement de Dionysos Zagreus par les Titans). Un jour, le pélican endissimulant sa clarté, surprend la bête et la tue délivrant ainsi sa couvée. Lacouvée qui représente l’humanité est empêchée par le « démiurge », le dieumauvais à rejoindre la lumière de la gnose. Dans cette légende, l’accent est missur la délivrance plutôt que sur le sacrifice. Fort de ses traditions, le pélican inspira naturellement les poètes, avec uneconstante mise en avant : la figure paternelle et son sacrifice. C’est une allégoriepour illustrer des hautes qualités, mais aussi parfois pour dénoncer des cruautés.Ainsi Alfred de Musset s’en inspire pour illustrer la transmutation de la souf-france, de l’isolement en amour et sacrifice dans le processus de la création.

... Les chants plus désespérés sont les chants les plus beaux,Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots.

Lorsque le pélican, lassé d’un long voyage, ...... Pour toute nourriture il apporte son cœur.Sombre et silencieux, étendu sur la pierre,Partageant à ses fils ses entrailles de père...

Houdart de la Motte dans sa fable, « Le pélican et l’araignée » illustre enopposition le sacrifice paternel du roi pour son peuple, au roi dévoreur de sonpeuple.

... Un jour n’apportant point de pâture pour eux,le pauvre nid cria famine.

Que fait le pere oyseau ? De son bec généreux,lui-même il s’ouvre la poitrine ;

et repaît de son sang le nid nécessiteux.Que fais-tu là, lui dit, Arachné sa voisine ?

Je sauve mes enfans aux dépens de mes jours.Ils seraient morts sans ce secours.

... Eh ! Pauvre fou, répliqua l’araignée,à ce prix-là pourquoi les secourir ?

... ... ... ... ...Tais-toi, dit-il, tais-toi marâtre détestable.

De tes monstrueux apetitsétonne la nature, en dévorant ta race ;

je meurs plus satisfait en sauvant mes petits,

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que je ne vivrais à ta place.Rois choisissez (nous sommes vos enfans)

d’être aragnés ou pélicans ...

Eliphas Lévi dans la fable, « Le pélican et la cigogne » met l’accent sur le fait quele sacrifice du père implique pour le fils le devoir d’assumer et perpétuer sonhéritage. Il nous enseigne à nous les enfants du pélican, que la tradition est endanger si elle reste dans un isolement sublime, car elle a besoin pour vivre quele flambeau passe de main en main.

... ... ... ... ...Un pélican célibataire

Crut entendre un écho gémir au fond d’un bois.« Parricide, criait la voix,

Qu’as-tu fait du sang de ton père ? »... ... ... ... ...

Débiteur du sang de ton père,Tu dois le rendre à tes enfants.

S’il n’est un sacrifice héroïque et sublime,Le célibat devient un crime.

Les soins de nos parents sont leur âme et leur sang,Que sur nos premiers jours le ciel fit se répandre;

À d’autres nous devons les rendre.C’est un devoir sacré qu’on accepte en naissant ...

La place du pélican en tant que symbole dans le 18e grade fut souvent objet dediscussions qui allaient jusqu’à mettre sa légitimité en doute. Il y a plusieurséléments qui concourent pour affirmer que sa place est légitime de manièreinhérente. De surcroît il existe une articulation forte et harmonieuse avec lesautres symboles majeurs du grade, le phénix et la rose-croix. Le pélican y estrelié à travers la symbolique de la croix, l’alchimie et la symbolique des nombres.

La forme essentielle du 18e grade est la croix, elle y figure de trois façons (trishypostatique) :• Le pélican avec ses ailes déployées à l’horizontale et son long coup ramené surla poitrine, forme une parfaite croix ansée, « crux ansates », qui est le symbole duvivant éternel et source de toute énergie vivante manifestée. • Le phénix avec ses ailes et sa tête tendues vers le haut, forme une croix du nordou croix de rédemption que l’on trouve sur la chasuble des prêtres. Cette croix

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emprunte la forme ancienne de la rune de vie (Elce). Elle symbolise l’arbre devie, image de l’homme éveillé et revivifié par l’initiation. • La croix sur le tableau du grade est la croix grecque, « crux quadrata » quisymbolise la création dans toutes ses dimensions, éléments et directions.

Le Chevalier Rose-Croix revivifié à la source du pélican, accède avec l’aide duphénix à sa véritable dimension, il devient « l’homme vivant» à l’image de l’arbrede vie. Il peut alors espérer atteindre la quintessence de la création, la rosemystique sur la croix. Sur le plan alchimique le tableau du 18e invite le Chevalier Rose-Croix à laréalisation de l’œuvre. Le pélican entame l’œuvre par la voie humide, lavolatilisation de la matière. Il est au cœur de la formule alchimique : solve etcoagula. En répandant son souffle vital (solve), il devient le symbole de laperfection (coagula). Il symbolise également la nature humide qui sèche sous lesrayons du soleil d’été, pour renaître mouillée en hiver. Ce cycle des renaissancesl’apparente naturellement au phénix. Après le travail au noir qui est la recherchede la « materiœ prima » au sein de la terre, le pélican invite à l’œuvre au blanc.La transformation par la lumière qui est la purification de l’homme. Le phénixest l’étape de l’œuvre au rouge qui permet le mûrissement, la régénération etl’accès de l’homme à l’universel. La croix, « crux » ou encore creuset est leréceptacle de la pierre philosophale, symbolisée par la rose à laquelle toutchevalier aspire. Si on regarde le tableau du grade sous l’angle pythagoricien, lesinitiales en grec du pélican et du phénix sont : « pi » et « phi » qui sont à la base ducercle et du carré long, nombres importants pour le tracé des trois « tables » quiréalisent la quadrature du cercle. Elles sont à la base du tracé et de la constructiondes cathédrales. La tradition des compagnons nous dit que : « trois tables portent legraal, la première est longue, la seconde carrée, la troisième ronde ». On peut dire qu’au18e grade le carré de la croix, (crux quadrata), associé au carré long du phénixet au cercle du pélican, portent la rose mystique, symbole du graal. On peut faire alors une lecture de la devise du grade à la lumière de ce qui vientd’être dit. La charité (le pélican, le cercle), portée par la foi (la croix, le carré) etl’espérance (le phénix, le carré long) nous portent vers la réalisation de notrecathédrale intérieure et apercevoir la rose mystique est l’aboutissement del’œuvre tant souhaité.Il est important dans une démarche de connaissance de cerner les dimensionset l’articulation des choses que l’on étudie mais cela ne suffit pas. Il nous fautencore à partir de la chose comprise dégager un sens qui fait valeur pour celuiqui étudie.

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Le geste du pélican est empreint du sacrifice et de l’amour. Il personnifie lacharité, l’une des vertus théologales avec la foi et l’espérance. La charité sera miseen avant dans les épîtres de Paul et de Jean. Pierre Lombart au XIIe siècle (inSentences), identifie la charité avec le Saint-Esprit lui-même. L’amour par lequelnous aimons Dieu n’est pas une vertu comme la foi et l’espérance, mais l’Espritdivin en personne présent et agissant dans l’âme. Une sorte « d’habitus » par Dieului-même. Au fur et à mesure de l’organisation de l’Église, elle sera codifiée dansson expression. Ainsi François de Sales au XVIe siècle dans son « Traité del’amour de dieu » considère la charité fondée en Dieu et donc opposée à l’amourhumain, fruit du désir. Elle est dévouement à autrui. Vertu du cœur, elles’exprime dans les sept œuvres de miséricorde: nourrir les affamés, désaltérer lesassoiffés, vêtir les démunis, soigner les malades, accueillir les pèlerins, visiter lesprisonniers, ensevelir les morts. Par la suite l’iconographie fera de la charité uneimage intellectuelle comportant les attributs de ses différents aspects : un cœurenflammé en sa main ou la tête couronnée de flammes pour indiquer l’amourbrûlant qu’elle voue aux hommes. Une corne d’abondance ou une bourserenversée pour signifier les bienfaits de sa générosité. On voit que charité, bienfaisance, compassion, aumône, finissent par seconfondre. Bossuet au XVIIe siècle essaiera de mettre quelque ordre en séparantl’aumône, inspirée par un sentiment de pitié, du présent, qui est un effet d’estime.Il établit une réciprocité entre le « fardeau» des uns – le besoin – et le « fardeau »des autres – l’abondance : « communiquez entre vous mutuellement vos fardeaux, afinque les charges deviennent égales ». La compassion naturelle ne suffit donc pas, on ne doit pas se contenter de secourir les pauvres, d’assister les indigents, desoulager la misère. Il faut saisir la signification du mystère de la charité etinstaurer une « communication fraternelle ». Les difficultés qui ont émaillé la définition du mot charité, trouvent leur originedans la traduction de la Bible. Le terme originel dans la Bible des Septante estAgapè. Par exemple : Dieu est amour, « 0 Theos agapè estin ». Agapè signifie :amour qui tend à l’offrande de soi, qui fait abstraction de l’amour de soi auservice de celui qu’on aime. La Vulgate le traduira par « caritas » l’amouraffection, ce qui rend cher quelqu’un à nos yeux, la charité. L’agapè est un amourspontané et gratuit qui n’a pas besoin de justification. Tout être dans ses faiblesses est digne de l’amour des hommes. Cet amour crée lavaleur de celui qui le reçoit. L’amour du prochain ne se différencie pas de lajustice : on peut être juste sans aimer mais on ne peut aimer son prochain sansêtre juste. L’amour universel de l’agapè, nous libère de l’injustice, du désir sanslimite, de la tyrannie du moi. Il nous fait prendre de la distance avec le moidominateur et nous amène à « s’aimer soi-même » comme on aime l’autre.

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L’agapè ou charité se trouve sur la croix, lieu du message d’amour et du sacrifice.C’est le symbole de l’amour suprême que l’on peut qualifier de divin. Cetamour divin est symbolisé par la Rose, dont nature hermétique, nous indiquele chemin à suivre. Pour conclure, provisoirement ce travail, le symbole du pélican nous dit que :comprendre, savoir, connaître, agir, ne sont que vains mots s’ils ne sont pas portés par le sens que l’on donne à l’amour-charité. L’apôtre Paul ne parlait pasautrement aux Corinthiens : « Quand je parlerais les langues des hommes et des anges,si je n’ai la charité je ne suis plus qu’airain qui sonne ou cymbale qui retentit. Quandj’aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et les sciences, quandj’aurais la plénitude de la foi, une foi à transporter les montagnes, si je n’ai pas la charité,je ne suis rien… La charité est longanime, serviable, ne se réjouit pas de l’injustice, ellesupporte tout, elle met sa joie dans la vérité… Demeurent espérance, foi, charité, mais laplus grande d’entre elles est la charité ».

Dimitri Arsenakis

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Pygmalionmanuscrit d’ovide, xve siècle

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B U L L E T I N D USUPRÊME CONSEILGRAND COLLÈGER ∴ É ∴ A ∴ A ∴G ∴ O ∴ D ∴ F ∴

149A U T O M N E 2 0 0 8P R I N T E M P S 2 0 0 9

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SOMMAIRE N° 149

GRAND CONSEIL D’AUTOMNE ET GRAND CHAPITRE D’AUTOMNE 2008

• État des Officiers du S∴C∴ pour l’année 2008-2009.......................... 187

Grand Conseil d’Automne du 2 septembre 2008

• Discours d’ouverture du T∴P∴S∴G∴C∴Jean-Robert Ragache, 33e ................................................................... 191

• Synthèse des rapports sur la question posée : « Trois couronnes symbolisent trois pouvoirs dont le CKS doit surveiller, stigmatiser et combattre les moindres abus et déviances. Ces trois symboles sont-ils nécessaires et suffisants aujourd’hui ? »Rapporteur le T∴Ill∴F∴ Jacques Orefice, 33e, M∴A∴S∴C∴ .......... 197

• Discours du Grand Orateur le T∴Ill∴F∴Yves Le Bonniec, 33e .......... 219

Grand Chapitre d’Automne du 2 septembre 2008

• Discours d’ouverture du T∴P∴S∴G∴C∴Jean-Robert Ragache, 33e ................................................................... 227

• Synthèse des rapports sur la question posée : Dossier non remisRapporteur le T∴III∴F∴, M∴A∴S∴C∴

• Discours du Grand Orateur T∴Ill∴F∴Yves Le Bonniec, 33e .............. 233

La vie du S∴C∴, G∴C∴R∴E∴A∴A∴ – G∴O∴D∴F∴

• Rapport d’activité 2007-2008 ............................................................. 241

Nécrologie

• Éloge Funèbre du T∴Ill∴F∴ Marcel Vassal, 33e, M∴H∴S∴C∴ ........ 248

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Dialogues

• Évolutions historiques et nationales des identités maçonniques. Quatre siècles de mosaïques culturelles par Pierre Besses............................. 253

• Une lecture d’Hamlet de Shakespeare par un Chevalier Kadoshpar Jean-Jacques Dupont ..................................................................... 271

GRANDE LOGE DE PRINTEMPS 2009

Grande Loge de Printemps du 14 mars 2009

• Colonne d’harmonie........................................................................... 277

• Discours d’ouverture du T∴P∴S∴G∴C∴Jean-Robert Ragache, 33e ................................................................... 279

• Synthèse des rapports sur la question posée : « L’art vit de contraintes et meurt de liberté. Le Maître Secret qui pratique l’Art Royal promet d’être obéissant et fidèle. Dans quelle mesure est-il libre ? »Rapporteur le T∴Ill∴F∴ Pierre Aurejac, M∴A∴S∴C∴................... 283

• Commissions de réflexion et conclusions sur les Grades de Perfection....................................................................................... 295Commission 1 : La formation des Maîtres SecretsCommission 2 : La gestion du temps en loge de perfectionCommission 3 : « Commentaire sur le questionnaire à propos du rituel des 13 e et 14 e degrés et premiers échanges sur d’éventuelles modifications »Discours du G∴M∴ du G∴O∴D∴F∴ ............................................ 303

• Discours du Grand Orateur T∴Ill∴F∴Yves Le Bonniec, 33e .............. 307

Fenêtre ouverte : un regard sur le Monde

• Du Liban : Lexique des mots du R∴E∴A∴A∴du 4 e au 20 e degré par Ibrahim Sami Haddad, d’après des recherchesétymologiques personnelles ................................................................. 317

D’un colloque à l’autre

• Les « Colloques Philosophiques » 1

Introduction par le T∴Ill∴F∴ Claude Faivre, 33e, M∴A∴S∴C∴...... 353

1. Sous l’égide du Suprême Conseil, Grand Collège du R∴E∴A∴A∴ - G∴O∴D∴F∴

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• OGM et décroissance durable par Jean-Pierre Frémeaux........................... 355

• Les Sciences du point de vue évolutionnistepar lan Hacking et Marc Kirsch ........................................................... 365

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OFFICIERS DU SUPRÊME CONSEIL 2008-2009

Très Puissant Souverain Grand CommandeurJean-Robert RAGACHE

1er Lieutenant Commandeur Francis ALLOUCH 2e Lieutenant Commandeur Jean-Pierre CORDIER

Grand Orateur Yves LE BONNIEC Grand Chancelier - Garde des Sceaux Christian DANIOU

Grand Trésorier - Grand Hospitalier Gérard FILIPPI Grand Capitaine des Gardes Jacques OREFICE

1er Grand Maître des Cérémonies Yves HIVERT-MESSECA 2e Grand Maître des Cérémonies Alain NATALI

Grand Hospitalier Pierre NABET Grand Orateur Adjoint Roger SOUTHON

Grand Chancelier Adjoint Hervé NORA Grand Trésorier Adjoint François DELVILLE

Grand Hospitalier Adjoint Jean-Claude RAUCH Grand Capitaine des Gardes Adjoint Jean-Paul FARDET

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GRAND CONSEIL D’AUTOMNEZ É N I T H D E P A R I S • 2 S E P T E M B R E 2 0 0 8

Aigle bicéphale

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Victor HugoAuguste Rodin

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01

DISCOURS D’OUVERTURE DU T∴P∴S∴G∴C∴

DU GRAND CONSEIL D’AUTOMNE 2008

« Que les flambeaux de la conscience éclairent nos esprits« Que le sommeil et la lassitude ne voilent point nos âmes« À tout moment l’ennemi change de couleur et de forme« Et nous jette sans arrêt dans sa gueule inassouvie »

Ceci est un fragment d’un poème de Michel Manouchian, fusillé le 21 février1944 à midi, à l’âge de trente-sept ans et dont le visage figurait sur la fameuseAffiche Rouge chantée par Aragon. Ce poème s’intitule « Restons éveillés ».

Si j’ai éprouvé le besoin de citer cet extrait écrit à une période difficile etsombre de notre histoire, c’est parce qu’il est significatif d’une attitude exem-plaire : la résistance. En ce milieu du XXe siècle, des hommes et des femmes, troppeu nombreux, avaient osé refuser l’oppression. Ce siècle que nous avons quitté,Albert Camus en novembre 1946, dans le journal Combat, le nommait « Le sièclede la peur » et il écrivait : « Quelque chose en nous a été détruit par le spectacle desannées que nous venons de passer. Et ce quelque chose est cette éternelle confiance del’homme, qui lui a toujours fait croire qu’on pouvait tirer d’un autre homme des réactionshumaines en lui parlant le langage de l’humanité. Nous avons vu mentir, avilir, tuer,déporter, torturer, et à chaque fois, il n’était pas possible de persuader ceux qui le faisaientde ne pas le faire, parce qu’ils étaient sûrs d’eux et parce qu’on ne persuade pas uneabstraction c’est-à-dire le représentant d’une idéologie. Le long dialogue des hommes vientde s’arrêter. Et bien sûr un homme qu’on ne peut pas persuader est un homme qui faitpeur ». Voici ce que disait Camus au sortir de cette guerre qui avait vu détruiredes hommes, des femmes et des enfants au seul motif qu’ils existaient. Voici cequ’il disait d’une période qui avait vu la raison basculer dans l’absurde, la scienceverser dans l’horreur, l’oubli et le mépris des droits les plus élémentaires de l’êtrehumain et dans ces abominations, il y avait un mélange de pulsions archaïques

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et barbares et d’organisation de mécanismes modernes. Supprimer, exterminer,anéantir mais aussi effacer. Rendre la réalité incroyable, invraisemblable. Rendreles victimes elles-mêmes incrédules devant le spectacle de leur propre existenceau bord de l’anéantissement. En un mot d’ordre définitif : « Nuit et brouillard »,tout un programme de l’oubli de millions d’existences.Et pourtant, ce siècle d’avilissement de l’homme promettait beaucoup : leprogrès, le bonheur pour tous, une entente fraternelle entre les hommes fondéesur des principes que l’on croyait intangibles, immuables et éternels. Nous avonsquitté ce siècle sans regret, avec ce goût de cendre dans la bouche que donnentl’amertume et l’écœurement, avec, non pas la certitude mais l’espoir que nousne reverrions plus cela. Mais il y a eu et il y a encore des tragédies, des massacres,des camps, des épurations ethniques, en Bosnie, au Rwanda, au Darfour. On arevu des images qu’on croyait enfouies à jamais dans les égouts de l’histoire etqui nous ont montré que la barbarie, la férocité, la sauvagerie étaient présentes ànos portes. Mais aujourd’hui, les cavaliers de l’Apocalypse n’ont plus de visageou plutôt celui-ci est multiforme. Les grands récits mythologiques qui portaientles idéologies se sont effacés. Leurs grandes explications globalisantes se sontévanouies et, avec elles, la possibilité de désigner un coupable. Le monde trèsvisible, peut-être trop visible, est devenu illisible. L’ennemi, clairement identifiéhier est devenu un Autre indécelable et donc, tous les autres.Ce monde sans frontière est en même temps sans chemin, et son paysage estdevenu informe. L’utopie qui était hier un espoir est devenue, victime de sonétymologie, un espace sans localisation précise. Ce monde « désoccidentalisé »est aussi « désorienté ».Un texte de Tocqueville, écrit en 1835 me semble bien décrire notre époque :« Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans lemonde : je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sansrepos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissentleur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres[...]. Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seuld’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyantet doux [...]. Il ne cherche qu’à les fixer irrémédiablement dans l’enfance ; il aime que lescitoyens se réjouissent pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leurbonheur mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre... Après l’avoir pétri à saguise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière ; il en couvre la surface d’unréseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes... Il ne brise pas les volontésmais il les amollit, les plie et les dirige... Il ne détruit point, il empêche de naître. »Texte prémonitoire, texte qui préfigurait certains traits de notre époque. Àcommencer par cet individualisme narcissique qui fait préférer l’intérêt personnel

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à l’intérêt général, qui anéantit les solidarités. Autant l’individualité affirmée autemps des Lumières était garante de la liberté des hommes avec une exigenced’émancipation de l’individu alors que l’État, lui, était le gardien de ses droits,autant l’individualisme contemporain livre l’être humain à toutes les oppressionsdont il cherche à se prémunir non pas avec l’aide d’un Etat prévoyant maisaffaibli, mais avec une revendication identitaire et un communautarisme facteurd’enfermement et de régression, porteurs de soumission. Tocqueville, encore lui,définissait l’individualisme qu’il pressentait comme « un sentiment réfléchi et paisiblequi dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écartavec sa famille ; de telle sorte que, après s’être ainsi créé une petite société à son usage, ilabandonne volontiers la grande société à elle-même ». Mais peut-on encore parler de«citoyen » dans ce cas, de citoyen responsable et participant à la vie collective, luiapportant son soutien ?Et lorsque Tocqueville parle de despotisme et de ce pouvoir « immense et tuté-laire », qui «ne détruit point mais empêche de naître », ne décrit-il pas le pouvoirmédiatique avec une télévision qui reste l’écran de référence. Ce pouvoir qui,avec un flux ininterrompu d’images, avec un déferlement d’informations,empêche de juger, de prendre de la distance, du recul, bref, empêche de prendrela mesure de la réalité du monde. La consommation chaotique de ces imagesconduit à la passivité mais aussi entraîne une confusion entre ce qui relève de laréalité et ce qui relève de la fiction. N’est-on pas là en face d’un nouveau facteurd’obscurantisme qui ne se fonde plus sur une coercition religieuse mais sur unaveuglement, au sens fort du terme, face à un risque non plus catholique maiscathodique. Mais si cet obscurantisme se développe c’est aussi grâce à cesnouvelles techniques de communication qui permettent d’exporter des idéescomme le créationnisme en direction de dizaines de millions d’individus.Quand Tocqueville parle d’une « foule innombrable d’hommes semblables et égaux quitournent sans repos sur eux-mêmes » a-t-il pressenti cette modernité actuelle qui estexaltée sous forme de ce qui est éphémère dans un monde où règnent l’instabi-lité, la mobilité, la réactivité? Une modernité qu’on appelle aussi postmodernité,et pas seulement dans le domaine artistique, qui rejette l’idée d’une raisonuniforme et universelle, rejette les grandes idéologies religieuses ou politiques,préfère le particulier, l’hétéroclite, le spectaculaire et la spontanéité en unnouveau romantisme qui préfère l’émotion à la raison. Dans son ouvrage, 1984,George Orwell écrivait « la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force ».Sommes-nous si loin de cette vision du monde alors que le héros de son livreBig Brother semble aujourd’hui bien dépassé dans son désir d’asservir le mondeen utilisant notamment un langage minimal, générateur d’un appauvrissementde la pensée.

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Ce monde qui nous entoure, il est violent. Non plus de la violence de cesguerres mondiales que nous avons connues, mais d’une violence qui se décidedavantage dans les conseils d’administration des entreprises multinationales quedans les états-majors des armées nationales. La violence n’est plus interétatiquemais globale et moléculaire à la fois. Globale par les organismes internationauxet les grandes firmes qui imposent des normes oublieuses de l’être humain, parune criminalité sans frontière de plus en plus active, moléculaire par les seigneursde la guerre régionaux, les guérilleros plus avides d’argent que de révolution, etles illuminés religieux de tous bords.La violence, elle est également moderne par une technologie avancée qui est lefait des Etats développés, mais aussi archaïque qui est le fait de ceux qui nesupportent pas la nouvelle loi du monde et qui est un signe d’inadaptation dansune société de plus en plus perfectionnée et rapide dans laquelle l’individu peutpeiner à trouver ses marques.Pourquoi ce long préambule sur l’état du monde actuel ? Parce que pendant troplongtemps la Maçonnerie a vécu dans un certain solipsisme, c’est-à-dire dans unrepli hautain sur elle-même refusant de considérer un environnement, politique,économique, social, culturel qui pouvait avoir une quelconque influence sur elle.Elle se voyait sanctuaire de la raison humaine avec la présomption de pouvoirorienter le monde vers les idéaux qu’elle prônait. Et de fait, depuis l’époque desLumières qui l’avait vue prospérer jusqu’à une époque récente, tout semblaitconcorder sur ce fait : le monde était en voie de civilisation, les droits de l’hommeétaient proclamés haut et fort, le despotisme reculait avec l’effondrement desrégimes totalitaires et l’établissement de la démocratie dans la plupart des pays.Mais il faut aujourd’hui déchanter et la Franc-maçonnerie, à son corps défen-dant, semble à contre-courant des idées du siècle, un siècle que l’on aurait voulupacifié et raisonnable. Il faut donc retomber sur terre.Avons-nous failli à notre mission ? Le rituel du 4e nous le dit « Ne vous payez pasde mots ». Alors nous sommes-nous bercés d’une douce illusion portée par lesphrases d’un rituel récité mécaniquement à l’instar d’un catéchisme dont lachanson nous inspire plus que les paroles ? Le mot ne devient-il pas un substitutà l’action ?Elles sont pourtant fortes ces phrases : « Je promets de refuser toute dictature, quelle

qu’elle soit, et de m’y opposer ». Mais cette force n’est-elle pas faiblesse ? Les tâchesproposées, voire imposées, ne paraissent-elles pas insurmontables car est prônéeaussi la résistance à tout asservissement de la personne, de la pensée, de l’esprit.Et justement, ce flou qui caractérise notre époque désorientée et qui nous rendincapable de cerner où est le véritable adversaire, ne nous gêne-t-il pas dans cettelutte ? Car à force de considérer l’ennemi extérieur chargé de tous les vices et

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de toutes les tares, mais où le trouve-t-on aujourd’hui, n’avons-nous pas oubliénotre principal ennemi : nous-mêmes ?Quand Manouchian écrit son poème pendant la guerre, il l’intitule « Restonséveillés ».Eveillés aux autres mais aussi éveillés à nous-mêmes. René Char disait « Lalucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil » sans doute pour inciter à uneclairvoyance et à une raison critique favorables à une réflexion véritable. Mais le chevalier Kadosh doit être aussi un « éveilleur ». C’est son devoir, sonobligation, sa responsabilité. Dans cette époque sans contours précis éveiller lesconsciences pour les mener à la raison critique, la seule valable, est une nécessitédont l’urgence ne doit pas nous échapper. Mais gardons-nous de toutpessimisme, de tout découragement même si la tâche paraît gigantesque.Le Franc-maçon se doit d’avoir une triple fonction : il est un penseur, un passeuret un acteur. Penser notre époque c’est en prendre la mesure avec toutes lesdifficultés que cela représente. Etre un passeur, c’est aussi être un éducateur avecune triple fonction que définit l’étymologie : instruire c’est-à-dire construire,construire un raisonnement, une structure mentale qui permet d’échapper à laconfusion ; éduquer c’est-à-dire conduire sur ce chemin que nous parcouronsavec ses avancées, ses reculs, ses chemins de traverse mais qui est le fondementmême de l’initiation. C’est le peintre Soulages qui écrivait « C’est ce que je faisqui m’apprend ce que je cherche » ; et enfin enseigner, c’est-à-dire donner du sensdans un monde de plus en plus insignifiant donner de la signification sur un planintellectuel, de la direction sur le plan moral.Et cela sans cesser de penser sa condition d’homme avec humanité mais aussiavec humilité. Nous ne sommes pas à l’abri de la médiocrité vaniteuse qui peutfaire confondre le fonctionnel et l’honorifique. Un grade n’est pas un titre. Il nous faut méditer cette phrase de notre frère Goethe : « Chaque sommet est uneétape ». Le rituel du 30e ne dit rien d’autre. Nous progressons à notre rythme etcette progression nous fait prendre conscience de notre propre inachèvement.Ceux qui, sensibles à l’urgence du monde profane, veulent accélérer le rythmede leur cheminement, sont semblables à ces mauvais compagnons qui ontprovoqué la mort d’Hiram. C’est notre temporalité réfléchie qui fait notre force,qui nous construit avec une charpente solide.Dans Le Gai Savoir, Nietzsche affirme : « Il faut continuer à rêver en sachant que l’onrêve ».Voilà l’objet de notre quête : combattre le sommeil et la paresse de l’espritpour inciter les hommes à une résistance contre les dérives de notre monde etrépondre à la devise « Fais ce que dois, advienne que pourra ».Bien sûr des querelles peuvent surgir çà et là et à tous les niveaux. Mais ne sont-elles pas dérisoires quand on songe aux enjeux que représente notre

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engagement ? Nos rituels, lus, récités, joués, n’auraient-ils donc aucune force depersuasion ? Ils prônent pourtant à tous les degrés la nécessité d’une luttecommune contre les méfaits de notre monde.Aujourd’hui, c’est à nous de penser à l’ordre du monde en ces temps oùl’irrationnel le dispute au désordre. Notre réflexion ne sera efficace que dansl’union des esprits.Jean Giraudoux, à la fin de sa pièce Electre, fait dialoguer deux personnagessecondaires : un mendiant et une servante nommée Narsès qui pose la ques-tion :« Comment cela s’appelle-t-il quand le jour se lève comme aujourd’hui et que tout estgâché, que tout est saccagé et que l’air pourtant se respire, et qu’on a tout perdu, que laville brûle, que les innocents s’entretuent mais que les coupables agonisent dans un coindu jour qui se lève » Et le mendiant répond : « Cela a un très beau nom femme Narsès,cela s’appelle l’aurore ».Nous nous devons aujourd’hui d’être lucides sans être méprisants, de douter sanssoupçonner, d’aimer sans privilégier. Notre aurore à nous ce sera l’avènementd’une humanité réconciliée avec elle-même.

Jean-Robert Ragache, 33e

T∴P∴S∴G∴C∴

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GRAND CONSEIL D’AUTOMNE 2008 RAPPORT DE SYNTHÈSE

I – INTRODUCTION

II – HIER

A. Les couronnes1. Généralités2. La couronne3. La couronne royale4. La tiare5. La couronne de laurier6. La couronne en maçonnerie

B. Le pouvoir

C. Les Missions du CKS

III – AUJOURD’HUILes 3 symboles sont-ils nécessaires et suffisants ?

A. Les anciens pouvoirs1. Le pouvoir civil2. Le pouvoir religieux3. Le pouvoir militaire

B. Les nouveaux pouvoirs1. Généralités2. Le pouvoir économique3. Le pouvoir médiatique4. Le pouvoir technoscientifique

C. De nouveaux symboles ?

IV – DEMAIN

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I – INTRODUCTION

T∴P∴S∴G∴C∴,

Nous sommes à ce moment dans le cadre des figures imposées du rapportannuel au Grand Conseil annuel qui a valu à votre rapporteur de renouer avec lagrande tradition des devoirs de vacances, ce qui est devenu paraît-il très tendanceavec la floraison estivale des devoirs de vacances en tous genres, pour adultesréalisant au phénomène de librairie sans précédent.À ce sujet et en aparté, je vous recommanderai le cahier de vacances Philo deCNRS Edition.

Quelques remarques statistiques :53 Ateliers sur 66 ont adressé leurs travaux au rapporteur grâce aux relances denotre Grand Chancelier. Sur les 53 rapports un seul a traité de la question précédente. Les rapportscomprenant de une à treize pages dactylographiées, une seule était manuscrite.Le nombre de citations par rapport variait de 1 à 13 avec une longueur quivariait de trois mots à une page entière.Les conseils philosophiques à travers leurs rapporteurs reflètent bien la diversitédes approches. Les uns purement initiatiques, d’autres globalement sociologiques,certains très politiques parfois uniquement philosophiques, d’autres à conno-tations anthropologiques voire psychanalytiques.À travers ces quelques remarques, force est de constater que même si la penséediscursive peut faire dans l’elliptique, il est parfois difficile de dépasser le pre-mier degré dans certains rapports alors qu’il s’agit quand même de conseils ditsphilosophiques. De la même façon, l’abus de certaines citations peut desservirle propos.Ceci posé, et ce n’est qu’accessoire, je vais tenter de vous faire partager le plaisirque j’ai eu à la lecture de ces rapports et à la rédaction de leur synthèse en dépitde ce qui peut avoir de frustrant la limitation dans le temps et dans l’espace detoute activité humaine – y compris cette synthèse.« Trois couronnes symbolisent trois pouvoirs dont le CKS doit surveiller, stigmatiser etcombattre les moindres abus et déviances. Ces trois symboles sont-ils nécessaires et suffisantsaujourd’hui ? »Tel est le libellé de la question mise à l’étude.Les ateliers dans la quasi totalité des rapports, sauf un totalement hors sujet, ont fait preuve de mémoire sinon de perspicacité pour le moins de pratiquerituélique en constatant que cette phrase émanait du rituel lors de la réception

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au 30e degré lorsque le TFPGM montre ces trois couronnes aux FF∴ Chev∴Gr∴ Écossais.« Voici devant vous une couronne royale, une tiare pontificale, une couronne de lauriers.Elles surmontaient autrefois le crâne d’un roi, celui d’un souverain pontife, celuid’un Conquérant fondateur d’Empire.Le Grand Orateur va vous dire la raison de leur présence ici. »Grand Orateur : « Ces 3 couronnes sont les emblèmes du pouvoir civil, du pouvoirreligieux, du pouvoir militaire. Tant que dans un état policé les détenteurs de ces pouvoirsse maintiennent dans les sages limites de leurs attributions définies par de justes lois, leursactes demeurent bénéfiques. Malheureusement, il est trop commun de voir rois, pontifes etconquérants égarés par l’orgueil et l’ambition. Ils cèdent à la volonté de puissance qui esttout le contraire de la vertu initiatique. Ils aboutissent ainsi à la dictature, à l’oppressionde l’esprit, à l’asservissement des citoyens réduits à l’état de sujets, sinon d’esclaves ».C’est alors que le CKS devra se souvenir que la résistance à l’oppression est leplus sacré des devoirs.Armés de ce passage du rituel et nourris des rituels antérieurs, les rapporteurs,même s’ils ne répondent pas à la question directement, contribuent à apporterun éclairage unique. Cette question s’inscrivant dans la dynamique qui consisteà revisiter et à repenser nos symboles dont on questionne ainsi et la permanenceet la pertinence.Tant il est vrai que la Franc-maçonnerie en général et le REAA en particuliern’existent qu’en ce qu’ils ont d’heuristique et en ce qu’ils sont une hermé-neutique.

II – HIER

A. Les couronnes

« Les 3 Couronnes symbolisent trois pouvoirs dont le CKS doit surveiller, stigmatiser etcombattre les moindres abus et déviances ».

1. Généralités Un rapport de remarquer que si les trois Couronnes sont bien fondées sur lecaractère templier du grade, la mort de Jacques de Molay, ces trois Couronnes nesont pas partagées par toutes les Juridictions, qu’elles seraient absentes du rituelde 1804 et qu’elles ne seraient apparues sous leur forme actuelle qu’en 1929.Un autre rapport de remarquer : le rituel ne fait pas référence aux troiscouronnes en tant que symbole mais en tant qu’emblème c’est-à-dire en tantque figuration conventionnelle.

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Un 3e rapport fait remarquer que si les trois couronnes sont bien dans le rituel,elles ne figurent pas dans le Mémento et que la plaquette, symbolisme du 30e

grade, émanant du SC en aurait égaré une dans le but implicite de faire réfléchirles CKS.La majorité des rapports a jugé utile de rappeler l’ontologie de la couronne etdes trois Couronnes.

2. La couronneDu latin corona venu du grec Korone « corneille » en raison de la forme recourbéede son bec, la couronne est un couvre-chef au sens propre du terme symbolisantla puissance légitime ou non de celui qui la porte. Il importe de rappeler la forte charge symbolique de la couronne pour mieux cerner notre réponse. Pour ce faire inspirons-nous de ce qu’écrit JeanChevalier :« Depuis les temps les plus reculés, sous tous les cieux et dans toutes les cultures, le symbo-lisme de la couronne a tenu à trois facteurs principaux :1re) sa place au sommet de la tête qui marque son caractère transcendant entre « le ciel etla terre » ; 2e) sa forme circulaire qui marque la perfection et l’élévation de l’esprit ;3e) sa matière végétale ou minérale qui la relie à la terre et aux forces que celle-ci génère.Ainsi la couronne symbolise une dignité, un pouvoir, une royauté, l’accès à des forcessupérieures.Selon Plutarque, l’initié devenu libre et se promenant sans contrainte, célèbre les mystères,une couronne sur la tête. C’est encore Ariane qui offre à Thésée une couronne de lumièrepour le guider au sein du labyrinthe. Symbole de la lumière intérieure, la couronne éclairel’âme de celui qui a triomphé dans un combat spirituel. Jung verra dans la couronneirradiante le symbole par excellence du degré le plus élevé de l’évolution spirituelle.Las, la couronne a servi par la suite à désigner toute supériorité, si éphémère et superficiellefût-elle, et à récompenser un exploit ou des mérites exceptionnels. L’image ne gardait qu’enpâle filigrane le souvenir de sa valeur symbolique ; elle n’était plus que le signe de la mani-festation d’un succès ou d’une dignité. Ainsi elle a figuré au front de généraux vainqueurs,des savants, des poètes et des allégories de la victoire, de la guerre, de la paix, de lathéologie, de la vertu, de la sagesse, de l’honneur... »

3. La couronne royaleLe TFPGM montre une couronne royale qui surmontait autrefois le crâne d’un roi. La couronne royale fait son apparition de façon continue depuis Charlemagnequi la reçut du pape Léon III en l’an 880 en tant qu’empereur des Romains et

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qui en donnera une en 813 à son fils, Louis le Pieux, lorsqu’il l’associa aupouvoir. Depuis lors et sans discontinuer, tous les rois et empereurs de lachrétienté ont reçu une couronne royale emblème du pouvoir temporel.

4. La tiareLe TFPGM montre une tiare pontificale qui surmontait autrefois le crâne d’unsouverain pontife. La tiare du Perse Tara est une couronne de forme haute souvent cylin-drique rétrécie vers le sommet. Elle apparaît pour la première fois chez lesAssyriens, et passe chez les Perses sous forme d’un cône tronqué. Dans sa formeachevée de Tiare pontificale, elle n’existe que depuis 1342. Il faut savoir que lepape n’a commencé à être couronné qu’en 1130 en tant que père des rois. Unedeuxième couronne fut ajoutée en 1301 et signifiait que le pape était le régentdu monde affirmant ainsi son autorité civile. La 3e et dernière ? couronne ajoutéeen 1342 signifiait que le pape est le vicaire du Christ et symbolise son autoritéspirituelle.Elle est depuis lors représentée par trois couronnes terminées en ogive etsurmontées d’un globe et d’une croix avec deux infules (rubans frangés tombantsur la nuque) marqués chacun d’une croix.Les 3 étages symbolisent : – Le règne spirituel sur les âmes ;– Le règne temporel sur les états ;– Le règne sur tous les souverains de la terre.Et les pouvoirs qui en découlent, à savoir :– Le pouvoir du sacré : le pape est le grand prêtre, seul intermédiaire entre Dieu

et le monde ;– Le pouvoir de juridiction : il possède les clés et lie et délie sur la terre et au

ciel ;– Le pouvoir du magistère c’est-à-dire l’infaillibilité pontificale.

5. La couronne de laurierLe TPFGM montre la couronne de laurier qui surmontait autrefois le crâne d’unConquérant Fondateur d’Empire. En Égypte, le laurier est l’attribut d’Osiris et, chez les Grecs, c’est l’arbred’Apollon, dieu de la lumière, de la victoire, du soleil sur les ténèbres, dieu desarts et des sports. C’est ainsi que l’on attribuait des couronnes de laurier auxvainqueurs des jeux puis aux généraux romains à qui le Sénat accordait letriomphe. Votre baccalauréat réussi, je vous le souhaite mes FF∴, signifiaitsimplement « baies de laurier ».

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À ce stade je me permettrai de remarquer que la totalité des rapports a privilégiédans sa description la tiare pontificale par rapport aux deux autres couronnes et je ne voudrais pas croire que ceci est lié au nombre de couronnes de la tiaremais bien à l’importance que nous accordons au pouvoir de l’esprit ; un Atelieraffirmant même que la Franc-maçonnerie a pour vocation de porter la tiarec’est-à-dire de prendre le pouvoir de l’esprit.Je prends là la liberté, TPSG, de dire que cette affirmation n’engage que sonauteur et en aucun cas le SC et son TPSGC.Une deuxième remarque me semble importante : si plusieurs rapports ont relevéque ces couronnes surmontant des crânes, voire des têtes de mort en fournissantparfois l’iconographie, aucun Atelier n’en a approfondi la signification fermantainsi une voie d’exploration qui eût pu s’affirmer féconde. Un seul Atelierévoquant la possibilité que les crânes soient ceux des victimes des abus decouronnes. Un autre qu’il s’agissait des restes des têtes.

6. La couronne en maçonnerieDans la Kabbale, la couronne Kether qui coiffe l’arbre des Sephiroth symbolisel’Ensof c’est-à-dire la divinité inconnaissable d’avant la Manifestation.La couronne figure aux 6e, 9e, 14e, 15e, 16e degrés, au 20e et au 24e degré, lesPrésidents portaient eux-mêmes la couronne.Le Pentacle qui décore les membres du Conseil de l’Ordre est formé de 3triangles équilatéraux entrecroisés et surmontés d’une couronne à 7 pointessymbolisant peut-être le début de la couronne d’épines qui les attend à leurdescente de charge.La couronne de laurier figure sur l’autel du TFPM qui, ici, symbolise la victoireremportée sur soi-même.Et un Atelier de mettre en évidence que ces trois couronnes sont à rapprocherdes trois colonnes du Temple, lors des trois premiers degrés et le ternaire ForceSagesse Beauté.La Force relevant de la couronne de laurier, la Sagesse de la tiare pontificale, laBeauté de la couronne royale.Et un autre Atelier de mettre en parallèle le ternaire Foi Espérance et Clarté sanstoutefois préciser à quelle couronne faire correspondre telle ou telle vertu.Enfin un autre Atelier remit sous le même symbole du pouvoir temporel, lelaurier des conquérants et la couronne des rois et réserve à la tiare pontificale lepouvoir spirituel en se fondant sur une exégèse de la Divine Comédie de Dante etdes travaux de René Guénon.Notons d’abord que, comme l’explique René Guénon, « l’ésotérisme véritable esttout autre chose que la religion et s’il a quelque rapports avec elle ce n’est qu’en tant que

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tel qu’il trouve dans les formes religieuses un mode d’expression symbolique, peu imported’ailleurs que ces formes soient elles de telle ou telle religions puisque ce dont il s’agit estl’unité doctrinale essentielle qui se dissimule derrière leur apparente diversité ».La métaphysique n’est ni païenne, ni chrétienne, elle est universelle.Autre remarque préalable : il s’agit du symbolisme des deux couronnes : le laurierdes empereurs ou des conquérants et la couronne des rois n’étant que le mêmesymbole du pouvoir temporel, la tiare des papes et des satrapes celui du pouvoirspirituel.

Nous pouvons donc aborder maintenant le symbolisme de la tiare (initiationsacerdotale) et de la couronne (initiale royale).Pour l’Occident, c’est dans la Chevalerie que se trouvait au Moyen Âge desformes d’initiation royale. C’est ce qui explique par exemple qu’une expressioncomme « l’art royal » ait pu être employée et conservée jusqu’à aujourd’hui parla Maçonnerie.Ainsi, le caractère initiatique de grade se fonde entre autres choses (que nouslaisserons de côté dans cette planche) sur le symbolisme du pouvoir spirituel etdu pouvoir temporel, correspondant à l’initiation sacerdotale des grands mystèreset à l’initiation royale des petits mystères. Une approche ésotérique nous renvoieà Dante et à Guénon auxquels nous pouvons renvoyer pour un approfon-dissement. Mais tout autre approche ésotérique est permise.S’agissant de Dante, celui-ci décrit la Divine comédie la réalisation suprahumaine relevant des grands mystères comme une ascension à travers les cieuxqui correspondent aux états supérieurs de l’être. Le domaine sacerdotal estd’ordre « surnaturel » ou « métaphysique ». Le domaine royal, lui, est d’ordrenaturel ou physique. Les petits mystères comportent la naissance de la nature (ausens traditionnel) et donc des « sciences traditionnelles ». Selon Dante, le pouvoirlaïque n’a pas son origine dans le pouvoir ecclésiastique (De Monarchia III-4). Il rejette l’interprétation curiale de l’Évangile de saint Mathieu (XVI-19) : « Jete donnerai les clés du royaume des cieux ; tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dansle ciel et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel » (interprétation quiimplique la suprématie de l’Église sur l’État laïque) ; Dante dit : « l’empereur nedoit au pape que le respect qu’un fils doit à son père », (De Monarchia III-16). Le butassigné par Dante à « celui qui régit la terre », c’est-à-dire l’empereur, c’est la réali-sation de la paix. Il doit diriger le genre humain vers « l’île sacrée » qui demeureimmuable au milieu de l’agitation incessante des flots et qui est « la montagne desalut », « le sanctuaire de la paix ». Bref, l’empereur doit conduire les hommes au « paradis terrestre ». La barque de saint Pierre doit conduire les hommes au « paradiscéleste ».

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Pour Guénon, les petits mystères dépendent essentiellement des grands mystèreset y ont leur principe même. De même que le pouvoir temporel pour êtrelégitime dépend de l’autorité spirituelle et a en elle son principe.Guénon se place uniquement sur le plan des principes dépassant toutes lesformes particulières que peuvent revêtir, selon les temps et les lieux, le pouvoirtemporel et l’autorité spirituelle. Les connaissances étaient enseignées dans cesdeux sortes de mystères. Ce furent les connaissances nécessaires à la « caste »sacerdotale (par analogie avec l’Inde ou l’Égypte ancienne) et celle nécessaire àla « caste » royale (ou noblesse). L’une avait la fonction de l’enseignement et desinitiations (sacerdoce) et l’autre celle de l’action et du gouvernement (royauté).C’est de là que procédait le « droit divin » des rois. L’« art sacerdotal » et l’« artroyal » désignent la mise en œuvre des connaissances enseignées dans les initia-tions correspondantes, avec tout l’ensemble des « techniques » relevant de leursdomaines respectifs. La désignation d’« art royal » conservée dans les anciennescorporations s’est transmise à la Franc-maçonnerie comme un vestige du passé. L’empereur préside ainsi aux petits mystères qui concernent le « paradisterrestre » et le souverain pontife aux grands mystères qui correspondent au « paradis céleste ». Telles sont leurs attributions.

B. Le pouvoir

Ces trois couronnes symbolisent trois pouvoirs nous dit l’énoncé de la questionet la définition du pouvoir a suscité la réflexion de bon nombre de CKS.Il est bien difficile sinon impossible dans le cadre de ce rapport d’esquisser neserait-ce qu’une histoire du pouvoir, ne serait-ce qu’une théorie du pouvoirmême si les idées et les approches développées l’eussent sans doute permis.Il vous faudra donc vous satisfaire de quelques généralités :– La première est que le pouvoir en Occident a changé de nature sous l’effetdes révolutions anglaise, américaine, française et polonaise. De droit divin, lepouvoir est revenu à hauteur d’homme.– La deuxième est que l’histoire du pouvoir est l’histoire du conflit entre lespouvoirs : que ce soit Montesquieu et la séparation des pouvoirs, ou la séparationde l’Église et de l’État et de la sortie de la religion.– La troisième est que les limites entre les pouvoirs sont des sortes d’ensemblesflous avec des interpénétrations ou pour le dire avec Michel Foucauld dans LaVolonté de Savoir que « le Pouvoir est le nom que l’on prête à une situation stratégiquecomplexe dans une société donnée » d’où il ressort que le pouvoir est un rapportentre plusieurs termes.

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– La quatrième est que selon le mot d’Alain le pouvoir en tant que tel estinexplicable.– La cinquième est que le pouvoir est toujours bien représenté par la trifonctionnalité que Georges Dumezil aurait mise en évidence entre le guerrier,le prêtre et le paysan. – La sixième est que, à chaque pouvoir est à même de correspondre un contrepouvoir qui en lui-même comporte, en germe, des dangers d’abus et dedéviance.

C. Les missions du CKS

« Le CKS doit surveiller et combattre les moindres abus et déviances ».Les pouvoirs classiques désignés au CKS sont le pouvoir civil, le pouvoirreligieux et le pouvoir militaire dont il ne lui revient pas de remettre en causeles légitimités sauf s’ils viennent à céder à la volonté de puissance et chaque CKSsait bien que les couronnes peuvent être portées par les trois mauvais compa-gnons meurtriers d’Hiram et donc de l’homme.Depuis deux siècles, le CKS qui, lorsqu’on lui demande son âge, peut répondre « ad libitum un siècle et plus » ou « je ne compte plus », a appris à bien les connaîtreet à reconnaître leurs moindres abus et déviances.Les rapports après avoir exposé leur existence constatent que ces trois pouvoirsconstituent l’ossature de tous les pouvoirs institutionnels et que c’est l’essencemême du CKS dans la mission que l’ordre lui assigne et que le CKS s’assigne àlui-même de s’opposer à toutes les oppressions civiles, religieuses et militaires.Il revient au CKS avec les moyens dont il dispose d’avoir d’abord l’IMPRU-DENCE de les surveiller c’est-à-dire de rechercher dans tous les domaines desdéviances qui pourraient s’avérer nuisibles et ne pas attendre leur apparitionpour les prévenir.C’est la fonction de vigilance.Le CKS doit ensuite avoir l’IMPUDENCE de les stigmatiser donc de montrerà tous responsables ou victimes de ces abus et déviances par la parole, de réveillerles consciences. C’est la fonction de jugement.Enfin, le CKS doit avoir l’INSOLENCE de les combattre. C’est l’action du CKSdans la cité, en tant que citoyen qui doit être mise à l’œuvre.C’est la fonction de résistance.« Savoir pour comprendre, comprendre pour agir » est une devise que font leur bonnombre de CKS.

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III – AUJOURD’HUI

Ces trois symboles sont-ils nécessaires et suffisants aujourd’hui ?

A. Les anciens pouvoirs

En déclinant successivement les abus et déviances toujours actuels de ces troispouvoirs, la totalité des Ateliers constate que malheureusement ces trois symbolessont toujours nécessaires.

1. Le pouvoir civilSi tant est qu’en France et dans les démocraties occidentales, le pouvoir civilfondé sur le principe de la séparation des pouvoirs législatif, exécutif etjudiciaire a un fonctionnement démocratique qui n’est pas exempt d’abus et de déviance au nombre desquels sont mis les sans-logis, la précarité, l’exclusion,les sans-papiers. Force est de constater que dans d’autres continents ou pays, enRussie, en Chine, en Afrique, en Asie, le pouvoir civil s’avère particulièrementdévoyé.

2. Le pouvoir religieuxMême en France qui se veut à la pointe en matière de laïcité et de séparationde l’Église et de l’État, la montée des intégrismes religieux est une évidence. Des Mollah iraniens à Al Qu’Aïda, des Juifs ultra orthodoxes aux fondamen-talistes néo conservateurs américains, du créationnisme à l’excision, de l’Eglisede Scientologie à l’Opus Dei, les abus et déviances du pouvoir religieux sont àportée de vue et à perte de vue.

3. Le pouvoir militaireSi la dictature militaire sévit à l’état pur en Birmanie, ce sont encore trop souventdes États où le pouvoir est militaro-policier en Chine, à Cuba, en Biélorussie,des êtres humains sont encore trop souvent et partout victimes de guerres plusou moins larvées, de répressions violentes, de bavures policières ou d’exactionsmilitaires. SONT-ILS SUFFISANTS AUJOURD’HUI ?En d’autres termes, n’y a-t-il pas d’autres pouvoirs, et si oui peuvent-ils êtresymbolisés par les trois couronnes ?

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B. Les nouveaux pouvoirs

1. GénéralitésNous venons de voir que les pouvoirs traditionnels sont toujours présents aux cotés de pouvoirs émergents et si la litanie des pouvoirs avec adjectifs en « al » comme syndical, patronal, en « ique » comme bureaucratique, en « air » commejudiciaire, en « if » comme associatif, etc., pourrait s’avérer rapidement lassante, ilconvient de remarquer que les nouveaux pouvoirs sont issus de l’effet prodigieuxdes progrès des sciences et des techniques dans une mondialisation qui concernel’ensemble des activités humaines.Ces progrès s’interpénètrent d’une manière incompréhensible pour les specta-teurs qui ne font pas partie des élites. Ces spectateurs se sentent de plus en plusvictimes et tentent de se réfugier dans des modalités d’être au monde dont lasolidarité n’est plus le maître-mot. Ces modalités sont :– l’individualisme favorisé par le consumérisme exacerbé par la société duspectacle dénoncée par Guy Debord ?– le communautarisme enfermant l’individu dans un groupe identitaire rapi-dement sectateur ;– le relativisme banalisant les idéaux et ravalant les valeurs à leur niveau.Les Ateliers s’accordent pour reconnaître la montée en puissance de troispouvoirs non institutionnalisés dont les règles de fonctionnement sont difficilesà appréhender par les non experts. Il s’agit du pouvoir économique, médiatiqueet technoscientifique.

2. Le pouvoir économique1% du PIB des pays riches suffirait à couvrir les besoins de base des pays pauvres.Sachant que, depuis le veau d’or biblique, l’argent est le maître-mot de lasociété mais que jamais les inégalités n’avaient été aussi criantes dans un mêmepays, d’un pays à l’autre, d’un Continent à l’autre.Les véritables maîtres du monde ne sont plus les gouvernements, mais lesdirigeants de groupes multinationaux financiers ou industriels, et d’institutionsinternationales opaques (FMI, banque mondiale, OCDE, OMC, banquescentrales). Le pouvoir de ces organismes s’exerce sur une dimension planétaire,alors que le pouvoir des États est limité à une dimension nationale.Pas ailleurs, le poids des sociétés multinationales a depuis longtemps dépassé celuides États. À titre d’exemple, les sources de Forbes indiquent que le chiffred’affaires de General Motors (178.2 milliards de dollars) est supérieur au PIB duDanemark (161.1 md), celui de Ford (153.5 md) est supérieur à celui de l’ArabieSaoudite (125.3 md).

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Les responsables de ces organisations ne sont pas élus et pourtant ils exercent unpouvoir réel. La marge d’action des États est de plus en plus réduite par desaccords économiques internationaux pour lesquels les citoyens ne sont niconsultés ni informés.Tous les traités élaborés ces dernières années (Organisations Mondiales duCommerce, Accord Multilatéral sur l’Investissement, Accord de Libre ÉchangeNord-Américain) visent un but unique : le transfert du pouvoir des États versdes organisations non élues, au moyen du processus appelé « mondialisation ».Les responsables de ce pouvoir économique sont quasiment tous issus du mêmemonde, des mêmes milieux sociaux. Ils se connaissent, partagent les mêmes vueset les mêmes intérêts. Ils partagent donc tout naturellement la même vision de ceque devrait être le monde idéal futur.Les intérêts financiers nient par principe la notion de bien commun, sauf à leconsidérer comme la résultante des intérêts individuels. Parlons ici de la religionde l’argent pour ne pas parler de l’argent de la religion. Un premier indice desdogmes cachés par la religion de l’argent est le thème récurrent de la « crise ».C’est l’équivalent du dogme du péché. Comme lui, il entraîne la nécessitéd’incessantes mortifications pour atteindre le paradis dans l’au-delà.La deuxième menace souvent rappelée est celle de l’inflation. Les autoritésfinancières, comme les religions ont créé leur diable et leur dieu. Le diable, c’estbien sûr l’inflation qui joue dans le capitalisme moderne exactement le mêmerôle que jouait le diable pour les maîtres de la chrétienté : c’est la perversioncoupable, c’est la facilité. Le dieu, celui de l’économie, celui qui peut toutarranger au mieux, c’est le marché. Il faut non seulement croire en la divinitédu Marché, mais aussi en sa rationalité. Or la rationalité des cotations sur lesmarchés financiers, qui l’a prouvée ?Enfin, autre ressemblance avec la religion, les milieux de l’argent se constituentcomme les églises ou les chapelles. On y trouve de grands prélats : ce sont les « autorités » monétaires des grandes banques centrales. On y trouve de grandsconciles plus ou moins œcuméniques : G7, G8, G10, le forum de Davos. Enfin,on y trouve des « gourous » reconnus par les médias et les « bonnes écoles » dubusiness, les experts et leurs thuriféraires, politiciens et journalistes complaisants.Il faudrait aussi évoquer les lieux d’exercice du pouvoir financier, les institutionsmultilatérales, les banques centrales, les agences privées qui définissent les bons« emprunteurs » et ceux qu’il faut écarter, mais aussi la pratique des fonds depensions et les outils de la domination financière.Il est dès lors naturel qu’ils s’accordent sur une stratégie et synchronisent leursactions respectives vers des objectifs communs, en induisant des situationséconomiques favorables à la réalisation de leurs objectifs, à savoir :

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– Affaiblissement du pouvoir du politique. Déréglementation. Privatisation desservices publics.– Désengagement des États de l’économie, y compris des secteurs de l’éducation,de la recherche et à terme de la police et de l’armée.– Endettement des États, lesquels sont contraints à terme à la privatisation et audémantèlement des services publics.– Flexibilité des emplois.À noter enfin que ces organisations multinationales privées se dotent progres-sivement de tous les attributs de la puissance des États : Réseaux de communi-cation, Services de renseignements, Fichiers sur les individus, Service de forcede combats.On note qu’à terme, les armées sont appelées à devenir des entreprises privées,des prestataires de service travaillant sous contrat avec les Etats, aussi bien qu’avecn’importe quel client privé capable de se payer leurs services. Ces arméesexistent déjà aux USA. La société Dyncorp est intervenue dans de nombreusesrégions du monde où les USA souhaitaient intervenir militairement sans enporter la responsabilité directe (Soudan, Koweït, Indonésie, Kosovo, Irak). Cesarmées privées (appelées « sous traitant » par le pentagone) représentent environ10% des effectifs américains déployés en Irak. Il est inquiétant de constater quele pouvoir économique est peu à peu, de façon inéluctable, en train d’absorber,de phagocyter le pouvoir civil, le pouvoir militaire et peut-être le pouvoirreligieux comme le montre le succès des multinationales, des prédicateurstélévisuels américains et autres. À dimensions internationales, plus riches que lesÉtats, mais aussi sources de financement des partis politiques de toutes tendanceset dans la plupart des pays, ces organisations sont de fait au-dessus des lois et dupouvoir politique, au-dessus de la démocratie.Peut-on éviter de se demander si, de nos jours, les empires économiquescontemporains ne sont pas des adversaires de la démocratie ? Ne vivons-nous pas une démocratie de façade, et le pouvoir réel n’émigre-t-ilpas vers de nouveaux centres ?Les citoyens continuent à voter, mais leur vote a été vidé de tout contenu. Ilsvotent pour des responsables qui n’ont pas de pouvoirs réels. Et c’est bien parcequ’il n’y a plus rien à décider que les programmes de gauche et de droite ensont venus à tant se ressembler dans tous les pays occidentaux.Ne sommes-nous pas de plus en plus dans l’illusion démocratique ?Et nous venons de ne prendre en compte que l’économie légale. Un autre aspectdu pouvoir économique est celui de l’économie souterraine concernant etfaisant appel à l’extrême aux organisations secrètes de type Mafia, Camora,Yakusa et autres Triades.

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3. Le pouvoir médiatiquePourquoi les médias apparaissent-ils comme un pouvoir, et pour certains le plusgrand des pouvoirs ou le plus pertinent des contre-pouvoirs ?Les médias sont devenus l’un des lieux majeurs où se joue l’avenir de ladémocratie. Le bilan positif sur la réelle capacité de nos sociétés à l’informationest contrebalancé par un discours ambiant qui ne parle que de perversion, de ladémocratie par la communication de masse. En réalité, il faut admettre qu’il n’ya pas de démocratie de masse sans média de masse, parce que les uns sont lacondition d’existence de l’autre. Depuis une quinzaine d’années, à mesure ques’accélérerait la mondialisation libérale, il apparaît que la fonction d’informationdes médias a été vidée de son sens, elle a perdu peu à peu de sa fonctionessentielle de contre-pouvoir.Les médias sont-ils nécessairement devenus un pouvoir ? Si ce n’est pas le cas,comment se sont-ils constitués en pouvoir, sans contre-pouvoir, en pouvoir sanslimites ? On peut très bien concevoir un fonctionnement de médias qui les ramène àleurs vocations initiales de communication, d’information et de critique de lavie publique. Lorsque l’on envisage les médias dans leur fonction première, quiest instrumentale, il est possible de leur restituer toute leur positivité commeorganes susceptibles d’éveiller des débats et d’en montrer les enjeux en vued’éclairer l’opinion. Ils deviennent un pouvoir lorsqu’ils se détournent de cettevocation initiale d’information et de critique pour devenir autoréférentiels,lorsqu’ils recherchent avant tout l’accroissement de leur audience. Cetterecherche d’audience étant la résultante de la nécessité économique derentabilité au minimum et de profit. (Le rôle des régies publicitaires est à prendreen considération (ex. du business plan de Google dont le CA frise le CA deMicrosoft).Les peuples du XXe siècle n’ont-ils pas été subjugués pas les idéologies relayéespar les moyens de communication, vecteur de la propagande, qui les ont poussésà se livrer aux pires excès, à l’incitation et sous l’égide des pouvoirs les pluspervers (fascisme latin, nazisme germanique, communisme soviétique). Leuremblème respectif, faisceaux du licteur, croix gammées, faucille et marteau,n’ont-ils pas, hélas, brillé sur les pavillons pour couvrir des institutions criminellesqui se maintenaient par les moyens les plus indignes et les plus abjects ? N’ont-ils pas mis le monde à feu et à sang, en violant avec insolence et cruauté les droitsles plus sacrés de l’homme ? Et tout cela le plus souvent, sous le regard desreprésentants des pouvoirs temporels et spirituels, indifférents ou muets. Quant à Internet, c’est devenu la caisse de résonance et le nouveau vecteur dupouvoir des médias :

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Il n’est pas tant de savoir si tout le monde s’en servira, ni de s’étonner de ce qu’ilpermet de faire, il est plutôt de comprendre s’il existe un lien entre ce systèmetechnique et un changement de modèle culturel et social de la communication,comme l’Occident en a connu au moins deux depuis la Renaissance.S’il y a rencontre, cela veut dire qu’Internet ouvre un troisième chapitre.Pourquoi les nouvelles techniques de communication plaisent-elles donc tant ?La variété de ces motivations illustre d’ailleurs le fait que ces nouvellestechniques soient investies de bien d’autre chose qu’une pure mission technique.Il s’agit, dans l’ensemble, de modifier les relations humaines et sociales, ce quiprouve combien, dans le domaine de la communication, on gère des symboleset des utopies, sans grand rapport avec la performance des outils.

Trois mots sont essentiels : autonomie, maîtrise et vitesse.Chacun peut agir sans intermédiaire quand il veut, sans filtre ni hiérarchie, etqui plus est en temps réel. Je n’attends pas, j’agis et le résultat est immédiat. Celadonne un sentiment de liberté absolue, voire de puissance, dont rend biencompte l’expression « surfer sur le net ». Outre le facteur de séduction, les nou-veaux médias encouragent la capacité de création ; il y a, en effet, un imaginaireet une création culturelle. Jamais, un système technique n’a autant créé sa proprelégitimité. Ce dernier média est au cœur de nos foyers et tend à nous isolerphysiquement des autres : tandis que notre champ d’action et de jeux s’est élargià la planète, nous voilà paradoxalement coupés de notre famille, de nos voisins,de nos communautés d’origine mais proches des communautés virtuelles :SKYPE, MYFACE... Second life. C’est comme si l’avenir appartenait à lacivilisation de l’électronique et de l’immatériel. Virtuelle communauté, voyagesvirtuels, relations virtuelles... une nouvelle réalité est née.Ces nouvelles technologies de l’Information et de la Communication ont dequoi générer de grandes inquiétudes quant au respect des libertés individuellesdans l’utilisation quotidienne, pratiquement généralisée, des cartes électroniques,des téléphones et autres ordinateurs. Le danger est d’autant plus important quel’utilisation qui est faite de ces nouvelles technologies apparaît bien souventcomme la simplification de procédés plus anciens.Payer avec une carte bancaire ses achats quotidiens alimente, sans que nous ayonspris une juste mesure du phénomène, des banques de données qui engrangentdes masses considérables d’informations privées qui permettent l’exercice d’unespionnage systématique de nos comportements, de nos choix, de nos orien-tations politiques, découvrant ainsi jusqu’à la sphère privées de nos existences.Il s’agit d’un fichage généralisé de chacun d’entre nous. La masse des rensei-gnements ainsi livrés est telle qu’en connectant entres elles ces « banques de

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données » ce n’est pas seulement notre quotidien qui est exploré mais, qu’au-delà, nos choix futurs sont anticipés. Ces technologies évoluent rapidement eton sait combien elles génèrent de nouveaux désirs. Les téléphones portablespermettent déjà de consulter à distance l’ordinateur individuel, etc. Or, cestechnologies ont la fragilité de leur puissance... Dans un numéro récent de Courrier International, on pouvait lire un articleintitulé « Royaume-Uni : tous fichés ? » et le paragraphe introductif annonçait :« le 20 novembre 2007 le gouvernement a reconnu la perte de deux CD-Rom contenantles données personnelles de 25 millions de Britanniques. Une affaire qui souligne l’ampleurdu fichage dont font l’objet les citoyens dans tous les domaines de la vie quotidienne ». Le risque ne concerne pas seulement nos voisins ! Plus récemment, le 29 février2008, le journal Le Monde titrait un article : « en France, le gouvernement prévoitaussi un dispositif de surveillance des ordinateurs ». Voici le paragraphe intro-ductif : « Dans le cadre de la lutte conte la cybercriminalité, le ministère de l’Intérieursouhaite permettre la surveillance à distance des ordinateurs des personnes suspectes. Il convient d’autoriser, sous contrôle du juge, la captation à distance de données numériquesse trouvant dans un ordinateur ou transitant par lui », a annoncé la Ministre le 14 février, parmi plusieurs mesures de lutte contre la cybercriminalité. Quelles sont les voies de résistance ?

4. Le pouvoir scientifiqueQuant au pouvoir scientifique, il faut en souligner quatre aspects : – l’informatique qui, aujourd’hui, est en plein développement et qui sert à nous

contrôler de plus en plus étroitement (cf. supra).– Les recherches en biotechnologies ou l’ingénierie biologique qui sont sur la

voie de découvertes qui remettent en cause la définition même de la personnehumaine.

– Le développement d’une médicalisation de la vie qui risque, si l’on n’y prendgarde, de modifier considérablement le regard sur le comportement humainen révélant les déterminismes qui assujettissent l’homme à son héritage : letout-génétique.

– Le développement des nanotechnologies.

C. De nouveaux symboles

1. Concernant le pouvoir économiquePour nombre d’Ateliers, les trois couronnes ne suffisent pas et ils proposentd’ajouter sur le plateau du TFPGM d’autres symboles :

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– Le veau d’or seul ou associé à une couronne de fleurs et de pierres précieusesentre les cornes tant on encense sa puissance d’un bout du monde à l’autrebout.

– Une bourse toute simple– Une balance d’évaluation– Une couronne de Crésus sans description– Une couronne d’argent bien que l’Atelier reconnaît de lui-même que cela

paraisse en contradiction avec l’usage qui veut qu’en maçonnerie, on laisse lesmétaux à la porte du Temple.

– Un billet de banque, mais en quelle devise ?– Une carte de crédit internationale– Le chapeau melon des banquiers de la City.

2. Concernant le pouvoir médiatiqueSont proposés successivement :– Un micro assorti d’une plume– Une parabole– Un livre blanc et une plume – Une banderole symbolisant le pouvoir de la rue médiatisé par la télé– Un casque multimédia– Le Dieu Hermès, dieu de la communication et des échanges– Un Atelier, à tendance syncrétique, propose que le pouvoir médiatique soit

représenté par un écran type ordinateur ou télévision dans lequel seraientincluses les trois couronnes surmontant les crânes des puissances traditionnelleset les rédacteurs, réjoui par sa trouvaille il propose même de remplacer lemiroir par un cadre doré surmonté d’une couronne impériale.

3. Concernant le pouvoir scientifique– Un seul Atelier a proposé un nouvel outil symbolique qui serait le mortier, le

couvre-chef revêtu par les nouveaux diplômés des pays anglo-saxons et votrerapporteur ne peut que regretter que le pouvoir scientifique n’ait pas plusstimulé l’imaginaire des CKS.

4. Des propositions inclassables sont également faites, telles que celles d’ajouterdes symboles :– Des chaînes brisées reliées aux trois couronnes pour nous inciter à nous

affranchir des liens de la servitude.– Un bonnet phrygien qui symboliserait le pouvoir du peuple équilibrant les

autres.

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Une autre proposition serait de remplacer les trois couronnes par Marianne entant que symbole du pouvoir, voire par une anti-Marianne qui serait une miseen garde contre tous les excès de toutes les formes de pouvoir y compris cellesliées aux grades et aux fonctions maçonniques.Enfin un Atelier souhaiterait ajouter aux trois couronnes une nouvelle couronnequ’il nomme couronne majeure, qui se situerait au-dessus des autres, quibrillerait par la force de sa pensée, qui témoignerait de la sagesse universelle etcette couronne symboliserait « le pouvoir des philosophes ».C’est un rêve conclut le rédacteur qui n’a sans doute pas oublié le Platonde Denys, le tyran de Syracuse.Un rapport ne souhaiterait pas modifier la représentation symbolique du rituelmais souhaiterait une adaptation à notre temps du commentaire du GrandOrateur ce qui est à renvoyer à la Commission ad-hoc du SC. La majorité des Ateliers considère que le recours aux trois couronnes est toujoursopératoire et qu’elles sont parfaitement représentatives du pouvoir en général.Un Atelier va même jusqu’à décliner ce que représentent, pour le CKSd’aujourd’hui, les trois couronnes.– La couronne royale représente l’organisation sociale, matérielle et temporelle

sous toutes ses formes et peuvent lui être rattachés les pouvoirs civil, exécutif,économique, scientifique et technique, ce qui relève de la Beauté

– La tiare représente tout ce qui ressort de l’esprit, le pouvoir religieux,philosophique, médiatique, culturel, ce qui relève de la Sagesse.

– La couronne de laurier représente le pouvoir militaire, policier, ce qui relèvede la Force dont la déviance est la violence sous toutes ses formes, qui va dela maltraitance intrafamiliale au terrorisme international.

IV – DEMAIN

Il est temps de conclure…Au travers de cette question et des rapports qu’elle a suscités, nous sentons bienque les CKS se sont livrés à une relecture des rituels, à une introspection et àune mise à jour, et au jour de leurs interrogations les plus intimes quant à leurmission.À plusieurs reprises m’est venue la métaphore du roseau pensant de Pascal tantle CKS peut paraître d’une fragilité extrême devant la grandeur des tâches quilui sont proposées et en même temps le propre de ces questions n’est-il pas decontinuer notre réflexion sur les conditions et les modalités de notre engagementen tant que CKS ?

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Comment être les soldats de l’universel alors que les droits de l’homme, eux-mêmes sont relatifs à une société, évolutifs dans le temps et l’espace ? Commentêtre efficaces en usant d’armes morales ? Comment ne pas entendre MichelSerres lorsqu’il affirme qu’il n’y a pas d’autres pouvoirs que les pouvoirsadministratif, scientifique et médiatique et que le pouvoir de la morale est toutà fait léger et inconsistant ?Le rituel admet qu’on puisse avoir des doutes puisque déjà il nous a rassurés.« Tant que vous agirez en conformité avec nos principes, vous ne pourrez pas vous tromper. »Nous avons franchi et refranchi l’échelle de Jacob et lu à chaque passagel’Amour de la vérité et l’Amour de l’humanité qui, seules, permettent la libé-ration et l’accomplissement de chacun, c’est la seule transcendance qui vaille.Nous devons être, comme l’écrivait notre F∴ J.-P. Donzac, « au-delà de l’homme » pour « avant tout, produire un éclairage, libérateur, révélateur d’une réalitésociologique oppressive » c’est ce que nous proposent les trois couronnes avec,comme finalité, le projet maçonnique qui est encore et toujours la constructiond’une société idéale en permettant à l’homme de devenir majeur au sens deKant, c’est-à-dire libre et responsable.Armé de son éthique de conviction et de son éthique de responsabilité, le CKSfait ce que doit, advienne que pourra.Je terminerai ce balustre avec J.-P. Donzac qui vous enjoignait dans « l’Écossais »« de ne pas ignorer l’osmose entre l’Ordre et les temps présents pour pouvoir s’interroger,sinon connaître le futur ». Le futur, demain, par définition incertain, et je voudraislivrer à votre réflexion cette notion de la « technologie définissante » proposéepar le chercheur David Bolter. Ce sont ces technologies qui servent de symbolesdans la compréhension que l’homme a de lui-même.Le Cyberespace est un 6e continent où toutes les activités humaines sont méta-morphosées. De l’homme fait d’argile, de l’origine du monde au grand horlogerde la révolution mécaniste, nous nous dirigeons vers un Cyber homme avec unCyber CKS. Qui sera-t-il ? De quelles couronnes aurait-il besoin pour l’aiderdans sa mission ?

Jacques Orefice, 33e

M∴A∴S∴C∴

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EN ANNEXE, un poème sur les trois couronnes rédigé par un CKS anonyme :

LES TROIS COURONNES

Trois couronnes de forces en pouvoir concentréTrois morceaux de puissance, question de libertéAu service de l’homme sont-elles toujours placéesAu service d’un homme souvent sont agitéesCouronnes de papier ou couronne de sangVous dressez les murailles et tuez les enfants,Instrument salutaire ou puissance tragique ?Le fusil ou le lys ou le livre magique…

Des couronnes se tressent au nom d’économieEn tristes vérités érigeant le profil…Atomes de métal êtes-vous innocents ?Energies des dorures êtes-vous du clinquant ?Mécaniques changeantes sur le temps éphémèreLe fondement humain est fruit de millénairesDu crayon au laser, de la plume à l’écranQuand les sciences de l’homme sur un pas de géant,L’épée est d’énergie ou bien de connaissanceElle est au Chevalier illusion ou puissance.

Les fameuses couronnes sont-elles des repères ?Des jalons de prison à semer la misère ?Le bûcher était acre et midi fut brûlantPour un ordre moral, brutal, intolérant.Le laurier éphémère couronnes de doruresLes dogmes références en limites de murs,Frontières des interdits en illusions de trônes,Trois couronnes de sabre de bombe en kilotonnesL’on piétinait jadis les rois et les curés,Les sombres militaires tueurs des libertés.

Le temple fut oubli poussières de millénaireLa mort fut imposée pour un temps solaireTous les dogmes, faiblesses en béquilles de l’égo

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Gris de fer de l’épée sur un noir corbeauDu passé au futur comme un sens donnéToujours la vieille lutte le temps s’est couronnéCouronnes défraîchies au temps évaporéesSuffire pour la limite en cadenas fermés.Stigmatiser « abus faiblesse » pour la forceIllusion continue tout comme un trait.

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DISCOURS DU GRAND ORATEUR AU GRAND CONSEIL D’AUTOMNE 2008

Vous avez un siècle et plus, vous cherchez la Lumière, celle de la Liberté pourceux qui n’en abusent pas. Vous cherchez aussi Justice, Justice à l’encontre detous les tyrans, temporels et spirituels. Vous combattez l’oppression, d’où qu’ellevienne et à tout instant.À chaque tenue, avant de vous séparer, il vous est rappelé que votre mission estd’intégrer connaissance et sagesse dans de justes lois pour régir la sociétéhumaine.Vous avez enfin promis de refuser toute dictature, de résister à tout asservis-sement de la personne, de la pensée, de l’esprit ; de répudier toute volonté depuissance...Certes, tous les rituels maçonniques sont évidemment remplis de ce typed’exhortation et bâtis autour de l’œuvre à accomplir, mais aucun autre que celuide Chev∴K∴S∴, 30e degré du R∴E∴A∴A∴, n’est aussi clair et direct surnotre mission dans ce monde, ici et maintenant. « Puisque vous avez acquis laconnaissance, votre travail sera votre action hors du temple ». Face à la tentation de la paresseuse pensée qui préfère croire à connaître, face à ceux qui ne veulent plus juger eux-mêmes, seulement être convaincus, face àl’indifférence à l’égard des valeurs humaines, à la démission devant le devoircivique, le chemin du C∴K∴S∴ et son devoir sont clairement tracés : au nomde l’amour de la vérité et de l’amour de l’humanité.La moindre analyse néanmoins suffit pour faire prendre conscience qu’il ne fautpas se tromper soi-même et tomber, sous prétexte d’amour, dans la recherched’un pouvoir sur l’autre. Même (et surtout) quand il s’agit de l’amourdésintéressé du prochain – l’amour de l’humanité – on peut réfléchir sur la façonde conduire cet amour. Sous prétexte d’aimer, d’aider, de protéger, peuventapparaître des conduites individuelles ou collectives, où l’ingérence dans la viedu prochain ne traduit de fait qu’un souci – conscient ou pas – de domination,au mieux une envie déguisée de « paraître » bon. Et ce jusqu’à la caricature.L’exemple que je vais prendre est certes un peu facile, mais, lorsque le tankiste

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russe écrabouille sans vergogne une voiture de police géorgienne, videheureusement, il n’échappe à personne qu’il le fait dans un souci d’amour, d’aideet de protection des Ossètes, voire de protection des Géorgiens contre eux-mêmes, contre les mauvaises pensées qu’ils ont eues et pourraient encore avoir.Notons, plus sérieusement, comme peut le relever n’importe quel historien, qu’ily a toujours un contraste entre les valeurs d’amour que prétend défendre tellereligion, ou celles de protection propagée par tel État, et l’imposition desditesvaleurs par la contrainte et par la guerre.

« Je promets de répudier toute volonté de puissance, cause de guerre etc. »N’est-ce pas ce que sous-entendaient déjà les Constitutions d’Anderson ? – demanière bien alambiquée et plus jésuitique que presbytérienne certes. Leurrelecture complète donne néanmoins toujours matière à réflexion. « Comme laMaçonnerie a toujours souffert de la guerre, de l’effusion de sang et du désordre, il en arésulté que les anciens rois et princes ont été fort disposés à encourager les artisans à causede leur caractère pacifique et de leur loyauté, au moyen desquels, dans la pratique, ilsrépondaient aux chicanes de leurs adversaires et concouraient à l’honneur de la confrérietoujours florissante en temps de paix ».Comment mieux construire la paix qu’en luttant pour que chaque humain soitconsidéré comme tel, détenteur d’abord de l’imprescriptible droit à la vie ?Comment être C∴K∴S∴ et méconnaître cet impérieux devoir ? Commentaccepter l’injustice, l’oppression, la torture ? Vous allez me dire : « Mais qu’y puis-je ? Je ne suis ni Tibétain en Chine, ni Géorgien en Ossétie, ni Ossète en Géorgie, niSoudanais, ni Rom en Roumanie – ou ailleurs »... Sans doute... du moins pasencore... Mais, dès la naissance de la Maçonnerie, ses adeptes se sont voulus – sans tout letemps il est vrai bien y réussir – les opposants les plus déterminés à l’absolutismeoppressif de l’époque. Outre que ce mot d’absolutisme ne me paraît pas sianachronique que cela de nos jours, notre Maçonnerie n’est-elle pas le moyen« pacifique et loyal » de répondre aux « chicanes » de nos adversaires, parce qu’elleest fondée sur les principes de liberté individuelle et de résistance à l’oppression.Et notre grade de C∴K∴S∴ peut être considéré comme la synthèse d’unegrande partie de l’enseignement maçonnique et surtout comme une invitationà en tirer toutes les conséquences.C’est dans cet esprit que l’action de chaque C∴K∴S∴ est requise. Mais, il estvrai que, dans ce monde, l’action ne peut être prise en considération et doncn’avoir d’efficacité que dans la conjonction des efforts… Solitaires et solidairesplus que jamais… nous devons plus que jamais assumer notre place dans cettesociété.

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Il est évident certes que la question n’est pas – pour le moment – de prendreles armes. Le Djihad n’est pas vraiment maçonnique c’est le moins que l’onpuisse dire. Alors quelle action ?Nous ne nous posons pas suffisamment la question du militantisme, sinonsouvent pour le rejeter. Étymologiquement la connotation guerrière du motpeut nous rebuter. Mais ne sommes-nous pas des Chevaliers (miles, militis) ? Ils’agit bien de lutte, de combat, pas forcément toujours symbolique. Mais il estvrai que l’on peut se demander quels sont les véritables rapports entre maçon-nerie et militantisme. On peut se demander jusqu’où peut aller l’engagementprofane du Maçon. Militant, certainement. Mais comment ? Dans quellesconditions ? Personnellement je n’arrive pas toujours à bien répondre à cettequestion... il faudra y revenir.Quoi qu’il en soit, parvenu à ce stade de l’initiation, le C∴K∴S∴ doit nonseulement pouvoir porter un regard rétrospectif sur sa propre démarche maisencore s’interroger sur son action dans le cadre maçonnique et profane. D’uncoté, le refuge dans une supposée sagesse est impensable, car, nous sommes tous,à la place que nous occupons, roi et seigneur, et il faut faire ce qui doit être fait.De l’autre, l’engagement dans le monde n’est pas de faire entrer à grandesbrouettées les métaux dans le Temple, comme le font encore trop de Frères « militants ».Assumer notre place, place de Maçon et de C∴K∴S∴ c’est essentiellement, jecrois, d’abord dire haut et fort ce que d’autres n’osent pas ou ne veulent pas dire,pour dénoncer, à tout le moins « témoigner » de l’oppression et de l’injustice,surtout lorsqu’elles sont assorties de la désinformation, de la duplicité et dumensonge. C’est là qu’est notre rôle, à notre portée, en tant que C∴K∴S∴.C’est notre devoir permanent d’engagement. C’est lui qui donne à notrecondition humaine un sens acceptable. Si nous réussissons un tant soit peu àporter cette parole, nous aurons commencé à remplir notre mission. Revenons à la citation que je faisais plus haut des Constitutions d’Anderson : « À cause de leur caractère pacifique et de leur loyauté... Ils répondaient aux chicanes deleurs adversaires. » C’est certainement aussi de ce coté qu’il faut chercher. Laparole, la raison et l’exemple, voilà les armes pures dont nous pouvons immédia-tement disposer. Et face aux djihadistes et aux croisés de tous bords, face àl’obscurantisme sans cesse renaissant, il restera toujours un C∴K∴S∴ capableau moins de dire non, de résister. Si ce dernier mot revient constamment dansnos planches c’est tout simplement qu’il est au cœur même de notre démarchede 30e.L’histoire nous a assez montré que le progrès moral n’a pas suivi les progrèsscientifique, technique ou économique. Il a fallu plusieurs millions d’années pour

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que notre cerveau double ou triple de volume, peu importe. Nous avons eul’impudence de baptiser notre espèce « homo sapiens », par rapport au précédent,qui n’était que « habilis ». Sommes-nous si sûrs d’avoir atteint le stade procla-mé ? « Heureux Ananda, disait le Bouddha à son disciple, heureux celui qui est unelampe pour lui-même ! »Il y a plus de 25 ans, on pouvait lire dans un rapport de colloque duG∴O∴D∴F∴ :« La société maçonnique est fondée sur le respect de la différence et le principe de laïcitéqui en découle. Or, observez nos sociétés : elles sont bloquées ; observez les sectarismesidéologiques : ils s’installent partout ; observez les tyrannies religieuses : elles sont de retour ; observez les hommes : vous ne verrez qu’injustice et recherche du pouvoir. » Nouspouvons aujourd’hui reprendre cette phrase telle quelle. Je crains que l’avène-ment du « roi-philosophe » ne soit pas pour demain ; et ce n’est que lorsque lepouvoir sera devenu un simple moyen d’organisation et d’efficacité sociale, alors,alors seulement, l’exigence de liberté individuelle sera respectée dans le cadred’une véritable éthique collective.Engagement, action et responsabilité : les trois sont inséparables. Le C∴K∴S∴« répond » de sa parole et de ses actes dont il est pleinement conscient et dont ilassume les conséquences. Et il agit non par soumission à un mot d’ordre, à unedoctrine ou à un dogme, mais tout simplement parce qu’il essaie d’être unhomme libre et que son engagement maçonnique doit prévaloir sur tout autre. J’avais lu, il y a plusieurs années, la planche d’un Frère qui reprenait les parolesdu regretté Léo Campion (par ailleurs 33e du R∴E∴A∴A∴) : « Si les maçonsanarchistes sont une infime minorité, la vocation libertaire de la maçonnerie est indéniable[...]. Elle est la seule association à laquelle puisse adhérer celui qui n’adhère à rien. » Laformule est certes lapidaire, et sans doute insuffisante si on ne l’accompagne pasde son développement. « Société éminemment raisonnable […elle] est en effet un desrares groupements, sinon le seul, parmi les sociétés de pensée, auquel l’homme puisseadhérer sans rien abdiquer, parce que son adhésion n’est pas enrôlement, n’implique aucuneobligation incompatible avec son idéal, parce qu’elle ne nuit pas à sa liberté, n’attente pasà son indépendance, n’amenuise en rien ses convictions ».Mais cette adhésion est un engagement. Dans le manuscrit Franken, récemmentréédité, où le grade de C∴K∴S∴ tient le 24e rang du rite de Perfection, onpeut lire dans l’un des serments demandés au nouvel initié : « Vous promettez etjurez de ne jamais recevoir à ce grade un frère qui ne serait pas entièrement libre, tel qu’unmoine ou tous ceux qui ont prononcé des vœux de soumission inconditionnelle à leurssupérieurs… ».C’est non seulement rappeler l’importance pour chacun de l’engagementmaçonnique. C’est aussi réaffirmer que cet engagement n’est en aucun cas

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soumission. Il est la promesse de suivre des règles de vie, de morale et d’honneurque chacun de nous a accepté de sa libre et ferme volonté (tels sont les termesdu rituel actuel) à chaque nouveau grade, à chaque nouveau degré de sonchemin initiatique.À une époque où, à l’instar de ce qui se passe depuis longtemps dans certainpays d’outre-Atlantique, la judiciarisation envahit non seulement notre vieprofane, mais même certains comportements à l’intérieur de nos propresinstitutions, en un temps où des Frères – ou qui se disent tels – n’hésitent plusà porter leurs différents maçonniques devant la justice profane, profanisant(pardonnez le barbarisme) en quelque sorte nos obédiences et juridictions, il estbon je crois de rappeler la valeur du serment maçonnique, surtout à ce degréde C∴K∴S∴, puisque nous l’avons renouvelé plusieurs fois et que noussommes arrivés, disons-nous, au « Nec Plus Ultra ». Rappelez-vous Tom Sawyer de Marc Twain, et ce dialogue entre deux enfantsqui veulent se faire bandits. Le premier dit :« – L’ini …quoi ?– L’initiation– C’est quoi ?– C’est quand on jure de se soutenir les uns les autres et de ne jamais révéler les secrets dela bande (the gang) sinon on est coupé en morceaux ».Certes, les terribles châtiments (langue arrachée, gorge coupée et autresjoyeusetés) ont disparu des textes aujourd’hui. Et on ne peut que s’en féliciter.Mais le serment maçonnique n’en est que plus fort. Fait autant à soi-même quedevant les autres, engagement d’une vie à l’exigence de vérité. Rompre leserment et la parole ainsi donnée, rejeter l’engagement de loyauté et de fidélitélibrement consenti, c’est se placer, de soi-même, en dehors du Temple, car leserment maçonnique, loin d’être un lien d’obéissance, est l’adhésion libre à uneexigence de vie.Le Kadosch, s’élevant au-dessus du bien et du mal, prend la mesure de ladifficulté de l’action. S’il a gravi l’échelle d’abord pour se séparer, il redescendde l’autre coté pour se retrouver parmi les hommes et vivre au milieu d’eux « en répandant les vérités [qu’il a] acquises », à savoir la fragilité du jugement humain,la vanité du pouvoir et des ambitions terrestres. L’action naît de l’intimeconviction, c’est-à-dire du jugement éclairé. Elle s’appuie surtout sur laconscience de la condition humaine faite d’amour et de respect de la dignité dechacun, c’est-à-dire de sa Liberté.

Yves Le Bonniec, 33e

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Le PélicanEmblème de Jacob Boschius, Symbolographia, 1702.

GRAND CHAPITRE D’AUTOMNEZ É N I T H D E P A R I S • 2 S E P T E M B R E 2 0 0 8

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Silhouette vitruvienne “Homo ad circulum”Vitruvius par Jacundum de Fra Giacondo, 1511

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DISCOURS D’OUVERTURE DU T∴P∴S∴G∴C∴

DU GRAND CHAPITRE D’AUTOMNE 2008

La saison du serpent de mer étant achevée, les marronniers ayant produit desfruits que nous ne goûtons parfois que moyennement, il est temps de se remettreau travail. Mais la morosité de cette période qui préfigure la poursuite du déclinde la lumière est atténuée par nos rencontres, je dirais nos retrouvailles, cesréunions traditionnelles et périodiques que leur répétition même rend familièreset rassurantes. J’ai toujours été surpris par ce passage rapide de l’effervescencedionysiaque des parvis au calme apollinien, voire olympien, de la tenue, qui nousprouve la force du rituel.Le temps semble s’arrêter lorsqu’il est cyclique, mais pour autant, cetteimmobilité n’est que relative, car nous sommes au terme d’une année qui a vunos ateliers travailler et donc progresser dans leur réflexion. Nous en aurons letémoignage tout à l’heure avec le rapport de synthèse de la question posée àtous les chapitres et qui, nous l’espérons, aura suscité leur intérêt. Car, au-delàde l’affection qui nous lie, la confrontation pacifique des idées est essentielle. Elleest la traduction de l’ouverture d’esprit, du respect des idées de l’autre. Notre institution est d’ailleurs la traduction d’un éclectisme, d’un pluralismed’idées sans doute issues d’une origine dont la diversité est garante d’unsyncrétisme créatif.Car imaginer une unité, une pureté, absolues de la Franc-maçonnerie, est unleurre, comme cela le serait en imaginant telle religion ou telle civilisation. Noussommes tous issus de courants de pensée, d’attitudes mentales, de mœurs quinous ont façonnés. Nous nous plaisons à penser que notre position actuelle estde toute éternité et n’a pas évolué, à l’instar des religions qui, s’imaginant issuesd’une décision divine, ne peuvent que difficilement se plier à une histoirehumaine. Nous avons longtemps vécu dans un solipsisme, c’est-à-dire un replisur soi nous faisant ignorer l’intrusion du monde environnant dans notreinstitution.

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Pour paraphraser Paul Valéry, nous autres francs-maçons, nous savons maintenantque nous sommes mortels car profondément inscrits dans l’histoire. Et unehistoire particulière qui est celle de l’Europe. Car universalistes dans nos prin-cipes, nous sommes cependant profondément européens dans nos conceptions,c’est-à-dire particularistes. L’Europe nous a vus naître, prospérer et même si notreRite écossais peut se prévaloir d’origines outre-Atlantique, il reste profondémentimprégné des idées du Vieux Continent qui a toujours au long des siècles « européisé » le monde.L’universalisme que nous prônons cachait un européisme dominateur. Nousavons culturellement envahi la planète : images, mots, langues, valeurs morales,normes juridiques, codes politiques, systèmes éducatifs, mentalités, modes de vieont été mondialement imposés. Or l’Europe que nous connaissons, elle était l’aboutissement d’une série degrandes périodes historiques dont nous avons assimilé les apports successifs quise retrouvent dans nos structures mêmes, dans nos conceptions, dans nos valeurset nos principes voire nos comportements. Ainsi la Grèce, semble aujourd’hui à l’origine de notre modernité. Protagorasaffirmant « L’homme est la mesure de toute chose », Epicure proposant de laisser lesdieux où ils sont c’est-à-dire loin de l’espèce humaine et Prométhée volant lefeu à ces mêmes dieux pour le donner aux hommes, ne sont-ils pas les précur-seurs des Humanistes du XVIe siècle dans leur préoccupation de placer l’hommeau centre de leurs préoccupations ? Et n’est-ce pas cette région du monde qui,démontant tout pouvoir magico-religieux, s’appuie sur une loi écrite devantlaquelle tous les citoyens, mais eux seuls certes, sont égaux. Et cette loi étanthumaine peut être modifiée ce qui entraîne l’apparition de la politique où lediscours rationnel, le logos va l’emporter sur le mythos, le discours trop empreintd’imaginaire et donc moins crédible. Et ce citoyen, abstrait comme il l’est encoreaujourd’hui, il va être formé par l’école, skolè c’est-à-dire le loisir, le loisir deperdre du temps non pas à produire, mais à apprendre, c’est-à-dire un luxe. Lessociétés archaïques n’ont pas d’école, elles n’ont que des rites et des procéduresd’initiation ce qui signifie immobilisme par reproduction des gestes et despensées. Quelle serait la valeur de notre initiation si elle se contentait d’êtreintégration au groupe et non début d’une progression ? Mais nous sommes à lafois archaïques, plongeant nos racines dans l’anthropologique, et modernes parla formation de l’esprit humain au moyen d’un enseignement donnant du sens. Après la Grèce on peut parler de Rome qui, si elle a créé et développé le droitcivil, droit des personnes, droit des choses et droit des obligations, a surtout, parl’étendue de son Empire, été amenée à élaborer les principes d’un cosmopo-litisme appliqué, après les premiers théoriciens grecs avec les stoïciens à l’époque

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hellénistique c’est-à-dire à l’époque des conquêtes d’Alexandre. Le stoïcien étaitcelui qui se sentait citoyen du monde. Et la chose était encore plus évidente dansla période de l’Empire romain, cet Empire qui gouvernait des hommes issus del’Europe occidentale, comme des Balkans, de l’Orient ou de l’Afrique du Nord.Ces hommes ne pouvaient penser l’humanité qu’en termes de communautéunique, partageant une même nature humaine. De ce fait, le droit des hommesest universel et fondé sur la raison commune. L’homme est désormais unindividu libre, doté d’un destin singulier mais ayant une nature commune à tous.Ce cosmopolitisme, ne le faisons pas remonter seulement au XVIIIe siècle, àMontesquieu ou à cet ouvrage de Kant de 1784 intitulé L’idée d’une HistoireUniverselle d’un point de vue cosmopolitique. Déjà avant lui, Montaigne avait dit « J’estime tous les hommes, mes compatriotes ». Mais c’est bien aux époques grecqueet romaine que l’idée avait germé et, curieusement, comme au XVIIIe siècle,c’est l’affirmation de l’individualité qui accompagnait la conception d’uneuniversalité de l’homme. Nous sommes donc les héritiers de cette idée univer-saliste qui ne peut qu’aboutir à une vision égalitaire et tolérante des rapportshumains. Autre élément constitutif de notre Franc-maçonnerie : la Bible et son produit,le judéo-christianisme, sans doute parce qu’elle est à l’origine de nombre de nosrituels et constamment présente dans notre progression initiatique, mais aussiparce qu’elle inspire certains de nos principes fondamentaux.On sait aujourd’hui qu’elle a été écrite au VIIe siècle, à la cour du roi Josias, quivoulait affirmer la prééminence du royaume de Juda sur Israël. C’est donc unouvrage politique compilant récits historiques le plus souvent légendaires, récitsmythiques, poèmes, maximes, proverbes etc., tout cela d’une qualité exception-nelle. La Bible insiste sur l’humanité de l’homme et sur sa responsabilité. Maisce que nous lui devons surtout c’est la modification absolue de la conceptiondu temps. De cyclique avec comme conséquence l’immobilisme, toute nou-veauté apparaissant comme néfaste, le temps devient linéaire. De la Genèse à lafin des temps, l’homme se situe sur un trajet qui le mènera à l’Apocalypse, c’est-à-dire la Révélation divine. Cette temporalité, elle nous vaudra le messianismedans un premier temps, puis le millénarisme et plus tard, les utopies et la notionde progrès, progrès individuel avec la perfectibilité de l’homme qui se traduitchez nous par la progression initiatique, mais aussi progrès collectif de l’humanitétout entière auquel nous contribuons. Nous sommes enfants de cette conceptiondu progrès si malmenée aujourd’hui où nous sommes confrontés à une visionpessimiste voire catastrophiste de l’avenir. L’apocalypse, en son sens banal dedésastre final, est pour demain selon de nombreux Cassandre.

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Mais cet apport biblique si important chez nous, fait-il de notre institution unersatz de religion ?Les religions, comme tous les faits de culture, et à leur corps défendant, s’inscri-vent dans un lieu et une époque, reflètent des situations socio-économiques.Même si elles contestent le fait, se voulant éternelles et immuables, la réalitéhistorique le prouve. De fait, elles sont toujours composites, comme d’ailleurs la Franc-maçonnerie. Il y a des judaïsmes, des Islam, des christianismes, etc. Elles sont nourriesd’apports multiples et de ce fait, non universelles malgré le titre de « catholique» dont a voulu se parer le christianisme. Mais si une religion n’est pas universelle,elle est particulière, particulariste, reflète une opinion spécifique et est donc,étymologiquement et paradoxalement, une « hérésie ».Mais le terme de religion est issu du latin et son apparition est donc tardive.Auparavant, on parle de « dat » chez les Hébreux, c’est-à-dire de loi, car c’est lecaractère juridique qui l’emporte. C’est le christianisme qui définira unenouvelle loi qui est une loi d’amour et transformera totalement le rapport à ladivinité qui n’est plus seulement créatrice de lois rigoureuses, car toute entorseentraîne une sanction immédiate et terrible, mais objet et dispensateur d’amour.Notre rituel du 18e évoque d’ailleurs cette nouvelle loi pour fustiger l’ancienne,qui est accusée dans le rituel du 17e grade, de « volonté de puissance » et affirmeainsi son caractère néotestamentaire. En serions-nous restés là dans l’évolution de l’humanité avec la toute-puissancedes religions sur les esprits humains, la Franc-maçonnerie n’aurait-elle pas étéune religion à l’instar des autres, ne pourrait-elle pas être assimilée à l’une d’elles,avec ses temples, ses liturgies, ses rituels, ses mythes y compris celui de la réin-carnation, ses décors sacerdotaux, ses prélats, ses croyants et même ses bigots ?Oui mais l’homme a continué sa route sur le chemin des « progrès de l’esprithumain » comme le disait Condorcet. L’Humanisme et les Lumières sont passéspar là avec leur raison critique et leur doute constructif. Kant nous dit « SapereAude » c’est-à-dire « ose penser par toi-même ». L’esprit des Lumières qui aaccompagné notre chemin depuis près de trois siècles c’est la distinction entrele croire et le savoir, c’est l’examen individuel de toute croyance, c’est le refusde la Vérité dogmatique et des systèmes politiques et religieux qui l’imposent,c’est le refus de la soumission aveugle à l’autorité. Dès lors, la Franc-maçonnerie doit penser le mythe, l’interpréter. À ce sujet, le18e grade est exemplaire de cette nécessité avec une enveloppe incontesta-blement chrétienne par ses références, et critiquée pour cela, bien qu’étant passéepar le tri rationalisateur des XIXe et XXe siècles. Mais critiquée pourquoi ? Alorsque tous acceptent sans broncher les références bibliques avec Hiram, le temple

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de Salomon dédié à Yahvé et sa reconstruction, l’exil du peuple juif etc., ilsrécusent le caractère néotestamentaire du grade de Rose-Croix, sans doute parceque ses éléments sont plus familiers dans un pays catholique et donc plus sujetsà anticléricalisme.Mais critiquée par qui ? Par ceux qui n’ont sans doute pas digéré une instructionreligieuse exigeant la foi absolue en un texte fixé une fois pour toutes et sacraliséà l’extrême. À ceux-là je recommanderai la lecture du Traité décisif d’Averroès,lecture dans le texte bien sûr, c’est plus long mais c’est plus fiable. Que dit-il cephilosophe arabe du XIIe siècle ? Qu’il existe un double sens : un sens extérieurcelui de la lettre, et un sens intérieur celui de l’esprit. Ce dernier exige un travaild’interprétation, une herméneutique qui assure le triomphe de la raison.Or être maçon, c’est interpréter, c’est enrichir le texte par sa propre réflexion.C’est rechercher le sens profond qui pourra d’ailleurs être en constante évolutionen fonction de sa propre histoire qui détermine son niveau de conscience. Lanon-recherche, l’acceptation passive de ce que l’on voit, l’on entend, c’est suivreun catéchisme qui est non pas enseignement qui veut donner du sens, maisinstruction qui est construction d’un fidèle obéissant aux injonctions, auxinterdits.Si nous différons d’une religion malgré quelques analogies, c’est que nousn’avons pas de dogme. Donc pas d’orthodoxie c’est-à-dire une définition étroitede ce qu’il faut croire, mais peut-être connaissons-nous une orthopraxie, c’est-à-dire un comportement commun défini entre autres par un rituel pour ce quiest interne à l’Ordre, et par des principes pour ce qui est de notre rôle en dehorsdu temple. D’ailleurs le rituel ne dit-il pas que le grade « n’a plus pour objectif laseule personne du Franc-maçon mais l’effort collectif de tous les frères vers le progrès et lebonheur de l’humanité ». La liberté d’interprétation est donc notre règle, elle est fondement d’une libertéde conscience qui est libération de l’esprit des préjugés, des a priori, despréventions.C’est ainsi que se forge une spiritualité autonome, libérée des entraves d’unmonde trop pressé, insignifiant, c’est-à-dire privé de sens. Une spiritualité fondéesur une laïcité qui est recherche et met le religieux à distance. Ainsi est illustréela phrase de Jaurès : « Il n’y a pas de vérité sacrée c’est-à-dire interdite à la pleineinvestigation de l’homme. » En 1919, dans Variétés III, Paul Valéry écrivait : « L’espoir certes demeure, mais l’espoirn’est que la méfiance de l’être à l’égard des prévisions précises de son esprit [...]. Les faitssont pourtant clairs et impitoyables... il y a l’illusion perdue d’une culture européenne etla démonstration de l’impuissance à sauver quoi que ce soit ; il y a la science atteintemortellement dans ses ambitions morales et comme déshonorée par la cruauté de ses

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applications ; il y a l’idéalisme difficilement vainqueur, profondément meurtri, responsablede ses rêves ; le réalisme déçu, battu, accablé de crimes et de fautes... ».En 1919 déjà ! près d’un siècle plus tard, les blessures sont les mêmes, peut-êtreun peu plus ouvertes. Les soins dispensés se sont révélés inefficaces et l’hommese bat toujours contre ses démons que sont la haine et le mépris de l’autre ou,pire encore, l’indifférence. Mais nous ne sommes pas seuls. Nous forgeons nos armes, notre force mentaledans la contiguïté avec les autres mais aussi dans la confrontation qui n’est pasaffrontement. Il faut penser que nous sommes tous membres de cette obédience,lourde d’un passé prestigieux, d’une longue histoire qui a accompagné lesprogrès de l’esprit humain, le Grand Orient de France. Nous sommes témoinset acteurs de ce pluralisme si enrichissant pour toute la maçonnerie en ces tempsde massification, d’homogénéisation si appauvrissant pour la pensée. Notrejuridiction ne l’oublie pas.Einstein disait : « Créer, c’est penser à côté ». Nous sommes à la fois dans et à côtéde notre obédience mais aussi à ses côtés. Mais cette recherche, ce questionnement ininterrompu, gage à la fois de luciditéet d’humilité, c’est aussi un déracinement constant. Aristote disait « réfléchir, c’estvivre une vie d’étranger ».Dans ce monde si difficile à appréhender et à élucider, nous devons remplirplusieurs rôles : éclaireurs, résistants, marginaux, hérétiques.Loin du confort de la certitude, nous devons vivre une vie de cheminementirrégulier, parsemé d’obstacles, qui nous fait affronter le monde, mais aussi nousconfronter à nous-mêmes. C’est le choix que nous avons fait, il nous fautl’assumer.

Jean-Robert Ragache, 33e

T∴P∴S∴G∴C∴

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DISCOURS DU GRAND ORATEURGRAND CHAPITRE D’AUTOMNE 2008

Qu’il est difficile de s’adresser à tous au nom du Suprême Conseil - G∴C∴-R∴E∴A∴A∴ - G∴O∴D∴F∴ lors de son Grand Chapitre d’automne ! Lafroideur impersonnelle d’un discours d’orateur ne risque-t-elle pas de décevoirceux que la Foi, l’Espérance et la Charité ont réunis ici à nouveau cette année ?Le mieux serait peut-être alors l’improvisation ; mais je ne sais pas improviser.D’ailleurs, on n’improvise pas en Maçonnerie. Mais comment alors faire parlerle cœur, au milieu de Chevaliers R+C qui consacrent leur vie à retrouverl’amour de l’autre, « car c’est cela qui a été perdu » ?...

Nous sommes tous à la recherche du bonheur. Encore faut-il s’entendre sur lasignification du mot. Il n’y a rien de plus subjectif que le bonheur. Nous avons,le rituel nous le dit, celui d’être Chevaliers R+C. C’est déjà bien. La sagesse estun mot difficile à manier, certes, mais le bonheur ?« Il y a, sur terre, de telles immensités de détresse, de gêne et d’horreur, que l’homme heu-reux n’y peut songer sans prendre honte de son bonheur. Et pourtant, ne peut rien pour lebonheur d’autrui, celui qui ne sait être heureux lui-même. Je sens en moi l’impérieuseobligation d’être heureux. Mais tout bonheur paraît haïssable qui ne s’obtient qu’auxdépens d’autrui et pour des possessions dont on le prive… Mon bonheur est d’augmentercelui des autres. J’ai besoin du bonheur de tous pour être heureux ».Il y a bientôt 80 ans, André Gide (Si le grain ne meurt) enflammait une jeunesse enquête d’absolu en jetant sur le papier ces phrases généreuses. Presque un sièclebientôt consommé et le bonheur est là-bas, peut-être dans le pré (cours-y vite !)plus sûrement toujours au bout du chemin, d’un chemin que jalonnent lespeines et les souffrances des hommes.

« J’ai besoin du bonheur de tous pour être heureux.»

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Quel Chevalier R+C renierait ces paroles ? Et pourtant, devons-nous attendrece moment, et nous interdire, en attendant, d’être heureux ? Est-ce cela le prix dela vie, de la vie devant nous ? Nous sommes toujours à la recherche de l’absolualors que « nous piétinons dans le relatif ».C’est qu’il est des souffrances contre lesquelles ni vous ni moi n’avons aucunpouvoir. Mais s’il est des souffrances inévitables, peut-être inéluctables commela perte d’un proche, il est d’autres détresses, des peines et des souffrances inutiles,« coupables fruits amers de l’égoïsme et de l’orgueil des hommes ». À force de misère, à force d’égoïsme, on se berce de paroles, on s’enivre deprières, on s’anesthésie de promesses ; et quand vient le temps des actes, onn’entend plus les voix profondes, celles des êtres, la voix profonde de l’être. Seullangage vrai, commun à tout ce qui vit.

« Nos actes s’attachent à nous comme la lueur au phosphore. Ils nous consument il estvrai, mais ils font notre splendeur. Et si notre âme a valu quelque chose, c’est qu’elle abrûlé plus ardemment que les autres.Nathanaël, je t’enseignerai la ferveur. […]Et tu seras pareil, Nathanaël, à qui suivrait, pour se guider, une lumière qu’il tiendraitlui-même dans sa main. » (Nourritures Terrestres, Livre 1)

C’est la ferveur qui commande et conditionne nos actes les plus beaux. Nousvoudrions tant que nos actes soient splendeur. Mais il n’existe pas de manuel deferveur. Point de grammaire, point de recette. C’est un zèle extrême, l’ardeurd’un goût, d’une passion. Elle se dit d’abord de l’amour. La ferveur seule estcapable de conduire au bonheur.Ne serait-elle pas tout simplement l’amour de la vie, pour soi-même, pour lesautres ? La ferveur, disait un frère de mon atelier trop tôt disparu, c’est unemusique, une voix, un appel que chaque homme peut entendre, même s’il n’estni poète ni musicien. Toute musique est amour disait ce Frère, toute voix estferveur. Mais il faut se méfier du chant des sirènes, qui paralyse et anéantit dansun faux bonheur qui n’est que confort et conformisme, plaisir ou bien-être,sécurité dérisoire et fugitive. Il faut se méfier du chant des faux prophètes,détenteurs de vérités – leurs vérités – promoteurs de paradis artificiels et desociétés trop parfaites qui ne savent plus regarder la vie en face. Il faut se méfierde ces voix qui étouffent la liberté des hommes. La vraie voix de la ferveur necherche ni à plaire ni à séduire. Elle ne peut qu’éveiller. C’est la voix del’authenticité, du désintéressement, de la sincérité et de l’amour.Sans ferveur, pas d’amour. Certes, nous n’oublions pas la raison. Celle qui nouspermet de trouver l’équilibre, celle qui nous fera, peut-être, approcher la sagesse.

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Bonheur et sagesse vont de pair, ils sont une même aspiration, un même appel.Mais le sage lui-même est-il heureux ? Il est peut-être apaisé, mais dans le secretde son cœur et de son esprit, je suis sûr que le sage s’interroge toujours.Le Chevalier R+C, en chevalier qu’il est, a appris à donner sans s’humilier, ilsait porter le don de soi jusqu’au sacrifice. Il sait que c’est l’amour qui a étéperdu et que ceux qui ont voulu apporter l’amour au cœur des hommes ont ététoujours méprisés, souvent pourchassés, et parfois l’ont payé de leur vie.Notre route est tracée. Rien, ni les discussions internes détestables mais hélasréelles et constantes, ni les agressions extérieures envieuses et hargneuses à lafois, pas davantage les misérables ambitions personnelles de ceux qui rêventd’assujettir l’Ordre à leur propre destin, ou de ceux, souvent les mêmes, quis’enferment dans leur sectarisme raidi, rien de tout cela ne peut détourner leChevalier R+C de son espérance et de sa foi en l’homme.Espérance et foi actives car elles se traduisent par un combat contre les préjugés,l’orgueil, les illusions, l’idolâtrie, le désir de possession et de pouvoir. Le combat du Chevalier R+C est un combat quotidien, toujours renouvelé,aujourd’hui comme hier, et encore hélas, demain. Serait-ce que l’homme nechange pas ? Serait-il même plus mauvais ? Certes non. Mais son ingéniosité arendu ses moyens de l’être certainement plus grands. Et nous avons du mal à sortir, Maçons et Chevalier R+C, de cette contradiction, écartelés que noussommes entre notre foi dans le progrès de l’humanité et notre effroi d’en voirdévoyés les buts.L’amour ne peut se substituer au progrès. Il doit l’accompagner. Les moyens detuer et de détruire pèseront peu si nous savons extirper la haine du cœur del’homme. Le Chevalier R+C voit le monde tel qu’il est, sans complaisance. Ilest le regard sur le monde. Et ce regard posé sur le monde, n’est-il pas en soidéjà le début de l’action ? La recherche d’une réponse ? « L’importance, Nathanaël, elle est dans ton regard, non dans la chose regardée ».Car ce regard sait aller au-delà des apparences ; car il est en soi, d’emblée,communication, écoute, réponse. Le regard sur l’Autre, c’est l’intérêt, toujours,le jugement, parfois. Il est accueil, compassion, empathie. Il est lucide maisattendri, critique mais lumineux d’espoir et d’utopie. Le regard éclaire son objetqui, sans lui, à la limite, n’existe pas.La place du Chevalier R+C est peut-être celle du sage qui regarde les hommes ;sa mission est celle du Chevalier qui combat les démons que ceux-ci portentencore en eux. Sa philosophie est celle de l’Amour, de l’amour de l’humanité,mais au-delà, comme le disait Michel Serres, de l’amour du monde et del’univers, « pour que puisse, enfin, s’épanouir au cœur de la croix de l’humanité, la rose del’amour spirituel. »

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Le Frère Paul Guérin, un de mes prédécesseurs à ce plateau, disait il y a vingtans : « Le rôle de la Maçonnerie n’est pas tant d’instruire que d’éclairer, de fondre quede rassembler, d’enrichir que de libérer. Nous marchons vers la lumière, et il est bon demarcher vers la lumière même lorsqu’on ne sait pas très bien où cela nous mène, car si l’onattend de tout savoir pour agir, on risque fort d’attendre longtemps. La Lumière, il faut ycroire … »Mes FF∴Chevaliers R+C, nous avons une dernière mission. Car nous sommesaussi des élus. Plusieurs des grades par lesquels nous sommes passés portent cetitre. Oh ! nous ne sommes certes pas les élus des foules ni les représentants dequi que ce soit. Nous avons été, du 1er au 18e degré – et rien ne laisse penserqu’il n’en soit pas de même au-delà – nous avons été choisis par nos égaux, parnos frères et nos maîtres. Choisis non pas pour satisfaire notre petite vanité, ouparce que nous étions les meilleurs. Non, mais désignés pour continuer l’Œuvre,faire que la quête ne s’arrête pas, que la Parole ne se perde pas à nouveau, queles outils de la maçonnerie ne soient plus dispersés. Choisis pour aider les autres,les aider à trouver la voie de la connaissance, et surtout à transmettre à leur tourle cœur, l’âme de notre Œuvre, qu’est, encore une fois, l’Amour de l’autre.Ovide, dans son « Musée imaginaire de la mythologie » que sont les « Métamor-phoses » écrit à peu près ceci :« Bien souvent, au jour de Palilea [fête de la déesse Palès] j’ai sauté au travers de troisbrasiers alignés. Imitez-moi, jeunes bergers, allumez les feux, faites passer rapidement voscorps généreux à travers les amas embrasés de paille qui pétille ; le reste de l’année, ladéesse Palès vous sera propice, vos brebis fécondes, vos béliers vigoureux. »Nous sommes en fait comme le poète : igne natura renovatur integra... C’est ensautant par-dessus le feu de la tradition que nous serons régénérés par lui. Noussommes les gardiens plus que jamais nécessaires d’une tradition initiatique vieillede plus de deux cents ans. Nous proposons des rites et des symboles qui sont lefruit d’une sagesse que nous n’avons pas le droit de laisser s’étioler.L’homme en est venu aujourd’hui à ne plus penser qu’à ses préoccupationsmatérielles en oubliant l’essentiel : l’être, l’esprit, la vie. Nous devons être ceuxqui conduisent à la quête, personnelle et sans fin, de notre être dans sa plus totaleliberté.Pour terminer, puisque nous allons, mes Frères, commencer une nouvelle annéemaçonnique, je me permettrai de formuler des vœux, pour vous et vos chapitres.Vœux de travail d’abord, mais surtout, souhaits de lucidité et de ferveur, clés dela poursuite de notre route initiatique. Soyons capables de tous les dons, des donsd’amour, de l’amour des autres. Soyons capables d’enseigner nous aussi la ferveur.Après Gide, après Ovide, je finirai avec Jacques Brel, une de ces voix de ferveurdont je vous parlais tout à l’heure :

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« Je vous souhaite des passionsJe vous souhaite des silences

Je vous souhaite des chants d’oiseaux au réveilEt des rires d’enfants,

Je vous souhaite de résisterA l’enlisement, à l’indifférence,

Aux vertus négatives de notre temps,Je vous souhaite d’être vous. »

Yves Le Bonniec, 33e

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LA VIE DU SUPRÊME CONSEILS ∴ C ∴ G ∴ C ∴ R ∴ E ∴ A ∴ A ∴ G ∴ O ∴ D ∴ F ∴

S ∴ C ∴ G ∴ C ∴

R ∴ E ∴ A ∴ A ∴

G ∴ O ∴ D ∴ F ∴

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RAPPORT D’ACTIVITÉ DU SUPRÊME CONSEIL, GRAND COLLÈGE DU RITE ÉCOSSAIS ANCIEN ACCEPTÉ

GRAND ORIENT DE FRANCE 2007-2008

PAR LE TRÈS ILLUSTRE FRÈRE GRAND CHANCELIER

Comme à l’accoutumée, sont résumées ici les principales activités du SuprêmeConseil. Les effectifs de notre juridiction dépassent 7500 membres répartis en380 ateliers dont :– 169 Ateliers de Perfection– 117 Chapitres– 67 Aréopages– 27 Consistoires.

Au cours de cette année maçonnique de nouveaux ateliers ont été créés,démontrant la croissance uniforme de notre juridiction. Ainsi ont été allumésles feux :Des Ateliers de Perfection :• « L’Étoile Polaire » à l’Orient de Paris, le 9 février 2008.• « La Clé de l’Arc » à l’Orient d’Aix-en-Provence, le 3 mai 2008.• « L’Envol » à l’Orient de Six-Fours-les-plages, le 17 mai 2008.Des Chapitres :• « La Sagesse » – Vallée de Lyon, le 30 octobre 2007.• « Sagesse et Vigilance » – Vallée du Lamentin, le 11 janvier 2008.• « Steaua Dunarii » – Vallée de Bucarest, le 15 juin 2008.Et l’Aréopage :• « Savoir, Comprendre, Agir » – Camp de Saint-Germain-en-Laye, le 10 janvier 2008.

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I – Nécrologie

Le Suprême Conseil a eu la profonde tristesse de perdre les TT∴Ill∴FF∴Octave GERMANY, membre d’honneur de notre juridiction le 11 janvier2008, Paul BACHELARD, membre actif du Suprême Conseil le 19 mars 2008,ainsi que Marcel VASSAL et André ULLMO, membres émérites respectivementle 19 mars et le 17 juin 2008.

II – Consultations

Après consultation de la zone 6, au cours de la tenue du Suprême Conseil du 2 février 2008, le T∴Ill∴F∴ Alain LEFEBVRE a été coopté Membre Actif duSuprême Conseil. (M∴A∴S∴C∴).Après consultation de la zone 9, au cours de la tenue du Suprême Conseil du14 mars 2008, les TT∴Ill∴FF∴Étienne COMBET et Jean-Henri PASSINI ontété cooptés Membres Actifs du Suprême Conseil (M∴A∴S∴C∴).

III – Activités propres au Suprême Conseil

Le Suprême Conseil a tenu ses réunions mensuelles, soit sept Tenues solennelleset deux Tenues plénières.A – Le Collège des Officiers a été renouvelé lors de la Tenue solennelle du 7 juin2008. Ont été élus :Très Puissant Souverain Grand Commandeur : Jean-Robert RAGACHE1er Lieutenant Commandeur : Francis ALLOUCH2e Lieutenant Commandeur : Jean-Pierre CORDIERGrand Orateur : Yves Le BONNIECGrand Chancelier : Christian DANIOUGrand Trésorier : Gérard FILIPPIGrand Capitaine des Gardes : Jacques ORÉFICE1er Grand Maître des Cérémonies : Yves HIVERT-MESSECA2e Grand Maître des Cérémonies : Alain NATALIGrand Hospitalier : Pierre NABETGrand Orateur adjoint : Roger SOUTHONGrand Chancelier adjoint : Hervé NORAGrand Trésorier adjoint : François DELVILLEGrand Hospitalier adjoint : Jean-Claude RAUCHGrand Capitaine des Gardes adjoint : Jean-Paul FARDET

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B – Présidents de secteurOnt été nommés :7e Secteur : Jean-Noël GROS8e Secteur, renouvelé pour cinq ans : Michel RIGAUDEAU 11e Secteur, renouvelé pour cinq ans : Maurice BALDIT 18e Secteur : Claude POIRIER21e Secteur : Joseph PRAUCA

C – Grands JugesOnt été élus :En zone 3 : Gérard PAJONKEn zone 5 : Jean-Gabriel GODARD

D – CommissionsAu cours de la tenue solennelle du 7 juin ont été élus ou réélus présidents, lesTT∴ Ill∴FF∴ :Jean-Pierre DONZAC : Commission permanente

des Statuts et RèglementsBernard GILLARD : Commission des PromotionsAlain de KEGHEL : Commission des Affaires ExtérieuresHervé NORA : Commission des Finances et de l’InformatiqueYves HIVERT-MESSECA : Commission des RituelsBernard MOISY : Commission de la Bibliothèque,

de la Documentation et de la Gestion des archives

Jean GUGLIELMI assisté de Commission des Publications, C. FAIVRE et J.P. FARDET Comité de Lecture et SiteAlain NATALI : Commission Débats d’idées – Questions

à l’étude.Alain MARVILLE : Commission de la Prospective des SecteursPierre PIOVESAN : Commission de l’EcossismeRoger SOUTHON : Commission des Affaires juridiquesFrancis ALLOUCH : Centre d’Analyses et de Prévisions.

E – La ChancellerieIl y a eu une dynamisation et une fluidité des procédures de traitement desdossiers de passage de grade et nous avons enregistré :– 429 admis au 4e grade– 319 admis au 18e grade

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– 221 admis au 30e gradePromotions aux grades blancs.– Au 31e admis : 123 sur 126 propositions– Au 32e admis : 73 sur 77 propositions– Au 33e admis : 51 sur 54 propositions. Au total 1216 dossiers on été acceptés et traités.

F - MédaillesPromotion « Bernard CAUSSAIN » : Jean BRAILLON, Michel CANOVA, Jean DEVILLE, Emmanuel ERRERA,Edouard LAFOSSAS, Lasslo MARTON, Oszcar PAPP, Julian REES, PierreTRAYAUD.

IV – Relations Obédience - Juridiction

Nous avons eu la Commission Paritaire annuelle avec le G∴O∴ le 5 décembre2007 ; elle fut suivie d’un Comité technique Mixte, le 23 janvier 2008 et de la dernière Commission paritaire le 18 mars 2008 qui s’est passée dans uneambiance constructive et Fraternelle.

V – Relations inter juridictionnelles

Le Suprême Conseil s’est attaché, dans le respect des règles le régissant, à entretenir les bonnes relations établies avec plusieurs Juridictions nationales du R∴E∴A∴A∴ et plus particulièrement le Suprême Conseil de la Fédérationfrançaise du Droit Humain et son Grand Commandeur. Les bons rapportsinformels avec le Suprême Conseil du R∴E∴A∴A∴ de la Grande Loge Mixte de France se sont trouvés également confirmés, de même que ceux avecle Suprême Conseil Féminin de France. Certains contacts, également informelsmais tendant à renouer avec une ancienne tradition de proximité naturelle entreles deux principales Juridictions écossaises en France, ont été par ailleursentretenus à titre personnel avec des FF∴ membres du Suprême Conseil deFrance. En revanche, le dialogue, par définition informel, avec le SuprêmeConseil pour la France, prudemment entretenu depuis les cérémonies duBicentenaire du R∴E∴A∴A∴ en 2001, est plus que jamais au point mort, sansque cela n’exclue pour autant certains échanges personnels.

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VI – Relations Internationales

L’année maçonnique 2007-2008 a continué d’être marquée par un grandnombre d’activités au titre de l’action extérieure. Les relations étroites avec leSuprême Conseil d’Italie ont conduit à plusieurs rencontres bilatérales, dont cellede Sanremo les 15 et 16 septembre associant les Ateliers des deux Juridictionspuis des Grands Commandeurs à Rome, le 16 mars 2008. Par ailleurs, lescontacts avec les Suprêmes Conseils d’Espagne et du Portugal ont également étél’objet d’un suivi conforme au Traité signé par les quatre Juridictions latines, le28 mars 2007 à Lisbonne, notamment par les participations des dignitaires deces puissances à nos Grandes Tenues ainsi que par des visites de notre part. Avecle Souverain Collège du Rite Écossais pour la Belgique, les réunions bilatéralessemestrielles ont retrouvé leur rythme garantissant la qualité de rapports ancienset solides qui se traduisent, de part et d’autre de la frontière, par des échangesfraternels particulièrement féconds.Les rapports entretenus avec les puissances maçonniques écossaises du reste dumonde ont reflété leur grande diversité. Outre ceux avec les responsablesaméricains du Rite en Californie, en visite à Paris, plusieurs échéances régionalesont permis de souligner notre attachement aux relations fraternelles respec-tueuses des différences, tout en affirmant celui aux principes fondateurs duG∴O∴D∴F∴. Ce fut le cas en Afrique lors des R.H.E.F.R.A.M. à Lomé, enaccompagnement de la délégation du Conseil de l’Ordre, mais aussi en Europede l’Est à l’occasion des deux échéances réunissant successivement à Budapest,puis à Bucarest les Juridictions d’Europe centrale et slaves. En Amérique latine,la conférence organisée par le président du C.I.M.A.S. à Montevideo pour le10e anniversaire de G.O.F.M.U. a permis de rencontrer toutes les puissancesécossaises du sous-continent et de leur délivrer un message, comme de remettrela Grande Patente du R∴E∴A∴A∴au Suprême Conseil de l’Uruguay. DesTraités d’Amitié et de coopération ont, en outre, été signés avec les SuprêmesConseil du Pérou et du Mexique.Sur le plan multilatéral, le Comité scientifique de l’Organisation non gouver-nementale « Société Européenne d’Études et de Recherches Écossaises » a étémis en place avec un concours de FF∴ de notre Juridiction, le 15 mars 2008,et la première Rencontre Euro-méditerranéenne des Hauts Grades Écossais s’esttenue à Turin, sous présidence italienne en présence et avec la participation detoutes les Juridictions Écossaises du Bassin. À noter enfin la décision prise par consensus, sur notre proposition, d’instituer des réunions informelles de « Conseils Européens des Grands Commandeurs » afin de mieux prendre encompte la dimension européenne communautaire de nos activités.

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VII – Colloques

Des ateliers de notre juridiction ont organisé, avec le soutien du SuprêmeConseil, des colloques ouverts aux MM∴ du G∴O∴D∴F∴ ainsi qu’aux FF∴et SS∴ des obédiences amies :– Le 20 octobre 2007 à Marseille : Le Temple, Temple des Hommes, Temple de Dieu.– Le 5 avril 2008 à Paris, 16, rue Cadet : Femmes, hommes, convergences.– Le 17 mai 2008 à Paris, 16, rue Cadet : Transmettre.

VIII – Grand Chapitre de Printemps

– Le samedi 15 mars 2008 à 9 h, les Présidents des Chapitres, ou leurs repré-sentants, ont été réunis et répartis en quatre ateliers de réflexion.– À 14 h 30 le T∴P∴S∴G∴C∴assisté des membres du Suprême Conseil, aouvert les Travaux du Grand Chapitre de Printemps en présence des délégationsdes Juridictions amies avec la participation du T∴Ill∴F∴ Claude Vaillant qui alu le discours du Grand Maître Jean-Michel Quillardet.– Le T∴Ill∴F∴ Jean-Paul Fardet a présenté le rapport de synthèse de laquestion soumise à l’étude des Chapitres.

Gérard Filippi, 33e

M∴A∴S∴C∴

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NÉCROLOGIE

FRÈRES DU RITE ÉCOSSAIS PASSÉS

À L’ORIENT ÉTERNEL

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...................................................................................................................01

Éloge funèbre du T∴Ill∴F∴

MARCEL VASSAL, 33e

M∴H∴S∴C∴

Marcel, mon B∴A∴F∴, mon T∴Ill∴F∴, mon ami,

L’horloge s’est arrêtée. Le sablier de ta vie s’est vidé, les quelques grains de sablese sont entassés dans le bas, la poussière retourne à la poussière sable, terre cendre.Le livre de ta vie s’est refermé avec ton passage à l’orient éternel, un maillonfort de notre Chaîne d’union fraternelle s’est brisé, s’est cassé.Ton départ provoque une lourde peine et une grande tristesse pour tous les êtresqui te sont proches et chers, ta fille Alice, ton épouse Christiane qui t’a accompa-gné avec un grand courage durant ces nombreux mois de souffrance morale etdans tes derniers moments.Il n’y a pas de mot, il n’y a pas de parole pour consoler ton épouse et ta fille

mais nous sommes là, présents à leurs côtés et cette chaine d’union, symbole denotre amitié fraternelle, peut les aider à surmonter leur souffrance.En feuilletant les pages de ta vie, quel magnifique exemple tu as été pour noustous, parents, amis et francs-maçons.Exemplaire, tu l’as été dans ta vie familiale, ta vie professionnelle, dans la cité etdans notre ordre Maçonnique.Après des études de capacité en droit, tu décroches le diplôme pour exercer laprofession d’Huissier mais des contraintes familiales t’obligent à prendre d’autreschemins et tu te lances comme VRP et ensuite comme chef d’agence.Nous t’avons connu comme citoyen engagé notamment dans la résistance, très jeune en août 1943, tu avais 20 ans, tu t’engages comme volontaire de larésistance et tu rejoins l’armée secrète du Grésivaudan, tu as été un homme deconviction et de consensus librement accepté et non imposé avec de hautesqualités morales... ta vie est remplie de droiture, de simplicité, d’humilité, degénérosité, de dignité de respect de l’autre, d’humanisme.Nous avons été très proche et j’ai eu l’occasion de prendre la parole lors de taremise de médaille de 50 ans de Maçonnerie au sein du GODF, le 29 mars 2002,ce fut un moment de fête.

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Le temps marque le passé, le présent, le futur, cette trinité est symbolisée dans lamédaille que nous t’avons octroyée, c’est le lien de la Fraternité et de lasolidarité, c’est le lien de l’anti rupture et le lien entre les générations.La remise de cette médaille maçonnique n’a pas récompensé un acte héroïquemais elle t’a reconnu comme tel en tant que maçon avec ton éthiquemaçonnique, tes valeurs humanistes, ta droiture et la constance dans tesengagements. La médaille trie le bon grain de l’ivraie. Marcel, tu as été initié comme apprenti le 22 juin1952 à l’Alliance Écossaise, logedu GODF par le V∴M∴ Fuzier, reconnu par tes pairs comme tel tu as gravi lesdifférents échelons initiatiques de notre ordre Maçonnique :– Compagnon le 20 décembre 1953– Maître le 19 décembre 1954– Chevalier Rose-Croix le 9 juin1963– Chevalier Kadosch le 19 octobre1969– 31e Grand Inspecteur Inquisiteur Commandeur le 5 septembre 1974– 32e Sublime Prince du Royal Secret le 6 septembre 1977– 33e Souverain Grand Inspecteur Général le 7 septembre 1982.Tu as occupé des responsabilités importantes au sein de notre Ordre maçonnique.V∴M∴ de notre respectable loge l’Alliance Écossaise de 1974 à 1977, ce fut unmoment difficile avec la création de la loge Delgado, et je t’ai donné le cordonde V∴M∴ d’honneur en 1983 aux côtés des B∴A∴F∴ Martin, Bernard,Guérini tous passés à l’Orient Éternel. Tu étais donc encore l’un des quelquespères de l’Alliance Écossaise survivants.Tu as eu la lourde charge de la Présidence du 8e secteur et ton épouse toujoursprésente était là pour t’aider dans la confection des dossiers. Tu es entré au Suprême Conseil de notre Juridiction en qualité de Membre actifle 6 septembre 1988 et tu en as été membre Émérite à compter du 1er janvier1999 et au cours de cette charge, tu as porté le cordon de notre T∴Ill∴F∴(ancien MASC) Charles Piot et maire d’Heybens qui était décédé.Je me souviens de confidences à Nîmes lors du passage à l’orient éternel enjuillet 2001 de notre T∴P∴S∴G∴C∴ Chabanne et tu m’avais donné quelquesconseils précieux, ce fut peut-être l’un des derniers moments de complicité car,quelques temps après, la fatigue et la maladie t’ont empêché d’être présent surles colonnes.Avec l’âge, tu es parti sur la pointe des pieds. Marcel, un maillon fort de notre chaine fraternelle s’est cassé nous essaieronsd’aider ton épouse et ta fille... merci encore pour tout ce que tu as pu faire pournous tous dans cette trop courte vie mais très riche en exemples et actions pour

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la dignité et la liberté... et le plus grand hommage que l’on puisse t’apporteraujourd’hui, c’est honorer ta mémoire dans le respect des valeurs que tu asdéfendues au sein de notre Ordre maçonnique comme l’ont fait d’autres FF∴passés à l’orient éternel.Merci encore pour ton travail, ton exemplarité, merci de nous avoir permisd’être ce que nous sommes dans cet élan de Fraternité qui permet de relever denombreux défis dans la construction de la cité de l’être et la cité de l’homme.Je t’embrasse très Fraternellement, Marcel... au revoir à tout jamais... et non pasadieu.Un vendredi 28 mars 2008,

Gérard Filippi, 33e

M∴A∴S∴C∴

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Pablo PicassoSuite Vollard

D I A L O G U E SC ∴ S ∴ G ∴ C ∴ R ∴ E ∴ A ∴ A ∴ G ∴ O ∴ D ∴ F ∴

LES TEXTES QUI SUIVENTN’ENGAGENT QUE LEURS AUTEURS

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ÉVOLUTIONS HISTORIQUES ET NATIONALES DES IDENTITÉS MAÇONNIQUES.

QUATRE SIÈCLES DE MOSAÏQUES CULTURELLES

1 – Le mythe et l’utopie : les quatre composants communs d’une identitéuniverselle, le crépuscule du rêve de la République des Lumières selon B.Franklin, le cosmopolite. 2 – XVIIe et XVIIIe, l’identité maçonnique éclatée : Écosse, Angleterre, France,Allemagne. 3 – XIXe et XXe, les deux nouveaux facteurs déterminants des États Nations.Le progrès de la sécularisation des consciences religieuses et des Églises vers leslumières positivistes de la Raison. Le Mythe de la Marche de l’Humanité pluséclairée : les Néo-apolliniens contre les pensées nocturnes. 4 – Le concept de mémoire collective du groupe communautaire, première clé explicative du mythe des outils dispersés. J.-R. Ragache, Identité, Mémoire et Histoire. Le rôle essentiel des mémoires collectives dans les constructionsidentitaires. 5 – Le Goethe Rose-Croix de Jung : seconde clé explicative des modèles identi-taires maçonniques.

Pourquoi des identités maçonniques ? Ce pluriel prend acte de l’état fragmen-taire, éclaté, de l’espace social maçonnique pour éviter deux écueils majeurs :l’illusion substantialiste et l’illusion institutionnelle. D’une part, l’intitulé « franc-maçonnerie » recouvre un groupe d’appartenance, dont la forme (plus ou moins institutionnalisée) comme le contenu (croire, rites, secrets) ont changé etchangent encore dans le temps et dans l’espace. De nombreux ouvrages quiprétendent retracer « les trois siècles de la franc-maçonnerie » ont trop tendanceà accentuer l’effet de continuité entre les époques et à minimiser les différences,les transformations et les ruptures.

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1 – LE MYTHE ET L’UTOPIE DE LA MAÇONNERIE UNIVERSELLE DES LUMIÈRES

La relecture de la genèse des identités maçonniques suppose d’abord d’évoquerles constituants d’une pseudo-identité maçonnique universelle : l’utopiephilosophique traverse les loges européennes au siècle des Lumières entreNewton et Voltaire. Ce mythe d’un socle identitaire commun aux francs-maçonsdes Lumières permet de mieux comprendre ce que recouvre concrètementl’initiation. Il n’apparaît pas en tant que tel dans les discours mais il résulte del’étude des récurrences (Michelat, 1975) de cent entretiens semi-directifs et denombreux témoignages publiés (entre autres : Verdun, 1982 ; Mourgues, 1989 et1994 ; Bradfer et Rigollet, 1989 ; Barat, 1992 et 2002 ; Ligou, 1993 ; Béresniak,1994 ; Schnetzler, 1999 ; Bauer, 2001 ; Marion, 2002). Quelles que soient labiographie du franc-maçon et son obédience, quatre caractéristiques reviennentsystématiquement.La croyance en leur propre perfectibilité est au cœur de l’identité des francs-maçons. Venir en loge pour « travailler sur eux-mêmes » est la raison de leurengagement. Cela renvoie à une progression par étapes : apprenti, compagnon,maître et au-delà. Les maçons relient directement leur appartenance à des trans-formations, potentielles ou effectives, de leurs opinions et de leur comportementdans la vie privée et professionnelle, sur le plan affectif, intellectuel et spirituel.Les exemples concrets qu’ils donnent (être à l’écoute des autres, élargir sesconnaissances, donner un sens à l’existence) sont autant de raisons de persévérerdans leur engagement. En ce sens, la croyance en leur propre perfectibilité ne peut pas être confondue avec les déclarations, habituelles dans le cadre del’appartenance associative, sur l’engagement comme volonté d’agir concrètementsur un terrain local (Barthélemy, 2000). La dimension initiatique de leur appartenance explique, selon eux, son caractère« incommunicable ». Comme il implique et transforme les caractéristiques lesplus intimes de la personnalité, le parcours initiatique ne pourrait être résumépar des mots, il serait proprement indicible. Les maçons nomment cetteconversion profonde de l’être le « secret initiatique » ou le « vrai secret » de lamaçonnerie, en opposition avec la pléthore de publications sur les rites. Cette croyance en leur propre perfectibilité est doublée d’une croyance en laperfectibilité de la société. Les discours maçonniques mesurent de manièrerécurrente la distance qui sépare la société idéale et la réalité : d’un côté, avec laréférence aux textes fondamentaux de la démocratie (Déclaration des droits del’homme et du citoyen de 1789, Déclaration universelle des droits de l’hommede 1948, Constitution française de 1958, etc.) ; de l’autre, avec le constat fréquent

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d’une « crise » du monde contemporain sur les plans social, écologique et moral(perte de sens, décadence spirituelle, etc.). Ce décalage entre le droit et le faitengage les maçons à « travailler à l’amélioration de la société », individuellement et/oucollectivement. La référence partagée aux valeurs de liberté, d’égalité et de frater-nité, aux contours imprécis, ne masque d’ailleurs pas les profondes divergencesentre maçons sur les moyens d’y parvenir. Les discours maçonniques présentent fréquemment de manière idéalisée lesmaçons, ainsi que le groupe d’appartenance, restreint (l’obédience et/ou la loge)ou élargi (la franc-maçonnerie): sentiment fort de posséder ou d’approcher quel-que chose que les autres n’ont pas ou plus (la valeur de l’engagement, l’harmonieavec soi-même, un questionnement métaphysique) et caractère exceptionnel dela sociabilité maçonnique (chaleur humaine, fraternité, bonne entente). Demême sont constantes les références à des hommes ou des femmes illustres quiont été maçons, comme Voltaire, même si sa réception se fit à la toute fin de savie, ou Mozart et Goethe, initiés à la Stricte Observance Templière. L’appartenance maçonnique serait extraordinaire, donc incomparable. Pour sedémarquer des tentatives qu’ils croient déceler partout de confondre la franc-maçonnerie avec d’autres formes d’engagement, les discours affirment demanière systématique sa singularité absolue dans le monde « profane ». L’associa-tion maçonnique ne peut être comparée aux groupes politiques, religieux,philosophiques, amicaux, psychothérapeutiques et, a fortiori, sectaires. Inclusif et exclusif, ce double mécanisme d’idéalisation est constitutif du socleidentitaire maçonnique, comme de toute identité englobante. Il reproduit égale-ment la vision dichotomique profane/sacré véhiculée par le rite d’initiation. Undes effets essentiels du rite est bien de « séparer ceux qui l’ont subi, non de ceux quine l’ont pas encore subi, mais de ceux qui ne le subiront en aucune façon et d’instituerainsi une différence durable entre ceux que ce rite concerne et ceux qu’il ne concerne pas »(Bourdieu, 1982, p. 59).

2 – XVIIe ET XVIIIe, L’IDENTITÉ MAÇONNIQUE ÉCLATÉE :ÉCOSSE, ANGLETERRE, FRANCE, ALLEMAGNE

À l’utopie de ce socle identitaire commun universel, il convient d’opposer unepremière évidence factuelle : un premier clivage essentiel est celui des troismonothéismes dès les XVIIe et XVIIIe siècles, le clivage théiste, déiste, agnostique.Ce clivage permet d’affiner le précédent en classant les obédiences en fonctiondu rapport à la religion qu’elles réclament à leurs futurs adhérents. La GrandeLoge Nationale Française requiert de ses membres la proclamation de leur

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croyance en la « réalité du Grand architecte de l’univers qui est Dieu ». Le Cahier dela formation [1999] destiné aux compagnons de la GLNF précise que le théismeimplique la « révélation par les Écritures et la Nature » : « L’Homme n’a pas sa fin enlui-même, mais par Révélation divine » et « l’Homme a été créé à l’image et à la ressem-blance de Dieu ». Le même ouvrage lui oppose le déisme qui « génère le relativisme,le syncrétisme, l’indifférentisme, l’agnosticisme ». La GLNF n’a pas introduit dans sesrèglements la nouvelle interprétation des Landmarks par la Grande Loge Unied’Angleterre qui, au-delà des trois monothéismes chrétien, juif et musulman,reconnaît notamment le sikhisme, l’hindouisme et le bouddhisme. Les obédiences françaises libérales se distribuent quant à elles de l’agnosticismeau déisme. Les unes revendiquent la liberté de conscience (adogmatisme ouagnosticisme) comme principe fondamental. L’invocation au Grand Architectede l’Univers y est facultative. Au Grand Orient de France, au Droit humain, à la Grande Loge féminine de France, à la Grande Loge mixte de France et à la Grande Loge mixte universelle, les options religieuses du postulant ne sontpas prises en compte pour son admission et le futur franc-maçon prête symbo-liquement serment sur la constitution de l’obédience. Les autres obédiences libérales revendiquent leur déisme comme la Grande Logede France ou la Loge Nationale Française : les réunions s’ouvrent et se fermentobligatoirement par l’invocation au Grand Architecte de l’Univers, « expressionsymbolique du Principe Créateur, librement interprétable dans son for intérieur par chacundes membres de l’obédience ». Le serment se prête obligatoirement sur la Bible. À la Grande Loge de France, cependant, le 33e degré du Rite Écossais Ancienet Accepté « identifie formellement le Grand Architecte de l’Univers à Dieu » (Verdun,2001, p. 220-221).Ce clivage entre obédiences détermine pour une large part le sens que donnentles francs-maçons à l’appartenance maçonnique, même s’il ne préjuge ni descroyances effectives ni de leur évolution. L’acceptation ou non de l’initiation des femmes reste en maçonnerie un clivagediscriminant important. La création du Droit humain (mixte) en 1893, puis à la décision de la Grande Loge de France de se séparer de ses loges d’adoptionen 1935 qui aboutit à la création de l’Union maçonnique féminine de Franceen 1945 devenue Grande Loge Féminine de France en 1952, obligent lesobédiences masculines, à prendre position : faut-il reconnaître les obédiencesféminines et mixtes ? Faut-il autoriser l’initiation des femmes dans les obédiencesmasculines ? Au tournant du XXe siècle, ce débat amène en loges à des discoursexplicites contre l’émancipation sociale des femmes (Jupeau-Réquillard, 2000),mais il est le plus souvent retraduit en enjeux maçonniques. Dans les années1890, pour justifier son refus de reconnaître le Droit humain (DH), le GODF

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argue ainsi de sa volonté de préserver ses relations avec la Grande Loge deFrance qui ignore l’obédience mixte, et de la soumission excessive des logessymboliques du DH à son Suprême Conseil. À ces quatre clivages religieux correspondent les quatre clivages des rituelsinitiatiques. Quatre rites principaux sont en usage dans les obédiences françaises.Au sein d’une même obédience, les loges peuvent pratiquer des rites différents.De plus, sous un même intitulé de rite, des variations significatives peuventexister d’une obédience à l’autre et d’une loge à l’autre. Le maçon qui appartient à une loge de hauts grades doit rester assidu dans saloge symbolique, celle où s’acquièrent les trois premiers grades (apprenti,compagnon, maître). Rite Écossais Ancien et Accepté : dans la France des années1750, un rite de perfection composé de vingt-cinq degrés est diffusé puismodifié aux États-Unis dans le dernier tiers du XVIIIe siècle. Là, il prend laforme d’un rite de hauts grades exclusivement (4e au 33e degré). En 1804,Alexandre de Grasse-Tilly réimplante ce rite en France avec quelques nouvellesmodifications sous le nom de Rite Écossais Ancien et Accepté (RÉAA). En1805, Le Guide des maçons écossais formalise ce rite. Le RÉAA est le système dehauts grades le plus répandu dans le monde. Son usage est majoritaire à la GLDF,au DH, à la GLFF et à la GLNF. Au RÉAA, trente-trois grades ordonnent leparcours maçonnique mais tous ne donnent pas lieu à des cérémonies spécifiques(Bayard, 1975 ; Suprême Conseil, 2004). Pour acquérir des hauts grades, le maçondoit être coopté successivement dans une loge de perfection (du 4e au 14e), unchapitre (du 15e au 18e), un aréopage (du 19e au 30e), un tribunal (31e), un consis-toire (32e) et un conseil suprême (33e). Rite français : au milieu des années 1780,le Grand Orient de France formalise le Rite français dans le but de contrer lerite écossais naissant. Paru en 1801, Le Régulateur fixe ce rite de sept degrés quisubit ensuite de nombreuses adaptations. En 1858 (rite dit Murat), en 1886 (ritedit Amiable), en 1907 (rite dit Blatin). En 1938, sous la présidence d’ArthurGroussier, est adoptée une nouvelle mouture du Rite français qui n’évolueraguère par la suite. Toutes versions confondues, le Rite français est le plus pratiquéau GODF, majoritaire aussi à la GLMU et à la GLMF. A la loge symbo-lique s’ajoutent quatre loges de hauts grades (Marcos, 1999). De nombreuxmaçons du GODF suivent le Rite français dans leur loge symbolique et setournent vers le système de hauts grades du RÉAA. Rite Écossais Rectifié : en1782, à l’initiative notamment de Jean-Baptiste Willermoz, la Stricte Observancese transforme en Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte, avec unrite nommé écossais rectifié. Abandonné en France au XIXe, ce rite de tendancechrétienne et mystique est pratiqué de nouveau à partir des années 1910. Il estmajoritaire à la Grande Loge Traditionnelle et Symbolique Opéra, également

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pratiqué à la GLDF, la GLNF, la LNF et au GODF. Aux loges symboliquess’ajoutent les loges de Saint-André, où un maçon peut acquérir les grades deMaître écossais, puis de Maître écossais de Saint-André. Rite émulation : née en1813 à Londres de la réconciliation entre la Grande Loge des Anciens fondéeen 1751 et la Grande Loge d’Angleterre fondée en 1717, la Grande Loge Unied’Angleterre adopte le Rite émulation qui est globalement fixé en 1816. En France, il est notamment pratiqué par des ateliers de la GLNF et de la LNF.Le Rite émulation concerne les loges symboliques mais il existe aussi deschapitres qui délivrent d’autres grades (degrees) : le Royal Arch, complément dugrade de maître, le mark master, continuation du grade de compagnon, etc. Desvariantes y ajoutent des grades d’inspiration chevaleresque : templier, croix rougede Constantin, etc. (Bayard, 1974, p. 79). Un grade (« maître écossais ») supplémentaire à ceux d’apprenti, compagnon etmaître apparaît dans les statuts de 1743, mais il est exclu de tout privilège. Douzeans plus tard, les nouveaux textes de la Grande Loge lui accordent une revancheune préséance : « Les maîtres écossais seront les surintendants des travaux, seuls enpourront corriger les défauts. Ils auront la liberté de parole, celle d’être toujours armés etcouverts et ne pourront être redressés, s’ils tombent en faute, que par des Écossais » (citépar Chevallier, 1974a, p. 82-95 ; p.118-124). Le grade de maître écossais sembleêtre une traduction d’une première version du Royal Arch pratiqué en Angleterre.À partir des années 1740, sont créés petits grades (Maître Parfait, Irlandais,Secret...], grades d’Élus, grades écossais, grades chevaleresques et grades seréférant à l’alchimie et à l’occultisme. Leurs titulaires se réunissent dans deschapitres, collèges ou conseils concurrents et relativement autonomes. Beaucoupde loges possèdent un système de hauts grades qui leur est propre (Saunier, 2000,p. 395-400). La création de degrés supplémentaires permet, au moins dans un premier temps,de redonner une dimension élitiste à un Ordre que la présence des petits etmoyens bourgeois commence, selon certains, à « dégrader » : au tiers état le moinsaisé, les loges à trois degrés ; aux nobles et grands bourgeois, les ateliers de hautsgrades. Mais les premiers revendiquent rapidement les mêmes titres distinctifsque les seconds, cherchant une reconnaissance sociale qu’ils ne trouvent pas dans une société rigidifiée par les ordres. La multiplication des hauts grades serapporte également à un facteur plus trivial : comme elles donnent lieu àrétribution, les cérémonies sont promues par des Vénérables poussés par le profit. Dans ce foisonnement, s’exprime enfin l’attrait pour l’ésotérisme, parfois pourle surnaturel, très en vogue au XVIIIe siècle – tout autant que l’éloge durationalisme – et qui ne trouve pas sa place dans l’Église catholique. Dans desvilles ouvertes aux influences étrangères, de nombreux francs-maçons formalisent

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des systèmes de hauts grades chargés de « mystères » : Jean-Baptiste Willermoz ausein de la Grande Loge de Lyon (reconnue régulière par Paris en 1761), puis ausein de la Stricte Observance Templière, fondée en Prusse en 1756 par le Baronde Hund et qui pénètre en France en 1774 (Hess, 2001) ; Antoine Meunier dePrécourt et Jean-Baptiste de Barailh, à Metz, à l’origine de la diffusion du gradede Chevalier Kadosh inspiré de l’Ordre des Templiers (Naudon, 1966) ; ÉtienneMorin, négociant, maçon actif à Bordeaux et aux Antilles, qui obtient de laGrande Loge en 1761 le droit de « multiplier des maçons dans tous les grades » dansle Nouveau Monde, à l’origine du Rite Écossais Ancien et Accepté de trente-trois grades. En Écosse, Angleterre, France, Allemagne, ces deux siècles de clivages religieuxet politiques ésotériques ne sont intelligibles que comme miroirs fidèles declivages sociologiques produits par les sociétés d’Ancien Régime. On sait eneffet que l’Écosse au XVIIe siècle se distingue par ses loges de métier de maçons,organisée depuis 1599 : les maçons d’une même ville sont rassemblés, au seind’une loge comprenant des apprentis et des compagnons-maîtres. Comme dansde nombreuses professions, l’accès à ces deux grades donne lieu à des cérémonies.

3 – XIXe ET XXe : LES DEUX NOUVEAUX DÉTERMINANTS, LES ÉTATS-NATIONS, LE MYTHE POSITIVISTE DU PROGRÈS DE LA SÉCULARISATION

Cependant ces identités maçonniques éclatées par les clivages politico-religieuxdu siècle des Lumières, avec pour antithèse l’utopie de la Maçonnerie universelleincarnée par B. Franklin à Philadelphie et à Paris, ont surtout leur origine dansdeux facteurs spécifiques au XIXe et au XXe : la montée irrésistible des États-Nations, l’expansion de la révolution culturelle de la laïcisation des consciencespar les Lumières de 1789. L’extrême proximité de l’État et des directionsmaçonniques est confirmée quel que soit le régime. Les moyens de contrôle dupouvoir politique sur les obédiences sont de trois ordres : surveiller les loges parla police et les menacer ou les sanctionner à la moindre dérive politique, jouerdes oppositions entre les deux obédiences, mais aussi influencer, directement ouindirectement, la nomination des dignitaires francs-maçons. Sous l’Empire, Joseph Bonaparte, frère de Napoléon, est élu Grand Maître duGrand Orient de France, et Jean-Jacques Régis de Cambacérès, archichancelierde l’Empereur, à la fois Grand Maître adjoint du GODF et Grand Commandeurdu Suprême Conseil en 1806 (Pinaud, 1996). Napoléon et son entouragecomprennent l’utilité du réseau maçonnique pour s’assurer la loyauté au régime

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impérial, notamment grâce aux loges militaires (plus de soixante-dix en 1814).À Paris et dans les départements, des fonctionnaires civils et militaires sont reçus en nombre (les préfets sont souvent vénérables de loge), ainsi que dessympathisants du régime et des carriéristes (Collaveri, 1982 ; Quoy-Bodin, 1987). Sous Louis XVIII, la grande maîtrise du GODF est déclarée vacante : le frère deNapoléon ne pouvait convenir sous la Restauration. Des membres de la familleroyale et de très hauts personnages de l’État fréquentent les loges, et notammentle ministre de la Police, puis de l’Intérieur, Elie Decazes, Souverain GrandCommandeur du Rite Écossais Ancien et Accepté à partir de 1818, actif militantde la réconciliation des différents courants du Rite écossais en 1821. Sous lamonarchie de Juillet (1830-1848), Charles, duc de Choiseul, Souverain GrandCommandeur du Suprême Conseil, fait allégeance au nouveau roi Louis-Philippe. De 1835 à 1842, le Grand Maître adjoint du GODF est le comteAlexandre de Laborde, aide de camp du roi. À l’aube de la IIe République, le 6 mars 1848, le GODF apporte son « adhésion au gouvernement provisoire ». Cetteannée-là, les obédiences présentent la devise « Liberté, égalité, fraternité » commecelle « qu’a de tout temps portée la Franc-maçonnerie », alors qu’elle l’emprunte à laRépublique (Porset, 1998b). Dix mois avant le coup d’État de Louis NapoléonBonaparte en 1851, le GODF élit au poste de Grand Maître le prince LucienMurat, cousin du prince-président. Au gré des régimes, le nom des ateliers s’adapte (multiplication de loges Saint-Napoléon sous l’Empire, Les Amis des Bourbons sous Louis XVIII), les bustes quidécorent les locaux changent, des fêtes sont organisées au rythme de la vie privéeou publique des dirigeants politiques en place. Les sceaux qui ornent les corres-pondances des obédiences évoluent également : l’abréviation « RF » sous laRévolution, un aigle sous Napoléon et les trois fleurs de lys sous la Restauration.En 1830, le Grand Orient se dote d’un sceau avec des symboles proprementmaçonniques (Ligou, 1981, p. 176-199). Jusqu’à la fin des années 1850, les débats politiques et religieux sont expres-sément interdits par les règlements généraux des obédiences : les comptes-rendusdes activités des loges recouvrent globalement des cérémonies rituelles et deséloges de la vertu, des questions internes comme la place à accorder aux hautsgrades, ou les statuts de l’obédience. « Bon nombre de loges [...] s’agrègent un billard,une chambre de lecture, une bibliothèque, voire un cercle, dans une [...] stratégie dediversification à partir d’un noyau dur puisqu’uni par les liens de l’initiation partagée »(Beaurepaire, 2002c, p. 25). Comme les sociétés académiques et savantes del’époque, quelques loges se préoccupent, à partir de la monarchie de Juillet, dela liberté commerciale et de l’instruction, qui concernent directement la souchede population maçonnique (essentiellement les « couches nouvelles », appelées

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ultérieurement classes moyennes). Dans les faits, cependant, ces études n’ontaucune conséquence pratique. En 1870, le GODF regroupe trois cents loges(environ quatorze mille membres) et le Suprême Conseil quatre-vingts (environquatre mille membres). L’autre facteur décisif de cette mosaïque culturelle du XIXe siècle est la laïci-sation des sociétés chrétiennes sécularisées par les Lumières. Dans le processusde sécularisation qui travaille la société française depuis la fin du XVIIIe siècle,les associations maçonniques offrent un lieu de réaménagement des croyancesreligieuses. Une coalition hétéroclite de déistes progressistes, d’athées modérés,d’agnostiques et d’anticléricaux milite pour tirer les conséquences de l’existenced’une spiritualité proprement maçonnique : elle veut substituer aux référencesexplicites au dieu catholique soit la référence au Grand Architecte de l’Univers,soit, plus tardivement, la seule liberté de conscience. Tant au GODF qu’auSuprême Conseil, la déchristianisation est alimentée par la diffusion des idées deSaint-Simon (1760-1825) et du positivisme d’Auguste Comte (1798-1857)(Nicolet, 1982) par l’adhésion massive des « couches nouvelles » à la maçonnerie(Agulhon, 1977) et par celle de républicains modérés en l’absence de partispolitiques autorisés. Contrairement à la franc-maçonnerie d’Ancien Régime qui réclamait encorede ses membres le baptême, la position du franc-maçon, Nicolas-Charles DesEtangs est significative du déisme qui s’impose tout au long du XIXe siècle : « Dans la maçonnerie, La Mecque et Genève, Rome et Jérusalem sont confondus. Il n’ya ni juifs, ni mahométans, ni papistes, ni protestants, il n’y a que des hommes ; il n’y aque des frères qui ont juré devant Dieu, le père commun de tous, de rester toujours frères »(1815) (cité par Chevalier, 1974b, p.149). Pour parfaire la légitimité de leurgroupe, les auteurs maçonniques revisitent la lignée croyante dans laquelle ilss’inscrivent : la campagne égyptienne de Napoléon en 1799 est ainsi l’occasionde réactiver la thématique de l’Égypte ancienne.En 1849, le Grand Orient se dote de sa première constitution dont l’article 1er

rappelle : « La Franc-maçonnerie [...] a pour base l’existence de Dieu et l’immortalité del’âme ». En 1865, les premières propositions de suppression de cette référence àDieu sont rejetées pour un texte de compromis qui introduit la « liberté deconscience ». En 1877, sept ans après le Grand Orient de Belgique, l’obligationde l’invocation au Grand Architecte de l’Univers est abolie au Grand Orient de France ; il reste donc possible de l’invoquer (Ligou, 1966). Disparaissentégalement les références à Dieu et à l’immortalité de l’âme. Dix ans plus tard,les nouveaux rituels du GODF sont expurgés d’éléments considérés commereligieux : élimination du thème de la purification, simplification de la légended’Hiram, etc.

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En 1869, la section des loges symboliques du Suprême Conseil adopte laréforme de l’article 1er des règlements généraux. La formule « Adoration du Grandarchitecte de l’univers » disparaît mais la guerre de Prusse empêche le vote définitifde la réforme. Alors qu’un groupe de Suprêmes Conseils de plusieurs pays signeune déclaration de principe qui exige des maçons la croyance en Dieu, leConvent de Lausanne qui réunit d’autres Suprêmes Conseils, dont celui deFrance, vote en 1875 un manifeste qui proclame simplement « l’existence d’unprincipe créateur sous le nom de Grand architecte de l’univers ». Tout au long du siècle, les obédiences et les loges concurrencent l’Église sur leterrain de l’action philanthropique et des sacrements. Ainsi sont élaborés, sous la monarchie de Juillet, des rituels d’adoption (forme de « baptême »maçonnique), de reconnaissance conjugale et de pompe funèbre - officialisésdans les années 1880. Surtout à partir de la Restauration sont lancées, à l’ini-tiative des obédiences ou des loges, des actions caritatives contribuant àl’ébranlement progressif de l’encadrement catholique de la charité et à lalaïcisation de l’assistance sociale (Beaurepaire, 2002b) : souscription pour desvictimes de catastrophes naturelles, distribution de nourriture ou d’argent,fourniture de bois aux pauvres, etc. Des structures permanentes sont égalementmises en place : en 1840, au GODF, une Maison de secours mutuels destinée auxmaçons âgés incapables de subvenir à leurs besoins (fermée en 1900 faute depensionnaires) ; en 1862, un orphelinat maçonnique (qui existe toujours au débutdu XXIe siècle) ; une œuvre maçonnique des Invalides du Travail, caisse desecours pour les maçons pensionnaires d’hospices (effective jusqu’en 1940).Cependant, les obédiences françaises n’ont pas les moyens financiers de péren-niser des institutions philanthropiques aux assises solides comme aux Etats-Unisou en Grande-Bretagne. Cette révolution culturelle dans les loges s’exprime par la guerre civile entreanticléricaux et anti-maçons. L’atmosphère fortement conflictuelle de l’établis-sement de la IIIe République radicalise les prises de position des obédiencescontre l’Eglise catholique. Même si elles ne sont pas toujours appliquées dansles faits ou si d’autres viennent les modérer, de nombreuses décisions anti-cléricales, parfois antireligieuses, sont prises par les assemblées générales :interdiction de faire figurer sur les cordons maçonniques des emblèmes religieux(1885) interdiction pour les membres du Conseil de l’Ordre du GODF d’êtreprésents à des obsèques qui auraient « un caractère confessionnel quel qu’il soit »(1891), etc. Sans compter les nombreux vœux émis par les assemblées généralesdu GODF et du Rite écossais sur des questions de société : séparation des Egliseset de l’État, abrogation de la loi Falloux qui autorise depuis 1850 la créationd’écoles secondaires confessionnelles, rétablissement du divorce, etc.

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Cette révolution culturelle dans les obédiences et le rite s’exprime aussi par lapolitisation des républicains après 1871. Que recouvre cette politisation ? Lesobédiences des loges et des maçons accompagnent la dynamique démocratiqueen s’engageant en tant que tels dans l’espace public pour soutenir un gouver-nement, appeler à voter pour un candidat à une élection ou transmettre despropositions aux parlementaires. Au détriment de la dimension initiatique, denombreuses loges donnent la priorité à la dimension politique de l’appartenancemaçonnique : création d’ateliers et recrutement sur des critères explicitementpartisans, discussion en loge de sujets exclusivement politiques et sociaux. Enfin,élus ou anciennement élus, les hommes politiques sont surreprésentés aux postesde direction des loges et des obédiences.

4 – LE CONCEPT DE MÉMOIRE COLLECTIVE DE LA COMMUNAUTÉ SPIRITUELLE

La première clé explicative des identités maçonniques, selon J.-R. Ragache, le concept de mémoire spécifique des communautés spirituelles. À la lumière de la sociologie des mentalités de J.-R. Ragache qui souligne le rôle essentielde la mémoire collective dans les constructions identitaires des communautésspirituelles, participer à la vie d’un groupe, c’est aussi adopter une mémoirespécifique. Pour ce grand expert de l’histoire du Grand Orient de France, danssa riche analyse des rapports essentiels entre identité française, mémoiresnationales, et histoire de la République de 1789, J.-R. Ragache remarque quecette mémoire est d’abord issue de l’histoire individuelle de chacun au sein dela loge et de l’obédience et commence avec l’initiation. Celle-ci est souventprésentée comme incommunicable, et donc indicible. Le sentiment, les impres-sions que l’on en tire, sont purement personnels et le tempérament de chacun,sa personnalité, confèrent à la cérémonie des significations très différentes. C’estdonc le souvenir par excellence, car ressenti plutôt que réfléchi, en fonction deson passé et donc de son identité. C’est pourquoi la Franc-maçonnerie a instituéles impressions d’initiation, qui sont le premier travail accompli en loge parl’apprenti, présenté devant les membres de l’atelier, et qui seront la seule occasionpour le nouveau maçon de s’exprimer pendant la durée de son apprentissage.Ceci fait aussi partie de son intégration au groupe. Mais l’initiation étantcommune à tous les maçons quelle que soit leur ancienneté, elle forme le terreaucommun d’une même expérience vécue. Cela va-t-il créer pour autant unemémoire collective ? Toute institution se doit de se créer et de pérenniser unemémoire collective, une variété de leurs expériences qui est enrichissante car

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elles nuancent les points de vue. Les francs-maçons ont aujourd’hui commepôles de référence, pour les plus anciens, le Front Populaire et la Seconde GuerreMondiale, pour de moins anciens, la Guerre d’Algérie et Mai 1968, pour les plusjeunes, peut-être 1981 et les mutations actuelles. Tout ceci donne à chacun uneapproche différente des problèmes et ceci peut se ressentir dans les discussionsen loge. À l’affectivité déterminée par l’événement vécu personnellement, vonts’ajouter la rationalité et l’objectivité imposées par le sentiment collectif, avec lamultiplicité des points de vue. Pour l’institution, certains événements, certainesépoques deviennent des pôles de référence, qu’ils soient attractifs ou répulsifs.Ainsi, tout au long du XIXe siècle mais surtout sous la IIIe République, lapériode de référence est la Révolution de 1789 que les maçons annexentd’ailleurs assez facilement comme étant leur œuvre ainsi que les en accusaientleurs adversaires. Ceci est encore renforcé par l’adoption par la DeuxièmeRépublique en 1848 du triptyque « Liberté, Égalité, Fraternité », adopté l’annéesuivante par la Grand Orient de France. À l’inverse est considéré commetotalement négatif et comme un contre-exemple politique, le coup d’État du 2 décembre 1851 et l’établissement de l’Empire en 1852. À la fin du XIXe siècle,la fragilité de la république naissante impose que l’on insiste dans les discourssur la nocivité d’un régime issu du renversement d’une république. Aujourd’hui,l’affaiblissement des principes républicains et la résurgence d’idées extrémistesde droite, réactivent la mémoire de la période de la Seconde Guerre Mondiale.C’est donc le régime de Vichy qui présente cette fonction de rejet. Maisl’identité du groupe ne peut se fonder uniquement sur des faits négatifs mêmes’ils sont fréquemment évoqués lors de conférences, de colloques ou demanifestations commémoratives. Ces référents événementiels ne forgent pas pour autant la mémoire collective.Il faut pour cela que les souvenirs, vécus ou transmis, reviennent de façonrépétée et soient considérés comme spécifiques de l’institution avec pour baseun aspect affectif et symbolique importants. Car la mémoire active, entretenuepar l’institution, est le plus souvent « sacralisante », religieuse au sens large. Ellesert à unifier le groupe par des ancêtres communs, des mythes identiques. Dansun ouvrage écrit en 1825, Les Cadres sociaux de la mémoire, le sociologue MauriceHalbwachs, mort en déportation en 1948, écrivait que la mémoire collective « ne conserve pas le passé, mais elle le reconstruit à l’aide des traces matérielles, des rites, destraditions qu’il a laissés », et aussi à l’aide de la période républicaine qui précèdela guerre de 1914-1918. Il y a chez les Maçons, tout au moins ceux du GrandOrient de France dont l’obédience est la plus ancienne, un sentiment de filiationdirecte entre la Troisième République et eux-mêmes ou tout au moinsl’institution à laquelle ils appartiennent. Ce régime apparaît comme exemplaire

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dans la mesure où l’on gomme ses aspects les moins réjouissants comme lecolonialisme ou la répression brutale des mouvements sociaux, ou encore lacorruption associée à l’hypocrisie sociale et enfin la condition féminine infério-risée. Néanmoins, cette République française s’était construite et avait réaliséune œuvre immense avec d’ailleurs l’appui de la Maçonnerie nationale influentependant la période. Cette époque peut donc servir de référence à la mémoirecollective maçonnique et aucun maçon français ne peut renier ce temps decombat pour établir le maillage républicain du pays jacobin, conforme auparadigme de l’État napoléonien, dont les loges maçonniques du Grand Orientseront le vecteur idéologique pendant toute la durée de l’Empire, essaimant danschacune des capitales de l’Europe continentale, de Bruxelles à Berlin. Pour J.-R. Ragache, cette mémoire « religieuse » se doit d’avoir une liturgie, c’estla commémoration. Notre époque en est surchargée, comme si dans l’incapacitéde nous projeter dans l’avenir nous n’avions comme seule consolation que denous abîmer dans la nostalgie d’un hier aux couleurs riantes. L’État et la sociétécivile nous offrent nombre de ces manifestations de toute nature. Il n’est pasd’année sans qu’un personnage ou un événement historique ne renaissent deleurs cendres. L’anamnèse, c’est-à-dire le rappel à la mémoire, est un exercice deplus en plus pratiqué. Est-ce l’abandon des fêtes religieuses où l’on sortait poursa promenade annuelle le saint protecteur du lieu comme on le fait aujourd’huipour les vieilles dames lors des fêtes des Mères ? Est-ce le dépérissement de cesgrandes manifestations symboliques comme le 1er mai ? Est-ce volonté politiquede focaliser sur des événements passés encore porteurs d’idéologie ? Est-cevolonté d’historiens plus ou moins professionnels pour qui c’est l’occasiond’avoir un important titrage d’ouvrages historiques qui sans cela n’auraient qu’unsuccès d’estime ? Toujours est-il qu’il faut néanmoins être reconnaissant enversces commémorations qui permettent parfois de sortir de l’oubli des personnagesdignes de notoriété ou des faits porteurs de grands principes. Ceci est d’autantplus essentiel dans notre pays où la République a la mauvaise habitude de sélec-tionner ses souvenirs, occultant ce qui lui déplaît, et notamment ce qui diviseles Français. Ainsi, les guerres de Vendée, la Commune de Paris, les mutineriesde 1917, le régime de Vichy ou la guerre d’Algérie se sont vus longtempsdérobés au regard de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Bien sûr laFranc-maçonnerie n’est pas en reste. Elle accompagne ces cérémonies par sespropres rappels à la mémoire ce qui paraît logique pou 1848 dans la mesure oùVictor Schœlcher était franc-maçon, et pour la Déclaration Universelle dontl’inspiration maçonnique – Henri Laugier qui assistait René Cassin dans larédaction était un frère – est parfois apparente.

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Selon J.-R. Ragache, il y a aussi les commémorations spécifiques qui ontcommencé à fleurir depuis une quinzaine d’années : ce sont les anniversaires decréations de loges (bicentenaire, centenaire, cinquantenaire... tout est bon). Lamanifestation est programmée deux ou trois ans à l’avance. Chacun a une tâchebien précise, des commissions se réunissent pour régler les détails pratiques. Laloge bourdonne comme une ruche. Il n’est rien comme ce travail commun, avecun objectif précis et un terme connu, pour souder une équipe qui s’appuie surun passé de plus en plus familier à mesure qu’il se découvre. Et il ya les archives,et les anciens de la loge qui ont des souvenirs d’autant plus précis qu’ils sontlointains. Le jour de la cérémonie arrive en présence des dignitaires de l’obé-dience. Elle consiste en une évocation de l’histoire de la loge sous des formesdiverses, un rappel des frères disparus et bien sûr un banquet de clôture.Généralement, ces anniversaires s’accompagnent de la vente de souvenirs divers :historique de la loge, diplôme, médaille ou assiette commémoratives. La mani-festation ayant occasionné des frais, il faut les vendre. Pour les esprits mercantiles,généralement trésoriers de la loge, recommandons les médailles et les assiettesqui sont généralement du meilleur rapport qualité-prix pour le vendeur commepour l’acquéreur. Mais hors de tout cela, c’est ici que l’on s’aperçoit que l’atta-chement du maçon français et républicain, au-delà de l’obédience, va surtout àsa loge. C’est là qu’il puise l’affectivité qu’il recherche et qui est encore renforcéepar ce passé commun où le sentiment de cette chaîne qui relie les hommes lesuns aux autres à l’intérieur d’un même cadre familier. Cette mémoire collectivese forge donc dans le temps mais aussi dans l’espace. La loge et ses membres sontle milieu de mémoire, le temple est le lieu de mémoire. Non pas un lieu sacréou que certains auraient tendance à sacraliser, mais un lieu qui prend unedimension symbolique active lorsqu’il est habité au sens le plus fort du terme. Au-delà de la mémoire, magique, subjective, qui sacralise, il y a nécessité d’unevision plus large du passé, ce qui implique l’intervention de l’Histoire nationalequi va laïciser ce passé en rationalisant les événements. D’abord parce que lesconceptions historiques ont évolué au cours du dernier siècle. À une histoireévénementielle, causale et linéaire qui ne retenait que les faits bruts le plussouvent de nature militaire ou politique, ont succédé des interprétations mar-quées sans doute par les idées marxistes, ce qui a donné une teinte économiqueet sociale à l’histoire et par Freud qui a sans doute joué un rôle dans le dévelop-pement de l’histoire des mentalités. En même temps, l’histoire ne s’appuyait plussur le document exceptionnel mais devenait quantitative, c’est-à-dire travaillaitsur des séries de documents individuellement sans intérêt mais dont l’importancequantitative déterminait la problématique de la recherche.

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Selon J.-R. Ragache, les faits passés n’existent que par des discours qui lesconstituent. Dans ses rapports avec l’histoire, les Franc-maçonneries présententun intérêt certain par l’aspect mythique qui a caractérisé le récit de leursorigines. Lors de leur naissance sous leur forme actuelle au début du XVIIIe

siècle, les Maçonneries manquaient visiblement de garants et d’ancêtres. Œuvrehumaine, ne se référant à aucune transcendance, à aucun pouvoir, elle se devaitnéanmoins d’être fille de bonne famille pour être admise dans la société et attirerdes hommes de bonnes conditions. Elle devait s’inventer une filiation héroïqueet idéologique de qualité. C’est ainsi qu’à partir des Constitutions d’Anderson,on trouve dans sa corbeille de baptême : les Templiers, le Gnostique, les Pytha-goriciens, les Pharaons, l’Empereur Frédéric II Hohenstaufen, sans compter lessouverains bâtisseurs. Cela permettait à chaque maçon de faire son choix dansce conglomérat particulièrement riche. L’ancienneté des origines seule comptait,de même qu’elle était essentielle dans les dynasties royales. Pour les Franc-maçonneries, le jour où l’on avait découvert que le premier maçon était Adam,dont le tablier devait sans doute avoir la forme d’une feuille de vigne, la recher-che des origines s’était bien sûr arrêtée. Les frères étaient flattés de se retrouveren si bonne compagnie, et leur satisfaction n’allait pas s’arrêter puisque, pendantlongtemps encore, c’est ce type de quête qui allait se poursuivre, continuant àétablir des listes de maçons supposés ou réels. Ceci était d’ailleurs l’œuvre aussibien des maçons eux-mêmes que de leurs adversaires les plus acharnés quiprouvaient ainsi que les francs-maçons étaient partout où se produisaient desmouvements de déstabilisation politiques ou sociaux. La proximité idéologique de certains acteurs du passé fait que beaucoupsouhaiteraient voir des personnages célèbres de l’histoire faire partie de leursrangs. En fait, ce sont les idées qui comptent. En sont-ils porteurs ? Sont-ils lesvrais intermédiaires entre la réflexion et l’action politique ? Par exemple, sous laIIIe République, si l’on excepte Jules Ferry, Léon Gambetta et quelques autres, la plupart des hommes politiques maçons furent des seconds couteaux. LesClémenceau, Waldeck-Rousseau, Jaurès, Briand ne le furent pas. Et pourtant lesidées maçonniques, elles, passèrent dans les réalités. Donc à la fierté d’appartenirà la même obédience que le grand homme, mieux vaut se targuer de l’actionpermanente et en profondeur des maçons porteurs de rêves et réalisateurs deprojets. Au-delà de l’étude des hommes et des grandes actions, il est aujourd’huitemps d’étudier les identités maçonniques à travers l’optique actuelle de larecherche historique. On peut faire appel à l’anthropologie, à l’ethnologie,notamment en ce qui concerne les rapports de ces Maçonneries avec lessymboles.

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5 – GOETHE, ROSE-CROIX, OU LE PHÉNIX PERPÉTUEL : LA SECONDE CLÉ EXPLICATIVE DES MODÈLES IDENTITAIRESMAÇONNIQUES

Autant qu’une sociologie de la mémoire collective spécifique à chaquecommunauté spirituelle, à chaque maçonnerie nationale, il convient d’ajouterune deuxième clé explicative de ces identités éclatées depuis quatre siècles dansl’Occident ethnocentrique, figée dans la conviction de la supériorité de cesvaleurs pseudo-universelles, selon la logique coloniale des Grecs exportant leLogos comme seul modèle d’accès à la Vérité contre toutes les autres formes depensée des Barbares, elle est celle de C. Jung lecteur de Goethe, Rose-Croix :En effet pour – C. Jung, c’est dans l’œuvre de Goethe et notamment dans Lesannées d’apprentissage de Wilhelm Meister, que l’on peut noter les trois axes d’uneréflexion cosmique, typiquement rosicrucienne : une foi en la permanentetransformation du Tout en Un et du Un en Tout, la croyance en un rythmepolaire qui détermine toute métamorphose, l’admiration envers la nature (micro-cosme et macrocosme), reflet de la vie universelle en évolution progressive,lyrique et rythmique. Goethe, c’est d’abord, bien entendu, « Goethe-Faust », lephénix perpétuel. Mais aussi grâce au personnage de Makarie, le Sage, le Rose-Croix, (dans Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister) Goethe se définit lui-même comme rosicrucien prestigieux, maître en ésotérisme... Ainsi, Makarieexalte « Le Ciel étoilé au-dessus de moi ; la loi morale en moi ». Par ailleurs, dans sonpoème des Geheimnisse, déjà cité, Goethe évoque un ordre monastique quisemble être une sorte de synthèse des Templiers, de la Rose-Croix, de la Franc-maçonnerie et de la confrérie du Saint-Graal.Ne cessant jamais de parachever sa propre image, son personnage, son propremythe, Goethe, en fait, se rêve dépositaire d’une Tradition ontologique. Ne dit-il pas, quelques jours avant sa mort, à son confident: « Qui suis-je? Qu’ai-je créé ?J’ai tout reçu, tout accueilli, assimilé tout ce qui passait à ma portée. Mon œuvre est celled’un être collectif qui porte ce nom Goethe » ? S’il est un initié qui a tenté follementde rassembler ce qui est épars, c’est bien lui. Et il estime, par exemple, unZacharias Werner (1768-1823) parce qu’il souhaite concilier christianisme etmystères maçonniques dans une forme supérieure de religion universelle. Bien sûr, Jung – et pas seulement en lisant Faust – suit les mouvements de lapensée de Goethe, son ambition. Il gardera toute sa vie ce souci de compréhen-sion holistique de l’Universel, et cette façon étonnante de forger de son vivant sapropre figure. De plus, il aura cette fierté tout allemande qui le subjugue chezGoethe.

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Si ce Goethe Rose-Croix de Jung doit être considéré comme modèle identitairedans les rites éclatés, cultures nationales, des quatre siècles de l’Occidentdominateur des huit cultures religieuses mondiales, la force explicative desmasques identitaires portés par chacun des héros mythiques depuis Hiram, estsurtout ce concept clé d’individuation : en effet pour Jung, au-delà de la questionde savoir si l’individuation est une initiation, et l’initiation un processusd’individuation, il s’agit à nos yeux de reconnaître que les deux démarchesévoquent une méthode de régénération de l’individu à partir d’une certaineprise de conscience, de remise en jeu de ses comportements pulsionnels etsociaux, de reconnaissance d’une situation nouvelle, d’une renaissance, d’unengagement, corps et âme, vers un renouvellement progressif de la personnalité,d’une renovatio mundi (une re-création).Le profane qui demande l’entrée dans le Temple maçonnique et le patient quidemande l’entrée dans une analyse jungienne le font l’un comme l’autre au nomd’un certain sentiment d’incomplétude, d’inachevé douloureux, qu’ils portenten eux-mêmes, au secret de l’être au monde. Je suis né à telle date, dans tel lieu-dit, dans tel ou tel environnement parental, sorti du ventre de ma mère etpourtant, je ne suis pas si sûr de mon propre « je » dans la société où j’évolue etme débats. Je ne m’y retrouve pas toujours et j’éprouve souvent une nostalgiede cette incompréhension de moi-même qui handicape mes potentialitésd’action et brouille mes pulsions de vie, ma libido, ce dernier mot étant choisiici pas seulement dans un sens « freudien », et donc sexuel du terme, mais dansle sens plus large d’élan vital, selon l’idée de Jung qui fâcha tant Freud, justement.

Pierre Besses 1

Ouvrages cités :• J.-Robert Ragache, Vous avez dit Franc-maçon ? Avant et après la Révolution

de 1789, les identités maçonniques françaises. Les Presses littéraires (2008). Chapitre 8.

• J.-Luc Maxence, Jung est l’avenir de la Franc-maçonnerie, Editions Dervy, 2004. Chapitre XI « Un phénix perpétuel ».

• René Le Moal et Georges Lerbet, La Franc-maçonnerie : une quête philosophiqueet spirituelle de la connaissance. A. Colin (128. Spiritualités, DL 2005).

• Sébastien Galcéran, Les franc-maçonneries. Repères. La Découverte (2004).

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1. Lumières et Fraternité Albi (Rite Écossais). Tradition et Progrès Pech-Bonnieu (Rite écossais)L’identité maçonnique en questions : janvier 2009. ITEM.

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• Michel Maffesoli, Au creux des apparences. Pour une éthique de l’esthétique. Plon (1990 ; 3e édition 2004). Chapitre 7 : « De l’identité à l’identification ».

• Alain Gérard, La Franc-maçonnerie au risque de la modernité. Préface de Charles Porset. ITEM (2000).

• L’identité, séminaire dirigé par Claude Lévi-Strauss (1974-1975). P.U.F. (1977).

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01

UNE LECTURE D’HAMLET DE SHAKESPEAREPAR UN CHEVALIER KADOSH

Pourquoi Hamlet et le 30 e grade ?

Que nos rituels aux différents grades puisent dans le terreau nourricier dujudéo-christianisme, de la tradition chevaleresque ou templière, et y assurent leursocle, est un fait admis et accepté. En revanche, il me semble que l’apport de lapensée grecque du siècle de Périclès, des œuvres des grands Tragiques, et leurhéritage recueilli par les humanistes de la Renaissance, ont été trop rarement etdiscrètement évoqués.Aussi me suis-je penché sur d’autres références possibles du rituel du 30e gradeen relisant, en Kadosh, le Hamlet de Shakespeare ; j’ai eu l’heureuse surprise d’ydécouvrir non seulement des parentés étonnantes entre les mots de notre rituelet ceux du chef-d’œuvre shakespearien, mais aussi, parmi d’autres exemples,l’équivalent du psychodrame d’Hiram, point de départ essentiel de notredémarche initiatique.Dans la scène 2 de l’acte II, le jeune prince Hamlet vêtu de noir (comme unKadosh), fera rejouer par des comédiens le meurtre de son père, scène primitive,dirait Freud, et traumatisante, dont le héros va chercher réparation (et nonvengeance) durant cinq actes. Il cherche, non sans mal, à AGIR, comme en cegrade d’action qu’est le 30e. Et ces derniers mots qui nous sont connus :

« Sagesse, science, conscienceGénérosité, pureté, vigilanceSavoir, comprendre, agir »

L’admirable personnage shakespearien pourrait parfaitement les reprendre à soncompte. « The rest is silence », dit-il avant de mourir. Je suis tenté, en écho, dedemander « pourquoi ce silence ? » et nous croyons réentendre la poésie même deShakespeare dans le texte de notre rituel : « la nuit devient moins obscure. L’aube etle silence sont favorables à la méditation. Puisque voici l’aurore, notre vigile peut prendre

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fin ». Ne retrouve-t-on pas là l’ouverture du drame où, sur les terrassesd’Elseneur, les amis d’Hamlet ont monté la garde pour surprendre l’apparitiondu spectre ?Dans la scène 2 de l’acte II, Hamlet auditionne, comme un metteur en scène,un vieux comédien qui lui joue la douleur d’Hécube à la mort de Priam. Restéseul, il exprime ses réflexions sur le théâtre et sur sa propre conduite : (1)

« Oh, quel rustre je suis, quel ignoble esclave !... »

Ce monologue est le plus long de ceux que profère Hamlet et est déterminantdans l’intrigue du drame. Sans doute est-il le plus important pour Shakespeare.Apparemment moins philosophique que les autres, il reflète la pensée du dra-maturge sur l’importance du théâtre comme outil pour accéder aux véritésfondamentales. Chaque fois qu’Hamlet est seul, il fait un pas de plus dans la recherche de savérité existentielle et la reconstruction de son être après le traumatisme initial.Un pas de plus pour s’assumer, par la vengeance – ou la réparation ? – Maiscomme un Chevalier Kadosh, il n’entend se servir que d’ « armes pures ». Existent-elles, ou ne sont-elles qu’un oxymore impossible ? De là l’attente et laprocrastination du Héros. Ces armes sont peut-être les mots « qui traduisent lapensée », comme dit Shakespeare. En fait, Hamlet répugne à tuer son oncle, cequi serait pour lui tuer une deuxième fois le Père. Lorsqu’à la dernière scène iltue Claudius, c’est parce qu’il a découvert sa traîtrise. Hamlet se bat loyalementdans le duel qui l’oppose à Laërtes. Mais Claudius a empoisonné les épées. JamaisHamlet n’a songé à se servir du poignard noir, ni du blanc. Il mourra, pur dansses intentions, comme un Cathare, comme un Kadosh.

Ce que l’humaniste Shakespeare fait dire à son héros

Ici Hamlet s’accuse, se déprécie, s’injurie et se reproche avec véhémence sonimpuissance à agir, à ne pas suivre le précepte « Fais ce que dois ». Il va jusqu’à setraiter de putain, celle qui décharge son cœur en paroles trompeuses et falsifiela vérité. Or les églises, au temps de Shakespeare, condamnaient les comédienset les comédiennes en les assimilant aux prostituées. Les femmes n’avaient pasaccès à la scène ; les hommes tenaient les rôles féminins, et étaient doncdoublement putains.Paradoxalement, Hamlet rend honneur et déférence aux acteurs et demandepour eux les plus grands égards, car ils sont l’abrégé, la chronique concise de l’époque.Shakespeare, auteur, acteur, et chef de troupe remet le théâtre à sa plus haute

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place, en humaniste subversif. Le théâtre révèle ce qu’il y a de plus haut dans lacondition humaine. Quatre siècles plus tard, Louis Jouvet, magnifique hommede théâtre et théoricien éclairé, dit à peu près : « Les hommes, ayant conscience dumystère de leur existence, ont inventé le théâtre ». Shakespeare, après les Tragiquesgrecs, pense que le théâtre « est un miroir à la nature ». Dans Hamlet, le théâtre sera« le piège pour prendre la conscience du roi », ce roi Claudius spectateur du canevasinventé par Hamlet.Freud a nommé le processus psychanalytique « l’autre scène ». L’inconscient estl’autre scène de la réalité apparente. Hamlet se fait donc acteur, spectateur,metteur en scène, en faisant jouer aux comédiens le meurtre d’Hamlet père. Et cela pour trouver la vérité, la lumière, la justice. Comme l’écrit André Green,psychanalyste et spécialiste de Shakespeare, « le miroir du théâtre a besoin de l’acteurpour réfléchir au spectateur sa nature. Mais rien ne peut éviter que le spectateur ne projettesur l’image que le théâtre lui présente sa propre réflexion » (2)

Cette mise en abyme du théâtre dans le théâtre nous éclaire, nous Francs-maçons,sur la place véritable et essentielle de la représentation du mythe d’Hiram dansnotre progression initiatique et notre méthodologie. C’est en cela que ce mono-logue de l’acte II m’a paru capital. On avait vu jusqu’à ce moment un Hamletdésemparé, caustique, mélancolique, tourmenté et révolté, jouant la folie pour débusquer la vérité, comme Érasme dans son Éloge de la Folie. Ici, Hamlettombe le masque et se révèle vrai, humain, lucide et attendri par ces chevaliersde l’illusion que sont les acteurs. Derrière le personnage, c’est l’humanisteShakespeare qui parle pour dire que le théâtre est un relais essentiel dans la quêtede la vérité. Ce que le poète Aragon appellera « le mentir vrai ».En conclusion, il m’est apparu que nos rituels sont très redevables au proces-sus complexe et mystérieux de l’acte théâtral que Louis Jouvet n’a cesséd’interroger. (3)

Jean-Jacques Dupont

Bibliographie :(1). Traduction de Yves BONNEFOY, Club français du Livre, tome 7Shakespeare, œuvres complètes(2). André GREEN : Hamlet et Hamlet (Seuil)(3). Louis JOUVET : Réflexions du comédien (Nouvelle Revue Critique, 1938) ;Écoute mon ami (Flammarion, 1952) ; Témoignage sur le théâtre (Flammarion,1952) ; Le comédien désincarné (Flammarion, 1954)

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GRANDE LOGE DE PRINTEMPST E M P L E A RT H U R G RO U S S I E R – 1 4 M A R S 2 0 0 9

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01

COLONNE D’HARMONIE

Prélude à la cérémonie :• Extraits de symphonies de Joseph Haydn (1732-1809)

Entrée du T∴P∴S∴G∴C∴ et du S∴C∴ du R∴E∴A∴A∴:• Johannes Brahms (1833-1897) : Concerto pour violon et orchestre (2e mouvement)

Ouverture des Travaux :• Antonin Dvorák (1841-1904) : Symphonie no 9 (Nouveau Monde) (Largo)

Interlude :• Antonin Dvorák : Suite américaine (Andante con moto)

Entrée des délégations amies :• Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Romance no 1 en sol, pour violon et orchestre

Après l’allocution du T∴P∴S∴G∴C∴ :• J.-S. Bach, orch. Arthur Honegger : Fugue BWV 545

Mise en place des rapporteurs des trois thèmes du matin :• Franz Schubert (1797-1828) : Mélodie hongroise en si mineur

Après les trois rapports :• Luigi Boccherini (1743-1805) : Passa Calle

Après le rapport de la question à l’étude des Loges de Perf∴ :• Jules Massenet (1842-1912) : Thaïs (Alexandrie)

Sortie des représentants des obédiences amies :• César Franck (1822-1890) : Sonate pour violon et piano (Finale)

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Entrée de la délégation du Conseil de l’Ordre du G∴O∴D∴F∴et de son Président :• Felix Mendelssohn (1809-1847) : Paulus (Ouverture)

Sortie de la délégation du Conseil de l’Ordre du G∴O∴D∴F∴et de son Président :• Carl-Maria von Weber (1786-1826) : Le Freischütz (Ouverture)

Sortie du T∴P∴S∴G∴C∴ et du S∴C∴– Sortie générale :• Jean-Sébastien Bach (1685-1750) : Cantate BWV 34« O ewiges Feuer, O Ursprung der Liebe » (Début)

Le quatorzième jour du premier mois de l’an 6009 de la V∴L∴, soit le samedi 14 mars 2009 E∴V∴

Pour tout renseignement concernant l’œuvre, le compositeur ou les références d’enregistrement, s’adresser au F∴ Jean-Claude JACQUET,Bibliothèque André Doré, 16 rue Cadet, 75009 Paris

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DISCOURS DU T∴P∴S∴G∴C∴POUR L’OUVERTURE DE LA TENUE

DE LA GRANDE LOGE DU PRINTEMPS 2009

C’est sans enthousiasme particulier que je vois propulsée la Franc-maçonnerieà la une des magazines. Nous avons choisi les Lumières, pas la lumière car si lesLumières sont éclairantes, la lumière est aveuglante. Hier elle était divine,aujourd’hui elle est médiatique. La brutalité de la révélation et du miracle a étéremplacée par le calme de la réflexion et de l’étude.Un monde chaotique à l’actualité inquiétante, un monde à la fois marqué parl’opacité et par la transparence, un monde visible et illisible, un monde insigni-fiant c’est-à-dire semblant manquer de sens : voila notre lot.Nous sommes, selon la formule de Max Weber, dans un monde désenchanté.Ce désenchantement correspond au déclin de la religion. Le ciel s’est vidé desdivinités et s’est rempli d’étoiles.Au cosmos ordonné par les dieux a succédé la législation de l’univers par leshommes.Mais en même temps que se développait ce désenchantement qui pouvaitsignifier le triomphe de la raison, il y avait déconstruction de cette même raisonpar les philosophes du soupçon, Kierkegaard, Nietzsche, Marx, Freud, qui nientune possible liberté de l’homme. Les forces productives, l’inconscient, tout celadirigeait nos vies. Pour Schopenhauer, notre vie n’a pas de sens et seul l’art peutcombler le vide de notre existence ; pour Kierkegaard, nous passons à côté duréel, pour Nietzsche, les idéaux forgés par l’homme pour donner sens à leur vieconnaissent leur crépuscule.Tous ceux qu’on a appelés les philosophes du soupçon, ces dé-constructeurs,nous laissaient démunis et déconcertés après la base solide que nous avaientdonnée les philosophes des Lumières où la foi en la raison et dans le progrès, oùla confiance en l’homme, un homme régénéré, étaient, excusez-moi du terme,notre credo.Albert Camus pouvait écrire : « Dans un avenir soudain privé d’illusions et delumières, l’homme se sent un étranger. Cet exil est sans recours puisqu’il est privé de

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souvenirs d’une patrie perdue ou de l’espoir d’une terre promise. Ce divorce entre l’hommeet sa vie, l’acteur et son décor, c’est proprement le sentiment de l’absurdité ». On trouvecela dans le mythe de Sisyphe. Quel pessimisme !Tout ceci signifie une crise de ces principes de Lumières sur lesquels nous avionsfondé notre système de pensée. De ce fait, la réalité est de plus en plus difficile à déchiffrer. À cela s’ajoute une désorientation générale. Au XVIe siècle, sièclede l’humanisme, de la remise en cause des dogmes, le Bien et le Mal, notionsimposées, étaient remplacés par la notion de valeurs mais ces valeurs se révélaientrelatives : la relativité des valeurs, voire leur relativisme, entraînaient la naissanced’interprétations conflictuelles.Nous manquons d’une grille de lecture car notre conscience est aujourd’huimétisse. Nous vivons dans un monde d’indétermination, de fragmentation. Nousvivons dans le sporadique, l’éclaté, le contradictoire.La crise des Lumières a entraîné le rejet de la « modernité » avec ses grands récitsidéologiques ou religieux. Et la postmodernité domine aujourd’hui, une post-modernité avec son délire identitaire, ses revendications ethniques, religieuses,une résurgence de la superstition concomitante avec la technologie la plusavancée.Les sectes sont là pour consoler les naufragés de l’esprit qui ont besoin decertitudes et de vérités absolues aux dépens d’un minimum de rationalité.Dans ce magma, que peut et que doit être notre rôle ?Ce qui rend notre tâche malaisée aujourd’hui c’est justement cet abandongénéral des principes des Lumières.Tocqueville disait : « Le passé a cessé d’éclairer l’avenir, l’esprit de l’homme erre dansl’obscurité ». Notre devoir est donc le maintien d’une tradition et donc d’unetransmission. Nous formons une longue chaîne de savoirs et de compréhensions.Mais si nous suivons René Char qui disait « Notre héritage n’est précédé d’aucuntestament » il faut que cette transmission, sans être transgression, soit toujours êtrepensée en fonction du monde environnant et ô combien changeant ! N’oublionspas que, si nous pouvons imaginer avoir une influence sur la société humaine,nous devons compter aussi avec son influence sur nous-mêmes.Mais la tradition ne suffit pas, si elle éclaire notre avenir, elle doit étayer notreprojet.Il est d’abord celui de notre progression personnelle, mais non dans un butégoïste, puisque cette perfectibilité doit être mise au service de nos contempo-rains. Car, si nous sommes des hommes de réflexion, des penseurs, nous sommesaussi des passeurs, c’est-à-dire que nous devons avoir un rôle pédagogique pouraider les hommes à élucider le monde, à développer une herméneutique du réel.La Franc-maçonnerie doit être centre de ressources de sens. Elle est idéologique,

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au sens premier du terme inventé par notre F∴ Destutt de Tracy, de science desidées, mais aussi culturelle. Elle doit donc donner à penser.À l’explication à tentation dogmatique, il faut substituer l’interprétationrationnelle et libre.Averroes, au carrefour des inspirations juives, chrétiennes, musulmanes, ne disaitrien d’autre : dans Le Discours décisif, il exposait la nécessité du commentaire destextes sacrés, et la laïcité, c’était alors le processus de légitimation du commen-taire qui mettait le sacré religieux à distance. Certes, il est plus facile d’êtredogmatique que d’être symbolique et donc notre tâche est plus difficile. Maiselle est exaltante car elle nous fait creuser pour arriver au sens, sans être pourautant des fossoyeurs d’idées.Le rituel d’initiation du 4e nous dit « La Franc-maçonnerie vous aide à sortir du pays d’ignorance, de préjugés, de superstitions et vous éloigne ainsi de la servitude et del’erreur. ». Et plus loin : « Vous déciderez vous-mêmes de vos pensées et de vos actions etne confondrez point les mots et les idées. Ne vous payez pas de mots ».Quelle mise en garde mes FF∴! Surtout à une époque où le parler vrai estsouvent une autre forme de langue de bois.Alors envers et contre tout, gardons espoir et optimisme. Saint-Exupéry disait :« Les pierres n’ont point d’espoir que d’être autre chose que pierres. Mais de collaborer,elles s’assemblent et deviennent temple. »Cette phrase me semble convenir parfaitement à la journée que nous vivonsensemble, journée riche qui permet ces rencontres où l’affectif le dispute à laréflexion.Je terminerai par une citation supplémentaire, encore une, mais elle m’a séduit lejour où visitant le musée Fabre de Montpellier et contemplant les toiles dupeintre Soulages, je me remémorais cette phrase de lui : « C’est ce que je fais quim’apprend ce que je cherche ». Alors soyons chercheurs et acteurs mes FF∴ !

Jean-Robert Ragache, 33e

T∴P∴S∴G∴C∴

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GRANDE LOGE DE PERFECTION 2009 RAPPORT DE SYNTHÈSE

« L’art vit de contraintes et meurt de liberté ». Le Maître Secret qui pratique l’ArtRoyal promet d’être obéissant et fidèle. Dans quelle mesure est-il libre ?

LA RÉCEPTION DU SUJET PAR LES LL∴ DE PERF∴

111 synthèses sur 169 LL∴ de Perf∴ nous sont parvenues.Ainsi qu’il est écrit dans une des synthèses, la tradition a été respectée, à savoir :« Un F∴M∴, fût-il membre d’un At∴ Sup∴ commence toujours par critiquer laformulation de la question qui lui est posée. Notre At∴ ne saurait déroger à une si belletradition. » Rassurons-nous : une telle approche critique est assez souvent parta-gée ; les qualificatifs ne manquent pas pour dénoncer le sujet proposé : farfelu,provocateur, bizarre, absence de logique entre les deux affirmations et l’interpellation,association de concepts sonnant étrangement. Le florilège est abondant ; j’en extrairai...la quintessence : « Pour quelle raison occuper les Maîtres Secrets avec une telle... nonpréoccupation ? En quoi une telle question contribue-t-elle à faire progresser l’Huma-nité ? En quoi la réflexion sur une telle question contribue-t-elle au perfectionnementintellectuel du sujet qui s’y attelle ? De façon plus souriante et non dénuéed’humour, plusieurs comptes-rendus font part de la satisfaction ( ?) de FF∴dedevoir se colleter chaque année, potaches vieillissants, à ce bon vieil exercice,bien français, qu’est la dissertation.Oui, des FF∴ se sont trouvés déconcertés mais, ainsi qu’ils le prouvent, nondésarmés et la qualité de nombre de travaux le démontre amplement. De plus, – et ce n’est pas une surprise – ce sont, le plus souvent, les At∴les plus contesta-taires, les plus frondeurs qui offrent les contributions les plus fécondes. Au point que j’oserai, à titre tout à fait personnel, avancer cette suggestion : nedevrait-on pas proposer des sujets de plus en plus mal libellés afin de susciter desréponses de plus en plus riches et argumentées.

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Au demeurant, ce sujet était-il mal libellé ? Certes non, avancent plusieursMM∴SS∴qui nous disent, qu’une fois la surprise passée, ils ont trouvé parti-culièrement intéressante cette rencontre entre le profane, l’artiste, et le M∴S∴.Sujet original, est-il dit, qui nécessite recul pour mettre sur le chantier d’unemême étude Art, Art Royal et Rituel du 4e grade. Autre point de vue : la question,en plaçant l’Art comme vecteur d’analogies entre l’expression artistique et l’expressioninitiatique, qui plus est en regard du contenu du 4 e grade, affine la problématique sur lasingularité et l’indépendance de cette ascèse vers la perfection. C’est donc le paradigme quisous-tend l’Initiation Maç∴ qui est soumis à la critique ou, pour le dire autrement : « Le M∴S∴, comme l’artiste, se déterminent-ils librement et en toute objectivité ? » Jecite encore : Voilà un triptyque surprenant certes mais qui, parce qu’il nous « bouscule »appelle de notre part des réponses autres que le « prêt à penser ». Enfin, par la questionposée, il ne s’agit de rien moins que de notre vie dans le libre engagement de notre viemaçonnique. Pour terminer : « Cette question est une bonne question, propre auR.E.A.A., qui tend vers la conciliation des inconciliables. »L’ensemble des contributions offre une remarquable arborescence selon queladite citation entraîne acquiescement ou rejet ; à partir de cette alternativeintervient alors une seconde démarche, double également dans le parallélismereconnu ou non entre l’artiste et le M∴S∴. Vient alors se greffer sur cecheminement textuel la comparaison retenue ou rejetée ou nuancée entre l’Artet l’Art Royal. Enfin, ces réflexions conduisent à des réponses, ces dernières trèsconvergentes sur l’obéissance et la fidélité du M∴S∴.Un tel parcours a donc permis d’aborder des thèmes ou des concepts aussi...simples... que : l’Art, la Liberté, le Libre-arbitre, La Fidélité, Le Devoir, Le Rituel,chacun d’eux, ayant déjà fait au cours des temps et pouvant encore faire l’objetde bien des réponses et de bien des questions.Méritent également d’être soulignées les précisions lexicales, toujours bienvenues, qui, en bien des pl∴visent à mettre en évidence les marges parfois ténuesexistant entre des termes comme « obéissance, allégeance, serment » ou « obligation etcontrainte », une parfaite définition évitant toute approximation.

LA CITATION

Parfois ignorée... « Nous eussions souhaité que l’auteur soit cité » a-t-il été indiquépar ailleurs...Trois noms ont été avancés : Camus, Gide et Michel-Ange. Soyons précis. La citation – on a parlé de sentence et d’apophtegme – est de Camus dans saconférence du 14 décembre 1957, prononcée dans l’amphithéâtre de l’université

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d’Upsala, quatre jours après son discours prononcé, selon la tradition, à l’Hôtel de Ville de Stockholm à la fin du banquet qui clôturait les cérémonies del’attribution des prix Nobel. Elle figure à la page 62 de l’ouvrage intitulé Discoursde Suède publié chez Gallimard en 1958, Camus soulignant son emprunt à Gidelequel dans L’évolution du théâtre – Journal, feuillet 11 avait écrit : « L’art naît decontrainte, vit de lutte, meurt de liberté ». Par ailleurs, cette dernière citation était,elle, le sujet d’épreuve de culture générale du concours 2004 d’admission dansles écoles du service de santé des armées, sections médecine – pharmacie… Menssana donc.À la source d’une telle conception artistique, Michel-Ange.Il convient de souligner la date, 1957 ; la guerre froide est là ; l’engagement del’artiste est requis. Pourquoi donc ces propos qui semblent relever du paradoxe ?Plusieurs pl∴ enrichissent ce qui pourrait devenir une anthologie de lacontrainte en Art : Valéry, Théophile Gautier et le poème Art, tiré d’Emaux etCamées. Et Proust en quelques lignes de Combray de La Recherche…

L’ART

Le mot et la chose ne sont pas inconnus en F∴M∴ ; nous les avons rencontréssur un des cartouches du grade de Comp∴.Il serait péremptoire, il est impossible, dans le cadre de ce compte-rendu d’oserrésumer une étude de l’Art, de son histoire, de ses écoles, des disciplines ettechniques concernées, toujours évolutives. Impossible et regrettable car lesexemples cités ont été nombreux, pertinents, allant de l’Égypte pharaonique etde la Grèce antique à l’art le plus contemporain en passant par le classicisme, lebaroque, les impressionnistes, le cubisme, etc.Un détour par l’étymologie – nous sommes toujours friands d’étymologie –s’avère utile pour notre travail : si nous savons que le mot vient de l’accusatif du latin ars, artis, nom féminin à valeur très générale, signifiant « façon d’être », il est nécessaire de remonter plus en amont à la source même : elle est indo-européenne et nous réserve quelques surprises : « °er-,°ar » va donner entresautres le latin ritus, d’où « le rite », le grec ari-thmos, « nombre > arithmétique »,et encore le latin armus signifiant… « le haut du bras », d’où « arme » et ar-tisprécédemment nommé ; merveilleuse promenade lexicale en parfaite adéquationavec notre sujet ! Chacun pourra retrouver ces données dans Le Robert,dictionnaire historique de la langue française, d’Alain Rey.Souvent cités, base de la scolastique, les arts libéraux – trivium et quadrivium –qui, au Moyen Age définissent l’Art pourront nous intéresser quant aux règles

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qui les régissent et aux contraintes qui en découlent mais non quant à unparallélisme possible avec l’Art Royal.Il semble donc nécessaire par rapport à la question posée de nous limiter à unedéfinition. Sans doute, pourra-t-on s’entendre sur la notion de « Beaux-Arts »,recouvrant peinture, sculpture, architecture, gravure, parfois musique et danse.Cependant, une telle approche ne serait que superficielle. Plusieurs contributions ont tenté d’analyser le pourquoi de l’Art. L’Art, est-ildit, s’insère dans une faille. Se donner à l’Art, c’est construire avec l’existant unexistant nouveau qui, en quelque façon, exorcise l’artiste. Sans doute y a-t-il dansl’Art, pour l’artiste, un culte de la lucidité dont la matière n’est pas uniquementle monde mais la métaphore du monde. Nous éclaire alors ce caractèreprofondément humain de l’Art, « plus fort que le pessimisme et plus divin que la vérité », nous dit Nietzsche. Ainsi l’Art pourra être « antidestin et métamorphose »selon Malraux : antidestin car, naissant de la conscience de notre finitude, il estdépassement de cette condition d’être mortel ; métamorphose car son sens setransforme en fonction du contexte historique, religieux, idéologique et enfonction de la personnalité unique de l’individu. L’expression artistique apparaîtcomme la première manifestation du chaos intérieur de l’homme, manifestationdisciplinée, organisée et ordonnée : par là, l’homme affirme sa présence aumonde. Présence, certes mais présence tissée de variations : le langage de l’artchange avec les civilisations ; il n’y a pas d’Absolu et d’Universel en Art. Mais n’y aurait-il pas aujourd’hui une certaine confusion entre « art » et « esthétique » – du grec aisthesis, sensation ? Cette notion, est-il dit, voit le jourau siècle des Lumières avec l’ouvrage de Lessing en 1776 mais, en fait, lephilosophe allemand Alexander Baumgarten avait fait paraître Aesthetica en 1750,premier ouvrage à porter explicitement ce titre. On parlera alors de « goût »,chacun recouvrant alors la possibilité, la liberté d’ « aimer » ou de « ne pas aimer » une œuvre. Oui, « aimer » ; voici que les sentiments empiètent sur lejugement. Et nous entendons Marcel Duchamp : « Le grand ennemi de l’Art, c’est lebon goût. »

L’ART EST LIBERTÉ

Spontanément, le commun des mortels s’oppose à l’assertion de Camus. Laliberté n’est-elle pas la condition indispensable, sine qua non, de l’émergence del’art ? L’art n’est-il pas jaillissement, fruit du désir ? Sera-t-il académique qu’ildépérira ! L’artiste n’est pas un laborieux et les artistes qui obtiennent une boursepour passer un an ou deux à la Villa Médicis n’ont pas la réputation de sombrerdans la stérilité.

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Et, dussent en périr les mânes de Michel-Ange, Paul Valéry, André Gide et Camus... lacitation est creuse, stupide, ridicule... Stérilisants sont les diktats prosodiques ; et mêmeGeorges Perec et ses sympathiques contraintes oulipiennes (tel le lipogrammeen « e » de La Disparition) ne trouve pas grâce ! Non seulement l’art est « appeld’air » selon Breton mais, plus encore, il est révolte. Ecoutons Benjamin Péret : « Le poète ne peut être reconnu comme tel que s’il s’oppose par un non-conformisme totalau monde où il vit ». Que de ruptures en art! En un joyeux mélange, on a citéBerlioz et sa Symphonie fantastique, Stravinsky et son Sacre du Printemps, La TourEiffel, Les Fleurs du mal, Les Demoiselles d’Avignon… et Schoenberg et Boulez...Faut-il d’autres auteurs à l’appui de cette thèse… libertaire ? : « La liberté de l’artistedoit être totale ; on ne peut être artiste sans être complètement libre ». Belle déclarationd’indépendance ! Certes, cette citation n’est pas d’un philosophe reconnu,comme tel à ce jour ; elle est de Carla Bruni et je laisse à celui qui l’a transmisela responsabilité de son commentaire : « On peut être séduit par une liberté totale de l’artiste mais il faut alors assumer le risque de devenir un moderne avatar de bouffondu roi. »Pourtant, au-delà de la boutade, c’est la liberté de l’artiste face aux dictatures, à l’asservissement qui est en jeu.Le glissement sémantique est d’importance ; il va maintenant sous-tendre laréflexion. Peut-on mettre sur le même plan les contraintes propres à unediscipline et celles que subit un créateur ? À ceux qui demandent si Soljenitsyneaurait écrit Une journée d’Ivan Denisovitch sans le goulag, on opposera Picassofuyant le franquisme pour réaliser son œuvre. Paris a été capitale des arts carrefuge pour ceux qui ne supportaient plus les carcans de leur pays : jazzmenfuyant le racisme, Henry Miller le puritanisme... Plus près de nous, sont nommésNazim Hikmet, Driss Chraïbi, Aimé Césaire...Mais plusieurs voix s’élèvent. Ne tendons-nous pas à trop idéaliser l’art et l’artiste ? Combien est-il de créateurs, auteurs, compositeurs pour lesquels l’artest et n’est qu’un marché, courant après subventions et commandes, prêts à toutpour vendre et se vendre. N’y eut-il pas de tout temps des artistes courtisans, à lasolde des puissants, porteurs de couronnes ou de tiares ?Par ailleurs, diront certains, peut-on encore parler d’Art, à la vue de certainesréalisations contemporaines, dites conceptuelles, productions parfois scatologiqueset excrémentielles ? La provocation plus qu’outrancière ne séduira que le snobou le gogo, lesquels peuvent ne faire qu’une seule et même personne…

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ART ET CONTRAINTES

Avant de trancher sur le fait de savoir si l’art vit de contraintes, toutes lessynthèses mettent évidence les contraintes que tout artiste rencontre.Résumons-les : Il est des contraintes propres à la matière même, bois, marbre,pigments, formes et couleurs, supports, lexique, règles harmoniques, etc. Il estdes contraintes propres à la personnalité même de l’artiste, obsédé parfois parcertaines hantises que l’éducation ou la morale lui ont appris à réprouver ;éléments prohibés que la censure exercée refoule dans l’inconscient. Encore etsurtout contraintes ou pesanteurs idéologiques, politiques, sociales, religieuses. Elles existent ces contraintes. Cependant, l’ensemble des rapports va dans unmême sens et sont souvent cités : Bergson, « Le vivant est ce qui tourne les obstaclesen moyens » et Deleuze, « L’artiste est celui qui transforme les contraintes en moyens decréation ».Comment, en cet instant, ne pas citer Racine qui, disciple d’Aristote, se joue dela règle des trois unités. Et retrouvons une fois encore André Gide, cette fois dansPoétique, Ides et Calendes : « L’art commence à la résistance, à la résistance vaincue. Aucunchef-d’œuvre qui ne soit laborieusement obtenu. » L’histoire de l’art est jalonnée descandales... Est-ce parce qu’aujourd’hui, la scénographie, transformant l’espace, estplus présente que la statuaire, que la sculpture n’existe plus ? Le théâtre a-t-ildisparu avec La Cantatrice chauve ou La Leçon ? L’art participe de l’émancipationmais chacune des contraintes auxquelles se sont soumis des Delacroix, Van Gogh,Malevitch ou Matthew Barney contenait en creux leur liberté d’expression.Ainsi, nous y reviendrons, la liberté n’existe que conquise. C’est l’idée qu’avanceSpinoza au début de l’Éthique, idée selon laquelle la liberté est le pouvoir d’êtresoi-même « cause de son être et de ses propres actions » alors que la contrainte consisteà être et agir en étant déterminé par autre chose que soi-même.

L’ART ROYAL

Les définitions ont été nombreuses. Définitions empruntées aux auteurs de référence que sont pour beaucoup RenéGuénon, Oswald Wirth, Jules Boucher, Robert Ambelain… Subordonné à « l’ArtSacerdotal », pour René Guénon, art des constructeurs, sous l’égide de Salomon,pour Oswald Wirth, maçonnerie transcendante à rapprocher de « l’eau régale »des Alchimistes pour Jules Boucher, art de bâtir en soi-même un nouvel hommepour Robert Ambelain. Pour Daniel Berezniak, il invite à découvrir ce qui estétrange, prometteur dans la réalité.

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Notons que, dans le texte de 1723 des Constitutions d’Anderson, l’art royaldésigne l’architecture ou la géométrie. L’Art Royal représenterait donc l’ensembledes sciences libérales et de la géométrie en particulier ; voilà, affirme-t-on, quinous invite à une rigueur de réflexion égale à celle qui préside à l’établissementde ces lois.Mais, au-delà de ces données, les réponses apportées tendent vers une mêmedésignation : l’Art Royal, c’est la F∴M∴ ou plus exactement la pratique de laF∴M∴, même si plusieurs FF∴disent ne l’avoir guère entendu prononcer avantle 4e grade. C’est donc une méthode s’appuyant sur des rituels contraignants quipermettent une maturation, une évolution, une progression de l’individu et dugroupe, une démarche de libération et d’épanouissement, balisée de repères etde symboles et qui œuvre à écarter les conditionnements, contraintes et dogma-tismes de toutes sortes, qu’ils soient religieux, sociaux, culturels ou psychiques.Plus intensément encore, par l’Art Royal, s’opère une véritable transmutationsur le chemin initiatique. Dans l’Art Royal, à la différence de l’Art, on essaie degommer les aspérités de l’ego. Le moule de l’ego brisé, la matière se trouvespiritualisée. L’Art Royal s’apparente donc à une démarche libertaire ; l’Art Royalne serait-il pas un existentialisme maç∴ ? ou, dit autrement, la construction,l’élévation de notre temple intérieur, incommunicable puisque travail sur soi-même? Que ces mots ne soient pas qu’un cliché, qu’ils ne soient pas que lasimple rhétorique du dépassement de soi : il s’agit bien du devenir, de notredevenir.

CES DONNÉES NOUS ACHEMINENT VERS LA COMPARAISONPOSSIBLE ENTRE ART ET ART ROYAL, ARTISTE ET M∴S∴ ET, À PARTIR D’UNE LECTURE DE NOTRE RITUEL, À LA LIBERTÉ RÉELLE OU SUPPOSÉE DU M∴S∴

Et si l’artiste et le M∴S∴ étaient bien proches l’un de l’autre ? Rappelons-nousDiderot et son Paradoxe sur le Comédien : l’acteur accepte les contraintes de sonrôle, de son personnage, du texte et de la mise en scène ; le M∴S∴ accepte, luiaussi, les contraintes textuelles et la scénographie du rituel.Allons donc, cette comparaison ne tient pas : l’artiste est un créateur solitaire,enfermé dans une quête qui lui est personnelle ; le M∴S∴, par l’Art Royal, seconstruit en groupe, avec et par ses FF∴et ce afin de construire le monde.Cependant, est-il objecté, cette solitude de l’artiste n’est-elle pas inexacte ? Larécente exposition Picasso et ses maîtres montre à quel point Picasso, déstructurantet recréant, s’est inspiré d’illustres devanciers, Delacroix, Vélasquez, Goya, Manet,

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Le Titien. Et l’exemple de Picasso, on le sait, n’est pas unique ; les plus grands,dans tous les arts, se sont d’abord nourris d’apports antérieurs.Quant aux démarches elles-mêmes qui conduisent, l’une à la découverte del’Art, l’autre à celle de l’Art royal, ne sont-elles pas très voisines ? Certes, il estdes familles, à commencer par Léopold à l’égard de Wolfgang, qui ont imposéune « carrière » à leur progéniture mais, le plus souvent, il y a chez l’artiste une « vocation », au sens premier du terme, un appel. Le F∴M∴ et plus encore leM∴S∴ qui a voulu progresser n’a-t-il pas, d’une certaine façon, ressenti lui aussiune forme d’appel, « insatisfait » qu’il était, – le rituel nous le dit – dès le débutde l’initiation, « du mot sacré qui lui fut transmis lors de son élévation au 3e grade. »

Nous pourrions poursuivre ce jeu dialectique. On perçoit ce qu’il auraitd’artificiel. Ce qui différencie « Art » et « Art Royal » apparaît de façon éclatante lorsqu’audébut de l’initiation au 4e grade, le T∴F∴P∴M∴déclare : « Le grade de M∴S∴est le symbole d’une ascèse intérieure devant provoquer une évolution spirituelle menantà la compréhension élargie de la notion de Devoir. » Ascèse intérieure, oui, qui joueun rôle moteur, déclencheur pour un développement spirituel de l’être. Enquelques travaux, se référant à Guénon, il sera dit que, par l’Art Royal, l’hommese hisse au niveau d’une certaine divinité.Il convient, comme cela a été souligné, de mettre en évidence le rôle du Temps.Les métaphores quelque peu éculées ont cependant leur raison d’être : parcours,chemin, progression avec retours, boucles et itérations. Pour le M∴S∴, le tempsest ce grand sculpteur dont parle Marguerite Yourcenar. Le rituel d’initiationfourmille de ces indications temporelles marquant le présent et plus encorel’avenir : verbes au futur de l’indicatif : « Vous ne forgerez plus, vous déciderez, vousvous efforcerez, etc. », adverbes et locutions : « Toujours, en toutes circonstances, à chaqueheure de notre vie... ». Si le profane a souvent le souci de l’immédiateté, de l’instantprésent, le M∴S∴, lui, s’inscrit dans la durée, ou, ainsi qu’il est dit, dans un futurriche d’avenir.Enfin, et peut-être est-ce l’essentiel, par l’Art Royal, le M∴S∴ cherche la Vérité,celle nous dit le rituel qui « réside dans l’inaccessible et l’inconnaissable ». Or, il n’estpas de vérité en Art. On a même, parfois, défini l’Art en tant qu’apparence, entant que mensonge... Dira-t-on que Chopin est plus vrai que Bach, et Modiglianiplus vrai que Rembrandt ?Sans doute n’a-t-on pas encore suffisamment parlé des contraintes auxquellesdoit faire face le M∴S∴, et que chacun a mentionnées. Elles ne sont pas minceset leur mode d’énonciation n’offre aucune issue. À ce M∴ guidé dans une semi-obscurité, symboliquement, le Sceau de Salomon clôt les lèvres tandis qu’avec

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force s’abattent sur lui nombre d’impératifs. Jamais, jusqu’à ce grade, le verbe nes’est fait aussi tranchant. On a relevé l’aspect « performatif » de ces verbes enempruntant la notion au linguiste anglais Austin, auteur en 1962 de l’ouvrageHow to do things with words, traduit en 1970, au Seuil, sous le titre : Quand dire c’estfaire. Ecoutons- les ces ordres : « Ne vous payez pas de mots. N’accordez à quiconqueune confiance aveugle. Respectez toutes les opinions mais ne les déclarez justes qu’après enavoir fait vous-même un examen approfondi. Ne profanez pas le mot « Vérité ». Oui,en cette cérémonie d’initiation, la parole est acte ; nous ne sommes plus avec lesjongleurs de mots ou autres rhétoriqueurs. Nous ne jouons pas avec les mots.En ces instants, disons avec Louis Lavelle que « la pensée est élevée à la dignité dulangage ». Et si, parvenu à l’issue de son quatrième voyage, le F∴ n’avait pas bien comprisà quoi il va s’engager, voici que, par trois fois, sur un mode quasi-shakespearien,éclate l’anaphore : « Malheur... Malheur... Malheur... » Le poète peut se permettrede nous leurrer avec les signifiants, le T∴F∴P∴M∴, lui, évite toutes lesconfusions du langage. Il énonce une règle de vie. C’est donc en pleine connaissance de cause que le nouveau M∴S∴, prêtant sonobligation s’entend dire « je m’engage par serment… », puis, une nouvelle fois, « jem’engage » et enfin, « je promets et je jure ». Trois substantifs : engagement, serment,promesse. Un verbe : jurer. Quel champ lexical ! Et dans quelques instants, Le F∴Insp∴ lui dira qu’il lui appartient d’être obéissant et fidèle.Se pose donc la question : dans quelle mesure le M∴S∴ est-il libre ?Face à cette somme d’impositions, qu’en est-il de la liberté du M∴S∴? À quelleaune se mesurera-t-elle ? La réponse est identique, sous des modalités différentes.À l’aune de sa conscience. D’une conscience libre. Souvenons-nous. C’était àl’orée d’une nouvelle vie. Après avoir frappé à la porte du Temple, nous étions,un instant, genou à terre. En position serve. Un vénérable M∴S∴ nous fitrelever. Il ne nous serait plus jamais demandé de nous agenouiller. Déjà,solennellement, la liberté nous était conférée, proclamée. Et, ainsi qu’il est écrit,non en innocence arrogante mais comme humble fierté d’une charge nouvelle. Oui, une charge mais lucidement acceptée. Sachant que cette liberté que certainsdisent « par défaut » peut être énoncée en suivant la pensée de Sartre : « noussommes condamnés à être libres ». Et, posons à nouveau la question : « quelle est lamesure » de cette liberté ? Elle réside avant tout, vous l’avez affirmé, dans l’accepta-tion du Devoir. Non plus de devoirs mais du Devoir, mot clé de ce 4e grade :Devoir aussi inflexible que la fatalité... aussi exigeant que la nécessité... impératif commele destin. Qu’on les écoute bien ces comparaisons ; elles font frémir. Nous sommesembarqués, au sens pascalien. Le Devoir est la grande loi de la Maç∴. Soyonsclairs : le devoir est une obligation morale, un impératif qui s’impose à nous et

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que nous devons respecter. Fort bien. Mais il convient de s’interroger sur cetteinstance qui peut imposer ces règles. Pour Kant, et c’est la voie qui nous est icitracée, obéir au Devoir, c’est la liberté même puisque c’est le choix de notreraison. Cette loi du Devoir est, si j’ose dire, une idée... récente, une idée... moderne. Nesoyons pas étonnés si, en perspective avec les impératifs précédemment cités,nous retrouvons les deux piliers de la morale kantienne tels qu’indiqués dans laCritique de la Raison pratique (1788) : désintéressement et universalité. La liberté,ainsi conçue, devient vertu de l’action désintéressée, souci de l’intérêt général.Là est le Devoir. Le M∴S∴, le M∴S∴ du R∴E∴A∴A∴ a bien les pieds sur terre. Ce n’est pas dans les Cieux qu’il cherche la Parole Perdue. Ne nousest-il pas dit au cours de cette initiation : c’est dans le tumulte de la cité que noustenterons de faire notre Devoir ? Plaignons ceux qui, ainsi que le dit le Rituel,cherchent à raccourcir la grande route du Devoir en prenant des sentiers et qui s’égarentdans le labyrinthe de l’erreur.Dans le tumulte de la Cité. Nous savons, parfois insuffisamment sans doute, d’unpeu trop loin peut-être, les drames et les injustices de ce monde. Cette exigencedu Devoir, elle n’est pas exercice solitaire, elle est exigence d’Altérité. Ainsi quele dit Emmanuel Lévinas dans Difficile Liberté – et le titre de cet ouvrage pourraitêtre celui de nos travaux – l’Autre m’appelle, l’Autre me convoque. Serons-nousà l’heure au rendez-vous ? Levinas dit que nous arrivons toujours en retard.Rousseau a été souvent cité ; l’auteur du Discours sur l’origine et les fondements del’inégalité parmi les hommes, de 1755, devançant Sartre sur les concepts d’essence etd’existence, illustre, en effet, parfaitement notre sujet lorsqu’il écrit dans DuContrat social : « L’impulsion du seul appétit est esclave, l’obéissance à la loi qu’on s’estprescrite est liberté ». Engels le dit autrement : « La liberté, c’est la nécessité comprisedu Devoir ».« Obéissants et fidèles » certes. Pourtant souvenons-nous du Discours de la ServitudeVolontaire d’Etienne de La Boétie ; il l’a écrit à 18 ans, en 1548 ; il est toujoursactuel. Obéissance et fidélité peuvent – nous le répétons – devenir sources detyrannie s’il y a oubli de la règle, oubli de la légitimité de celle-ci.Le M∴S∴a accepté la règle ; il ne la subit pas. Dits à la fermeture des trav∴parle F∴Insp∴, les deux qualificatifs semblent en suspens, comme en attente decompléments. N’est-ce pas mieux ainsi ? Plusieurs réponses sont venues, toutescomplémentaires : obéissants et fidèles, à nos engagements, à notre Devoir, à notreconscience. Il n’y a pas antinomie entre cette obéissance qui n’est pas le perindeac cadaver des Jésuites et notre liberté, elle-même toujours en devenir, conquêtepermanente et toujours menacée. La liberté comme fruit d’un incessant effort.La liberté comme combat avec soi-même afin de tenter de faire face à notre

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chaos intérieur. Et c’est alors, ainsi que l’écrit Vladimir Jankélévitch que « l’actelibre apparaît comme un acte inspiré… par le génie de ma personne, par ce foyer centrald’où jaillissent les actions libres. »Peut-on même encore parler d’obéissance puisque, assumant l’héritage de latradition qu’il perpétue, c’est à ses propres obligations que se plie le M∴S∴.Elles ne portent plus alors le nom de contraintes. On a fait référence au talmud babylonien : l’hébreu utilise les trois mêmesconsonnes pour écrire « HaRouT » « gravé » et « HéRouT », « liberté » deux notionsapparemment antithétiques. Il s’avère, à la réflexion, qu’être vraiment libre, c’estretrouver la loi gravée au fond de soi et adhérer ainsi à sa propre identité.

Conclure est difficile. Nous avons observé les différences existant entre l’artisteet le M∴S∴. Nous observerons cependant que, pour l’un et l’autre, dans unprocessus de construction, de création, contrainte et liberté ne sont pas deuxabsolus mais deux relatifs qui se répondent, qui se concilient. Notre point de départ fut la métaphore de la contrainte artistique qui engen-drerait une liberté de création. N’illustre-t-elle pas à merveille la quête initiatiquedu M∴S∴ ?L’Art, au sens ancien, c’était le métier, la pratique du métier. Métier... Travail...Devoir... Un fil à suivre, un chemin à suivre. Rappelons-nous Lucky, dans En attendant Godot de Beckett. Pauvre Lucky ! Souvenons-nous : il ne déposejamais ses bagages. Comme lui, dans sa recherche de la Vérité, le M∴S∴ ne posejamais ses bagages.

J’ai dit.

Pierre AurejacM∴A∴S∴C∴

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COMMISSIONS DE RÉFLEXION ET CONCLUSIONS SUR LES GRADES

DE PERFECTION

RAPPORT DE LA COMMISSION No 1thème : la formation des Maîtres Secrets

Les deux commissions qui avaient pour mission de réfléchir, sous la présidencedes TT∴ Ill∴ FF∴ Etienne Combet et Jean Passini, sur la formation des MM∴SS∴ ont insisté en préambule sur deux points essentiels :

1. les At∴ de perfection ont très largement fait la preuve de leur rôle indis-pensable dans la progression initiatique qui va du 3e au 18e gr∴ et au-delà ;

2. le terme « formation » n’est sans doute pas le plus approprié. Il vaut mieux luisubsister les termes : accueil, accompagnement, voire réception.

Les commissions sont parties du principe qu’au 4e gr∴, nous sommes en Logede perfection et non en Loge d’enseignement. Cela signifie qu’il n’y a pas,comme on peut le faire au gr∴ d’App∴ ou de Comp∴, à instruire, mais àguider le nouveau M∴S∴, à lui ouvrir le chemin. Il faut ici trouver le meilleuréquilibre possible entre le mode introspectif – c’est le F∴ qui travaille sur lui-même pour se découvrir et découvrir en même temps les Hauts gr∴ – et lemode informatif – la demande d’information est là et bien là... et bien différented’une demande de formation.Un fait est certain : le 4e gr∴ est un gr∴ difficile à appréhender car c’est un gr∴de rupture tout autant que d’ouverture. Cela est vrai aussi bien pour les FF∴qui travaillent déjà au R∴E∴A∴A∴ que pour ceux qui, en loge bleue,travaillent au Rite Français. Cela explique que la première question que seposent les TT∴FF∴PP∴MM∴ qui sont intervenus dans les commissions estcelle du recrutement. [Il faudra y revenir] Elle apparaît en filigrane dès lors qu’ilsenvisagent la meilleure façon possible d’intégrer les nouveaux MM∴SS∴et semble ainsi co-subséquente à l’initiation et à la réception des VV∴MM∴

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au 4e. Pour que leur intégration se passe au mieux, les « outils » mis en place sontaussi multiples qu’hétérogènes. Les plus fréquents sont cependant :– des commissions ou des groupes formés autour de l’Insp∴ ou d’un F∴ d’un

gr∴ plus élevé, 18e et plus : convivialité et fraternité participent pleinementd’une bonne connaissance de l’At∴ de perfection et d’une bonne intégra-tion ;

– des parrainages ou des compagnonnages ; un F∴ de l’At∴ est désigné pourêtre le référent d’un nouveau F∴. Il est à noter que cela permet souvent à cedernier d’avoir rapidement une première expérience d’un plateau commeadjoint par exemple.

La remise du rituel et différents livres et livrets traitant du gr∴ est égalementcourante dans les At∴ de perfection.Les pratiques, les expériences sont diverses. Elles sont fonction du nombre deFF∴ à l’Etat T, de la fréquence des Ten∴, de leur organisation avant ou après,voire en alternance avec des Ten∴ de gr∴ plus élevés et des Chapitres enparticulier. Cependant, on retrouve des constantes : c’est ainsi que les At∴ deperfection sont de plus en plus nombreux à initier au 9e et/ou au 12e et qu’ilstravaillent le plus souvent possible sur les gr∴ intermédiaires. Pour de trèsnombreux FF∴, cela s’inscrit dans le parcours initiatique et c’est surtout nonseulement une bonne préparation aux 13e et 14e gr∴, mais aussi à ce qued’aucuns considèrent toujours comme « le choc du 18e ».Il faut ajouter que les Loges de perfection d’un même secteur ou de deuxsecteurs proches décident souvent de travailler ensemble sur des thèmes choisisde concert. Elles organisent des Ten∴ communes pour en débattre ce qui estaussi, pour beaucoup, une autre façon d’accueillir les nouveaux MM∴SS∴ etde les aider dans leur quête.Terminons cette synthèse en trois points :– pour dire d’abord le grand intérêt de tous les participants aux commissions

pour ces rencontres, ces confrontations qui favorisent une meilleure circulationde l’information et une mutualisation des expériences ;

– pour noter ensuite que les At∴ de perfectionnement sont tous et toujours enrecherche de… la meilleure façon de gérer le temps ;

– pour souligner enfin la pertinence du questionnement sur la « formation » des nouveaux MM∴SS∴, une problématique essentielle, aux yeux de tous, à l’avenir, au développement du R∴E∴A∴A∴.

Les TT∴ Ill∴ FF∴ présidents des commissions, Etienne Combet et Jean Passini,tiennent à remercier l’ensemble des FF∴ qui ont participé aux travaux pour laqualité de leurs interventions et de leur réflexion.

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RAPPORT DE LA COMMISSION No 2thème : la gestion du temps en loge de perfection

Animateurs : Jean-Paul Fardet et Roger SouthonRapporteurs : Pierre Lacore et Jean-Michel Dubloc

La gestion du temps dans la vie maçonnique est une question de rythme etd’harmonie. Elle intègre aussi bien l’organisation pratique du travail proprementdit que le cheminement initiatique et plus largement l’environnement danslequel cela se déploie, aussi bien profane que maçonnique.La gestion du temps en loge de perfection est soumise à des contraintes denatures extrêmement différentes : Des contraintes géographiques et descontraintes administratives qui sont en quelque sorte imposées de l’extérieur etdes contraintes que les ateliers s’imposent à eux-mêmes dans le cadre de leurlibre choix de travail initiatique. Par ailleurs, au fur et à mesure de leur évolutioninitiatique, l’implication de nombreux frères à tous les degrés auxquels ils ontété admis, n’est pas sans conséquence sur leur rythme de vie profane. Dès lorsqu’ils respectent leurs engagements d’assiduité, le nombre de tenues, en logebleue et dans les ateliers de perfection successifs, s’accumulent. Cet état de chosea fait l’objet d’un constat général.

les contraintes géographiques

En ce qui concerne d’abord les contraintes géographiques, il est évident que lefonctionnement des loges de Paris ou des grandes villes se déroule dans desconditions très différentes des loges de province situées dans des secteurséloignés, enclavés ou isolés ; parmi les exemples cités, l’Ariège, la Dordogne ou leMassif central. La durée des déplacements est très dissuasive et s’oppose à desréunions fréquentes. De plus, des frères âgés hésitent à faire de longs parcoursen voiture. Ainsi, autant il est possible d’organiser des tenues fréquentes dans lesvilles, autant cela est difficile dans les secteurs ruraux. On passe d’un rythmeextrêmement fréquent de deux tenues par mois à Paris à une tenue tous les deuxmois dans certains Orients. Ce sont là deux extrêmes, la plupart des logess’efforcent de tenir le rythme d’une tenue par mois avec plus ou moins dedifficulté. Il est compréhensible, dans ces conditions, que beaucoup de pratiques« locales » s’imposent avec plus ou moins de bonheur. Les loges les plus isoléesdoivent donc faire preuve d’originalité et de réactivité.Pour pallier ces contraintes, certaines loges ont organisé, en lien avec les ateliersdu même secteur, un regroupement dans la même journée des tenues du 4-14,

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du 18 et du 30. Cela demande une organisation logistique avec l’anticipationnécessaire et aussi une bonne maîtrise de l’ordre du jour avec un cadrage dutravail très formalisé. On a noté une autre initiative intéressante : l’organisation de tenues communesdans un même secteur permettant de traiter soit des thèmes communs soit desgrades intermédiaires, 9 et 12 le plus souvent, ou plus rarement 5 ou 6. Celademande les mêmes dispositions que l’organisation précédente avec de plus unesprit de coopération particulièrement développé et une capacité de travailcollectif assez poussée.

la pratique des grades intermédiaires

La spécificité de notre Juridiction se traduit par un éventail très large de grades.Les grades intermédiaires, 9 et 12 principalement, font l’objet de tenues spéci-fiques. Mais ce choix ne concerne que certaines loges et chacune a ses propresmodalités d’organisation. Celles-ci consistent dans le regroupement des tenuesdans une même journée avec des contraintes horaires précises. Il peut arriver quel’on organise en parallèle une tenue à un grade et une réunion de formation àun autre grade, assurée par un officier de la loge détaché pour cela. On a imaginéaussi le partage du travail avec d’autres loges du même secteur par exemple ence qui concerne les augmentations de salaires, la loge A gérant les augmentationsde salaires au 4e et la loge B s’occupant des augmentations de salaires au 14e.

la durée des tenues

Il ressort des observations précédentes que, de façon générale (tous les témoi-gnages de TFPM s’accordent à ce sujet), l’organisation du temps en loge secaractérise par une grande maîtrise des horaires. Dans certains Orients, on limitela présentation des planches à 10 mn pour laisser le temps à tous les frèresprésents sur les colonnes de s’exprimer. D’autres loges ont choisi une marged’expression plus longue pour l’orateur entre 15 et 20 mn. Mais, dans tous les cas, les avis semblent unanimes à ce sujet, il y a un grandrespect de la concision exigée dans les interventions. Il faut y voir le savoir-faireet la maîtrise des TFPM ainsi que le travail collectif du Collège des officiers maisaussi une autodiscipline de tous les frères, favorisée par une véritable maturitémaçonnique. On ne constate pas, dans les ateliers de notre Juridiction, lesdérapages qui sont souvent le lot des loges bleues en ce qui concerne lesinterventions de frères trop longues.

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les contraintes administratives

On peut les répartir en deux volets : le premier correspondant au travailadministratif en loge et le second correspondant à la gestion des dossiersd’augmentation de grade. La partie administrative en loge comporte essentiellement la lecture de lacorrespondance officielle du Suprême conseil et les questions financières. Defaçon unanime, il est reconnu que cela ne recèle aucune difficulté particulièreet n’impacte pas le temps consacré au travail de fond. En revanche, le travail administratif extérieur à la tenue, notamment l’instructiondes dossiers de candidature, suscite de nombreuses remarques. Les TFPM présentsdéplorent la lourdeur de ces dossiers, le temps consacré à recueillir un monceaude documents disparates et souvent redondants. De l’avis général, il est certesnormal de s’entourer de garanties au sujet des recrutements, mais qu’il y a sansdoute d’importantes simplifications à apporter car, en définitive, il ne s’agit pasd’initier des profanes mais de faire progresser des frères déjà titulaires du gradede maître. En tout état de cause, beaucoup de frères regrettent qu’à ce niveaude pratique maçonnique la bureaucratie soit encore trop prenante.

l’audition des candidats

Il s’agit d’une question annexe qui a été abordée bien qu’elle ne soit qu’indirec-tement liée à la gestion du temps en loge. Cette pratique de l’audition descandidats à l’initiation au 4e n’est pas pratiquée de façon systématique. Les logesqui la pratiquent sont engagées dans cette procédure depuis longtemps et laquestion du temps passé à cette audition n’a jamais provoqué d’interrogation surson impact en terme de durée de la tenue. Il s’agit d’un choix de caractèreinitiatique.

en conclusion

Le maître-mot qui ressort de cette rapide mais riche réflexion est pragmatisme.Les loges maîtrisent leur temps de travail avec de fortes capacités d’adaptationaux contraintes, beaucoup de réactivité et une véritable pratique collective.Bien sûr, cela ne doit pas masquer les inégalités criantes causées par la géographiemais face aux contraintes, les loges utilisent avec pertinence les moyens à leurdisposition et usent de leur liberté d’action pour le mieux.

Pierre Lacore

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RAPPORT DE LA COMMISSION No 3thème : commentaire sur le questionnaire

à propos du rituel des 13e et 14e degrés et premiers échangessur d’éventuelles modifications

1. le questionnaire fait ressortir :

– Le rituel de 1983 est utilisé par les plus anciennes Loges. Très peu l’ontabandonné et en aucun cas pour le rituel de 1986. Elles lui sont particuliè-rement attachées pour sa richesse, avantage qui l’emporte sur l’inconvénientde sa longueur, provoquant une cérémonie d’une longueur inhabituelle.

– La majorité des Loges utilise le rituel de 2002 et ne connaît pas celui de 1983.Mais certaines ne demandent qu’à l’étudier (une distribution de ce rituel aété faite par une Loge l’utilisant, des envois seront faits ultérieurement).

– Une fidélité à ce qui est recommandé par le Suprême Conseil.– Les FF∴ ne désirent pas toucher au rituel, ce qui se traduit par la volonté de

conserver le rituel qui a été pris, et non choisi, à l’ouverture de la Loge, maispar le désir de ne pas voir des transformations importantes dans le texte.

2. sur la pratique des grades intermédiaires :

– Les LL∴ s’interrogent sur la pratique des grades donnés par communication,ce qui prolonge la discussion de 6007.

– Certaines comblent le hiatus 4-14 par des grades intermédiaires charnières telsque le 12e grade ou le 9e grade (ce dernier semblant perdre du terrain au profitdu 12e).

– Cette pratique se développe, les Loges passant de la lecture et de l’étude desrituels à leur pratique, avec initiation et décors.• Le 12e grade qui marque pour beaucoup la fin du « cycle hiramique » est deplus en plus pratiqué, en particulier vis-à-vis du constat fait lors de la GrandeLoge de Printemps de 2007.• Le 9e grade apparaît pour d’autres LL∴ comme une interruption significativedans le cycle 4-14. • De plus, la commission note que les grades intermédiaires, habituellementdonnés par communication, tendent à être de plus en plus étudiés de façon àce que chaque G∴E∴V∴S∴ puisse mener une réflexion sur chacun de cesgrades.

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3. sur la pratique des 13e et 14e grades :

– Un déséquilibre dans la scénographie des 13e et 14e grades est constaté etregretté. Les deux commissions sont unanimes pour demander un renfor-cement rituélique du 14e grade, qui ne se résume, pour l’instant, à la lecturede la fin de la légende, sans participation des récipiendaires.

4. dans la problématique d’éventuelles modifications :

– Celles-ci devraient aller dans le sens qu’aucune d’entre elles ne puisse « borner » notre réflexion, de façon à pouvoir aller, comme le dit un rituel, « Au-delà de tous les au-delà. ».

– Dans tous les cas, le rituel souhaité devrait présenter le maximum de situationsde la vie humaine, afin de provoquer l’épanouissement de notre réflexion, cequi correspond à la volonté des Frères de ne pas voir les rituels tronqués.

– Quelques demandes de rédaction d’un livret qui, bien sûr, n’aurait pas pourrôle d’expliquer le rituel, mais de fournir des bases historiques et littéraires surles thèmes abordés, ainsi que sur les sources utilisées par le rédacteur.

– Les avis se partagent sur la Kabbale : pas de problème pour certains, alors quedes participants pensent que le rituel en dit « trop ou pas assez ».

– La notion de rituel de référence, abordée par le questionnaire, est tout à faitnouvelle, et demandera des précisions pour être comprise et acceptée, notam-ment pour les 13e et 14e grades.

En conclusion, on peut constater l’attachement des Loges à leur rituel, leurprudence quant à des transformations trop importantes et leur sérénité que l’onpeut résumer par les idées suivantes :– Un rituel est un cadre, un texte, qui donne un prétexte à créer la discussion. – Toutes les situations de la vie profane doivent être, à l’intérieur du Temple,

passées au crible de notre esprit critique.– Tous les FF∴ sont unanimes pour dire que le travail personnel est primordial

et en particulier la recherche de sens par les maçons de tous les signes du rituelqui deviennent ainsi des symboles.

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DISCOURS DU GRAND MAÎTRE DU G∴O∴D∴F∴

Très Puissant Souverain Grand Commandeur, mon T∴C∴F∴ Jean-Robert,Très Illustres Frères,Dignitaires, Et vous tous mes BB∴AA∴FF∴,

Je tiens tout d’abord à vous remercier pour votre invitation et c’est avec ungrand plaisir que j’ai tenu à participer à la clôture de vos travaux de Grande Logede Printemps organisés au 4e degré, accompagné d’une délégation du Conseilde l’Ordre pour marquer notre attachement aux Hauts Grades du Rite ÉcossaisAncien et Accepté.Je sais que vous avez travaillé tout à l’heure sur un thème qui ouvrait la réflexionautour du sens de la démarche initiatique du Maître Secret en Loge dePerfection et je voudrais saisir cette occasion pour évoquer brièvement avec vouscertaines considérations autour du thème des Sentences du 4e grade, telles quele Maître Secret les reçoit lors de son initiation et que nous connaissons tous ici. Étymologiquement, une « sentence » selon la définition déjà fournie parMontaigne en 1580 est « une parole renfermant une pensée morale ». Du latin « sentencia », une sentence est une courte phrase, d’une portée générale, préceptede morale, maxime, aphorisme. L’idée forte est que la sentence renferme unesorte de morale. Ces sentences synthétisent ce qui est signifié ou exprimé en phrases courtes etlapidaires qui frappent l’esprit. Elles ont pour objectif d’éclairer et de donner aunouveau Maître Secret la direction du chemin à suivre, sachant que sa prioritéreste la recherche de la Vérité et de la Justice dans sa quête de la Parole perdue. L’accès au grade de Maître Secret a pour objectif de rappeler au Maître que laLumière est loin d’être acquise, que le chemin de la perfection a pour seule finle passage à l’Orient Éternel et que le chemin du perfectionnement individuelest long et rempli d’épreuves.

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Le grade de Maître Secret tend à faire ressortir le sens de l’œuvre du Maître et laquintessence de son enseignement, plus particulièrement par la connaissance etla mise en pratique du Devoir, lequel doit pouvoir aller jusqu’au sacrifice, sansespoir de récompense, au sens profane de ce mot.

« Malheur à qui assume une charge qu’il ne peut porter ! »« Malheur à qui accepte légèrement des devoirs et qui ensuite les néglige ! »

La force première de ces injonctions sur les devoirs est peut-être de déstabiliserle Maître. En effet, ce dernier pénètre dans la Loge de Perfection en pensantavoir sérieusement avancé sur le chemin de la sagesse en loge bleue et, subite-ment, on lui ordonne de réorganiser sa pensée et on lui fait comprendre, ouplutôt accepter l’idée, qu’il ne sera jamais parfait justement. Tout cela pousse le V∴M∴ à un véritable processus intime de réflexion. Lessentences d’avertissement sonnent comme une sorte de pacte avec soi-même etavec les autres : Réfléchissez bien avant de vous engager : pourrez-vous portercette charge ? Avez-vous bien compris le sens de cette responsabilité ? Nousacceptons d’abandonner nos conditionnements issus de notre personnalité pourpousser les portes du Temple de Salomon et y pénétrer en silence. Dans une solitude acceptée, le Maître Secret voit ses responsabilités et ses devoirsaccrus. Cet accroissement ne peut s’inscrire dans une perspective intellectuelle sans viserfondamentalement le comportement et provoquer l’éveil de forces modifica-trices. Il ne s’agit pas de lutter contre une fraction de soi-même mais d’avancerpar reconnaissance prudente, d’affiner sa prise de conscience, de progresser aveccalme et lucidité. Et justement, nous sommes nombreux, au sein du Grand Orient de France bienentendu, à porter des « charges ». En ce qui me concerne, en tant que GrandMaître du Grand Orient de France, garant des Rites qui y sont pratiqués, mondevoir est effectivement de me préoccuper, avec calme mais détermination, en particulier de la sérénité qui doit régner dans l’Obédience afin de permettreà tous nos Frères de travailler dans l’harmonie et la concorde, en loge bleuecomme dans les Hauts Grades.

« Le Devoir est pour nous aussi inéluctable que la fatalité, aussi exigeant que la nécessité,aussi impératif que la destinée ».

Ce Devoir est une obligation puisqu’il est « nécessaire », qui s’impose à laconscience et au libre arbitre de chacun. En ce sens, il est comme la « fatalité »,

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c’est-à-dire qu’il est aussi inévitable que la mort et comme elle, il est déterminé.Il se présente comme un impératif positif ou comme un interdit négatif selonl’état des connaissances et des expériences acquises. Il ne faut donc pas s’étonner lorsque le Grand Maître du Grand Orient deFrance appuyé sur le Conseil de l’Ordre agit, parce qu’il en a le devoir, dansl’intérêt de l’Ordre pour rétablir le calme là où il conditionne le progrèsinitiatique, ou bien la fraternité là où elle est molestée ou encore le respect desprincipes de notre gouvernance interne lorsqu’ils sont ouvertement contestés. Nous avons de nombreux devoirs naturels, c’est-à-dire d’ordre social sanscaractère initiatique. Par contre, nous avons un Devoir initiatique essentiel quiest de rechercher la Parole perdue en rassemblant ce qui est épars en nous-mêmes et envers autrui. C’est la conscience du devoir que le chemin initiatiqueéveille en chacun. C’est par l’accomplissement de ce Devoir que chacun peut commencer sarecherche. Il restait à définir la méthode, en quelque sorte.Justement, les Sentences nous disent aussi que « le meilleur est celui qui travaille etqui aime ses Frères. » Les charges que l’on assume, pour servir les autres et nosdiverses instances, jouent bien entendu un rôle important de par l’exigencequ’elles impliquent.Cet appel au travail, je le vois aussi comme signifiant la consolidation intérieuredes devoirs multiples qui dictent la route des trois premiers degrés : le devoir deméditer les enseignements du rituel, le devoir de se taire devant les profanes, lesdevoirs contenus dans l’obligation prêtée et réitérée aux divers degrés, le devoirde rechercher la justice en toute situation, le devoir d’aimer ses Frères, le devoirde se soumettre à la loi et à la discipline communes, etc. La route du Devoir est donc jalonnée de nombreux devoirs que la voie imposeau Maçon pour son bien. C’est l’œuvre d’une vie. La multiplicité des « petits »devoirs et le « grand » Devoir sont aussi étroitement liés et complémentaires. C’est sans doute parce qu’il est difficile de connaître son Devoir au quotidienque le Maître Secret doit être à l’écoute attentive de sa conscience, ce quidemande de dépasser et transcender les petits devoirs pour ne pas perdre de vuele service dû au Devoir essentiel. Mais le Devoir serait-il aussi une entrave à la liberté individuelle ? Est-il en définitive une forme d’asservissement, de soumission à l’oppression d’unemorale formelle et arbitraire qui, poussée à l’extrême, pourrait dériver vers ledogmatisme ?Pourrais-je, au nom du Devoir, tomber dans le dogmatisme ? Pourrais-je, par lapassion du Grand Orient de France qui est la mienne, y compris arriver jusqu’àmenacer un Rite comme je l’ai lu il y a quelque temps ?!

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Les rapports entre le Devoir et la Liberté sont effectivement complexes : le devoirest une obligation morale qu’il est toujours possible d’ignorer, ce n’est pas unecontrainte. Le fait de pouvoir échapper à la contrainte, de désobéir et de transgresser lesinterdits relève de la bonne ou mauvaise gestion du libre arbitre de chacun etpar là même de la liberté individuelle. Le Devoir est la contrepartie de la liberté si l’on entend par liberté la prise depossession de soi-même. Le chemin du Devoir est une recherche intérieure quidoit aboutir à l’extinction de l’ego, à un dépouillement complet des métaux.C’est pourquoi de nouveau il est aussi inéluctable que la fatalité. Aucun Rite n’est menacé au Grand Orient de France. Aucune menace ne pèsesur les Juridictions administratives de Hauts Grades. Toutes sont délégataires pourla gestion des Rites et le Grand Maître et le Conseil de l’Ordre ont le devoir degarantir leur bon fonctionnement dans l’intérêt de l’Ordre. Mais nous avons aussile devoir de veiller à ce que ces Juridictions s’occupent très précisément de leurmission, de toute leur mission et rien que de leur mission. C’est le sens de ladéclaration adoptée à l’unanimité du Conseil de l’Ordre le 28 février dernierqui, de mon point de vue, met un terme à certaines polémiques injustifiées. Mes Frères, toutes les voies initiatiques sont potentiellement bonnes si elles sontempruntées avec discernement à la condition sine qua non de ne nuire à personneet de s’efforcer d’aimer son prochain. Cet engagement est une voie de sacrifice.Le sens du devoir doit l’emporter sur toutes choses à l’exemple d’Hiram quiperdit la vie pour respecter son engagement de ne pas trahir les secrets dumétier. Il me semble que ce choix, le Maître Secret le confirme à chaque fermeture destravaux de la Loge de Perfection en renouvelant son engagement, par le signedu silence. Je vous invite, je nous invite collectivement, à renouveler nos engagementsrespectifs sur ces bases dans le respect mutuel et avec au cœur une seule etunique préoccupation : le rayonnement du Grand Orient de France.

J’ai dit.

Pierre Lambicchi

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DISCOURS DU GRAND ORATEUR DU SUPRÊME CONSEIL

Très Puissant Souverain Grand Commandeur, Dignitaires qui siègez à l’Est, Très Illustres Frères, et vous tous, mes FF∴ Grands Écossais,

Un des rapports produits tout à l’heure sur les commissions qui se sont tenuesce matin, portait, vous avez pu l’entendre, sur les rituels des 13e et 14e degrés.Afin de préparez ces travaux, nous avions demandé aux TT∴FF∴PP∴MM∴de répondre à un très bref questionnaire sur leurs pratiques mais aussi leurperception globale des rituels. Les réponses, loin de nous surprendre, ont montréun large consensus sur ce que doit être un rituel, son rôle, sa place tant dans leparcours initiatique personnel des Frères que dans la vie de la loge elle-même.Certains TT∴FF∴PP∴MM∴ se sont même un peu émus, craignant que leS∴C∴ et sa Commission des rituels ne se lancent dans un grand aggiorna-mento qui ne leur paraît pas nécessaire. Nos frères sont attachés au rituel, à leurrituel, et bien peu envisagent de le bouleverser. À la question « le rituel peut-il êtresimplement un cadre général », on répond, sans doute avec raison : « surtout pas ! ».Les frères souhaitent des rituels détaillés, complets. Là où ils n’existent pas – oupeu, notamment pour les grades non régulièrement pratiqués (9e, 12e) – on s’enplaint. Ce qu’on demande au rituel ? D’être efficace, clair et explicite, simple etcohérent.Notre Frère rapporteur de la question à l’étude des loges de perfection nous adit tout à l’heure que l’étymologie des mots Art et Rite pouvait être commune.Art et Rite en tant que « façon d’être ». Oui, le rite, et avec lui l’observance durituel, sont notre façon d’être maçonnique.Je n’ai jamais appris le sanscrit – et croyez bien que je le regrette – mais j’ai luquelque part que le mot Ritam signifiait pour les anciens peuples de l’Inde « cequi est conforme à l’ordre cosmique ». Le rite, et le rituel qui est son expression, relient

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l’individu à la société qui l’entoure et au-delà, sans doute à l’univers. Le rite est« principiel ». Notre pratique maçonnique actuelle le rappelle (ce n’a pas toujoursété le cas). Il apprend au maçon à se retourner sur son passé pour l’intégrer etle féconder en avenir. Et surtout, au-delà, la pratique du rituel est un essai detraduction en symboles, dans le monde de l’expérience sensible, de la réalitésous-jacente de l’être. Au Mont Saint-Michel, de la porte du réfectoire desmoines, on ne voit aucune fenêtre. Et pourtant la lumière est là, à l’intérieur.Elle n’éclaire pas de l’extérieur, elle n’est pas visible comme telle, mais elle semanifeste dans toutes les formes qu’elle anime. Certes, c’est le résultat d’unartifice architectural génial, mais l’image avait déjà été utilisée par Drewermannpour évoquer la force du mythe et du rite comme appropriation, de l’intérieur,d’une connaissance intime et complète.Nous n’allons pas revenir sur la filiation entre l’inconscient, l’histoire, le mythe etle rite, ni faire une fois de plus appel à Mircea Eliade, Freud et les autres.N’empêche que tout groupe fermé est producteur de mythes et de rites. Nosrituels ont été avant tout l’œuvre des hommes, rédigés par un ou des groupesd’hommes, même s’il faut faire la part des initiatives individuelles ou del’influence majeure de certaines personnalités.Plus, la rédaction d’un rituel aboutit à l’institutionnalisation. Obédiences etJuridictions jouent évidemment un rôle fondamental dans la transmission, le maintien ou l’évolution des rituels et du rite.Le rituel est d’abord perçu comme un outil de travail : évocation du symbolismeuniversel à découvrir et à travailler. Il est ensuite le vecteur de la transmissioninitiatique, transmission dans son sens le plus profond, trait d’union entre lesgénérations.Comment organiser une société si personne n’est plus capable de déchiffrer lesens des pratiques, et la raison même de son être ?« Le mythe, la légende, l’épopée, l’histoire et toutes les mises en récit de nos rituels, tissentcette parole inlassable que nous appelons la tradition et que chacun vit subjectivement endevenant acteur. »Entrer dans cette histoire, dans ce mythe (au sens « Eliadéen » du mot) c’estparticiper de cette tradition, l’intégrer pleinement et en devenir soi-même levecteur.Le rituel est communication. Les grades auxquels on n’initie pas sont « commu-niqués ». Bien plus, le rituel dit toujours quelque chose. Il symbolise, il exprime,il est producteur de signification.Enfin, le rituel est souvent qualifié de ciment de la loge. Sa pratique apaise lestensions et crée les harmonies. Cohésion de la loge, de la Juridiction, du Riteorganisé, dans une tentative d’universalisation, même s’il est aussi ouverture vers

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d’autres modes de pensée. Il est la marque de la Juridiction, garant de l’ordrenécessaire et de son bon fonctionnement, traduction et mise en œuvre de l’espritdu Rite. Il exprime les idées et les concepts, les relations qui constituent leciment et le moteur de la communauté qui, en tant que communauté vivante,vit de rites et de représentations...Alors, formalisme désuet ou liturgie indispensable ? Parole incréée ou code àgéométrie variable. Ce n’est certainement pas dans ces termes que nous devonschercher sa raison d’être. Même si nous savons que le rituel n’est ni éternel niimmuable, nous sommes prêts à l’accepter comme s’il l’était.Mais le rituel n’est pas une fin en soi. Il nous faut être lucides et il ne convientpas de développer une véritable philosophie essentialiste du rituel. Noussupposerions alors une essence de la Maçonnerie, manifestée dans le rituel et,comme Chatov le personnage de Dostoïevski dans Les Possédés, nous essaierionsd’y croire, car nous espérons ?Le rituel doit être compris, étudié, appliqué, vécu. Il devient alors le facteurd’approfondissement de la descente en soi. Comprendre, c’est déjà être changé.Comprendre, c’est renouveler une initiation, recommencer, et aller ainsi decommencements en commencements comme le disait Grégoire de Nysse : « Celui qui monte ne s’arrête jamais, allant de commencements en commencements, pardes commencements qui n’ont jamais de fin ».Comprendre par la raison certes, mais appréhender aussi de l’intérieur, sansrejeter la puissance de la charge émotionnelle, indispensable au déclenchementd’une réflexion. Enfin, nous ne pouvons oublier que le rituel est une mise àl’épreuve mythique.Plusieurs fois, dans les questions à l’étude de nos ateliers, nous avons eul’occasion de revenir sur ce que j’appellerai « l’ambivalence première du maçon » :solitaire et solidaire ; cette dimension individuelle et collective de toute véritablepensée maçonnique se retrouve constamment dans la pratique du rituel. C’est àmoi-même que tout cela s’adresse, mais je ne peux faire abstraction de ceux quim’entourent, tant ils me sont à la fois semblables et différents. Ambivalence queles mots des rituels eux-mêmes ne résolvent pas toujours, tant il est vrai que lesdiscussions ne sont pas éteintes, pour savoir si l’on doit employer le singulier oule pluriel dans les initiations collectives.Je vais, qu’il me le pardonne, me reporter encore à un passage du rapport denotre Frère sur la question à l’étude des loges : Le rituel est contrainte, nous dit-il, certes, mais nous en acceptons les contraintes textuelles et la scénographie,comme l’acteur accepte celles de son rôle, même si, nous dit aussitôt notre frère,cette dernière comparaison ne tient pas car l’acteur est seul, alors que la quêteinitiatique du Maçon a un aspect collectif que nous venons d’évoquer.

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Mourgues y introduisait un autre facteur : qualifiant l’obéissance rituelle de « sentiment d’une convention à la fois sacrée et banale », il l’attribuait à « une prudencesceptique de la part des acteurs » ne sachant trop si ceux-ci étaient dupes oucomplices...Nous rejoignons peut-être là les préoccupations d’un frère qui se reconnaîtrasans doute et qui s’est demandé un jour devant moi s’il pouvait exister un rituelmaçonnique dont les fondements soient existentialistes ? Je le cite : « Un rituel quipropose à celui qui sera attentif et patient, des vérités dynamiques et à définir... uneesthétique qui se définisse à chaque instant par nos actes et nos paroles, un rituel où toutsoit à inventer, qui mette en avant une éthique de la discussion ». Les bases en sont, dit-il, dans le rituel d’apprenti. Souvenez-vous mes FF∴, je ne sais ni lire ni écrire,je ne sais qu’épeler... et s’ensuit l’échange du mot sacré. J’émets des réserves,certes, mais on peut y réfléchir.Entre le spontanéisme et le formalisme, il y a surtout l’effort conscient, laréflexion active. Celle-ci peut ne pas être toujours productive. Le symbole seferme dans tous les cas où nous n’avons pas su nous débarrasser de nos préjugés,ou d’une manière de voir trop partielle et fragmentaire. Alors peuvent surgirincompréhensions, confusions et malentendus. Il faut simplement recommencer,comme nous le disions plus haut.Et comme le disait Prométhée à Jupiter : « Crois-tu que je désespère parce que tousmes rêves n’ont pas fleuri, parce que toutes mes fleurs ne se sont pas épanouies ? Non, jene désespère pas, car un autre printemps fera surgir d’autres fleurs. »Chaque rituel a ses caractéristiques, liées au grade pratiqué. Ainsi, pour neprendre que ces deux exemples communs aux loges de perfection : le 13e degrécomporte une scénographie bien particulière, qui se déroule, non seulement sousles yeux, mais avec la participation des récipiendaires. Ensuite vient le commen-taire, indispensable. On peut rapprocher ce mode opératoire de celui du gradede maître. Par contre le rituel du 4e degré est tout en texte et en paroles. Aucunescénographie particulière en dehors des voyages. Mais un texte profondémentriche, qui invite à revenir encore et toujours.La comparaison de ces deux exemples est très significative de la diversité extrêmedes modes opératoires des différents rituels.L’histoire des rites et des rituels nous montre à l’évidence que rien n’est jamaisfigé, qu’il y a eu des évolutions, voire des révolutions, à tout le moins des trans-formations. Comme nous l’avons déjà dit, rien n’est incréé. Les rituels sont desconstructions humaines, qui ne sont religieuses que dans le sens où elles relientdes hommes, dans le temps comme dans l’espace. Même à l’état d’embryon,réduit à l’échange de quelques mots et serments, le rituel existe dès l’origine – même si le mot initiation n’apparaît, lui, que relativement tard dans le

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vocabulaire maçonnique. Le développement des rituels, leur rédaction etcodification sont liés à l’institutionnalisation des obédiences et juridictions. D’où,dans le cadre de rivalités diverses et variées, l’évolution de certains rituels. Onradicalise, on « gauchit » ou on « droitise » (si vous me permettez ce vilain jeu demot), on retranche rarement, on rajoute toujours. Le XVIIIe s. et même le débutdu XIXe s. sont une époque passionnante de foisonnement et d’explosion. Celaa été dit et redit. Curieusement, comme si tout avait été dit, les temps suivantsseront moins productifs. On invente moins. Par contre, on codifie, on place desremparts, des limites. On impose des bornes, des Landmarks. Hors de ceux-ci,point de salut. Excommunication et négation. Les libéraux tendent vers lasimplicité, voire le dépouillement ; les conservateurs confondent souvent tradi-tion et conformisme. Les rituels du REAA semblent être – c’est une impressionpersonnelle – ceux qui résistent le mieux au temps, tout en ayant subi desmodifications jusque dans le courant du XXe s.Car un rituel, quel qu’il soit, même s’il est sensé représenter la tradition, reflètel’esprit du temps. Personne ne pourra nier que nous vivons depuis 30 ou 40 ansun retour du symbolisme et du rituel dans nos loges, quel qu’en soit le degré,alors que des années 30 aux années 60, le constat du recul est flagrant. Unexemple ? Il peut rester parfois des traces d’une ancienne conception, traces quisont passées inaperçues au travers des évolutions récentes. Ce n’est que toutdernièrement que nous avons remplacé dans certains rituels le mot « cordon »par celui de « décors » (au pluriel), le premier, employé seul, étant une survivanceécrite d’une époque où le port du tablier, jusque dans les chapitres, avaitlargement reculé.Alors, si évolution il y a, quelle peut-elle être ? Jusqu’où peut-elle aller, ou nepas aller ?L’initiative personnelle de rédaction nouvelle, inventive et complète, me sembleécartée à notre époque (encore que ?). Toute modification, toute évolution, nepeut venir que des structures de gestion du rite. Néanmoins les risques existent. Le « déviationnisme rituélique » est-il une réalité ? La caractéristique maçonniquedes essaimages qui cachent souvent hélas des ruptures et des scissions nes’accompagne plus de la création de nouveaux rites. Mais les changements, lesmutations sont aussi des symboles.Jusqu’où peut-on descendre dans la simplification, l’allègement, y a-t-il un seuilen dessous duquel on sort du rite ? D’un autre coté, l’empilement, la redondance,l’accumulation de termes, voire de symboles secondaires, n’ajoutant plus rien,créent souvent la confusion et surtout bloquent le développement de l’analyse.Finalement, la voie est étroite, comme toujours en maçonnerie.

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Les modifications possibles du rituel sont toujours prises en termes antinomiquesd’enrichissement ou d’appauvrissement. Or, parler ainsi c’est déjà choisir. Il y a une connotation valorisante de l’un par rapport à l’autre. Et si un rituel « simplifié » n’était pas plus évocateur, plus moteur et source de réflexion qu’unrituel où tout est dit, écrit, expliqué ? La question ne doit sans doute pas êtreprise de cette façon. Il y a en tout cas dans chaque rituel un corps, un socle, le mythe fondamental,qui ne peut en aucun cas être modifié. Il ne l’a d’ailleurs jamais été depuis sarédaction première. Autour du mythe central, les symboles, eux non plus, nesauraient être l’objet de quelque modification que ce soit. La Parole portée parles rituels est de tous les temps. Nous sommes même tentés d’en chercherl’universalité.Par contre les mots, eux, évoluent. Même si nous savons que nous ne devonsleur attacher qu’une importance secondaire, ils ont un sens. Et que nous levoulions ou non, ce sens est en changement perpétuel. Si nous voulons toujoursêtre compris, nous devons être attentifs à la signification des mots et desexpressions.Que certains de nos frères inquiets se rassurent donc. Je ne pense pas qu’il soitdans les desseins de ce Suprême Conseil de se lancer dans une opération aussialéatoire qu’incongrue. Adapter, quand cela est nécessaire, la forme, les mots, ànotre époque et à ses réalités, c’est là toute notre latitude. Le fond, l’essence durituel, les symboles exprimés, ne sauraient en aucun cas être modifiés, sauf à sortirnon seulement du rituel, mais du rite.Nous sommes une société initiatique, c’est-à-dire une association d’hommesconcourant à la libération de chacun par la connaissance, par l’émancipationspirituelle et par l’épanouissement de la personnalité de chacun. Comme le disaitle Grand Commandeur Chabannes :« Nous visons à dominer nos singularités, non à les réduire, nous visons à les accorder, nonà les détruire ». L’essentiel reste sans doute de savoir pour relativiser. Nulle part, on n’est aucentre du monde. Il y a toujours un ailleurs et une autre voie. Rappelons-nousque le péché le plus grand du Maçon, aux yeux des dogmatismes de tout poil,c’est le relativisme. Sachons l’appliquer même à ce qui est le cœur de notrepratique, le rituel.Nous proclamons partout que nous luttons contre l’obscurantisme. Or, il y abien quelque part une forme d’obscurantisme de la part de certains maçons, quiconfondent rituel et catéchisme, libération et enfermement. Or, le rituel, si nousl’avons bien compris, est adogmatique, il permet la libération de l’individu dansla création spirituelle, libère la pensée et ouvre le champ des réflexions.

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Le rituel est une parole. Il n’est pas la Parole. Le Maçon le sait. Il sait aussi que,en tant qu’homme, il subit la condition humaine et les limites de sa propreparole. C’est par le travail de la parole et sur la parole qu’il peut espérer appro-cher la vérité et peut-être l’ordre du monde, c’est-à-dire, la cohérence entre lesidées et les mots par lesquels elles s’expriment.Emotion, intuition, prise de conscience : pour retrouver au-delà du mythe et dusymbole, leur sens profond, caché, véritable ( ?) et peut-être, au bout du compte,approcher la sagesse.

Yves Le Bonniec, 33e

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Vieillard à grande barbe blancheRembrandt

UNE FENÊTRE OUVERTE :UN REGARD SUR LE MONDE

S ∴ C ∴ G ∴ C ∴

R ∴ É ∴ A ∴ A ∴

G ∴ O ∴ D ∴ F ∴

Le dessinateur de la femme couchée, 1525Albert Dürer

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Le bon samaritainRodolphe Bresdin

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DU LIBAN : LEXIQUE DES MOTS DU R∴E∴A∴A∴

DU 4e AU 20e DEGRÉ

PRÉAMBULE

L’étymologie, étude de l’origine des mots, c’est une étude assez difficile mais trèsintéressante. En plus, elle nous oblige à nous confondre avec l’histoire de beau-coup de peuples qui, au cours des siècles et des millénaires passés, ont traverséle territoire des pays du Moyen Orient et ont laissé des traces non négligeablesdans tous les domaines, que ce soit politique, culturel ou linguistique. C’est pourcela que deux ou trois étymologies alternatives s’imposent. De ces différentesopinions, une seule sera optée pour satisfaire l’entendement du lecteur et quisera la plus proche de sa réalité.Je demande au lecteur d’être assez indulgent et compréhensif à l’égard de cepréambule et du contenu de ce Lexique. Mon but est d’avoir essayé de contri-buer à ce sujet un plus qui pour beaucoup de gens est utile et édifiant.

OUVRAGES DE RÉFÉRENCE

DREAA Michel Saint-Gall, Dictionnaire du Rite Écossais Ancien et Accepté, éd. Télétes, Paris, 1991.

VMM Villaume, Manuel Maçonnique. ISH Ibrahim Sami Haddad, Recherches Étymologiques Personnelles.MEoF Mackey, Encyclopedia of Freemasonry.OO&RS O. Odelain & R. Séguineau, Dictionnaire des Noms Propres de la Bible,

Robert Hall, London, 1991.RAASR President Blanchard of Wheaton College, The Complete Ritual of

the Ancient and Accepted Scottish Rite, edition Charles T. Powner Co.,7056-58W Higgins, Chicago, Illinois, 60 656, 1987.

SC-GCR Rituel 13e au 14e degré et Rituel 15e au 20e du SC-GC du REAA.

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GUERILLOT 1 Claude Guérillot, La Rose Maçonnique, édition Guy Trédaniel, Paris,1995.

GUERILLOT 2 Claude Guérillot, Les Jardiniers de la Rose, édition Guy Trédaniel,Paris, 1996.

LEXIQUE

ABBADONDREAA : (aleph, beth, daleth, noun) : désespoir, perdition, destruction, mort, exter-mination (job 28, 22). Si c’est un mot d’origine grec, (Ap. 9, 11) exterminer, détruire,perdition. | ISH : Mot composé de abda et de ôn: `abda = perdu : petit perdu. Si lapremière lettre est un aïn : mot composé de `abbad et de ôn., et signifirait : petitadorateur.

ABDADREAA : (aïn, beth, daleth, aleph serviteur, esclave, adorateur. Nom du père (עבדאd’ADONIRAM*. | ISH : En arabe `ABD ou `ABDU (`aïn, bé, dâl, waw )signifie serviteur, comme dans le nom `Abdallah qui signifie serviteur de Dieu.Il faut noter ici que le nom du père de Mahomet était `Abdallah et se disait enSud-arabe Karab’ il avec la même signification. En sud-arabe, Karaba signifieservir et adorer d’où Macroba, lieu de service et d’adoration ; c’est le nom de La Mecque tel qu’il fut rapporté sur les cartes de Ptolémée, au IIIe siècle avantJ.-C. | OO&RS : Serviteur.

ABIRAMVMM : Ce serait Abi Ramah (aleph, beth, iod - resh mem, hé). Raman veut diresoit jeter, lancer, soit hauteur, plateau (même orthographe). Delaulnaye traduitpar qui renverse le père. Possible mais douteux. | DREAA : Aviram (aleph, beth,iod - resh mem) : père exalté. Selon la Bible un de ceux qui conspirèrent avecKorah, dans le désert, contre Moïse. La terre s’ouvrit et ils furent tous engloutis(Num. 16, 1). Autre Aram, le fils aîné de Hilel de Bethel ; il mourut parce queson père avait encouru la malédiction de Josué en rebâtissant les murs de Jéricho(1 Rois 16, 34). | OO&RS : Mon père est sur une hauteur.

ACACIADREAA : Terme d’origine latine mais dérivé du grec, akakia, a étant le préfixeprivatif et kakia, de kakon, mal, mauvais : « qui est sans mal »... Arbre souvent

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sacré, considéré inattaquable par la pourriture, la maladie, les parasites, l’acaciaest très souvent cité dans la Bible (Ex. 25/27). Adopté par la maçonnerie commesymbole d’immortalité ou de renaissance, c’est un membre de la famille desMimosaceæ, genre Léguminosæ, qui regroupe de nombreuses espèces d’arbreset buissons très répandus surtout dans les pays chauds. Une de ces espèces nous intéresse tout particulièrement : l’Acacia Albida, le shittah (pluriel shittin)biblique (Ex. 25, 10), arbre assez haut, au tronc assez épais et au bois bon pourla construction, souvent confondu avec le faux acacia, Robinia Pseudoacacia, un arbre européen d’origine américaine qui n’existe pas en Orient. À proposde confusion, il faut rappeler que l’Arche de Noé était construite en gopher(Gén. 6, 14), Cupressus Sempervirens, cyprès de haute taille au bois dur,rougeâtre, solide et résineux, au grain serré, utilisé de tout temps au ProcheOrient pour la construction navale. L’Arche de l’Alliance fut construite en boisde shittin (Ex. 36, 20), Acacia Albida, ainsi que les parties en bois du Tabernacle.Le Temple de Salomon était construit en pierre et erez (1 Rois 5, 8), CedrusLibanensis, cèdre du Liban. Enfin, ne pas confondre l’acacia avec le mimosacourant, buisson aux branches blanches et aux troncs tourmentés, tout à faitimpropre à la construction. | ISH : le premier aleph est l’article défini ,(א-קציה)en araméen, il se place invariablement à l’avant du mot comme dans le cas del’article défini hébreu: ha (hé), ou à la fin du nom pour le singulariser commedans Saraï ou Sarah ï ; Qasia signifie : bois très dur. Au 5e degré, le mot Acacia estle mot de passe du grade.

ACHARD’APRÈS LE RITUEL REAA DU 5e AU 9e DEGRÉ ET DU 10e AU 12e DEGRÉ : RECONNU.

DREAA : `akar (aïn, kaph, resh): stérile (Gén. 11, 30), trouble (Gén. 34, 30). Nomde celui qui vola et cacha une partie du butin, après la destruction de Jérichopar Josué (1 Chron. 2, 7). | VMM : ce serait un des noms de Dieu. Plus quedouteux. Une confusion avec Yakar (iod koph, resh): précieux, rare, cher (1 Sam.3, 1) n’est pas à exclure. | OO&RS : Porteur de mésavantures.

ACHISAR ou AKHIZAR DREAA : (aleph, kheth, iod, zaïn, resh): frère d’étranger ou mon frère est étranger.Origine non biblique. Traditionnellement et suivant Vuillaume le nom d’unetour où deux assassins furent enfermés, après avoir été arrêtés à Gath, le pays duroi Ma’akah. Toujours selon Vuillaume, le nom de cette tour serait en réalitéEZER (aïn, zaïn, resh) : secours. Sans aucun doute, cette légende provient durécit biblique (1Rois 2, 38) des deux esclaves de Shimel qui s’étaient enfuis chezle roi Ma`akah, à Gath. Une autre origine possible de ce mot est AKHZAR

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(aleph, kheth, zaïn, resh): cruel. À moins que ce ne soit une déformation extrêmede BETH SOHAR (beth, iod, tav - samekh, hé, resh) : prison, tour (Gén. 29,20). | ISH : Ahitzar (א-חצר) de l’Araméen : La forteresse, du verbe-racine trilitèreHitzar (kheth, tsadek, resh): assiéger et du ’A en préfixe qui est l’article défini « la » pour la singulariser.

ADÂRDREAA : (aleph, daleth, resh) le dieu du feu chez les Cananéens. Nom du 12e mois,de la nouvelle lune de mars à celle d’avril. Il est dédoublé 7 fois en 19 ans, afinde permettre à l’année lunaire de rattraper l’année solaire (Esd. 6, 15). Ce motsignifie aussi, en tant que nom commun, hauteur et honneur (Jos. 15, 3).

ADON(אדון) : seigneur (Gén. 42, 30).

ADONAÏDREAA : (aleph, daleth, noun, iod) mes seigneurs (Gen. 15,2), possessif pluriel deAdon. Un des noms de Dieu, le plus couramment utilisé à la place de l’impro-nonçable Tétragramme (iod, hé, vav, hé), dans la tradition hébraïque. De mêmele nom de l’une des neuf arches soutenant une certaine voûte. | ISH : Adona’I,de l’Araméen Adon (אדני) [= seigneur] et ’i [hamza arabe + iod] en araméen,article défini placé en fin de mot pour la singularité et la grandeur. Géné-ralement le mot ineffable écrit (יהוה YHWE) est prononcé (אדונא ADON).

ADONIRAMDREAA : même signification que Khiram, (kheth, iod, resh, mem): mon frère estélevé (ou exalté). Parfois trouvé sous la forme Akhiram (aleph, kheth, iod, resh,mem), même traduction ou Hiram (hé, vav, aleph - resh, mem), il est élevé (ouexalté). De nombreuses autres traductions, plus ou moins fantaisistes, ont étéproposées. L’avantage de celle donnée plus haut est d’être exacte. Nom du roide Tyr, ami et allié du roi Salomon (1 Rois Ch. 5), ainsi que celui du célèbreartisan du Temple de Jérusalem (1 Rois Ch. 7). Dans la tradition maçonnique,ce dernier, considéré comme l’architecte du Temple, est souvent appelé AdonKhiram ou Khiram Avi, Seigneur Khiram ou Khiram mon père. Personnagecentral de la légende maçonnique, épitomé de toutes les qualités qu’un franc-maçon devait avoir. La plus grande partie du REAA est tissée autour de sapersonne (et celle du roi Salomon), de sa vie, de ses actes, de sa mort et des évé-nements qui suivirent sa mort. | ISH : de l’Araméen : Adon (אדן) qui signifie :Seigneur ; de (אחי) qui signifie : Mon frère ; et de Ram (רם) qui signifie : élevé ;

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le tout : seigneur mon frère élevé. Au sud-est de Tyr, à 8.5 Km se trouve unmonument antique dénommé : Qabr Hiram (koph, beth, resh - kheth, iod, resh,mem) qui signifie : tombeau de Hiram.

ALLIANCE voir BERITH

ART ROYALDREAA : Le terme existe déjà dans la Maçonnerie Opérative et le mot ART y estcertainement utilisé dans son sens ancien. De nos jours, il désigne la Franc-maçonnerie. Son origine est discutée et discutable mais une parenté avec laterminologie alchimique n’est pas à écarter. Il se peut aussi qu’il s’agisse d’unedéformation d’ARK ROYAL (utilisé en Franc-maçonnerie anglo-américaine),ce terme se réfère spécifiquement à l’Arche de l’Alliance. Très souvent confonduavec le degré de Royal Arch Maçon du Rite de York et avec le degré écossaisde Royal(e) Arch(e) ou d’ARCHE ROYALE le nom de plusieurs systèmesmaçonniques et de plusieurs degrés dont le point commun est, le plus souvent,le symbolisme de l’Arche de l’Alliance. Certains érudits (Claude Gagne etMarcel Bakri) pensent, avec raison, qu’il y aurait une relation avec la Maçonneried’Arch ou Arch Masonry, mais tout ceci appartient à la Maçonnerie Opérative.

ATHIRSATADREAA : Une autre orthographe : Ha Tirshatha (hé tav,shin,aleph) la référence oula crainte (le préfixe ha étant l’article défini). Ce titre n’est pas un nom propremais un titre. Il est appliqué dans la Bible à Zerubabel, et à Nekhemia en tantque gouverneurs de Juda sous le roi des Perses (Esras 2, 63). Vuillaume en donnel’orthographe hébraïque (תרשתא .(ה

AVERROÈSAbu al Walid Muhamad ibn Ahmad ibn Mohammad ibn Rushd (1126-1198)connu sous le nom d’Averroès dans le monde occidental, fut le plus éminent desphilosophes arabes d’Espagne. Il est aussi réputé pour ses traités en astronomie, enmédecine et en droit canonique islamique. Il est né à Cordoue dix ans avant sonoccupation par Ferdinand III de Castille et avant l’effondrement du Califat deCordoue. Ses œuvres ont été traduites immédiatement en hébreu puis, un peuplus tard, en latin. Elles étaient devenues matière très importante pour l’étude,par les Juifs et les Chrétiens, de la philosophie d’Aristote. Ainsi Samuel ibnTibbon reprend le Guide du Perplexe ; Jacob Anatoli écrit les Préceptes desDisciples et traduit les Commentaires d’Averroès ; Shemtob ibn Falaquera écrit leGuides des Guides, un commentaire sur l’œuvre de Maïmonide.

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BA`AL (בץל)Possesseur, maître, dans tout le sens du terme (Ex. 20, 8). La divinité principaledes Cananéens, avec la Déesse Ashtaroth (Num. 20, 41). | ISH : L’origine du motBA`AL est une racine sémite commune qui signifie compagnon, propriétaire,seigneur, époux. Il est le titre de la déité ADONIS (Tammuz) Le mot est,historiquement, très ancien. | OO&RS : Maître, Propriétaire, ainsi époux.

BEQ MQKEHBQ : EQRQHSG-GCR : Il a trouvé le meurtrier dans la caverne. | DREAA : Mot composé de Bea,(beth, hé בה) dans la... et de Makeh, (mem, kaph, hé מכה) calamité, plaie, parexemple une des dix plaies d’Égypte (Lv 26, 21), et Ba mearah (mem, aïn, resh,hé) dans la grotte, (Gen. 19, 30).

BÉATITUDESLes Béatitudes, formules littéraires comportant une promesse de bonheur parfait(béatitude) pour une vie future, sont bien connues par les familiers du Volumede la Loi Sacrée : « heureux les mendiants pour l’Esprit saint et ceux qui aspirenthumblement à la spiritualité » ou du Ronsard : « Heureux qui comme Ulysse, entrepritun long voyage... ».

BEGOHAL-KOLD’APRÈS LE RITUEL REAA DU 5e AU 9e DEGRÉ ET DU 10e AU 12e DEGRÉ : AVOIR EN HORREUR.

DREAA : (beth, gimel, aleph, lamed - kaph, lamed) : tout est dans le libérateur (oudans le rédempteur) ; de GAAL (guimel, aleph, lamed) : racheter, délivrer,affranchir (Gen. 47, 16). Si KOL est traduit par voix, cela pourrait être : dans lelibérateur (ou rédempteur) est la voix. Cette expression en tant que telle n’existepas dans la Bible.

BEN DECKERDREAA : (beth, noun - daleth, koph, resh): fils de Decker, nom qui veut dire coupde poignard. Ben Decker était l’un des douze intendants nommés par Salomonsur tout Israël ; voir 1 Rois 4, 9. | RAASR : p. 192 ; Ben Decker, un des Intendantsde Salomon, dans la carrière où se cachait un des assassins présumés du Maître.Son nom est mentionné dans le registre des Princes de Salomon: 1 Rois 4, 9 ;sa signification est : le fils de celui qui divise ou celui qui perce. | ISH : (beth,noun - daleth, koph, resh). Si avec cette orthographe et une origine araméenne,ils signifieraient : fils de bélier.

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BENHORIMD’APRÈS LE RITUEL REAA DU 5e AU 9e DEGRÉ ET DU 10e AU 12e DEGRÉ : FILS DE NOBLE.

DREAA : Ben Khorim (beth, noun - kheth, vav, resh, iod, mem): fils de noble, filsd’homme libre (Eccl. 10,17), membre d’une élite. De Khorim, nobles, mot quin’a pas de singulier (1 Rois 21, 8), et de ben, fils.

BINAHDREAA : (beth, iod, noun, hé), intelligence, compréhension, connaissance, jugement (Dt4, 6). La 3e Saphira. | SG-GCR : La clé de la porte de la huitième voûte. | ISH : Enarabe Dt 4, 6, utilise le mot ( ) sage intelligent.

BOU`IZDREAA : BO`OZ ou BO`AZ (beth, aïn, [vav], zaïn) : les deux prononciations sontcorrectes : force, dans Lui est la force. C’est le nom de l’une des deux colonnesen cuivre (nechoshet) que Hiram fondit pour le Temple de Salomon (1 Rois 7,21). C’est aussi le nom de l’arrière-grand-père de Salomon (Ruth. 4), époux deRuth la Moabite. Le doute subsiste quant à la métallurgie exacte des colonnes(et d’autres objets sacrés de grande taille) du Temple. La Bible dit cuivre, ce quiest plausible. Le bronze alliage de cuivre et d’étain, était bien plus cher. Sa duretésupérieure n’était pas justifiée pour les objets aussi massifs. La même objectionvaut pour l’airain (alliage de cuivre, d’arsenic et d’étain) et pour le laiton (cuivreet zinc). | ISH : La question n’est ni la cherté ni la dureté. La question est la tem-pérature à laquelle Maître Hiram arrivait à réduire la terre porteuse de métaux,l’étain (importé par les « Phéniciens ») étant ajouté plus tard au métal primaireobtenu localement, sachant que les alliages se réduisent et fondent à des tempé-ratures plus basses que la température à laquelle fondent les métaux purs. Dansnotre cas c’est cuivre (ou, à la rigueur fer) contre laiton ou bronze. Bou`iz, (beth,vav - aïn, zaïn, zaïn, hé) ou prononcé correctement en arabe, Abou al `Izzah,c’est-à-dire : père de la force ou père de l’honneur, de la gloire ou de la puissance.

BRITH OU BERITHDREAA : (beth, resh, iod, tav) : traité, alliance. Plus spécifiquement et en ce qui nousconcerne, il s’agit de l’Alliance contractée entre Dieu et Abraham « parmi leschênes de Mamré » (Gen. 15, 18) et confirmée entre Dieu et le peuple élu sur lemont Sinaï, par l’intermédiaire de Moïse (Ex. 19, 5). | ISH : Il est intéressant denoter qu’en arabe b’rîth [= alliance] se dit musaharah [ = alliance, semarier dans une « belle-famille »], et que le mot musaharah provient de la racinetrilitère arabe sahara = , qui signifie : faire fondre un métal à partir de la terreou d’un minerai, constituer un alliage.

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BUISSON ARDENTEx. 1, 2-6 : L’Ange de Yahvé lui apparut, dans une flamme de feu, du milieu d’unbuisson... Et Il dit : « Je suis le père de tes pères, le Dieu d’Abraham, Le Dieu d’Issacet le Dieu de Jacob ». Alors Moïse se voila la face, car il craignait de fixer son regardsur Dieu. Dieu est à ce point transcendant qu’une créature, même Moïse, nepeut le voir et vivre. Voir aussi, Ex. 3, 2: « Et Moïse vit que le buisson était tout enfeu, sans pourtant se consumer ».

CAVERNED’après une planche de notre frère Gabaon, datée du 22 novembre 1994 : « ... la caverne nous arrache... à l’inconscience de la terre où nous sommes enfermés pournous élever vers les sphères les plus hautes. Car la véritable ouverture de la caverne nenous ramène pas sur la terre inférieure, ainsi que nous serions portés à le croire, mais versune terre infiniment plus haute. C’est en ce sens que, selon la tradition, la grotte deMakpéla où dorment les ossements d’Abraham s’ouvrait sur le Paradis... De fait, j’ai reçuma vie dans le ventre maternel où l’embryon que je fus mûrissait en attendant de mériterle jour... C’est pourquoi, selon la sourate 18, al Kahf, Allah enferma les rois, les cinq oules sept enfants ainsi que leur chien dans la Caverne, les plongea dans un sommeil profondqui dura trois cent neuf ans et les en tira finalement de sorte que leur foi fut fortifiée et laconstance à jamais établie dans leur cœur... »

CHEVALIERDREAA : Du latin caballarius, homme armé à cheval, de caballus, terme péjoratifpour cheval qui remplaça equus dans le latin vulgaire. Le mot apparaît pour lapremière fois, sous la forme cavalier, dans la chanson de Roland (1080). Il y adéjà le sens de noble à cheval. La chevalerie a toujours véhiculé, par ses légendeset traditions, un enseignement moral et ésotérique non négligeable dans lequella Maçonnerie a souvent puisé. Mais l’engouement de la Franc-maçonnerie pourla Chevalerie en tant que telle (et pour une supposée ascendance chevaleresque)ne se manifeste que bien tardivement, vers le début du XVIIIe siècle (discoursdu Chevalier de Ramsay, 1738). Cet engouement ne s’appuie sur aucune preuvehistorique. Il n’est peut-être dû qu’à l’anoblissement, tout à fait fictif maisnéanmoins flatteur, dont jouirait le candidat accepté dans une Loge (port del’épée, port du chapeau). Ceci n’a pas empêché la création des quelque troiscents degrés « chevaleresques » cités par Daniel Ligou, mais dont bon nombre nesont peut-être dus qu’à la féconde imagination de Ragon. Le R.E.A.A. contient(ou a contenu) une bonne vingtaine de ces degrés.

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CLEFLa clef symbolise à la fois le rôle d’initiation (ouvrir) et de discrimination(fermer), ce qu’indique avec précision l’attribution des Clefs du Royaume desCieux à saint Pierre. Sur les armoiries papales figurent deux clefs, une d’or l’autred’argent. Les clefs de Janus ouvrent aussi les portes des Solstices. Chez lesmusulmans, réciter la Shéhadah, l’incipit du Coran, est la clef du Paradis.Posséder la clef c’est avoir été initié. La Clef d’Ivoire est le bijou du Maîtresecret.

CIVIVOIR AU 7e DEGRÉ, LORSQUE JOHABEN FUT INTRODUIT

AU SAINT DES SAINTS IL TOMBA À GENOUX EN DISANT CIVI

DREAA : Pourrait venir de Shivi, (shin, beth, iod) : la forme impérative fémininedu verbe « s’asseoir » : assieds-toi, femme ! Selon Delaulnaye, ce mot veut dires’incliner en hébreu ; c’est faux. Une interprétation bien plus probable, d’aprèsla fonction du mot dans le rituel du seul grade où il apparaît, exigerait que cesoit plutôt une déformation de KI (kaph, iod) : ou bien un rapprochement dumot avec le terme qu’utilisent les chameliers pour faire agenouiller leursbêtes. | ISH : Si l’orthographe du mot CIVI est (kaph, beth, iod): incline-toi, duverbe-racine trilitère (kaph, beth, aleph), kaba’a : s’incliner. Se dit des animauxde trait ou, à la rigueur, il est adressé aux gueux pour s’incliner respectueusementdevant leur seigneur. | GUERILLOT 1 : p. 279, Civy existe bel et bien, en hébreu,sous la forme שיבי, comme seconde personne féminin de l’impératif du verbeשב qui signifie : vieillir, avoir des cheveux blancs, mais qui en hébreu bibliques’écrivait : שיב avec le sens d’être très vieux.

CORDE NOUÉELa corde à nœuds qui entoure le Tableau d’Apprenti et qui est attachée auxquatre murs de notre Atelier. Il s’agit d’une corde formant des nœuds appelés « Lacs d’Amour » et terminée par une houppe à chaque extrémité. Le nombrede ces « Lacs d’Amour » est de onze. En ajoutant les deux houppes ou les deuxextrémités de la corde, 12 segments sont ainsi formés, représentant les douzesignes du Zodiaque. La Houppe Dentelée serpente sur les murs de la Loge, ellecourt de la colonne B∴ à la colonne J∴ sans toutefois unir ces dernières. Lequatrième côté, l’Occident, doit rester en contact avec le monde extérieur. Elle englobe le périmètre du temple mais laisse libre d’accès l’emplacementsacré. Elle encadre la porte du temple, porte qui permet d’entrer sous certainesconditions, mais aussi de sortir. Cette corde ne nous lie pas. En aucun cas letemple ne doit devenir une chapelle.

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CYRUSDREAA : Forme grecque de kurush (persan, ancien, fils). En hébreu Koresh (kaph;resh, shin כרש). Il n’y a pas de traduction acceptée ; c’est sans doute unetransportation phonétique. Roi de Perse (550 à 529 av. J.-C.) souvent cité endithyrambiques dans la Bible (Isa. 44, 28; Isa. 45, 1) comme le sauveur du peuplejuif exilé à Babylone et donc comme l’un des moteurs de la reconstruction dusecond Temple de Jérusalem par ha Thirsatha Zérubabel. Selon la Qabala, sonnom serait une anagramme de Kasher, valable, valeureux, conforme. | OO&RS :

De l’hébreu kôresh, en perse Kurush et qui signifie berger. En octobre 539Cyrus entre à Babylone, en 538 il proclame son édicte appelant la fin de la capti-vité des Juifs et ordonnant la reconstruction du Temple de Jérusalem et le retourde la vaisselle sacrée au sanctuaire (2 Chr. 36, 22-3).

DARIUSForme hellénisée du parsi daraiavahush, celui qui soutient le bien. En hébreuDariavesh (daleth, resh, iod, vav, shin דריךש). L’étymologie et la signification de cenom en hébreu sont incertaines. Sans doute, il s’agit d’une simple transpositionphonétique. Roi de Perse (historiquement, Darieus Hystapses, 522 à 486 av. J.-C.), le successeur (ou fils ?) de Cyrus le Grand. Dès la seconde année de sonrègne, il permet que la reconstruction du Temple de Jérusalem par les Hébreuxse poursuive sous la conduite de Ha Thrisatha Zérubabel. (Esd. 4, 5) | OO&RS :

Du grec Dareios, de l’hébreu Daryavesh, du vieux persan Daryavahus, celui qui soutient Dieu. Roi de Perse (522 à 486 av. J.-C.). Il autorise les Juifs, à la deuxième année de son règne (520), de reconstruire le Temple de Jérusalem(Esd. 4, 5).

DAVIDBien-aimé. David fils de Jesse, roi de Judeh et d’Israël (1010-970). Le jeuneDavid fut harpiste, 1Sam 16, 14-23 ; berger 1Sam 17, 12, 15, 20, 28 ; est admis àla cour de Saül et devient son « porte armoiries ». Il épouse Michal, la fille deSaül, 1Sam 18, 17-39. À la mort de Saül, il fut oint, à Hebron, premièrementcomme roi de Judeh 2Sam 2, 1-4, 11, puis comme roi d’Israël, 2Sam 5, 1-3.

DELTADREAA : Du grec delta, la quatrième lettre de l’alphabet grec, correspond al’hébreu daleth ד et à l’arabe dâl . Ces lettres possèdent un symbolisme propreassez complexe auquel, dans le cas de la lettre grecque, se superpose celui de saforme ancienne (et de sa forme majuscule moderne) en triangle équilatéral. Il faut rappeler que le delta est parfois lumineux ou radieux.

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EIN SOFDREAA : (aleph, iod, noun – samekh, vav, pé), infini, nom créé par la Qabalah pourle Dieu parfait, infini et inconnaissable.

EL KHANANDREAA : (aleph, lamed - koph, noun, noun) : grâce de Dieu (1 Sam.21, 19). Fils deJaïr, il tua Lakhmi, le frère de Goliath (1 Chr. 20, 5). L’un des trente preux deDavid (2 Sam. 22, 24). Un des noms de Dieu dans la tradition hébraïque. De même, le nom de l’une des arches soutenant une certaine voûte. | ISH :

El c’est Dieu, Hanân et signifie tendresse, affection.

ELIAHDREAA : (aleph, lamed, iod -hé, vav): mon Dieu est Yah ; voir aussi ELIAHOU, quiétait un grand prophète réformateur juif du IXe siècle avant J-C (1Rois 17, 1),plus connu sous le nom d’Eli et qui monta aux cieux dans un chariot(Merkabah) flamboyant... Aussi le nom de l’une des neuf arches soutenant unecertaine voûte.

EMEREKDREAA : Emerek est une déformation de AMAR YAH. (aleph, mem, resh - iod,hé) : Dieu a dit. Expression assez courante dans la Bible. En tant que nom proprenous concernant, il pourrait bien s’agir du grand-père de Zadok, le Grand Prêtre au temps de David (1 Chr. 6, 7), soit d’un prêtre cosignataire de l’alliancede Nekhmiah avec Dieu (Néh. 10, 3).

EMETHDREAA : (aleph, mem, tav) verité, (Gn26,27), l’un des noms les plus puissants deDieu, pour les étudiants de la Qabbalah. Il est dit avoir été écrit sur le front duGholem de Prague par le célèbre Rabbin Yéhuda ben Betsalel Loew. | MEoF : Véritéest un attribut divin et la base de toutes les vertus. Être bon et véridique est laleçon qui nous soit enseignée en maçonnerie. Sur ce thème nous contemplonset de par ses diktats nous essayons de régler notre conduite, influencés par ceprincipe, l’hypocrisie et la tromperie ne sont pas connues dans la Loge.

EMMANUELDREAA : Autre orthographe Imanouel (aïn, aleph, noun, vav, aleph, lamed עמאנואל)Elohim est avec nous (Isaïe 7, 14). Le nom symbolique donné au fils annoncé àAhaz et au peuple de Juda pour leur signifier que Dieu les délivrerait de leursennemis. Le thème fut repris par Matthieu, pour le compte de Jésus (Matt. 1,

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23). Il n’y a pas de justification pour double M, laissé ici juste pour respecter unehabitude séculaire, car l’hébreu ne connaît pas de double consonne sans voyelleintercalaire. | ISH : De l’Araméen, nom composé de trois mots ainsi: (אל עם מן`im ma nu’il) le premier mot עם : `im signifie avec, voir Dn 2, 18 ; le deuxièmemot מן : man qui signifie qui, voir Esd 5, 3 et el qui signifie dieu, le tout serait אלune phrase nominative avec qui Dieu est. | OO&RS : Autre orthographe Immanuel. De l’hébreu `Imman’el, « avec nous est Dieu » voir Ex. 17, 7 et Ps 46 un nomsymbolique d’un descendant de la maison de David, repris pour Ahaz, le nomdésigne non seulement Hezekiah mais aussi Le Messie, Jésus le fils de Joseph,Mt 1, 23.

ENOCHDREAA : Par l’orthographe Khanokh (kheth, noun, vav, kaph) : dédié à Dieu. Le fils aîné de Caïn, petit-fils d’Adam et d’Eve (Gen. 4, 17, 18) et père deMathusalem (Gen. 5, 21). Auteur présumé du livre (apocryphe) de la Bible quiporte son nom. Il « ... vécut 365 ans. Il marcha avec Dieu et puis ne fut plus, car Dieule prit. » (Gén. 5, 23, 24). Selon la tradition maçonnique, trois frères auraientdécouvert une voûte datant de son époque. Sous cette voûte, un piédestal centralportait une pierre sur laquelle un ancien mot est gravé. | ISH : Notons qu’Enochse dit Idris en arabe et que la tradition islamique, parallèle à la tradition judaïque,mentionne dans la Sourate al Isrâ’, sourate 17, que Mahomet durant sonascension vers Dieu rencontre Noé, Joseph, Moïse, Idris (Enoch) et Jésus à sonarrivée au sixième ciel. Selon cette même tradition, Enoch serait l’arrière-grand-père de Noé. Dans le chapitre 4 de la Genèse, verset 26 : « Un fils naquit à Seth...le nom d’Enoš, celui-ci fut le premier à invoquer le nom de Yahvé ». Enoš (aleph, noun,shin) n’a aucune relation avec Enoch (kheth, noun, kaph) quoique l’orthographelatine soit à peu près similaire. Que Enoš eut connaissance du nom ineffable deDieu est une tradition yahviste, la tradition élohiste et sacerdotale retarde jusqu’àMoïse la révélation du nom divin ineffable : Yahvé. D’après Josephus, AntiquitésI, 62-63 et I, 79 et 85-86, il y eut dans la Bible deux Enoch : Enoch (1) fils deCaïn et Enoch (2) fils de Jared. | OO&RS : Enoch, (kheth, noun, vav, kaph), motqui signifie : Inauguration, Consécration. Il y aurait eu quatre Enoch dans laBible : Enoch (1), fils de Caïn et père d’Irad (de la Généalogie Yahviste), Gen. 4,17-18 ; fils de Jared et père de Mathusalem (de la Généalogie Sacerdotale), Gen.5, 18-23 ; 1 Chr. 1, 3. Un patriarche antédiluvien. « Enoch vécut Trois Cent SoixanteCinq ans. Enoch marcha avec Dieu. Puis il disparut parce que Dieu le Prit, » Gen. 5,22-24; Si. 44, 16; 49, 14 ; Heb. 11, 5. Un ancêtre de Jésus d’après Luc 3, 37. Uneprophétie lui est attribuée, Jude 14, qui est en fait une citation prise du Livred’Enoch. Enoch (2), un des cinq enfants de Midian, un petit-fils d’Abraham et

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de Keturah, Gen. 25, 4 ; 1Chr. 1, 13. Comparer avec el-Hanakiya dans l’Ouestde l’Arabie Saoudite. Enoch (3), l’aîné des quatre enfants de Reuben, Gen. 48, 9 ; Ex. 6, 14 ; 1Chr. 5, 3 ; ses descendants formèrent le clan des Hanochite, Nb26, 5. Enoch (4), d’après Gen. 4, 17 le nom de la première ville que Caïnconstruisit. Les Écritures ne fournissent que très peu d’information sur Enoch ;la tradition maçonnique le rapproche, par plusieurs circonstances, des anciennesinstances. | MEoF : Son père, Mathusalem, bâtit le temple, bien qu’il ne fût pas aucourant des raisons qui motivèrent son père à faire exécuter cette construction.Le temple consistait en un groupe de neuf voûtes en brique, bâties perpendi-culairement l’une sous l’autre, le tout étant sous terre et communicant par desouvertures laissées dans le sommet des arches de chaque voûte. Enoch fit faireune plaque triangulaire en or dont chaque côté était d’une coudée ; il l’enrichitde pierres les plus précieuses puis il l’incrusta dans une roche d’agate qui portaitla même forme. Sur la plaque, il y fit graver les lettres ineffables, le vrai nom dedieu. Et la plaçant sur un piédestal cubique de marbre blanc, il déposa le toutdans la voûte la plus profonde. Un correspondant du Freemason’s Quarterly Reviewdit à ce sujet : « Il semble peu probable qu’Enoch introduit le principe spéculatif dans lacroyance maçonnique et qu’il fut à l’origine de son caractère exclusif », cette théorie, fût-elle acceptée, doit être prise avec d’énormes modifications. Le nombre desannées de sa vie semble contenir un sens mystique, car elles se chiffrent à troiscent soixante cinq soit exactement l’égal d’une révolution solaire. Dans tous lesanciens rites ce nombre occupe une place prééminente, car il est la représen-tation de la course de ce luminaire qui, comme le « fructificateur » de la terre,fut l’objet particulier du culte divin. « Enoch lui-même n’est que le symbole del’initiation et sa légende compte systématiquement à exprimer la doctrine que la ParoleVraie ou la Vérité Divine étaient préservées dans les anciennes initiations ». La légendenous raconte qu’Enoch, après avoir construit le temple sous terrain et prenantpeur que les principes de l’art et des sciences qu’il a cultivées avec tant d’assiduiténe soient entièrement perdus dans la destruction générale de laquelle il reçutune vision prophétique, il érigea deux piliers – l’un de marbre pour résister àl’influence du feu et l’autre en airain pour résister à l’action de l’eau. Il fit graver,sur le pilier d’airain, l’histoire de la Création, les principes des Arts et desSciences et les doctrines de la maçonnerie spéculative, telles qu’elles étaientexercées de son temps ; et sur celui de marbre, en hiéroglyphe, il fit graver qu’unprécieux trésor était enseveli sous une voûte sur ce lieu. Josephus nous donneun compte rendu sur ces piliers dans le premier livre des Antiquités; il les imputeaux faits des enfants de Seth, ce qui n’est d’aucune contradiction avec la traditionmaçonnique ; Enoch (1) était fils de Caïn, fils d’Adam et Enoch (2) était fils deJared. Gen. 5 nous dit : Enoch fils de Jared fils de Mahaléel fils de Kenan fils

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d’Enoš. fils de Seth fils de Adam, c’est-à-dire de la sixième génération aprèsAdam, tandis que Enoš fils de Seth fils de Adam était de la deuxième générationaprès. Que leurs inventions, aux dires des historiens, ne soient pas perdues avantqu’elles ne soient connues, sur les recommandations des prédictions d’Adam quele monde serait un jour détruit par la force du feu ou encore par la violence etla quantité d’eau, ils bâtirent un pilier en brique et un autre en pierre ; ilsinscrivirent leurs découvertes sur les deux piliers ; si le pilier de brique est détruitpar le déluge, le pilier de pierre reste et expose les découvertes à l’humanité et ilinforme qu’il y avait un autre pilier en brique bâti par eux. Maintenant celademeure tel quel jusqu’à nos jours dans la terre de Siriad. À la mort d’Enoch,Mathusalem, Lamech et la destruction du monde par le déluge, toutes connais-sances de ce temple, et du trésor secret qu’il contenait, étaient perdues jusqu’aujour où il fut accidentellement retrouvé par un autre franc-maçon méritant qui,tel Enoch, était engagé dans l’érection d’un temple sur le même endroit.

EN SOFPrononcé Ein Sof ou Soph, (aleph, hé, iod, hé) (אהיה) infini qui sera.Nom créépar la Qabalah pour le Dieu Parfait, Infini et Inconnaissable se confond avec Aïn,ou Afissa, le Néant ou le Chaos.

ESER YAHVE YAHVEPhrase exclamative hébraïque que l’on pourrait vraisemblablement écrire enfrançais ainsi : « Lequel est Yahvé Yahvé ».

ÉTOILE FLAMBOYANTEDREAA : Pentagone étoilé, étoile à cinq branches, représentée avec cinq flammespointant entre les branches et le plus souvent avec une lette G au centre. D’unsymbolisme complexe que nous ne développerons pas ici, l’Étoile Flamboyanteest l’apanage particulier d’un degré bleu, mais se retrouve pratiquement à tousles degrés, qu’ils soient bleus ou rouges.

GABAONDREAA : Forme grecque de l’hébreu Guiv`on. Guiv`on, (guimel, beth, aïn, vav,noun) : hauteur, petite colline, le nom d’une région : Gabaon en grec. C’est parles Gabaonites que fut gardée l’Arche pendant la construction du Temple. Ce sont eux aussi qui obtinrent par la ruse un traité d’alliance avec Josué (Jos. 9) qui les défendit néanmoins contre leurs ennemis, contre le bien, épisodeconnu de l’arrêt du soleil (Jos. 10, 12). | ISH : Mot d’une racine sémite communeGaba`a (gimmel, beth, aïn) qui signifie colline. La terminaison thématique ön

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donne le diminutif du mot. Ainsi Gaba`on signifie petite colline. | MEoF : Gabaonest une place élevée. C’est la ville où le Tabernacle était rangé durant les règnesde David et de Salomon.

GATHD’APRÈS LE RITUEL REAA DU 5e AU 9e DEGRÉ ET DU 10e AU 12e DEGRÉ :

VILLE DU ROYAUME DONT LE ROI EST MA`AKAH : VOIR 1 ROIS 2, 39.

DREAA : (guimel, tav) : pressoir, [ISH- pays des pressoirs d’olives, au nord-est de laGalilée] nom du Pays du roi Ma`akah où, selon une légende, s’enfuirent deuxdes assassins. L’histoire est visiblement inspirée de l’épisode des deux esclaves deShimel, dans 1 Rois 2, 39.

GÉOMÈTREVoir La Géométrie Sacrée de Fra Luca Pacioli, revue et réécrite par I. Haddad.

GHIBLIMDREAA : (guimel, beth, lamed, iod, mem) : les habitants de Gebal ; collines, enphénicien (Josué 13, 5), une ville côtière de Phénicie qui fut appelée plus tardByblos. Les Ghiblim participèrent, en tant qu’ouvriers mais pas toujours de bongré, à la construction du Temple de Salomon. Enfin Delaulnaye traduit le mot,sans aucune justification, par les Termes.

GOHAProbablement Goh ou Geh, (gimel, vav ou iod, kheth) qui signifie jaillir (Jb. 38,8) ; hurler (Mi. 4, 10) aussi Gihé (gimel, kheth, hé) tirer (Ps. 22, 10).

GOMEL, MISÉRICORDIEUXDREAA : (guimel, mem, lamed): celui qui récompense, qui fait mûrir, qui libère(Isaïe 18, 5). Delaulnaye traduit cela plus poétiquement par qui donne à chacunselon ses œuvres. L’un des noms (et attributs) de Dieu. | ISH : En arabe, le motgamal, est le nom vulgaire du dromadaire : ami, serviteur, bienfaiteur voire mêmesauveur de l’homme dans sa marche dans le désert ; le musulman récite : Allah(Dieu), al Rahmân (Miséricordieux), al Rahîm (Omnipotent).

GUEVOURAHDREAA : (guimel, beth, vav,hé), puissance, force, courage, (Dt 3, 24). Le nom de la5e colonne. | SG-GCR : Une autre orthographe Gueburah. La clé de la porte dela sixième voûte. | ISH : En arabe le mot de Dt 3, 24 est : ( ) et signifie trèspuissant.

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GUIBULUMDREAA : (guimel, iod, beth, lamed, mem) confident de Salomon selon certainsrituels. Probablement une déformation de Guiblim, pas de traduction.AL HALLAG, Abu-`Abdallah al -Husein ibn-Mansour ibn-Mahanna, dit al-Hallaj (Hallaj mot sujet du verbe-racine trilitère halaja (kheth, lamed, guimel)qui signifie : carder le coton, et hallâj cardeur, ouvrier qui peigne, démêle lecoton avec une carde, sorte d’arc soutirant un fil fait d’intestin de chat, de lapinou de gazelle), né non loin de Shirâz en 858, fut flagellé, condamné à la potencepuis décapité et brûlé par l’inquisition `abbaside pour avoir déclaré : « je suis laVéracité » (véracité, qualité de ce qui est conforme à la vérité ; en arabe se dit :haq. Vérité, qualité de ce qui est vrai ; en arabe se dit haqîqah. La phrase nomi-native utilisée par al Hallâj est : ana al haq, (je suis la véracité), en 922. Cette « crucifixion » le rendit le plus célèbre martyr soufi de l’Islam.

HAYAH, et une autre orthographe HAÏ, DREAA : (kheth, iod) vivant (Gen. 9, 3). Un des noms (et attributs) de Dieu entant de donneur de la vie.

HESEDDREAA : (Kheth, samekh, daleth), amour, charité, grâce ou miséricorde (Gn 19,19). 4e Saphira. | SG-GCR : La clé de la porte de la septième voûte. | ISH : En arabel’orthographe du mot est : ( ) et signifie jalousie, envie.

HIRAMDREAA : L’orthographe correcte est KHIRAM (kheth, iod, resh, mem) : mon frèreest élevé ou exalté. Parfois trouvé sous la forme AKHIRAM (aleph, kheth, iod,resh, mem), même traduction ; ou HURAM (hé, vav, aleph - resh, mem), il estélevé ou exalté. De nombreuses autres traductions, plus ou moins fantaisistes,ont été proposées. L’avantage de celle donnée plus haut est d’être exacte. Nomdu roi de Tyr, ami et allié du roi Salomon (1 Rois. 5) ainsi que du célèbre artisandu Temple de Jérusalem (1 Rois 7). Dans la tradition maçonnique, ce dernierconsidéré comme l’Architecte du Temple, est souvent appelé ADON KHIRAMou KHIRAM AVI, Seigneur Khiram ou Khiram mon père. Personnage centralde la légende maçonnique, épitomé de toutes les qualités qu’un franc-maçondevait avoir. La plus grande partie du REAA est tissée autour de sa personne (etcelle du roi Salomon), de sa vie, de ses actes, de sa mort et des événements quisuivirent sa mort. | ISH : Il existe de nos jours, au Liban, à huit kilomètres etdemi au sud-est de Tyr, un village du nom Qabr Hiram (= tombeau de Khiram)dont l’orthographe est : (koph, beth, resh - kheth, iod, resh, mem).

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HODDREAA : (hé, vav, daleth) majesté, splendeur (2 Chr 29, 11) 8e Saphira. | SG-GCR :

La clé de la porte de la troisième voûte.

HOKMAHDREAA : (khet, kaph, mem, hé), sagesse, habilité, humour (Ex 28, 3). La 2e

Saphira. | SG-GCR : La clé de la porte de la neuvième voûte. | ISH : En arabel’orthographe du mot est ( ) Hikmah et signifie sagesse.

IBMDREAA : Ce sont les initiales de Iakin (plutôt Yakin), Bo’oz, Ma Haboneh. Rien àvoir avec l’ordinateur qui a servi à la préparation de ce dictionnaire. ibn al`Arabi, Abu-Bakr Muhammad ibn `Ali Muhyiddîn ibn al `Arabi, l’hispano-arabedu XIIe siècle (le XIIe fut la période de développement du soufisme chez lesArabes et la Cabale chez leurs cousins les Juifs. Abu -`Imran Mûsa ibn-Maymûnou Moshe ben Maimon, en hébreu ou encore Leon Maimonides, en latin. DeMaïmonide, Mendelssohn a dit en parlant de Moïse et de Maïmonide : « de Moiseà Moise [Maïmonide] il n’y a d’autre que Moise ». Ce dire exprime la positionéminente que Maïmonide acquit dans le jugement général des Juifs du mondeentier, il était le plus grand génie spéculatif et mystique du Soufisme Islamique.Il naquit à Murcia en 1165 et se développa plus particulièrement à Sévillejusqu’en 1201. L’année suivante, il entreprit son pèlerinage à la ville sainte deLa Mecque et demeure à Damas jusqu’à sa mort en 1224.

IESOD OU YESODDREAA : (iod, samekh, daleth) foundation (2 Chr 23, 8). La 9e Saphira. | SG-GCR :

La clé de la porte de la deuxième Voûte. | ISH : En arabe Yasûd, signifie restermaître de soi, ( ).

IODDixième lettre et première lettre par excellence de l’alphabet sémitique. Cettelettre est très symboliquement commentée par les trois langues sémitiques,l’araméen (araméen occidental, syriaque), l’hébreu et l’arabe. La Qabale trace desplanches entières sur le caractère carré hébreu de iod. | DREAA : Soit (iod) soit(iod, vav, daleth) : nom de la dixième lettre de l’alphabet hébreu. L’un des nomsde Dieu, l’unité du principe créateur selon la Kabbale. Aussi main dans le sensde main créatrice, connaissance et souvenir. Fait partie, avec Ivah et Yahve, d’untriangle sacré utilisé par les Kabbalistes. Nom de l’une des neuf arches soutenantune certaine voûte.

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IYVAHDREAA : Ou iva ou ivah (iod, vav, hé): un des noms de Dieu selon la Kabbale. Faitpartie, avec iod et yahvé, d’un triangle sacré utilisé par les Kabbalistes. La forme(iod, vav, aleph), parfois rencontrée dans les textes, est incorrecte. N’existe pasdans la Bible. | MEoF : p. 143 ; Maimonide le nomme le nom à deux lettres (hé,vav) qu’il fait dériver du Tétragramme et en dit qu’il a une abréviation de celui-ci. Il est uniformément traduit dans la Bible par : Seigneur et il est considérécomme synonyme de Jéhovah à l’exception du verset 4 du Psaume 68 de laVersion King James, le mot de garde, son orthographe est : JAH « ... exalter lechevauchant des nuées, Jubilez en JAH, dansez devant sa face ». À quoi le Targumcommente : « Exaltez celui qui siège sur le trône de la gloire du neuvième ciel ; JAH estson nom ».

JABULUMUne autre orthographe : Jabulon, traditionnellement, mais dans aucune langueconnue, bon maçon. Très probablement une déformation de zebulum, bien quecertains, cités dans Vuillaume, fassent venir le mot de Jobel (Yovel = jubiléet jubiler, un des noms de Dieu et le nom de l’une de neuf arches supportantune voûte). Du point de vue grammatical ce serait possible, car le suffixe ôn estun diminutif courant en araméen, hébreu et arabe anciens et modernes.

JAKIN(iod, kaph, iod ou vav, noun) ou prononcé correctement en arabe yakon (iod,kaph, noun), c’est-à-dire il sera ou il fera. | DREAA : Jakin ou Yakin, (iod, kaph,iod, noun) : ferme, stable, établi. Une des deux colonnes que le maître et artisanKhiram, fils de la veuve de Tyr, fondit pour le Temple de Salomon (1Rois 7, 21).Aussi le nom du troisième fils de Simon (ou plutôt Shim`on), petit-fils de Jacob(ou plutôt Ya`kov, Gén. 46, 10).

JACHANAÏ OU JAKINAÏD’APRÈS LE RITUEL REAA DU 5e AU 9e DEGRÉ ET DU 10e AU 12e DEGRÉ : PLURIEL DE JAKIN.

DREAA : Ancienne écriture phonétique de YAKINAÏ, devenue incorrecte à notreépoque ; YAKINAÏ, (iod, kaph, noun, aleph, iod) : de YAKIN ; peut être traduitcomme ma fermeté/stabilité, comme Dieu est ferme/stable ou comme établipar Dieu. Marcel Bakri le traduit par Shekhina, présence divine. Ce n’est pas,comme on tend parfois à le croire, le pluriel de YAKIN, qui est YEKHINIM. Leterme n’est pas biblique, il provient de la tradition cabalistique. | ISH : Si l’ortho-graphe est : (א ,et que le mot est d’origine araméenne et non hébraïque (יכןle mot YAKINA’I signifierait : la certitude, la fermeté, Le Stable, L’ÉTABLI, la

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terminaison ’I étant l’article défini placé à la fin du mot pour la Singularité etla Grandeur.

JAREDNom propre masculin, du verbe trilitère Yared (iod, resh, daleth) qui signifiedescendre, se dit des luminaires. Voir Ex. 18, 14: « Moïse descendit de la montagnevers son peuple, lui enjoignit la pureté et ils lavèrent leurs vêtements ». | OO&RS : Indiquepour Yared : nous renvoie à Irad : fils de Mahalael et père d’Enoch, Gen. 5, 15-16, 18-19 (généalogie sacerdotale) ; comparer à 1 Chr. 1, 2. Un ancêtre de Jésus,Lk 3, 37. Un des patriarches antédiluviens.

JEHOVAAU 5e DEGRÉ, JEHOVAH EST LE MOT DE PASSE DE CE GRADE.

DREAA : Le nom couramment utilisé (avec Yehova) dans la littérature occidentalepour vocaliser « Yahvé » (iod, hé, vav, hé) un des noms de Dieu, le tétragrammeineffable de la tradition hébraïque. Contrairement à une opinion répandue, lemot apparaît tard dans la Bible, lorsque Dieu se nomme pour la première fois àMoïse (Ez. 6,3) et peut souvent : exactement 27 fois (3x3x3), dont 18 dans lespsaumes. Sa traduction est bien entendue inconnue ; sa prononciation exactereste en fait aussi un mystère total, car ce que le Grand Prêtre prononçait unefois par an dans le saint des Saints pouvait être tout aussi bien une phrase ayantcomme acronyme le Tétragramme Sacré qu’une transposition (gématrielle parexemple) des caractères en un autre mot, une opération de témoura ou toutautre codage imaginable. Seulement deux personnages historiques (oulégendaires ?), assez récents d’ailleurs, furent réputés en connaître la vraie pro-nonciation : Israël Baal Shem Tov, fondateur malgré lui du Hassidisme, et RabbiYehouda ben Betsalel Loew de Prague, créateur du Golem. Yahvé est souventet traditionnellement traduit par : Je suis Celui qui est ou qui suis, parce que leseigneur lui-même utilise le terme en s’adressant à Moïse sur le mont Sinaï (ouHoreb, Ex. 3, 14 ; [ISH- ou encore Tuwa, Coran : 20, 12] mais cette traductionest difficile à défendre du point de vue grammatical ou étymologique. SelonClaude Gagne, Yahvé ou Yéhovah aurait été jadis, du temps des Opératifs, le motque l’on donnait en réponse à Ma-Haboneh, qui fut perdu par la suite maisretrouvé dans un autre contexte. | ISH : D’après les écrits sacrés en arabe, Dieuaurait répondu à Moïse (Coran : 20, 8) Huwa ( , ) et par la suite on imploraitDieu disant : Ya Huwa ( iod - hé, vav, hé) qui signifie : Ô! Lui. | ISH : Jeo, ouplus exactement Yaho, (iod, hé, vav) un des noms de Dieu, non-biblique. | VMM :

Dit : celui qui existe. C’est aussi le nom de l’une des neuf arches suppor-tant une voûte, dans la tradition maçonnique : dixit DREAA.

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JEKSANDREAA : Probablement une ancienne écriture de IKHSAN, (aïn, koph, shin, noun)homme ayant les genoux cagneux. De IKESH (aïn, koph, shin) tordu, pervers (Prov2,15). Terme non biblique, très improbable dans le contexte où on le trouve. Voirplutôt IOKSHAN (iod, vav, koph, shin, noun) chasseur d’oiseaux, oiseleur, le nomde l’un des fils de’Abraham par Ketura (Gén 25, 2 -3). | ISH : De l’arabe Yaqzân( ) nom propre pluriel de YAQEZ qui signifie évéillé, intelligent.

JOHABENDéformation de la phrase, en hébreu, « Yeho ha Ben » (iod, hé, vav, hé - hé -beth, noun) | DREAA : Johaben ou Jehohaben, l’un des trois meurtriers selon unetradition rapportée par Vuillaume. Il existe dans la tradition des nombreusestriades de noms attribués aux trois meurtriers. Si l’orthographe du mot est : (iod,hé, vav - hé - beth, noun) : le fils de Dieu. Terme post biblique. | RAASR : p. 99 :Johaben est appelé « Joabert », ceci, d’après la légende des hauts degrés, le nomdu chef favori de Salomon qui encourut la colère de Hiram de Tyr durant unecertaine occasion, mais qui fut ultérieurement pardonné ; il fut nommé leSecrétaire de Salomon et de Hiram pendant leurs réunions les plus intimes ; ilfut plus tard, avec Tito et Adoniram, promu au poste de Prévôt et Juges. Le nomn’est évidemment pas hébreu ou il a dû subir énormément de déformations ;dans sa forme actuelle, on ne peut pas retracer son origine hébraïque. | SG-GCR :

Le chef des Neuf Élus envoyés à la recherche des assassins de Hiram.

JOPPE voir YAFFA

JUAUne forme corrompue du tétragramme, et un mot célèbre dans les HautsGrades. | MEoF : Article « Jua »). Yah (iod, hé). | DREAA : (iod, hé) un des nomsde Dieu (Psa. 68, 4). Le nom d’une des neuf arches supportant une voûte, dans latradition maçonnique. | VMM : Dieu de force.

JUBEn réalité ce nom devait être la lettre iod qui signifie, en toute modestie, origine,commencement.

JUDADREAA : Ancienne écriture de YEHUDAH (iod, hé, vav, daleth, hé), devenueincorrecte à notre époque ; (iod, hé, vav, daleth, hé) : nom du quatrième fils de Jacob et de Léa ; nom de la tribu ; nom du pays (Judée) qui fut initialement

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attribué à la tribu. Probablement dérivé de YHUDA (iod, hé, vav, daleth, aleph):union en araméen. Dans Gén. 29, 35, la Bible semblerait lui donner le sens delouange. Dieu guidera en est une autre traduction valable. Le nom, très commun,est cité des dizaines de fois dans la Bible et reste encore très courant de nosjours. | ISH : C’est le nom du disciple de Jésus qui quitte la Cène prématurémentavant que Jésus ne soit arrêté. | MEoF : Nom d’une des douze tribus d’Israël priseen captivité. Seules Juda et Benjamin retournent sous Zerubabel pour reconstruirele second Temple.

JUSTICEDREAA : tsedek ou sadaqa צדק) = tsadik, daleth, koph) en hébreu. | RAASR : Unedes quatre vertus cardinales du vingtième degré et qui fait partie du premierdegré de la maçonnerie. Elle est généralement représentée par une Marianneaux yeux bandés portant d’une main une épée et de l’autre une balance, avecles pieds bien plantés sur le sol et qui se tient bien droite. | SG-GCR : Au 20e

degré, mot inscrit sur la colonnette de l’Occident.

KELEH NEKAMDREAA : Composé de deux mots, Keleh ; (kaph, lamed, aleph כלא) geôle (2R 25,29) et Nekam, (noun, kaph, mem נכם) se venger, vengeance. | SG-GCR : Arme devengeance.

KETERDREAA : (kaph, tav, resh) couronne (Esth 1, 11) La 1re et la plus exaltée des Sephirot.| SG-GCR : La clé de la porte de la dixième voûte. | ISH : En arabe Est 1, 11 est :( ) et signifie couronne.

KYVOIR AU 7E DEGRÉ, LORSQUE SALOMON RELÈVE JOHABEN ET LUI DONNE

LA CLÉ D’OR OUVRANT LE COFFRET D’ÉBÈNE.

DREAA : Voir KAI et KI ; voir note précédente. Pourtant il est probable que ce soit une déformation de HAÏ (kheth, iod) : vivant (Gén. 9, 3). Un des noms deDieu en tant que donneur de vie. | GUERILLOT 1 : p. 279. On peut y voir le mot hébreu : כי… Mais il s’agit d’un pronom relatif, soit d’une conjonction auxmultiples traductions (que, pour que, lorsque, si, alors, parce que, car, mais, cependant,quoique). Il faut chercher autre chose. Mais DREAA propose de voir une corruptionde חי qui, comme adjectif, signifie vivant, fort, vaillant, revivant, renaissant, cru ouvif. Comme le récipiendaire demeure à genoux jusqu’à ce que le Trois FoisIllustre dise Ky, il est très vraisemblable que l’hypothèse de DREAA soit exacte.

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LAURIERUn rameau de laurier est le symbole de la victoire ; il était attribué rituellementà Apollon dans l’Antiquité gréco-romaine, donc porteur vers la lumière extraitede la matière réalisée.

LAMECHDREAA : Lamech (lamed, mem, kaph) : fort, sauvage, qui renverse, force ; fils deMathusalem et père de Noé (Gen. 5, 25).

MA’KAHTerritoire au nord-est de la Galilée, riche en oliveraies et sur lequel se sont établisdes pressoirs d’olives. Un des rois de cette contrée, allié aux Amorrites, combattitDavid : voir 1 Chr. 19, 6ss ; le peuple de Ma`kah ne fut pas déplacé par lesIsraélites : voir Jos. 13, 13.

MACOBIMDREAA : Une orthographe différente : Makhovim (מכובין) (mem, kaph, vav, beth,iod, noun), pluriel de Makhobi, la source du mot est probablement Makhav(mem, kaph, beth) מכב marteau. En français, il est devenu Macchabée, à traversle grec Makkabos, surnom de yahuda, troisième et plus connu des fils deMattatiahu et chef de la révolte des Maccabées contre les Syro-hellènes quioccupaient la Terre Sainte (Antiochus Epiphanus, 168 A. J-C.) avaient profanéle Temple reconstruit par Zerubabel et qui y avaient interdit le culte traditionnel.C’est d’ailleurs le miracle de la multiplication de l’huile consacrée, lors de lavictoire des Maccabées, qui est célébrée par la fête juive du solstice d’hiver,Hannuka. | SG-GCR : Douleur, affliction.

MALKOUTDREAA : (mem, lamed, kaph, vav, tav), royaume ou royauté (Nb 24, 7). La 10e etdernière Saphira. | SG-GCR : La clé de la porte de la première Voûte. Une autreorthographe : Malkuth, et d’après le Rituel de « Grand Écossais 14e » c’est lapremière porte des voûtes sacrées. | ISH : Si le mot est d’origine araméenne sasignification est royaume.

MATUSALEM(mem, tav, vav, shin, aleph, lamed, kheth), nom propre masculin, fils d’Enoch (2)et père de Lamech dont le fils était Noé, le héros du déluge et générateur destrois générations majeures de l’humanité : Sem (shin, mem), Cham (kheth, mem)et Japhet (iod, pé, tav). | OO&RS : p. 480 – Metushelah, (mem, tav, vav, shin, aleph,

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lamed, kheth) : l’homme du dieu Shelah ; (Shelah peut signifier aussi javelot),l’homme du javelot ; fils d’Enoch et père de Lamech. Il fut un des patriarchesantédiluviens qui vécut le plus longtemps, 969 ans, Gen. 5, 21-27 (la généalogiesacerdotale). D’après Luc 3, 37, il était un des ancêtres de Jésus.

MELQART [= Heraclès = Hercules] | ISH : Mot phénicien, contraction de Melek Qart qui signifie roi ou seigneur de la ville. Voir Eusèbe de Caesarée, La PréparationEvangélique, édition Le Cerf, Paris, 1974, I : 10, 24, où Eusèbe cite Philon deByblos qui cite Sanchuniaton : « ... Demarous a pour fils Melcarthros, qu’on appelleaussi Heraklès ». Par ailleurs, Jean Bayet dans l’Histoire... de la Religion romaine,édition Payot, Paris, 1957, page 205 écrit : « La domination latine n’avait pas abolil’apport religieux des anciens navigateurs phéniciens et carthaginois : ... le Melqart deGadès avait toujours grande faveur, et jusqu’à Rome, sous le nom d’Hercules ».

MOA BONDREAA : (mem, vav, aleph, beth, noun) : un diminutif de MOAV (mem, vav, aleph,beth) [aussi le pays du même nom, à l’est du Jourdain]. Mohabon était le fils né de l’inceste de la fille aînée de Loth avec son père (Gén. 19, 36). Dans sonutilisation en tant que mot sacré, possible, mais il s’agit plus probablement d’unedistorsion de Ma Habrocome, le mot donné par le Tuileur du Convent deLausanne. Une interprétation très répandue du mot (mais sans aucune relationavec son sens réel) est la chair quitte les os. Dans la tradition de certains degrés,il s’agirait du nom du « plus zélé des Maîtres de son temps, ami d’Hiram Abri ». | ISH :

Il est possible que Moa Bon soit la déformation de l’Araméen Meheb Benia(mem, hé, beth - beth, noun, iod, aleph) qui signifie : se dévouer pour l’édificeou le bâtiment.

MOTMEoF : Je le conçois être le symbole de la Vérité Divine ; et toutes sesmodifications – la perte, la substitution et le mot retrouvé – ne sont que desfaisant partie du symbole mythique qu’est la quête de la vérité. En un sensgénéral, le Mot lui-même étant alors le symbole de la Vérité Divine, le récit desa perte et la quête pour le retrouver devient le symbole mythique de lacorruption puis de la perte de la vraie religion parmi les anciennes nations, autemps de la dispersion dans la plaine de Shinar, et de la tentative des sages, desphilosophes et des prêtres, de la trouver et de la retenir dans le secret mystique etl’initiation, qui, en conséquence, furent désignés comme la fausse franc-maçonnerie de l’Antiquité. Mais il y a une interprétation spéciale ou individuelle

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ainsi qu’une interprétation générale du Mot accompagné du mythe d’une perte,d’une substitution et d’un recouvrement, devient le symbole du progrèspersonnel du candidat à partir de sa première initiation jusqu’à l’accomplisse-ment de son cours, quand il reçoit le développement entier des mystères. | MEoF :

On ne peut pas se répéter que le MOT est, en maçonnerie, le symbole deVÉRITÉ. La vérité est le grand objet de poursuite en maçonnerie – la portéeet la tendance de toutes ses investigations – la récompense promise de tout travailmaçonnique. Cette vérité, que la maçonnerie fait le grand objet de leursinvestigations, n’est pas la simple vérité de la science ou la vérité de l’histoire,mais elle est la plus importante vérité qui n’est que le synonyme de la connais-sance de la Nature de Dieu. Cette vérité qui embrasse, dans le TétragrammeSacré et de quoi lui-même faisait allusion quand il déclarait à Moïse : « Je suisapparu à Abraham, à Isaac, et à Jacob par le nom de Dieu le Tout-Puissant ; mais parmon nom Jéhovah je ne leur étais pas connu ». La découverte de cette vérité, ainsi,le symbolisme essentiel du degré de la Royale Arche. N’importe où il estpratiqué – et sous quelques insolites noms, de degré il est trouvé dans tout Rite de la Maçonnerie – ce symbolisme est préservé. Toutefois la légende peutvarier ; les cérémonies de réception et les étapes préliminaires à l’initiationpeuvent varier, la consommation est toujours la même – la grande découvertequi représente la réalisation de la Vérité.

NADIRDREAA : De l’arabe nadîr, opposé. Point se trouvant à l’opposé du Zénith, donc àune distance infinie vers le « bas » par rapport à l’endroit où l’on se trouve, dansla prolongation d’un fil à plomb. Utilisé dans le symbolisme maçonnique pourdéfinir les dimensions de la Loge ainsi que celles de l’Univers. | ISH : De nosjours, le mot arabe Nadir (noun, teth, iod, resh) signifie : semblable, pareil, faceà face.

NEDERSG-GCR : vœu, offrande. | DREAA : (noun, daleth, resh) serment, vœu (Gen. 28,20). | ISH : ( ) de l’arabe racine trilitère (noun, thâl, resh) vœu, consacrer à Dieu.

NEKAHD’APRÈS LE RITUEL REAA DU 5E AU 9E DEGRÉ ET DU 10E AU 12E DEGRÉ : BLESSURE.

DREAA : (noun, kaph, hé): blessure (2 Rois 8, 28). Marcel Bakri pense aussi à unesimple déformation de Nekam. | ISH : Si le mot est une déformation de Nekah(נכח) : tracasser, créer des misères.

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NEKAM D’APRÈS LE RITUEL REAA DU 5E AU 9E DEGRÉ ET DU 10E AU 12E DEGRÉ : VENGEANCE.

DREAA : (noun, koph, mem): se venger, vengeance (Deut. 32, 35).

NETZAKHDREAA : (noun, tsadik, kheth) victoire, gloire, splendeur. La 7e Saphir. | SG-GCR :

Prononcé Netzam, la clé de la porte de la quatrième voûte. | ISH : L’orthographe(noun, tsadik, kheth) donne en araméen surpasser voir Qn 6, 4 et en arabe ( )et signifie être sincère.

NOÈDREAA : Noé (noun, kheth) : repos. Nom du personnage biblique (Gen. 5, 29), filsde Lamech et père de Sem, Kham et Yaphet constructeur de l’Arche et héros durécit du déluge. Noé est honoré par la franc-maçonnerie en tant que « premierpatriarche, ce qu’il fut bien avant l’apparition de toute religion révélée ». Constructeurde l’Arche, il fut donc aussi le premier architecte naval et l’ancêtre de la franc-maçonnerie (et du compagnonnage) du bois. | MEoF : Dans toutes les Constitu-tions maçonniques manuscrites et existantes, Noé et le Déluge jouent une partieimportante dans la « Légende du Métier ». Ainsi à fur et à mesure que le systèmemaçonnique se développait, on le reconsidérait comme un des patrons de lamaçonnerie. Et cette connexion de Noé avec l’histoire mystique de l’Ordre lerapprochait davantage par l’influence de plusieurs symboles empruntés à latradition « noachique », une des plus prédominantes de toutes les anciennes fois.Ainsi les légendes « noachiques » s’unirent aux légendes maçonniques que lesfrancs-maçons avaient entamées et ils furent appelés et sont toujours appelés « Noachiques » ou les descendants de Noé, un terme appliqué, en premier, par Anderson, et fréquemment utilisé de nos jours. | À ce sujet DREAA dit : « Noachique », terme utilisé pour identifier les membres de certains degrés duREAA et parfois la franc-maçonnerie en général. D’ailleurs, James Anderson dit,dans la Charge No. 1 des Old Charges (édition 1739 ; cette expression n’existaitpas encore dans celles de 1723) : « A Mason is obliged by his Tenure to observe theMoral Law, as a true Noachida ... » c’est-à-dire « Un franc-maçon est obligé par sonAppartenance d’observer la Loi Morale, comme un vrai Noachique ».

OLIVIERUne branche d’olivier est le symbole de la paix ; elle était attribuée à Athénéedans l’Antiquité gréco-romaine, donc attribuée au savoir et aux arts.

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PERFECTIONIl s’agit de Loges dites de Perfection. Le Rite Écossais Ancien et Accepté, dansses degrés supérieurs, va du 4e jusqu’au 33e degré répartis sur trois échelons. Le premier échelon : les Loges de Perfection, du 4e au 14e degré ; le deuxièmeéchelon : les Souverains Chapitres, du 15e au 18e degré; et le troisième échelon,les Sublimes Aréopages, du 19e au 30e degré. Les degrés 31e (Grand Tribunal),32e (Grand Consistoire) et 33e (Conseil Suprême) sont des degrés de fonction :judiciaire, administratif et gouverneur.

POIGNARDArme blanche utilisée par des sectes telles que les « sicards », contemporains deJésus Christ et les « Assassins » ou « Hashshashines » du XIIe siècle, pour purifier,immoler et même tuer.

RAB-BANAÏNISH : בנאין) Rab = Seigneur : (רב et Banaïn = le pluriel de Bana qui signifieArchitecte, donc Rab-Banaïn signifie le Seigneur des architectes ou autrement dit leChef des architectes. | DREAA : Déformation de RAV-BINIAN (resh, beth -beth, noun, iod, noun): maître d’œuvre ou maître architecte.

RAPHIDONDREAA : Traditionnellement vrai maçon. Aucune traduction réelle n’est connue. Le mot peut éventuellement dériver de rephidim. | ISH : La forme « ôn » finaleindique, en langue araméenne que le mot est un diminutif. De l’araméen nomcomposé de raphid, qui signifie ramper, et de ôn, et le tout signifierait : petit rampant.

RAZAH – BELSIJAHDREAA : Déformation de RAZA BETSILAH (resh, zaïn, he – beth, tsadik, iod,lamed, aleph) ma maigre dans l’ombre ; traduit parVuillaume comme : ascétisme dansla solitude et par Delaulnaye comme : il extermina dans la solitude.

SAGESSE DE SALOMONLa littérature sapientielle a fleuri dans tout le Proche-Orient. Au long de sonhistoire, l’Égypte a produit des écrits de sagesse. En Mésopotamie, depuisl’époque sumérienne, on a composé des proverbes, des fables, des poèmes desouffrance qu’on a comparée à Job. Des milieux de la langue araméenne pro-viennent la Sagesse d’Ahiqâr qui a été traduite en plusieurs langues anciennes.La Sagesse d’Ahiqâr est devenue une sagesse internationale. Elle éclaire ladestinée des individus, non par une réflexion philosophique à la « manière des

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Grecs », mais en cueillant le fruit de l’expérience vécue, devenue tradition aucours des générations successives. C’est un art de bien vivre avec une marquede bonne éducation. Les Israélites prennent à leur compte cette sagesse etl’attribuent à Salomon.

SCELEMOTSG-GCR : Perfection. | DREAA : (shin, lamed, mem, vav, tav) Perfection. De Shalem.ISH : ( ) pluriel de shalem, Salutations ou paix.

SEPHIROTDREAA : Pluriel de Saphira. Saphira, (samekh, pé, iod, resh, hé) compte, décompte.La méthode de la Qabalah découpe arbitrairement le cours homogène del’émanation (reliant le créateur à la création) en dix « moments » correspondantà dix caractéristiques majeures du Créateur. Ce sont les dix Sephirot. | ISH :

Siphr, Siphr en arabe signifie livre, chapitre, tel Siphr de la Genèse.

SHIBOLET(shin, beth, iod, lamed, aleph, tav), c’est un pluriel ancien du mot shbîl (shin,beth, iod, lamed). | MEoF : Article « Shiboleth », une première signification : épide maïs ; une deuxième un cours d’eau. Comme les Ephraïmites étaient désireuxde traverser la rivière, il est probable que cette seconde signification a étéproposée aux Gileadites comme un mot de passe approprié en l’occasion. Laprononciation de la première consonne de Shiboleth se dit « SCH », une rêcheexpiration extrêmement difficile à prononcer par une personne dont les cordesvocales ne sont pas accoutumées à le prononcer. C’était le cas des Ephraïmites,qui substituaient l’expiration par un sifflement d’un « S ». Leurs cordes vocalesétaient incapables d’exécuter la rêche expiration, et, ainsi que la légende le veut,ne pouvaient se conformer à le prononcer correctement. | DREAA : (shin, [iod],beth, [vav}, lamed, tav) : épi de blé et aussi courant d’une rivière. Ce terme servitde mot de passe aux guerriers de Gill`ad (Gallad) dans leur guerre contre lesEphraïmites, car ceux-ci étaient incapables de prononcer le shin, qu’ils pronon-çaient « s » (Juge. 12, 6). Ceci leur valut de gros ennuis. | ISH : ( ) c’est unpluriel ancien du mot sabîl ( ) et qui signifie le chemin qui longe le canal quiamène l’eau d’une source ou d’un gué au bassin de retentions et qui sert à lamaintenance de ce cours d’eau. En hébreu de nos jours, Shiboleth בילאת)signifie épi de blé ; épi de blé se dit en arabe : sinbuleth. L’Arabe, du temps del’occupation ottomane, donne au mot Sabîl ( ) la signification suivante: lafontaine d’eau publique placée dans la rue principale du quartier.

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SIGNE D’ADMIRATIONLes maçons de Rite Écossais Ancien et Accepté, arrivés au grade de RoyalArche, 13e degré, reçoivent l’instruction du signe d’admiration. Il consiste enrelevant les deux mains vers le ciel, la tête reposant sur l’épaule gauche ettombant sur le genou droit.

STOLKINDREAA : Traduction inconnue... la structure du mot parait sémitique. Le suffixe -in est un pluriel masculin araméen. Pourrait provenir de la racine (shin, tav,lamed), planter ou de (shin, tav, lamed, koph), disparaître, s’enfuir, maisintrouvable dans les dictionnaires. Dans la tradition, eau courante (ce qui pourraitavoir quelque chose en commun avec la notion de s’enfuir ou de disparaître)Marcel Bakri, pense à une déformation de Shtaltan (shin, tav, lamed, teth, noun),despote, homme autoritaire. Traditionnellement encore et selon VMM, l’un des trois meurtriers. Selon une autre tradition, et un autre degré, Stolkinsurveillait les ouvriers de la tribu de Benjamin. À encore un autre degré et selonun autre rituel : favori de Salomon. Bien entendu, il n’existe pas d’équivalentbiblique de ce personnage. | ISH : Avec toutes les déformations séculaires le mot, tout simplement, aurait pu être à l’origine le mot « Shaytâne » dont lasignification littérale est « diable ». Au 20e degré c’est la réponse au mot de passejeksan. | MEoF : p. 123; Titi est le nom de la première personne qui reçu le titrede Prince des Harodim et qui fut le premier à être désigné par le roi SalomonPrévôt et Juge. Ce personnage est mythique, le nom n’est pas hébreu et il ne setrouve pas dans la Bible.

TIFERETDREAA : Ou Tifara (tav, pé, aleph, resh, tav ou hé) gloire beauté (1 Chr. 22, 5). La6e Saphira. | SG-GCR : Une autre orthographe Thipheret. La clé de la porte de lacinquième voûte. Le mot Tiferet de 1 Chr. 22, 5 se dit en arabe ( ) qui signifiegloire, illustre.

TITODREAA : Traditionnellement mais non bibliquement, prince des Harodim, lessurveillants des ouvriers sur le chantier du Temple ; pourtant ce n’est pas un mothébreu. Selon Vuillaume, il s’agirait d’une corruption de l’hébreu Akhitov [monbon frère], ce qui est possible à la rigueur. Selon une autre tradition, ce serait le surveillant des ouvriers de la tribu de Naphtali. C’est difficile à dire. Bienentendu il n’existe pas d’équivalent de ce personnage dans les Écritures, à moinsque le nom ne vienne (ce qui est tout aussi improbable) de l’Évangile dans sa

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traduction espagnole, où Tito est le nom donné à Titus un disciple de saint Paulsouvent mentionné dans les Epîtres. | MEoF : p. 123 ; Tito est le nom de la pre-mière personne qui reçut lettre de Prince Harodim et qui fut le premier à êtredésigné par Salomon, Prévôt et Juge. Ce personnage est mythique, le nom ne setrouve pas dans la langue hébraïque; une légende maçonnique lui confie les soinsde la tribu de Naphtalie. | GUERILLOT 1 : p. 278. Tito est du bon hébreu ,טיטו :signifie tout simplement, en raison du suffixe ו son argile. On trouve le mot טיטdouze fois dans la Bible, par exemple dans Isaïe 41, 25. Et Tito prince des Harodimc’est littéralement : son argile, prince de ceux qui ont dominé. Dès lors, le sens véri-table apparaît : il s’agit du prince de ceux qui ont su dominer leurs passions, l’argile, laboue, dont l’homme a été fait. | GUERILLOT 2 : p. 372. Dans le degré de Prévot et Juge,il est question de Tito, prince des aérodim. Les commentateurs ont voulu voir dansTito une corruption. Vuillaume, par exemple, veut y voir אחיטוב, qu’il traduitpar mon frère est bon. Harodim est le pluriel de רדה, dont les significations sontfouler, dominer, s’emparer. Tito est du bon h hébreu טיטו : signifie tout simple-ment, en raison de la terminaison en ו son alter ego. On trouve le mot טיטו douzefois dans la Bible (par exemple dans Isaïe).

TOLÉRANCEAu 20e degré, mot inscrit sur la colonnette du Midi.

TRIMEGISTETrois Fois Puissant, une autre forme de Trimegiste, appellation que Taouth,l’antique Egyptien, Tâghouth, l’antique Chaldéen et Hermès, l’antique Grec,avait reçu et qui signifie : Trois Fois Grand.

TUBAL-CAÏNDREAA : (tav, vav, beth, lamed - koph, iod, noun) : le fils de Lemech et de Tzilla etdescendant de Qaïn (prononcé Cahine), forgeron de tout instrument de fer etde bronze (Gén. 4, 22). | VMM et autres auteurs traduisent ce nom par possessionsmondaines ; c’est peu convaincant, et la signification précise de ce mot reste l’unedes énigmes de l’exégèse biblique. Tubal (Touval) est un terme générique trèsancien pour faire, faiseur, fabricant, de la racine (iod, beth, lamed), apporter,produire. C’est aussi un terme cananéen pour javelot. Caïn, comme l’arbre qayin,vient du chaldéen et veut dire forgeron, travailleurs des métaux. | ISH : Toutautre que seraph, pluriel, seruphim (qui a donné le terme chérubin ; les deuxvilles Seraphta et Sarba), qui signifie celui qui prépare les alliages des métaux,par exemple le rajout de l’étain à l’airain pour donner du bronze, très utilisé, parl’Empire de Domitien, tout au début de notre ère. Les allitérations avec Vulcain,

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elles non plus, ne sont probablement pas dénuées de fondement, car Touval-Caïnfait partie du fonds commun à l’humanité tout entière, de dieux et de demi-dieux du feu et des métaux, souterrains et boiteux. Notez les noms des parentsde Toubal Caïn qui, s’ils sont coïncidents (mais y aurait-il des coïncidences dansle texte biblique?) sont particulièrement bien trouvés : Lemech, force, sauvage,et Tzilla, ombre.

TUWAYaqût, Géographe arabe du Xe siècle dit : « le val de Tuwa se trouve dans le Sinaïaux pieds du mont du même nom ».

UNICITÉDamacius dans son Traité des Premiers Principes dit : Les trois principes hénadiquesque sont l’Un – Tout, le Tout – Un et l’Unifié ne sont pas des déterminations,même exemplaires ; on ne peut pas les isoler les uns des autres ; ils ne formentqu’un seul et même mouvement ; ils ne sont pas numériquement trois, et leurapparence triadique s’inclue dans la simplicité de l’un, caché sous elle etallusivement évoqué dans une sorte d’inversion projective qui demeure pré-discursive [= qui vient avant ce qui repose sur la discussion] (Damascius, Traitédes Premiers Principes et de l’Ineffable et de l’Un, Ed. Les Belles Lettres, Paris, 1986,p. LXIII. Par ailleurs et dans le même traité en page 92, Damascius dit : « ... onadmettra qu’il y a aussi une procession de l’ineffable... ; de la même manière quel’exprimable ; et nous admettons alors qu’il y a, non plus deux, mais trois monades ettrois nombres, à savoir le substantiel, l’unitaire, l’ineffable... en un mot, nous mêleronsbeaucoup d’exprimable à l’ineffable ».

VÉRITÉAu 20e degré, mot inscrit sur la colonnette de l’Orient.Voir Emeth.

VINGT-SEPTD’après Porphyre, Vie de Pythagore, Lettre à Marcella, étudié et traduit parEdouard Des Places SJ, Les Belles Lettres, Paris, 1982, Dans sa Vie de Pythagore, en Livre I, Chapitre 17, Porphyre nous dit : « ... Descendu dans la grotte de l’Ida[en Crête] avec de la laine noire, il [Pythagore] passa là les trois fois neuf [3 x 9 = 27ou 27 = 3 x 3 x 3 = 33 ] jours rituels, sacrifia à Zeus, vit le trône que l’on jonche defeuilles chaque année en son honneur, et grava sur sa tombe une épigramme intitulée « Pythagore à Zeus » dont voici le début : Ci-gît mort Zan, que l’on appelle Zeusou sur lequel on étend des tapis ». Par ailleurs La Lune est citée 27 fois dans leCoran,... Le nom ineffable de Dieu (Yahvé) est mentionné 27 fois dans la Bible.

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La Lune est citée 27 fois dans le Coran ; voir la Sourate 54 - Al Qamar [LaLune]. Rappelons ici que 81 est aussi le nombre trois porté à la quatrièmepuissance ; le trois est un des symboles maçonniques, quatrième : nous sommesen Loge de Perfection.

VOÛTE SECRÈTEEn tant que symbole, la Voûte Secrète n’est pas présente en maçonnerie bleue.On la trouve uniquement dans les Hauts Grades, telle que la Royale Arche detous les rites, où elle joue un rôle important. Dr. Oliver, dans son HistoricalLandmarks donne, en se référant à la construction du second Temple, les détailssuivants sur la légende de cette voûte : Les fondations sont ouvertes et débar-rassées des débris. Le niveau de base établi, les travaux pouvaient commencer.Étant engagés dans les fondations, trois ouvriers fortunés, découvrirent notrepierre de base, qui fut déposée dans la Voûte Secrète par la Sagesse, la Force etla Beauté, pour parer à toute communication de secrets ineffables vers despersonnes profanes ou non méritantes. Cette découverte ayant été commu-niquée au prince, prophète et prêtre des Juifs, la pierre fut adoptée comme pierreangulaire du bâtiment à réédifier, et ainsi elle devient, en un nouveau et expressifsens, le type d’une plus excellente récompense. Une avenue fut aussi accidentel-lement découverte, alignée par une paire de sept piliers parfaits et entiers dupoint de vue de leur position, la fureur des flammes s’en est échappée et ladésolation causée par la guerre qui avait détruit toute la ville. La Voûte Secrète,construite par Salomon comme entrepôt sûr pour les secrets et qui auraient étéinévitablement perdus sans un tel expédient convenable, communiquait, par uneavenue souterraine, avec le palais du roi ; mais lors de la destruction de Jérusalem,le portail d’entrée étant bloqué par les déchets des bâtiments détruits, il futdécouvert par l’apparition de la clef de voûte parmi les pierres de la fondationdu saint des Saints. Une soigneuse inspection fut conduite et les secretsinestimables étaient replacés dans un endroit sûr. | MEoF : Elle était, dans lesanciens mystères de la tombe symbolique ; car l’initiation était le symbole de lamort ; où uniquement la Vérité Divine se trouve. La maçonnerie a adopté lamême idée. On nous apprend que la mort est le début de la vie : car si le premierou éphémère temple de notre vie transitoire est sur la surface, nous devonsdescendre dans la voûte secrète avant que nous puissions retrouver ce sacré dépôtde vérité qui doit orner notre second temple de la vie éternelle. C’est dans cesens, d’une entrée à travers la tombe vers une vie éternelle que nous devons nousreprésenter le symbolisme de la voûte secrète. Comme tout autre mythe etallégorie de la Franc-maçonnerie, la relation historique pourrait être vraie oufausse ; elle pourrait être basée sur des faits ou elle pourrait être l’invention de

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l’imagination; la leçon est toujours là et le symbolisme l’enseigne exclusivementde l’histoire. (MEoF, article « Voûte, Secrète »).

VOÛTE SOUTERRAINEMe revient en mémoire, l’hiver de 1966-67, quand j’étais en train de creuser lesfondations du Palais gouvernemental à Beit Hanina à quelques kilomètres aunord-est de Jérusalem et que j’utilisais du béton maigre pour boucher les grossescavités dans le sol, les paroles de S.M. le roi Hussein disant : « As-tu redécouvert lesvoûtes d’Idris, votre Hanouch ».

YAFFA DREAA : (iod, pé, hé) : la belle (ou la haute, si c’est un mot philistin). Sans doutec’est le nom hébreu qui est le bon ; le rocher de Yaffa ne fait pas plus de 50mètres de haut ! Nom du port méditerranéen (Josué : 19, 46), une des villes lesplus anciennes du monde (env. 5000 ans avant J-C) à être habitée sans interrup-tion jusqu’à notre époque et point côtier le plus proche de Jérusalem. C’est làque fut déchargé le bois de cèdre que le roi Hiram envoyait au roi Salomon, parradeau depuis Tyr, pour la construction du Temple. Une certaine tradition ditque la caverne, près de Yaffa, Yehohaben trouva et tua un assassin. Selon une autrelégende, qui est sans doute plus ancienne, ce fut près de Yaffa qu’Andromède,fille du roi Céphée, attachée à un rocher en sacrifice à un monstre marin, futdélivrée par Persée.

YAHVEDREAA : (iod,hé, vav, hé) un des noms de Dieu, le tétragramme ineffable de latradition hébraïque. Contrairement à une opinion répandue, le lot apparaît tarddans la Bible, lorsque Dieu se nomme pour la première fois à Moïse (Ex. 6, 3)et peu souvent : exactement 27 fois, dont 18 dans les Psaumes. Sa traduction estbien entendu inconnue, sa prononciation exacte reste en fait aussi un mystèretotal, car ce que le grand prêtre prononçait une fois par an dans le saint des Saintspouvait être tout aussi bien une phrase ayant comme acronyme le TétragrammeSacré qu’une transposition (gématrielle par exemple) des caractères en un autremot, une opération de témoura ou tout autre codage imaginable. Seulementdeux personnages historiques (ou légendaires ?) : assez récents d’ailleurs, furentréputés en connaître la vraie prononciation : Israël Baal Shem Tov, fondateurmalgré lui du Hassidisme, et Rabbi Yehouda ben Betsalel Loew de Prague,créateur du Golem. Yahve est souvent et traditionnellement traduit par Je suisCelui qui est ou qui suis, parce que le Seigneur lui-même utilise le terme ens’adressant à Moïse sur le Mont Sinaï (ou Horeb, Ex. 3, 14), mais cette traduction

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est difficile à défendre du point de vue grammatical et étymologique. | VMM :

Le mot YAHO (iod, hé, vav) n’est point hébraïque, il est une corruption dugrand mot Jehovah, YHWH (iod, hé, vav, hé), mais il aurait pu ajouter que cettecorruption était de l’arabe coranique. | ISH : Si YHVH est prononcé Yâ Hua, enarabe , Ô Toi ; expression chère aux Soufi.

YERBALDREAA : N’a pas de traduction généralement acceptée. Selon certaines traditionsmaçonniques, le nom du capitaine des gardes du roi Salomon. Pourrait être unedéformation de Zer`a Ba`al, de Zerubavel ou, selon Marcel Bacri, de Zarab ouZarav (zaïn, resh, beth), couler ; ou Zabel ou Zavel, même orthographe, fumier. MEoF : Sherev yah : ce n’est pas très convaincant non plus. Selon une autretradition, ce serait le surveillant des ouvriers de la tribu de Ruben (ou plutôtReouven). Bien entendu, il n’existe pas d’équivalent biblique de ce personnage.Pourrait bien provenir des démonologies apparues au XVIIIe siècle, suite à lapublication du sepher Raziel, comme par exemple les Clavicules de Salomon. Au6e degré Zerbal est la réponse au mot de passe ; déformation de la phrase, enhébreu, « Yeho ha Ben » (iod, hé, vav, hé - hé - beth, noun), de ce grade. | ISH : SiZerbal est un nom propre et si son orthographe est (zaïn, iod, resh-beth, aïn,lamed) le nom propre signifie : seigneur de l’arène, homme fort du pays ; del’Araméen : zîr (zaïn, iod, resh) : très forte et très lourde tâche et Baal (beth, aïn,lamed) : seigneur. | MEoF : p. 103 – Le nom du Capitaine des Gardes du roiSalomon dans le degré de Secrétaire Intime. Zerbal n’est pas mentionné dansles écritures. Il est donc une création des rituels qui ont servi à élaborer ce degré.Moris, du Rite Écossais Ancien et Accepté américain, précise que le nom Zerbal« n’est pas un nom hébraïque ».

ZEBULONDREAA : (zaïn, beth, lamed, vav, noun) petite demeure de Dieu. Nom d’un des fils deJacob (Gn 30, 20) ainsi que l’une des douze tribus dont il fut l’ancêtre. | ISH :

Avec la terminaison -ôn- peut être le diminutif de Zebul : qui signifie : demeure.

ZERUBABELDREAA : (zaïn, resh, vav, beth, beth, lamed זךובבל) semence de Babel ; Vuillaumedit « dispersion de la confusion », ce qui est faux. Chef du retour à Sion (etreconstructeur du Temple) après l’exil babylonien avec le titre de Ha Tisratha.Un fils de Pedaiah, selon 1Chr. 3, 19, de Shealtiel, selon Esd. 3, 2. Plusprobablement le fils de Pedaiah et le descendant de Shealtiel. | ISH : (zaïn, resh,vav, aïn, beth, beth, lamed זךובבל) nom propre formé de deux mots : Zeru` (zaïn,

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resh, aïn ), qui signifie semence de Babel qui est Babylone. | OO&RS : Motcomposé accadéen qui signifie : de la lignée de Babylone, fils de Sealtiel. Il estné à Babylone, ce qui explique son nom, après l’édit de Cyrus en 538, il devienthaut commissaire en charge des rapatriés.

ZIZADREAA : (zaïn, iod, zaïn, aleph) : saillie, proéminence. Selon Marcus Jastrow, ce seraitaussi une projection au-dessus de la porte, servant d’abri ou rebord d’une fenêtre,formant balconnet ou balustrade. Robert Young dit brillance ou éclat. Ziza estdonné traditionnellement comme balustrade (Séparant le « saint » du « saint desSaints ») ou resplendissement. Pour Littré et Bailly, le grec balaustria signifie renflécomme une fleur de grenade avant l’éclosion. La « balustrade » apparaît sur les anciens tableaux de loge, dont le premier connu, chez Pérau en 1745. C’est plutôt zohar qui signifie en hébreu splendeur ou rayonnement (« Cahiersmanuscrits des 33 degrés écossais »). Pour Tempestini (mais il a une très fertileimagination), ziza a le sens de fertilité. Ziza peut aussi vouloir dire coruscation,un terme très peu fréquent et non biblique (deux apparitions dans le Talmud),éclat vif, scintillant, tel que l’aspect de la surface d’un métal en fusion. Le motapparaît trois fois dans la Bible mais toujours en tant que nom propre (1 Chr. 4,37 ; 1 Chr. 23, 10 ; 2 Chr. 11, 20). Selon Marcel Bakri, il y a en Afrique du Nordbeaucoup de personnes prénommées Zisa, ce qui voudrait dire en arabe dia-lectal : beauté (diminutif de aziz, aziza). Il n’est pas dit que nous soyons venus àbout de ziza. | ISH : Il m’est très difficile d’admettre que aziz ou aziza veuillentdire beauté. Personnellement j’avancerai ce qui suit : le mot ziza est une formede cajolerie pour `Izza (aïn, zaïn, zaïn, aleph) qui signifie en araméen : gloire,puissance ou honneur. Ziza peut être aussi la déformation, ou diminutif cajoleur,du mot araméen zalqa qui signifie l’endroit lumineux, éblouissant.

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Vieillard à grande barbe blancheRembrandt

D’UN COLLOQUE À L’AUTRES ∴ C ∴ G ∴ C ∴

R ∴ É ∴ A ∴ A ∴

G ∴ O ∴ D ∴ F ∴

LES TEXTES QUI SUIVENTN’ENGAGENT QUE LEURS AUTEURS

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LES « COLLOQUES PHILOSOPHIQUES »DU SUPRÊME CONSEIL, GRAND COLLÈGE

DU R∴E∴A∴A∴ - G∴O∴D∴F∴

Deux Colloques ont été organisés par le Suprême Conseil dans le deuxièmetrimestre de l’année 2008 :

1. Le 5 avril à Paris, « Hommes, Femmes, convergences »

Sont intervenus :• Marie Lozier, G∴L∴F∴F∴ et Pierre Foldès, G∴O∴D∴F∴ :

« Conversation »• Marie-Françoise Blanchet et Sylvia Cuni, G∴L∴F∴F∴ :

« Entre duo et duel »• Claude Faivre, G∴O∴D∴F∴, M∴A∴S∴C∴ :

« Le grand héritage »• Julien Rees, revue Freemaçonnery Today :

« Franc-maçonnerie : vous avez dit universelle »

2. Le 17 mai à Paris, « Transmettre »

Sont intervenus :• Thierry Vedel, professeur à sciences Po Paris :

« Communication, politique et société »• François Lallier, écrivain :

« Transmettre l’origine »• Michel Maffesoli, professeur à Paris IV-Sorbonne, écrivain :

« De l’éducation à l’initiation »

Cette dernière manifestation de l’année maçonnique 2007-2008 est la premièred’une série à venir qui déclinera le thème générique de « Transmettre ».

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Dans ce numéro double Automne 2008-Printemps 2009 il sera publié deuxtextes, actes des colloques passés, en complément de ceux qui ont été publiésdans le no 141 de Perspective Écossaise et qui avaient pour titre : « Philosophie etpolitique ».

Les deux contributions qui ont été particulièrement remarquées au cours de cesColloques ont pour titre :1. « OGM et décroissance souhaitable »

de Jean-Pierre Frémeaux, chercheur à l’INRA2. « Les sciences du point de vue évolutionniste »

de Ian Hacking, Professeur au Collège de France, chaire de philosophie et d’histoire des concepts scientifiques et Marc Kirsch, Maître de conférences au Collège de France.

CLAUDE FAIVRE, 33e

M∴A∴S∴C∴

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OGM ET DÉCROISSANCE DURABLE JEAN-PIERRE FRÉMEAUX 1

DÉFINITION PRÉALABLE

Les OGM (Organismes Génétiquement Modifiés) sont des organismes vivantsdont le patrimoine génétique ou génome, a subi une modification, à la suited’une intervention humaine directe. Les OGM peuvent être des virus, des organismes unicellulaires – bactéries oulevures –, des organismes pluricellulaires – plantes (PGM) et animaux. Le terme d’OGM est souvent utilisé pour désigner les plantes génétiquementmodifiées. Je parlerai uniquement des organismes unicellulaires et des plantesmodifiés qui représentent actuellement l’essentiel des OGM et des polémiques.

INTRODUCTION

Il n’est pas facile de présenter les OGM avec sérénité. • D’abord parce si le terme d’OGM est utilisé pour évoquer les plantesgénétiquement modifiées, cela n’est pas, peut-être pas, tout à fait fortuit : certesles PGM ne représentent qu’une petite partie des OGM, (du moins en ce quiconcerne les applications pratiques), mais les PGM ont l’avantage de renvoyer àla nourriture et à la nature, au « naturel » et il est plus facile de manipulerl’opinion à leur sujet (en parlant de malbouffe, de « Frankenstein food », du gèneTerminator, etc.), que de s’en prendre à des médicaments produits par desbactéries génétiquement modifiées, plus sûrs que ceux obtenus autrefois. • Ensuite parce que les PGM (plus exactement les PGM appliquées àl’agriculture et l’agro-alimentaire) sont devenues emblématiques de tous lesproblèmes à la fois : surplus agricoles et déséquilibre Nord-Sud, mondialisationdes échanges et régulation dictée par l’OMC, dépendance croissante enversquelques firmes multinationales, etc.

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1. Chercheur à l’INRA, Directeur d’études de l’IAM de Montpellier.

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Le lien établi est clair : la logique du marché, en l’occurrence la recherche duprofit, s’appuie sur un soi-disant progrès économique et une croissance néces-saire, quels qu’en soient les coûts sociaux et environnementaux. Elle a besoind’une recherche scientifique toujours prête à fournir de nouvelles opportunitésde profit. Les OGM seraient l’exemple de cette logique, plus exactement lesPGM, mais l’amalgame entre OGM et PGM est commode... et fructueux, dumoins pour leurs adversaires !• Enfin parce que les OGM, ainsi diabolisés, servent à décrédibiliser la recherchescientifique et la communauté des chercheurs. Ainsi lors du saccage d’une serre contenant des plants de riz génétiquementmodifiés en 1999, au CIRAD, à Montpellier, les deux slogans suivants étaientplacardés : « La question n’est pas d’être pour ou contre les OGM, mais pour ou contrele monde qui les produit » ; « Démasquons les chercheurs, vidons les laboratoires ».

Il ne s’agit plus d’une critique raisonnable des plantes génétiquement modifiéesmais d’un refus définitif de la recherche scientifique et en particulier de celle surles OGM : il s’agit d’un refus des recherches biotechnologiques, considéréescomme systématiquement liées à la recherche du profit et suspectes pour cetteseule raison. Dans ces conditions, les chercheurs qui travaillent sur les OGM sontdes apprentis-sorciers sans scrupules, ceux qui jugent les OGM plutôt utiles etleurs risques faibles sont des « vendus, des collabos » et ceux qui les croient sonttout simplement des imbéciles ! C’est ce « terrorisme » de l’esprit que je souhaite dénoncer avant d’aller plus loin. • J’estime en effet qu’il est possible de déplorer la croissance économique passéeet ses conséquences sociales et environnementales, de dénoncer la mondialisationactuelle et de poser en même temps, sereinement, les questions suivantes : – Les OGM sont-ils utiles, lesquels et dans quelles conditions ?– Présentent-ils des risques et lesquels ? – Qu’en est-il en particulier des PGM? • J’estime qu’il est légitime, sans être un vendu ou un imbécile, de se demandersi les OGM permettront ou non à l’homme de répondre, en partie du moins,aux défis posés par la surpopulation mondiale des prochaines décennies et auxproblèmes environnementaux gravissimes que l’humanité devra résoudre dansun avenir proche.

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LES OGM OU ORGANISMES GÉNÉTIQUEMENT MODIFIÉS

Les OGM ont subi une modification de leur patrimoine génétique. De quelletransformation s’agit-il ? • Chaque cellule d’un organisme vivant possède un ou plusieurs chromosomes(un dans le cas des organismes unicellulaires – bactéries et levures – plusieurs – réunis par paires – dans le cas des organismes pluricellulaires : à titre d’exemple,6 chez le moustique, 24 dans les cellules du blé, 46 chez l’homme, 48 dans lapomme de terre, 104 chez la carpe). Ces chromosomes sont identiques dans lesmillions ou les milliards de cellules d’un être vivant donné. Chaque chromosomeest constitué d’une très longue molécule d’ADN (l,80 m environ chezl’homme), constituée de sucres, de phosphates et de 4 bases azotées. • On appelle gène un fragment de cette molécule, considéré comme une unitéde transmission de l’information héréditaire car il lui correspond une fonctionprécise. Ce caractère s’exprime par une protéine qui est caractéristique dechaque gène, quel que soit, en principe, l’organisme dans lequel il se trouve.L’ADN humain porte environ 35 000 gènes. La transformation génétique à l’origine des OGM est le transfert d’un gène étranger (ou transgène) dans legénome d’un organisme vivant afin de conférer à cet organisme la fonction liéeau transgène. Le transfert d’un gène d’un organisme à un autre est rendu possible par le fait que tousles organismes vivants (virus, bactéries, plantes, animaux), possèdent le même systèmed’expression de l’information génétique. Cette universalité du support de l’informationgénétique, l’ADN, et du code génétique donne la possibilité théorique de faire exprimerpar un organisme un gène (une information génétique) provenant de n’importe quel autreêtre vivant. • On appelle génie génétique (on ingénierie génétique) l’ensemble des tech-niques permettant d’introduire dans une cellule un gène qu’elle ne possède pas(ou de modifier l’expression d’un gène déjà présent dans la cellule).

Les applications du génie génétique

Les utilisations les plus médiatisées du génie génétique concernent les organismessupérieurs (et en particulier les plantes). Elles ne représentent pourtant aujour-d’hui qu’une part minoritaire des multiples applications du génie génétique (en particulier les recherches en génétique et les utilisations en médecine). Avant d’évoquer les applications aux plantes et les problèmes qu’elles soulèvent,j’évoquerai brièvement certaines applications thérapeutiques et agroalimen-taires :

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Applications thérapeutiques Depuis une vingtaine d’années, des bactéries ont été génétiquement modifiéespour synthétiser certaines molécules utiles, en grande quantité et à faible coût(exemple de l’hormone de croissance ou de l’insuline). Des recherches portentactuellement sur des végétaux (production d’hémoglobine à partir de plants detabac par exemple) ou sur des animaux également génétiquement modifiés.Quelques chiffres tirés d’un rapport présenté au Sénat en mai 2003. « En France,16 % des médicaments, aux États-Unis, 60 % des nouveaux médicaments seraient actuel-lement issus du génie génétique ». La progression de tels médicaments est constante. Ajoutons que ces médicaments ne présentent aucun risque (à la différenceparfois de ceux qu’ils remplacent et qui étaient obtenus autrefois à partir de tissushumains).

Utilisations agro-alimentairesDes bactéries GM permettent de fabriquer, à échelle industrielle, des protéinesou des enzymes utilisées dans l’agro-alimentaire et ne présentent aucun risquepuisqu’on ne les trouve pas dans le produit final : de nombreuses enzymes à usageindustriel sont fabriquées de la sorte. Des bactéries et levures GM sont à l’étude,qui permettraient d’intervenir dans la fabrication de nombreux aliments etboissons fermentées (produits laitiers, pain, salaisons, boissons alcoolisées) enaméliorant les conditions ou les résultats de cette fabrication. Ces recherchesdemeurent encore au stade du laboratoire : il existe un danger faible mais réelque ces microorganismes aient des échanges avec ceux de la flore intestinale ; lesrecherches doivent être poursuivies avant que des autorisations soient envisagées.

L’application du génie génétique aux plantes

Les modifications apportées par les transgènes peuvent porter sur lescaractéristiques productives de la plante ou sur ses résistances :

Les caractéristiques productives • Les plantes à usage alimentaire humain : réduction de leur pouvoir allergène(comme c’est le cas au Japon d’une variété de riz), amélioration des caractéris-tiques nutritionnelles (exemple du Golden rice) ou organoleptiques de certainsaliments, adaptation aux besoins de la transformation industrielle ou de ladistribution (cas des tomates par exemple).• Les plantes à usage alimentaire animal : réduction de la lignine et plus grandedigestibilité, composition optimale en protéines des grains de maïs, etc. • Les plantes à fleurs

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• Les plantes à usage industriel : fabrication d’huiles pour l’industrie, de biocarbu-rants. La plupart de ces applications sont souvent encore au stade du laboratoire,en particulier lorsque leur intérêt économique n’est pas encore avéré. Les plantes résistantes :– Les plantes résistantes aux ravageurs : c’est le cas par exemple des maïs résistantsà la pyrale grâce à l’introduction dans leur génome d’un transgène provenantd’une bactérie du sol, le Bacillus thurigiensis. C’est le cas également de riz transgéniques produits depuis 1993 en Asie,permettant une augmentation significative de la production et une réductionégalement significative de l’emploi de pesticides chimiques, le transgène nes’exprime que dans les tissus attaqués par les insectes, ne se trouve ni dans lepollen, ni dans les graines.C’est le cas aussi de coton transgénique, produit en Chine et qui permet d’éviter7 ou 8 épandages toxiques pour l’homme et l’environnement.– Les plantes résistantes aux herbicides permettant l’utilisation d’un herbicidedit « total » (qui détruit normalement tous les végétaux sauf la PGM) avec desdoses plus faibles et un seul passage en général.La presque totalité des PGM cultivées dans le monde : soja (63% de le surface mondiale,74% des surfaces américaines en 2002), coton (71% des surfaces américaines en 2002),colza, maïs, etc. correspond à ces types de PGM. En 2002, les surfaces cultivées en OGMétaient de 39 millions d’hectares aux États-Unis ; venaient ensuite le Canada, l’Argentine,la Chine, l’Inde. Enfin l’obtention de plantes résistantes à des conditions difficiles (sécheresse,froid, salinité, sols pollués) sera probablement un objectif essentiel au cours desprochaines décennies.

LES PGM SONT-ELLES DANGEREUSES?

Dangereuses pour la santé ? Le transgène ne présente aucun danger (il représente quelques molécules et setrouve vite digéré !) mais, par contre, la protéine, produite en quantité, peut être toxique ou présenter un potentiel allergène : la toxicité est recherchée par des études in vitro ou des études sur des animaux (rats et poulets) ; le pouvoirallergène est plus difficile à évaluer mais c’est le cas pour tous les alimentsnouveaux ! Comme dans le domaine du médicament ou des pesticides, l’industriel assumeles coûts et la responsabilité des études et présente ses données aux agencesnationales d’expertise comme l’AFSSA (Agence Française de Sécurité Sanitaire

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des Aliments) qui peuvent demander des compléments d’information. LaSecrétaire scientifique du groupe d’experts sur les OGM de cette Agence résumeplusieurs années d’observation : « Aucune étude scientifique indépendante n’a permisde conclure que les OGM déjà commercialisés dans le monde présentent un risque pourla santé humaine ».À ce jour, les expériences de laboratoire et l’observation épidémiologique dansles pays où les OGM sont massivement consommés n’ont pas mis en évidenced’impact significatif. Enfin la manipulation la plus controversée qui consistait àajouter un gène de résistance à un antibiotique (l’ampicilline) pour rendre plusfaciles les opérations de transfert du gène, a été abandonnée et remplacée : lerisque de résistance aux antibiotiques est disparu pour les PGM actuellementcréées (dits de 2e génération). En tout état de cause, l’Union Européenne vient de prendre des dispositionspour l’étiquetage et la traçabilité des PGM : tout produit alimentaire qui contientplus de 0,9 % d’OGM devra en porter mention, qu’il soit destiné à la consom-mation humaine ou animale. Notons que le consommateur ne saura pas si leproduit contient 1 ou 40% d’OGM et qu’il n’est pas obligatoire de mentionnersi des animaux ont été nourris ou non avec des PGM, mais il est pratiquementétabli qu’il n’y a aucun risque de ce côté-là. Petite remarque : l’agriculture bio est également soumise aux lois du marché ;elle est soumise à une obligation de mode de production, mais pas de résultat !Indiquons seulement que les engrais organiques utilisés dans cette agriculturesont à l’origine de la contamination croissante par des champignons microsco-piques dont certains sont porteurs de toxines déconseillées à la consommation...et qu’il n’est pas impossible que la consommation des produits bio devienne unjour un problème de santé publique !

Dangereuses pour l’environnement ? C’est le point le plus controversé et ce n’est pas étonnant car il s’agit du « domaine réservé » des écologistes qui tiennent à préserver les équilibresenvironnementaux alors que les agriculteurs recherchent plutôt des rende-ments ; les deux toutefois s’accordent sur au moins un point : l’intérêt de réduireles épandages de pesticides ou d’herbicides en raison de leur toxicité et de lapollution qui en résulte !

Le risque de perturbation des équilibresToute introduction d’une culture et de pratiques culturales nouvelles bouleverseles équilibres précédents, pas vraiment « naturels » depuis l’invention de l’agri-culture... il y a 10000 ans ! L’introduction des OGM devrait obliger à des études

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cas par cas et la Commission de génie Biomoléculaire est chargée d’apprécier,en France, ce genre de risques. En particulier, l’utilisation d’un traitement à large échelle et sur une longuepériode conduit très souvent à l’apparition d’individus résistants : une stratégievisant à limiter cette apparition consiste à laisser des zones non traitées autourdes champs traités (ou des zones plantées en variétés non génétiquementmodifiées).Autres exemples : la résistance à un ravageur est susceptible de favoriser la pullulation d’unautre ravageur ; cela n’est pas spécifique des PGM. Plus globalement, la résistance d’une plante à un insecte est susceptible de perturber leséquilibres entre populations de différentes espèces et d’agir directement (toxicité) ou indirec-tement sur des insectes utiles ; des études sont entreprises à ce sujet.La presse s’est emparée récemment d’une étude faite en Grande-Bretagne et portant surtrois PGM résistantes à des herbicides et leur impact sur les invertébrés des mauvaisesherbes ; la disparition de nombreux insectes n’est pas une surprise dans ce contexte... !

Le risque de dissémination du transgèneLes plantes ont des organes mâles qui fabriquent le pollen et des organes femellesqui, fécondés, donnent les graines :Le pollen peut parcourir de plus ou moins longues distances. Le pollen de PGMcontient en général les transgènes et peut, dans ces conditions, féconder desvariétés non transgéniques ~ ce problème n’est pas spécifique des PGM : il existepar exemple entre les variétés non génétiquement modifiées de colza à usagealimentaire et de colza à usage industriel. Mais il devient grave dans plusieurs cas : – quand des croisements peuvent avoir lieu avec des variétés sauvages (betterave)ou des espèces sauvages voisines (colza et ravenelle), risquant de compromettreles acquis de la PGM. – à partir du moment où doivent coexister des PGM avec des cultures nontransgéniques et, a fortiori, des cultures « biologiques ». Les recherches actuelles portent sur les mesures de dispersion du pollen pourdifférentes PGM (maïs, colza en particulier) et s’orientent vers la recherche devariétés nouvelles à pollen stérile ou sans transgène). Quant aux graines, elles contiennent également le transgène : un moyen d’éviterla dispersion du gène est de les rendre stériles : nous y sommes enfin arrivés ! Il s’agitdu gène appelé Terminator par les ennemis des OGM! Il s’agit en fait d’un transgènedestiné à rendre stériles les semences obtenues à partir de cultures de PGM. Les agriculteurs ont toujours utilisé gratuitement les graines issues de leursrécoltes précédentes. Qu’une firme leur vende des graines qui, semées, donne-

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ront ensuite des plantes stériles, est devenu emblématique de la « marchandisa-tion » du vivant et de la mainmise de certains sur le patrimoine de l’humanité.

La brevetabilité du vivant

Le vivant est-il brevetable ? Un brevet porte sur une invention. Or, l’identifica-tion d’un gène n’est pas une invention, mais seulement une découverte : il estinacceptable que les gènes soient brevetables en tant que tels. C’est pourtant ce que les Américains et les Européens ont décidé, grosso modo : de chaque côté de l’Atlantique, tout gène étant breveté, le végétal trans-génique qui le contient est protégé et tout sélectionneur qui souhaite créer unenouvelle variété transgénique doit demander l’autorisation au détenteur dubrevet. Mais là s’arrête la similitude : en effet, aux États-Unis, les variétés sontégalement brevetées, ce qui signifie que les agriculteurs ne peuvent pas disposerdes semences récoltées. Par contre, dans l’Union Européenne, le Certificat d’obtention végétale protègele sélectionneur en lui donnant un droit exclusif sur la commercialisation de lavariété créée, mais il n’empêche pas des concurrents de créer d’autres variétéset, surtout, il autorise les agriculteurs à utiliser les semences récoltées.Il est tout à fait légitime que la création d’OGM qui exige des investissementsde Recherche et Développement importants soit financée par un retour surinvestissement et le brevet sur l’OGM est légitime. Mais la recherche sur les PGM est essentiellement le fait de grandes firmesmultinationales et le danger est tout à fait réel que les sélectionneurs n’apparte-nant pas aux groupes industriels détenteurs des transgènes soient exclus dumarché de la création variétale, plaçant à moyen terme les agriculteurs dans unesituation de dépendance totale.

S’il est une lutte à mener c’est bien de celle-là qu’il s’agit et non du bien-fondé ou nondes OGM, car cette lutte a pour but de protéger les agriculteurs de nos pays, et, plus encore,ceux des pays en développement.

LES PGM ET LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT (PED)

Une évidence d’abord : la sous-alimentation et la malnutrition qui affectent,d’après la FAO, quelque 800 millions de personnes dans le monde, ont d’autrescauses que l’incapacité physique à produire des quantités suffisantes de nourri-ture ! C’est ce que dit le Directeur de la FAO quand il considère que les OGM

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ne sont pas actuellement une priorité pour les PED... mais il ne les exclut paspour autant ! Les démographes sont unanimes pour estimer que la population mondialedevrait passer de 6 à 9 milliards d’habitants au cours des 50 prochaines années, ce qui devrait correspondre à un doublement de la production alimentaire, enadmettant que sous-alimentation et malnutrition sont résolues ! Il existe un besoin évident d’imaginer des façons de produire radicalementnouvelles qui permettront de mieux concilier l’accroissement de la productivité,la mise en valeur de surfaces a priori peu productives et la préservation d’équi-libres écologiques particulièrement fragiles. Les PGM pourraient, à terme, être une des réponses aux problèmes alimentairesdes PED. Dans ces conditions, il faut absolument éviter que le développementdes biotechnologies aboutisse à limiter l’indépendance des PED.

Un premier instrument passe par le travail de la recherche publique des pays développés, quisera en mesure de faire bénéficier gratuitement les PED de ses avancées. On pourraitimaginer par ailleurs que les PED aient un accès libre aux brevets, à l’image de ce quel’OMC a plus ou moins finalement accepté de mettre en place dans le domaine desmédicaments. S’il y a une autre lutte à mener, c’est bien celle-là ! À condition que les budgets de recherche, dans les pays européens, soientconsidérablement supérieurs à ce qu’ils sont.

Une des conséquences de la lutte actuelle de certains Européens contre lesOGM, est le retard croissant pris par l’Europe à l’égard des États-Unis, retardqui contribue à accentuer à terme la dépendance européenne et par voie deconséquence, celle des autres pays et en particulier les PED.

Quelques chiffres cités dans le rapport d’information présenté au Sénat par Jean-MarcPastor en mars 2003 : • différentiel de 1 à 10, entre l’Europe et les États-Unis en termes d’investissements ;délocalisation hors d’Europe des essais en plein champ et des investissements stratégiques.250 000 emplois de recherche dans le domaine des biotechnologies perdus en Europedepuis 10 ans. • insuffisance des ressources financières dans le budget européen de la recherche.• budget public de la recherche en sciences de la vie : 1 en France contre 3,3 aux États-Unis.

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EN CONCLUSION

Je citerai le professeur Frydman : « Cette « heuristique de la peur », plus que jamaisnécessaire dans la mesure où nous ignorons bien souvent la portée de nos actes, (est) tropsouvent dévoyée en une « métaphysique du fantasme ». Nous cherchons à nous prému-nir contre des dangers potentiels totalement irréalistes et, occupés à nous protéger, nous enoublions des dangers bien réels. C’est la politique de l’autruche, version éthique ». Les dangers actuels sont réels et très bien identifiés : il s’agit moins de risquespour la santé ou l’environnement que d’une dépendance croissante de nos paysen matière de génétique et de biotechnologies ! Faut-il dans ces conditions « jeter le bébé avec l’eau du bain » ? Faut-il renoncer à notre expertise scientifique et à notre indépendance face auxdéfis auxquels sera confrontée l’humanité dans les prochaines décennies : effetde serre, pollution croissante, etc. 2 ? Peut-on parler de développement durable, voire de décroissance soutenable etfaire l’impasse sur cette expertise et cette indépendance ?

Je ne le crois pas.

Sources utilisées : • Divers travaux de Jean-Christophe Breitler et Alain Weil, chercheurs duCIRAD, (2002-2003) Documents de synthèse de l’INRA, (2000). Documents consultés : • Rapport d’information au Sénat, Jean-Marc Pastor (mars 2003).• Rapport de l’AFSSA sur l’évaluation des risques relatifs à la consommation deproduits alimentaires composés ou issus d’OGM, janvier 2002.J.-P. Berlan et al., La guerre au vivant, Éditions Agone, 2001.• Défaire le développement ; refaire le monde, Éditions Parangon, 2003.• L.-M. Houdebine, OGM, le vrai et le faux, Éditions Le pommier, 2003.

2. Au moment de relire ce texte, je voudrais citer cet extrait d’un article paru dans Libération le 9 décembre 2003 sous le titre : « Les OGM s’invitent dans les discussions sur l’effet de serre ». Cetarticle était relatif à la conférence de Milan sur le climat, qui s’est tenue début décembre 2003 : « Un compromis aurait été conclu, hier à Milan, sur l’utilisation d’arbres génétiquement modifiés dans desplantations forestières destinées à piéger des gaz à effet de serre. Adopté par les négociateurs de la conférence del’ONU sur les changements climatiques qui se tient cette semaine à Milan, ce compromis doit être approuvépar les chefs de délégation des 180 pays membres... ». Ce n’est pas de la fiction et le compromis a étéeffectivement adopté !

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LES SCIENCES DU POINT DE VUE ÉVOLUTIONNISTE IAN HACKING 1 ET MARC KIRSCH 2

Nous sommes très heureux d’avoir été invités à parler dans cette enceinte, etj’en remercie M. Faivre. Son invitation a pour origine un petit débat entre MarcKirsch et moi sur les usages possibles de la philosophie des sciences, publié dansune revue qui avait organisé un numéro sur le thème : « À quoi sert la philosophiedes sciences ? ». Pour ce débat, on nous avait proposé comme point de départ uneparaphrase de la formule de Marx : « Jusqu’à présent, les philosophes (des sciences)n’ont fait rien qu’interpréter le monde (des sciences), l’objectif, cependant, serait de letransformer ». Notre entretien, en réponse à cette paraphrase postmoderne, étaittrès sobre, pas « post-quelque chose » 3. Nous avons pensé qu’aujourd’hui nouspourrions reprendre ce format de dialogue sobre. Marc Kirsch et moi sommesd’accord sur d’assez nombreuses questions en philosophie. Mais nous sommesde formation différente. Il est normalien ; moi, j’ai été formé à la philosophieanalytique à Cambridge en Angleterre. Nos manières de penser des questionsdifficiles ne sont pas les mêmes. J’espère que notre discussion vous paraîtrapertinente par rapport à la question que nous proposons, mais aussi intéressantecomme exemple de méthodes d’argumentation un peu différentes. Par exemple,je suis soupçonneux vis-à-vis des mots abstraits, et j’interromps souvent pourdemander « Que veux-tu dire exactement avec ce mot trop vague ? »

MK. Oui, ça ne facilite pas les choses.

IB. Comme les questions de Socrate ? Mais ceci ne doit pas être un dialogue sur la méthode en philosophie. De quoi discuterons-nous aujourd’hui ? Nos

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1. Ian Hacking, Professeur au Collège de France, chaire de philosophie et d’histoire des conceptsscientifiques. 2. Marc Kirsch, Maître de conférences au Collège de France. 3. Rue Descartes, No. 41 (août 2003), p. 82-95. La revue est publiée par le Collège International dePhilosophie, Éditions PUF.

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questions et nos divergences sont très actuelles. Elles concernent un nouveauchamp de spéculation, la psychologie évolutionniste. Son origine remonte àDarwin lui-même, dans son dernier livre, L’expression des émotions chez l’homme etles animaux 4. Mais ces idées ne sont à la mode que depuis une quinzained’années. La thèse de la psychologie évolutionniste est qu’on peut comprendrebeaucoup d’aspects de la nature humaine, nos capacités cognitives inclues, parleur valeur adaptative dans l’évolution de notre espèce. Comment comprendreles sciences dans cette optique ?

MK. Dans ce courant de pensée des sciences cognitives et de la psychologieévolutionniste, l’orientation dominante est naturaliste. Pour le dire grossièrement,la question est de comprendre comment des organismes vivants issus d’unehistoire naturelle parviennent à faire cette chose étonnante qui est de produiredes connaissances scientifiques, avec tout ce que cela suppose d’organisationintellectuelle des individus et d’organisation des sociétés.

IB. « L’orientation naturaliste » ! Qu’est-ce cela veut dire ? Je me méfie des « -istes » et des «-ismes ». Ce mot de « naturalisme » a trop d’usages. Par exemple,notre collègue Philippe Descola, titulaire de la chaire d’Anthropologie de laNature au Collège de France, soutient que les sciences occidentales, et leursphilosophies, sont toutes des « naturalismes ». Elles font une démarcation netteentre le monde dit naturel, et le monde humain – chez Descartes, entre des corpsqui occupent l’espace, et l’esprit qui pense, le monde des hommes qui ont lacapacité de parler. Chez nous, il ne s’agit plus de l’âme, mais du monde culturel,distinct du monde naturel. Descola oppose ce naturalisme européen à ce qu’ilappelle un animisme, comme celui que l’on trouve en Amérique du Sud, et autotémisme des indigènes d’Australie. Marc, quand tu dis que la psychologieévolutionniste est naturaliste, tu veux dire presque le contraire de Descola. Queveux-tu dire exactement ?

MK. Ma définition du naturalisme renvoie à la lente invention de la biologie,héritière de la philosophie naturelle. C’est un naturalisme qui naît comme unehistoire naturelle, qui brosse peu à peu une histoire de l’univers en essayant deremonter aussi loin dans le temps que nous le permettent nos connaissances et

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4. Charles Darwin, The Expression of the Emotions in Men and Animals, Murray, London, 1872.Signalons la très belle réédition, avec beaucoup de renseignements utiles, de Paul Ekman,HarperCollins, London, 1998. Traduction française : L’expression des émotions chez l’homme et lesanimaux, Reinwald, Paris, 1877. Nouvelle édition : Paris, Rivages, 2001.

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nos techniques. On dresse ainsi un tableau général de l’histoire de notre univers,du monde que nous avons sous les yeux, et qui comporte des aspects culturels,caractéristiques de l’espèce humaine – peut-être exclusivement d’elle, mais laquestion fait débat et dépend de la manière dont on définit la culture. Ce quej’appelle le naturalisme, que je spécifie en ajoutant l’adjectif « évolutionniste », c’estcette attitude que je fais remonter à deux héritiers de Descartes : La Mettrie etLamarck. La Mettrie écrit, dans L’homme-machine 5, que « toutes les facultés de l’âmedépendent tellement de la propre organisation du cerveau et de tout le corps qu’elles nesont visiblement que cette organisation même ». Il rompt ainsi avec le dualismecartésien qui faisait passer à l’intérieur de l’homme la frontière entre substancepensante et substance étendue, faisant ainsi de l’homme un impossible centaureontologique : corps animal et mécanique, pensée inétendue et néanmoins « unie » au corps. À vrai dire, plutôt que de naturalisme, il faudrait parler ici dephysicalisme mécaniste. Lamarck prend la même position que La Mettrie, maisil amorce une rupture avec le mécanisme qui conduira à la reconnaissance de laspécificité du vivant, et représente en même temps un moment important de lapensée transformiste, qui trouvera sa véritable dimension avec l’évolutionnismedarwinien.

IB. Bon. Comme tu sais, j’aime la philosophie de cet homme bizarre, La Mettrie,objet de la haine des Lumières comme Diderot et Voltaire, mais qui, je crois, estplus proche de nous qu’ils ne le sont. Je suis heureux que tu veuilles faire de LaMettrie un porte-parole du naturalisme, dans le sens que tu donnes à ce mot.Dans le sens de Descola, je propose de parler, pour la cosmologie européenne,non pas de « naturalisme » mais de « culturalisme », c’est-à-dire d’une vision del’univers où le monde de la culture des hommes est nettement distinct dumonde des choses. Par culture, j’entends soit ce que visent les âmes religieuses,ou Descartes, soit les phénomènes sociaux étudiés par les sciences humaines. Par le monde des choses, j’entends celui des plantes, des animaux, des corpshumains, des astres ou des molécules. Peut-être, au fond, suis-je plutôt culturalisteen ce sens, alors que tu es naturaliste. Mais comme je l’ai dit, je n’aime pas les « -ismes ». Nos différences sont plus subtiles que des dogmes.

MK. D’accord, mais ne fais pas disparaître Lamarck au profit de La Mettrie. Leur vision de la nature est très différente. Notre conception de la nature estissue de celle de Lamarck. L’homme de Lamarck est entièrement produit par unordre naturel qui, une fois donné – c’est la place initiale que Lamarck concède à

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5. Œuvres philosophiques, t. l, p. 98.

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Dieu – suffit à rendre compte de l’ensemble de ses propriétés. Pour rendrecompte de l’homme et de la pensée, on cesse de faire appel à l’âme définiecomme une substance immatérielle : on s’intéresse désormais au comportementet à la pensée, tenus pour des fonctions des êtres vivants, fonctions produites,comme les autres, au cours de l’histoire naturelle, suivant les lois de la transfor-mation des êtres vivants en interaction avec leur milieu.

IB. Quand il est question des sciences, qui sont des développements culturels,j’ai tendance à distinguer d’une part les conditions biologiques qui sont requisespour ces phénomènes culturels et, d’autre part, l’évolution dans l’histoirehumaine des styles de raisonnement que nous appelons scientifiques. Je croisaussi que tu as un autre héros-précurseur pour le «courant naturaliste » dominantdans la psychologie évolutionnaire : d’Holbach, un homme plus fréquentableque La Mettrie, au goût des encyclopédistes...

MK. Une précision, d’abord : il n’y a pas de détermination stricte de quelquechose d’aussi raffiné qu’un style de raisonnement scientifique par des causesimmédiatement biologiques. Je veux dire que la culture est la nature continuéepar d’autres moyens : une façon non immédiatement biologique de chercher desmoyens de survivre. Tu ne te contenteras pas d’une formule, mais elle deviendrapeut-être un argument au cours de la discussion. D’Holbach ne dit pas autre chose, quand il écrit : « Concluons donc que l’hommen’a point de raison de se croire un être privilégié dans la nature ; il est sujet aux mêmesvicissitudes que toutes ses autres productions. Ses prétendues prérogatives ne sont fondéesque sur l’erreur. Qu’il s’élève par la pensée au-dessus du globe qu’il habite et il envisagerason espèce du même œil que tous les autres êtres [...]. Il sentira que l’illusion qui le prévienten faveur de lui-même vient de ce qu’il est spectateur à la fois et partie de l’univers. Ilreconnaîtra que l’idée d’excellence qu’il attache à son être n’a d’autre fondement que sonintérêt propre et la prédilection qu’il a pour lui-même » 6. L’argument matérialiste reposesur une critique de l’anthropocentrisme – ce que tu appelles le culturalisme. Et d’où la conception, donc, de l’homme comme exception dans la nature. Le naturalisme évolutionniste fournit un fondement scientifique à l’argumentde d’Holbach.

IB. Merci pour ces clarifications. Revenons au présent. La thèse centrale de lapsychologie évolutionniste est que l’on peut comprendre nos capacités cognitivespar leur valeur adaptative dans l’évolution de notre espèce. Je suis sûr que

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6. D’Holbach, Système de la nature, p. 119.

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beaucoup de capacités innées (et donc sélectionnées dans la « lutte d’existence »)sont des conditions de possibilité pour l’émergence du raisonnement scien-tifique. Ces conditions ne relèvent pas seulement des fonctions cognitives ducerveau : elles incluent la dextérité manuelle, l’acuité des yeux et la coordinationde la main et de l’œil, si nécessaires pour les dessins des premiers géomètres etpour les sciences du laboratoire. Mais ces adaptations n’ont pas le même usagepour l’homme des cavernes que pour les scientifiques : leur valeur pour lessciences n’a rien à voir avec leur valeur au Pléistocène.

MK. C’est à moi de demander des éclaircissements – sur « la valeur adaptative denos capacités cognitives ». C’est un concept délicat et controversé. Il y a différentesversions de l’adaptationnisme, et elles sont souvent critiquées. Un exemplefameux : Wallace et Darwin. L’Anglais Alfred Russel Wallace (1823-19l3) estgénéralement considéré comme le cofondateur de la théorie de l’évolution àlaquelle est associé le nom de Charles Darwin (1809-1882). Mais Wallace étaitstrictement sélectionniste : la sélection naturelle est la clé de l’évolution, et rienn’est sélectionné qui ne soit utile. En 1864, Wallace soutien la thèse suivante : « aucun des faits de la sélection organique, aucun organe spécial, aucune forme ou marquecaractéristique, aucune singularité de l’instinct ou de la coutume, aucun rapport existantentre les espèces ou entre des groupes de l’espèce, ne peut exister sans qu’il soit à présent,ou sans qu’il ait été à un moment donné, utile aux individus ou aux races qui lespossèdent » 7. Wallace reconnaissait dans chaque nuance des formes organiques l’action de lasélection naturelle, concevait les animaux comme des œuvres parfaites élaboréespar la force purement matérielle de la sélection naturelle. Il présentait sonsystème comme une déduction nécessaire découlant nécessairement de lathéorie de la sélection naturelle. Or, de ce point de vue, le cerveau humain, avecsa complexité et son extrême sophistication, est surdimensionné au moment oùil est supposé apparaître dans l’histoire de l’espèce : l’homme n’avait alors besoin,au mieux, que d’un cerveau à peine plus développé que celui du chimpanzé. Aulieu de quoi, il a eu un cerveau capable d’inventer les mathématiques, d’écrirel’Iliade et l’Odyssée, de composer les symphonies de Mozart et de Beethoven, etde construire, un peu plus tard, des centrales nucléaires et des bombes atomiques. Du coup, Wallace fait marche arrière devant le cerveau humain. En 1869, il jugedésormais que « ni la sélection naturelle, ni la théorie plus générale de l’évolution nepeuvent expliquer en quoi que ce soit l’origine de la vie sensible ou consciente » 8. Wallace

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7. Cité par S. J. Gould, Le Pouce du panda, p. 55. 8. Cf. R. J.. Richards, op. cit., p. 178.

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revient à un argument créationniste. Pour lui, la sélection naturelle explique toutdes phénomènes de l’évolution, sauf l’apparition de l’homme, de l’intelligenceet de la moralité humaine. Le cerveau et la pensée ne peuvent pas avoir été crééspar la sélection naturelle. Ils nécessitent l’intervention d’une puissance supérieure,celle de Dieu. L’homme constitue donc l’exception à la loi universelle del’évolution naturelle. Je simplifie beaucoup l’argumentation de Wallace. Mais l’enjeu est assez clair.

IB. Bien. Mais cette partie s’est jouée il y longtemps, et elle est finie : c’estDarwin qui a gagné le prix. Nous sommes d’accord : des adaptations qui ont étésélectionnées dans un contexte donné peuvent avoir des conséquences éton-nantes, indépendantes de leur origine, beaucoup plus utiles à la croissance del’espèce que leur « but » original.

MK. La partie est finie, c’est vrai, mais la victoire de Darwin n’est pas sifacilement admise par tous. Elle est même assez souvent contestée. Mais laissonsces débats et contentons-nous d’essayer de clarifier la question de la « valeuradaptative ». L’un des problèmes avec ce concept, c’est par exemple qu’il est assezdifficile de savoir quand on doit mesurer cette valeur. Si c’est à l’échelle del’individu et de ses descendants immédiats, on peut dire qu’il a longtemps été très efficace, du point de vue adaptatif, d’être un dinosaure. Puis la roue a tourné. Il n’y a pas d’adaptation absolue : on n’est jamais adapté qu’à desconditions d’existence données, qui peuvent changer. La question est donc assez complexe ; et elle a des enjeux importants. Je voudrais simplement qu’onretienne la perspective évolutionniste comme un cadre à l’intérieur duquel onpeut – et peut-être on doit ? – penser les sciences et leur histoire. La thèse que je voudrais défendre est que la pensée scientifique est un modeparticulier d’usage de la pensée, qui est apparu à partir d’un certain stade dedéveloppement social et culturel. Elle est un développement de fonctionsélémentaires d’exploration de l’environnement. De ce fait, les sciences, commela pensée elle-même, sont essentiellement au service, non pas de la vérité, maisde la vie. Plus exactement, de la survie d’une espèce vivante.

IH. J’ai une réserve sur l’idée que les sciences elles-mêmes seraient « au service »de quelque chose. C’est nous – c’est la société – qui mettons les sciences auservice de quelque chose. Ou ce sont les scientifiques, financés par la société,qui dirigent l’activité scientifique vers un but ou un autre. Peut-on dire avec toique la science est au service de la survie de notre espèce ?

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MK. Une première chose, à propos de ta remarque sur la science « au service de »quelque chose d’autre. Le mot est peut-être mal choisi, mais ce que je veux dire,c’est que la science n’est pas cette activité désintéressée que l’on présente parfoiscomme une espèce d’idéal de recherche de la vérité pour elle-même. D’accord,la science, immédiatement, n’est au service de rien. Elle sert à ce à quoi onl’emploie. On, c’est-à-dire les hommes, les sociétés humaines. Reste que globa-lement, la science est un instrument de survie ou d’extension des pouvoirs desêtres humains et des sociétés humaines. C’est un instrument de pouvoir. C’estle cas même pour les mathématiques, si indirectement que ce soit, dans beau-coup de cas. Les exemples sont nombreux et rebattus : évoquons l’utilité de lagéométrie pour l’arpentage, ou le rôle d’Alan Turing, mathématicien et logicienanglais dont le génie fut mis au service des alliés notamment pour déchiffrer lesmessages codés de l’ennemi au cours de la Seconde Guerre mondiale. Mais il s’agit moins de monter en épingle le génie d’un homme que decomprendre combien les problèmes intellectuels d’une époque sont en réso-nance avec certains problèmes sociaux. Tes propres ouvrages en fournissent desexemples, comme les liens entre le développement de la pensée probabiliste etles problèmes d’assurance et de rentes. Le matérialisme dialectique de Marx avaitposé ce lien entre les aspects économiques et les aspects techniques des condi-tions de production. La science aussi se crée dans un monde particulier et dansdes conditions particulières. Elle n’est pas faite forcément pour répondredirectement aux problèmes sociaux d’une époque, mais le contexte intellectuel etsocial est néanmoins fondamental. Il définit un contexte conceptuel.

IH. Il y a là deux questions distinctes. Les sciences sont devenues des moteurspuissants de la créativité : quel est leur carburant? Tu dis que ce sont souvent desbesoins sociaux explicites et conscients. De plus, il y a des fonctions plus largesdans une société, besoins de la structure et de l’infrastructure sur lesquels Marxnous a ouvert les yeux. Je suis absolument d’accord. Mais il y une secondequestion, celle par laquelle tu as commencé : y a-t-il un sens non trivial danslequel les sciences sont le produit d’une impulsion évolutionnaire ? J’admets volontiers que les conditions nécessaires aux sciences – qui concernentle cerveau, les mains, les yeux – sont les produits de l’adaptation. Nous avonsdécouvert que nous avions des capacités mathématiques, des instincts classifi-catoires, et surtout des capacités de fabriquer des appareils qui produisent desphénomènes nouveaux. Toutes ces facultés sont présentes, dès l’aube de l’huma-nité, dans notre enveloppe génétique. Les conditions de possibilité de toutes noshabiletés et de nos réalisations sont le résultat des adaptations évolutionnaires.Cette doctrine est une conséquence triviale du Darwinisme le plus vulgaire.

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C’est une conséquence trop générale pour dire quelque chose d’intéressant à l’égard des sciences.

MK. Cette remarque est très embarrassante. Peut-être, en effet, n’y a-t-il aucunmoyen d’appliquer de façon intéressante les outils de la biologie évolutionnisteà des phénomènes culturels qui relèvent d’une autre échelle de temps et quisemblent engager essentiellement des processus culturels – dont la genèse et lesmodes de transmission sont différents des phénomènes biologiques proprementdits. C’est un point délicat. De façon générale, la question de l’échelle des phé-nomènes que l’on analyse est très importante. L’évolution s’étale sur des duréessans commune mesure avec l’histoire des sciences. La science, comme activitéindividuelle et sociale, est un produit du cerveau humain et d’une histoire cultu-relle qui appartient à l’histoire récente, et qui, rapportée à l’histoire de l’espècehumaine, n’en est que le dernier instant. Un battement de cils dans l’immensitéde l’univers. Il ya encore un corollaire à ma thèse. L’utilité des sciences pour lessociétés humaines passe par leur capacité à prévoir les phénomènes et à réaliserdes applications techniques efficaces. La vérité (comme idéal d’adéquation entrela pensée et le monde) est la ruse de la vie dans l’histoire des sciences...

IH. .... « Adéquation entre la pensée et le monde ». Une formule scolastique, quiremonte au Moyen Âge ! Si cette formule doit avoir une valeur pour nous, audébut du XXe siècle, il faut se souvenir qu’une chose ne peut pas être adéquatetout court : elle est toujours adéquate dans un but donné. L’expression sco-lastique présume la question résolue ; elle laisse de côté le problème de fond. Lapensée scientifique doit-elle être adéquate pour prédire le comportement dumonde ? Adéquate pour expliquer les choses qui se passent dans le monde ?Adéquate comme représentation du monde ? Adéquate comme « correspon-dance » entre la pensée et le monde ? Ici j’énumère quelques-unes des « théoriesde la vérité bien connues ». Mais la discussion de ces théories sera elle-mêmescolastique. Qu’est-ce que cette « ruse » dont tu parles ?

MK. Je prends cette bonne vieille définition purement verbale de la véritécomme adéquation parce que ma perspective, ici, concerne non la vérité elle-même ou son contenu, mais l’utilité de la vérité. C’est au fond la perspective dujeune scientifique passionné par ses recherches. Le tableau que l’on présenteordinairement du scientifique, c’est qu’il doit être passionné par ses rechercheset qu’il doit avoir la passion de la vérité – il y a sans doute une image d’Épinaldu scientifique qui mériterait qu’on s’y intéresse. Il ne cherche pas une bonnedéfinition de la vérité, il veut résoudre un problème mathématique, découvrir

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un processus biologique qui expliquerait le développement du cancer et seraitéventuellement utile pour élaborer des moyens de lutter contre la maladie. Il veut trouver quelque chose qui marche, une molécule pour combattrel’hypertension artérielle. Il veut comprendre la structure de la matière, détecterun boson. Il a un usage artisanal du concept de vérité. Un usage qui est del’ordre du sens commun. Ou pas d’usage du tout. Ce qui l’intéresse, c’est que cequ’il propose dans son article soit vrai ou faux immédiatement, c’est-à-dire quela manipulation qu’il décrit marche ou non, et si possible, qu’il puisse expliquerpourquoi. Dans son activité de scientifique, a-t-il besoin d’une conception dela vérité plus sophistiquée ?

IH. À mon avis, on ne veut presque jamais des conceptions de la véritésophistiquée. Je pense qu’elles sont sophistiques, scolastiques.

MK. Je crois que la vérité est l’objectif immédiat, l’objectif apparent de cetteactivité humaine. Elle est aussi la condition de son existence et de son fonc-tionnement. Si l’on essaie de formuler les choses en termes réductionnistes, lascience comme activité organisée de recherche de la vérité sur le monde est uneextension sociale sophistiquée du comportement élémentaire d’exploration del’environnement qui permet à un individu vivant de trouver sa nourriture,d’éviter les prédateurs, etc. Dans le cas de ce comportement élémentaire, l’erreurest fatale. L’argument a été beaucoup utilisé. Dans un registre un peu différent,Jean-Pierre Changeux suggère qu’il y a une sorte d’internalisation de laméthode, par essais et erreurs, qui comporte des risques pour l’organisme quandles essais engagent des actions effectives : au cours de l’évolution du cerveau, untel processus d’essais et erreurs serait mis en place de façon interne. Changeuxparle d’essais virtuels dans un « espace de travail conscient » concept sans doute àpréciser, situé, à mi-chemin entre la biologie et la psychologie.

IH. Quoi qu’il en soit, nous n’avons certainement pas remplacé la méthode paressais et erreurs. Beaucoup de nos expériences, notamment au laboratoire,continuent d’être bien réelles. Dans le laboratoire, on fait beaucoup d’essais,beaucoup d’erreurs – et l’erreur est un excellent professeur. Le laboratoire oùl’on construit des dispositifs pour créer des phénomènes nouveaux est uneespèce d’institution que je date du XVIIe siècle. On peut penser que c’étaitbeaucoup plus tôt, mais pas avant la métallurgie de l’âge de bronze. L’émergencede cette institution – le laboratoire – est un événement dans l’histoire de lacivilisation humaine. Elle n’existe pas pour sa valeur adaptative dans quelqueschéma Darwinien.

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MK. Au sens strict, je suis d’accord. Pourtant, le laboratoire me semble être unélément caractéristique de l’orientation technoscientifique des sociétéseuropéennes qui ont misé sur la science et sur la maîtrise technologique, et quien ont tiré leur puissance. C’est évidemment un événement culturel, mais on ne peut pas pour autant l’abstraire d’un contexte général que le schémaévolutionniste décrit de façon pertinente. Tes livres montrent de façon très claireque la naissance du laboratoire, de ce que tu appelles le style de raisonnementscientifique du laboratoire, n’est pas une météorite, du point de vue des intérêtsde la société qui les produit. Elle est un moyen de résoudre certains de sesproblèmes, au moyen de concepts qui prennent un sens dans un fonctionnementsocial donné, ou qui font leur apparition à cette occasion. Et cela a conduit àdes réussites éclatantes. Si on n’avait pas trouvé d’usage social aux connaissancesissues du laboratoire, les sciences de laboratoire ne se seraient pas développéescomme elles l’ont fait, le laboratoire aurait peut-être simplement disparu. En cesens, il y a là une réponse adaptée, sinon adaptative, aux problèmes d’une société,c’est-à-dire d’un ensemble d’organismes vivant en société selon des modalitésqui sont toujours un mélange étroitement imbriqué de nature et de culture. La culture, la science, sont des moyens de résoudre des problèmes qui se posentà des organismes vivant en société. La biologie n’est peut-être pas présentedirectement ici – c’est- à-dire dans l’émergence d’un style de raisonnement scien-tifique. Mais c’est elle qui fixe les contraintes, au départ. Je suis obligé d’admettreque pour ce qui est de rendre compte du détail de l’histoire des sciences, rienne prouve que l’on puisse aller bien au-delà de cette remarque, sauf à trouverune manière plus convaincante de faire une épistémologie évolutionniste, ouune psychologie évolutionniste moins spéculative. Mais si c’est une remarquetriviale, rappelons qu’elle ne l’est que depuis Darwin, et dans le contexte de lapensée évolutionniste. Elle n’est donc pas si évidemment triviale. C’est uneévidence très construite. Aristote n’aurait jamais dit cela. Pas plus que RobertBoyle ou Robert Hooke, pas plus que Descartes ou Locke. Je veux dire quel’émergence du laboratoire est un événement de l’histoire culturelle, mais quel’histoire culturelle ne peut pas être coupée de l’histoire naturelle. Je voudrais revenir aux principes. Le premier critère d’évaluation de laconnaissance par le chercheur et par les sociétés qui développent les sciences estla « vérité » – qui peut avoir des définitions assez variables. Au niveau de laconcurrence entre les sociétés ou au niveau plus général de l’espèce, la connais-sance est évaluée en termes d’utilité. Actuellement, il semble que les sociétés quidisposent de sciences développées (et des technologies qui les accompagnent)soient les plus puissantes. La connaissance est une richesse et une force, unesource de puissance pour les individus comme pour les sociétés. On pourrait

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ajouter que la capacité à développer une science de haut niveau et à l’utiliserpour le bien-être de la société semble caractériser plutôt, aujourd’hui, les sociétéslibérales démocratiques. Mais sur ce point, il y aurait beaucoup de nuances àapporter. Un optimiste, comme Changeux, aurait sans doute tendance à penserles choses en termes de progrès et à considérer que le progrès social et le progrèsscientifique vont de pair... C’est une vision héritée des Lumières, que j’aimeraispartager.

IH. C’est surtout la vision de Karl Popper, qui y voit à la fois la formed’organisation sociale la plus favorable pour la recherche, et pour le progrès, cequ’il appelle la croissance de la connaissance. Un point intéressant : il estime quenotre cible pratique n’est pas la vérité mais la vraisemblance (pas exactement laprobabilité mais ce qu’il nomme la verisimilitude en anglais.

MK. La recherche de la vérité (ou de la vraisemblance) n’est pas le seul moteurdu fonctionnement des sciences. Elle est sans doute toujours présente, sauf dansles cas de fraude manifeste. Mais en dehors des cas de malhonnêteté, d’autreséléments entrent en ligne de compte. Notamment des aspects idéologiques etdes aspects sociaux, qui sont de nature à renforcer des convictions, à occulter des objections et des critiques, etc. Sur ce point, les travaux de la sociologie dessciences et de Bruno Latour sont éclairants. À un moment donné, dans unesociété donnée, les individus peuvent trouver des intérêts à développer certainstypes d’activité. Au sein de l’activité scientifique, qui fait partie des activitéssocialement gratifiantes et plutôt valorisées, il y a des courants, des façons depenser, qui permettent d’obtenir reconnaissance intellectuelle et gratificationssociales, d’atteindre certains postes, etc.

IH. De plus en plus, en biologie, la valorisation doit être financière. Elle prend laforme de prise de brevets. Il y a actuellement un domaine de la jurisprudencequi évolue à pas de géant : c’est celui de la propriété intellectuelle. Je crains quenous n’assistions à une nouvelle étape de l’histoire des sciences. Nous entronsdans un monde où les sciences n’auront pas comme idéal le libre échanged’information, mais un marché libre, au sens des capitalistes, des brevets. Maisque j’aie raison, ou que j’aie tort, de telles évolutions des valeurs n’ont rien à faire avec l’évolution darwinienne.

MK. Bien sûr, il y a des facteurs contingents et historiques. Mais si l’une oul’autre de ces orientations s’impose durablement, ce sera en raison de l’intérêtqu’elle représente dans un contexte de compétition entre modèles rivaux

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d’organisation de l’activité scientifique et d’exploitation de ses résultats, à unmoment donné de l’évolution des sociétés humaines. Et en un sens, c’est unphénomène adaptatif, qui a toute la trivialité apparente des phénomènesadaptatifs. C’est une chose que l’on a toujours reprochée à Darwin : sa théoriea toutes les apparences d’une tautologie. Si l’on dit que c’est le plus adapté qui survit, on risque d’être amené à définir « le plus adapté » comme « celui qui asurvécu »... Mais ce n’est pas le lieu de reprendre ces objections et de rappeler lesréponses qui ont été faites. Je récapitule et je reformule la thèse : la connaissanceest essentiellement une fonction vitale. Pas la production abstraite d’un esprit àla recherche du vrai, mais l’activité collective d’organismes vivants organiséssocialement et qui cherchent avant tout à survivre – trouver des connaissancesvraies et des techniques efficaces étant un moyen apparemment efficace derésoudre des problèmes vitaux. Tu as parlé de Karl Popper. Pensons à son titreToute vie est résolution de problèmes. Dans cette perspective, la vérité n’est peut-être qu’un leurre. Mon idée, en toutcas, c’est qu’elle n’est pas le but premier. Elle est ce qui motive les individus. Elle sert un autre but qu’elle-même. La vérité, c’est pour l’esprit. Mais nous nesommes pas des esprits.

IH. J’aime mieux parler des problèmes que de la vérité. La vérité n’est pas unobjet, mais quelque chose de second ordre, de plus haut niveau que les objets.Quand on dit que quelqu’un recherche la vérité, on ne dit pas quelque chosequi a un contenu positif. On exprime de l’admiration pour ses valeurs, pour sondésintéressement, etc. Autre façon de distinguer les problèmes (au rez-de-chaussée) de la vérité (plushaut dans les étages...) : je peux dire, « il cherche à résoudre ce problème, c’est-à-dire... »et je peux spécifier le problème. Mais je ne peux pas dire « il cherche à connaîtrela vérité, c’est-à-dire... » – parce que je ne peux pas spécifier la vérité quand elleest encore inconnue. Je préfère que nous passions de la vérité à la connaissance,dont tu soulignais l’utilité.

MK. Il y a des détours. La connaissance n’est pas forcément utile tout de suite.Son utilité peut n’apparaître que longtemps après sa découverte. La connaissancen’est inutile ou désintéressée qu’à l’échelle d’un individu ou d’une sociétéconsidérée sur une période relativement courte. Dans l’histoire des sciences, ilest courant qu’une découverte qui semblait abstraite et sans application, parexemple en mathématiques, trouve tout à coup une application dans desdomaines où l’on ne s’y attendait pas, et qui étaient parfaitement inimaginablesau moment de la découverte.

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IH. Cela arrive. Et dans beaucoup de cas l’intérêt d’une découverte reste interne,sans application à un autre domaine. Quelle importance ?

MK. C’est une des origines de mon désaccord avec toi et avec un texte deCharles Sanders Peirce que tu cites dans The Taming of Chance :« Peirce combinait l’idée de lois évolutives avec une épistémologie évolutionniste. Pourquoinos manières instinctives de classer les choses sont-elles si bien adaptées à l’induction simple ? On soutient souvent que la sélection naturelle adapte les espèces de telle sortequ’elles fassent des distinctions qui correspondent aux aspects pertinents de leur environ-nement. Même si c’était vrai, cela n’expliquerait pas pourquoi les gens sont capablesd’explorer le cosmos et le microcosme. Il n’y a pas d’avantage évolutif discernable dansnotre capacité à formuler le concept de force gravitationnelle, de franchir les étapes séparantKepler de Newton...Notre capacité pour les recherches abstraites est un produit de l’évolution, mais elle est aumieux indifférente pour notre survie. Nous devrions plutôt penser nos capacités mentalescomme évoluant parallèlement à l’évolution des ’This de l’univers. Nous pouvons découvrircelles-ci parce que notre esprit et elles ont évolué de la même manière. Peirce appelait celal’« amour évolutionniste » 9.

IH. C’est remarquable. J’ai écrit ce livre il ya quinze ans, mais je suis toujoursd’accord avec ce second paragraphe. Mais il serait sans doute utile que tu nousrappelles qui est cet homme, Charles Sanders Peirce.

MK. Comme beaucoup de Français, je le connais mal. Je peux en dire ceci.Peirce (1839-1914) a été formé aux mathématiques et aux sciences expérimen-tales, il est aussi logicien et philosophe. C’est le fondateur du pragmatismeaméricain dans la dernière moitié du XIXe et l’inventeur de la sémiotique. Cen’est pas l’homme d’un livre ou d’une œuvre systématique, mais un penseur trèsprolifique, qui a écrit dans des domaines très variés, et qui est considéré commel’un des plus grands philosophes américains.

IH. Oui. Et comme presque tous les intellectuels de la Nouvelle-Angleterre àcette époque, il était convaincu et fasciné par le Darwinisme. Il avait 20 ans à laparution de L’Origine des espèces, qui l’a frappé comme un éclair. Il était toujoursheureux d’expliquer des phénomènes biologiques et psychologiques parl’adaptation.

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9. Ian Hacking, The Taming of Chance, Cambridge University Press, p. 214. Traduction française àparaître avec Odile Jacob.

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Alors, pourquoi ne pas expliquer nos succès scientifiques par l’évolution desespèces? Pourquoi a-t-il invoqué en plus l’évolution parallèle des lois du mondeet du cerveau humain ? Parce qu’il a trouvé un trou énorme entre l’adaptationde notre cerveau à la survie des premiers hommes et nos succès scientifiques.Nous sommes, bien sûr, adaptés à la survie dans un monde d’objets et decréatures qui sont de notre taille, un monde dans lequel les lois de la causalitédonnent l’apparence de régner en maître suprême. Un monde où les couleurset les odeurs sont des signes assez fiables – de bons signaux – des événementsfuturs. Un monde où l’espace et le temps sont absolus. Un monde où lesintervalles temporels inférieurs à notre temps de réaction réflexive sont sansimportance pour notre survie, où des périodes de temps de plus de sept ans sont dénuées de sens. Si l’on pense, avec les neurologues et les spécialistes desciences cognitives, que l’homme – c’est-à-dire les hommes et les femmes et lesenfants – produit des représentations mentales et neurologiques du mondeenvironnant, l’homme qui survit doit avoir été doué par l’adaptation d’une tellecapacité à se représenter le monde. Les deux différences principales entre leshommes et les bêtes, en matière de survie et de maîtrise du monde, sontl’habileté de nos mains et l’aptitude au langage. Ces deux différences, qui sontproduites peut-être par hasard ou pour des raisons adaptives inconnues de nous,profitent d’un cerveau plus grand. Ce serait un réseau informatique d’une utilitéincroyable, celui qui parviendrait d’une part à réaliser la coordination de la mainet les yeux, et d’autre part, à faire du langage un outil pour la re-représentationen sons de nos représentations mentales. Représentations d’un monde encouleur, souvent fétide, un monde tactile, un monde où la taille des choses et ladurée des événements sont à notre échelle. Et toute l’évolution de cela doitdurer des dizaines des milliers des années. Actuellement on conjecture quatre-vingt milliers. Peirce, convaincu par la théorie Darwinienne, était néanmoinssceptique quant à l’explication du succès des sciences par l’adaptation. Il faudraitque les structures du cerveau humain soient préfabriquées pour les structuresdu monde à l’échelle microscopique et à l’échelle macroscopique. Il faudrait unmiracle, ou la planification à l’avance de nos cerveaux par le bon Dieu, commechez Gratry. Autre possibilité, nos cerveaux et les lois de notre monde ont évoluémain dans la main. Peirce était plus évolutionniste que Darwin, plus que Jean-Pierre Changeux. Sa théorie est absurde. Je ne la respecte pas parce qu’elle estplausible mais parce qu’elle prend au sérieux le grand trou entre l’adaptation quia favorisé nos habilités manuelles et linguistiques depuis quatre vingt milliersd’années, et le succès de nos représentations du monde, et de nos interventionsdans le monde, depuis, au plus, cinq mille ans, mais je voudrais dire, depuis cinqcents ans.

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MK. Avec un petit goût de la provocation, je dirais que Peirce manquait peut-être d’imagination. Il ne concevait pas que l’adaptation puisse prendre de telsdétours. Mais pour qu’apparaisse un organe tel que l’œil, il a fallu bien desdétours qui suscitent des débats sans fin entre les adversaires de la théorie del’évolution de Darwin et les évolutionnistes, et parmi les évolutionnistes eux-mêmes. Je ne vois pas pourquoi les capacités cérébrales qui permettent de chasserle gibier au Pléistocène ne pourraient pas permettre, moyennant une histoireculturelle très dense et très complexe, mais très courte, de traquer des particulessubatomiques dans une chambre à bulle. Ce n’est pas que le développement dessciences n’ait pas quelque chose d’étonnant et même de vertigineux. Mais unerévolution scientifique, dans le sens de Thomas Kuhn, n’a rien d’un miracle. Savoir acquérir sur son environnement des informations aussi exactes etpertinentes que possible, est un atout évident pour survivre. Le cerveau estl’organe qui recueille et traite les informations fournies par l’intermédiaire ducorps, et qui permet à l’organisme d’agir. Sa fonction même est de l’ordre de larecherche et de l’exploitation d’informations pertinentes pour organiser l’activitéde l’organisme en vue de sa survie. Cette activité fait partie des fonctions vitalesélémentaires de l’organisme. L’activité scientifique en dérive, moyennant uneélaboration sociale et culturelle extrêmement complexe. Bien sûr, s’agissant d’uneproduction culturelle aussi élaborée, on ne peut pas parler d’adaptation dans lemême sens que lorsqu’il est question de l’évolution biologique. La raison la plusévidente est qu’il s’agit d’une élaboration culturelle, et non d’une évolutionnaturelle au sens propre, qui relèverait d’une transmission génétique. En outre,à la différence de l’évolution biologique telle qu’on la conçoit dans la perspectivedarwinienne, il s’agit d’un processus finalisé, et qui se développe dans des échellestemporelles sans commune mesure avec celles de l’évolution biologique. Maisles savoir-faire et les techniques supposent des savoirs abstraits, à partir d’uncertain degré de complexité. Pour bien arpenter, il faut des connaissances engéométrie. Pour mesurer le temps ou se repérer dans l’espace, sur mer enparticulier, il faut de l’astronomie. Bien sûr, on peut aussi la mettre au service del’astrologie, mais les souverains trop confiants, dans ce domaine, ont souvent euà s’en mordre les doigts. Car un autre aspect de la question est l’aspect adaptatifde la connaissance scientifique pour l’individu dans un environnement social.Peirce dit que les scientifiques font une piètre compagnie, et que leur talent n’estguère utile à leur survie. Mais l’histoire montre que les puissants ont très souventhonoré les savants, et que les peuples les vénèrent. Les sociétés qui produisentdes connaissances scientifiques dominent le monde. Par ailleurs, contrairement à Peirce, je ne peux que constater que notre capacitéà formuler le concept de force gravitationnelle participe de l’avantage évolutif

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que nous a procuré ce cerveau qui nous fait vivre dans ce monde de culture etde techno science qui est aujourd’hui notre monde « naturel »: la mécaniqueclassique est l’un des piliers de notre technologie et de notre mode de vie, et laphysique quantique est aussi omniprésente que les appareils exploitant le laser,par exemple. J’ajoute qu’il est de moins en moins vrai que « notre capacité pour lesrecherches abstraites » soit « au mieux indifférente pour notre survie » : pour préserverce monde que notre espèce a transformé en profondeur par le seul fait de sonexistence et de son mode de vie, il devient probablement vital pour nous dedévelopper ces recherches abstraites. Comment pourrons-nous, sans elles,améliorer notre connaissance de notre environnement et trouver le moyend’éviter de le rendre invivable puisque tel est le défi auquel il semble quel’humanité soit désormais confrontée.

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Cette plaquette a été composée en Bembo de 10 par la sté (sic).

Achevé d’imprimer en novembre 2011 sur les presses de Typorex à Marseille

pour le compte de A.M.H.G.

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