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Individu ou personne ?
Les fondements idéologiques d’une critique de l’individualisme
par Pierre GARINO (Miribel-Les-Echelles Samedi 16 mai 2009)
Présentation
« Individu » / « Personne » : dans l’usage que nous faisons ordinairement de ces termes, nous avons
tendance à les prendre l’un pour l’autre et à les considérer comme interchangeables.
S’intéresser à leur distinction pourrait apparaître comme artificiel et oiseux. Pourquoi perdre son
temps avec une simple affaire de terminologie ?
En réalité, si on se penche sur l’étymologie et la signification philosophique de ces deux termes, on
s’aperçoit qu’ils renvoient à des conceptions très différentes et que l’emploi d’un terme préféré à
l’autre, ou inversement, engage des conceptions et des intentions distinctes, voire des oppositions
doctrinales tranchées. Cela n’est pas neutre dans le champ social et politique…
A partir de cette approche comparative, nous serons amenés à dégager les fondements du
« personnalisme chrétien », pensée élaborée par Emmanuel Mounier dans les années 30, et source
d’inspiration incontestable des fondateurs de la Communauté Européenne comme en atteste un
colloque international sur le Personnalisme organisé à Strasbourg les 10 et 11 mars 2005.
Nous nous interrogerons ensuite sur la proximité de ces derniers avec les bases idéologiques du
discours politique de la « Révolution nationale » sous le régime de Vichy, cette convergence faisant
par ailleurs écho aux principales thèses de la « doctrine sociale » de l’Eglise.
Cette étude généalogique nous permettra finalement de dégager les enjeux relatifs à la substitution
de la notion de « personne » à celle d’individu dans le discours moderne des « Droits de l’Homme »
revisités par les rédacteurs de la Charte des droits fondamentaux de la personne humaine.
Quelles en seront les implications, notamment en ce qui concerne les assises laïques de la vie
politique et sociale des citoyens ?
Développement
Individu ou personne : Les fondements idéologiques de l’anti-individualisme
1 – Considérations étymologiques & approche comparative
Si on ne prête pas attention à l’usage des mots, on peut penser que les termes « individu » et
« personne » sont équivalents et interchangeables.
Or ces deux termes recouvrent des significations très différentes tant sur le plan étymologique que
sur le plan philosophique et aussi politique, comme nous allons maintenant le vérifier.
Partons d’abord de considérations étymologiques. Le mot « individu » vient du latin
« individuum » qui, selon l’usage du philosophe CICERON, traduit le mot grec « atome » c’est-à-
dire ce que l’on ne peut pas couper d’où le sens « ce qui est indivisible » pour désigner un être
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unique et singulier par opposition au « genre » ou à « l’espèce ». Selon Jean PLANQUEVENT (
Esprit janvier 1938), la notion d’individu est une invention de la scolastique médiévale qui est
parvenue à « récupérer » cet héritage païen gréco-latin : « Chaque être, quel qu’il soit, pris en
particulier, est appelé un ‘’individu’’ parce qu’il ne peut souffrir d’être divisé sans cesser d’être
lui-même »
Le mot « personne » vient, lui, du latin « persona » qui désigne le masque au théâtre et
traduit le grec « prosopon » renvoyant au « rôle attribué d’un masque » et par extension à des
valeurs telles que « honneur » et « dignité » en opposition à la chose « rex ». On voit par là que le
terme de « dignité humaine » est en relation directe avec celui de personne. Ce terme de personne a
très tôt eu une connotation religieuse : une idée dérivée amène à la signification de « personnage
important de la société », de « personnalité revêtue d’une dignité ecclésiastique ».
Sur un plan plus philosophique, la différence des deux termes s’accentue davantage pour
devenir, surtout à partir du XXème siècle, une opposition très nette.
Selon le Dictionnaire de la langue philosophique Foulqué, un individu, par opposition à la
personne, se dit d’un « être humain qui réalise un type commun tout en étant distinct des autres et
refusant d’être assimilé à ses semblables ».
Du point de vue logique, l’individu est un « sujet qui admet des prédicats mais qui, lui-même,
ne peut être le prédicat d’aucun autre », ce qui souligne le caractère irréductible de son autonomie
qui n’est pas assimilable à un ensemble ni ne peut se fondre en lui.
Selon le Dictionnaire philosophique Lalande, « l’individualité reconnue à l’individu est ce par
quoi un individu diffère d’un autre et s’en distingue» aussi bien sur le plan numérique que qualitatif.
En ce sens, l’individu s’oppose à la « personne morale » dont « la personnalité confère à l’homme
un caractère le rendant propre à faire partie d’une même société spirituelle que les autres
personnes » donc à se fonder dans une communauté donnée. Sur un plan politique et plus doctrinal,
la « personne est une réalité concrète, charnelle, spirituelle qui peut être membre de totalités
organiques telles que : la famille, la patrie, la corporation…etc. ».
2 – Le personnalisme : une philosophie anti individualiste
On se rapproche ici d’une conception défendue à la fois par la revue l’Ordre Nouveau dans les
années 1933/1936 qui opposait personne et individu et par le personnalisme chrétien d’Emmanuel
MOUNIER dont la doctrine sociale et morale est fondée sur la valeur absolue de la personne.
Jaques CHEVALIER, le 1er
secrétaire de Vichy, qui fut le maître de MOUNIER à l’Université de
Grenoble, définissait ainsi la distinction entre personne et individu : « L’individu est à lui-même sa
fin ; la personne a des fins qui la dépassent. » (La vie morale de l’au-delà)
Ce personnalisme chrétien reprend, bien entendu, la thèse de la théologie catholique selon
laquelle la « personne désigne l’une des trois formes de Dieu dans la Trinité », thèse qui est le
fondement de la doctrine théologique affirmant que « Dieu est personnel » par opposition au
panthéisme et au déisme.
Un prêtre assomptionniste Jean-François PETIT qui vient de créer récemment un site internet
sur MOUNIER présente les choses ainsi : « L’individu et la personne : ce couple n’a jamais
vraiment fait bon ménage chez les philosophes … (…) Assurément, ces deux termes ne renvoient
pas à la même compréhension du monde contemporain et n’offrent sans doute pas non plus les
mêmes façons d’essayer de le transformer. »
Une philosophe personnaliste Maria VILLELA – PETIT, lors des Rencontres de Grenoble les
22 et 23 mars 2002 consacrées à l’actualité de MOUNIER, dans une intervention intitulée
« Emmanuel MOUNIER, une pensée qui interpelle notre siècle », résume ce clivage à sa manière et
de façon très révélatrice : « Un bref aperçu de la civilisation contemporaine permet de déceler la
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permanence ou plutôt l’aggravation de l’individualisme dénoncé par Emmanuel MOUNIER (…)
Ce qu’aujourd’hui, on entend souvent par « droits », dans l’expression « Droits de l’Homme », ne
dépasse pas la satisfaction des désirs ou des caprices des individus, ou de catégorie d’individu (…)
De nos jours, lorsqu’on l’invoque à tout propos, par « homme » on ne vise pas plus loin que
l’individu enfermé en lui-même, mais « illimité » en ses particularités psychologiques. Ces
individus se croyant tout à fait libres et qui revendiquent la « réalisation » de leurs désirs, sous
forme de « droits » qui leur seraient dus par la société et/ou qu’ils ont la force sociale d’exiger, ne
s’aperçoivent pas cependant qu’ils sont eux-mêmes de plus en plus prisonniers d’eux-mêmes (…)
réduits à n’être que des consommateurs (…) dans un monde où presque tout est devenu
« marchandise » ».
Après ce constat que d’aucun pourrait considérer comme réactionnaire et très inquiétant pour
la défense des droits de l’Homme, la philosophe fait le lien entre cet anti-individualisme virulent et
l’actualité de la pensée d’Emmanuel MOUNIER. « Ne nous fournit-elle pas les éléments d’une mise
en cause de l’individualisme et de la marchandisation qui va de pair avec lui ? Dans sa philosophie
de la personne, on trouve les éléments essentiels d’une critique de l’ individu autocentré ».
A l’appui de ces affirmations, Madame VILLELA-PETIT fait référence à une œuvre de
MOUNIER ,Le Personnalisme (œuvres III Seuil pages 452) dont elle cite quelques passages bien
choisis : «Pour dénoncer l’individualisme que (MOUNIER) tenait pour l’antithèse du
personnalisme, il écrivait : (…) la personne ne croît qu’en se purifiant incessamment de l’individu
qui est en elle (…) Tout se passe alors comme si n’étant plus « occupé de soi », « pleine de soi »,
elle devenait, et alors seulement, capable d’autrui, entrant en grâce. »
Empruntant les propos de MOUNIER pour caractériser l’individu, l’auteur cite encore ce
passage : « Un homme abstrait, sans attaches ni communautés naturelles, dieu souverain au cœur
d’une liberté sans direction ni mesure, tournant d’abord vers autrui la méfiance, le calcul, la
revendication ; des institutions réduites à assurer le non empiètement de ces égoïsmes ou leur
meilleur rendement par l’association réduite au profit. »
Reprenant à son compte cette charge virulente contre l’individualisme, Jean-François PETIT
essaie de dégager la modernité et le renouveau de la personne appelée à remplacer cette notion
honnie en signalant que « Le Comité national d’Ethique a contribué à valoriser la personne » ;
« C’est en réalité le christianisme, plus exactement la théologie trinitaire, qui lui a donné toute sa
densité » ajoute-t-il pour en arriver à cette affirmation : « L’individu qui va jusqu’au bout de la
recherche de lui-même débouche sur l’idée de personne. La transfiguration de l’individu en
personne (…) L’absolu de la personne, en garantissant l’intégrité physique, morale et spirituelle
de l’homme, protège de tous les totalitarismes politiques. »
Cette critique de l’individualisme va de pair chez MOUNIER avec une critique radicale du
rationalisme dans sa double articulation philosophique ; l’idéalisme et le matérialisme. « En termes
très généraux, on pourrait caractériser cette pensée (le personnalisme) comme une réaction de la
philosophie de l’homme contre l’excès de la philosophie des idées et de la philosophie des choses. »
(Introduction aux existentialismes, œuvres III page 70)
Dans les années 1931/39, Emmanuel MOUNIER développe des propos inquiétants dans
lesquels la condamnation de l’individualisme le porte à rejeter l’héritage des Droits de l’Homme et
à travers ce refus, les philosophies des Lumières et la Révolution française : « Le fascisme n’est
qu’un individualisme à forte échelle (…) On n’en sort qu’avec la personne, laquelle ne s’affirme
qu’en s’unissant. » (Anarchie et Personnalisme, œuvres I page 710)
« L’homme moyen d’Occident a été façonné par l’individualisme renaissant, et il l’a été, pendant
quatre siècles autour d’une métaphysique, d’une morale, d’une pratique de la revendication (…) Ce
n’est plus un service dans un ensemble, un centre de fécondité et de don, mais un foyer de hargne.
Humanisme ? Cet humanisme revendicateur n’est qu’un déguisement civilisé de l’instinct de
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puissance (…) Il y a toute une psychanalyse à faire de cet individualisme dont le langage sublimé
en termes de liberté, d’autonomie, de tolérance a couvert le règne brutal des concurrences et des
coups de force. » (Revue personnaliste et communautaire, œuvre I pages 159/160.)
« Mon individu, c’est (…) l’amour incestueux de mes singularités (…), la forteresse de sécurité et
d’égoïsme que j’érige tout autour pour en assurer la sécurité ( …) C’est enfin l’agressivité
capricieuse ou hautaine dont je l’ai armé, la revendication érigée en mode existentiel de la
conscience de soi, et la consécration juridique et métaphysique à la fois que lui ont donné, en
Occident, La Déclaration des Droits de l’Homme et le Code napoléon. » Revue personnaliste et
communautaire, œuvre I pages 176/177)
Commentant cette dernière affirmation, Emmanuel MOUNIER écrit : « Nous ne
méconnaissons pas l’apport positif incontestable de la Révolution française et la libération qu’elle
représente. Nous disons seulement que dans sa formule un mal radical est lié à ses heureux effets »
(œuvre I page 890)
Mais cette nuance ne résiste pas longtemps aux multiples jugements radicaux qu’on retrouve
au détour de nombreuses pages, comme celui-ci : « L’individualisme a proclamé la suffisance du
citoyen revendicateur, refusé le mystère et l’appel des présences spirituelles. Le capitalisme est
survenu à se déclasser » Revue personnaliste et communautaire, œuvre I pages 179)
3 – Un anti individualisme idéologiquement réactionnaire
a) le précédent de « l’affaire DREYFUS »
Ce procès de l’individualisme au nom de la personne et de la communauté plus englobante des
personnes n’est pas neutre, surtout à l’époque, dans le contexte historique qui précède la défaite de
la France en 1940, et la montée du capitalisme politique de l’Etat français engagé dans la
collaboration.
Mais il n’est pas neutre non plus parce qu’il survient après l’affaire Dreyfus où la question de
l’individualisme des Intellectuels a été au coeur de la polémique déclenchée par les antidreyfusards
contre la République et la philosophie des Lumières.
Le 15 mars 1898, dans un article paru dans la Revue des Deux Mondes, Ferdinand
BRUNETIERE s’en prend violemment aux intellectuels qui sont à l’origine d’un manifeste publié
dans l’Aurore le 14 janvier 1898 pour appuyer le célèbre « J’accuse » de Zola. BRUNETIERE est
un critique littéraire connu et un antisémite militant et forcené à la manière de Drumont. Dans son
article, il attaque avec virulence la prétention des intellectuels à remettre en cause la chose jugée par
les autorités compétentes au nom d’une Vérité et d’une Justice fondées sur la Raison et placées en
principes supérieurs au-dessus de la vérité judiciaire.
BRUNETIERE considère que la méthode scientifique et critique dont les intellectuels se
réclament n’est en aucun cas applicable aux « questions qui intéressent la morale humaine, la vie
des Nations et les intérêts de la société. » Pour lui, le respect de la Vérité et de l’esprit scientifique
revendiqués par les intellectuels au nom de la Raison universelle ne sont que des mots derrière
lesquels se dissimule « la grande maladie du temps présent : l’individualisme. »
BARRES reprendra en 1902 cette critique à son compte dans son ouvrage « Scènes et doctrines du
Nationalisme ».
Emile DURKHEIM décide de répondre à cet article pour défendre l’individualisme
démocratique hérité des Lumières en publiant en 1898 dans la Revue bleue un texte sous le titre
« L’individualisme et les intellectuels ». Sophie JANKELEVITCH résume très bien les termes du
débat : « C’est au nom de la supériorité de la communauté nationale sur l’individu que
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BRUNETIERE lance sa machine de guerre contre l’individualisme des intellectuels. » Dans
l’introduction de son texte, DURKHEIM met bien en lumière les enjeux de cette polémique : « La
question qui, depuis six mois, divise si douloureusement le pays est en train de se transformer :
simple question de fait à l’origine, elle s’est peu à peu généralisée. L’intervention récente d’un
littérateur connu a beaucoup aidé à ce résultat. (…) au lieu de reprendre à nouveau la discussion
des faits, on a voulu, d’un bond, s’élever jusqu’aux principes : c’est à l’état d’esprit des
« intellectuels », aux idées fondamentales dont ils se réclament, et non plus au détail de leur
argumentation qu’on s’est attaqué. S’ils refusent obstinément « d’incliner leur logique devant la
parole d’un général d’armée », c’est évidemment qu’ils s’arrogent le droit de juger par eux-mêmes
de la question ; c’est qu’ils mettent leur raison au-dessus de l’autorité, c’est que les droits de
l’individu leur paraissent imprescriptibles. C’est donc leur individualisme qui a déterminé leur
schisme. Mais alors, a-t-on dit, si l’on veut ramener la paix dans les esprits et prévenir le retour de
semblables discordes, c’est cet individualisme qu’il faut prendre corps à corps. Il faut tarir une
fois pour toutes cette inépuisable source de divisions intestines. Et une véritable croisade a
commencé contre ce fléau public, contre « cette grande maladie du temps présent ».
Nous acceptons volontiers le débat dans ces termes »
b) le contexte de la « Révolution nationale » et la « restauration de la chrétienté »
La critique personnaliste de l’individualisme se situe donc dans une filiation qui va trouver
son prolongement dans l’idéologie politique de la « Révolution Nationale » du régime de Vichy.
En lisant les appels, discours et messages du Maréchal PETAIN pendant la période noire de
l’occupation Nazie et de la Collaboration, on est frappé par la convergence des idées de l’époque
qui se focalisent sur la dénonciation conjointe de l’individualisme, de l’esprit de revendication et de
la lutte des classes.
Dans le cadre de ce qu’il appelle le programme de la « France nouvelle », le Maréchal énonce
dès 1940 « les principes de la Communauté » qui inspireront toute sa politique : on y retrouve la
notion de « droits fondamentaux » ancrés dans la Nature à la place des Droits de l’Homme (Principe
V)
« L’Homme tient de la nature ses droits fondamentaux. Mais ils ne lui sont garantis que par les
communautés qui l’entourent : la Famille qui l’élève, la Profession qui le nourrit, la Nation qui le
protège » Travail, Famille, Patrie !
Quand PETAIN évoque les « droits fondamentaux », il ne se réfère pas à l’héritage des Droits
de l’Homme issus de 1789 mais il renoue avec la tradition catholique ancestrale antérieure à la
« Grande Révolution ». Selon un commentateur avisé Gabriel Louis JARAY qui, en 1941 préface
un livre du Maréchal « Paroles aux français », le Chef «invite les Français à renoncer à certains
modes de vie d’une civilisation décadente et à reprendre les principes de conduite qui ont guidé,
pendant des siècles, les nations qui formaient ce que l’on appelait « la Chrétienté »». Notre zélé
commentateur impute à la philosophie des Lumières la cause de cette décadence combattue par la
Révolution Nationale mise en œuvre par le régime de Vichy ; il explique que les penseurs
subversifs du XVIIIème siècle ont provoqué une « révolution spirituelle » laquelle « a été
caractérisée par la substitution d’un idéal de plaisir et de jouissance à un idéal de travail et de
sacrifice ; de chaque individu on a fait un dieu (…)on a tendu à une sorte de panthéisme mystique ,
surtout en Europe centrale ou à un matérialisme individualiste, surtout en Europe occidentale. »
(pages XI,XII)
Et pour faire bonne mesure, il insiste sur la convergence du redressement national voulue par
Vichy et l’inquiétude de la papauté. « Des catholiques éminents poussent un cri d’alarme ; il y a 50
ans, le pape LEON XIII, dans son Encyclique « Rerum Novarum », a attiré l’attention de la Société
sur ce péril grandissant. Par réaction, sont nés les mouvements révolutionnaires, démagogiques,
socialistes et communistes, en vue d’édifier à la place d’une société où les riches exploitent les
pauvres, une société où les pauvres dépouillent les riches. Mais comme rien d’heureux ne peut
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s’établir sur l’excès ou sur la violence, les chefs des pauvres, qui deviennent riches, font tout de
suite renaître les abus dont ils se servaient pour arriver au pouvoir. »
Puis notre auteur revient sur l’idée centrale des « Droits fondamentaux », le 1er
des principes
pétainistes en relation avec le communautarisme corporatiste qui en découle : « Par une pente
naturelle, la révolution spirituelle, engendrée par les idées répandues depuis le commencement du
XVIIIème siècle, a amené le triomphe du panthéisme et du matérialisme(…) au mépris des droits
primordiaux de la personne humaine (…) c’est le triomphe du culte de la nature sur les principes
de la vie chrétienne (…) depuis 2 siècles, la lutte se poursuit entre ceux qui, croyant à la bonté
naturelle des hommes, défient les forces de la nature, et ceux qui, luttant contre les mauvais
penchants de l’homme, veulent les dominer en les soumettant à la loi chrétienne. »
Dans la même période historique, on pouvait en effet noter que la terminologie spécifique
adoptée par l’Eglise ne prend jamais à son compte le vocable de « droits de l’Homme ». Dans son
célèbre Message de Noël en 1942, c’est sous l’expression exclusive de « droits fondamentaux »
« droits de la personne humaine » que PIE XII élabore, à la suite de LEON XIII, ce que les
commentateurs appellent « la doctrine sociale de l’Eglise ».
c) continuité historique de l’U.E. : une « Europe cléricale » ?
On devine ici aisément l’influence vaticane dans le choix même adopté par la « Communauté
Européenne » pour qualifier « la Charte européenne des droits fondamentaux ». On constate
d’ailleurs que cette dernière, dans ses 53 articles, ne fait jamais référence à aucune des 3
déclarations des Droits de l’Homme de la période révolutionnaire et qu’elle substitue
systématiquement à la notion d’individu la notion obsessionnelle de « personne » employée 37 fois
dans le texte (en seulement 15 pages !)
Dans son préambule de la Charte, on peut lire « Consciente de son patrimoine spirituel et
moral, l’Union (…) place la personne au cœur de son action en instituant la citoyenneté de l’Union
(…) La présente Charte réaffirme, dans le respect (…) du principe de subsidiarité, les droits (…).La
jouissance de ces droits entraîne des responsabilités et des devoirs tant à l’égard d’autrui qu’à
l’égard de la communauté humaine. » Intégré à la Constitution européenne, ce préambule fait écho
au préambule du Traité constitutionnel qui indique que « s’inspirant des héritages culturels,
religieux et humanistes » « l’Europe offre (aux peuples de l’Europe) les meilleures chances de
poursuivre (…) la grande aventure qui en fait un espace privilégié de l’espérance humaine ».
On retrouve dans cette « profession de foi » européenne tous les ingrédients de la Foi tels
qu’ils sont exposés dans la Constitution apostolique « Fidei depositum » publiée par Jean-Paul II le
11 octobre 1992 plus connu sous le nom de « Catéchisme universel de l’Eglise catholique » : art.
1881 « La personne humaine est et doit être le principe, le sujet et la fin de toutes les institutions
sociales ». Cet art. est complété par l’art. 2254 : « L’autorité publique est tenue de respecter les
droits fondamentaux de la personne humaine et les conditions d’exercice de sa liberté ».
A tous ceux qui verraient dans ces articles la reconnaissance des « Droits de l’Homme » et de
la liberté des hommes en société, il est utile de rappeler la condamnation de ces derniers au nom des
« Droits de Dieu » par le pape PIE VI dans son bref « Quod aliquantum » le 10 mars 1791 : « On
établit, comme un droit de l’homme en société, cette liberté absolue, qui non seulement assure le
droit de n’être point inquiété sur ses opinions religieuses, mais qui accorde encore cette licence de
penser, de dire, d’écrire et même de faire imprimer impunément en matière de religion, tout ce que
peut suggérer l’imagination la plus déréglée ; droit monstrueux (…) Que pouvait-il y avoir de plus
insensé que d’établir parmi les hommes cette égalité et cette liberté effrénée qui semblent étouffer
(…) le don le plus précieux que la nature ait fait à l’homme. »
Ce rejet est totalement reconduit et assumé par l’Eglise catholique contemporaine qui affirme :
« La dignité de la personne humaine s’enracine dans sa création à l’image et à la ressemblance de
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Dieu » (art. 1700), ce qui implique que « la liberté véritable est en l’homme le signe privilégié de
l’image divine. » (Art. 1712)
A ce titre, selon l’art. 1747, « Le droit à l’exercice de la liberté est une exigence inséparable
de la dignité de l’homme, notamment en matière religieuse et morale. »
Et pour bien enfoncer le clou, on ajoute : « Elle atteint la perfection de son acte quand elle est
ordonnée à Dieu, le souverain Bien. » (Art. 1744)
« L’exercice de la liberté n’implique pas le droit supposé de tout dire ni de tout faire » (art.1747)
C’est à la lumière de cette mise au point qu’il faut interpréter les fameux « droits
fondamentaux de la personne humaine » qui n’ont rien à voir avec ce que nous entendons par
« Droits de l’Homme » en sens de 1789 : lisons, pour nous en convaincre, les articles 2273 et 1883
et suivants :
Art. 2273 « Les droits de l’homme ne dépendent ni des individus, ni des parents, et ne représentent
pas même une concession de la société et de l’Etat ; ils appartiennent à la nature humaine et sont
inhérents à la personne en raison de l’acte créateur dont elle tire son origine. Parmi ces droits
fondamentaux, il faut nommer le droit à la vie et à l’intégrité physique de tout être humain (… ) »
Pensez ici aux 3 premiers articles de la Charte européenne : Dignité humaine, droit à la vie, droit à
l’intégrité de la personne !
Art. 1883 « Une intervention trop poussée de l’Etat peut menacer la liberté et l’initiative
personnelles. La doctrine de l’Eglise a élaboré le principe de subsidiarité. Selon celui-ci, une
société d’ordre supérieur ne doit pas intervenir dans la vie interne d’une société d’ordre inférieur
en lui enlevant ses compétences mais elle doit plutôt la soutenir en cas de nécessité et l’aider à
coordonner son action avec celle des autres éléments qui composent la société en vue du bien
commun. »
Selon l’art.1884, le principe de subsidiarité conduit les gouvernants « à se comporter en
ministres de la providence divine » et, selon l’art 1885, en s’opposant à toutes les formes de
collectivisme, « il tend à instaurer un véritable ordre international. »
On voit donc que l’affirmation du primat de la personne sur l’individu et la société, est
étroitement lié au principe de subsidiarité ; ce dernier, réaffirmé solennellement dans le préambule
de la « Charte des droits fondamentaux de l’Union », est érigé en « principe fondamental » de la
Constitution européenne : art. I-11§3 parce qu’il constitue un principe efficace dans l’exercice des
compétences de l’Union et ceci dans le cadre d’une répartition plus générale des pouvoirs.
Le commentaire que le pape PIE XI fait de ce principe dans son Encyclique « Quadragesimo
Anno » (Actes, Tome 7, 1931) est très édifiant : « Que l’autorité publique abandonne donc aux
groupements de rang inférieur le soin des affaires de moindre importance où se disperserait à
l’excès son effort ; elle pourra dès lors assurer plus librement, plus puissamment, plus efficacement
les fonctions qui n’appartiennent qu’à elle parce qu’elle seule peut les remplir : diriger, surveiller,
stimuler, contenir (…) Que les gouvernants en soient donc bien persuadés : plus parfaitement sera
réalisé l’ordre hiérarchique des divers groupements selon ce principe de la fonction supplétive de
toute collectivité, plus grandes seront l’autorité et la puissance sociale. »
4 – Personne & Subsidiarité contre les droits de l’Individu
Faut-il voir dans cette « communauté humaine » fondée sur la valeur suprême de « la
personne humaine » et régie par le « principe de subsidiarité » la « grande aventure » de la
construction européenne proclamée par le préambule du Traité constitutionnel européen en tant que
« espérance humaine » ??
Dans le catéchisme de l’Eglise catholique, « l’espérance est la vertu théologale » qui « répond
à l’aspiration au bonheur placée par Dieu dans le cœur de tout homme ; elle assume les espoirs qui
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inspirent les activités de l’homme (…) L’élan de l’espérance préserve de l’égoïsme et conduit au
bonheur de la Charité. » (art.1817/1818)
Comme le dit le professeur Vlad CONSTANTINESCO (cité par Jean-Louis CLERGERIE « le
principe de subsidiarité » éd. Ellipses page 108) « Le principe de subsidiarité est d’abord conçu
comme un principe d’éthique politique, puisqu’il exprime une vision communautaire de la société :
celle-ci n’est pas tant formée d’individus que de communautés diverses dans lesquelles l’individu se
situe et qui en permettent l’épanouissement. Cette conception organiciste de la société
s’accompagne d’une prééminence accordée à la Communauté la plus humble qui a vocation à
recevoir toutes les tâches qu’elle peut accomplir avec ses propres forces. Il y a du small il beautiful
dans la subsidiarity ! »
On comprend mieux ce jugement sans ambiguïté prononcé par la « Commission des
Episcopats de la Communauté européenne » en novembre 1988 pour promouvoir l’idéal d’une
Europe chrétienne dans la Construction européenne en marche « L’avènement de l’individu, sujet
indépendant et autonome, a produit une réalité sous-jacente, l’atomisation de la société. La liberté
individuelle doit être maintenue. Mais après l’émancipation de l’individu, il faut émanciper la
société de l’individualisme. L’Europe doit marcher sur deux pieds : le libéralisme et le
communautarisme » (cité par Joachim SALAMERO, Colloque International de la Libre Pensée
« Non, Jésus-Christ n’a pas existé ! » page 118)
Plus de 50 ans après, nous ne sommes pas éloigné du corporatisme fasciste du Maréchal qui
publiait dans la Revue Universelle le 1er
janvier 1941, une conférence intitulée Individualisme et
Nation où il se livrait à une critique forcenée de l’individualisme hérité de la Révolution française :
« L’épreuve soufferte par le peuple français doit s’inscrire en traits de feu dans son esprit et dans
son cœur. Ce qu’il faut qu’il comprenne pour ne jamais l’oublier, c’est que l’individualisme dont il
se glorifiait naguère comme d’un privilège, est à l’origine des maux dont il a failli mourir.
Il n’y aurait pas de relèvement possible si les fausses maximes de l’égoïsme politique, social,
moral, spirituel devaient rester celles du nouvel Etat Français, de la nouvelle Société Française.
Nous voulons reconstruire, et la préface nécessaire à toute reconstruction, c’est d’éliminer
l’individualisme destructeur, destructeur de la « famille » dont il brise ou relâche les liens,
destructeur du « travail », à l’encontre duquel il proclame le droit à la paresse, destructeur de la
« patrie » dont il ébranle la cohésion quand il n’en dissout pas l’unité.
Dressé systématiquement contre tous les groupes sociaux sur lesquels la personne humaine
s’appuie et se prolonge, l’individualisme ne manifeste jamais de vertu créatrice. Il est à remarquer
que les époques où l’individualisme règne, sont celles qui produisent le moins d’individualités.
L’individualisme reçoit tout de la société et ne lui rend rien. Il joue vis-à-vis d’elle un rôle de
parasite.
Quand elles sont fortes et riches, les sociétés peuvent supporter un certain degré de parasitisme.
Lorsque ce degré est dépassé, la société s’effondre et ses parasites avec elle.
La nature ne crée pas la société à partir des individus, elle crée les individus à partir de la société,
comme l’a démontré la sociologie moderne.
L’individu, s’il prétend se détacher de la société maternelle et nourricière, se dessèche et meurt
sans porter fruit.
Dans une société bien faite, l’individu doit accepter la loi de l’espèce, l’espèce ne doit pas subir les
volontés anarchiques des individus, et cela dans l’intérêt des individus eux-mêmes.
La première garantie des droits de l’individu réside dans la société.
Ayez une société solide, et dans laquelle le noyau social primitif, la famille, soit fort : les droits
primordiaux de l’individu –religieux, domestiques, scolaires- y trouveront leur rempart. »
Le Maréchal peut ensuite en appeler à « la grande œuvre de la rénovation française » :
« L’esprit nouveau doit être un esprit de communion nationale et sociale (…) seul l’élan collectif
donne son sens à la vie individuelle en la rattachant à quelque chose qui la dépasse, qui l’élargit et
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qui la magnifie. Pour conquérir la paix et la joie, chaque français doit commencer par s’oublier
lui-même. »
Dans son message à la jeunesse de France, le 29 décembre 1940, Pétain dénonçant
« l’atmosphère malsaine dans laquelle ont grandi beaucoup de nos aînés (…) qui les a conduits par
les chemins fleuris du plaisir [Front populaire] à la pire catastrophe de notre histoire », exhorte les
jeunes à renoncer « à la maxime égoïste » et « à l’individualisme (qui) tourne inévitablement à
l’anarchie, (laquelle) ne trouve d’autres correctifs que la tyrannie. »
« Comprenez bien, mes jeunes amis –leur dit-il- que cet individualisme dont nous nous vantions
comme d’un privilège est à l’origine des maux dont nous avons failli périr. Nous voulons
reconstruire, et la préface nécessaire à toute reconstruction, c’est d’éliminer l’individualisme
destructeur. »
Le 17 janvier 1941, le correspondant du « New York Times » Monsieur ALLEN interroge le
Maréchal sur le rapport entre la « révolution nationale » et la révolution de 1789. PETAIN répond :
« Le bel arbre de 1789, replanté en 1848, a donné ses fruits et ces fruits sont tombés. Il s’agit de
refaire aujourd’hui un nouveau verger dans un espace restreint. La « révolution nationale » (se
fait)(…) contre un ordre périmé (…) C’est là une véritable révolution, voulue, croyez-le bien, par
l’ensemble du peuple français. Elle a besoin de liberté mais elle exclut en partie l’individualisme.
Elle requiert des qualités de sacrifice, mais elle repousse la démagogie. Elle fait appel à l’esprit de
fraternité mais elle l’organise pour se libérer de ses tentations et de ses simulacres. » Puis,
interrogé sur le rapport de la France avec les Etats-Unis, il prophétise : « L’organisation du
continent européen est la conséquence inéluctable de la guerre en cours. La France entend
s’associer à cette organisation continentale, y coopérer loyalement, dans l’espoir de trouver une
paix solide et durable en Europe et dans le monde. » Aujourd’hui, on entend le même discours dans
la bouche d’autres…
On voit donc que le programme corporatiste et fasciste du régime de Vichy passe par
l’établissement du communautarisme contre l’individualisme et son esprit revendicatif.
Ce programme se retrouve dans « les Principes de la Communauté ». Principe V : « L’esprit
de revendication retarde les progrès que l’esprit de collaboration réalise. »
« Il s’agit de mettre fin à cet esprit revendicatif qui, passant du social au politique et
réciproquement, nous a perdu parce qu’il nous a dissocié et décomposé. Les mœurs et les
pratiques, qui sévissaient dans les rapports du capital et du travail, procédaient des mœurs et des
stratagèmes du régime des partis qui étaient autant de syndicats politiques. Il s’agit, comme je l’ai
déjà dit, d’abandonner la pratique des coalitions dressées les unes contre les autres, par
conséquent de réviser ou de supprimer les rouages ou les organes qui y conduisent inéluctablement
et de créer, au contraire, des organes propres à engendrer la collaboration. » Allocution
prononcée à la séance inaugurale du Comité d’Organisation professionnelle « Les questions
sociales » le 4 juin 1941.
Cela va de pair avec l’exaltation de l’esprit de sacrifice et de « don de soi » du Principe XI :
« L’Etat demande aux citoyens l’égalité des sacrifices : il leur assure, en retour, l’égalité des
chances. » PETAIN commente ainsi les effets de ce principe dans son « Message au peuple
français » le 11 octobre 1940 : « Le régime nouveau sera une hiérarchie sociale. Il ne reposera
plus sur l’idée fausse de l’égalité naturelle des hommes, mais sur l’idée nécessaire de l’égalité
« des chances» donnée à tous les français de prouver leur aptitude à « servir » (…) On ne peut
faire disparaître la lutte des classes, fatale à la Nation, qu’en faisant disparaître les causes qui ont
formé ces classes et les ont dressées les unes contre les autres. Ainsi renaîtront les élites véritables
(…) qui constitueront les cadres nécessaires au développement du bien-être et de la dignité de
tous. »
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Pour Pétain, « le bien général de la Communauté », assimilé à l’intérêt commun opposé à la
« lutte des classes », est bien entendu basé sur la prospérité des entreprises privées c’est-à-dire sur le
capitalisme. (Principe XIV)
« L’économie d’un pays n’est saine que dans la mesure où la prospérité des entreprises privées
concourt au bien général de la Communauté. »
Dans son « Message aux ouvriers, techniciens et patrons », prononcé à St Etienne le 1er
mars
1941, il précise sa pensée : « Les causes de la lutte des classes ne pourront être supprimées que si
le prolétaire (…) retrouve dans une communauté de travail les conditions d’une vie digne et libre
en même temps que des raisons de vivre et d’espérer. Cette communauté, c’est l’entreprise. Sa
transformation peut seule fournir la base de la profession organisée qui est elle-même une
communauté de communautés.» Cela annonce la « Charte du Travail » qui interdit, en son article 5,
la grève et pose, dans son article 2 cette définition : « La fonction patronale impose le devoir de
gérer l’entreprise pour le bien commun de tous ses membres. »
5 – L’anti individualisme, point de jonction du cléricalisme et du capitalisme
Dans ce parcours, nous avons été amené à mettre en relation le personnalisme, la doctrine
sociale de l’Eglise, le corporatisme du régime de Vichy et le communautarisme européen lié à
l’affirmation, si on suit l’ordre des articles de la Charte des droits fondamentaux, de la « dignité »,
du « droit à la vie », du « droit à l’intégrité physique et mentale », de « droit à la famille » de la
personne humaine dans le respect du principe de subsidiarité.
On a pu démontrer que le point commun à toutes ces idéologies réside dans un anit-
individualisme radical dont la source éminemment chrétienne nous amène à déceler une autre
convergence plus souterraine mais très puissante et influente le cléricalisme en relation avec le
capitalisme ou du moins avec des formes diverses de l’économie capitaliste.
En fait, on pourrait aller jusqu’à dire que cet anti-individualisme idéologique est une forme à
peine déguisée du cléricalisme, souvent contre-révolutionnaire.
Cela montre qu’un discours qui s’appuie exclusivement sur l’exaltation de la valeur de la
personne contre l’idée progressiste d’individu n’est pas anodin malgré ses airs « bon enfant ».
Dans son livre consacré au principe de subsidiarité, le juriste Jean-Louis CLERGERIE note très
justement : « Le principe de subsidiarité s’est surtout développé à partir du XIXème siècle grâce au
christianisme social, défendu en 1891 par le Pape LEON XIII dans son encyclique « Rerum
Novarum » qui (…) insiste sur le « bien commun » et la solidarité. Mais il est véritablement
consacré par le mouvement personnaliste, dont s’inspirera le Pape JEAN XXIII dans sa célèbre
encyclique « Pacem in terris » publiée le 11 avril 1963. Le Personnalisme regroupe les différentes
« Philosophies de la personne », toutes nées dans la seconde moitié du XIXème siècle. (…) Ses
principaux représentants sont Charles RENOUVIER (1815/1903), Max SCHELER (1873/1928) et
surtout Emmanuel MOUNIER (1905/1950) fondateur de la revue Esprit. »
Il est à noter que le Cardinal Karol WOJTYLA, le futur Jean-Paul II, comptait, dans les
années 1970, parmi les philosophes personnalistes les plus en vue, directement inspiré par la
philosophie de Max SCHELER auquel il avait consacré de nombreux travaux. Dans son œuvre
philosophique majeure « Personne et Acte », Karol WOJTYLA a tenté de définir « cette réalité
qu’est l’homme-personne vu à travers ses actes » en faisant une synthèse entre la philosophie
aristotelo-thomiste (ST THOMAS est le penseur du concept de « subsidiarité ») et la
phénoménologie personnaliste de Max SCHELER. Il développe une théorie de la participation qui
repose sur une critique conjointe de l’individualisme et du totalitarisme ; il écrit (pages 313/314) «
L’individualisme et le totalitarisme ont la même racine. Leur racine commune est la conception de
l’homme comme individu (…) privé de la propriété de participation (…) La participation (est) cette
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propriété de la personne grâce à laquelle elle peut exister et agir « en commun avec d’autres »,
en s’accomplissant par là même (…) Grâce à cette propriété, la personne et la communauté
adhérent l’une à l’autre et ne sont pas mutuellement étrangères ni contraires.»
Ainsi, la philosophie de la personne est, pour Karol WOJTYLA, une « théorie de la
participation » fondée sur un communautarisme personnaliste qui articule le principe de subsidiarité
et le principe de « démocratie participative » (qui n’a rien de démocratique mais qui serait plutôt
hiérarchique). Pour Karol WOJTYLA, « le totalitarisme (…) est un individualisme à rebours. »
(Page 312)
Un colloque international qui a eu lieu récemment à Strasbourg les 10 et 11 mars 2005 a
démontré que la philosophie personnaliste était bel et bien la source d’inspiration des concepteurs
du projet européen depuis les origines de la Construction européenne, un projet à la fois fédéraliste,
communautariste et personnaliste. L’ancien Président de la Commission européenne Jacques
DELORS se réclame ouvertement de cette philosophie anti-individualiste et accorde une
importance centrale au principe de subsidiarité.
« Qu’il me soit permis, pour mieux en faire comprendre la portée, de rappeler que la subsidiarité
procède d’une exigence morale, qui fait du respect de la dignité et de la responsabilité des
personnes qui la composent la finalité de toute société. (…) La subsidiarité, parce qu’elle suppose
l’organisation de la société en groupes et non son atomisation en individus, repose sur une relation
(…) dialectique : la priorité d’action à l’unité la plus restreinte joue dans la mesure (…) où elle
peut agir séparément mieux qu’une grande unité, pour la réalisation des buts poursuivis. » Le
nouveau concert européen (cité par J-Louis CLERGERIE).
En plaçant les droits fondamentaux de la personne humaine au sommet de l’édifice européen
(art I-9) et en faisant des principes de subsidiarité (I-11) et de la démocratie participative (I-47) les
principes fondamentaux de la Constitution européenne, la Constitution européenne ne jette-t-elle
pas les bases d’une Europe personnaliste qui concilie l’économie de marché capitaliste et la doctrine
sociale de l’Eglise, sorte de synthèse entre le libéralisme et le communautarisme c’est-à-dire une
forme moderne et réactualisée de l’ancien corporatisme clérical ? On pourrait comprendre en ce
sens l’énigmatique formule de l’article I-3 §3 « L’Union œuvre pour le développement durable de
l’Europe fondée sur (…) une économie sociale de marché hautement compétitive qui tend (…) au
progrès social. »
On trouve en effet sous la plume féconde de PETAIN de quoi éclairer cette formule :
Principe IV de la Communauté : « Les citoyens doivent travailler à rendre la société meilleure. Ils
ne doivent pas s’indigner qu’elle soit encore imparfaite. »
Message du Commentry, 1er
mai 1941 : « L’ordre social nouveau, tenant compte de la réalité
économique et de la réalité humaine, permettra à tous de donner leur effort maximum dans la
dignité, la sécurité et la justice. Patrons, techniciens et ouvriers (…) formeront des équipes
étroitement unies qui joueront ensemble, pour la gagner ensemble, la même partie. »
Revue des 2 Mondes, 15 août 1940 : « Politique sociale de l’Education : L’individualisme n’a rien
de commun avec le respect de la personne humaine sous les apparences duquel il a essayé parfois
de se camoufler. »
Conclusion
Phrases de BLUM citées par Jorge SEMPRUN dans le Nouvel Observateur n° 2108 du 6 avril 2005
(page 40) :
« Le socialisme international (…) non seulement admet, mais il préconise, il souhaite
des limitations de souveraineté.»
« L’individu est libre dans la mesure de ses droits fondamentaux que la loi elle-même
ne doit pas transgresser. Mais il ne dispose pas d’un libre arbitre sans limite et sans
appel. »
« Dans une société civilisée, l’individu est libre mais non souverain. »
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Bibliographie
Christian EYSCHEN « La libre Pensée contre l’Eglise » éditions de la Libre Pensée
Denis PARIGAUX « Etat corporatiste et corporatisme politique » éditions de la Libre
Pensée
Joachim SALAMERO « Le principe de subsidiarité » in « Colloque international de la Libre
Pensée à Avignon »
Emile DURKHEIM « L’individualisme et les intellectuels » édition Mille et une nuits n°376
J-Louis CLERGERIE « Le principe de subsidiarité » éditions Ellipses
Jean6Paul SARTRE « L’Existentialisme est un humanisme » Ed. Folio/Poche
Emmanuel MOUNIER « œuvres, tome I » (1931/1939) éditions du Seuil
E. MOUNIER « Qu’est-ce que le personnalisme ? », revue Esprit décembre 1934 (pages 357-367)
Karol WOJTYLA « Personnes et Actes » éditions Le Centurion
PETAIN « Paroles aux français » (1934/1941) éd. Lardanchet (Lyon, 1941)
PETAIN « La France nouvelle » (1940/1941) éd. Fasquelle (Paris 1941)
C.E.R.A.S « Le discours social de l’Eglise catholique » éd. Le Centurion (1985)
Jean-Paul II « Catéchisme de l’Eglise catholique » éd. Pocket n°3315
Conseil de l’Europe « Droits de l’homme en droit international » éd. Du C.E. (2ème
édition)
Document Internet de l’Union Européenne « Note du Présidium – Convention n°49 » 19
octobre 2000
Idem « Sources des droits énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union
Européenne »
Communauté Européenne : « Traité établissant une Constitution pour l’Europe » éd. De la
Documentation Française