j. g. goulinat, la technique des peintres, 1922
TRANSCRIPT
Presented
to the
LiBRARY
of the
UNIVERSITY OF TORONTOby
MRS. MAURICE DUPRi
LA TECHNIQUEDES PEINTRES
i-
.
rr-
/
't^'^
^/
J.-G.
GOULINAT
I
LA TECHNIQUEDES PEINTRES
PAYOT
(S:
C-,
PARIS
106, BOULEVARD SAINT-GERMAIN
1922Tous droits rservs.
ll(SO
Tons
(Iroils
clfi
re[)rocluclion, d'adaptation et de traduction
rservs pour tous pays.
Copyright igns, by Payol
et
C'*.
Enc^ue
crivant ces lignes, je n'entends pas faille
de l'enseignement. Les dtails purement matriels
je donne sur
le
mtier des peintres, servent
uniquement mettre en lumire un des coins dulabyrinthe dans lequel les artistes cherchent leur
chemin.
Monlits et
but est de donner une impression des rades mille riens subtils dont un matre est
form. Je tente aussi de montrer en quoi ses conceptions n'ont de valeurscience.
que soutenues par sa
L'ruditiontude.
na
donc aucune place dans
cette
Prenant F entire responsabilit descjue
ides
que je soumets, je n'ignore pastromper, et cest l
je puis
me
ma
seule certitude.J.-G. G.
AVANT-PROPOS- CARACTERE ESSENTIEL DE L'ARTISTE.Fluide, impondrable, l'art entre dans latire
I.
ma-
pour
la vivifier, la
parer de grandeur etil
de
style. Fait
de sensibilit,;
appelle l'motion,
la simplicit
fait
aussi de
got,
il
rclame
l'lvation de la pense, le choix des
moyens.
Mais nous ne tenterons pasFart:
ici
de dfinir
notre but, plus modeste, est d'observervers lui ceux qui ont reu
comment tendentmission dela
le servir
dans une de ses branches
:
peinture.
Avant de spcialiser notre tudele
et
de suivresi
peintre dans ses efTorts et ses recherches,
nous ouvrons avec Montaigne
le
grand
livre
du mondeque
,
nous voyons que
la
matire d'art
ou beaut, abonde, dbordant le champ restreintles professionnels exploitent. Ses manifes-
tations, petites
ou grandes, entourent notre vie
d'inpuisables richesses journalires, Elles sont
10
AVAxNT-PROPOS
multiples dans
la
nature qui ne reste pas une
seconde sans renouveler ses chants, ses murmures, seseffets gais,tristes,
ensoleills
ou
brumeux. Elles
sont
galement nombreuses
parmi nous. Mais, deet
mmela
qu'il reste
aveugle
sourd devant les splendeurs qui l'environnent,
l'tre
humain demeure,la
plupart du temps, in-
conscient dele
beaut qu'il cre. Pourtant, dansle
geste du travailleur d'usine,la
rythme du
faucheur,le
cadence du marin qui rame, dansl'cho remplitle
champ du laboureur dontprient
vallon, dans les attitudes recueillies de
femmes
qui
ou
les
mouvements mesurs dechoix d'un ruban qui com-
jeunes gens qui dansent, dans l'arrangement de
quelquesplte
fleurs, letoilette,
une!
que de notes d'art relles
et
varies
*
Mais
si l'art
est partout en substance,
rares
pourtant sont ceux qui justifient de l'appellation d'artistesi
gnreusement attribue. Lafait
prudence des Espagnols ne leur
accorder
ce titre leurs plus grands peintres que relati-
vementdit
telle
ou:
telle
de leurs uvres.
On
ne,
pas chez eux
Vlasquez avait du gnie
1
AVANT-PROPOS
1
mais
quand
il
peignit les Mnines,.
il
eut une
inspiration de gnieles
Rserve judicieuse qui
empche de prodiguer un nom que nous donnons trop de praticiens, uniquement parcequ'ils sel'art,
consacrent
l'une
des branches de
sans avoir d'autre avantage
leur actif
que des connaissances techniques.Or, elles ne sont que les outils ncessaires l'artiste
pour s'exprimer.
Mais
les
pensess'il
inexcutes du passant inconnu, peuvent,sensible,l'art,
est
monter plus haut dansles lucubrations
le
domaine de
que
banales d'un pres-
tidigitateurIl
del palette ou de l'bauchoir.devant une uvre d'art;:
est frquent de dire
elle n'est
pas d'un artiste
peintre, sculp-
teur,
musicien ou pote peuvent donc n'avoir
de
l'art
que
l'tiquette,:
et seraient plus juste-
ment appels
des artisans.*
L'artiste
complet nous semble tre d'abordson
celui qui possde assez le ct matriel de
mtier pour transcrire ses impressions en toutescurit.
C'est en
mme
temps
celui
dont
le
cerveau, vivant enla
communion constante
avec
mesure de beaut que chaque jour nous
2
1
AVANT-PROPOSs'il
accorde, sait l'analyser, et
ne peut toujours,
selon son gr, en tirer de belles uvres, cherche crer,
en synthtisant ses motions person-
nelles. C'est
un technicien, un observateur, unsera sensible aux harmo-
motif.S'il est
musicien,
il
nies sans cesse renouveles quinent.Il
nous environchant desfte, l'cho
entendra
comme
nous, et mieux queci-
nous,
le
bruissement de
l'eau, le
gales, les
remous d'une foule enMaisil
de
cloclies lointaines.
ne se contentera paset
de traduire en notes de musique
phonogra-
j)hiquement, ses impressions auditives. Ce n'est
que
lorsquesaisis
son au
esprit,
travaillant
sur les
thmes
hasard d'une
promenade,nous
d'une rverie, d'un sommeil parfois, les auraassimils, transforms, rendus siens, qu'illes
livrera,
puissamment harmoniss par son
talent de technicien.
C'est cette synthse d'motions personnelles,
appuye sur unedel'art
forte
connaissance des rgles
qui nous donne une
Symphonie pas-
torale
ou un
.
la
sauce et de l'estompe, les
ombrer
Enseignement qu'un peintre ne
rappelle pas sans sourire, mais qui a certaine-
90
LE TECHNICIENlaiss
ment
dans Tide do beaucoup, une con-
ception absolument fausse du vrai dessin. Natu-
rellement on s'appuie sur
le
matre del ligne,
onla
cite l'envi
Ingres et ses simples tracsvoit pas
mine de ploml). Mais on ne
que tout
en accordant y ne grande importance cette ligne, Ingres sait, par des traits subtils, donneren
mme tempsbeaut dela
l'impression de
la
construction
intrieure.la
S'il a.
plus que quiconque, cherchil
silhouette extrieure,
n'a rien
sacrifi
de
la solidit
sans laquelle
le
contour
ne serait qu'un squelette sans armature. Maissi
Ingres s'adonne avec
amour
des recher-
ches de dlicatesses linaires, d'autres dessinentpar les masses, par les jeux d'ombres et delumires. Et tous, qu'ils se servent du lavis ouqu'ils aient
en main un crayon, un bton de
sanguine, un fusain ou uneaffirmer que le
plume, viennentchose
dessin n'est pas autrela
qu'une manifestation de
forme
et
du mou-
vement.*
*
*
Lorsque j'auraije dirai
parler de la personnalit,
que
les trucs qui
permettent au peintreIn
de faire croire en martre de
vraie facture
LE DESSIN
91
spontane
une marque personnelle, ne sontpar
que des mensonges ou tout au moins des impuissances. Le dessin,tion delui,
le fait
de
la
rduc-
ses
moyens
matriels,tels
ne permet pas;
aussi
facilement de
stratagmes
aussi
remarque-t-on une
confusion beaucoup
plus
grande
entrela
les
diffrents talents dessins.s'il
Pourtant,
personnalit d'un peintre,
en
a
une, se voit dj dans quelques traits jets surle
papier.
Tout
le
monde
est
au courant de l'ternelle
discussion sur les coloristes et les dessinateurs.
Onque
retirela
aux uns
la
science des lignes parce
richesse des harmonies les attire davan-
tage.
On
retire
aux autres
la
science de laest
palette, parce
que la cadence des lignes
un
de leurs soucis prdominants. Qui de nous n'apas entendu dire:
Rubens, ou Boucher, ou
Delacroix, ne savaient pas dessiner, tandis que
Raphal ou Ingres ne savaient pas peindre.
Et je citerai pour mmoire les articles que Tona
pu crire sur Ingresc'est
et Delacroix.
Le plus
amusant,cas,
que dans un grand nombre de
on concluait au regret de ne pas voir leursseul.
deux gnies runis en unles corps
Vous
figurez-
vous les cavaliers furieux, les chevaux cumants,s'entrechoquant des tableaux de Del-
92
T.E
TECIINICTEN
croix dessins par M. Ingresral)le portrait
?
Ou
bien l'ado-
de Granet, du muse d'Aix, avecDelacroix?
les couleurs d'unla lois
On
ne saurait
tre
violent et calme. Les dessins
de
Vinci,
dliolbein, dlngres sont logiques avec
leurs auteurs.
tant donn
le
sens de leurs
recherches,
ils
reprsentent en eux-mmes un
tout plus complet, plus attirant et plus analy-
sable que les dessins du
Tintoret, de Rubens,
de Delacroix. Ces matres donnent leur mesure
complte avecpensent,ils
la
couleur et
le
mouvement.
Ils
sentent ainsi, et leurs dessins nes'ils
sauraient tre pour eux un vrai document
ne donnent dj l'impression
de fougue que
recherchent leurs auteurs. Sous prtexte queleurs formes n'ont pas la puret dite
acadmiil
que, que leur trait est sillonn de reprises,
n'en faut pas conclure qu'ils savent moins biendessiner.
On
pourraitles
alors dire aussi
que
les
dformations,
exagrations
voulues par
Michel Ange, pour citer un exemple fameux,sont des fautes de dessin.
Non
:
ce sont des
coups de
griffe
d'un gnie qui sait transformerle
son modle, qui metaccord aveclela
style
de sa forme en
sentiment de sa composition,nature pour en exprimerla
qui interprtesvnthse,
LK DKSSIX
93
Ce qui
est
certain,
c'est
que
la
logique,
ranatoinie, la construction, la comprhension
d'un mouvement, l'intelligence de l'interprtation ne sont jamais en dfaut chez ces
grands
matres auxquels on accorderistes,
le titre
de colo-
et
qui sont aussi
de grands dessina-
teurs. Si tous ne parlent pas
tout servent la beaut avec
mme langue, la mme ferveur.la
*
Parmi
les multiples
expressions de sentimentstraits, je
qu'on peut obtenir avec de simplesciterai part les dessins
de Watteau
et
ceux de
Prudlion.
ChezCythrefait
le
peintre de
le
L'Embarquement pour maniement du crayon reste en par
accord avec celui du pinceau. Ses dessinsle brillant
ont
de croquis extrmement rapides.l'es-
Ils l'taient
sans doute, mais Watteau avecquila
prit et l'intelligence
taient sa
marque,
savait
saisir
au vol
justesse d'un
mouvette,
ment,
la subtilit
d'une intention. D'uneil
d'une main, d'un
pli,
nous donne l'impression
exacte et vivante, tellement vivante que lors-
qu'un de ses personnages esquisse un mouvement, tout dans son tre semble y participe}':
94
LE TEC MCI KNII
son regard, son sourire, jusqu'aux mille
plis
soyeux de ses habits. Je dirai mme, avec un
peu de paradoxe, qu'on devine ses couleurs.Les dessinsde Watteau, plus que ceux detout autre peut-tre, expriment en effet la couleur, et cela
non seulement parfaon dont
la
caresse de
son crayon
et la diversit lail
de son mtier, maissait,
encore par
au bon endroit,
mler un accent de pierre noire (ton froid)
un du
trait
de sanguine (ton chaud). Cette thorie
coloriste
contenue dans
la
science
des
tons chauds et froids et sur laquelle je reviendrai souvent, je la crois rvle dans toute sasimplicit
dans
les
dessins de
Watteau.
Si
La Tour
a fait
aux
trois crayons, des
masques
allant aussi loinsi
en intensit que ses pastels,
Boucher,
si
Fragonard ensuite ont excut
des merveilles avec cepeintre, et
mme
procd, aucun
aucune poque, n'a eu plus d'aisance
de spontanit que Watteau.Plus quel'esprit, le
mouvement
et la vie, c'est
le
charme
infini
qui domine dans leset
dessins
de Prud'hon. Lui aussi dessine
peint de la
mmequ'il
manire, du moins lorsqu'il choisit pour
ses fusains le papier bleut qu'il affectionne et
rehausse de blanc. Xous verrons, en tu-
diant sa technique picturale, la sobrit de son
\A'l
DHSSIN
95
procd
cjui est
en puissance clans ses dessins,le
nous y retrouvons dj
souci de sa construcsimples, scrupuleu-
tion intrieure, ses plans
sement
justes, et les lignes extrieures qui sont
non pas un moyen,
mais une consquence.la
Prud'hon dessine en peintre dontPsychologueses
matire est
sobre, d'une richesse profonde et transparente.et sensible,il
se
montre
ainsi
dans
moindres tudespas influenc
au crayon, et son style
qui n'est plus celui des peintres du xviii% quin'est
par l'autorit
de David,
toute puissante son poque, reste part, au-
dessus de
la
mode,
et contient
tout ce que leet
gnie franais peut runir de dlicatessesensibilit.
de
*
J'ai dit
:
Prud'hon dessine en peintre
et
c'est sur cette alliance
de mots que je voudraistrop
conclure. Le
public spare
souvent les.Il
deux termes
:
dessin
,
peinture
Or
tout
peintre est logiquement dessinateur.
s'appuieses
sur ses dessins
qui
servent de
base
tableaux, qui sont ncessaires tion.
leur installatre utilis,
Tout bon dessin doit pouvoir
dvelopp, supporter l'agrandissement sans qu'il
06
i.K
ii:(;iiM(:iKN
en rsulte unedibriiiationprhension.
ni surtout
une incom-
Et Tartiste, pinceau en main, alors
mme
qu'il
conduit une autre matire plus complexe, aux
exigences multiples, en augmente encore dansses tableaux l'intensit premire.
CHAPITRE
II
LA COULEUR
Jetrait
me
souviens que, jeune lve, on
me mon-
un jour un tableau d'un de nos peintresJe
connus, qui reprsentait une Bretonne dans unintrieur.
crovais;
la
ncessitle
de
dire
quelque chose
et
comme
personnage avait
un
tablier rouge, je dclarai aussitt:.
C'est
d'un coloristeeffet
Combien sont persuads enceux qui s'exprimentont l'appui deet ils
que
les coloristes sont;
en couleurs violentes
leur dire, Puibens, qui a dploy son gnie en
harmonies ardentes. Ce qui
est vrai
pour
lui,
demeurepalette
compltement
faux
pour
d'autresla
peintres, fort
nombreux, qui ont eu
mme
que ce matre, mais n'ont pas su gale-
mentLe
s'en servir.coloriste est celui qui tire le
maximum7
de
vibrations des harmonies qu'il emploie, et dont
os
\A':
TEGIIN'ICIKX
les couleurs ont toute la transparence, la lumi-
nosit et l'clat qu'elles peuvent avoir.
Mais ce rsultat s'obtient de faons diffrentes,et si le
paradoxe en
art n'tait
aussitt rfule
table, j'irais
jusqu' dire
que
plus grandtoile
coloriste est celui quiactivitici,
provoque sur sale
uneEt
de couleur, avecle
moindrela
effort.
entrant danspeinture,
domaine de
technique dedessecrets
la
j'affirmerai
qu'un
principaux des coloristes se rsume dans l'emploi judicieux de
deux groupes de couleurs,
qui sont les tons chauds et les tons froids.J'appelle tons chauds tous ceux qui vont gra-
duellement
vers
le
rouge,
depuis
le
jaunele ver-
orang jusqu'aux bruns, en passant parmillon.
Les tons froids sont ceux qui, partantet
du blanc
du jaune
citron,
passent par les
verts, les bleus,
pour arriver au noir.synthse de ces couleurs, celles:
En prenantjauneet le
la
qui restent fondamentales sont
le
bleu, le
rouge.clair par
Tout objetouartificielle
une lumire naturellele fait
possde, par
seul de ses
ombres
et
de ses lumires, les tons chauds et
les tons froids qui rvleront, chez l'artiste quisait les lire,
son degr de sensibilit devant
la
nature. Je prends, par exemple,
un disque
plat,
LA COLl.EUR
00
que
je
modle
la
faon d'une
pomme. Son tonsoi,
local,
c'est--dire sa
couleur en
est jau-
ntre. Je la
suppose claire par un jour noreffet
mal,gris
le
premier
de
la
lumire d'un
ciel
ou bleu sera de mettre un point brillantDonc, autant qu'on puisseje
dcolor et froid.faireici
un raisonnement mathmatique,cette
dirai
que l'ombre de
pomme, oppose auil
froid de la lumire,
sera chaude. Mais
y a
plus encore
:
c'est la
couleur intermdiaire qui
sera le passage entre le ton local et l'ombre,et ce
passage
est,
mon
avis,
la
pierre dele
touche o les grands matres se montrentplus clairement.
Vingt artistes
ayant
peindre une
mme
pommeet ils
pourront avoir de grands carts entreles diffrents tons,s'ils
eux dans leur faon de voir
pourront tous avoir raisonle
respectentIls
galement
principe des chauds et froids.la
joueront simplement
mme gamme;
des
octaves diffrentes, les uns mettront la pdale
sourde, les autres
la
pdale forte
les
uns plala
ceront
la
pomme
sur un fond presque de
mmelit
couleur, de faon peindre dans la subti;
des rapprochementsla
les autres,
au con-
traire,
peindrontet
entoure
d'objets
aux
nuances varies,
chercheront l'quilibre de
100
LE TECHNICIEN
leur tableau dans la
complication des taches.distin-
Mais tous ces peintres: violents, riches,
gus ou
subtils,
peuvent rentrer dans
deux
grandes familles, qui se partagent l'innombrableligne descoloristes de
tous les pays et de
toutes les coles.
De tous temps,soit par
les
peintres sensibles ladiviss d'eux-mmes,
couleur se sont en
effet
temprament, peut-tre aussi par orgaen deux groupes:
nisation de l'il,
les
uns
voient dans la nature les rapprochements desdiverses couleurs entre elles, et les expriment
par une unification synthtiquecontraire,qu'ils
;
les autres,
au
plus
frapps des varits
de tons
ont sous les yeux, les rendent en les
accentuant, en les exagrant parfois, et laissent l'uvre toute
son harmonie au sein
mme
de
cette diversit.
Double tendancequ'elle
si
naturelle,
si
instinctive
se rvle en de des praticiens de la
peinture chez ceux
et ils
sont lgion
qui
sont des coloristes tout en ne maniant ni brosse,ni palette.
Entrons dans leur intrieurles notes brillantes
:
chez ceux-ci,
de nature diffrente domide suite nous verrons
neront le
et l, et toutle
Svres bleu,
cuivre jaune, la tenture rouge
LA COULEURqui,
^01
dans
la
charmante harmonie de l'ensemble,une constante recherche d'unitbibelots,
clateront en joyeux accords. Chez ceux-l, aucontraire, c'esttoffes,:
tapis,
fleurs et feuilhages se;
tiennent dans des tonalits trs proches
tout
cart une note dominante est banni. Ayant
vraiment organis leur maison par eux-mmes,les
uns
comme les
autres s'y plaisent, sans doutela satisfaction
parce qu'ils gotentrussie,les
d'une uvre
mais surtout parce que l'harmonie qui leur
entoure rpond
temprament.distinction s'ta-
A
plus forte raison, cette
blira-t-elle
chez les peintres.
Un exempleSi
d'un
ordre
concret
nous
la
prcisera.
nous
quittons
un endroit sombre pour entrer brusquement dans une pice claire, ou si nous essayons en t de suivre les feux du soleilcouchant, nouset sa
sommes
blouis par la lumire,
couleur principale dominera dans notre
vision au dtriment de toutes les autres. Les
peintres qui sont
attirs
par ces
effets
sp-
ciaux, qui les provoquent ou s'en rapprochent
par
la
conception de leurs tableaux, sont jus-
tement ceux qui, sous l'appellation de peintresd'une unit de couleur, d'une unit de lumire
ou d'une
mme
lumire, constituent notre pre-
mier groupement.
102
LE TECHNICIEN
Le second comprendra ceux qui s'exprimentau contraire par taches de couleurs.pas du toutn'aiciIl
ne
s'agit
d'un procd pictural. Le mtieril
rien voir dans cette dsignation car
peut s'adapter
toutes les visions. Je prendsle
tache dans son sens
plus large, voulant indi-
quer ainsi
les dillerences
de couleurs qui peu-
vent s'tablir sur un tableau par plus ou moins
grandes surfaces. Supposons un bouquet defleurs des
champs
:
bleuets, coquelicots,
boutra-
tons d'or, dans un vase de faence.
Noustache,
duisons spontanment par
le
mot
les
carts de couleur qui nous sautent aux yeux.
Les peintres de ce second groupement n'aurontpoint
forcment des visions aussi violentesils
;
mais toujours
s'attacheront rendre le jeu
des couleurs varies dans les sujets diffrentsqu'ils traiteront.
* **
On
peut suivre
la filire
de ces deux familles,
je pourrais presque dire de ces
deux races, dans
toute l'histoire de la peinture.
Avant
les peintres
de morceaux, avant ceuxlala
qui ont d approfondir
science du mtiermatire, c'est--dire
pour arriver
l'tude
de
LA COULEUR dela
103
plus ou moins belle pte, se placent lesIl
Primitifs.
suffit
de choisir parmi eux quelques
nomsla
familiers pour se trouver la gense de
double
tendance que nous allons voir sela suite.
dvelopper parSi les
fresques de Giotto Florence ou
la srie
des Benozzo Gozzoli
Pise n'ont pas t vues
de tous, qui ne connat au Louvre les fresques de Botticelli de?
En revoyantsoumisea
ces chefs-d'uvre
l'art italien
on constatera que leur frache
harmonieque
est
une note dominante,uneparent avec sa
chaque couleur
voisine, et qu'il y a dans l'ensemble
un encha-
nementl le
tout naturel des diffrents tons. C'estfilire
point de dpart de la
des coloristes
de
la
mme
lumire.
Par contre, on trouvera chez d'autres reprsentants
des
Primitifs
:
Memling, Van Eyck,la
cent autres, la seconde tendance, celle dediversit des couleurs.
Regardons, par exempleGhirlandajo,
La Visitation
dele
au Louvre, ou mieux encorela
Couronnement de
Vierge
;
chaque objet
a
sa couleur en soi qui diffre
totalement de sa
voisine: ce sont des draperies blanches, rouges,roses,vertes,or.
L'harmonie de l'uvre n'enl, elle est
existe pas
moins; mais
due
l'qui-
101
LE TECHNICIENriofoiireusement recherch des
libre
surfaces
colorantes.
Je
seraisle
tent
maintenant
aprs avoir
not
point de dpart de ces deux colesla
de les reprsenter sous
forme de deux grands
arbres gnalogiques dont les racines baigneraient dans
un mmeart,
fleuve
de
vie.il
Parfois
leurs branches se mleraient, car
n'est rien
d'absolu envers
mais tous deux s'lveraientidal
un
mme
de beaut. Leursles
fruits
d'or seraient les
noms, tous
noms de ceuxils
qui ont mrit leur place au soleil. [Maistant,
sont
de part
et d'autre, qu'il faut choisir, et je
ne retiendrai que quelques peintres, parmi ceuxqui reprsentent des exemples typiques.
De mme quenment quela
le vers,
paraphrase de
la
pen-
se, jaillit chez les
peuples jeunes plus sponta-
la prose,
moyen d'expression
dj
trop synthtique, de
mme
la
complication de
couleur semble plus naturelle aux peintres
primitifs
que sa simplification.effet,
Rares, en
sont ceux qui rsument assez
leur vision pour rduire vraiment leur palette.
Nous avons pourtantGiotto l'glise
cit les
dcorations de
Santa-Croce, celle de Benozzoet
Gozzoli
au Campo-Santo de Pise,
appuy
notre thorie sur l'exemple des deux panneaux
LA COULFX'R
105
de Botticelli au Louvre. Mais,joursl
il
s'agissait tou-
de fresques,
et le
mtier,
comme
la
conception dcorative, contribuait autant quela
volont de Tartiste cette unification de ton.Elle se manifestera pourtant dans les meil-
leurs
panneaux d'un des plus savants quatro:
centistes
Manteo^na. Pas dans toute son uvreet la
videmment,
page multicolore du ParnasseMaisn'est-ill'art etil
nous semble un
dfi.
pas plus
lui-
mme,
plus indpendant de
des conven-
tions de son temps,
quand
brosse,
?
dj
presque en grisaille
sonChrist
Saint-Sbastien
du Louvre, ou sonPar ce chercheurl'poque dela
de Milan
et ce sensible,
nous srag^nons
peinture au sens propre du mot.la
Avecarrive,
la
Renaissance,
maturit
du mtier
et les peintres
vont ds lors abonder
l'appui de
ma
thorie des deux
modes
d'expres-
sion de la couleur.
Nous n'auronsde lumire.
qu' puiser dans chaque colel'unit
pour trouver, d'abord, quelques amis de
Ce
sera,la
chez les Italiens, par
exemple, Titien dont
lumire se rpand en
ondes de
mme
nature dans toutes les partiesle
de ses tableaux,
Tintoret, avec lessi
ombres
olivtres qui font reconnatre de
loin la vision
du peintre de
la
Suzanne au Bain
du Louvre,
106
LE TECHNICIENla
de
Lda
des Offices et des grandes com-
positions de Tglise Saint-Sbastien Venise,
ou encore Corrge
et la
symphonie d'or rayonAntiope
nante et chaude de son
ou du.
Ma-
riage Mystique de Sainte-Catherine
Chezeuxsi
les
Espagnols,
mme
recherche, chez
frquente, que presque toute leur cole
procde du principe de l'unit de coloration.Elle le pousse
mme parfois jusqu' sesQuelques uns ont
extrmesarrivs
limites et
nombreux sont ceux qui sontet noir.
au blancce sens
fait
danset
des chefs-d'uvre,;
comme Grcopentela
Ribera
mais
parfois,
la
dangereusesensibilit
risquait d'enlever leurs
uvres
de coloration, ce qui les met en contradiction
mmelement
avecici
le titre
de coloriste. Retenons seuet
l'harmonie du plus grand,
vo-
quons
la
cendre dore que Vlasquez dispense
sur toutes ses toiles et qui laisseratrele
peine appale
rouge
teint d'un
manteau,
bleu
pass d'un ruban.
Mais
c'est
dans
la
Hollande embrume quedont
natra le roi de la vision simplifie, celui
toute l'uvre st une vidente dmonstration
de ce
fait,
qu'un peintre est d'autant plus colo-
riste qu'il arrive rduire
davantage ses moyens
d'expression.
LA COULF.UR
107
Jamais Rembrandt ne transige sur ce pointtout de vigueur
:
dans
les
pages de jeunesse,
commesibilit
La Leon d'Anatomieles,
tout de sen-
dans
uvres de maturit,ses
comme
sa,
Bethsabe
Plerins
d'Emmaiis
tout
d'amertume dans sa vieillesse, comme dans
ses derniers portraits ou son
Homre .Mais
toujours une
mme
vision, toujours l'imprieux
besoin d'une blonde atmosphre baignant sestoiles,
dans
palpite laIls
pnombre mouvante de laquelle chair d'un nu ou d'un visage.la la
sont lgion ceux qui, initis par lui
science de la synthse, marcheront sur ses tracesTel,
pour n'en
citer
qu'un dans
la
grande pliade
hollandaise,l'an
Van Goyen, de quelques annes
de Rembrandt, mais qui reut cependant
son influence sans compromettre sa personnalit. 11
leur est arriv, au moins une fois
ma
connaissance, de traiter unprs de Dordrecht.
mme sujet, un
pont,
Chez Rembrandt, plus deplus de lgret;
puissance
;
chez
Van Goyen
mais nous retrouvons chez tous deux unesynthse, un
mme
minimum
d'effort
de couleur, unele
science du paysage
telle,
que
brun
et gris,
point de dpart de leur peinture, vibre de la
faon
la
plus intense.
La conception de Rembrandt ne rayonne pas
108
LE TECHNICIEN
seulement en Hollande, mais par del son payset
par del les sicles.
Pensonsde
Reynolds
et ses
exquises figures
qui, sur leurs fondsl'ivoire. S'il doit
sombres, ont l'unit ambrepar sa distinction et son stylele
beaucoup Yan Dyck,en observateuril
pre intellectuel de toutesi,
l'cole anglaise, aurait-il sa vision simplifieet assimilateurl'art
de premier ordre,
ne
s'tait
pntr de
du matre hollandais?
Et chez nous, trs prs de nous, parmi (^euxqui ont dj leur place dfinitive, ne sentons-
nous pas dans
la
brume
qui enveloppe les
ma-
ternits de Carrire et voile la tragique figure
du
Christ au Calvaire
,
comme un
cho loin-
tain des puissants accords de
Rembrandt?
Ce nom de grand Franais m'amne parler des artistes de notre cole. A cause du gnie
mme
de
la race, fait
en tous temps d'un ardent
dsir de synthse et de sobrit, nous trouve-
rons chez nous de beaux peintres d'unelumire, j'oserais
mme
mme
presque dire
les plus
beaux, sans pour cela renier les grands matres
dont je viens de saluer au passage l'amplesynthtiquevision.Si celle
et
de certainsc'est
des
ntres surpasse parfois
la leur,
que plus
qu'eux tous peut-tre,
ils
mettent leur point dela
dpart et d'arrive dans
nature,
s'oublient
LA COULEUR
109
eux-mmes, suivant
la
grande tradition d'objec-
tivit classique, fuient les tentations
du procd,
restent fidles leursible,
modle autant que pos-
ne peignant pas tout ce qu'ils voient,qu'ils peignent.
mais voyant tout ceCettesincrit,
cette
honntet
artistique
clatent plus que partout ailleurs dans l'uvre
de deux matres dontlle
le
but est tellement paral-
que
je
ne puis m'empcher de les runir,
bien quegisteriste
l'un,
Claude Lorrain,
soit
un paysa-
du du
xvii'' sicle, l'autre,
Chardin, un figu-
xvIII^ C'est
une science nouvelle que
celle
de ces deuxest
artistes.si
Chez eux, toute
for-
mule
absente, et
leur temprament les
pousse des compositions diffrentes, tous deux continuent l'eflbrt vers la perfection del'analyse
dans chacune de leurs uvres. Les
recherches subtiles que j'indiquais tout l'heuresur un objet simple
comme une pomme,les
ils
les
observaient dans
dtailsla
de
tous
leurs
tableaux sans que jamais
moindre dfaillance
se sentt dans l'effet ornral.
La
clart sereine
de leur art rayonna sur beaucoup de nos artisteset cette influencel
peut se retrouver
mon
sens,
o un il non exerc ne Y y dcouvrirait cerJ'tonnerai beaucoup peut-tre en disant que
tainement pas.
110
LE TECHNICIEN
je suis
sincrement persuad que
les
paysa-
gistes
modernes,
et
et je
ne parle pas seule-
ment des Rousseaudais,
des Corot, qui descendent
plus encore de Claude Lorrain que des Hollan-
mais
des
impressionnistes
commebase de
Monet,
Sisley, Pissarro,
dans leurs admirablesla
tudes d'aprs nature, doivent touteleur lumire Claude Lorrain.
J'indiquais tout l'heure les trois couleurs
fondamentales
:
le bleu, le
jaune, le rouge, ou11
plutt les bleus, les jaunes, les rouges.
est
indniable que,
parmi leurs thories,:
les
im-
pressionnistes ont celle-ci
que chaque couleurl'air,;
dans
la
nature
tant
dans
se
trouvefait,
dcompose par Tambianceune couleur quelconquedansjaunedeset
que, par ce
participe
toujours,
proportions diverses,;
du bleu, du
du rouge
et
que
cette couleur (soit le
rouge, par exemple), paratrait-elle absolumentpure, est baigne
immanquablement de jauneregarde de prs unetoile
et
de bleu.
Si l'on
de
Monet ou dela toile.
llenoir,
on verra toujours un jeu
de trois couleurs
n'importe quel endroit de
Or, cette
mthode quinu chez
se trouve en quelque
sorte mise
les impressionnistes, est
dj
solutionne, mais avec un autre mtier
i.A
COULKUH
msi
plus tenu, plus dlicat,
chez Claude Lorrain.
C'est ainsi que les rvolutions dcoulent parfois
du classicisme
et
que nos impressionnistes,
souvent compris
contre sens, se rangent avecla
Claude Lorrain parmi nos peintres delumire.
mmeil
Quant au sensiblenatures mortes
et dlicat
Chardin,il
sait
mettre dans l'atmosphre dont
baigne ses
ou ses
toiles
d'intimit,
une
simplification sans effort apparent et le triomphe
d'une intelligente
et
synthtique vision. J'acpartialit en
cepte d'tre accus de
avanant
que ce matreJe ne sais passais pass'ils'il
me sembles'il
runir un peu des
qualits de tous les peintres de toutes les coles.a
regard Rembrandt, je ne
a
regard Terburg, je ne sais pasfixer
s'est
jamais souci de
son poque,la
mais je sais que ses figures ontde celles de Terburg,
prciositla
que ses fonds ont
transparence de ceux de Rembrandt, et que,lorsqu'il a peint
L'Enfant au Toton
,
Lail
Pourvoyeusemis en
et tant
de natures mortes,les qualits
a
mme temps
que
techniques
les plus
grandes, tout ce que notre xviii^ sicle
franais rclamait de gaiet et d'esprit, en attei-
gnant dans chacune de ses pages ce noble butdel'artiste:
peindre vrai en .peignant simple.
112
LE TbXlIMClEX
Procdant desnant au
mmes
recherches et apparte-
mme
ordre de comprhension simplipliade brillante des La Tour,il
fie, je citerai La
Perroneau, Fragonard, auxquels
a certaine-
ment donn un peu de lui-mme. Puis,dans sa vision directe, c'est--dire dans
fran-
chissant l're rvolutionnaire avec David, simplela plu-
part de ses portraits, nous verrons au seuil dusicle dernier
Prud'hon avec ses fonds ardoiss,
ses lumires rostres, seslui
ombres brunes.xix*"
Et,
tendant
la
main par-dessus ce
sicle
de
recherches, d'efforts, d'erreurs parfois, mais de
constant travail, Henner, que nous appellerons
un peu son disciple parceque par un mtier diflerentsynthtique.
qu'il aboutit
bienvision
la
mme
** *
Nombreuxtemps et
sont ceux en peinture qui de tousles coles s'appliqurent
dans toutes
des recherches d'unit de lumire. Tout aussi
abndajils sont ceux qui, simultanment, don-
nrentet
leurs efforts
picturaux un autre but,
voulurent faire chanter aux couleurs de leurautre
palette,
chose qu'un savoureux plain-
chant.
Suivons donc une semblable parent
LA COULEUR
H3
avec les peintres de Tharmonie par les taches
de couleur.
Gomme
il
faudrait remonter loin pour parler
des premiers qui ont mis avec plus ou moins
de succs de l'ocre jaune ct de l'ocre rouge
!
Mais
les
quelques fragments de peinture mu-
rale conservs, qu'ils soient gyptiens, grecs
ou
romains, relvent plutt du domaine dechologie que del'art pictural et je
l'ar-
n'ai
point
m'occuper
ici
de ces prcurseurs.
En
vrit, si l'on voulait
prendre au pied de
la lettre
l'expression de coloriste par la tache,le
pour se rapprocher de ceux quifait
sont tout il
commetenir
les peintres
de vitraux,
faudraitIls
s'en
peu prs aux Primitifs.trs
nouscas,
montrent dans unet ce
grand nombre de
sont souvent de pures merveilles, des pan-
neaux' tellement expressifs, l'envers, c'est--dire
qu'en les mettantle sujet
en rduisantl'intrt
nant,terie
ils
gardent tout
de leur marque-
de couleurs.
Les matres que nous pouvons voir aprseux, compars aux Primitifs, se dtachent, parle fait seul
de leurqu'il y
communion avec
la
nature,
de tout ce
avait jusque-l de
conven-
tionnel dans la couleur. L'air entre dans les
tableaux et donne
toutes choses cette liaison,
H4
LE TECHNICIEN
une des principales recherches des peintresvus tout
rheure, et que notre seconde ligne
d'artistes respectera galement.Il
n'en est pas moins vrai que ceux-ci, toutla
en partant del'quilibre
connaissance fondamentale des'expriment instinctive;
des tons,la varit
ment par
des couleurs
Raphal enpoudroie-
est l'exemple
dcisif, et
malgr
le
ment cendr qui enveloppe si bien les tableaux de Vronse, nous n'en distinguons pas moinsdansles
Noces de Gana
,
cent robes
aux
couleurs diverses.
Raphal
et
Vronse ne sont pointdeGiorgione,
les seuls
matres italiens qui aient vu par taches coloreset
les
noms
Paris-Bordone,
Lucas-Giordano,l'esprit.
viennent
tout
de
suite
Par contre, on trouverait plus
difficile-
ment des exemples typiques chez les Espagnols,toujours fidles leurs oppositions simplifies
d'ombre
et
de lumire (avec, parfois des notes
clatantes,
dominant Tharmonie), ou chezleur
les
Hollandais qui, presque tous, conservent l'unit
de vision qu'ils doivent
temprament
propre, prcis par Tinfluence dominante de
Rembrandt.Maisc'est, je crois,
chez les Flamands quecaractris-
nous verrons
les
matres les plus
LA COULEURtiques
115
du genre, avec Rubens en
tte.
Gar-
dons-nous d'ailleurs d'tre trop absolus. Dans
une uvre de
cette
ampleur, on trouve de quoi
satisfaire toutes les thories.
Rubensteset;
a fait
des grisailles peintes tein-
il
a
bross des toiles presque unicoloresqui
des
portraits
sont desessay,
soleils
d'une
mme
lumire.
Il
a tout
parce que sa
nature dbordante
lui interdisait
de s'enfermer11;
ternellement dans
une formule.
a
russi
partout, parce qu'il avait du gnie
mais ce
qui est indniable, c'est que dans la plus grandepartie de ses toiles, se voit le souci de l'qui-
libre des couleurs violentes et varies.
Je ne sais pourquoi on a l'habitude de dire
que
les
Rubens du Louvre ne sont pas deles plus
lui.
Nous avons aumorceaux
contraire quelques-uns de ses
savoureux. Sa
Kermesse
,
par exemple, nous offre en
mme temps
qu'un
des triomphes de sa palette, un feu d'artifice
de
joie,
un prodige
d'quilibre. Je ne vois pour
galer en violence cette foule bruyante,
que
son
Adoration des Mages
w
du Muse d'AnNational Gallery.
vers, et son
Silne
de
la
L,
il
y a des rouges absolument
purs qui sebleus,
tiennent
avec
aisance
entre
des
des
noirs et des ors.
H6
LE TECHNICIEN
Est-ce cause de toute cette ardeur vermil-
lonne
qu'il est
un grand coloriste
?
Certainement
non, mais c'est parce que, derrire ce jeu apparent, se
cache
la
plus sre des matrises. C'esttel
parce que tout est sa place, unque,si,
point
par
la
pense, on
essaie
de
sup-
primer ou de transformer
la disposition
de ces
masses colores, on n'arrive qu'ment.
affaiblisse-
Rubens
a influenc
visiblement les peintresfais
de son entourage. Je
une exception pours'il
Van Dyckde prsla
qui a sa plax:e part, car,
a suivi
technique de Rubens, au dbut de sail
carrire,
est
devenu presque exclusivementsens,il
portraitiste. lui,
Dans ce
a
eu une note bienle
qui le dtache du matre, para
seul fait
d'une sobrit de tons qu'illoin pour que,
pousse assezse range
mon
avis.
Van Dyck
dansIl
les peintresa plutt
de l'unit de couleur.d'artiste
y
une belle orientation
que
je vois en
grande partie ne d'une proque cer-
fonde admiration pour Rubens. C'est l'uvre denotre Watteau. L'empreinte futtains tableaux desi forte
Watteau
s3
rapprochent cu-
rieusement de sondiffrents gnies
initiateur, l'inspiration chez
pouvant arriver parfois
de
surprenants parallles.
LA GOULE CkSi l'on suit l'uvre
H7le
de Walteau, on y voit
mme
dsir de manifestation dans diverses tenle
dances. L'impulsion et
besoin de ralisation cette
sont conscutifs et nous devonsnit, des esquisses
sponta-
o toutes
les dlicatesses
de
la
couleur sont runies.Paibens,
Commeses
Watteau
a
baign parfoislumirequi
paysages d'une
gnreuse
englobait, dans une
mme
harmonie, les per-
sonnages quilui,
les animaient. Mais, travers
commela
chez
on voit aussi
son uvre,
science
des tons varis, srement organiss et vigou-
reusement exprims.ments, etcarpart quea
C'est
l
d'ailleurs
que
j'arrterai la similitude de leursla
deux tempra-
Watteautelle
doit Rubens,
Watteau
une
personnalit que ce
serait lui faire injure
que d'insister sur sa richeil
parent.
11
eut la grce,
eut l'esprit,
il
eut,
il
eut
qu'il tait Franais.lui,
D'autres que
chez
nous,et,
subirent
le
prestige du matre flamand,
par
l
mme,
viennent renforcer
le
noyau de notre secondC'est
groupementBoucher quedcolor.cates,Ici,
artistique.
par
exemple.
l'on a parfois appel
un Paibens
les taches sont tendres et dli-
mais
le
principe de
coloration est le
mme.
118
LE TECHNICIEN
Et voici un troisime peintre
:
Delacroix, qui
aura beaucoup emprunt
Rubens.
Commeil
il
eut lui aussi un vrai temprament,
n'en
fit
pas moins que Watteausonnelle.ses.11
et
Boucher uvre perles couleurs
manie avec forcese
oppo-
Non seulement
meuvent danset
ses toileset
des personnages pars de bleu, de rouge,violet,
de
mais trs souvent,
comme pour
rsu-
mer
le
principe de sa recherche, Delacroix met
au premier plan de ses tableaux une nature
morte o se
touchent
et
s'entrecroisent les
mmes
couleurs
varies.,
Voyez
au
Louvre
L'Entre des Croiss
Constantinople
ou
les les
Femmes
d'Algeret
au Muse de Tours,Boulions;
Saltimbanques
dans un
coin de ces tableaux, nous apercevons tout un
dsordre d'objets, servant pour ainsi dire depointpalette.
de
dpart
l'panouissement
de
sa
Dans un semblableDiaz, et
esprit,
mais
avec
une
autre nature, je citerai de nombreuses toiles de
pour suivre un enchanement rationnel
des influences, ayant
nomm
Diaz aprs DelaSi je
croix, je ferai suivre Diaz
de Monticelli.
prendsc'est
ce
peintre
comme
dernier exemple,est
prcisment parce
qu'il
surtout, et11
presque exclusivement, coloriste.
a
tritur
LA COULEURses ptes avecles
H'J
une vigueur peu ordinaire, osmaintenir ses
grandes
oppositions et su
orchestrations sans dissonances.
*
Tous
les peintres l'amiliers,
que
je viens d'es-
sayer de diferencier les uns des autres et declasser, ont t appels des coloristes. Or, quidit peintrel.11
ne
dit
pas toujours coloriste, loin dela la
y eut de tous temps, des matres de
forme, du style et du dessin, que l'emploi de
brosse semblait paralyser.sion dans le justeet
Une incomprhenmaniement des tons chauds
des tons froids, et l'impossibilit de sentir
les
passages expressifs, amnent une impres-
sion de malaise dans leurs
hormonies qui ne
vibrent pas. La manire aussi dont les tons sont
poss influe sura
l'activit
de
la coloration. Il
y
des peintres qui recouvrent leurs panneauxlisses,
de grandes plaquessphre;
bouches, sans atmoils
suivant une expression courante,
peignent leurs tableauxfacturea
comme une
porte.
Leur
les
dfauts
parallles ceux d'un
excellent pianola qui, adapt
un Pleyel ou un
Erard, ne pourra jamais en tirer les
mmes
sonorits qu'un pianiste, cause du toucher de
120
LE TECIIMGIN
l'artiste
qui caresse les notes d'ivoire,
commetonsla
le coloriste
caresse sa toile. science
Ni
cette
de
l'quilibre
des
chauds
et froids, ni cette personnalit
dans
touche ne sont donnes
tous les artistes, pas
plus que les richesses de matire sur lesquelles
nous reviendrons. Et jepour montrer qu'un
cite ici le
nom
d'Ingresa
trs
grand gnie
pucer-
n'avoir pas galement tous les dons.taines de ses toiles,il
Dans
l'Odalisque
par exemple,
parat vident que le coloriste n'est pas lastyliste.
hauteur du grand
D'autres, n'ayant pas son gnie, rendent cette
froideur plus pnible encore. Tel le trop sageet
timide
Delaroche qui peint sans me sessi
anecdotes historiques, dont les tons vibrent
peu
;
tel
Cabanel, avec un coloris pauvre et
artificiel,
manquant de
toute chaleur.
On
prte
un membre de
l'Institut,
mort aujourd'hui,
mais longtemps un des pontifes de notre EcoleNationale desBeaux-Arts, une curieuse m11
thode picturale.
prparait, parat-il, tous les
tons s'adaptant au modle qu'il peignait
tout
commeainsi des
l'ouvrire
en
tapisserie
disposeIl
l'avance les laines qu'elle utilisera.
y avaittons de
tons
de terrain
,
desvoire
chair
,
des
tons d'arbres
,
mme du
LA GOULUH
121
ton de lion
,
rest lgendaire chez ses disci-
ples.
Je crois difficile une toile ainsi peinteI
d'accuser une grande spontanit de coloration
Certes
la
rgle est utile et les grands peintres
ont t des savants
de leur mtier. Mais les
problmes de
la
couleur ne se peuvent rsoudre
comme uneprament,tout
quation. Quels que soient les proet la
cds employsle
tendance de chaque tem-
coloriste vrai doit rester avantet
un observateur
un sensible.
CHAPITRE
III
LA MATIERE
On
peut tre un grand peintre
et n'tre
paset
coloriste,
on peut tre un grand
peintre
n'avoir pas lequ'elle soit
don dequalits
la
belle
matire. Bien
intimement
lie
la
techniqueintuitivesle
et
non pas auxdela
purement
de
l'artiste, elle est la
peinture ce que
timbre
voix est au chant. Sa beaut peut tre di-
verse et demeurer indpendante des autres mrites
de l'uvre.
Il
arrive qu'un tableausi
restecette;
sans valeur malgr sa belle matire,qualit n'est appuye par
aucune autre
par
contre, elle fait parfois dfaut une toile signe
d'un matre. De
mme un
chanteur, dou d'un
organe magnifique, mais dpourvu d'ducationmusicale, ne peut tre compar celui dontla
technique savante rachteS'il fallait
le
timbre mdiocre.
entrer dans le dtail des multiples
LA iMATIRE
123
aspects sous lesquels se prsente la matire,
dans l'uvre des peintres qui nous sont familiers,
nous risquerions de compliquerElle est l'piderme
inutile-
ment une question dj assez
subtile par elleelle
mme.
du tableau,ou;
est
ce je ne sais quoi
qui attire
laisse
froid
comme
la
beaut d'une femme
elle est l'abou-
tissement du temprament d'un peintre et des
recherches de son mtier.
Les rsultats obtenus au point de vue dematire par des artistes qui traiteraient lesujet pourraientdiffrente
la
mme
en dehors de leur vision
tre
compltement opposs.
Unriel,
exemple, pris dans un ordre plus matclairera cette subtilit.
Un morceau
de
bois dbit chez deux bnistes se transforme
chez l'un en ornements secs, aux angles arides,et
chez l'autre en moulures souples et moel-
leuses. L'aspect des
deux meubles,:
ainsi crs,
n'aura rien de
commun
tandis que l'un, plusfroid,il
ou moins correct, resterale
semblera que
second s'enrichisse d'une beaut spciale. Cel,
seral'on
comme
en peinture,
la belle
matire que
aime
voir
pour elle-mme, matire duefigur, et n'ayant rien
au
travail,
donc terme
voir avec la matire premire employe pour
excuter l'uvre.
124
LE TGHMCIX
*
Les variations de
la
matire sont multiples.la
La
diversit possible
du mtier de
peinture
riiuile est
une des raisons pour lesquelles
talent partlitIl
les tableaux peuvent tre de quammedans l'aquarelleet le
pidermique aussi diffrente.n'en est pas de
pastel.
La matire
existe sans doute,
mais
un
moindre degr. Les moyens se rduisent
l'emploi de craie colorante pour le pastel, de
couleurs plus ou moins dtrempes pour l'aquarelle,
du choix de papiersles deux. Aussi,
lisses
ou rugueuxdif-
pour
bien qu'il existe une
frence de matire vidente entre les pastels de
Boucher
et
de Perroneau par exemple,considrable
elle est
cent fois moinspeintures.n'est pas
qu'entre leurs
De mme une aquarelle de Bonningtonaussi loigne
d'une
aquarelle
de
Corot, que deux tableaux desC'est
mmes
auteurs.ce n'est
que dansle
la
peinture
l'huile,
pas seulementle cuivre
panneau,
la toile, le
carton oula
sur lesquels on peint, qui changent
matire
:
dj les faons diverses dont les sur-
faces recouvrir sont prpares comptent nor-
mment pour
l'artiste
dans
la
mise en marche
LA MATIKRE
125
de son uvre. Puis les couleurs, broyes avecdiffrentes huiles, peuvent encore tre dlayes
dans diffrentes essences ou vernis dont l'addition oursultatsla
suppression donne de tout autrescelle
que
de l'eau dans l'aquarelle.
L'paisseur del pte variera, et surtout, cettepte colorante sera pose par les peintres de
faon multiple
:
d'un coup, par touches, ou bienle
par reprises successives sur
mme
endroit.
La mthode deartiste,
travail,
particulire
chaque
amne
d'ailleurs entre eux, ds la e:e-
nse de leurs uvres, des diffrences essentielles.
Certains bauchent avec des tons frais
et clairs,
aux valeurs rapproches,
afin
de pou-
voir en dernier lieu poser des lumires franche-
ment peintes
et
des ombres que des dessous
foncs ne viennent pas opaciser. Quelques-unsfont des dessous trs pais, quitte raser lesasprits gnantes pour terminer en ptes discrtes;
d'autres
bauchent lgrement pour
excuter ensuite en ptes paisses, et d'autresencore, sur des dessous en grisailles, terminentleurs tableaux avec des glacis.
J'indique ces quelques mtiers pour montrer
combien vari peut
tre l'aspect dfinitif de ta-
bleaux, dont le point de dpart est similaire
quant aux produits employs. Encore ne
faut-i
126
LE TEGIIXICTENla
pas oublier
place que tient le
vernis final.soit consid-
Cependant bien que son influencegarde,fait
rable, j'en comparerai le rle, toute proportion celui
du cadre, parce que
le
vernis ne
pas partie absolue de Texcution. C'est untre,
lment tranger, qui peutvu, ajout par une autrepeintre.11
nous l'avonscelle
main que par
du
n'a
donc qu'un rle de complment au pointla
de vue deJ\ai dit
cration de la matire.cette belle matire
que
ne se rencontre
pas seulement chez les plus grands.
On
voit
des dbutants brosser des toiles imparfaites
dont l'aspect n'en est pas moins
fort
attirant,
parce que leur excution rapide, spontane, d-
pourvue de toute fatigue peut se passer d'unematrise de construction et de dessin.Cette
spontanit est du reste en elle-mme une rai-
son de succs au point de vue matire. Les po-
chades
et les
esquisses de peintres,
mme
en
possession de tous leurs moyens artistiques,sont presque toujours plus brillantes que leursexcutions. Mais c'est le privilge des matres
de savoir reprendre leur projet,
et
le
mener
jusqu' son achvement complet en y mettanttout ce que la rflexion exige, sans pour cela
perdre les qualits de matire que prsente Tes-
LA MATIKREquisse.
127
Et
si,
justement
sur
ce
point,
ils
obtiennent des rsultats plus complets qu'unpeintre
mdiocre,
c'est
parce
qu'ils
ont
sula
d'abord observer les rgles chimiques pour
conservation des couleurs, et bien choisir cellesci.
La simplicit de leur excution, duedes reprises continuelles,
une
conception sure, leur vite ensuite des tton-
nements
et
et
rien
n'entrave l'assimilation logique des molculescolorantes.
Une
toile
bien peintele
vieillit
bien,
en se transformant avec
temps, les ptes
s'enrichissent et se dorent,
indpendamment
de l'action du vernis, alors qu'un tableau d'un
mauvais mtier noircit
et
devient opaque.
Ce qu'on peutdes beauts de
dire, c'est
que ce sont
les co-
loristes de toutes natures qui s'inquitent le plusla
matire, pour cette raison
bien simple qu'ils peuvent encore ajouter, parl'aspect de leur tableau, la richesse de leurs
harmonies.J'ai
essay d'expliquer ce qu'est et
mon
sens
un
coloriste,
pourquoi des peintures vio-
lentes ou dlicates peuvent rvler une gale
science de la coloration.
128
LE TECHNICIENplusieurs des peintres que nous
En regardantsions du
aimons tous, pris au hasard de nos impres-
moment, nous verrons en mme tempsles
plusieurs sortes de belle matire.
Parmi
uvres de ceux
qu'il est
convenu
d'appeler les Primitifs, nous trouverons, malgrleur personnalit trs marque, une frquentesimilitude d'aspect. Cela vient de ce qu'ils pei-
gnaient gnralementlisses.
Tuf, sur des panneaux
Les couleurs mres dominent dans leursest mince, elle vaut par sa
tableaux qui tiennent un peu de l'orfvrerie.
La matiresit,
prcio-
par son aspect d'mail. l'huile
Les premires uvres peintesnentfaut
donII
peu
p'rs le
mme
rsultat extrieure
arriver
au
moment o
l'exprience de
riiuile
permet
les varits
de mtier pour voir
tout aussitt des diffrences de matire trs
grandes entreVoicile
les peintres.
Prugin, encore tout rattach auxanciennes,puis
traditions
Raphal qui s'ensa personnalit.
carte
mesure que grandit
La
I.
La
lrrende attribue
aux
frres
Van Evck
la
dcouverte de
la
peinture Thuile.
Il serait
plus
exact de dire qu'ils ont perla
fectionn ce procd, car tous les textes anciens dmontrent de
manire
la plus
vidente que l'emploi de l'huile pour broyer lesle
couleurs est connu depuis
milieu du xiv^ sicle.
LA
M ATI KM K
121]
recherche de
la
matire n'est pas sa proccu;
pation premire
la
puret du dessin,
la
no-
blesse du style l'emportent, et c'est seulement
dans ses portraits, qu'entrain par l'admirationqu'excitent en lui ses molles,il
trouve, grce
l'inpuisable richesse de son temprament, labelle matire dont sont parfois
dpourvues ses
autres uvres.
Mais,
la
mme
poque, Giorgione, tonnamla
ment prcurseur, pntredela trituration
plupart des secrets
des ptes colorantes, et nousle
voyons, indiqu dans
Concert champtre
)>
au Louvre, tout ce que Titien ralisera plus tard.C'est en
somme
partirla
du grand panouisqueles
sement pictural de
Renaissance
peintres, ayant pris conscience de leur mtier
pour lui-mme, dgags du point de vue
reli-
gieux, documentaire, ou surtout dcoratif deleurs prdcesseurs, vont, tout en simplifiant
en gnral leurs sujets, compliquer et multiplierleurs recherches techniques. L'imagerie mystique et gniale
d'un Fra
Angelico ou d'un
Memling
est bien morte, et avec le
savoureux
mail d'un Corrge, les onctueux emptementsd'un Rembrandt,la
cendre dlicate d'un Velas-
quez, nous voyons se prciser les recherches deriche matire.y
130
LE TECHNICIEN
Supposons qu'une invention, toujours possible
en ces temps de perfection des procds
mcaniques, permette de reproduire avec uneabsoluefidlit
de proportion
et
de couleur
n'importe quel tableau. Certains panneaux dePrimitifs seraient
presque imitables, mais
la
matire d'un portrait de Reynolds, d'un intrieur de
Terburg ou d'un paysage de Turner,
restera aussi impossible rendre que le son d'un
Stradivarius dans le plus parfait des disques
phonograpliiques.l'artiste, ce qu'il
Elle
est
comme
l'me
de
ne peut
livrer,
mme
au plus
comprhensif de ses lves.Piubens peut tre cit
comme grand
exemple,
car l'histoire de la peinture nous montre peu detcnies avant runi, avec
une ternelle absence
de fatigue, autant de qualits picturales. Les
uvres pour lesquelles
il
s'est fait aider,
monet
trent toute la distance qui sparait ses collabo-
rateurs, pourtant fort talentueux,les
du matre,
morceaux
qu'il reprenait
lui-mme, se re-
connaissent non seulementsonnelles, mais aussi qu'elles apportentla
ses qualits per-
diffrence de matire
dans ces mmes tableaux.
On
peut
le
constater facilement au Louvre dans la
galerie des Mdicis, en regardant la figure de
La Jeunesse enleve par
le
Temps
,
celles
LA MATIRE
131
des sirnes dans
le
Dbarquement de Maried'un faune etle
de Mdicis
,
la
tte
corps
drap de velours jaune de l'Abondance dans
L'Education de
la
reine
.
Je dirai encore que la matire est le ct vo-
luptueux de
la
peinture.
Il
chappe au specta-
teur peu clair qui ne sait voir que superficiel-
lement. Mais l'amateur vrai voudra examiner
un tableau deRien
prs, au besoin le toucher, le ca-
resser pour mieux pntrer le mystre de sapte.
d'tonnantxviir
ds
lors
voir
les
peintres du
sicle
multiplier
peut-tre
plus que tous les autres les recherches detire.
ma-
Ce sera Watteau, dontmartreincisifs, spirituels
le
savant pinceau de
accroche les emptements mordants,qui font palpiter
le
manteaula
satin de
L'Indiffrent
ou s'panouir
robe
soyeuse de
La Finette
.
Ce sera Fragonard qui donnegneuses
ses
Bai-
une matirebrosse
si
exquisement fminine.
A
titre
gal seront rois Canaletto,la
Ou ardi
sur-
tout,
dont
campe d'un coup, danstoiles, le glis-
l'atmosphre vert de gris de ses
sement des gondolesla socit
et la foule grouillante
de
vnitienne. Et
ct d'eux, peut-tre
plus grand que tous,
Chardin, mettant dans
132
L^:'!;TRGIlNlGlN
Texpression cVune fontaine de cuivre, d'un uf,d'une raie, toute Tonctueuse sensibilit d'unart,
qui est le triomphe de la matire.le xix*" sicle, les
Pendant
recherches
artisti-
ques de tous ordres vont se transformer. En
mme temps lala
que Ingres qui s'attache avant toutla
puret de
ligne et lui sacrifie volontiersla
matire,
commence
ligne des rvolution-
naires.
Pendant
le reste
du
sicle, luttant
con-
tinment contre de sots prjugstion
et
une
tradi-
mal transmise,
les peintres s'absorberont
dans des soucis de vision picturale, de lumire,de couleur. Voir juste, voir lumineux, peindrevrai, tel sera leur objectif,
qu'ils se
nomment
Manet, Sisley, Pissarro.
Ils
peindront pour les
besoins d'une cause qu'ils dfendent prement,
en chercheurs, n'ayant
ni le loisir, ni la volont
de s'attacher toujours aux savoureuses couluresde ptes, aux touches mailles et moelleuses.Et ce sera clicz des peintres plutt isols des
recherches de leur temps, que nous retrouverons les proccupations de matire:
tels
Vol-
lon et Ricard qui ont tent, dans des sens diffrents,
de retrouver
la fluidit
des anciens
;
tel
Courbet, qui par l'emploi du couteau donneses
ptes une trange
vigueur
;
tel
Gustave
Moreau ne ngligeant aucune des richesses du
LA iMATIRE
133
mtier de peintre pour rendre plus vocatricesses visions mythologiquesfiant;
tel
Henner, simpliavec
sa
palette,
et
recherchant,
des
moyens savammentses nus.
rduits, l'ivoire maill
de
Parmi
les peintres actuels, plusieurs rserve-
ront certainement aux admirateurs de l'avenir,le plaisir dlicatil
de matires savoureuses. Mais
faut attendre,ait fait
pour
les
juger vraiment, que
le
temps
sur leurs toiles son uvre bonne
ou mauvaise.
CHAPITRE
IV
LA COMPOSITION
Quiconque
a suivi
en peinture un enseigne-
ment
olTiciel et
pass les concours des
Beaux la
Arts, sait quel prix les
patrons attachent
composition d'un tableau. L'ducation de l'lvedestin arriver au prix de
Rome,
est
soumise
un entranement
spcial.
En mme tempsd'atelier>>,
que de nombreuses
acadmies
il
doit faire des quantits d'esquisses (c'est--dire
d'exercices de composition) et traiter^ suivantles rgles traditionnelles, tous les sujets
de
la;
cration.
En
principe tout cela est trs bien
n'est-ce pas en forgeant qu'on devient forgeron?
Pratiquement
les
rsultats
des concours sontlesla
moins heureux.
Comme
toutes
fois
que
l'entranement intensif se met de
partie, ce
ne sont pas fatalementtriomphent;
les qualits
profondes qui
mais certains lves vous font desbien
acadmies
si
ficeles
et
des esquisses
LA COMPOSITION
135
d'une habilet
telle,
que
le
jury,
en toute
honntet, est oblig de les classer premiers.Aussi, lorsquele
public
est
admis, chaqueRsurrection de
anne,
regarder les dix
Lazare
ou
les
dix
a
Mort d'Hliogabale
parmi lesquelles onest-il
choisira
un grand
prix,
frapp de
la
pauvret des uvres concur-
rentes.
Inclin
c
voir l le signe d'une dcadence deil
notre art pictural,forter
veut parfois aller se rcon-
dans
les salles voisines,
o sont exposs
dans leur ensemble
les prix;
de
Romeil
depuis
la
fondation du concours
mais
en sort gale-
ment du. Les noms de Fragonard, David,Rgnault,etc...
Henner,
Besnard,
Ernest Laurent,
,
tmoignent pourtant, semble-t-il, en faveurles distinguer;
du jury qui sut
mais tout
le
talent dont ces peintres firent preuve au cours
de leur carrire, n'empche pas leur Grand Prixd'tre de froides formules sans personnalit et
sans
vie.
C'est donc, malgr de magnifiques exceptions,la
condamnation sans phrase du concours deen peinture. Maisil
Rome
est juste de direle
que
tous les chefs d'ateliers
condamnent eux-
mmes,nients,
lis
en voient trop bien les inconvluttent,
et ils
assez impuissants d'ail-
136
.E
TECHMCIEN
leurs, contre les rglements administratifs d'un
autre ge, intangibles, qui ne permettent pas
de modifier
le
recrutement des candidats
;
car,
ce n'est pas le principeest mauvais,
du prix de Rome quiassez piquant de con-
mais;
la
faon dont on est oblig
de
le
donner
et
il
est
stater qu' l'heure actuelle, surl'cole des
un directeur de
Beaux Artsdans toute
et
quatre chefs d'ateliers
de peinture, on compte un seul prix de Rome,
un
artiste
1
acception du niot, intellela
ligent,
clectique,
et
premier
voir les
dfauts de la maison de
rue Bonaparte.
Maisdtails
le;
public ne connat pas tous ces petits
aussi en
condamnant
cette institution
dsute du prix de Rome, beaucoup de nos
contemporains se dressent contre
le
tableauqui ne
compos dontrpond plusIls
il
nous
offre le type,
et
nos aspirations ni
nos besoins.ragis-
sont ds lors prts
saluer,
comme
sant contre une discipline desschante, tous lespeintres qui prennent avec la composition elle-
mme desQuandprix de
liberts absolues.
ils
s'lvent contre la
ralisation
du
Rome, on comprend, mais
lorsqu'ilsils
concluent au rejet de toute composition,
font
une gnralisation fausse.n'est
La composition;
pas
le
tableau
compos
celui-ci
LA COMPOSITION
137
ne
reprsente trop souvent que l'application
abusive et maladroite d'un principe excellentet ncessaire.11
serait aussi vain
pour le peintre
de renier
la
composition, que pour l'architecteles lois
de repousser
de
la
construction, ou
pour
le
musicien, celles de l'harmonie.*
Arrtons-nous unsonsprises
instant ces
comparaiartistiques
dans des
domaines
diffrents.
Tout
le
monde
sait qu'il y ala
en architecture
des rgles imprieuses dont
non observancedel'difice
pourrait compromettre la soliditconstruit.
Un homme
de got peut concevoird'une maison,il
l'organisation heureuse
peut
avoir l'ide d'une loggia dcorative, d'une per-
gola accueillante, d'une terrasse dominant sa
demeuredsirs
;
mais
il
lui
faudra
soumettre ses
un homme du mtier qui commenceratrsclair,
par tablir un planexactes.
et
des cotes
A
ct de ces calculs indispensables,
tout architecte, qu'il veuille construire
un
palaisle
ou une modeste
villa, doit
galement savoirles lois
degr de rsistance des matriaux,
de
l'quilibre, les proportions des diffrents ordres,
138
LE TECHNICIENla
sans parler des dtails pratiques detion;
construc-
science base sur une srie de rgles
dont l'application s'imposequi d'ailleursl'architecte:
l'entendement, etle
n'entravent point
gnie de
les cathdrales gothiques, la cou-
pole de Saint-Pierre ou mieux, le Parthnon,
n'en sont-ils pas la preuve?
Entales
littrature, si des
consquences aussi bru-
ne sont pas
redouter, elles s'imposent
moralementrit.
l'auteur
avec
la
mme
sv-
Durant l'poque classique, on
sait quelles
furent les exigences de la composition, et com-
bien tout cart
la
fameuse rgle des
trois
units, par "exemple, aurait fait scandale. Cette
rigueur n'est plus de misere d'audacel'on
et
nous vivons unevaries.
et d'aspirations
Mais
si
carte la petite phalange des extrmistesle rejet
qui veulent
de toute discipline, combien
tiennentsatisfaire
cur, parmi nos plus modernes, deleursapptits
de fantaisie tout en
restant dans la rgle. Le critique le plus avancaccueillerait d'un
mauvais il l'ouvrage, roman,le
drame, pome, o
lgitime effort de renouet les
vellement dans l'inspirations'allierait
moyens nenatu-
pas au dsir de logique, d'quilibre,si
de construction raisonne, qui s'impose
rellement au got franais. Ce n'est pas tout de
LA COMPOSITIONfaire
139
un beau;
vers,
il
faut encore btir
un
pomela
ce n'est pas tout
non plus d'avoir dansil
tte
un
joli
thme musical,
faut encore
l'harmoniser.
Paralllement aux lois de l'architecturela littrature, les
et
de
rgles de l'harmonie viennent
leur
tour discipliner et appuyer l'inspirationSi
du musicien.di^^asfer
son temprament neil
sait
se
du moule scolairefort
restera toute sa
vie
un simple
en thme. Par contre quel
chemin parcouru lorsqu'on couteMlisandesa cantate
Pellas et
de Debussy
et:
que
l'on
voque
du prix de Piome
L'Enfant Pro-
digne
.
Mais
une
fugue de Bach, une sonate de
Beethoven, un opra de Wagner, un oratorio de Franck, un ballet de Stravinski,
une
suite
de Ravel, sont des uvres composes suivantles
grandes
lois
de l'criture musicale,
qui
s'appliquent non
un genremais
particulier,
non
une forme
dfinie,le
tout ce qui est musila
que, depuis
simple lied jusqu'
symphonie
avec churs.*
Le peintre connat aussisition
les loisart.
de
la
compo-
qui rgissent son
Elles sont ind-
140
LE TECHNICIENqu'il traite et les
pendantes des sujets
dpas-
sent, s'imposant au portraitiste, au paysagiste
commeles
au peintre de genre.
11
doit s'en rendre
matre, et leur joug ne devient gnant que pour
personnalits
incertaines,
insuffisamment
dgages.
Les grandes poques classiques, italienne,flamande,franaise
ou
espagnole,
pendant
lesquelles ces rgles s'imposrent imprieuse-
ment, n'ont point rduit les toiles de Vronse,Piubens, Poussin ou Velasquez n'tre que des
formules froides, monotones
et
sans inspiration.
Nous n'entrerons pasaujourd'hui, aprs
ici
dans l'analyse deet
rgles qui parfois furent dogmatiques,
qui
bien des liberts acquises,
se font encore trop souvent
encombrantes dans
l'enseignement professoral.
Xous rsumeronscoles,
seulement leur ide gnrale en partant d'un
grand principe applicable
toutes les:
tous les pays,
tous les genres
le
peintre
doit inscrire l'objet de sa vision
ou de sa pense la
de
telle
sorte
que tout concoure
plusles
grande expression du sujet
trait, et
que
silhouettes, les valeurs, les volumes, les
masses
agissantes, aient entre elles une tenue et une
cadence harmonieuse qui vientde leur varit.
le
plus souvent
LA COMPOSITION
lii
Mais plus Tartiste parviendra
nous
dissi-
muler son
efbrt, et
plus
il
devra s'en rjouir.est
Le gros cueil des compositions d'colequ'on y sent justementbre est alors obtenu parla
recherche. L'quili-
l'eflet
de calculs, deartificiels,
retouches successives ou de moyens
de chevilles en un mot, tout
comme danstravail
des
vers laborieusement construits.
Dans l'uvrese laissefaci-
du
matre,il
au contraire,
le
oublier,lit,
nous donne une impression de;
de
stabilit
il
ne nous tonne pas,la clart
et
s'imposesujet, lel'effet.
nous par
d'expression du
balancement des masses, l'vidence descnes d'histoire, ou
Dans
les
de genre
ces mrites apparaissent certainement l'il
inexerc de faon plus clatante que dans n'importe quel autre sujet trait.Il
faut au peintre;
une sciencefantaisie desvisible,
particulire
de groupements
la
grands
artistes n'en est
que plus
chacun adaptantla
son temprament
personnel
composition de ses tableaux.est
La Kermesse de Rubens
un exemple frapla
pant du parti qu'un matre peut tirer de
rgle tout en gardant l'aisance la plus complte.
Est-ce simplement une foule qui tourbillonne
au gr de ses dsirs
?
Certes,
aucun tableau ne
U2
LE TECHNICIENla
donne plus compltement Tide dedance devie;
surabon!
quel tapage on doit faire
Rubensgrande
pourtant organise parfaitement ce brouhaha.
Les groupes qui se dtachent de
la
masse des personnages forment des volumesvaris,
harmonieusement distribus
;
puis les
taches colorantes,
comme
les rouges,
viennent
scander savamment cette violente symphonie, de
mme
que de grands plans d'ombres arbitraires,aident
tout en accordant des repos Fil,
simplifier cette interprtation d'une foule. Grce
cette
matrisele
de
la
composition,
Rubensle
exprimele
maximum du
tournoiement, sans
moindre papillotement.C'est aussi le
mouvement queBaigneuses,
traduit Frago-
nard dans ses
mais un mouvelele
mentvent.
lascif.
Les gestes des femmes suivent
balancement cadenc des arbres remus par
Aucune composition
n'est plus rigoureu-
sement en accord avec
les lois scolaires. L'en
semble pyramidal se termine
gauche par
la
baigneuse qui nage, s'appuyant ainsi fortement la base, et les bras levstral,
du personnage cen la
relient le
groupe de femmesla
masse
d\m
arbre dont
branche retombante donne
un lan de vagueL'effet
toute
la
composition.
lumineux
si
bien crit n'est pas arrt
LA
CO.M POSITION
143
aux seules formes humaines
;
il
se
prolonge
doucement au contraire dansdu paysageque devantet
les valeurs claires
dans
le
ciel
argent.
En
sorte
cette
uvre, on peut analyser tanttles
plus, et voir
que
exigences du mtier n'ont
pas empch Fragonard de crer une des pagesles plus gnialesI,
de
la
peinture.cette
Mais ce n'est pas non plus parce que1
toile est
sans reproche au point de vue composi-
tion qu'elle reprsente
une uvre merveilleuse
;
des tableaux professoralement parfaits
comme
Ene
et
Didon
,
ou
Pyrrhus prenant souset
sa protection
x\ndromaque
Astyanaxle
de
Gurin, prouvent immdiatement
contraire.ici
La science
et
l'inspiration,
rappelons-leet
encore, doivent marcher de pair,n'est
l'artiste
complet que lorsqu'il
sait unir
aux dons
de
la
nature, la connaissance absolue de son
mtier.
Autant que
le
tableau de genre,
le portrait
rclame du peintre une cadence harmonieuse
dans sa composition.mille gestes familiers
Il
s'agit alors
dans
les
du modle, de choisir
l'incidencesion.
qui donne le
maximum
d'expres-
Un
portrait est le rsultat d'une observa-
tion synthtique, et le peintre doit s'appliquer crer
autour de son modle une atmosphre.
U4Tous lesgnral,
IK TKGIIMCIN
dtails extrieurs ajouteront Tintrtetlas'ils
ne contribuent pas
aug-
menter
valeur psychologique du
portrait,
mieux vautDevant
s'en tenir au visage seul, et son
analyse profonde.
Madame Rcamierfemme
de David, nous
saisissons tout Tattrait de la distinction majes-
tueuse de cettesocit deesprit.
qui charma
l'lite
de
la
son temps par sa
beaut
et
son
Aucune pause cependant ne:
saurait tre
plus simple
le
modle, vtu d'une ample robelit
blanche, est demi tendu sur unC'est encoredale.
de repos.
une
fois
la le
composition pyramibras droit, que proles
Le coude gauche,la
longe
longue ligne des jambes, formenttriangle, tandisla
deux cts irrguliers dupour couperla
que
monotonie deplis
ligne droite du
meuble, quelquesjusqu' terre.
du vtement retombentvient enuni. Telinscrit sale
Une haute lampe antiqueffris
accessoire gaver le orrand fondest le
schma dans lequel David;
a
penseparla
composition rigoureuse parla
got,
mesure, par
puissance d'analyse qui
prside
chaque touche, exemple parfait du
talent de son auteur.
Dans
une
figure((
gomtriquedela
analogue,
Whistler conoit
le portrait
mre
qu'il
LA COMPOSITION
145
peint assise sur une chaise de paille devant le
mur presque nuvaleur
d'une chambre sans ornement:
dcor sobre qui contribue
donner toute
sa
l'expression srieuse et pensive du per-
sonnage analys.
Aces uvres o
le
calme prside parce
qu'il
rpond, avec une mentalit diffrente, aux sujetsreprsents, j'opposerai le
portrait de Rjane
,
dans lequel Besnard
a si
heureusement repren bullition.
sent une artiste dans tout ce qu'elle peut avoird'esprit
parisien
et
de
vie
La
comdienne vientdans un sourire
d'tre applaudie, elle passe,
rapide, devant les dcors, s'extriorisant toute;
tout marche, tout va se trans-
former dans cette figure
vivante
comme unsemble
personnage de Watteau.
Dansexclue.
le
paysage,
la
composition
Nous n'en sommes plus certainement aux arrangement harmonieux mais conventionnels de Claude Lorrain, de Poussin, d'Hubert-
Robert. Mais leurs recherches nous
donnent
une orientation prcieuse. Le souci d'un quilibre de belles lignes, de nobles silhouettes, de
majest dans l'allure gnrale de leurfaisait choisir
toile,
leurle
avec soin l'arbre,
le
chemin,
mur enla
ruine. Ils tudiaient ces fragments sur
nature, puis
l'atelier
reconstituaient des40
146
LE TECHNICIEN
ensembles nouveaux. Nos besoins actuels devrit
nous empchent de perptuer ce procd;
qui loigne de l'tude directeCorot, Rousseau,
mais nous voyons
Harpignies mditer longuela
ment avant de dcider du choix deplace)).
bonnejeu
En langage de
peintre,
on dsigne
ainsi le coin clair de telle sorte,
que
le
des ombres donne au paysage
la silhouette, la
tenue et de style
l'effet
rpondant exactement aux dsirsles
que recherchaient
artistes
des
poques classiques.
L'arbre pench
de Corot
au muse du Louvre, ne contient rien qui res-
semble aux calculs ncessaires
l'tablissele fait
ment des
Xoces de Cana
;
mais
que
Corot, devant cette nature trs simple, sait enextraire les lignes caractristiques qui ce coin
donnent
une
telle
grandeur, dmontre suffisamest bien
ment que son tableau
compos.
mme((
auteur, de petites tudes discrtes
Du comme
la
route d'Arrasla
ou
le
Forum romain
nous font voir
mme
varit des taches, les
mmes
silhouettes heureuses que dans la plus
savante composition d'histoire. Ce qui veut diretout simplement que les rgles les
plus fortes
de
la
composition ont t inspires par lesla
incomparables leons que donneC'est pourtant
nature.j
sur cette nature que veulent
LA COMPOSITION
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s'appuyer certains peintres qui
n'aboutissent
souvent qu' nous
offrir
des tranches de vrit,
dbites semble-t-il au hasard des dimensions
de leurs panneaux ou de leurstout souci de la
toiles.
Chez eux
composition semble par prin-
cipe cart. Ils coupent leurs paysages l'endroit exact o notre regard viendrait logique-
mentgenre,
s'arrter
;
dans leurs
natures
mortes,
leurs intrieurs, leurs portraits, leurs toiles de
mme
volont de dsquilibre. Les perd'aprslestitres,
sonnages
qui,
devraient
reprsenter l'intrt principal,
sont relgus
dans un coin du tableau que remplissent auxtrois quarts
des
objets quelconques, groups
sans ordre, niJe
mme
sans beau dsordre.
me((
souviens,
entre bien d'autres toiles,
d'une
leon de pianole
o j'avoue avoir longencore,
temps cherchsur
piano
et le pianiste, et
de cette nature morte intituleo,
les
Pommes
une
table
immense,
d'un quilibre
inquitant, une minuscule corbeille dissimulait
par ses hauts rebords lestenait sans doute.
pommes
qu'elle con-
Ces excs-l valent-ils mieux querieuses
les labo-
pommades de
peintres
qu'on m'excu?Il
sera de ne pas dsigner davantage
ne
me
semble pas
intressant
d'en
dcider.
Nous
ii^
LE TECHNICENici la
cherchons
vrit
dans
la
mesure
;
l'excs,
qu
il
vienne de droite ou de gauche, n